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  • Engels et la libération des femmes

    Longtemps considéré par les marxistes comme un texte important concernant l’origine de l’oppression des femmes, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, par Friedrich Engels, a été critiqué par ceux qui tentent d’expliquer autrement le statut de ‘seconde zone’ de la femme dans la société. CHRISTINE THOMAS remet en avant la pertinence du livre pour les luttes des femmes aujourd’hui.

    Dans la préface de la première édition de « l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État », Friedrich Engels décrit modestement son travail comme «un maigre substitut à ce que mon ami défunt [Karl Marx] a déjà accompli». Dans ses dernières années, Marx s’était particulièrement intéressé à l’étude des premières sociétés dans le cadre de son analyse du fonctionnement et du développement historique du capitalisme. Engels a puisé dans les notes inédites de Marx. Il a également reconnu que son livre devait une dette énorme à « Ancient Society », le travail révolutionnaire de l’avocat américain et anthropologue amateur, Lewis Henry Morgan, publié sept ans auparavant.

    Selon Engels, le point de départ pour comprendre le développement historique de la société se trouve dans le processus de production et de reproduction. Les changements dans la manière dont nous vivons modifient la production et les relations sociales –par un entrelacement complexe de forces économiques et sociales. Les institutions sociales, telles que l’État, la famille et son lien avec l’oppression de la femme, sont spécifiques selon le cours de l’Histoire et sujettes à changement. Se basant principalement sur l’étude de Morgan sur les Iroquois nord-américains et sur la société polynésienne, Engels a tenté de montrer comment existaient autrefois des sociétés égalitaires dépourvues de propriété privée, d’État, d’oppression systématique des femmes et où la famille n’était pas l’institution sociale principale.

    À la lumière de plus de 100 ans de recherches archéologiques et anthropologiques, nous pouvons dire que l’argument général d’Engels conserve sa validité. Cependant, « l’Origine » doit être considéré comme un produit de son temps: révolutionnaire et explosif. Engels a cherché à défier l’idéologie dominante en refusant l’argument que les institutions de la société capitaliste étaient universelles et naturelles. Dans le même temps, ce travail était entravé par le peu de preuves scientifiques disponibles dans les années 1880. En conséquence, « l’Origine » inclut inévitablement des erreurs factuelles concernant les détails des sociétés anciennes et leur évolution. Engels a reconnu que son livre aurait besoin d’être revu à mesure que de nouvelles preuves étaient découvertes.

    Suivant de près Morgan, Engels a identifié la «gens» communale et égalitaire comme l’unité sociale de base des sociétés sans classe. Les anthropologues d’aujourd’hui reconnaissent l’existence historique de la «gens», mais pas la terminologie, en se référant plutôt au «groupe de parenté». Il y a aussi un accord général sur le fait que des groupes sociaux sans classes sans propriété privée (au sens de la propriété privée des moyens de production), et sans structure étatique, ont existé durant une part importante de l’Histoire.

    Ce qui est réfuté toutefois, c’est la séquence évolutionniste d’Engels sur la façon dont la «gens» a vu le jour. Il n’y a aucune évidence concernant les différentes étapes qu’il a décrites : de la «promiscuité» sans restriction à «l’appariement» (excluant ainsi les relations sexuelles entre générations d’une même gens), ou au «mariage de groupe» (entraînant l’interdiction de mariage entre descendants). C’était une simple spéculation. Comme Morgan avant lui, Engels pensait à tort que les termes de parenté dominants – la façon dont les gens s’adressaient : sœur, père, épouse – dans les sociétés étudiées reproduisaient des relations et des systèmes matrimoniaux d’un passé lointain. En réalité, ils reflétaient des relations sociales et économiques relativement contemporaines à Engels.

    Les «gens» étudiées par Morgan et Engels étaient des organisations sociales de base de sociétés basées sur l’agriculture simple (horticulture). Il s’agissait souvent de sociétés matrilinéaires (ascendance tracée par la mère) dans lesquelles les femmes pouvaient avoir une autorité considérable. Eleanor Burke Leacock (1) explique comment, chez les Iroquois, les femmes contrôlent le magasin de légumes, de viande et d’autres produits, organisent des mariages, nominent et déposent les sachems (chefs en temps de paix). Certains lecteurs de « l’Origine » ont supposé qu’une période de «matriarcat», régie par les femmes, précédait le patriarcat, le contrôle institutionnalisé des femmes par les hommes. En fait, il n’y a aucune preuve de cela, et quand Engels parlait de «droit de la mère», il entendait la matrilinéarité et non le matriarcat. Engels croyait que la matrilinéarité dans tous les cas précédait la patrilinéarité. Leacock semble être d’accord avec cela quand elle déclare qu’il y a de nombreux exemples de sociétés matrilinéaires devenant patrilinéaires mais pas vice versa. Cependant, nous n’avons aucune preuve de ce fait, alors cela reste une question ouverte.

    De plus, les premières sociétés connues n’étaient pas horticoles mais reposaient sur la technologie plus simple de la chasse / pêche et de la cueillette. Des anthropologues tels que Leacock et Richard Lee (2) ont étudié les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Ils l’ont fait grâce à l’expérience directe de peuples toujours existants et à l’analyse des récits historiques ; y compris les écrits des Jésuites du 17e siècle sur les Canadiens autochtones Montagnais-Naskapis, dans la péninsule du Labrador. Il est clair que chaque société a ses propres caractéristiques spécifiques, qui peuvent être façonnées par des différences de géographie, d’environnement, etc., mais cela n’empêche pas de pouvoir décrire les caractéristiques générales partagées par toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs.

    Evidemment, il y aura toujours des exceptions et il est important de savoir si, par exemple, un groupe de chasseurs-cueilleurs a eu des contacts avec des sociétés basées sur des modes de production alternatifs ou s’il est revenu à un système chasseur/cueilleur alors qu’il était déjà plus avancé technologiquement. Il est également nécessaire d’être conscient des préjugés et des hypothèses possibles de l’auteur / chercheur original lorsqu’il fonde une analyse sur des récits de seconde main. Mais avec ces mises en garde à l’esprit, quelques points généraux peuvent être faits sur les principes d’organisation de ces sociétés de chasseurs-cueilleurs.

    Différent mais égalitaire

    Bien que la taille puisse varier en fonction de l’environnement et de l’approvisionnement alimentaire disponible, les chasseurs-cueilleurs vivaient normalement dans de petits groupes sociaux basés sur la parenté. Un nombre de 30-40 personnes était généralement considéré comme optimal. Un groupe pouvait être changeant avec une composition fluide et une interprétation souple de la «famille» – des enfants pas nécessairement élevé par des « parents de sang ». Les groupes étaient mobiles pour la recherche de nourriture, se réunissant à diverses occasions pour coopérer, socialiser, etc. La production et la distribution de biens étaient sociales et coopératives et les moyens de production très basiques. Bien qu’il y ait eu quelques possessions privées personnelles, les moyens de production étaient la propriété collective, avec peu d’accumulation étant donné que le groupe était continuellement en mouvement. Bien que l’échange de cadeaux ait eu lieu entre les gens, la production était principalement destinée à un usage direct.

    Tous les adultes aptes au travail étaient directement impliqués dans la production et la distribution de nourriture. La principale division du travail était fondée sur le sexe. En général, les hommes étaient responsables de la chasse et les femmes étaient principalement engagées dans la cueillette de fruits, de noix, de baies, etc., les biens des deux sexes étant collectivement partagés par la bande. Parce que les sources d’Engels provenaient principalement des sociétés horticoles, il ne se référait pas au rôle des femmes en tant que cueilleuses, se concentrant, au contraire, sur leur responsabilité en matière de garde d’enfants et de gestion du ménage. Néanmoins, Engels a eu raison de souligner la nature «publique» du rôle des femmes dans les gens. Le soin des enfants était un rôle social joué au profit de tout le groupe. Il n’y avait pas de division artificielle entre le rôle privé d’une femme dans un ménage et son rôle public dans la société en général, comme cela est le cas sous le capitalisme et d’autres sociétés de classe.

    Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, les relations personnelles entre hommes et femmes pouvaient être à la fois stables et fluides, tout comme le mariage matrilocal (dans le groupe de parenté de l’épouse) ou patrilocal (le mari), selon ce qui convenait le mieux. Mais, en raison de la nature coopérative de la bande, la séparation n’entraînait pas nécessairement des difficultés économiques pour les femmes ou les enfants. L’unité sociale principale était le groupe collectif, pas la famille ou le ménage, et cela était basé sur l’interdépendance économique de l’ensemble de la bande et non des femmes individuelles dépendantes des partenaires masculins.

    Leacock, Stephanie Coontz, Peta Henderson (3), et Christine Ward Gaitley (4), mettent toutes en garde contre les dangers de faire des suppositions sur le rôle des femmes dans les sociétés pré-classes à partir du modèle des relations sociales inégales qui dominent le capitalisme. Une division du travail entre hommes et femmes n’implique pas nécessairement une inégalité. La contribution économique des femmes dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs fournissait normalement l’essentiel des besoins nutritionnels du groupe. Alors que les rôles des hommes et des femmes variaient et pouvaient être interchangeables, ils n’étaient ni supérieurs ni inférieurs, mais à la fois estimés et nécessaires pour le groupe.

    Leacock a montré comment les femmes contrôlaient leur propre production, prenant des décisions autonomes sur les activités dont elles étaient responsables. Bien que les femmes soient celles qui enfantent et que leur rôle reproductif limite normalement leur capacité de chasse (manifestement dangereux pour les femmes enceintes et allaitantes), cela ne leur confère pas un statut social inférieur. En réalité, la division du travail était souvent assez flexible, avec des femmes qui chassaient le petit gibier ou accompagnaient les hommes à la chasse si elles n’étaient pas enceintes ou allaitantes. De la même manière, les hommes s’occupaient souvent des enfants quand cela était nécessaire.

    Par conséquent, le statut social inégal des femmes ne peut pas être simplement expliqué par le rôle reproductif des femmes, abstraction faite des relations sociales et économiques, comme certaines féministes radicales (et non féministes) ont tenté de le faire. Les théories de la suprématie masculine étant dues à une plus grande force ou à la violence sont également montrées comme intenables. Bien que la violence et même des guerres sporadiques se soient parfois produites dans les sociétés sans classe précoces, elles étaient toutes deux assez rares. Les études de Leacock l’ont amenée à énumérer les valeurs principales des groupes communautaires comme étant la coopération, la réciprocité, la solidarité, la générosité, la patience et le respect. Même la chasse était normalement une activité basée sur la coopération entre les hommes, et parfois les femmes, contrairement à la description déterministe stéréotypée, brute et biologique de l’agressif «homme chasseur».

    Les sociétés de chasseurs-cueilleurs étaient marquées par des relations économiques et sociales non stratifiées, non hiérarchiques, sans différenciation sociale fondée sur la richesse. Il n’y avait pas d’Etat. La prise de décision et la résolution des conflits étaient généralement menées de manière informelle sur la base de discussions et de consensus. Lorsque le conflit ne pouvait pas être résolu, il est probable que la personne doive quitter le groupe. La gens était peut-être plus encline à écouter les opinions de certains membres du groupe, mais cette «autorité» était basée sur les atouts personnels ou l’âge de ces personnes particulières et ne découlait pas de relations de propriété. Ils pouvaient persuader et convaincre, mais n’avaient pas le pouvoir d’imposer leurs opinions ou d’obliger les autres à agir ou à se comporter d’une manière particulière.

    Révolution néolithique

    Pour Engels, l’effondrement des «gens» et le processus d’ascension de la propriété privée, des classes, de la famille en tant qu’institution sociale et de l’Etat étaient enracinés dans le développement de la technologie et des forces productives. En parallèle, il en va de même de l’oppression des femmes. Dans le premier chapitre de « l’Origine », Engels esquisse un schéma évolutif utilisant la terminologie du 19ème siècle – sauvagerie, barbarie, civilisation – qui, de toute évidence, serait inacceptable aujourd’hui. Les anthropologues parlent maintenant de chasseurs-cueilleurs / pêcheurs, de sociétés agricoles et urbaines. Certains des détails avancés par Engels sur la façon dont les sociétés ont changées sont également remis en question par les preuves accumulées depuis lors. Néanmoins, le consensus est général : il y a environ 8-10 000 ans, une révolution de la production a eu lieu – généralement appelée «révolution néolithique», un terme utilisé pour la première fois par l’archéologue V Gordon Childe. Cela signifia le début des inégalités avec la différenciation de classe, engendrant pouvoir, richesse et oppression de genre.

    Cette transformation radicale était enracinée dans la nouvelle capacité des sociétés à domestiquer les plantes et les animaux. Engels pensait, à tort, que le pastoralisme ou l’élevage précédaient la plantation et la récolte. Au contraire, les documents historiques montrent qu’ils sont apparus étroitement ensemble (dans des échelles de temps historiques) probablement, initialement, dans le Croissant fertile de l’Asie du Sud-Ouest et au «Proche-Orient». L’agriculture simple est apparue indépendamment dans au moins cinq régions du monde, et probablement plus, se répandant dans d’autres régions à travers la migration des agriculteurs, la diffusion de nouvelles techniques ou par la conquête. L’agriculture est arrivée en Europe de l’Asie occidentale entre 3 500 et 6 000 avant notre ère.

    Cela ne s’est pas fait par des processus unilinéaires. Certaines sociétés n’ont pas commencé à produire de la nourriture avant le contact colonial, d’autres ont même résisté, continuant leur mode de production de chasseurs-cueilleurs jusqu’à des temps relativement récents. Engels est souvent critiqué pour avoir préconisé une vision unilinéaire du développement social dans « l’Origine ». Mais si c’était le cas, cela serait en contradiction avec ses écrits généraux et ceux de Marx sur le développement historique. De telles critiques sembleraient se fonder sur le manque d’information disponible pour Engels au sujet de différentes sociétés, ainsi que sur les erreurs de ses «interprètes» et de ses «suiveurs», plutôt que sur la position d’Engels lui-même.

    Pourquoi les peuples anciens sont passés de la chasse/cueillette à l’agriculture simple, la raison est probablement différente d’une région à l’autre. Des facteurs environnementaux, tels qu’une réduction de l’approvisionnement en nourriture disponible ou une augmentation des plantes domestiques, auraient probablement joué un rôle. Quelques sociétés de chasseurs-cueilleurs ont vécu dans des régions particulièrement riches sur le plan environnemental (la côte nord-ouest du Pacifique, par exemple). Ils ont pu mener une vie relativement sédentaire, mais la plupart étaient nomades et se déplaçaient pour exploiter les ressources alimentaires.

    Avec une production basée sur de simples techniques agricoles (culture sur brûlis, houe et bâton), la sédentarité s’est installée. Le sol devait être préparé et les cultures semées et récoltées, nécessitant une attention plus constante de la part des cultivateurs. Au fil du temps, certaines gens sont devenues plus stables, formant de petits villages permanents et finalement abandonnant leur mode de vie nomade. Un mode de vie sédentaire et une productivité accrue ont jeté les bases d’une augmentation de la fécondité féminine et de la densité de la population.

    La taille des groupes de chasseurs-cueilleurs était normalement restreinte pour tenir compte de la nécessité d’être en mouvement et des ressources alimentaires disponibles. Les femmes ne voulant pas porter plus d’un bébé, elles ont essayé de contrôler l’enfantement en l’espaçant (jusqu’à quatre ans) par la lactation et l’abstinence. Mais aussi, si nécessaire, par l’avortement et l’infanticide. Dans les communautés sédentaires, ces restrictions ont diminué, les femmes donnant naissance plus régulièrement (avec un écart moyen de deux ans). Les populations ont commencé à se développer lentement.

    Dans les sociétés agricoles simples, la production était souvent, mais pas toujours, assurée par des ménages individuels ou étendus. Toutefois, la terre était «possédée» collectivement par la gens. La distribution de la nourriture était communale et, en général, les relations économiques et sociales étaient organisées sur la base des liens de groupe. A mesure que la société s’est développée, les relations ont commencé à se formaliser davantage. Les normes socialement acceptées concernant l’accès aux ressources ont commencé à changer. Autour notamment des bases sur lesquelles la production était organisée, la division du travail, comment les produits étaient distribués et échangés au sein des groupes et entre les groupes, quelles personnes pouvaient se marier, etc – Tout cela devenait progressivement plus réglementé et structuré. Egalement, la base de la gens et des valeurs communes de la coopération, de la réciprocité, des obligations et responsabilités mutuelles convenues par le groupe ont graduellement changées.

    L’émergence de la société de classe

    Ainsi, les nouvelles forces économiques et sociales issues des nouvelles méthodes de production contenaient les germes d’un conflit potentiel au sein et entre les gens. Cela a miné les principes d’organisation égalitaires et communautaires sur lesquels le groupe était basé. Ce processus n’était cependant pas inévitable ou unilinéaire et chaque société avait sa propre dynamique. Dans certains cas, les processus internes ont progressé jusqu’à la différenciation des classes. Dans d’autres, ils s’arrêtaient à des stades intermédiaires de développement, parfois s’effondraient avant que le processus puisse être achevé. Pour beaucoup, la société de classe ne s’est pas développée de façon interne mais par l’imposition externe des puissances coloniales. De plus, ce sont des processus qui, dans la plupart des cas, se sont déroulés progressivement sur des milliers d’années.

    La production dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs était principalement utilisée directement par les membres de la bande. Il y a eu ensuite le développement et l’amélioration technologique agricole. D’autres techniques telles que la poterie et le travail des métaux, et plus tard des techniques de production plus intensives basées sur la charrue et l’irrigation sont aussi apparues. Il est ainsi devenu possible au fil du temps de produire au-delà des besoins immédiats du groupe. Un stock de céréales excédentaires ou d’autres denrées alimentaires pouvait alors être utilisé en période de difficultés causées par les mauvaises récoltes dues aux tempêtes, à la sécheresse, aux ravageurs, etc.

    Un excédent croissant a également permis à certains individus et groupes de se retirer de la production alimentaire, tels que les artisans, les commerçants, les guerriers et les prêtres. Dans certaines sociétés, un membre particulier du groupe qui avait acquis un certain prestige (ancien du village, «grand homme», etc.) s’est chargé de rassembler et de distribuer le surplus, souvent au moyen de fêtes cérémonielles. Pour commencer, ce rôle, exercé pour le compte et au profit du groupe dans son ensemble, ne conférait aucun privilège. La personne n’avait aucun moyen de contrôle car, selon les coutumes de réciprocité et de générosité, elle devait normalement donner plus que reçu. Le socle pour le développement des sociétés de classes était toutefois établi. Les différences ont peu à peu émergées et la concurrence entre les lignées (groupes de descendance de parenté) et les ménages se sont développées, avec le plus productif qui gagne en prestige.

    Dans certains cas, la position du chef de la lignée est devenue héréditaire et les chefs ont gagné, dans les sociétés les plus stratifiées, un accès privilégié aux ressources. Le classement, la hiérarchie et l’inégalité d’accès aux ressources se sont développés parallèlement et en contradiction avec les principes d’organisation communaux horizontaux du groupe. Dans ces sociétés où la lignée dominante, le groupe, le chef, etc., s’est éloigné de l’obligation de réciprocité le chemin était pavé vers la société de classe. Un ou plusieurs groupes se sont ainsi emparés d’une partie ou de l’entièreté de la production, sans se conformer à l’obligation du retour équivalent.

    Consolidation de l’état

    Avec les inégalités croissantes et la différenciation entre classes, le besoin d’institutions et de forces coercitives pour administrer des sociétés de plus en plus complexes à pris forme. Il fallait contraindre les producteurs à augmenter leur production et leur main d’œuvre ainsi qu’à extraire des impôts. Ces forces servaient à protéger, légitimer, renforcer et maintenir la position privilégiée des groupes dirigeants. Bien sûr, il y eu des épisodes de résistance et de rébellion contre ces règles de classe naissantes. Mais les élites dirigeantes en développement reposaient souvent sur des relations de parenté issues des gens qui continuaient à exister même lorsque les relations de classe dominaient. L’idéologie des sociétés-gens a joué un rôle crucial dans la justification de l’exploitation, et leur acceptation par le groupe social plus large.

    Les lignées les plus réussies étaient normalement considérées comme les plus proches des ancêtres et des dieux du groupe. C’est cette proximité qui expliquait leur capacité à augmenter la production, la fertilité, etc., et à justifier leur maintien en tant qu’élément essentiel pour le bien-être de l’ensemble du groupe. Le rôle des prêtres et des castes sacerdotales était étroitement lié à la légitimation idéologique du pouvoir économique et politique de la couche dirigeante. Et dans certains cas (par exemple, en Mésopotamie), les groupes dirigeants émergèrent eux-mêmes de ces couches religieuses. Là où les processus se développaient le plus loin, l’idéologie devenait institutionnalisée en tant que religion d’État.

    La manière dont les relations de classe se déroulaient variait beaucoup d’une société à l’autre. Cela pouvait être un processus changeant avec des luttes émergeantes entre différents groupes d’élites. Dans « l’Origine », Engels décrit les processus impliqués dans la formation de l’esclavage dans la Grèce classique et à Rome. Les premières sociétés de classes connues se fondaient sur ce que Marx appelait le mode de production asiatique. C’est une faute de langage car ces sociétés sont également apparues en dehors de l’Asie. Bien que l’esclavage ait pu exister, il n’était pas le mode de production dominant. La terre n’était pas une propriété privée, comme c’était le cas dans la société féodale, mais était considérée comme la «propriété» de l’État. Celui-ci exploitait les paysans et autres groupes subalternes par l’expropriation des impôts et le travail collectif sur les grandes œuvres communautaires. Par exemple, ce fut le cas de la construction de routes, de l’irrigation, temples et les lieux de sépulture au profit de l’élite dirigeante. Les premiers États-Villes sont probablement apparus en Mésopotamie autour de 3700 avant Jésus-Christ. Là, la redistribution économique, la religion, l’artisanat, l’écriture, le commerce, etc., étaient organisés à travers et autour du temple. L’Etat fournit aux paysans les moyens de production et expropriait le surplus.

    Le déclin du statut des femmes dans la société était inextricablement lié à ces processus économiques et sociaux qui ont donné lieu aux inégalités de classe et à l’État. Par conséquent, il ne s’agissait pas d’un événement soudain, comme semblent le suggérer certains «interprètes» d’Engels. Il s’agit d’un long développement contradictoire se déroulant sur des milliers d’années avec différents niveaux de subordination existant dans différentes sociétés à différents stades de développement. Engels n’a jamais entièrement expliqué pourquoi ce sont les hommes qui sont devenus le sexe dominant et non les femmes. Mais les preuves disponibles indiquent que, en raison de la division du travail existant entre les hommes et les femmes dans les gens, l’accumulation, le stockage et la distribution du surplus étaient normalement détenus par des hommes.

    Bien qu’il existe des preuves que les femmes aient été des chefs, commerçants et chamanes, en particulier dans les sociétés africaines, ce sont généralement les hommes qui occupaient ces postes. Ils faisaient aussi office de guerriers chargés de défendre et d’accumuler le surplus de nourriture. Dans les sociétés où les techniques agricoles sont devenues plus lourdes et plus intensives, ce sont les hommes qui ont eu la responsabilité de la charrue et de l’irrigation. Une division du travail dans les rapports égalitaires, économiques et sociaux, n’impliquait aucune hiérarchie des relations de genre. Dès l’apparition des classes cette division devint la base d’un prestige et d’un pouvoir croissants des hommes dans la société, et de leur contrôle du surplus croissant.

    Inégalité de genre institutionnalisée

    En même temps que l’évolution des techniques de production, l’importance du ménage individuel en tant qu’unité économique aux côtés et en concurrence avec la gens a accru. Dans les premières sociétés de classes, l’État, en s’appropriant une partie de la production familiale, comptait sur les chefs de famille pour remettre l’hommage. Cela renforçait ainsi le contrôle exercé par les hommes sur la production des femmes au sein d’une famille individuelle. En conséquence, les femmes sont devenues de plus en plus économiquement dépendantes d’un seul chef de famille, perdant leur autonomie relative dans la société. Dans le même temps, leur travail, qui avait été auparavant réalisé comme un rôle social pour la gens, est progressivement devenu une activité privée au sein de l’unité de ménage individuelle. Les femmes qui faisaient partie des groupes économiquement dominants perdaient aussi normalement leur autonomie économique, sous le contrôle des hommes. Elles conservaient toutefois un certain pouvoir social à l’égard des classes subalternes dont le travail était exploité pour produire le surplus.

    Dans les gens, l’apparition de l’exogamie («se marier» en dehors du groupe) n’excluait pas principalement, comme Engels l’a supposé, le mariage entre parents-enfants (inceste), mais était en fait lié à la coopération entre différents groupes. Ce ne sont pas non plus les hommes qui ont «échangé» les femmes comme des marchandises, comme le soutiennent les anthropologues structuralistes (5) et certaines féministes. C’est la gens dans son ensemble, y compris les femmes, qui participe à ces décisions (6). Avec l’augmentation des inégalités de classe, le mariage entre l’élite dirigeante a commencé à prendre un rôle politique visant à accroître la richesse, le pouvoir et le prestige.

    Alors que les groupes économiquement dominants cherchaient à garder le contrôle au sein des lignées et des ménages au pouvoir, l’héritage prit une importance croissante, aidant à généraliser la patrilocalité et la patrilinéarité. Dans le même temps, le contrôle de la reproduction et de la sexualité des femmes s’est intensifié, donnant lieu à de sévères châtiments pour l’adultère commis par des femmes. Au fil du temps, la famille patriarcale monogame dont parlait Engels (dans laquelle un homme avait le contrôle total de tous les membres de la famille, y compris le droit de recourir à la violence physique), devint la principale forme de cellule familiale. Toutefois cela fut bien plus tardif que ce qu’Engels soupçonnait. Avec la consolidation du pouvoir de classe, ces inégalités entre les sexes se sont progressivement institutionnalisées, inscrites dans la loi, perpétuées par l’idéologie et la religion de l’État.

    Réelle libération

    Engels a situé l’oppression des femmes dans les processus historiques, en montrant que la domination masculine et l’oppression systématique des femmes n’étaient pas universelles. « l’Origine » d’Engels reste un livre puissant, malgré ses inexactitudes. Il a en fait montré que les changements économiques et sociaux passés ont modifié le statut des femmes dans la société. Il a également démontré que les changements futurs peuvent jeter les bases d’une transformation de la vie des femmes et d’une fin à l’oppression de celles-ci. “La première condition pour la libération des femmes”, a déclaré Engels, “est de ramener l’ensemble du sexe féminin dans l’industrie publique”.

    Au cours des dernières décennies les changements structurels dans le capitalisme ont conduit à une augmentation de la participation des femmes à la main-d’œuvre dans de nombreux pays à travers le monde. Cela a eu un effet positif sur les idées et les aspirations des femmes elles-mêmes. Cela a également influençé plus largement les attitudes sociales, l’autonomie économique, sociale et personnelle des femmes mais cela restait limité par les besoins du capitalisme. Engels a expliqué que «ceci exige à son tour l’abolition de la famille monogame comme étant l’unité économique de la société». La famille en tant qu’institution et le rôle des femmes en son sein ont clairement subi des changements importants depuis qu’Engels a écrit « L’origine de la famille, la propriété privée et l’État ». Néanmoins, il conserve une pertinence économique et idéologique concernant le capitalisme du 21ème siècle, qui souffre d’une crise systémique et est déchiré par ses contradictions. C’est un système qui exploite les femmes comme main-d’œuvre bon marché sur les lieux de travail tout en dépendant de leur rôle traditionnel de soignantes non rémunérées au sein du foyer.

    L’idéologie capitaliste, concernant le rôle et le statut des femmes dans la société, a également évoluée depuis la fin du XIXe siècle. Mais les idées et les valeurs d’un système basé sur la production marchande pour le profit, les inégalités de richesse et de pouvoir se perpétuent et perdurent. Les idées d’autorité et de suprématie masculines qui ont leurs racines dans les sociétés de classe antérieures également. En conséquence, les femmes continuent d’être victimes de violences, d’abus sexuels. Elles continuent à être réprimées sur leur sexualité et leurs droits en matière de procréation ; à être confrontées au sexisme, à la discrimination, aux stéréotypes sexistes et au double standard.

    Pour Engels, la solution des problèmes auxquels les femmes sont confrontées implique «le transfert des moyens de production en propriété commune». De cette façon, “la famille monogame cesse d’être l’unité économique de la société. Le ménage privé est transformé en industrie sociale. Les soins et l’éducation des enfants deviennent une affaire publique. La société s’occupe de tous les enfants … ” Dans une société socialiste, les relations personnelles seront libérées des contraintes économiques et sociales qui continuent de les limiter encore aujourd’hui. La base de la vraie libération sera posée. Cent trente-trois ans après leur première écriture, les mots d’Engels concernant la fin de l’oppression des femmes conservent toute leur force.
    Notes:
    1. Leacock: “Myths of Male Dominance”, Monthly Review Press.
    2. Leacock et Lee: “Politics and History in Band Societies”, Cambridge University Press, 1982; Lee, The Kung San, Cambridge, 1979.
    3. Coontz et Henderson: “Women’s Work, Men’s Property”, Verso, 1986.
    4. Gaitley: “Kinship to Kingship, Gender Hierarchy and State Formation”, University of Texas Press, 1987.
    5. Voir en particulier Levi-Strauss.
    6. Voir Leacock, Gaitley, Coontz and Henderson, op cit.

  • La crise du capitalisme entraîne une augmentation de la violence d’Etat

    Ces dernières semaines, nous avons étés témoins d’une solidarité internationale qui a fait chaud au cœur : des manifestants au Brésil portaient des pancartes avec l’inscription “We are all Taksim Square” tandis que de Turquie retentissait la réponse : “Brésil et Turquie : même combat”. Les deux mouvements de contestation ne manquent pas de points communs : ils s’opposent à une politique néolibérale qui investit dans des projets de prestige au lieu d’offrir des services sociaux essentiels et contestent également le caractère anti-démocratique de cette politique.

    Par Mathias (Anvers)

    Il n’y a pas qu’au niveau des causes que des parallèles peuvent être trouvés. La réaction de l’Etat fut elle aussi semblable. En Turquie comme au Brésil, les autorités ont tenté de réduire au silence des manifestants pacifiques en recourant à une répression brutale. Des milliers de personnes ont été blessées et arrêtées. En Turquie, la répression du régime a même conduit à la mort de plusieurs personnes.

    Cette féroce répression n’est pas restée inaperçue sur le plan international et, dans bien des pays, des manifestations de solidarité ont pris place. Des politiciens européens de premier plan se sont même vus forcés de condamner la violence policière. Sous la pression, Angela Merkel a même dû déclarer: “Ce qui se passe actuellement en Turquie, ne correspond pas à nos idées de la liberté de manifester et de la libre expression ”. Mais, début juin, lorsque la manif de Blockupy s’est déroulée à Frankfort, elle a été dispersée à coup de matraques par les robocops allemands. La sympathie de la chancelière est visiblement à géométrie variable.

    L’hypocrisie de ces politiciens ne connait pas de limites. Ces dernières années, plusieurs gouvernements ont forcé leur population à accepter une austérité drastique. Quand des manifestations de masse ont vu le jour, les grenades lacrymogènes et les matraques sont entrées dans la danse. Espagnols, Portugais, Grecs ou Allemands ont pu constater de leurs yeux quelle idée de la liberté d’expression se font les dirigeants européens.

    En Belgique aussi, ce droit reste fragile, comme l’a encore illustré l’arrestation de 80 personnes lors d’une action contre Monsanto à Anvers le 25 mai dernier. Récemment, la classe dominante a encore élargi son arsenal d’outils répressifs avec les Sanctions Administratives Communales (SAC). Mieux vaut commencer à mettre des sous de côté avant d’exprimer son opinion ou de faire usage de son droit de manifester : une manifestation spontanée peut, avec les SAC et les ‘combitaxes’, facilement devenir une affaire de l’ordre de quelques centaines d’euros.

    Le rôle de l’Etat

    Le fait que la contestation soit partout dans le monde confrontée au même cocktail de répression et de persécution n’est absolument pas neuf. Au 19ème siècle, Friedrich Engels avait déjà remarqué ‘‘qu’en dernière instance, l’État est une bande d’hommes armés”. La politique néolibérale est un désastre pour quasiment tout le monde. Quasiment car, pour certains, elle représente tout sauf peine et misère. Dans le monde entier, les riches profitent admirablement de la crise. En Belgique, on compte 6.000 millionnaires de plus en 2012 par rapport à 2011. À l’échelle mondiale, environ 111.000 personnes possèdent 35% de la richesse ! Ce sont les intérêts de cette élite que l’Etat défend avec acharnement.

    La confirmation de cet état de fait se retrouve dans la réalité de tous les jours. Cela va des requêtes unilatérales pour casser les piquets de grève à la proclamation d’une loi interdisant la hausse des salaires. Ce sont des mesures qui profitent à la classe dominante, aux patrons.

    Il n’est pas étonnant que le gouvernement joue un tel rôle sous le capitalisme. Dans une société de classe où la classe dominante, une petite élite, s’enrichit au détriment de la grande majorité, cette élite a besoin d’un appareil pour imposer sa volonté aux masses exploitées. Marx décrit l’Etat sous le capitalisme comme n’étant ‘‘pas plus qu’un conseil qui gère les affaires communes à toute la classe bourgeoise.’’

    La tâche de l’Etat consiste à défendre les intérêts de la classe dominante à court mais aussi à long terme. Sous le capitalisme, cela signifie de maximaliser les profits du capitaliste mais aussi de maintenir le système lui-même, ce qu’il accomplit en protégeant le pilier de cette société : la propriété privée des moyens de production (entreprises, banques, moyens de transports et de communication,…)

    Les intérêts à court et à long terme entrent parfois en conflit. Cela explique par exemple la création de l’Etat-providence. Dans l’après-guerre, des concessions sociales et économiques ont été faites par en haut à la classe ouvrière afin de prévenir toute révolution par en bas. Ceci, couplé à une croissance économique sans précédent, a eu pour résultat une amélioration considérable du niveau de vie de la majorité de la population dans les pays développés. La politique néolibérale souligne aujourd’hui plus clairement que jamais que, sous le capitalisme, toute concession n’est que temporaire.

    Dans la société capitaliste, la démocratie parlementaire est en effet la manière la plus efficace dont dispose les capitalistes pour imposer leur volonté avec un minimum de résistance. Mais les valeurs démocratiques ne sont cependant pas sacrées pour la bourgeoisie. Là où la démocratie parlementaire n’arrive plus à défendre leurs intérêts, elle n’hésite pas à l’écarter. Par exemple, l’an passé, en Grèce, on a vu que le pouvoir a été temporairement confié à un gouvernement technocratique qui avait pour tâche d’appliquer coûte que coûte les mesures d’austérité avant les élections.

    Dans les années ’30, des méthodes plus radicales ont été nécessaires pour maintenir la situation révolutionnaire sous contrôle. Dans plusieurs pays, la bourgeoisie joua la carte du fascisme, lequel opprima les syndicats et les partis de gauche de manière extrêmement violente et atomisa ainsi la classe ouvrière. Toutefois, avec cette expérience, la bourgeoisie se brula sérieusement les doigts. Les théories conspirationnistes qui représentent la classe dominante comme un groupe de stratèges extrêmement rationnels ayant toujours la situation bien en main font trop honneur à la bourgeoisie.

    Big Brother détermine nos droits démocratiques

    Ces dernières décennies, les droits démocratiques ont étés systématiquement restreints. Les attaques contre les tours du WTC à New York en 2001 ont été instrumentalisées pour introduire bon nombre de lois qui ont accordé considérablement plus de pouvoir à l’Etat. Des lois soi-disant conçues pour faire face à la menace du terrorisme sont tout aussi aisément appliquées contre des mouvements de contestation comme Occupy aux États-Unis ou le mouvement actuel en Turquie.

    Le récent scandale dévoilant que le gouvernement américain contrôle, dans le monde entier, les conversations téléphoniques, les courriels,… à une échelle sans précédent témoigne du fait que cette évolution est déjà bien avancée. Des commentateurs ont même affirmé que la NSA (National Security Agency) dispose d’une quantité d’informations sur la population bien supérieures à ce dont la Stasi, le service secret Est-allemand, aurait jamais pu rêver. L’image de cette NSA observant chacun sans relâche fait immédiatement penser à l’image de Big Brother, du roman ‘1984’ de George Orwell. Il y a tout de même une grande différence avec la dystopie (le contraire d’une utopie) représentée par Orwell. Alors que le Big Brother d’Orwell est un phénomène purement étatique, il existe aujourd’hui bien des entreprises privées qui s’en mêlent. Edward Snowden, celui par qui le scandale est arrivé, travaillait par exemple pour un sous-traitant de la NSA. La folie est ainsi poussée à son comble !

    La crise capitaliste, le manque de contrôle démocratique ainsi que la répression et le contrôle croissant sont des symptômes d’un système malade. Au fur et à mesure que la crise s’approfondira, les mesures deviendront plus drastiques. La seule manière de mettre fin à l’oppression est d’en finir avec le capitalisme. Seule une alternative socialiste où les moyens de production ne sont pas aux mains d’une petite élite peut apporter une réponse aux problèmes actuels. Dans la prochaine période, il sera crucial de construire une force qui, avec un programme et une tactique appropriés, pourra parvenir à ce résultat.

  • Comment les politiciens et les patrons transforment la réalité

    Ce n’est pas la concurrence, mais la solidarité qui crée les richesses

    Ce n’est pas la solidarité, mais la concurrence qui appauvrit

    Ce dossier traite du fondement-même de la société actuelle ; la production basée sur la concurrence. On nous le rappelle chaque heure, chaque minute, chaque seconde : si nous ne sommes pas concurrentiels, nous allons tous périr ensemble. Des syndicalistes combatifs lanceront une contre-offensive au cours des prochaines semaines et des prochains mois. La concurrence n’est plus depuis longtemps un moteur pour la création de richesses, au contraire. La production actuelle, le développement de la science et de la technique, exigent un autre modèle économique dont la base ne serait plus la concurrence et la compétition, mais la coopération et la solidarité.

    Par Eric Byl, dossier par dans l’édition de mars de Lutte Socialiste

    L’idéologie dominante

    La propagande du patronat, nous la connaissons. Ce sont toujours ces mêmes patrons qui sont interviewés par une élite ‘‘choisie’’ de journalistes neutres dans des médias de masse qu’ils contrôlent eux-mêmes, que ce soit de façon directe ou indirecte.

    Ce sont toujours ces mêmes politiciens qui, avec en vue de futurs postes lucratifs dans des conseils d’administrations d’entreprises, viennent répéter les mêmes ‘‘vérités’’. Dans le meilleur des cas, les journalistes sont forcés de se retenir mais, dans leur majorité, ils sont imprégnés de la logique patronale et, très souvent, sollicitent ouvertement une future carrière politique. Leur bas de laine ? Pour survivre, il faut augmenter la compétitivité des entreprises.

    Il existe aussi une propagande plus raffinée, plus systématique et par conséquent mortellement efficace. Des publicités, des feuilletons, des films, des magazines, des journaux commerciaux et des quotidiens soutiennent tous, de façon consciente ou inconsciente, l’idée qu’il faut être concurrentiel pour avoir du succès. Même le sport, où une bonne dose de compétition devrait stimuler le développement physique et psychologique de tous, est transformé en un plaidoyer pour une concurrence impitoyable. Le moyen de propagande peut-être le plus efficace d’entre tous est la simple transmission des valeurs et des mœurs dominantes de la société par les parents, les amis, l’école, l’église, etc. C’est ce dont Marx parlait en disant que l’idéologie dominante dans une société est en général celle de la classe dominante.

    Le socialisme scientifique

    Il ne s’agissait pas simplement d’une intuition que Marx a appliquée par la suite aux sociétés précapitalistes, mais au contraire une loi tendancielle déduite après une étude approfondie de l’histoire humaine telle qu’elle était jusqu’alors connue. D’où l’appellation de socialisme scientifique. C’est tout à fait différent du ‘bon sens’ dont parlent si souvent nos politiciens. Ils ne font que repérer des caractéristiques de leur environnement immédiat pour décréter que ces “découvertes” sont des lois universelles. Quelques exemples ? ‘‘L’homme est naturellement égoïste’’, ‘‘l’exploitation a toujours existé et existera toujours’’, ‘‘l’homme a besoin de la concurrence en tant que stimulant pour produire’’,… Toutes ces ‘‘vérités’’ doivent nous convaincre de fatalisme et nous faire accepter notre sort.

    Avec son approche scientifique, Marx a pu non seulement reconnaitre la validité relative d’une loi tendancielle, mais également en voir les limites. Pendant 3 millions d’années (200.000 ans pour l’Homo sapiens), les humains ont vécu en tant que chasseurs-cueilleurs. Il n’y avait ni égoïsme ni exploitation, ils vivaient de façon sociale et solidaire, non pas par générosité, mais simplement puisque les conditions matérielles – vivre de ce qu’offre la nature – ne permettait pas de faire autrement. Ce n’est qu’il y a 10.000 ans, avec la révolution agraire, que l’exploitation est devenue la meilleure forme d’adaptation à son environnement. A la division du travail selon le sexe, les capacités physiques et l’âge s’est ajoutée une division du travail permanente entre activités physiques et spirituelles.

    L’espace nous manque ici pour analyser chaque type de société que nous avons connu depuis lors. Mais ce qui les caractérise tous, c’est l’existence d’un monopole de la violence aux mains de l’élite dominante et d’idéologies adaptées pour faire accepter aux sujets qu’ils cèdent une partie de leur travail à cette élite, qu’importe s’il s’agissait d’une caste dominante – dont le pouvoir est basé sur sa place spécifique dans la division de travail, comme avec le mode de production asiatique ou le stalinisme – ou d’une classe dominante qui possède directement les moyens de production telle que les sociétés esclavagistes, féodales, capitalistes ou l’une des nombreuses formes intermédiaires.

    Marx est parvenu à la conclusion qu’une société peut tenir tant qu’elle réussit à développer les forces productives. Du moment qu’elle n’en est plus capable, le déclin s’amorce, le moteur de l’histoire – la lutte des classes – se met en marche ou, en cas d’absence de lutte des classes, la société est écrasée par d’autres plus dynamiques. Dans des telles périodes, les contradictions de la société deviennent plus aigües, de plus en plus visibles et de plus en plus insupportables. L’ancienne société ne veut pas encore céder la place, la nouvelle ne peut pas encore casser le carcan de l’ancienne. Cela provoque une crise qui atteint toutes les anciennes institutions, qui s’accrochent toutes désespérément à leurs privilèges et à leur vision idéologique, le dogme libéral de la concurrence dans le cas du capitalisme. C’est ce qui explique que des processus qui prendraient autrement des siècles peuvent soudainement éclater et se dérouler en quelques heures, quelques jours ou quelques années.

    une offensive pour annuler l’effet de la manifestation du 21 février

    Les syndicalistes venaient à peine de ranger leurs pancartes et de replier leurs calicots que l’offensive patronale reprenait de la vigueur. “La manifestation superflue” écrivait le lendemain le quotidien flamand De Morgen. “Coene s’alarme de la compétitivité morose”, annonçait De Tijd. Le jour d’après De Standaard avertissait: “Sans mesures drastiques, la Belgique s’expose à une amende européenne”. Le message ? ‘N’écoutez pas ces 40.000 syndicalistes bruyants, conservateurs et grisonnants, divisés en interne et isolés de leurs troupes, mais écoutez plutôt des personnalités importantes comme Luc Coene, gouverneur de la Banque Nationale et le Commissaire Européen Oli Rehn, sinon nous allons tous périr.’

    C’était comme si ces articles dénonçant que 18 des 100 plus grosses multinationales au monde utilisent la voie belge pour éviter de payer des milliards d’euros d’impôts n’avaient jamais étés publiés. Nous, par contre, nous avons retenu que les 25 sociétés de financement et holdings les plus capitalisés (qui gèrent ensemble 340 milliards d’euros et ont fait en 2011 un profit cumulé de 25 milliards d’euros) ont seulement payé 183 millions d’euros d’impôts, soit à peine 0,7% à peine (1) . Ne parlons pas cette fois-ci d’Arnault et de Depardieu. Mais nous ne pouvons que tirer l’attention sur le fait que les déductions d’impôts des entreprises ont, en 2010, largement dépassé la totalité des impôts de sociétés ! (2) Que disent Oli Rehn ou le rapport de Luc Coene à ce sujet ? Que dalle. Le rapport mentionne juste que “Les impôts sur les bénéfices des sociétés ont fortement progressé pour la troisième année consécutive.” (3)

    Une coïncidence est fort bien possible, mais le timing de la publication du rapport annuel de la Banque Nationale arrive très exactement au bon moment pour la droite politique et le patronat. Il se peut que ce soit une coïncidence aussi qu’Oli Rehn s’est senti appelé à consacrer quelques phrases à la Belgique le lendemain de la manifestation, mais nous ne serions pas étonnés d’apprendre que cela lui a été chuchoté.

    Dans la presse flamande, ça y va cash. La presse francophone doit être plus prudente. Pourquoi ? En mars de l’an dernier déjà, un sondage d’Ipsos avait dévoilé que 71% de la population Belge voulait réduire les avantages fiscaux des grosses entreprises. (4) Cette majorité se retrouvait dans toutes les régions mais, au sud de la frontière linguistique, elle n’était pas seulement plus large, mais aussi plus explicite et plus manifeste. C’est pourquoi Onkelinx réplique dans Le Soir que les nouvelles propositions de Luc Coene pour une nouvelle réforme de l’index sont une folie. Elle explique le fait qu’elle est déjà en train d’appliquer cela au gouvernement par la pression de la droite.

    Sous le titre “Les Belges accusent le coût salarial’’ , La Libre a publié un sondage de Dedicated. Bien que le titre de l’article suggère le contraire, les résultats sont alarmants pour le patronat et ses laquais politiques. Pas moins de 72% des sondés veulent des garanties d’emplois des multinationales en échange des avantages fiscaux. Plus frappant encore : 60% sont favorables à l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font du profit (72% en Wallonie, 66% à Bruxelles et même une majorité de 52% en Flandre). A la question de savoir si les autorités doivent contrer les fermetures par des nationalisations ou des régionalisations, 43% des sondés répondent par l’affirmative, une majorité à Bruxelles (52%) et en Wallonie (53%), mais aussi une minorité significative de 36% en Flandre. (5)

    Pas d’investissement

    Le mythe selon lequel il est possible de sortir de la crise par l’austérité est sérieusement miné. Nombreux sont ceux qui ne croient plus que de nouvelles concessions sur les conditions de travail et les salaires suffiront à restaurer la compétitivité des entreprises et à relancer l’économie.

    De plus en plus de salariés se rendent bien compte que chaque concession de leur part ne conduit qu’à de nouvelles concessions ailleurs. Ainsi, nous sommes tous entrainés dans une spirale négative de casse sociale. Le nombre de dépressions et de maladies psychologiques liées au stress augmente, tout comme le manque de perspective et le sentiment de se sentir traité comme des mouchoirs jetables.

    “Nous achèterons une usine à pneus en Chine ou en Inde, nous y payerons un salaire horaire inférieur à un euro et nous exporterons vers la France tous les pneus dont elle a besoin. Vos ouvriers, faites-en ce que vous voulez.” C’est ce que l’investisseur Américain Maurice Taylor a répondu à la demande de négociations sur la reprise du site de Goodyear à Amiens, menacé de fermeture.(6) Ce n’est pas étonnant que beaucoup de gens considèrent l’austérité comme un moyen de l’élite pour accumuler encore plus de richesses. Ils ne croient plus que plus de profits conduiront à plus d’investissements. Selon Trends, l’an dernier, les 30.000 plus grosses entreprises ont payé 40% de leurs profits aux actionnaires. (7) Quant aux entreprises européennes non-financières, elles disposent d’une réserve de cash de 2000 milliards d’euros, mais refusent de les investir.

    A en croire Coene, cela s’explique par le manque de confiance, tant des consommateurs (ce qui explique l’arrêt de la consommation) que des producteurs (qui craignent que les investissements ne seront pas suffisamment rentabilisés). N’est-il plutôt pas possible d’imaginer que les richesses ne sont pas réparties équitablement ? En fait, les produits de luxe se portent très bien, alors que la production de masse est partout en surcapacité malgré le besoin manifeste de logements sobres en consommation énergétique, d’écoles, de matériel convenable dans les transports publics, etc.

    Un problème de redistribution?

    D ans ‘Socialisme utopique et socialisme scientifique’ Friedrich Engels avait déjà accentué le fait que le capitalisme a socialisé la production. Nous sommes de nombreux producteurs à travailler sur un même produit, mais les moyens de production restent privés.

    De plus, le travailleur ne reçoit en salaire qu’une partie de son travail, le reste, c’est du profit qui peut être réinvesti ou qui disparait dans les poches des actionnaires. Il y a donc d’office une tendance systématique à la surproduction. Finalement, ceux qui disposent encore d’épargnes ne sont pas tentés de les dépenser alors que rode le spectre du chômage, alors qu’augmentent les coûts des soins de santé, de l’enseignement et des autres services et alors que la retraite légale permet de survivre de plus en plus difficilement. Une nouvelle dose d’austérité n’arrangera rien.

    Mais si le problème s’explique entre autres par l’inégalité de la répartition des richesses, n’est-il pas possible de corriger le marché et d’atténuer la concurrence ? Avec un gel des prix par exemple, comme Vande Lanotte l’a fait pour l’énergie ou comme Chavez au Venezuela ? Le gel des prix ne supprime pas la concurrence mais la déplace vers ailleurs, avec la diminution de la masse salariale dans le secteur concerné. De plus, un gel des prix sans nationalisation des entreprises concernées peut très bien, comme au Venezuela, conduire à des étagères vides en conséquence du refus de vendre des investisseurs privés qui peuvent aussi carrément décider de réorienter leurs investissements vers d’autres secteurs. Ne pouvons-nous pas atténuer les effets de la concurrence par un impôt plus important sur les sociétés, par un impôt sur les fortunes comme la CSC le défend ou par une taxe des millionnaires comme nos collègues du PTB le défendent ? Si le PSL avait l’occasion de voter pour ces mesures dans un parlement, nous le ferions certainement, mais pas sans expliquer d’avance les limites et les dangers de ces mesures. Les simples mesurettes de Hollande en France ont entrainé une fuite de capitaux de 53 milliards d’euros en deux mois à peine, en octobre et novembre 2012. De plus importantes mesures feraient sauter de joie les banques internationales dans la perspective d’accueillir une vague de capital en fuite. La population risquerait bien de se retrouver avec une sévère gueule de bois et l’idée que la gauche peut être positive pour le social, mais catastrophique pour l’économie.

    Un problème de profitabilité

    Dans ‘Misère de la philosophie’, Marx a répondu à Proudhon, qui lui aussi ne voulait pas abolir la concurrence, mais la limiter, “chercher un équilibre” . Marx y appelle la société capitaliste “l’association basée sur la concurrence.” Il démontre “que la concurrence devient toujours plus destructive pour les rapports bourgeois, à mesure qu’elle excite à une création fébrile de nouvelles forces productives, c’est-à-dire des conditions matérielles d’une société [socialiste, NDLA] nouvelle. Sous ce rapport, du moins, le mauvais côté de la concurrence aurait son bon.”

    Dans ‘Beginselen van de Marxistische économie’ (les bases de l’économie marxiste, non-traduit en français), Ernest Mandel l’expliquait en disant que les causes principales de la concurrence sont l’indétermination du marché et la propriété privée des moyens de production. C’est ce qui oblige le capitaliste à se mettre à la tête du progrès technologique, afin de ne pas se laisser dépasser par la concurrence. Cela exige de plus en plus de capitaux pour l’achat de machines de plus en plus modernes. Amortir ces machines pèse de plus en plus sur la quantité de profits réalisée par unité de capital investi. Des capitalistes moins riches sont poussés vers des secteurs moins productifs, d’autres partent en faillite et rejoignent les rangs des salariés.

    La concurrence conduit donc à la concentration, la formation de monopoles qui entrent en concurrence à un plus haut niveau. La concurrence économique pousse à l’accumulation de quantités de capitaux de plus en plus importantes. Ces capitaux sont soustraits du travail non rémunéré du salarié, la plus- value, d’où la contrainte économique d’augmenter cette dernière de manière permanente. La lutte sur le rapport entre le travail non-rémunéré et le travail rémunéré, entre la plus-value et le salaire (le taux d’exploitation), c’est le contenu élémentaire de la lutte des classes.

    La concurrence entre capitalistes entraîne une concurrence entre travailleurs. Avec les syndicats, les travailleurs essayent d’étouffer la concurrence entre travailleurs, en vendant leur force de travail de façon collective et non plus individuelle. Leur organisation collective devient donc un moyen de partiellement compenser la relation de soumission du travailleur face au capitaliste. Ainsi, la politique économique des travailleurs fait face à celle de la bourgeoisie. Le fondement de la politique économique de la bourgeoisie, c’est la concurrence, celui de la politique économique des travailleurs, c’est la solidarité.

    Dans les branches de l’industrie les plus développées, la production, la science et la technique ont depuis quelque temps atteint un niveau supérieur aux possibilités des investisseurs privés. Cela a provisoirement pu être surmonté avec la mobilisation de capitaux “dormants” (notamment des fonds de pensions), des subsides publics, des investissements militaires et la commercialisation de l’enseignement et des soins de santé. Mais la mise au point de nouveaux produits exige tellement de recherche et de développement et le capital investi doit être amorti à une échéance tellement courte (afin de ne pas se faire rattraper par des produits encore plus performants) que même ses moyens palliatifs ne suffisent plus. Des découvertes scientifiques essentielles sont cachées à l’aide de brevets afin de se protéger de la concurrence. Du temps, de l’énergie et des moyens précieux sont ainsi gaspillés.

    Aujourd’hui, la concurrence provoque la paralysie, fait obstacle au libre échange de savoirs ; ne nous permet pas d’investir les moyens nécessaires à prendre à bras-le-corps les grands défis écologiques, sociaux et économiques ; et condamne des millions de jeunes et d’autres travailleurs à être des spectateurs sans emploi. La concurrence ne détruit pas seulement nos emplois, nos conditions de vies, nos communautés, notre environnement, mais aussi souvent des unités de production performantes que nous pourrions utiliser pour répondre à de nombreux besoins sociaux urgents.

    Seule une société basée sur la solidarité, où toutes les banques et toutes les institutions financières seraient réunies en une seule banque sous le contrôle démocratique de la collectivité, pourra suffisamment mobiliser de moyens et les utiliser comme un levier pour une planification démocratique de l’économie en fonction des intérêts de toute la collectivité. Cette solidarité sera évidemment internationale.


    Notes

    1. De Tijd 2 février 2013 page 5
    2. De Tijd 13 février 2013
    3. http://www.nbb.be/doc/ts/Publications/ NBBreport/2012/FR/T1/rapport2012_TII. pdf Selon ce rapport, l’impôt des sociétés (plus d’un million de sociétés) représentait 3,2% du PIB en Belgique en 2011. Nous en sommes ainsi quasiment revenus au niveau d’avant la crise. Au total, cela signifie 11,6 milliards d’euros. Nous ne connaissons pas les profits cumulés de toutes les entreprises. Mais grâce à Trends, nous savons que les 30.000 plus grosses sociétés ont réalisé cette année-là un profit net cumulé de 76 milliards d’euros, contre 57 milliards d’euros en 2010 et 63 milliards d’euros en 2009. Cela laisse supposer que le taux réel d’impôt des sociétés ne peut être de plus de 9%, alors que le taux légal est de 33,99%. Les autorités perdent ainsi 30 milliards d’euros de revenus !
    4. Faire payer les grandes entreprises: le Belge est pour – Le Soir 14 mars 2012
    5. La Libre – 22 février 2013 page 6 en 7
    6. Het Nieuwsblad – 21 février 2013
    7. http://trends.knack.be/economie/nieuws/ bedrijven/trends-top-30-000-nettowinst-van- 76-miljard-euro/article-4000217926367.htm
  • Le capitalisme sur le sentier de la guerre des monnaies

    Prendre du speed ou d’autres stimulants au cours d’une soirée peut rendre infatigable et libéré de freins physiques ou moraux. Le crédit, pour le capitalisme, c’est l’équivalant du speed de notre fêtard : cela suscite l’euphorie, mais cela rend inévitablement le corps dépendant, l’épuisera et le démolira, pour finalement conduire à une dépression profonde. De la même façon, tant qu’il y a suffisamment de doses, les toxicomanes sont des amis inséparables. Par contre, en cas de manque, ils deviennent d’impitoyables concurrents.

    Par Eric Byl

    Concernant le crédit, les dealers sont les autorités. Pour sauver les spéculateurs, elles ont fait des emprunts massifs. C’est pour les amortir que les français devront économiser 1.700 € par personne durant les prochaines années, entre autres en travaillant plus longtemps. En Angleterre, il s’agit de 1.600 €, de 1.100 € en Allemagne et de 1.400 euros aux Pays-Bas. En Belgique, les politiciens ne savent pas encore trop comment, mais il s’agira de 2.200 à 2.500 € par habitant d’ici fin 2013. Ce n’est visiblement toujours pas très clair pour la N-VA. Le ministre flamand Bourgeois (N-VA) a ainsi déclaré à la radio qu’il sera difficile de trouver 22 à 25 milliard d’€… en une année (au lieu de 4).

    Pendant le grand crash des années ’30, qui a conduit à la deuxième guerre mondiale, chaque pays a essayé de protéger son marché face aux concurrents étrangers. C’est ce qu’on appelle le ‘‘protectionnisme’’. Dès le début de la crise immobilière déjà, des économistes avaient averti de surtout éviter cette erreur.

    Mais la crise immobilière refuse de passer et, de plus, elle a entrainé une crise bancaire dont le sauvetage a provoqué une crise des Etats. On deviendrait même désespéré de constater, à la fin du processus, que de rusés banquiers ont instrumentalisé la situation pour exproprier à tort des milliers de familles.

    Celui qui voit mourir son enfant intoxiqué est capable de tout, y compris de ce qu’on ne l’imaginait pas capable de faire. Pour les politiciens capitalistes, ce n’est pas différent. Tous essayent de diminuer les déficits en stimulant les exportations dans l’espoir de récupérer une partie du marché des autres pays. Au début, cela se faisait de façon cachée, en diminuant les taux d’intérêts où en créant de l’argent, le “quantitative easing” (voir notre dossier à ce sujet). Ils affaiblissent ainsi leur propre monnaie en comparaison des concurrents extérieurs, qui eux réagissent par des mesures similaires annulant cet effet.

    Dans son introduction au “Capital” de Marx, Friedrich Engels avait décrit une dépression comme une longue période de stagnation économique accompagnée d’un chômage structurel où chaque mesure provoque un effet contraire à son objectif. Le ‘‘Quantitative easing’’ a permis à de rusés spéculateurs d’emprunter des dollars à un taux de 0,25% pour acheter des obligations brésiliennes rapportant 5% de rendement. On appelle cela du Carry trade. Cela provoque des bulles au Brésil, mais aussi en Thaïlande par exemple, ces deux pays essayent de contrarier cet effet en introduisant une taxe supplémentaire sur les obligations achetées par des “investisseurs” étrangers.

    La création d’argent aux Etats- Unis provoque inévitablement le même réflexe en Chine, et au Japon, et en Corée du Sud, et… Cela menace de faire encore plus exploser les dettes publiques. Aux USA, les démocrates et les républicains, au congrès et au sénat, ont déjà menacé d’introduire des taxes supplémentaires sur les produits chinois au cas où la Chine refuserait de revaloriser sa monnaie (on songe à une augmentation de 20 à 40%). La Chine ne veut et ne peut pas appliquer cela.

    La possibilité que cette guerre des monnaies conduise à une guerre commerciale réelle et, finalement, à un crash encore plus profond que celui que nous venons de vivre semble inévitable. Cela s’explique par le fait que le système capitaliste n’est plus capable de gérer les forces productives qu’il a suscitées. Seule une économie démocratiquement planifiée est apte à utiliser ses capacités harmonieusement, en fonction de tous.

  • Capitalisme en crise : socialisme ou barbarie ! (2)

    Le capitalisme est un échec. Ce système est incapable d’offrir une vie décente à la grande majorité des gens et il n’y a pas que la cupidité des milliardaires ou l’échec individuel des hommes politiques à la base de cette situation. Si c’était le cas, il suffirait de combattre les excès du capitalisme et de réformer certains éléments. Mais les inégalités et la pauvreté font partie des fondations mêmes de la société capitaliste.<o>

    Le capitalisme mène à la crise

    Il y a plus de 150 ans, Karl Marx et Friedrich Engels, ont écrit “Le Manifeste du parti communiste”. Cette brochure est l’un des textes politiques à avoir eu le plus de répercussion dans l’histoire. ‘‘Le Capital’’ de Marx a aussi été très largement diffusé. Les classiques du marxisme sont les premiers travaux qui comprennent une analyse scientifique du fonctionnement du capitalisme et qui expliquent pourquoi ce système conduit à une polarisation de la richesse. Mais ils expliquent également comment le capitalisme peut être renversé.

    Aujourd’hui, Marx refait surface, y compris dans les médias ouvertement de droite. Ses idées ont beau être vieilles, elles sont exactes et restent d’actualité. Bien entendu, tout ce que Marx et Engels ont écrit au 19e siècle n’est pas tout à fait correct dans les détails, et la société d’aujourd’hui est très différente. Mais de très nombreuses choses restent extrêmement pertinentes pour la situation actuelle.

    Marx et Engels ont analysé le capitalisme et ont expliqué comment ce système conduit systématiquement à une crise de surproduction. Le capitalisme est un système cyclique. Certain facteurs peuvent aboutir à une crise mais ses raisons sousjacentes sont les contradictions fondamentales du système capitaliste lui-même, comme la contradiction entre la nature collective de la production et la propriété privée des moyens de production. On peut encore parler de la contradiction entre le monde global et les limites de l’Etat-nation. La production capitaliste est basée sur le profit plutôt que sur la satisfaction des besoins sociaux. La classe des travailleurs crée une nouvelle valeur, mais n’en reçoit en retour qu’une partie à titre de salaire. Le reste de cette valeur, les capitalistes le gardent pour eux. Mais les salaires de la classe ouvrière ne lui permettent pas d’acheter tout ce qu’elle a produit.

    Les capitalistes peuvent en partie résoudre ce problème en investissant une partie de la plus-value dans l’industrie, mais cela ne fait qu’accroître le problème de la surproduction. En définitive, les capitalistes sont incapables de résoudre le problème de la surproduction et le système entre en crise.

    Changer le monde

    Marx et Engels ne se limitaient pas analyser le capitalisme. Marx disait: ‘‘les philosophes n’ont jusqu’ici fait qu’interpréter le monde, il s’agit maintenant de le transformer.’’ Il a reconnu que le capitalisme, malgré toutes ses atrocités, a joué un rôle historique dans le développement des forces productives, que ce système représentait un pas en avant en comparaison des sociétés féodales qui l’ont précédé. Mais le capitalisme n’est pas le point final de l’évolution des sociétés humaines. Il a créé une énorme évolution technologique et scientifique qui peut servir de base pour une nouvelle étape, une société socialiste.

    Sous le capitalisme, la richesse et le pouvoir sont aux mains d’une petite élite, les capitalistes. Le développement de nouvelles technologies et la production n’ont aucun fondement rationnel, ils ne sont guidés que par le profit. Tout le potentiel existant n’est pas utilisé. Aujourd’hui, il y a moins de capitalistes qu’à l’époque de Marx, mais ils sont beaucoup plus riches : il y a un phénomène de concentration croissant du capital. Ces 50 dernières années, l’écart entre les 20% plus riches et les 20% plus pauvres au monde a doublé et une centaine grandes entreprises contrôlent actuellement 70% du commerce mondial.

    Pour gonfler encore leurs profits, les capitalistes veulent nous faire travailler plus longtemps et plus durement. Les travailleurs doivent vendre leur force de travail pour recevoir un salaire. Notre travail, comme tout le reste sous le capitalisme, est devenu une marchandise mais il diffère cependant des autres matières premières en ce sens que le travail crée de nouveaux produits et une nouvelle valeur. Au fil du temps, la classe ouvrière n’a pas disparu, elle est même numériquement et relativement beaucoup plus forte qu’à l’époque de Marx et Engels, même si certains anciens bastions de la classe ouvrière industrielle sont affaiblis (dans les pays occidentaux).

    Ces dernières années, il est vrai que la classe ouvrière n’a pas, ou peu, eu recours à sa force. Mais il ne s’agit pas là d’une conséquence d’une baisse de son pouvoir potentiel, c’est plutôt le résultat des raisons subjectives qui peuvent être résumées en un manque de confiance temporaire consécutif aux lourdes défaites que la classe ouvrière a subies dans les années ‘80 et ‘90 ainsi qu’à l’offensive néolibérale qui a suivi.

    Le capitalisme attaque la vie et les communautés de travailleurs. Cela implique que la société devient plus dure et une “baisse de moral” prend place. Le mouvement syndical sera obligé de mettre en avant la nécessité de la lutte collective pour protéger nos communautés.

    Une alternative au capitalisme

    La classe dirigeante voudrait bien nous convaincre que la société capitaliste ou la société de classe est le produit inévitable de la nature humaine. Si la biologie peut expliquer certains éléments de notre comportement, la nature humaine n’est en rien statique et immuable.

    Pendant des millions d’années, dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs nomades, le gens vivaient de façon égalitaire. L’alimentation, le logement et tout le nécessaire de survie était égalitairement partagé dans la société. Ce n’est qu’après la révolution agricole, quand les tribus nomades se sont installées pour cultiver, qu’un surplus de richesses a été créé pour la première fois dans l’histoire et qu’une classe dirigeante a pu se développer.

    Plusieurs classes dirigeantes ont depuis affirmé que la ‘‘nature humaine’’ veille à ce qu’un homme soit esclave pendant qu’un autre est roi, désigné par Dieu pour régner sur tous les autres. En fait, ce sont les conditions physiques et les processus de production qui constituent la base des relations entre les différentes classes sociales.

    La classe des travailleurs d’aujourd’hui possède une force potentielle sans précédent. En raison de sa place dans le processus de production, elle est la seule force sociale capable d’obtenir des changements fondamentaux : ce sont les travailleurs qui sont à la base de toute valeur produite. En utilisant la technologie moderne d’aujourd’hui dans l’intérêt de tous les travailleurs, le socialisme créera la base pour fondamentalement changer la culture humaine. Au lieu d’une société qui récompense l’avidité et l’égoïsme, une société socialiste mettra l’égalité et la justice au centre de ses priorités.

    La société dépouillée de tous les obstacles au développement du potentiel créatif et intellectuel des hommes et des femmes conduirait également à une explosion de l’immense potentiel créatif de l’humanité.

  • Ecole d’été. Meeting : 90 ans après la révolution russe, quelle est son actualité ?

    Si nous avons tenu un tel meeting durant notre école d’été, c’est parce que nous basons nos méthodes sur l’expérience passée du mouvement ouvrier. A travers celle-ci, nous pouvons acquérir une meilleure vision de la manière dont un mouvement se développe. D’une façon générale, cette expérience passée nous a démontré l’importance de la classe ouvrière et de la construction de ses instruments de lutte. Quant à la révolution russe, elle nous a montré qu’il était possible de briser les chaînes du capitalisme.

    Durant ce meeting, quatre orateurs ont pris la parole : Lucy Redler, de notre organisation-sœur en Allemagne, Sandi Martinez, de notre organisation-sœur au Venezuela, Denis Youkovitch, de notre organisation-sœur en Russie et enfin Peter Taaffe, de notre Secrétariat International.

    Lucy Redler : « La révolution russe ne fut pas seulement un événement russe : l’exemple de l’Allemagne »

    « John Reed a eu bien raison d’appeler son livre-reportage sur la révolution russe « Les 10 jours qui ébranlèrent le monde » : l’enthousiasme créé par cet événement unique a été gigantesque. D’emblée, la révolution russe est devenue un point de référence crucial pour tous ceux qui voulaient en finir avec le capitalisme et la guerre.

    L’écho formidable de la Révolution russe en Allemagne

    En Allemagne, comme dans d’autres pays, ce n’est pas seulement le front qui a été touché par l’onde de choc de la révolution, l’arrière également en a subit l’influence. Mais dès avant 1917 existait déjà une couche de militants radicaux qui n’avaient pas accepté la trahison direction du SPD, le parti social-démocrate allemand qui s’était aligné sur sa bourgeoisie dans la guerre. Ces militants radicaux sortirent peu à peu de l’isolement et l’on a vu, par exemple, une grève se développer en avril 1916 contre les souffrances et les privations imposées par la guerre. Les principales figures parmi ces militants radicaux étaient Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, les fondateurs du groupe Spartakus qui a rassemblé les révolutionnaires.

    La révolution russe eut pour effet de radicaliser la classe ouvrière allemande, ce qui entraîna une vague de grèves et de protestations diverses. L’aile gauche du SPD scissionna et créa un nouveau parti, l’USPD, centriste et pacifiste. Tant parmi les masses que parmi les révolutionnaires, le slogan bolchévique de « paix sans annexions » avait un gigantesque échos. Deux mois à peine après l’Octobre Rouge russe, une grève réclamant la fin de la guerre fut menée par les deux tiers des travailleurs allemands. Des travailleurs allaient jusqu’à saboter dans les usines les tanks qui étaient destinés à être envoyés en Russie pour soutenir les contre-révolutionnaires durant la guerre civile.

    Le développement des idées révolutionnaires en Allemagne revêtait une importance particulière pour les bolcheviks. Quand, en septembre 1917, Lénine déclara que l’on se dirigeait vers une chaîne de révolutions, il ne faisait qu’exprimer une certitude répandue chez tous les révolutionnaires : ils ne croyaient pas au « socialisme dans un seul pays ». Dans la Pravda, le journal des bolcheviks, Lénine salua les révolutionnaires russes qui avaient enclenché la révolution mondiale. A ce moment, l’Allemagne avait la classe ouvrière la plus organisée au monde. Nadeja Kroupskaïa, la femme de Lénine, raconta que les premiers jours de la révolution allemande furent les plus beaux de la vie de Lénine.

    Très rapidement, Karl Liebknecht proclama la naissance de la république socialiste allemande du balcon du palais du Kaiser Guillaume II en tendant la main aux révolutionnaires du monde entier pour qu’ils continuent la révolution.

    Hélas, la vieille machine d’Etat était encore sur pied et grâce à l’aide de l’armée et à la trahison de la direction des sociaux-démocrates, la révolution a été noyée dans le sang. Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg ont été exécutés, ce qui a laissé la classe ouvrière allemande et le tout jeune Parti Communiste allemand sans direction.

    En fin de compte, lors de la révolution allemande, les soviets et conseils ouvriers n’étaient pas assez organisés, il n’y avait pas une direction révolutionnaire reconnue par la classe ouvrière et l’influence du groupe Spartakus le jour où éclata la révolution était hélas trop faible.

    La défaite de la révolution allemande et ses monstrueuses conséquences

    Malgré tout, le processus révolutionnaire dura jusqu’en 1923. Cette défaite de la révolution allemande a eu des répercussions énormes au niveau international et pour l’Allemagne même. Si la révolution avait triomphé, l’histoire aurait été totalement différente. Le nazisme n’aurait jamais vu le jour, la Deuxième Guerre Mondiale non plus. D’autre part, l’isolement des révolutionnaires russes dans un pays arriéré a ouvert la voie à la réaction et à la dictature bureaucratique. En 1924, Staline mit en avant le « socialisme dans un seul pays », à la fois pour se débarrasser de la tâche de la construction de la révolution mondiale ainsi que pour protéger les intérêts de la bureaucratie et ses privilèges, y compris en empêchant le développement d’une autre révolution qui aurait remis tout cela en cause.

    Ainsi, quand le nazisme gagna en importance et en influence, les directions du Parti Communiste stalinisé et du Parti Social-Démocrate ont refusé le front unique ouvrier pour empêcher la prise du pouvoir par le fascisme, comme l’avait préconisé Léon Trotsky.

    Après la Deuxième Guerre Mondiale, une économie planifiée a été instaurée en RDA, mais sans contrôle démocratique de la classe ouvrière.

    Malgré tout ça, les Allemands croient encore dans une certaine mesure au socialisme. Malgré le stalinisme et la propagande actuelle contre le socialisme, 48% des anciens Allemands de l’Est pensent que le socialisme et la démocratie sont possibles. »

    Sandi Martinez : « Au Venezuela : le Socialisme ou la mort ! »

    « Notre révolution doit être internationale. A ce titre, deux points sont particulièrement importants pour la révolution russe.

    • La conscience des travailleurs. En Russie, l’évolution de cette conscience entre 1905 et 1917 a été fort grande.
    • Le rôle de Lénine et Trotsky dans le cadre du développement de cette conscience pour que les travailleurs prennent le pouvoir pour construire une société socialiste.

    Il y a un parallèle à faire avec le Venezuela. Aujourd’hui, la conscience que les travailleurs doivent prendre le pouvoir par eux-même n’existe pas. Une des tâches les plus importantes de notre organisation au Venezuela est de faire prendre conscience de cette nécessité aux travailleurs vénézuéliens. Les conditions existent pour effectuer cette prise de pouvoir, mais il manque encore un instrument – une organisation – et une direction. Construire cet outil de lutte est une tâche cruciale.

    Nous pensons que le parti révolutionnaire de masse dont les masses vénézuéliennes ont besoin n’a rien à voir avec le nouveau parti de Chavez qui ne se construit pas à partir du bas de la société. Ce que nous voulons est un véritable parti révolutionnaire, pas un mélange des anciennes organisations plutôt réformistes qui ont récemment fusionné. Il est absolument nécessaire d’avoir une idéologie claire.

    Quoi qu’il puisse arriver à l’avenir, nous devons nous assurer que le thème du parti des travailleurs ne tombe pas à l’eau.

    Le socialisme ou la mort ! »

    Denis Youkovitch : « Les acquis de la révolution ont été dégénérés par Staline et la bureaucratie »

    La révolution russe a été le tournant le plus fondamental dans l’histoire humaine. Pour la première fois de l’Histoire, ce sont les travailleurs qui ont pris le pouvoir entre leurs mains en montrant qu’un autre monde était possible.

    Malheureusement, cette expérience n’a pas été aussi loin que ce que nous voulions.

    Le premier des acquis obtenus par la révolution russe, l’économie planifiée, a permis à la Russie arriérée de faire des bonds gigantesques en avant. Il faut ajouter à cela bien d’autres acquis dont l’un des plus importants a été le droit laissé aux minorités à disposer d’elles-mêmes.

    Mais tout cela a été dégénéré par Staline et la bureaucratie. Aujourd’hui, la bourgeoisie russe, qui descend de la bureaucratie, tente de récupérer l’Histoire à son avantage. Mais le capitalisme créé lui-même ses fossoyeurs.

    Jeunes et travailleurs remettent actuellement de plus en plus en cause le système d’exploitation capitaliste.

    Pour en finir avec la pauvreté : en avant vers la révolution socialiste mondiale ! »

    Peter Taaffe : « Faisons du 21e siècle celui de la révolution socialiste ! »

    « Durant cette semaine d’école d’été, nous avons déjà beaucoup discuté, mais il est absolument correct de prendre le temps de regarder cet événement qui a été le plus grand de l’histoire.

    Comment les capitalistes voyaient-ils la révolution russe ?

    Un général russe s’étonnait, et s’indignait, de voir par exemple un concierge devenir ministre, de voir des travailleurs prendre en main leur destinée. Mais sur le coup, la classe capitaliste n’a cependant pas accordé beaucoup d’importance à l’événement. L’ambassadeur de France déclara même qu’un régiment de cosaques suffirait à faire revenir l’ordre. Même l’écrivain Maxime Gorki, pourtant compagnon des bolcheviks, estimait que la révolution russe ne durerait pas deux semaines.

    Ce n’est que par après que s’est enclenchée la plus grande campagne réactionnaire de tout les temps.

    Le grand quotidien bourgeois anglais The Times titrait régulièrement « Lénine assassiné par Trotsky », « Trotsky assassiné par Lénine »,… et même une fois en première page « Trotsky a assassiné Lénine au cours d’une bagarre d’ivrognes ». Mais cette campagne est restée sans effet !

    Pour les masses, la révolution russe n’était pas vue comme un désastre, mais comme une porte ouverte vers un avenir meilleur. Suite au manque d’effet de cette propagande, c’est la pression militaire qui s’est exercée sur la Russie, à tel point qu’à un moment, il ne restait presque plus que Moscou et Petrograd sous le contrôle des soviets. Si ces derniers ont réussi à aller jusqu’à la victoire, ce ne fut pas grâce à la puissance militaire, mais bien grâce au fait que les révolutionnaire surent gagner à eux les masses exploitées de Russie. Car la guerre civile fut en premier lieu politique.

    Après la guerre civile, la campagne menée par les capitalistes fut une campagne de distorsion de l’histoire. Jusqu’à la chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’Union Soviétique, c’était assez logique. Mais pourquoi continuer après ?

    C’est que les capitalistes du monde entier craignent que cela se reproduise un jour.

    Tirons les leçons de la révolution russe !

    Nous ne vivons pas du passé, nous apprenons de lui. Marx et Engels avaient ainsi analysé la révolution française pour comprendre le flux et le reflux révolutionnaire. Lénine et Trotsky ont quant à eux regardé la Commune de Paris en 1871 ou encore la première révolution russe de 1905. De la même manière que les généraux regardent les batailles passées pour améliorer leur technique, nous devons apprendre de l’expérience de la classe ouvrière.

    Les bourgeois ne comprennent pas que la révolution est un processus qui englobe de larges masses et dans lequel les révolutionnaires agissent par la propagande et l’agitation. La révolution ne se fait pas sous l’action de « grands hommes ».

    C’est la guerre impérialiste de 14-18 qui a accéléré le rythme de la révolution. Mais il n’y eut que deux hommes qui ont compris ce qui se passait en Russie dès le mois de février 1917, l’un à Zurich, l’autre à New-York : Lénine et Trotsky. A l’opposé des autres Bolcheviks, y compris Staline, ils ne voulaient accorder aucun soutien au Gouvernement Provisoire qui succéda au Tsarisme et qui défendait en dernière instance les intérêts de la bourgeoisie. Il y a là un parallèle à faire avec Bertinotti et Refondacione Comunista actuellement en Italie, qui sont entrés dans le gouvernement de Prodi. Quand Lénine est arrivé à la gare de Saint Petersbourg et qu’un jeune lui déclara son désir de le voir intégrer le Gouvernement Provisoire, il l’écarta et s’adressa à la foule en saluant les travailleurs russes pour avoir commencé la révolution mondiale.

    Les Bolcheviks n’avaient au début que peu d’influence mais, malgré cela, les pressions qu’ils eurent à subir de toutes parts furent gigantesques. Mais ils sont allés vers les masses en ignorant les querelles parlementaires. Aujourd’hui, agissons de même : ignorons les bureaucrates syndicaux et allons nous adresser à la base !

    Mais Lénine ne disait pourtant pas directement qu’il fallait renverser le Gouvernement Provisoire : il fallait que la classe ouvrière apprenne peu à peu sous la propagande bolchévique dont les slogans étaient : « Tout le pouvoir aux soviets » et « A bas les 10 ministres capitalistes ».

    Nous ne pourrons pas ici entrer dans tous les détails et tous les niveaux de la révolution russe mais cet événement doit être étudié avec la plus grande attention.

    En juillet 1917, à Petrograd, la classe ouvrière est descendue dans la rue : après avoir fait la révolution, les travailleurs se sont aperçu qu’on leur volait les fruits de leurs luttes. Et cette question reste d’actualité : comment faire pour aller jusqu’à la victoire ? Il ne faut pas s’arrêter, on ne peut pas faire la révolution aux trois-quarts.

    Faire la révolution jusqu’au bout

    Quand en 1936, suite à la tentative de coup d’Etat fasciste, les travailleurs espagnols sont passés à l’offensive dans les rues, les capitalistes sont partis, il ne restait plus que leurs ombres. Les 4/5 de l’Espagne étaient aux mains des travailleurs. Hélas, cela se termina pourtant par un échec car le processus révolutionnaire n’est pas allé jusqu’au bout et avait été freiné sous le mot d’ordre de « lutter d’abord contre le fascisme ». En définitive, ce sont les fascistes qui remportèrent donc la victoire.

    Le 20e siècle a été un siècle de révolutions : en Russie en 1905 et 1917, en Chine en 1926-27, en Allemagne en 1918-23, en Espagne en 1936, mai ’68 en France,…

    En 1968, De Gaule avait même quitté le pays et imaginait marcher sur la France avec le général Massu. Pourquoi cet événement fut-il un échec pour les travailleurs ? Il n’y avait pas de parti révolutionnaire de masse, le Parti Communiste stalinisé jouant le jeu de la réaction.

    Les historiens bourgeois disent que le stalinisme découle du léninisme. L’objectif est de détruire le bolchévisme. Mais Staline représentait la réaction totalitaire de la bureaucratie contre l’émancipation libératrice du socialisme. Trotsky a passé le reste de sa vie à lutter contre Staline et l’a payé de sa vie.

    Rendons hommage à la révolution russe : Organisons-nous pour la prochaine révolution !

    Dans la période où nous entrons, l’expérience de la révolution russe ressurgira. Il s’agissait d’une révolution dans un pays arriéré et, dans un certain sens, il était peut-être plus facile de prendre le pouvoir dans un tel pays où la bourgeoisie était très faible que dans un pays capitaliste développé. Mais ce pouvoir était par contre plus difficile à garder. Aujourd’hui, les conséquences d’une révolution dans un pays comme l’Inde ou le Brésil seraient beaucoup plus grandes qu’à l’époque.

    Quand la Deuxième Internationale s’est effondrée suite au vote des crédits de guerre, Lénine et Trotsky ont dit qu’il fallait une autre Internationale. C’est pour réaliser cet objectif que se déroula en 1915 la conférence de Zimmerwald. Trotsky a dit à cette occasion que les internationalistes tenaient en deux voitures. Nous avons aujourd’hui un peu plus de voitures. Mais, deux années plus tard, il y avait la révolution russe. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il y aura une révolution dans deux ans !

    Notre objectif est de créer une Internationale révolutionnaire de masse. Le Comité pour une Internationale Ouvrière pourrait en être l’embryon. Nous ne proclamons pas ce que nous ne sommes pas mais, en comparant nos idées à celles des autres, nous pouvons être marqués par le potentiel et l’accumulation de cadres que nous avons déjà réalisés.

    Cela ne fait aucun doute que le capitalisme ne peut pas dépasser ses limites. Ce n’est pas du dogmatisme, c’est de l’analyse. La question est de savoir si nous allons être capables de ne pas reproduire les erreurs du passé.

    A l’occasion de l’anniversaire de la révolution russe, pensons aussi à ces milliers et milliers d’anonymes qui ont fait cette révolution. Mais saluons aussi, entre autres, Karl Marx, Friedrich Engels et Rosa Luxembourg, la plus grande femme révolutionnaire de tous les temps. Faisons du 21e siècle celui de la révolution socialiste ! »

  • Marx et Engels : défendre les travailleurs, c’est défendre leur milieu

    Certains, dès le 19e siècle déjà, ont cependant refusé de se laisser enfermer dans de faux problèmes comme d’opposer l’écologie à la technique ou de dire que le combat environnemental dépasse les clivages politiques. Parmi eux se trouvaient Karl Marx et Friedrich Engels, les auteurs du Manifeste du Parti Communiste.

    Nicolas Croes

    Friedrich Engels disait par exemple : « qu’il s’agisse de la nature ou de la société, le mode de production actuel tient uniquement compte du résultat immédiat manifeste ». Pour eux, c’est le capitalisme, et non l’industrie, qui est le véritable virus à la base de la dégradation de l’environnement. Les intérêts à court terme de la minorité qui possède les moyens de production et contrôle la société vont à l’encontre de ceux de l’humanité, avec des conséquences évidentes pour le respect du milieu de vie.

    En prenant exemple sur l’agriculture, Marx déclarait par exemple, bien avant l’utilisation massive des pesticides : « Tout l’esprit de la production capitaliste, axée sur le gain d’argent immédiat, est en contradiction avec l’agriculture, qui doit desservir l’ensemble des besoins permanents des générations humaines qui se chevauchent». Il précisait : « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste représente un progrès non seulement dans l’art de dépouiller le travailleur, mais dans celui d’appauvrir la terre ; toute amélioration temporaire de la fertilité des sols rapproche des conditions d’une ruine des sources durables de cette fertilité ».

    Engels, dans son ouvrage La dialectique de la nature, allait dans le même sens : « Nous ne dominons nullement la nature à l’instar du conquérant d’un peuple étranger, comme si nous étions placés en-dehors de la nature (…) toute la souveraineté que nous exerçons sur elle se résume à la connaissance de ses lois et à leur juste application, qui sont notre seule supériorité sur toutes les autres créatures. En effet, chaque jour, nous apprenons à mieux pénétrer ses lois et à reconnaître les effets plus ou moins lointains de nos interventions (…). » Il avertit cependant qu’arriver à une solution « exige de nous autre chose qu’une simple connaissance », et « nécessite le bouleversement total de notre production, y compris l’ordre social actuel dans son ensemble (…) Le profit obtenu par la vente est le seul et unique mobile du capitaliste (…) ce qui advient ultérieurement de la marchandise et de son acquéreur est le dernier de ses soucis. Il en va de même quand il s’agit des effets naturels de ces agissements».

    Tous deux ont finalement démontré que la société industrielle et la nature ne sont pas incompatibles. Mais la production industrielle doit être organisée de manière consciente, planifiée dans les intérêts de tous et avec la participation de tous, afin d’éliminer les gaspillages et la logique de profit à court terme qui définit notre société actuelle. C’est cette dernière qu’il faut changer de fond en comble, radicalement. Toute position intermédiaire ne saurait être que l’équivalent d’une aspirine donnée à un cancéreux.

    URSS et Chine « populaire »

    Bien évidemment, quant on met en avant comme solution de détruire le capitalisme pour résoudre, entre autres, les problèmes environnementaux, un simple regard porté sur la pollution qui sévit en ex-Union Soviétique ou en Chine ne pousse pas à aller plus avant sur cette voie. Actuellement, un cinquième de la population russe vit dans une région tellement sinistrée écologiquement qu’elle est un danger pour la santé. De même, les pluies acides couvrent un tiers du territoire chinois.

    Pour nous, le « socialisme » qui a été appliqué dans ces pays n’a finalement été qu’une caricature sanglante caractérisée notamment par un productivisme à outrance. Pour fonctionner, une économie planifiée a besoin de démocratie comme un corps a besoin d’oxygène. En ce sens, le règne dictatorial de la bureaucratie dans ces pays n’a pas eu uniquement comme conséquence la répression, les déportations et le goulag mais aussi des dégâts causés à l’environnement qui devront encore être supportés par de nombreuses générations. De plus, tant le passage brutal de la Russie à l’économie capitaliste que la transition accélérée sur la même voie qui se déroule actuellement en Chine n’ont en rien atténué cette situation. Bien au contraire.

    Sauver l’environnement par la lutte collective

    En définitive, le peu de mesures qui ont été prises sont concentrés dans les pays développés, là où la pression de l’opinion publique et parfois les mobilisations populaires ont pu porter. Mais la pollution n’entre que légèrement en ligne de compte dans les politiques des gouvernements et des dirigeants des multinationales. Sinon, une autre politique serait mise en œuvre, basée sur le développement des transports publics, une meilleure utilisation des transports ferroviaires et fluviaux, une relocalisation des activités de production,…

    En France, la première législation face aux effets toxiques aux environs des usines date de 1810, bien avant toute loi en faveur des travailleurs et même des enfants. Si les travailleurs ont réussi entre-temps à obtenir des améliorations de leurs conditions de travail, c’est par leur lutte collective pour arracher des acquis aux exploiteurs des industries et de la finance. La lutte pour la sauvegarde de notre planète doit suivre la même voie. Par la lutte, retirons des mains des profiteurs la direction de la société !

  • Réchauffement climatique: et s’il était déjà trop tard?

    Un capitalisme écologique est-il possible?

    Les grands développements industriels sous le capitalisme se sont appuyés sur l’exploitation de ressources énergétiques non renouvelables, principalement le charbon et le pétrole, libérant quantité de gaz -dont le CO2- qui provoquent ce qui est appelé “réchauffement climatique”.

    Vincent Devaux

    Les conséquences des émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre sont connues depuis des dizaines d’années. Ainsi aux USA, en 1979, le rapport Charney (du nom du météorologue du M.I.T.), commandé par le gouvernement, concluait déjà "Si les émissions de dioxyde de carbone continuent d’augmenter, le groupe d’étude ne voit aucune raison de douter que des changements climatiques en résulteront, et aucune raison de penser que ces changements seront négligeables" (1). Ce même rapport prévoyait l’augmentation de la température moyenne de la surface du globe… mais le capitalisme raisonne à court terme.

    Aujourd’hui on ne peut que constater à quel point ces experts et beaucoup d’autres avaient raison. Il est désormais admis par la grande majorité de la communauté scientifique – et même des politiciens – que le réchauffement climatique est la conséquence des activités de l’être humain et qu’il va entraîner de grands changements capables de remettre en question le bien-être de centaines de millions de personnes.

    Les effets de ce réchauffement sont multiples – réchauffement de l’atmosphère, réchauffement et acidification des océans, fonte des glaces maritimes, retrait des glaciers – et les scientifiques s’affrontent désormais pour donner une estimation de la gravité des effets et de leurs conséquences "secondaires". Dans les milieux scientifiques, on parle beaucoup de ‘rétroaction positive’, ce qui signifie que les conséquences négatives du réchauffement provoquent elles-mêmes d’autres aggravations; un peu comme en économie, les intérêts d’une dette importante amplifient la dette elle-même (l’effet "boule de neige"). Et comme le CO2 persiste des dizaines d’années dans l’atmosphère, le pire est à venir.

    Les conséquences directes pour l’homme sont d’ores et déjà importantes: modifications de la biodiversité, augmentation de maladies comme le paludisme et le choléra, famines, inondations, vagues de chaleur et de sécheresse, avancées de la désertification. Selon les perspectives de l’ONU et le récent Rapport Stern, il pourrait y avoir 50 millions de "réfugiés environnementaux" en 2010 et 200 millions en 2050 (2).

    Une prise de conscience?

    Si on suit l’actualité, on pourrait croire que les politiciens prennent désormais le problème à bras le corps (ils pourraient même le penser eux-mêmes). Le docu-film d’Al Gore, La vérité qui dérange, fait le tour du monde depuis le mois d’octobre. Du 6 au 17 novembre s’est tenue à Nairobi, capitale du Kenya, la 12e Conférence mondiale sur le réchauffement climatique et quelques jours plus tôt est sorti le Rapport Stern (3), du nom de l’ancien économiste de la Banque Mondiale, analysant en termes financiers les conséquences du réchauffement. Stern a évalué l’impact de celui-ci à 5.500 milliards d’euros d’ici 2050 et prédit que le réchauffement aura un impact comparable à celui des guerres mondiales ou à la crise économique de 1929.

    Toutes ces initiatives, si elles ont le point commun positif de populariser la problématique, ont également un point commun plus inquiétant: elles n’apportent pas de solutions à la hauteur du problème.

    Ainsi le Protocole de Kyoto, censé réduire l’émission de CO2 au niveau international, n’a, malgré ses objectifs limités, été ratifié ni par les USA qui sont le plus grand pollueur de la planète (4), ni par l’Australie. Le Canada – qui a augmenté ses rejets de CO2 de 30 % – parle de se désengager, la Russie ne doit le respect des normes qu’à l’effondrement de son économie après 1991. Beaucoup de pays occidentaux continuent à polluer plus qu’autorisé par Kyoto en "rachetant" des volumes de CO2 aux pays moins industrialisés.

    Les pays les plus pauvres attendent des mécanismes de solidarité de financement des pays riches qui n’arrivent pas (le cas de l’Afrique est flagrant). Les solutions – d’inspiration néo-libérale et néo-coloniale – comme les "quotas de CO2" et les "puits de carbone" sont douteuses et contre-productives. Ainsi le système consistant à faire payer par les pays industrialisés le financement de "plantations industrielles" dans les pays du Sud comme puits de carbone retarde la prise de décisions pour réduire l’émission de CO2 dans ces pays industrialisés; de plus, on ne fait qu’exporter le problème du rejet massif de carbone puisqu’un jour ou l’autre, le carbone accumulé dans ces végétaux sera libéré.

    Le nucléaire proposé comme alternative…

    Le protocole de Kyoto est désormais aussi utilisé comme prétexte pour justifier la construction de nouvelles centrales nucléaires, comme "seule alternative crédible au pétrole". Marc Verwilghen, ministre de l’énergie, s’appuie en cela sur le rapport de la commission "Energie 2030", commandé par ses soins sur les besoins énergétiques en Belgique. Ce rapport estime que "la Belgique devrait (…) garder l’option nucléaire ouverte et reconsidérer la fermeture des centrales" (5). Ce type de solution serait du goût du président de la Fédération des patrons d’industrie technologique Agoria et du groupe Umicore, Thomas Leysen, à la recherche d’énergie soit-disant bon marché. Ce n’est pourtant là qu’une manière d’échapper à bon compte à la vraie question qui est celle de financer la recherche et le développement d’énergies renouvelables. Car si on ne met actuellement pas de moyens conséquents permettant d’améliorer leur efficacité et ainsi d’assurer leur généralisation, c’est parce que beaucoup de ces moyens partent vers la recherche nucléaire, en dépit notamment des dangers que représentent les déchets nucléaires pour les générations futures.

    Au cours des 20 dernières années, les Etats membres de l’OCDE ont versé 160 milliards de dollars de subventions au secteur nucléaire rien que pour la recherche et le développement, et il faut à cela ajouter le coût du traitement des déchets et la sécurité. De plus, le projet de fusion nucléaire ne serait fonctionnel au plus tôt que dans…50 ans. De nombreuses questions seraient aujourd’hui résolues si l’argent consacré au nucléaire avait été utilisé en vue d’une politique durable pour développer des énergies respectueuses du cadre de vie des gens. Mais une telle orientation paraît douteuse dans la société de marché.

    Hypocrisie et "solutions" à court terme

    Celui qui apparaît actuellement sur les écrans comme le porte-drapeau de la cause environnementale – Al Gore – est à l’image des limites du système: n’avait-il pas – lorsqu’il était le vice-président de Clinton dans les années ’90 – autorisé le déversement de dioxine dans les océans, et conclut l’ALENA (6) qui définit les réglementations sur l’environnement comme des "distorsions de marché" illégales relevant des tribunaux (7)? Pourrait-il appliquer un programme environnemental radical en étant élu avec l’argent du secteur pétrolier? Pour paraphraser le théoricien socialiste allemand Engels (8), parlant du problème de l’hygiène dans les villes industrielles au siècle dernier, et qui vaut également aujourd’hui sur la question de l’énergie: la bourgeoisie n’a qu’une méthode pour résoudre la question de l’environnement à sa manière, c’est de la résoudre de manière que la solution engendre toujours à nouveau la question… La réponse de la bourgeoisie aux problèmes dans le mode de production capitaliste ne les élimine pas mais se contente de… les déplacer!

    Tant qu’une société permettra que les grandes orientations énergétiques soient aux mains d’actionnaires ne pensant qu’en termes de profits immédiats, dans un système basé sur la concurrence à outrance, nous perdrons du temps et nous aggraverons la situation. Les solutions doivent être trouvées afin de résoudre les problèmes environnementaux ET les problèmes sociaux et non pas les uns aux dépens des autres.

    Un processus transformant radicalement la manière d’utiliser l’énergie ne peut émerger que par la prise du contrôle de la société par les travailleurs conscients des problèmes, au travers de mouvements de luttes sociales et environnementales de plus en plus larges. Et cela en remettant le secteur énergétique, y compris les connaissances et des brevets en matière d’énergie durable, sous le contrôle des travailleurs.

    Ces mouvements vont s’amplifier de plus en plus et ils ne seront pas en reste dans les pays du Sud qui sont confrontés de manière plus aiguë au problème. Notre tâche est d’aller vers ces mouvements et d’y intervenir en défendant une solution socialiste. Cela implique de tisser des liens entre les mouvements environnementaux et les mouvements sociaux et de cristalliser ces luttes au sein de larges partis des travailleurs reprenant les revendications environnementales et se donnant les moyens d’abolir le mode de production capitaliste.


    1. Courrier International Hors série " Trop Chaud ": d’après un article de The New Yorker " Dans l’arctique en plein dégel ".
    2. Le Soir, 18-19/11/06, " Une vague de réfugiés environnementaux "
    3. http://www.hm-treasury.gov.uk/independent_reviews/stern_review_economics_climate_change/stern_review_report.cfm
    4. Avec 5 % de la population mondiale, les USA rejettent 25 % du total mondial de CO2
    5. Le Soir, " Le nucléaire resurgit ", jeudi 16 novembre 2006
    6. Accord de Libre-Echange Nord Américain, conclu entre les USA, le Canada et le Mexique
    7. Courrier International Hors série " Trop Chaud ": d’après un article de The Independant , juin 2006
    8. La Question du logement, Friedrich Engels
  • Friedrich Engels et la nécessité d’un parti des travailleurs

    Partout en Europe ressurgit la lutte du mouvement ouvrier contre la politique néolibérale. Cette politique est notamment menée à bien par les anciens partis ouvriers sociaux-démocrates, meilleurs défenseurs du patronat. Aujourd’hui, en Belgique, les travailleurs ne disposent d’aucune représentation parlementaire. Cette situation n’est pas nouvelle. Avant la création des partis ouvriers au XIXe siècle, les travailleurs étaient confrontés à la même situation. A l’époque, Marx et Engels mettaient en avant la nécessité de la création d’un parti ouvrier.

    Luc Wendelen

    Jusqu’à sa mort en 1895, le révolutionaire Friedrich Engels prêta beaucoup d’attention au mouvement ouvrier anglais. L’Angleterre n’était pas seulement le berceau de la Révolution Industrielle, la classe ouvrière britannique a aussi joué un rôle pionnier dans l’histoire du mouvement ouvrier organisé.

    Dans une série d’articles et de letttres, Engels décrivit la nécessité d’un prolongement politique pour le mouvement ouvrier. Inorganisés, les travailleurs restent impuissants et deviennent même concurrents. Les syndicats anglais réussirent à sortir de leur illégalité en 1824, mais se heurtèrent souvent à leurs limites. Ils réussirent cependant bien à faire respecter les lois salariales ainsi qu’à obtenir de meilleurs salaires. Mais cela n’était possible qu’après une lutte continuelle demandant beaucoup de moyens et de forces. Et un capitaliste n’en serait pas un s’il n’aspirait aux hausses de profits et donc aux baisses des salaires. Il profitera donc de toutes les occassions pour s’attaquer de nouveau aux conditions de travail. Ainsi Engels affirmait-il que la lutte entre les deux classes importantes dans la société se transforme inévitablement en une lutte politique: «Dans chaque lutte classe contre classe, le premier but est un but politique. La classe dominante défend sa position politique élitiste, autrement dit, la garantie de sa majorité au sein des organes législatifs. La classe opprimée tente d’abord d’obtenir une partie du pouvoir politique, ensuite l’intégralité pour être capable de changer les lois existante en fonction de ses intérêts.»

    Les syndicats furent à la base du «mouvement pour la Charte du Peuple» qui, à partir de 1838, revendiquait une représentation ouvrière au parlement britannique. Les chartistes commençèrent à soutenir chaque révolte sociale en y ajoutant des revendications politiques. Au moment de la dissolution de cette organisation purement politique, entre 1850 et 1860, l’organisation des syndicats était renforcée. La classe possédante fut contrainte de faire des concessions et de tenir compte des travailleurs.

    En 1867, le suffrage fut élargi, et la plupart des travailleurs organisés purent voter. Les syndicats continuèrent à limiter leurs activités à la régulation des salaires et de la journée de travail, et à la lutte pour l’abolition des lois anti-ouvrières.

    Engels avançait ainsi la nécessité d’un parti de travailleurs : « Il est contre-nature que la classe ouvrière britannique maintenant capable d’avoir quarante ou cinquante représentants au parlement continua de se satisfaire d’être représentée par les capitalistes et leurs exécuteurs comme les journalistes, les juristes etc. » (…) «Au delà des syndicats des différentes professions, il faut une assemblée générale, l’organisation politique de la classe ouvrière.»

    Chez nous aussi, il n’est pas naturel que la classe ouvrière se fasse représenter par les exécuteurs d’une politique néolibérale. Il ne suffit alors pas que les travailleurs s’organisent en syndicats, mais aussi dans un prolongement politique. A la fin du XIXe siècle, cela s’incarna dans la création des partis des travailleurs. Depuis lors, ces partis sont devenus des instruments aux mains du patronat et il est temps d’en recréer.

    Comme Engels le disait à propos de la classe ouvrière américaine: «La première étape importante pour le mouvement ouvrier est la formation d’un parti indépendant. N’importe comment pourvu qu’il s’agisse d’un véritable parti des travailleurs ».

  • Venezuela: Rapport du Festival Mondial de la Jeunesse

    Un groupe de membres du Comité pour une Internationale Ouvrière (notre organisation internationale) venus du Chili, d’Autriche, d’Angleterre et du Pays de Galles a fait une intervention très réussie au Festival mondial de la Jeunesse qui s’est tenu à Caracas au Venezuela. Beaucoup de jeunes se présentent comme socialistes et ont envie de discuter si et comment la « révolution bolivarienne » peut conduire au socialisme et faire progresser substantiellement le niveau de vie des masses vénézuéliennes. L’article qui suit reprend des extraits du « Journal de bord vénézuélien » écrit par Sonja Grusch, qui est la porte-parole du Parti Socialiste de Gauche (SLP), notre organisation sœur en Autriche, et membre du Comité Exécutif International du CIO.

    Sonja Grusch

    De grands espoirs (4 août)

    Des milliers de jeunes du monde entier vont se rassembler sur le thème de cette année “Pour la paix et la solidarité – Nous combattrons contre l’impérialisme et la guerre ».

    Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle le Venezuela est pour le moment une destination intéressante. Depuis l’élection d’Hugo Chavez comme président en 1998, le pays se trouve de plus en plus sous les feux de la rampe. La ‘Révolution Bolivarienne’ ne laisse personne indifférent. A côté de fermes partisans, il a aussi des opposants déterminés. Le pays a connu ses premières nationalisations d’entreprises et de terres. Les opposants se trouvent pour l’essentiel dans la classe dominante et dans certains secteurs de la classe moyenne au Venezuela mais également aux Etats-Unis.

    Le Venezuela est un des plus importants producteurs de pétrole pour les USA et un modèle populiste radical comme celui fourni par le gouvernement de Chavez, qui bénéficie d’une sympathie très étendue parmi les masses populaires de tout l’Amérique Latine, est un coin enfoncé dans l’impérialisme US.

    Sur le chemin menant à l’aéroport, j’ai vu une suite sans fin de graffitis et de peintures murales. Les opposants prétendent qu’une invasion cubaine est à l’ordre du jour. Il y a aussi beaucoup de graffitis contre Fidel et contre le communisme. Mais la seule « invasion » cubaine qu’on peut voir, ce sont les 10.000 médecins qui permettent à des milliers de gens d’avoir accès aux soins de santé.

    Mais la majorité des graffitis soutient Chavez et sa politique. Au cours des dernières années, des écoles et des universités ont ouvert, des programmes d’alphabétisation ont été mis en œuvre et d’énormes pas en avant ont été faits dans le secteur de la santé. Mais, malgré toutes ces améliorations, j’ai vu beaucoup de sans-abri dans le centre-ville de Caracas. Les bidonvilles et la misère sont encore largement répandus. Un élément qui illustre le niveau de la misère, ce sont les mesures de sécurité prises par les commerçants et les autres indépendants. Les fenêtres sont grillagées ou barricadées et, dans de nombreux magasins et hôtels, on ne peut entrer qu’une fois les portes déverrouillées et ouvertes de l’intérieur.

    Les attentes sont très grandes dans le pays où 80 % de la population est encore officiellement considérée comme pauvre. Les prochains jours, je veux essayer de comprendre qu’elles sont les attentes et les espoirs des gens et ce qu’ils pensent des changements en cours.

    Au cours des derniers mois, un débat sur le « socialisme » a démarré dans le pays. De plus en plus de gens se demandent s’il est possible de trouver dans le cadre du capitalisme une solution aux nombreux problèmes qui se posent aujourd’hui. Chavez a parlé d’un « socialisme du 21e siècle ». Mais ce que cela signifie pour lui n’est pas clair. Cette question – quel type de socialisme et, plus encore, comment y parvenir et comment le développer – sera la question centrale de ma visite.

    Sous le signe des élections (5 août)

    Dimanche il y aura des élections locales au Venezuela. C’est perceptible à chaque coin de rue, mais la manière de le voir dépend du quartier on se trouve. La différence est frappante entre les quartiers les plus pauvres et les plus riches de Caracas. Les quartiers pauvres de Valle et Coche sont presque entièrement pro-Chavez. A première vue, ces quartiers semblent assez pittoresques. Il y a beaucoup de petites maisons, parfois peintes, s’agrippant à flanc de montagnes. Mais quand on y regarde de plus près, cette impression change rapidement. La plupart de ces maisons ont été construites illégalement, sont très petites et presque construites les unes sur les autres. La plupart ne sont pas cimentées et sont partiellement construites en tôle ondulée.

    La pauvreté est omniprésente. Un jeune homme attend à l’extérieur d’un immeuble grillagé à appartements que quelqu’un lui demande de ramener ses courses à la maison. C’est un moyen pour lui de se faire quelque bolivars (la monnaie du pays). Un vieil homme aveugle erre de café en café en faisant tinter une cannette . En regardant les bus et les autos, on se demande comment ils peuvent encore rouler. Les affiches de l’opposition ne durent pas très longtemps ici.

    Dans les quartiers riches de la ville, il en va tout autrement. On se retrouve là comme dans une grande ville européenne : de grosses autos avec des gens bien vêtus. Et ici on trouve des affiches de l’opposition. Ce qui frappe, c’est que les candidats de l’opposition ont pour la plupart un teint beaucoup plus clair que la majorité de la population. Les différences sociales et de classes sont très visibles.

    Même si le soutien à Chavez et sa politique est grand, on se demande si la participation aux élections sera élevée. Il y a des critiques sur la manière dont les candidats sont sélectionnés : ils sont souvent choisis par en haut, beaucoup sont des inconnus dans les circonscriptions où ils se présentent. En fin de compte, il ne sera pas possible de résoudre les problèmes sociaux par la voie des élections.

    Les slogans qui appellent au socialisme se retrouvent partout. Mais le socialisme exige la démocratie et une participation active de la population. Les travailleurs, les paysans, les jeunes et les pauvres ne doivent pas être de simples observateurs, mais doivent prendre la direction du processus.

    Au Venezuela, une grande partie de l’économie, et en particulier l’industrie pétrolière, est nationalisée. En plus, il y a eu d’autres nationalisations au cours des derniers mois. Une discussion sur la « cogestion » est en cours. En fonction des gens avec qui on discute, cela peut signifier une participation des travailleurs, une co-direction de l’entreprise ou une autogestion par les travailleurs. Ce débat et les résultats qui en sortiront seront décisifs pour la période à venir.

    Les élections et le début du festival (7 août)

    14,4 millions de Vénézuéliens peuvent aujourd’hui apporter leur voix pour élire le gouverneur d’Amazonas, deux bourgmestres mais surtout 5.596 représentants locaux.

    Il est impossible de dire combien de partis participent aux élections. Le vote est électronique, ce qui sera probablement utilisé par l’opposition pour accuser Chavez de fraude électorale. Etrangement, cette même opposition ne considère pas que les votes électroniques aux USA soient anti-démocratiques alors qu’il y a eu néanmoins de nombreux « incidents » douteux. Devant les bureaux de votes il y a de longues files, mais il est difficile de préjuger quelle sera la participation.

    Le réceptionniste de mon hôtel me raconte qu’initialement dans ce quartier il y avait presque 100% de voix pour Chavez. Mais un certain nombre d’électeurs sont déçus parce qu’il n’a pas tenu toutes ses promesses et que, de toute évidence, il y a des gens qui se remplissent les poches au passage. Il dit qu’en général la corruption est un problème.

    Il est difficile de contrôler ce genre d’affirmations. Dans les médias qui sont dominés par l’opposition, on trouve beaucoup d’articles négatifs sur Chavez. Il est possible qu’un certain nombre de critiques soient réelles, mais beaucoup sont fausses ou racontées d’une manière complètement déformée.

    Un membre du CIO qui a visité le pays lors du référendum en août 2004 et qui est maintenant du nouveau sur place, raconte comment la situation a évolué depuis lors. A l’époque il y avait des discussions partout, dans la rue, les cafés, les transports publics,… Maintenant, tout cela a presque complètement disparu. Mais, en même temps, le « socialisme » est devenu un thème largement utilisé et un point de référence.

    Un processus révolutionnaire, comme celui qui se développe au Venezuela, porte en lui des éléments contradictoires et ne se développe pas en ligne droite. Mais il y a bien une donnée cruciale : le temps compte. Des possibilités et des opportunités s’ouvrent, mais elles peuvent de nouveau disparaître si elles ne sont pas utilisées à temps. La motivation pour les discussions était plus forte lors du référendum en 2004 quand la menace immédiate de l’opposition était plus palpable. Mais, à ce moment, l’essentiel du soutien à Chavez et à un nouveau Venezuela était orienté vers le terrain électoral.

    Aujourd’hui marque aussi l’ouverture du Festival de la Jeunesse. Mais, aujourd’hui comme hier, il sera cependant difficile de faire la fête parce que la Ley Seca (la « Loi sèche ») interdit la distribution d’alcool la veille et le jour des élections.

    Malgré cela, l’ambiance est bonne parce que le public, très majoritairement jeune, se réjouit de cet événement international et de passer du temps avec des gens qui pensent comme. Ils sont unis dans leur volonté de faire quelque chose contre la faim et l’exploitation, contre l’oppression et la violence et contre la guerre et le capitalisme.

    Les discussions seront intenses et également polémiques. Mais elles seront cruciales pour le Venezuela à cette étape de la lutte. Elles seront l’occasion d’apprendre du passé pour éviter les mêmes erreurs à l’avenir. Les évènements sanglants du 11 septembre 1973 au Chili ont prouvé que les tentatives de trouver un terrai commun et une unité avec la classe capitaliste se termine en défaite pour les travailleurs. Il y a également des leçons importantes à tirer de la révolution cubaine.

    Une opposition enragée et un long début du festival (9 août)

    Des discussions sérieuses se développent à propos du résultat des élections. D’une part, l’opposition se plaint que les bureaux de votes soient restés ouverts plus longtemps que prévu. D’autre part, on discute aussi de l’ampleur de la participation. L’opposition présente des chiffres montrant une abstention entre 77 et 78% des électeurs. Selon la commission électorale, ce chiffre n’atteint que 69,1%. Il faut savoir que ce sont des chiffres normaux pour des élections locales : en 2000, l’abstention était de 76,2%. Une partie de l’opposition avait même appelé au boycott des élections, ce qui rend leurs divagations à propos de la faible participation assez ridicule.

    Le parti de Chavez, le MVR (Mouvement pour une Cinquième République), a récolté 58% des sièges sur le plan national et l’ensemble des partis pro-Chavez en récoltent 80%. Cela semble être la véritable raison de la colère de l’opposition. Certains partis d’opposition ont un lourd passé de fraude électorale. Vu le manque de soutien de la population à leur égard, ils ne semblent pas avoir d’autre solution que de brandir des accusations de fraude.

    Le Festival de la Jeunesse a commencé hier. Les délégations des différents pays se sont rassemblées sur une grande place. Il y avait des jeunes et des moins jeunes. La délégation du CIO, même si elle était petite, a défilé en tant que groupe international. Elle comptait des camarades qui venaient d’au moins cinq pays différents. Notre matériel politique mettait l’accent sur les questions « Qu’est-ce que le socialisme ? », « Comment peut-on construire un mouvement pour le socialisme au Venezuela ? »,… Ces questions ont une énorme importance pour les Vénézuéliens. Nous ne pouvons pas distribuer gratuitement notre matériel. Il coûte assez cher en fonction du niveau de vie au Venezuela – 500 bolivars, l’équivalent d’une grande baguette au festival. Malgré cela, les gens font régulièrement la queue pour en acheter.

    Il y a un énorme intérêt pour les idées politiques. Les gens sont très ouverts et désireux de discuter, mais il y a également beaucoup de confusion sur ce que signifie le socialisme. Il y a un million de réponses à la question de ce qu’est le socialisme qui sont souvent contradictoires. Il n’y a certainement pas de réponse facile mais néanmoins la réponse sera d’une importance cruciale pour l’avenir du Venezuela.

    Le pétrole, source de richesse et de misère (10 août)

    Le Venezuela est un pays riche. Il est le cinquième plus grand producteur de pétrole à travers le monde. Mais l’énorme richesse de ce pays n’est pas redistribuée équitablement, c’est le moins que l’on puisse dire. Depuis l’augmentation du prix du pétrole au milieu des années ‘70, les revenus de l’Etat ont quadruplé. Une partie de cette somme a servi à améliorer le niveau de vie des travailleurs et des pauvres. Mais cela n’a pas duré longtemps. Avec la baisse du prix du pétrole dans les années suivantes sont venues des mesures néo-libérales drastiques d’austérité qui ont eu des conséquences sociales dramatiques.

    Les revenus réels ont chuté. Le pouvoir d’achat de ceux qui touchaient le salaire minimum a été amputé des deux-tiers entre 1978 et 1994. Des coupes sévères ont eu lieu dans les services sociaux à tel point que les dépenses pour la sécurité sociale ont été réduites de moitié. Les pertes d’emplois ont été énormes et les conditions de travail sont devenues de plus en plus précaires. Le taux de chômage a explosé et beaucoup de gens ont dû se tourner vers le secteur informel pour survivre. En 1999, on estimait que 53 % de la population travaillait dans le secteur informel. Le taux de pauvreté a lui aussi explosé : entre 1984 et 1995, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 36 à 66 %.

    Les partis dominants sont entrés en crise, à cause de leur arrogance et de leur implication croissante dans des scandales de corruption, mais surtout de la polarisation de la situation sociale. Chavez a réussi à offrir une alternative en mettant en avant une politique économique et sociale plus juste. Il s’est adressé « aux gens» et s’est engagé dans une direction de plus en plus anti-capitaliste. Un grand nombre d’améliorations ont eu lieu à l’initiative des ministres ou des « Missions » et de nouveaux emplois ont été créés, particulièrement dans le secteur public.

    Pendant le festival, il était parfois difficile de faire une distinction entre les ceux qui participaient aux activités et les salariés des services publics, comme les balayeurs et les nettoyeurs de rue. Tous portaient des T-shirts rouges avec des slogans pro-Chavez.

    Le programme d’alphabétisation mis en place a permis à plus d’un million de gens d’apprendre à lire et à écrire. Pour la première fois, les universités ont été ouvertes aux enfants de travailleurs et 3.200 nouvelles écoles sont aussi été construites. Des millions de gens ont, pour la première fois de leur vie, eu accès à des soins de santé. A tout moment, les gens parlent avec enthousiasme de ces améliorations et de la différence qu’elles font dans leur vie. Casanova, un dirigeant du MVR, a déclaré que « le pétrole était maintenant géré pour le peuple ».

    Il ne fait aucun doute qu’il y a eu d’énormes changements, même si la misère reste également énorme. La base de ces améliorations réside non seulement dans la volonté politique de changement, mais aussi dans le haut niveau des prix du pétrole. 50 % des dépenses publiques sont financées par les revenus pétroliers. Cela pose la question de savoir ce qui se passera si les prix du pétrole baissent.

    Une partie de la population espère que le processus actuel continuera indéfiniment et qu’elle connaîtra une augmentation continuelle et constante de son niveau de vie. Un enseignant m’explique que ce sera un long processus qui pourrait durer peut-être de 20 à 30 ans. Mais les gens sont-ils prêts à attendre si longtemps ? Peuvent-ils se permettre d’attendre si longtemps ? Et l’opposition bourgeoise et l’impérialisme se contenteront-ils d’observer ce processus en restant silencieux pendant encore 20 ans ? A toutes ces questions, on doit répondre par la négative.

    Le salaire minimum qui n’existe que dans le petit secteur formel est de 405.000 bolivars par mois. La compagnie d’électricité, Cadafe paie un salaire moyen de 600.000 bolivars par mois à ses travailleurs. Un repas bon marché coûte 6.000 bolivars, un petit yogourt 1.000. Un ticket de métro coûte entre 300 et 350 bolivars, une bière entre 1.000 et 1.500. Il n’y a pas d’allocations de chômage et les pensions sont une exception. C’est ce qui fait que la discussion sur le socialisme est si importante.

    Mais, comme je l’ai dit, le terme de socialisme a ici beaucoup de significations. Cela vaut également pour ce qu’on appelle la « co-gestion ». Certains y voient ou veulent y voir le contrôle des travailleurs et même la gestion par les travailleurs. Mais ce n’est pas nécessairement ce que le gouvernement entend par là. Ses représentants disent que cela signifie la propriété par l’Etat et l’implication des travailleurs dans la gestion. On en parle aussi comme d’une distribution d’actions et d’un paiement de dividendes aux travailleurs et aux populations locales.

    Une société socialiste signifie plus que de permettre aux travailleurs de se faire entendre et d’avoir mot à dire. Le socialisme signifie un véritable contrôle ouvrier et une gestion par les travailleurs de la production et des moyens de productions.

    Pour préparer un Venezuela socialiste, un programme clair est indispensable. A notre stand au Teatro Teresa Carreno, toutes nos discussions sont centrées sur le socialisme. Nous ne discutons pas qu’avec les participants du festival, mais aussi avec les nettoyeurs, les balayeurs et les gardiens qui travaillent sur place. Tous veulent discuter et sont intéressés à chercher des réponses à leurs questions sur la manière de procéder. Ils souhaitent entendre notre point de vue. Ces discussions sont vraiment excitantes et il y a beaucoup de gens qui sont d’accord avec notre opinion que la question du socialisme est vitale.

    Une fête pour Chavez (12 août)

    Le festival dure depuis quelques jours et de plus en plus il se transforme en une fête massive pour fans de Chavez et de Che Guevara. Il y a des posters de tous les formats montrant Chavez posant face à Bolivar. Il y a des t-shirts avec Chavez, des porte-clés et des petites photos à glisser dans le portefeuille. On peut aussi acheter des discours de Chavez sur CD, des fichus et des bikinis… aux couleurs du drapeau vénézuélien.

    Notre stand est unique en son genre parce qu’il est le seul à l’entrée du Teatro Teresa Carenno à proposer du matériel politique.

    L’enthousiasme pour les changements dans le pays est compréhensible. Mais l’admiration et le soutien sans critique pour Chavez en tant que personne sont autre chose. Chavez est une figure-clé qui peut jouer un rôle décisif, mais il n’est pas seul et il n’est pas infaillible.

    Chavez ne peut pas remplacer l’organisation de la classe ouvrière. En contraste avec l’attitude de beaucoup de Vénézueliens (et je ne parle pas de l’opposition), critiquer Chavez est vu presque comme un acte de blasphème par beaucoup de visiteurs internationaux.

    Beaucoup veulent penser que Chavez est infaillible. S’il commet une erreur, ce sera mis sur le compte de mauvais conseillers. Malheureusement, cette attitude acritique n’aide pas à faire avancer le processus révolutionnaire. Celui-ci a besoin de discussions ouvertes qui permettent de prendre en compte différentes idées et propositions, de les confronter les unes aux autres, de développer des perspectives et, plus encore, de tirer les leçons du passé. La participation active des travailleurs, des jeunes et des pauvres dans la prise de décision est une condition élémentaire. Sans leur participation, il ne pourra y avoir de socialisme véritable et démocratique.

    Au meeting du CIO sur le thème « Qu’est-ce que le socialisme et comment le réaliser ? », un jeune Vénézuélien a expliqué que le Festival ressemblait à un événement destiné à promouvoir le gouvernement. Beaucoup sont contents d’avoir la possibilité de discuter avec nous à notre stand.

    Tous les discours sur l’apolitisme des jeunes ont été démentis une fois de plus. Des jeunes venus de partout dans le monde sont ici pour discuter de politique. Le Festival est aussi l’expression de la solidarité et du soutien à la révolution bolivarienne. Une fois de plus, cela montre clairement que le peuple n’est pas trop mauvais ou trop égoïste pour le socialisme, mais que c’est le capitalisme qui est mauvais pour le peuple.

    Pour le socialisme, mais quel socialisme ? (15 août)

    Aujourd’hui, c’est le dernier jour du festival. Les deux jours précédents s’est tenu le tribunal anti-impérialiste qui a mis en évidence les crimes de l’impérialisme – les guerres contre le Vietnam et l’Irak, la misère et la faim, la répression et les attaques contre les droits démocratiques.

    Des milliers de gens dans la salle et des milliers d’autres dehors sont venus écouter le discours de clôture de Chavez. A côté de nombreuses références historiques à Bolivar, Sandino, Miranda et d’autres encore et de suggestions de livres à lire, Chavez a cité les fameuses paroles de Rosa Luxembourg : Socialisme ou Barbarie. L’enthousiasme avec lequel le socialisme est vu comme une alternative est un développement relativement récent. Après l’effondrement des Etats staliniens à fin des années ‘80, le socialisme était devenu très impopulaire.

    La situation a commencé à changer à nouveau la naissance du mouvement anti-mondialisation et a trouvé son expression dans le slogan « Un autre monde est possible ». Cependant, la signification exacte du mot « autre » n’était pas très claire.

    Depuis lors, beaucoup de choses ont changé. La classe des travailleurs est de retour dans l’arène de la lutte et nous avons assisté à de nombreuses grèves et grèves générales dans de nombreux pays et à de soulèvements et des mouvements insurrectionnels qui ont provoqué la chute de présidents et de gouvernements en Asie, en Afrique, en Amérique Latine et ailleurs.

    La discussion sur ce que peut être « l’autre monde possible » a continué d’avancer. C’est le message que je veux ramener chez moi de ce Festival.

    En 1997, lors du Festival de la Jeunesse à Cuba, la discussion sur le socialisme comme alternative au capitalisme était moins présente. En 2005, à Caracas, il y a presque un consensus sur le fait que le socialisme était l’alternative au capitalisme.

    Chavez a reçu le plus d’applaudissements quand il a fait référence au socialisme. Friedrich Engels a dit en son temps que le socialisme ne marquerait que le commencement de l’histoire de l’humanité. Aujourd’hui, nous nous n’en sommes qu’au début du commencement.

    Mais qu’est ce que c’est exactement le socialisme ? Que veut dire Chavez quand il parle du socialisme du 21e siècle ? Qu’est-ce que les Vénézuéliens et les participants au festival entendent par là ? Il est clair que cela signifie une répartition plus juste des richesses et l’élimination de la misère. Mais, à ce stade, beaucoup n’ont pas une idée plus claire ou plus élaborée de ce que signifie le socialisme.

    Chavez n’est pas plus clair quand il décrit le socialisme du 21e siècle. Il voit comme partenaires tant Fidel Castro (alors qu’à Cuba manque cruellement une démocratie pour les travailleurs) que Lula (dont le parti et le gouvernement sont impliqués actuellement dans un scandale majeur de corruption et qui est confronté à des actions de protestation contre l’application de mesures néo-libérales). Chavez a fait des références positives à Poutine (qui restreint les droits démocratiques et mène une guerre sanglante contre la Tchétchénie) et à l’établissement d’une Zone de Libre Commerce en Amérique Latine.

    Chavez a glissé vers la gauche, mais n’a pas un programme clairement socialiste. Le socialisme ne va pas se réaliser de lui-même. Il faut une progression révolutionnaire consciente vers le socialisme et un renversement actif du capitalisme, sinon le danger existe d’un retour à une politique néo-libérale au Venezuela. Développer un tel programme et travailler au renversement du capitalisme et à la construction d’une véritable société socialiste démocratique est la tâche des socialistes révolutionnaires aujourd’hui.

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