Tag: Fidel Castro

  • Élections présidentielles vénézueliennes : La menace de la contre-révolution grandit

    Les travailleurs doivent prendre des mesures urgentes pour contrer le capitalisme et la droite

    Lors d’un vote très serré, Nicolas Maduro a réussi de justesse à remporter les élections présidentielles vénézueliennes contre le candidat de droite Capriles, avec seulement 200.000 suffrages de plus. On attendait de Maduro, le successeur attitré de Chavez, qu’il triomphe avec une plus large majorité. Ce succès limité démontre clairement la menace d’une victoire des forces contre-révolutionnaires de droite.

    W. Prieto et J. Rivas, Socialismo Revolucionario (CIO Venezuela)

    Depuis les élections, la droite, qui a exigé un recomptage des votes (tout comme John Kerry, représentant de l’impérialisme américain), semble vouloir freiner la confrontation directe. Elle semble désormais décidée à saper le nouveau faible gouvernement, avec pour objectif de le renverser de force, vraisemblablement avec l’organisation de nouvelles élections dès que possible.

    Après l’annonce de la mort de Chavez le 5 mars de cette année, des millions de personnes ont envahi les rues en affichant leur chagrin et leur soutien à la Révolution Bolivarienne. Cet évènement, combiné aux résultats des élections gouvernementales de décembre lors desquelles le chavisme a remporté 20 sièges sur 23, illustre que les chavistes étaient bien placés pour remporter n’importe quelle élection présidentielle populaire.

    Quand l’élection présidentielle fut appelée le 14 avril, tout indiquait une victoire claire de Maduro, malgré le mécontentement grandissant parmi les masses vis à vis de la situation économique et l’inefficacité et la bureaucratisation des structures étatiques.

    Avant ces élections, Socialismo Revolucionario (SR) avait publié un document basé sur notre position antérieure, celle des élections présidentielles d’octobre 2012, dans lequel nous déclarions : ”Un vote pour Maduro ne suffira pas” (voir la version de ce texte en anglais). SR a défendu un programme de revendications révolutionnaires démocratiques et socialistes pour pousser la révolution en avant, vaincre le capitalisme et corriger le programme actuel qui n’ouvre aucune voie vers l’achèvement de la révolution socialiste.

    La position de SR était clairement en contraste avec celles d’autres organisations de gauche. Beaucoup mettaient en avant la position sectaire d’un vote blanc sans tenir compte des conséquences d’une victoire de la droite, de l’extrême polarisation dans le pays et de la conscience actuelle des masses. D’un autre côté, il y avait un appel opportuniste à voter pour Maduro sans aucune critique du processus ou du programme qu’il défendait.

    Contrairement à bon nombre de ces groupes, nous avons distribué des tracts dans les stations de métro à Caracas lors des jours précédents les élections et pendant la manifestation finale de la campagne électorale de Maduro. Ce faisant, nous avons reçu de vives critiques mais également beaucoup d’intérêt de la part des membres de base du parti de Chavez, le PSUV.

    Ces membres affirmaient penser que la mort de Chavez allait ouvrir un espace pour discuter de la direction de la révolution. Mais dans les faits, la direction du PSUV a fait comprendre qu’il n’était pas temps pour les dirigeants du parti de soulever les critiques car il fallait soutenir la candidature de Maduro.

    Beaucoup de dirigeants chavistes étaient, et sont toujours, menacés d’expulsion, pour avoir fait des critiques même si celles-ci étaient de plus faible mesure que celles défendues par les membres de SR. De telles méthodes visant à empêcher le débat et les critiques internes, une méthode bien connue du stalinisme, ont eu un effet extrêmement négatif, particulièrement au sein d’un parti qui prétend agir au nom du socialisme révolutionnaire.

    Maduro a remporté les élections avec un score minimal. Cela a été une sonnette d’alarme, même pour les membres les moins critiques du PSUV, qui soulève des questions au sein des rangs du parti et qui portera ces critiques sur le devant de la scène. En seulement sept mois après les dernières élections présidentielles, Maduro a perdu près de 700.000 voix des 8 millions qu’avait obtenu Chavez.

    Même Diosdado Cabello, l’actuel président de l’Assemblée Nationale et un des dirigeant du PSUV, s’est interrogé publiquement sur le fait qu’un travailleur puisse voter pour ses oppresseurs (Capriles) et a affirmé que qu’il était désormais temps pour une ”auto-réflexion”.

    La réponse à la question de Cabello est qu’il n’y a aucune alternative révolutionnaire qui soit présentée à la classe ouvrière, aux pauvres et aux exploités, tout comme à des parts de la classe moyenne. Beaucoup, malheureusement, considèrent la droite hypocrite, populiste et opportuniste comme la solution à leurs problèmes. Ces problèmes basiques quotidiens et l’absence de discussion autour de ceux-ci rendent difficile pour certain de soutenir le gouvernement. La réticence des dirigeants soi-disant révolutionnaires pour la discussion a écarté beaucoup de personnes du gouvernement. Le travailleur qui se voit dire que les fréquentes coupures d’électricité sont en partie de la faute de sa consommation et le travailleur qui paie la crise actuelle par la dévaluation monétaire et qui doit faire face à des pénuries alimentaires peuvent malheureusement être séduits par une droite populiste dangereuse qui se dépeint désormais elle-même comme une force démocratique et désirant simplement ”l’unité”.

    Les pénuries alimentaires d’ailleurs sont le résultat de l’existence persistante d’une couche bourgeoise parasitaire au Venezuela aujourd’hui. C’est également la responsabilité du gouvernement qui continue à la soutenir financièrement dans l’importation des produits mais qui ne placera pas cette même industrie dans les mains des travailleurs.

    Et maintenant ?

    Aujourd’hui, nous avons une droite qui a retrouvé sa confiance et obtenu une base sociale importante. Electoralement, elle est presque au même niveau que le chavisme. Cela a été en partie dû à la capacité de la droite de tirer démagogiquement parti des erreurs et des faiblesses du gouvernement et de combler partiellement le vide d’une opposition socialiste d’une gauche critique qui n’a pas été en mesure de se développer dans le processus révolutionnaire.

    Le gouvernement Maduro a maintenant la balle dans son camps. Il peut choisir la voie de la réconciliation avec la droite ou la voie de radicalisation et d’approfondissement du processus vers le socialisme. S’il opte pour cette dernière option – ce que nous espérons et ce pour quoi nous nous battrons – il devra prendre en compte la large base sociale qui voit aujourd’hui la droite comme son alternative pour le changement et proposer une nouvelle voie pour gagner une fois de plus son soutien.

    Après 14 ans de lutte, un affaiblissement général du mouvement et un nombre considérable de mécontentements et d’erreurs accumulés, il faudra une lutte massive pour surmonter ces obstacles et développer un mouvement pour pousser en avant la révolution socialiste sur une base démocratique.

    Cela est l’un des nombreux défis auquel est confronté le gouvernement Maduro. Nous ne pouvons pas tomber dans le piège de penser que les sept millions de personnes qui ont voté pour Capriles sont capitalistes ou oligarques. Comme Fidel Castro l’a dit à Chavez lors d’une réunion il y a quelques années : ”Ne croyez pas que les cinq millions de personnes qui sont aujourd’hui dans l’opposition au Venezuela sont bourgeoises.”

    Socialismo Revolucionario met en garde contre la menace grandissante des forces contre-révolutionnaires de droite. Les travailleurs, les pauvres et tous ceux qui veulent pousser la révolution en avant doivent rapidement tirer les leçons de la montée de la droite dans ces élections. Il est nécessaire de continuer la révolution et de rompre avec le capitalisme.

    Les masses de travailleurs et de jeunes doivent s’unir de toute urgence afin d’abattre la menace de la contre-révolution. Les masses doivent construire leurs propres organisations et leurs propres forces. Par l’occupation des lieux de travail, l’établissement de comité de contrôle démocratique et de défense contre les attaques de la droite. Elles doivent lutter pour la nationalisation des moyens de production (largement restés dans les mains de la classe parasitaire capitaliste) sous le contrôle inconditionnel des travailleurs et des communautés, et non sous le contrôle bureaucratique actuel. Une organisation démocratique des travailleurs et des communautés est nécessaire au sein de comités pour organiser une économie planifiée qui satisfera nos besoins et non pas ceux de la classe dirigeante. Cette économique sera différente de celle qui existe actuellement sous l’appellation biaisée de ”socialisme” au Venezuela.

    De telles mesures ne stopperont pas seulement l’avancée de la droite mais regagneront aussi nos frères et s?urs qui ont été séduits par la droite. Elles gagneront aussi la solidarité internationale de ceux qui se battent pour un véritable changement et nous seront le stimulus pour que ces changements deviennent réalité. De tels pas sont urgents pour contrer le triomphe de la droite.

  • Libye: le mouvement de masse se heurte à une féroce répression

    En Libye, le mouvement insurrectionnel des masses, lequel balaye actuellement le Maghreb et le Moyen Orient, s’est heurté à une répression d’une férocité inégalée depuis le début du raz-de-marée révolutionnaire. Néanmoins, la survie du régime semble de plus en plus menacée, avec l’Est du pays aux mains de la rébellion et de nombreuses villes dans l’Ouest en proie à des combats entre les masses insurgées et les sbires du régime. Non seulement l’armée s’est-elle retirée d’une grande partie du pays mais de nombreuses unités on rejoint la rébellion.

    Par Christian (Louvain)

    Cette décomposition de l’appareil d’Etat s’est également manifestée sous forme de défections de diplomates et d’autres éléments proches du pouvoir dont même des ministres et le chef de protocole du dictateur. Alors que ces individus professent être horrifiés par une répression excessive, il est probable que bon nombre d’entre eux sont surtout intéressés pour sauver leur peau et peut-être même leur carrière. Après tout, la Tunisie comme l’Égypte ne sont-ils pas toujours largement dominés par des individus appartenant a la clique des tyrans déchus?

    Dans la même veine, les dirigeants occidentaux, lesquels avaient redécouvert le régime de Kahdafi comme un partenaire respectable avec lequel faire d’excellentes affaires, se sont longtemps contentés de vagues déclarations dans l’esprit hypocrite qui leur est propre. Certains, comme Berlusconi, ont tout de même étés incapables de contenir leur désarrois devant le possible effondrement prochain d’une régime ami. L’Italie est après tout le pays impérialiste qui risque de perdre le plus à cause des développements actuels non seulement en ce qui concerne l’approvisionnement en pétrole et la perte d’investissements mais également en ce qui concerne une possible vague de refugiés politiques et économiques (jusqu’a 300.000 selon certaines estimations) qui risque de déferler sur ses côtes dans un avenir proche. De surcroit, on peut se permettre de supposer que Berlusconi, étant donné la délicatesse de sa propre situation, ait de réelles sympathies avec d’autres leaders autoritaires et kleptocratiques dont le pouvoir est menacé.

    Malheureusement il ne faut pas uniquement chercher parmi les classes dominantes des pays impérialistes pour rencontrer des sympathies envers le régime libyen. En effet, c’est parmi la "gauche" en Amérique Latine que Kadhafi peut également compter sur un certain nombre de sympathisants. Pour cela, il faut chercher l’explication dans l’histoire de la décolonisation et dans la nature même de cette "gauche" latino américaine. Il faut se rappeler que durant la décolonisation et jusqu’a l’effondrement du stalinisme en Union Soviétique, de nombreux régimes bourgeois dans les pays néocoloniaux se disaient socialistes et nationalisèrent, du moins une partie de leur économie.

    Cela fut notamment le cas sous Habib Bourguiba, le prédécesseur de Ben Ali. C’est ainsi que le RCD, l’ancien partis de Bourguiba comme de Ben Ali, aujourd’hui du moins officiellement dissous, faisait partie de la deuxième internationale, l’internationale qui regroupe les partis sociaux-démocrates comme le PS. Cela n’a bien évidement pas empêché le régime de mener une politique de réformes néolibérales ces dernières décennies (les partis sociaux-démocrates dans les pays plus démocratiques ont fait de même) ou à une petite clique autour du président de s’enrichir énormément.

    Contrairement au régime tunisiens très proche des pays impérialistes, Kadhafi a longtemps joué le rôle du leader anti-impérialiste. Durant les années ’70, prônant un socialisme panarabe, il a nationalisé l’industrie pétrolière, principale source de richesse du pays. En effet, durant ses premières années aux pouvoir, il a essayé d’imiter la politique bonapartiste de Nasser en Egypte, son idole. Ce cachant derrière une rhétorique anti-impérialiste, le colonel a également cherché à assouvir sa soif de pouvoir et d’auto-affirmation à travers des actions terroristes et en se jetant dans des aventures militaires un peu partout en Afrique. Enfin, aux prises à l’isolement et à des sanctions économiques, le régime a cherché à se réconcilier avec les pays impérialistes. Mettant un terme à ses aventures encombrantes, la Libye a pu recevoir des investissements étrangers, quelque chose qui a permis à la bourgeoise internationale comme à l’élite proche au pouvoir libyen de se remplir les poches à volonté.

    Les sympathies que portent les régimes de "gauche" en Amérique Latine pour le dictateur libyen ne sont pas surprenantes, mais risquent d’être utilisées pour discréditer les idées du socialisme. Alors que le régime libyen lançait des rais aériens et des mercenaires contre sa propre population, un fonctionnaire européen a pu prétendre que Kadhafi avait fuit au Venezuela. Bien que rapidement démentie, cette rumeur démontre comment les alliances politiques de Chavez peuvent être utilisées par l’impérialisme et par la propagande bourgeoise.

    Bien que le gouvernement vénézuéliens ait condamné la violence en Libye, une déclaration fort ambigüe faite par Chavez sur Twitter "Viva la Libye et son indépendance! Kadhafi fait face à une guerre civile!!" laisse encore bien des doutes sur ses sympathies. Dans ses articles, le Comité pour une Iinternationale Ouvrière avait déjà critiqué les bonnes relations entretenues entre Chavez et des dictateurs comme Ahmadinejad et Kadhafi. Pour de vrais marxistes, la politique ne peut pas se résumer à "l’ennemi de mon ennemi est mon ami", il faut toujours tenir compte des préjugés qui existent encore contre le socialisme à cause des crimes du stalinisme.

    Bien qu’il ne soit pas à nous de créer des illusions dans la démocratie bourgeoise, s’allier à des dictateurs qui prétendent être "anti-impérialistes" est une trahison des intérêts de la classe ouvrière. Il n’est pas surprenant non plus qu’Ortega, après sa trahison ignominieuse envers la révolution nicaraguayenne (et ayant reçu des aides économiques de la Libye) ait déclaré son intention de supporter Kadhafi jusqu’a la fin dans la "grande lutte" que celui-ci mène pour son pays. Fidel Castro a quant à lui conseillé dans son article de ne pas juger Kadhafi trop vite et a suggéré que les États-Unis pourraient envahir la Libye d’un moment à l’autre. Une telle déclaration fait preuve d’une sorte de pragmatisme étranger à un vrai socialiste révolutionnaire. Ceci n’est en rien surprenant si on se souvient du silence de Castro lors du massacre de Tlatelolco en 1968 et des autres mouvements de masses de cette même année, sans parler de la ligne stalinienne prise envers les événements de Prague cette même année.

    Bien que la survie du régime de Kadhafi est aujourd’hui fortement mise en doute, la situation en Libye reste encore très incertaine et plus difficile à analyser que les développements dans les pays voisins comme la Tunisie ou l’Égypte, faute de journalistes sur place. Le rôle que la classe ouvrière y jouera est impossible à prévoir. Apparemment, l’activité économique est largement paralysée à Tripolis mais non pas par des grèves mais par le fait que la majorité des personnes qui y vivent craint de sortir de leur maison. Dans l’Est du pays, des comités ont apparemment fait leur apparition pour y gérer la situation, mais nul indication n’existe sur la composition de ceux-ci.

  • L’histoire du Comité pour une Internationale Ouvrière

    Le capitalisme est un système mondial et il doit être combattu à la même échelle. C’est pourquoi le Parti Socialiste de Lutte fait partie d’une organisation marxiste internationale: le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), un parti mondial actif sur tous les continents. Notre lutte en Belgique s’inscrit dans le cadre d’une lutte des travailleurs du monde entier pour un société socialiste car si la révolution socialiste éclate sur le plan national, elle se termine sur l’arène internationale. La démocratie ouvrière et la planification socialiste de la production ne peuvent se limiter à un seul pays. C’est d’ailleurs l’isolement de la Russie soviétique qui a conduit à sa dégénérescence à partir de 1924.

    Le CIO est une organisation socialiste internationale qui comprend des sections dans environ quarante pays sur tous les continents.

    Lors du Congrès de fondation du CIO en avril 1974, quatre sections existaient alors (Grande-Bretagne, Allemagne, Irlande et Suède) et des membres étaient présents de Belgique, d’Inde, d’Espagne et du Sri Lanka, des pays où aucune section n’existait encore.

    Au moment de notre neuvième Congrès Mondial (en janvier 2007), des représentants de sections du CIO de tous les continents étaient là : d’Allemagne, d’Angleterre et Pays de Galles, d’Australie, d’Autriche, de Belgique, du Brésil, du Cachemire, du Chili, de Chypre, d’Ecosse, des Etats-Unis, de France, de Grèce, d’Inde, d’Irlande, d’Israël, d’Italie, du Kazakstan, de Malaisie, du Pakistan, des Pays-Bas, de Pologne, du Portugal, de Russie, du Sri Lanka, de Suède, de Tchéquie, d’Ukraine et du Venezuela.

    Les origines du CIO sont ancrées dans la lutte menée par Léon Trotsky contre la progression du Stalinisme. L’isolement de l’Union soviétique combinée à l’arriération du pays héritée du tsarisme a permis l’émergence du régime totalitaire stalinien. La lutte de Trotsky et de ses partisans contre ce régime a conduit à la fondation de la Quatrième Internationale, organisation internationale créée pour la défense de la démocratie ouvrière et du socialisme. Peu de temps après la fondation de la Quatrième Internationale a éclaté la seconde guerre mondiale et de nombreux militants, dont Trotsky lui-même, ont été assassinés tant par les fascistes que par les staliniens.

    La dégénérescence de la Quatrième Internationale

    Après la guerre, les dirigeants de la Quatrième Internationale survivants ont été confrontés à d’énormes difficultés dans la compréhension des changements qui étaient survenus dans la situation mondiale. Ils n’ont pas réussi à saisir le caractère de la croissance économique d’après-guerre en Occident, ni à comprendre les raisons du renforcement du stalinisme en Russie et en Europe de l’Est. Cette incompréhension s’est également vue dans l’analyse des révolutions du monde néo-colonial ainsi que dans l’analyse du rôle décisif de la classe ouvrière dans le changement de société.

    En effet, la longue croissance économique exceptionnelle de l’après-guerre amena de substantielles améliorations dans le niveau de vie de la classe ouvrière, tout au moins dans les pays capitalistes développés. Beaucoup de ‘marxistes’ en tirèrent un peu vite la conclusion que les travailleurs salariés s’étaient ‘embourgeoisés’, et ne pouvaient dès lors plus constituer le moteur d’un changement socialiste de société. Ce fatalisme les poussa vers la recherche de nouvelles forces sociales pouvant se substituer au mouvement ouvrier.

    Sous l’impulsion des mouvements de libération nationale qui explosèrent dans le monde colonial et semi-colonial (Asie, Afrique, Amérique Latine) dans les années’50 et ’60, les dirigeants de la Quatrième Internationale glissèrent vers un soutien acritique à la direction – souvent fortement influencée par le stalinisme – de ces mouvements. Les mouvements à prédominance paysanne et les méthodes de guérilla furent ainsi érigés en modèles, tandis que l’épicentre de la révolution mondiale fut déplacé vers le monde colonial et semi-colonial. Mao Zedong (en Chine), Fidel Castro (à Cuba) ou Hô Chi Minh (au Vietnam) furent ainsi présentés comme des «trotskistes inconscients», pendant que le réveil de la classe ouvrière en Europe, exprimé à merveille par l’immense grève générale des travailleurs français en mai’68, prit de court les dirigeants de la Quatrième Internationale, aveuglés par des perspectives erronées.

    Une série d’erreurs politiques de ce type eurent comme conséquence l’effondrement de l’organisation et un fractionnement de celle-ci dans des dizaines de groupes différents.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) puise quant à lui ses racines chez des troskistes britanniques qui n’ont pas ignoré la nouvelle situation, mais n’ont pas cherché à l’exploiter de façon opportuniste pour obtenir des succès faciles ou chercher des raccourcis. Nous ne nous sommes pas non plus limités à l’analyse de la situation, mais avons cherché sans cesse à intervenir autant que possible dans les luttes pour diffuser les idées du marxisme parmi les travailleurs et la jeunesse.

    Notre organisation a pendant longtemps été très petite et uniquement active en Grande-Bretagne ; pour autant, nous avons toujours conservé et exprimé sur le terrain une attitude internationaliste intransigeante. Dès ses débuts, notre journal anglais «The Militant» consacrait un nombre significatif de ses colonnes à la couverture des luttes au niveau international. Nous avons ainsi gagné davantage de militants, établi des contacts successifs dans d’autres pays, et à la fin des années ‘60, la possibilité de mettre en place les fondations qui ont été à la base de la création et de la croissance ultérieure du Comité pour une Internationale Ouvrière.

    L’entrisme

    Pour construire ses forces, le CIO a appliqué différentes tactiques à différents stades de son évolution, en fonction des conditions objectives du moment, tout en maintenant à tout moment une orientation consciente vers le mouvement ouvrier, en particulier vers ses couches les plus combatives.

    Avant que la vague néo-libérale des années ’80, puis le tournant majeur représenté par la chute du stalinisme dans les années ’90, ne viennent affecter durablement la composition et le programme des partis sociaux-démocrates, ces derniers exerçaient encore une grande attraction sur un nombre important de travailleurs et de jeunes. Les partis sociaux-démocrates correspondaient typiquement à la définition que donnait Lénine de «partis ouvriers bourgeois» : des partis ouvriers de masse, bien que dominés par une direction réformiste et bureaucratique. A la base, les rangs de la social-démocratie comprenaient encore beaucoup de travailleurs activement engagés pour le parti, et étaient encore traversés de vifs débats politiques. Celui qui voulait être actif dans le mouvement ouvrier pouvait difficilement passer à côté de cette réalité.

    La tâche des révolutionnaires demande d’être en contact le plus étroit possible avec les travailleurs. Par conséquent, les militants du CIO étaient d’avis qu’il était préférable de militer à l’intérieur même de la social-démocratie, en défendant conséquemment et ouvertement un programme marxiste, plutôt que de s’isoler en dehors de ces partis. A l’inverse d’autres groupes, cette tactique d’«entrisme» dans la social-démocratie n’a jamais été pour nous une panacée, ou un prétexte pour succomber aux idées réformistes et masquer le programme révolutionnaire. Bien au contraire, nous avons toujours mené notre travail drapeau déployé, défendant nos positions marxistes dans le but de combattre l’influence exercée par la direction bureaucratique sur ces partis d’une part, afin de gagner les travailleurs et les jeunes organisés dans ces partis à nos positions d’autre part. C’est ainsi que nous avons par exemple acquis une solide base de soutien au sein des Jeunesses Socialistes du Labour Party en Angleterre dans les années ‘70, ou de celle du SP en Flandre dans les années ‘80.

    Pourtant, dès le milieu des années ’80, mais surtout après la chute du mur de Berlin, la situation a commencé à tourner. La chute des régimes staliniens a ouvert la voie à une offensive idéologique majeure de la part des représentants du capitalisme, et a servi d’excuse aux dirigeants des organisations de la social-démocratie pour retourner définitivement leurs vestes. Les idées de lutte, de solidarité et de socialisme furent mises de côté au profit d’une adhésion aux principes du libre-marché. La trahison des directions ouvrières traditionnelles a laissé place à un vide et à la confusion politique.

    Dans ces conditions, l’idée selon laquelle les travailleurs et les jeunes en lutte se dirigeraient en premier lieu vers la social-démocratie devenait de plus en plus invraisemblable. C’est pourquoi petit à petit, la plupart des sections du CIO ont opté pour la création d’organisations révolutionnaires indépendantes et ouvertes, tout en appelant, dès le début des années ’90, à la formation de nouveaux partis larges des travailleurs, sur base de l’analyse de cette bourgeoisification des anciens partis ouvriers.

    Liverpool et la lutte contre la Poll Tax

    Un élément important dans le développement de quasiment toutes nos sections est notre engagement dans les différentes formes de lutte. Notre rôle n’a d’ailleurs pas seulement été limité à une participation active aux luttes car dans beaucoup de cas, notre organisation a su jouer un rôle crucial.

    Les mouvements de lutte les plus importants que nous avons eu à diriger jusqu’à présent se sont déroulés en Grande-Bretagne, notamment contre Margaret Thatcher lorsqu’elle était Premier ministre. Au milieu des années ‘80, nos camarades (dont l’organisation s’appelait à ce moment-là Militant) ont dirigé la lutte de la commune de Liverpool contre les plans d’assainissement, une lutte accompagnée d’actions de grève et de manifestations massives. Plus tard, nous avons aussi été fortement impliqués dans la campagne contre la Poll Tax (un impôt introduit par Thatcher mais rejeté en masse par la population). Une campagne massive de désobéissance civile avait été organisée à tel point que 18 millions de personnes n’ont pas payé la Poll Tax. Les manifestations ont rassemblé jusqu’à 250.000 personnes. Grace à cela Thatcher a été contrainte de retirer cette taxe et même de prendre la porte.

    Cette lutte avait été organisée en opposition à la direction du Labour Party (le parti travailliste) et à la plupart des dirigeants syndicaux. A Liverpool, ils ont même appelé les Conservateurs en soutien pour combattre la protestation. Avec la Poll Tax, ils n’ont pas réussi à en faire autant. Notre lutte contre les dirigeants pro-capitalistes du mouvement ouvrier a toujours été une donnée importante dans le développement de notre organisation.

    Mais ce genre de lutte est bien plus difficile dans beaucoup de pays tels que la Grèce, l’Espagne, l’Afrique du Sud et la Suède. La direction des organisations ouvrières établies avait peur d’une répétition du succès rencontré en Grande Bretagne où, durant plus de 15 ans, nous avons pu diriger les sections jeunes du parti travailliste et où, dans les années ’80, nous avons pu faire élire trois camarades au parlement sous le slogan : «un parlementaire ouvrier à un salaire d’ouvrier».

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière a toujours été impliqué dans différents domaines des luttes. Parfois, nous avons même été les précurseurs autour de nouveaux thèmes, comme pour une campagne contre la violence domestique. D’autres initiatives ont également été très importantes, comme la fondation de «Youth against Racism in Europe» («Jeunes contre le racisme en Europe», en Belgique : «Blobuster» et «Résistance Internationale»), une organisation anti-fasciste internationale qui avait organisé une manifestation européenne à Bruxelles en octobre 1992 à laquelle 40.000 manifestants avaient participé.

    À côté de nos campagnes sur les lieux de travail et dans les quartiers, les membres du CIO participent aussi aux élections. Dans se cadre là, nous insistons sur le fait que les élus du CIO participent activement aux mouvements de lutte et gagnent un salaire identique à celui des travailleurs qui les ont élus. En ce moment, différents membres du CIO sont élus dans des conseils communaux en Grande Bretagne, en Irlande, en Suède et en Allemagne. Jusqu’il y a peu, nous avons également eu un député au parlement irlandais, Joe Higgins.

    Lutter contre les dictatures et la division de la classe ouvrière

    Dans d’autres pays, nous avons activement contribué à la lutte contre les dictatures, comme lorsque nous nous sommes impliqués pour la construction de syndicats combatifs en Afrique du Sud à l’époque du régime de l’apartheid. D’autres camarades ont clandestinement milité au Chili contre le régime de Pinochet. Au Nigéria, après l’annulation des élections présidentielles de 1993 par les généraux, l’opposition démocratique a soutenu l’appel de nos camarades pour une grève générale.

    Dans certains pays, nous avons été confrontés à des situations extrêmement difficiles. Ainsi nos camarades d’Irlande du Nord et du Sri Lanka ont dû s’opposer à la division nationale ou religieuse. Nous avons toujours défendu la nécessité de l’unité des travailleurs dans les luttes et la résistance contre la répression d’Etat. Nous avons été les seuls dans la gauche à défendre une position constante et principielle à propos de la question nationale en partant des intérêts de la classe ouvrière dans son ensemble.

    La chute de l’Union Soviétique a conduit à une situation mondiale fondamentalement différente et a eu d’énormes répercussions sur toutes les organisations politiques. Face à ces évènements, bon nombre d’organisations et d’individus ont été désorientés, confus, et ont abandonné la lutte pour le socialisme en capitulant face à l’idéologie de la classe dominante. Le CIO a analysé et tenté de comprendre la signification de la chute du bloc de l’Est : entre autres le renforcement de la position de l’impérialisme américain et le virage à droite de nombreuses organisations ouvrières. Mais nous avons toujours défendu la nécessité du socialisme comme seule alternative au capitalisme et avons toujours cherché à l’expliquer le plus largement possible.

    Le CIO a utilisé la méthode d’analyse marxiste pour approfondir la compréhension des événements et des processus qui se sont développés depuis les années ‘90. Contrairement à beaucoup d’autres groupes de gauche, nous avons ainsi non seulement pu conserver nos membres au cours des très dures années ’90, mais nous avons en outre beaucoup renforcé nos organisations ainsi que gagné de nouvelles forces dans différentes régions du monde. La nouvelle période qui se trouve face à nous aujourd’hui va nous permettre de mettre bien plus en avant le précieux héritage que nous avons préservé dans ces années bien difficiles.

    Rejoignez le CIO !

    Mais la construction de nos propres forces ne nous a pas empêché d’avoir des discussions avec d’autres groupes pour, si possible, mener des actions en commun. Si ces discussions conduisent à un accord politique sur les principes fondamentaux, une organisation commune peut alors naître, comme cela s’est passé notamment en Belgique ou en France au cours des années ‘90.

    Le CIO est ouvert à toute personne qui veut lutter pour un monde meilleur, un monde socialiste, et qui est ouverte à discuter de nos idées. Nous avons toujours été préparés à discuter avec différents groupes et individus qui ont acquis une autre expérience que la nôtre dans les différentes luttes et qui veulent construire un mouvement socialiste.

    Alors si vous êtes intéressés par les idées du CIO, n’hésitez pas à nous contacter et à nous rejoindre!


  • Le malheur des uns fait le bonheur des autres !

    Crise internationale du pouvoir d’achat, crise alimentaire,…

    Une crise alimentaire aux conséquences effrayantes se développe à l’échelle mondiale. De nombreux observateurs et économistes l’affirment “Dans les mois à venir, des millions de gens vont mourir de faim”. Tous pointent du doigt les immenses dangers de cette crise.

    Els Deschoemacker

    Cette crise n’est pas l’effet temporaire de l’un ou l’autre désastre naturel. Une intervention humanitaire à grande échelle ne suffira pas à faire face à la crise alimentaire actuelle, qui touche des centaines de millions de pauvres pour qui les produits de base deviennent bien trop cher.

    Le débat concernant les causes de cette crise et les mesures à prendre est intense. Pour les uns, la réponse réside dans le « libre marché » et toute mesure de limitation des prix ou de contrôle des exportations est donc à proscrire. Pour les autres, c’est au contraire dans la limitation et la correction de ce “libre marché” que se trouve la solution.

    Les raisons pour lesquelles plus de 100 millions de personnes sont venues – en quelques mois ! -grossir les rangs du milliard de pauvres (ceux qui vivent avec moins de 1 dollar par jour) qui existait déjà sont les mêmes que celles qui sont à la base des profits record de bon nombre de grandes sociétés agroalimentaires. Des mastodontes comme Monsanto, Cargill, Mosaic, Syngenta, Unilever, Nestlé, Wal-mart et autres producteurs de graines génétiquement modifiées, de produits agricoles, d’autres produits à base de soja, de maïs ou de blé, d’engrais,… ont augmenté leurs profits jusqu’à parfois 70% !

    Les pauvres et les classes moyennes du monde néocolonial ne sont pas les seuls à subir les conséquences désastreuses de l’augmentation des prix. Chez nous aussi, la crise du pouvoir d’achat fait exploser la part du budget des familles consacrée à la nourriture et à l’énergie.

    Quelles sont les causes de ce “choc des prix alimentaires” ?

    Une demande qui augmente…

    Plusieurs spécialistes parlent de l’augmentation de la demande des pays dits “émergents” comme le Brésil, l’Inde, la Chine,… Ces pays ont connu une croissance économique allant de 5 à plus de 10% sur base de la croissance de l’économie mondiale. Jusqu’au milieu de l’année 2007, l’euphorie était générale vis-à-vis de cette croissance et du développement des classes “moyennes” qui promettaient, à terme, l’abolition de la pauvreté.

    Durant ces années, des centaines de millions de gens ont ainsi pu augmenter un peu leur consommation alimentaire. Mais l’impact de cette augmentation ne doit pas être surestimé. D’abord, parce que la pauvreté est loin d’avoir disparu. Trois milliards de gens vivent avec moins de 2 dollars par jours, dont un milliard (une personne sur six) avec 1 dollar ou moins par jour ! Ensuite, parce qu’au cours des quatre premiers mois de 2008, ils ont déjà perdu en moyenne 0,20 dollar, une bouche en moins dans une famille de cinq (De Morgen, 26/04/08) et que la crise économique qui se développe risque de doubler ce nombre et d’effacer l’essentiel des gains des dernières années !

    … et une offre limitée

    Au cours des 20 dernières années, les investissements dans l’agriculture ont chuté vertigineusement et la productivité a suivi. L’hebdomadaire britannique The Economist (19/04/08) a ainsi écrit que “les investissements publics dans l’agriculture du monde néocolonial ont diminué de moitié entre 1980 et 2004. (…) Nous payons le prix de 15 années de négligence”.

    Mais il ne s’agit nullement de négli-gence mais au contraire d’une politique consciente aux conséquences catastrophiques. Le néolibéralisme a transformé des pays producteurs de nourriture en pays importateurs et a mené en général au sous-emploi et au sous-investissement dans l’agriculture pour la simple raison que ce n’était pas assez rentable. Le commerce dans les pays du Tiers-Monde a été « libéralisé » sous les pressions du FMI et de la Banque Mondiale pour favoriser les importations provenant des Etats-Unis et de l’Europe alors que ces derniers ont continué à protéger leurs propres marchés. Résultat: la production locale a été balayée. Les progrès technologiques (meilleurs engrais, graines,…) ne sont accessibles qu’à ceux qui disposent de gros capitaux. Les petits paysans du monde néocolonial sont donc privés de ces progrès.

    Des pays qui étaient hier auto-suffisants en termes de production de nourriture sont devenus dépendants de l’importation et en paient aujourd’hui le lourd prix. La nourriture importée est devenue inabordable pour des millions de personnes sans qu’une production de nourriture locale puisse la remplacer. De plus, les stocks mondiaux de nourriture ont baissé jusqu’au minimum absolu, ce qui est très attractif pour les spéculateurs !

    Agrocarburants: une solution face au prix du pétrole ou un crime contre l’humanité ?

    Les prix toujours plus élevés de l’énergie, la très grande instabilité politique et sociale dans les pays producteurs de pétrole ainsi que les conséquences dramatiques du réchauffement climatique – pas seulement dans le monde néocolonial (qui n’a jamais eu d’intérêt décisif pour le capitalisme mondial) mais ici aussi, dans le monde industrialisé – ont obligé les gouvernements et les grands groupes capitalistes à porter leur attention sur des formes “alternatives” ou “vertes” d’énergie.

    Aux Etats-Unis, la production alimentaire laisse une place grandissante à celle d’agrocarburants, comme c’est déjà le cas au Brésil depuis longtemps. L’Europe suit une pente identique. Fidel Castro a été l’un des premiers à montrer du doigt les conséquences perverses de cette politique mais aujourd’hui, même un rapporteur de l’Organisation des Nations-Unies parle des subventions accordées aux agrocarburants comme “d’un crime contre l’humanité”. Le problème, c’est qu’il n’existe tout simplement pas de solution écologique et humaine dans le cadre du capitalisme. Les agrocarburants sont aujourd’hui plus lucratifs et plus attractifs pour le capital, et tant pis si cela engendre de nouveaux problèmes. Le bonheur des uns fait la mort des autres !

    L’élément déterminant: la spéculation

    La fuite des capitaux du marché immobilier vers celui des matières premières, c’est-à-dire d’une bulle spéculative à une autre, est d’une importance décisive dans les augmentations de prix. Le capital, uniquement intéressé dans un maximum de retour sur investissement, s’est trouvé un nouveau “refuge”.

    La patronne de la société ADM (multinationale spécialisée dans la vente et la transformation de grains) a déclaré: “la volatilité sur le marché des matières premières présente des opportunités sans précédent”. Ce n’est pas du cynisme, c’est de l’économie. De l’économie de marché, plus précisément.

    Les crises récentes du marché immobilier, du crédit et de l’alimentation font chanceler les économies, créent de l’instabilité et mettent en danger les gouvernements. L’euphorie qui régnait encore au début de l’an dernier a totalement disparu. Aux Etats-Unis, où la crise est plus avancée, des centaines de milliers de gens ont perdu leur maison ou leur emploi, voire les deux. Un sérieux ralentissement de la croissance mondiale arrive à grands pas. Bien que des milliards de dollars et d’euros se soient évaporés, la recherche de profits continue et le pétrole, l’or et les matières premières sont devenu le nouvel eldorado. Personne ne va investir dans la production dans une période de déclin du pouvoir d’achat.

    L’économie mondiale est prise dans une spirale descendante et nous allons en subir les conséquences.

    Un monde politique sous pression et profondément divisé

    Des protestations massives autour du pouvoir d’achat et de l’alimentation (les fameuses émeutes de la faim) se sont développées partout à travers le monde depuis le début de l’année. Dans beaucoup de pays, les travailleurs sont passés à la lutte collective et des victoires ont été obtenues, comme les fonctionnaires en Syrie et en Egypte qui ont obtenu jusqu’à 30% d’augmentation salariale.

    La peur s’est installée. Des insti-tutions internationales comme la Banque Mondiale, le FMI ou l’ONU organisent des réunions, discutent,… mais ne trouvent pas de solutions viables. Bien entendu, il subsiste encore des fous libéraux qui appellent à plus de libre marché et à l’abolition des subventions et des limitations commerciales. Mais, sous la pression, la politique dominante des 20 dernières années commence à être mise en question et une tendance vers le protectionnisme et les interventions de l’Etat se développe. Des mouvements de masse, ou même parfois seulement la crainte de protestation, ont déjà forcé des gouvernements à prendre des mesures précédemment considérées comme hérétiques. Plus de 30 pays ont pris des mesures de limitation des exportations, de contrôle des prix, de subvention alimentaire,… pour tenter de contrer la spéculation.

    Tout cela peut temporairement et localement atténuer les problèmes. Nous sommes évidemment favorables à chaque amélioration à court terme et nous luttons pour en obtenir mais nous devons aussi prévenir des limites de ce type de mesures, et particulièrement du protectionnisme. Un contrôle des prix sans contrôle de la production et de la distribution conduit à des étagères vides dans les supermarchés et à la pénurie parce qu’il est plus avantageux pour les producteurs de se diriger vers le marché noir. Une augmentation des taxes pour les multinationales mène à une fuite des capitaux et de la production. Limiter les exportations alors qu’il n’y a pas assez de consommation locale peut pousser les paysans contre les autres travailleurs et le gouvernement local.

    En fait, œuvrer pour le bien des masses de pauvres et de travailleurs tout en essayant de donner un os à ronger aux propriétaires du capital est un grand écart impossible à réaliser.

    Une soi-disant « troisième voie » qui prétende sauvegarder à la fois les intérêts du travail et ceux du capital est un cul-de-sac.

    Food, not profit !

    Un programme socialiste contre le “libre” marché capitaliste

    Des protestations massives peuvent temporairement obliger les gouvernements et les entreprises à investir dans l’approvisionnement alimentaire ou les services publics, à produire en respectant mieux l’environnement, à payer des salaires qui suivent le coût réel de la vie,… à céder, donc, une part plus grande de leurs profits aux travailleurs et à leurs familles. Mais pour réaliser des changements fondamentaux, nous devrons nous en prendre au système de profit en lui-même.

    Cette crise alimentaire ne se solution-nera pas avec des sparadraps, il faut une approche mondiale, une planification de la production et de la distribution de nourriture sous le contrôle de la collectivité. Seule la classe ouvrière peut l’imposer en s’organisant, en luttant pour conquérir des droits syndicaux et politiques, en construisant des partis politiques qui défendent réellement ses intérêts et enfin en prenant elle-même le contrôle de la société.

    Les banques et le système financier jouent un rôle important dans cette crise. Nationaliser ce secteur et en utiliser les moyens pour le bien commun permettrait des investissements énormes dans une production de nourriture efficace, planifiée et respectueuse de l’environnement.

    Les nationalisations ont longtemps été considérées comme irréalisables, mais la crise du crédit a mis une fin à cette idée. Ces derniers mois, aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, de grandes banques et institutions financières ont été nationalisées pour éviter des faillites qui auraient pu causer de grands problèmes au système financier et à toute l’économie.

    Partout, les banques ont reçu des garanties que leurs dettes seraient si nécessaire reprises par l’Etat, ce qui a incité les marchés à calmement continuer comme avant : la collectivité payera bien pour la spéculation quand ça tournera mal…

    Les travailleurs et les pauvres, où que ce soit, ne reçoivent pas ces garanties. Pourtant, ce sont eux qui produisent la richesse. Si les grandes banques peuvent être « sauvées » avec de l’argent public, pourquoi ne pas les nationaliser pour assurer à chacun assez de nourriture variée ou pour garantir l’emploi et les revenus ainsi que des services publics de qualité, notamment dans des secteurs comme l’enseignement et les soins de santé ? Ces idées ne sont pas neuves. L’expérience du mouvement ouvrier nous apprend qu’un programme de nationalisations ne peut être une solution que dans un système démocratique où le contrôle et la gestion sont assurés par les travailleurs.

    Cela est nécessaire tant pour assurer que des gouvernements corrompus et les riches élites n’accaparent les profits que pour garantir une efficacité et une planification à l’échelle nationale et internationale.

    L’augmentation des prix et la pénurie alimentaire peuvent conduire à de grands mouvements révolutionnaires qui, faute de solution dans le système de profit, chercheront nécessairement une solution au-delà les limites du capitalisme. Des gouvernements de gauche en Amérique Latine, comme au Chili au début des années ’70 et au Venezuela aujourd’hui, illustrent ce qui est possible, même si une fraction seulement de la richesse est utilisée dans l’intérêt commun. Mais ce type de mesures est insuffisant pour abolir la pauvreté et la misère.

    Les moyens de production doivent être dans les mains des travailleurs pour pouvoir utiliser la richesse, la technique et la nature dans les intérêts de l’homme et de l’environnement. Le vieux slogan “socialisme ou barbarie” est aujourd’hui plus actuel que jamais.


    Liens:

  • La démission de Castro ouvre un nouveau chapitre

    Quelles sont les perspectives pour la révolution ?

    La démission formelle de Fidel Castro du poste de Président de Cuba ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire de Cuba et de sa révolution. Depuis le début de sa maladie en 2006 (un problème intestinal) d’intenses discussions ont été menées sur le rôle de Castro, lui-même lié au futur de Cuba. Sa démission indique qu’il ne se remettra probablement pas de sa maladie et que le gouvernement Cubain prépare la population cubaine à sa mort, peut être même bientôt.

    Peter Taaffe, Socialist Party ( CIO Angleterre et Pays de Galles)

    Quand cela arrivera, de nombreuses manifestations de masse, surtout en Amérique Latine, seront organisées. Malgré quelques erreurs et défauts de Fidel Castro, il est reconnu par les masses opprimées dans le monde comme une figure monumentale qui s’est battu avec ténacité contre leurs oppresseurs capitalistes et impérialistes.

    Cependant, les cercles capitalistes (de Bush aux exilés cubain à Miami qui salivent déjà à l’idée de profits plantureux après le « retour » de leur propriété) spéculent peu cette fois-ci, contrairement à 2006, sur l’écroulement imminent du régime de l’île. A l’époque, c’est Bush qui exprimait les prédictions de l’impérialisme américain : des émeutes dans les rues cubaines, un rapide « changement de régime » , non seulement du gouvernement cubain mais aussi de son système social – l’économie planifiée.

    Inversement, des millions d’ouvriers et les pauvres du monde entier espéraient le contraire ; que Cuba et les acquis sociaux de la révolution perdureraient même dans le cas d’un décès de Castro par sa maladie. Il est certain que sa présence considérable sera encore ressentie, mais sa démission traduit son incapacité à exercer le pouvoir comme il l’a fait précédemment et c’est probablement son frère Raul qui le reprendra.

    Depuis 1959 la révolution Cubaine est confrontée à un embargo sauvage imposé par l’impérialisme US, et on compte 600 tentatives d’assassinat à l’encontre de Fidel Castro. Cependant, Cuba a, au travers de son économie planifiée, a pu donner un aperçu des formidables possibilités de l’espèce humaine quand la mainmise des propriétaires terriens et des capitalistes est éliminée. Des figures héroïques comme Che Guevara et Fidel Castro exercent une profonde influence sur de nombreux jeunes et travailleurs dans le monde entier.

    La bonne réputation de Cuba sur sa gestion des problèmes sociaux tels que le logement, l’éducation, et particulièrement la santé a beaucoup progressée recemmnent. Le film incroyable de Michael Moore « Sicko » met bien en valeur le contraste entre le système de santé US, brutal et orienté vers une maximisation des profits et le système de santé gratuit cubain. Des citoyens américains ordinaires se retrouvant sans logement suite à des problèmes de santé (dont une personne ayant développé un cancer) ainsi qu’une travailleuse ayant participé aux secours lors du 11 septembre n’ont pu bénéficier de soins de santés à un prix abordable par le système de santé privé, honteux et orienté vers les entreprises que connaît les Etats-Unis. Ils ont cependant été secourus et soigné gratuitement quand Moore les a amenés à Cuba.

    En outre, huit étudiants américains ont été diplômés l’année passée après six années d’études gratuites. Un de ces diplômés déclara que « les soins de santés ne sont pas considérés comme un commerce à Cuba ». C’est exactement pour cela que par le passé les Etats-Unis et leurs Etats complice en Amérique latine ont tout fait pour essayer de détruire le modèle d’économie planifiée ayant émergé de la révolution cubaine. Et cela a provoqué une réaction massive de soutien à Cuba des populations d’Amérique latine, particulièrement dans la dernière décennie vu le néo-libéralisme sur le continent. Elles comparent les réalisations cubaines à la triste expansion record de la grande propriété terrienne et du capitalisme dans la région, tout comme en Afrique et en Asie.

    Les réalisations de la révolution

    Dans un livre révélateur récemment publié, (« Fidel Castro – ma vie ») pour lequel Castro a collobaré avec l’écrivain Ignacio Ramonet, il rapporte les impressionnantes réalisations de la révolution. Et commente : « Nous avons maintenant plus de 70000 médecins et 25000 jeunes étudiants en médecine… Nos voisins du nord [les USA] ne peuvent envoyer que des hélicoptères et non pas des médecins, ils n’en ont pas assez pour résoudre les problèmes du monde. L’Europe, cette « championne des droits de l’Homme » ne peut rien y faire non plus. Ils ne peuvent même pas envoyer 100 médecins en Afrique où plus de 30 millions de personnes sont infectées par le Sida… Je pense que nous aurons dans dix ans 100 000 médecins et que nous pourrions en avoir formé 100 000 de plus d’autres pays. Nous sommes les plus grands pourvoyeurs de médecins [dans le monde] et je pense que nous pouvons maintenant former dix fois plus de médecins que les Etats-Unis, ce pays qui nous a privé d’un bon nombre de nos médecins et qui a fait tout ce qui était possible pour priver Cuba de médecins. Ceci est notre réponse à cette politique. »

    Entre 1959 et aujourd’hui, l’espérance de vie à Cuba a augmenté de 19 ans. Suite à la contre révolution en Russie au début des années 90 elle est retombée pour les hommes à 56 ans ! Peut-il y avoir un plus grand contraste entre les objectifs de la révolution sociale et la barbarie de la contre-révolution capitaliste ? Et ceci a été mené à bien au moment fort d’une crise économique massive au début des années 90 suite au retrait de l’aide, particulièrement la fourniture de pétrole, d’abords par l’ancien président russe Boris Eltsine puis poursuivie par Vladimir Poutine, comme Castro l’explique dans son livre.

    Alors que les réalisations historiques (éducation gratuite et soins de santé performant) sont préservées à Cuba, un programme d’austérité brutal a cependant été infligé à la masse de la population. Le régime a été obligé de faire des concessions « au marché » et donc au capitalisme. A travers la « dollarisation », une économie parallèle s’est développée et a amené certains privilèges pour ceux travaillant dans le tourisme (payé en dollars) et les secteurs impliquant certains partenariats économiques internationaux.

    Malheureusement, ceux qui restent défenseurs de l’économie planifiée, comme les médecins, les enseignants, etc., sont toujours payé en peso cubain et souffrent énormément. Selon le célèbre auteur de gauche Richard Gott, même le monopole de l’Etat sur le commerce extérieur a été formellement aboli en 1992. Mais Cuba reste essentiellement une économie planifiée, avec des entreprises étrangères requerrant des autorisation du ministère du commerce pour effectuer leurs opérations. La décentralisation c’est opéré avec des centaines d’entreprises pouvant importer et exporter librement. Castro a cependant déclaré « que rien d’utile ne sera privatisé à Cuba et peut donc être maintenue comme une propriété de la nation des collectivité de travailleurs ».

    Il n’est pas exact actuellement de dire que la bureaucratie et les inégalités n’existent pas à Cuba. Fidel Castro l’a déclaré par le passé ainsi que dans son dernier livre. Il n’est pas la copie conforme de Staline comme l’on essayé de faire croire ses opposants capitalistes. Aucun culte de la personnalité financé par l’Etat n’existe à Cuba, et on ne voit aucun portait, statue ou image de Castro tant qu’il est vivant. De plus, alors qu’il admet ouvertement avoir commis des erreurs et zigzagué d’une politique à l’autre en causant significativement du tort lors des 49 dernières années, rien de tout cela n’est comparable aux crimes monstrueux du stalinisme : collectivisation forcées, grandes purges, etc.

    Politiques changeantes

    Ce livre révèle aussi un comportement parfois erratique de Fidel Castro. Il a par exemple proposé au dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev lors de la crise des missiles en 1962 une « première attaque » nucléaire soviétique contre les Etats-Unis. Khrouchtchev répondit à Castro : « Vous me proposez de mener une « première attaque » contre le territoire ennemi. Ceci ne sera pas une simple attaque mais le début d’une guerre thermonucléaire. » [p281]

    Castro s’en prend parfois à Staline : « Il a été responsable, de mon point de vue, pour l’invasion en 1941 de l’URSS par la puissante machine de guerre Hitlérienne, sans même que les forces soviétiques ai entendu un appel de mobilisation… Tout le monde connaît ses abus de pouvoir, la répression, et sa personnalité, le culte de la personnalité. ». Mais il affirme aussi que Staline « a l’immense mérite d’avoir industrialisé le pays, déplacé les industries militaires en Sibérie ; des facteurs décisifs dans la grande bataille mondiale contre la nazisme. ».

    Il affirme que Staline c’est « lui-même désarmé », mais en réalité a démantelé les défenses de l’union soviétique alors que les Nazis se préparaient à attaquer. Mais Staline n’était pas le concepteur originel du « plan quinquennal » ainsi que de son idée d’industrialisation. C’est Trotsky et l’opposition de gauche qui a formulé ces idées en premier. Staline les a empruntés et appliquées bureaucratiquement à grands frais inutiles pour l’Union Soviétique et sa population. Et Castro nie ostensiblement – à tort comme l’a indiqué Célia Hart – que Che Guevara a pu avoir des « sympathies trotskystes ». Castro affirme qu’il « ne l’a jamais entendu parler de Trotsky… Il était léniniste et, sur certains point reconnaissait des mérite en Staline ». Che Guevara, il est vrai, n’était pas un trotskiste conscient et convaincu. Mais lors de sa dernière période à Cuba il est devenu critique par rapport à la bureaucratie, et particulièrement dans les pays dis « socialistes » qu’il avait visité. De plus il avait un livre de Trotsky dans son sac de voyage quand il a été assassiné en Bolivie en 1967.

    Castro révèle dans ces commentaires, au mieux, une compréhension inégale du Stalinisme, d’un point de vue « sociologique » et politique. L’erreur des collectivisations forcées, les procès monstrueux, les purges, l’anéantissement des derniers restes de l’héroïque parti bolchevique n’étaient pas juste le résultat de la personnalité de Staline ou des « erreurs » mais bien les conséquences du caractère bureaucratique de la machine qu’il a mis en place. Staline dirigea une contre-révolution politique bureaucratique qui craignait le mouvement indépendant de la classe ouvrière et les idées de démocratie ouvrière, comme l’analysa brillamment Trotsky. Fidel Castro et Che Guevara se distancient de Trotsky et de sa critique du Stalinisme car le régime cubain est, en fin de compte, lui aussi dirigé par une élite bureaucratique détachée des masses populaires.

    Cuba et sa révolution est différente en de nombreux points avec la révolution russe, et Castro n’est pas Staline. Cependant, malgré son énorme popularité à ses débuts, ses faiblesses étaient traduites par le manque de contrôle et de gestion démocratique ainsi que par l’absence de conscience de classe claire parmi la classe ouvrière et les pauvres. Castro affirme lui-même qu’une « conscience socialiste » n’était pas présente au début. En outre, il n’y a tout au long du livre pas de perception claire du rôle de la classe ouvrière – comme expliqué par Marx- dans le rôle de moteur de la révolution socialiste, ni de son rôle de contrôle, avec les paysans pauvre, de l’Etat ouvrier né de la révolution.

    Il parle de 1968 mais reste silencieux sur le mouvement ouvrier en France cette année là, la plus grande grève générale de l’histoire. Il ignore aussi honteusement les massacres d’étudiants la même année au Mexique. A ce moment, à cause des liens diplomatiques avec le Mexique (le seul Etat d’Amérique latine a avoir reconnu Cuba à l’époque) Castro n’a pas dis un mot à propos des actions meurtrière du gouvernement mexicain.

    Quel est le caractère de l’Etat cubain ?

    La conséquence de tout cela est que l’Etat dominé par Fidel Castro et Che Guevara, tous deux énormément populaire pour avoir guidé et installé la révolution aux portes du monstre US, n’est pas contrôlé par des conseils ouvriers et paysans, comme c’était le cas en Russie en 1917. Ceci classe historiquement l’Etat cubain et le type de société qui émergea par la suite.

    Ceci se reflète dans la pensée de Castro à propos du caractère de l’Etat qu’il préside. Questionné par l’auteur Volker Skierka, Castro affirme directement : « Je ne pense pas qu’il faut avoir plus qu’un parti… Comment notre pays aurai t’il pu tenir debout en étant coupé en dix pièces ?… Je pense que l’exploitation de l’homme par l’homme doit cesser avant qu’on puisse avoir une réelle démocratie. »

    Cependant, sans réelle démocratie ouvrière, la transition vers le socialisme est impossible. La fin du monopole du parti unique, des élections libres et transparentes pour des conseils ouvriers avec le droit à tous de se présenter (incluant les trotskystes), un contrôle strict des revenus et le droit de révoquer les élus est le minimum d’exigences pour un Etat ouvrier démocratique. Sans réel contrôle et sans gestion de l’Etat et de la société, une machine bureaucratique va inévitablement se mettre en place et remettre en cause l’existence de l’économie planifiée. Ceci peut être une réalité dans une économie fort avancée et développée, pas comme Cuba qui n’a qu’un PIB représentant 0,3 % du PIB des Etats-Unis.

    Il est vrai qu’au début des années 90, faisant face à une situation économique en détérioration, un débat ouvert sur la constitution est apparu à Cuba, et des amendements constitutionnels (incluant une forme d’élections directes) furent proposé à l’assemblée nationale. Cette démarche était cependant toujours réalisée sur la base d’un candidat par siège au parlement. C’était une forme de « démocratie » permettant aux électeurs de choisir un candidat d’une liste, mais juste d’un seul parti. Aux récentes élections de janvier 2008, il y avait 614 candidats pour 614 sièges ! Parallèlement, les membres du comité central du parti communiste, le politburo et le conseil d’Etat, étaient soumis au veto, si nécessaires, de Fidel Castro.

    Dans « Ma vie », Fidel Castro semble contrer l’idée d’avoir un tel pouvoir quand il commente l’exécution du chef de l’armée Arnoldo Ochoa pour trafic de drogue présumé. Il affirme : « C’était une décision unanime du conseil d’Etat, qui avait 31 membres… Le conseil d’Etat est devenu un juge… La chose la plus importante est que vous avez à lutter pour vous assurer que chaque décision est prise par consensus entre tous les membres. » Le fait qu’une décision consensuelle a pu être prise au conseil d’Etat dans une situation aussi importante et hautement controversée en dis long sur cette institution et sur le pouvoir détenu par Castro.

    Dans l’introduction de son livre, même Ramonet déclare que Castro « prend toutes les décisions, petites et grandes. Malgré le fait qu’il consulte avec beaucoup de respect et de professionnalisme les autorités politiques concernées du parti et du gouvernement pendant le processus de décision, c’est Fidel qui a le dernier mot. ». Castro réfute cette accusation : « Beaucoup de monde me considère comme un voisin, me parle. ». En fin de compte, le pouvoir est détenu dans tout Etat par des dirigeants et des partis. Mais chaque direction et chaque parti devrait, spécialement dans un Etat ouvrier sain, être strictement contrôlé par les masses de la base.

    Dans un Etat ouvrier sain, tel qu’il existait en Russie entre 1917 et 1923, ce pouvoir était détenu par les soviets (assemblée) avec un contrôle strict des différences salariales, un droit de révocation des élus,etc. Ceci n’existe malheureusement pas encore à Cuba. C’est pourquoi le dilemme posé en Union Soviétique est également posé à Cuba, mais à une échelle plus réduite et sans l’héritage monstrueux du Stalinisme. Léon Trotsky a posé la question il y a 70 ans en parlant de l’Union Soviétique : « La bureaucratie va t’elle dévorer l’Etat ouvrier, ou la classe ouvrière va-t-elle nettoyer la bureaucratie ?… Les ouvriers ont moins peur, en jetant dehors la bureaucratie, d’ouvrir la voie de la restauration capitaliste. »

    Mécontentement grandissant

    Pour de grandes parties de la population cubaine, ceci résume probablement l’état d’esprit actuel. Le mécontentement s’étend, et particulièrement parmi la nouvelle génération. En effet 73% de la population est née après le triomphe de la révolution en 1959. L’aliénation de la nouvelle génération risque d’amener une « révolution sans héritiers ». Le remplacement de Fidel Castro par son frère Raul ne résoudra pas le problème sous-jacent. Il est associé à l’armée cubaine comme ministre de la défense.

    Au début des années 90, Raul était confronté à une forte austérité et eu l’idée d’utiliser l’armée dans quelques « expériences sur l’économie de marché ». Des officiers étaient envoyés étudier la gestion hôtelière en Espagne et la comptabilité en Europe. Raul a visité la Chine plusieurs fois afin d’étudier les politiques économiques de Pékin. Hans Modrow, le dernier premier ministre de la RDA, est actuellement en visite à Cuba pour partager des expériences sur la transition de son pays vers le capitalisme. Raul a aussi réduit la taille de l’armée et a poussé à une série d’innovations : des marchés de fermiers, le travail indépendant des plombiers, coiffeurs et autre entrepreneurs peu importants. C’est au travers de telles mesures que le capitalisme a déjà été réintroduit à Cuba, mais pas encore dans une position permettant la destruction des principaux aspects de l’économie planifiée.

    Il y a sans aucun doute des divisions au sein même de l’élite bureaucratique qui contrôle Cuba. Une partie voudrai « s’ouvrir » au capitalisme dans une forme « démocratique ». Leur difficulté est la loi Helms-Burton américaine. Même ces bureaucrates qui souhaiteraient le démantèlement de l’économie planifiée sont confronté à la perspective du retour à Cuba des réfugiés de Miami protégé par l’impérialisme US : « Pour mettre aux enchères les entreprises publiques, et vendre au plus offrant » (The wall street journal). Tout comme en Allemagne de l’est après la chute du mur, ces brutes demanderont vigoureusement le retour de « leur propriété », y compris des maisons occupées par des ouvriers et des paysans aujourd’hui. De plus, ils n’hésiteront pas à recourir à des bains de sang à l’encontre toute personne associée au régime de Castro.

    Plusieurs événements, et particulièrement les élections présidentielles américaines, pourraient avoir un effet profond sur Cuba. Barack Obama a déjà indiqué qu’il adopterai une ligne moins dure par rapport aux ennemis traditionnels des Etats-Unis : Cuba, Iran etc. B. Obama ou même Hillary Clinton – malgré ses récentes déclarations belliqueuses à l’encontre du régime cubain – pourrait agir pour démanteler partiellement ou totalement l’embargo. En Floride, la récession économique américaine apparaît avec des rangées entières de propriété vides. Même la nouvelle génération de réfugiées de Miami a atténué son opposition à la fin de l’embargo, pourtant longtemps implacable.

    Il y a déjà une pression considérable d’agriculteurs, du secteur touristique, sans parler de McDonald’s, afin de baisser les barrières pour prendre de bonnes parties bien profitable de Cuba. 100 membres du congrès américain demandent la levée de l’embargo. Et c’est bien cela qui est le plus grand danger pour les restes de l’économie de marché à Cuba. Des millions de touristes américains envahissant Cuba, même avec des dollars dévalués dans leurs poches, risque de donner un sérieux coup, peut-être mortel aux éléments restant de l’économie planifiée. Comme l’a expliqué Léon Trotsky, le réel danger pour un Etat ouvrier isolé n’est pas vraiment une invasion militaire mais « des biens bon marché dans les bagages de l’impérialisme ». Cette « invasion » de Cuba prendrai de nos jours vraisemblablement la forme du tourisme et des investissements capitalistes si le régime « s’ouvrait » dans le futur, sous Raul ou tout autre dirigeant. Mais ceci est une perspective peu probable, tant que Fidel sera en vie. Un réel danger de restauration capitaliste est cependant toujours existant.

    Le pétrole vénézuélien est vital pour Cuba. Mais que se passera t’il en cas d’explosion des cours du pétrole, ce qui est probable avec le début de la récession économique mondiale ? Le Venezuela sera profondément affecté, et par conséquent Cuba aussi.

    Il y a , et cela ne fait aucun doute, une autre frange de la direction et de la bureaucratie cubaine qui fera tout pour maintenir l’économie planifiée. Les marxistes, comme Trotsky l’a préconisé, devraient dans cette phase critique former un bloc avec cette frange de la direction et de la bureaucratie cubaine et chercher à mobiliser une résistance cubaine de masse contre toute menace de retour au capitalisme.

    Démocratie ouvrière

    Ceux qui, comme le membre du parlement britannique George Galloway, affirment que c’est l’embargo capitaliste sur Cuba qui est un important facteur de manque de démocratie sur l’île ont raison. Toutes les révolutions – même la guerre civile aux Etats-Unis – confrontées à une contre-révolution armée ont refusés de donner la liberté d’agir à ses opposants sous prétexte de « démocratie ». Mais nous ne soutenons pas à Cuba la liberté pour la contre-révolution de s’organiser afin de renverser la révolution. Vu les avantages de l’économie planifiée, et particulièrement si celle-ci s’organiserai dans le cadre d’une confédération socialiste démocratique rassemblant le Venezuela, la Bolivie et éventuellement l’Equateur, les contre révolutionnaire désirant revenir à la barbarie de la propriété terrienne et du capitalisme tel qu’il existe sur le continent Latino Américain auraient peu de marge de manœuvre.

    Cependant, si la question de l’interdiction de partis politiques de droite désirant un retour au capitalisme peut être un sujet un débat, ce ne devrai pas être le cas de la question de la démocratie ouvrière. Tout ceux qui soutiennent l’économie planifiée, y compris les trotskystes et autres, devraient pouvoir agir à Cuba. Ceci devrai faire partie du maintien et de l’extension de l’économie planifiée. Sans démocratie ouvrière, Cuba pourrait se retrouver des décennies en arrière et avec cela les espoirs de révolution socialiste en Amérique latine et dans le monde sérieusement mis à mal. Le maintien de cette révolution ne devraient pas être mis dans les mains d’un seul homme, aussi loyal et courageux soit t’il, ni dans les mains d’un groupe d’hommes et de femmes, mais dans les mains d’une classe ouvrière cubaine engagée et politiquement consciente, et liée aux masses d’Amérique latine et d’ailleurs.

    Ceci ne peut être accompli par le haut, comme l’ont montré les erreurs de Hugo Chavez au Venezuela. Les décisions doivent être prise tout de suite pour organiser une campagne de masse à Cuba afin de préparer le terrain à une vraie démocratie ouvrière. La crise mondiale du capitalisme globalisé et la révolte contre le néo-libéralisme en Amérique latine renforcent la perspective de défendre et de consolider les acquis de la révolution cubaine. Mais il ne faut pas perdre de temps dans lutte pour la démocratie ouvrière et le socialisme à Cuba, au Venezuela, en Bolivie et ailleurs.

  • Retour sur les idées du Che 40 ans après sa mort

    Le 9 octobre marquera les 40 ans de l’assassinat de (du) Che Guevara par la CIA alors qu’il menait une lutte révolutionnaire en Bolivie, après avoir combattu à Cuba et au Congo dans le but de renverser l’exploitation impérialiste. La Bolivie est justement un de ces nombreux pays d’Amérique Latine où se déroule actuellement une forte radicalisation des masses face au capitalisme. Cette radicalisation pousse certains dirigeants populistes de gauche comme Chavez au Venezuela à adopter des mesures anti-néolibérales et à faire référence notamment aux idées socialistes du Che.

    Baptiste (EGA-LLN)

    La Révolution Cubaine

    Une lutte à laquelle prit part le Che fut celle que menait le Mouvement du 26 juillet (M26-7) de Fidel Castro à Cuba pour renverser la dictature de Batista, soutenue par les USA. Alors que le Che était déjà un marxiste convaincu, le M26-7, lui, ne présentait pas de perspectives socialistes. Le programme présenté par Fidel Castro était celui d’une révolution démocratique bourgeoise, ne dépassant pas les frontières nationales.

    Le M26-7 remporta cette lutte en 1959, à l’issue d’une guérilla de trois ans. La révolution inquiétait l’impérialisme américain car, bien que n’étant pas socialiste, elle entravait les intérêts américains dans l’île. La réforme agraire, par exemple, n’arrangeait en aucun cas United Fruit qui possédait plus de 100 000 ha à Cuba.

    La contre-révolution

    Dès lors, la contre révolution eut lieu, avec notamment la tentative d’invasion manquée de la baie des cochons. Une telle tentative est courante dans l’histoire de l’Amérique latine, que les USA considèrent comme leur chasse gardée. Ainsi les USA renversèrent entre autres Arbenz au Guatemala et Allende au Chili car ceux-ci menaçaient les énormes profits américains dans ces pays.

    Néanmoins, à Cuba, la contre- révolution échoua et cela eut de l’importance. Castro en arriva à la conclusion que la révolution ne vaincrait qu’en expropriant les capitalistes, ceux-ci étant à la base de la contre-révolution. Au final, ceci prit forme avec la mise en place de l’économie planifiée. La présence de l’URSS fût, elle aussi, un facteur déterminant dans ce monde bipolaire.

    Le fait est que le M26-7 n’avait pas de perspective socialiste, et lorsqu’il dût mettre en place une économie plani- fiée, il se tourna vers l’URSS et en copia des éléments bureaucratiques.

    Si l’économie planifiée permit des avancées sociales inouïes dans l’éducation, le logement et les soins de santé, il faut noter que la bureaucratie est apparue comme un frein à ce développement.

    L’attitude du Che

    Contre l’avis du Che, cette bureaucratie, poussée par l’URSS, a par exemple préféré persévérer dans une monoculture sucrière plutôt que de procéder à une industrialisation plus poussée. Le Che décrit très vite ces problèmes liés à la gestion bureaucratique.

    En outre, étant marxiste, Che Guevara défendait une optique internationaliste de la révolution. Ainsi, il partît pour le Congo et ensuite la Bolivie où il tenta de répliquer le modèle de la guérilla cubaine victorieuse. Ce fut un échec et il finit par le payer de sa vie, assassiné dans un maquis bolivien. Une première conclusion s’impose : le Che connut la limite de la guérilla, confronté au banditisme au Congo et à l’isolement en Bolivie.

    Le rôle des masses

    A Cuba, la révolution fut menée par un groupe restreint de personnes décidées,. Les masses ouvrières et paysannes ne participèrent pas réellement au processus révolutionnaire. Or, la prééminence de la classe ouvrière est indispensable pour mener une révolution : les travailleurs sont capables de plonger l’économie dans l’immobilité via une grève insurrectionnelle révolutionnaire. Avec la mise sur pied de comités de grève, un pouvoir parallèle peut voir le jour. Pouvoir qui prendra alors le dessus par rapport au pouvoir en place, et ce, grâce à la gestion et au contrôle des moyens de production par la population. Ces comités sont les premiers pas vers une démocratie ouvrière indispensable à la construction d’une société socialiste.

    Ainsi, un parti révolutionnaire dans lequel s’organiserait la partie la plus consciente des masses laborieuses est nécessaire. A Cuba, un tel parti ayant une perspective socialiste internationale était absent.

    Les masses ne furent donc pas impliquées dans le processus révolutionnaire, ce qui ne permit pas l’instauration d’une réelle démocratie mais bien l’émergence d’une bureaucratie, avec ses privilèges, ses dérives économiques et le danger d’une restauration capitaliste, comme ce fut le cas en URSS.

    Actuellement, de nombreux mouvements de masses émergent en Amérique Latine et présentent des éléments révolutionnaires. Quand certains se réfèrent aux idées socialistes du Che, il est crucial de pouvoir tirer les leçons du passé en soulignant l’importance d’un parti révolutionnaire international. Celui-ci permettra d’organiser les travailleurs internationalement vers le socialisme, car l’exploitation ne connaît pas de frontières.

  • Venezuela, un an après le référendum. Quels dangers menacent la révolution maintenant?

    Il y a un peu plus d’un an, le 15 août, le référendum visant l’éjection du président vénézuélien Chavez fut un échec retentissent grâce à la mobilisation des masses vénézuéliennes, particulièrement dans les villes-ghetto, à travers les « unités de combat » électorales et d’autres organisations de la révolution « Bolivarienne ». Cette défaite a ouvert une nouvelle phase dans le processus révolutionnaire. Mais comme Christine Thomas l’explique : même si les forces de l’opposition ont été sévèrement affaiblies, la menace de la contre-révolution subsiste.

    Christine Thomas

    L’élection de Chavez en temps que président en 1998 a représenté un rejet massif de la part des pauvres, des travailleurs et de certaines parties de la classe moyenne de la politique néo-libérale vicieuse orchestrée par l’establishment corrompu de la « quatrième république ». Son populisme anti-impérialiste/anti-néolibéral a radicalisé les couches les plus pauvres de la société vénézuélienne. Ils ont vu en Chavez un leader politique qui les représentait et qui parlait pour eux, plutôt que ces riches oligarques qui dilapidaient les richesses pétrolières : les laissant sombrer plus profondément dans la pauvreté. Sa victoire a créé l’espoir que leurs besoins désespérés d’emplois décents, de soins de santé, d’enseignement et de logements trouveraient enfin une solution. La classe dirigeante vénézuélienne et l’impérialisme américain, de l’autre côté, craignent que les masses déchaînées et radicalisées puissent exiger des mesures plus radicales, se mettent en mouvement dans une direction qui menacerait leurs intérêts. L’impérialisme américain, en particulier, craint l’instabilité dans un pays qui lui fournit 15% de ses besoins en pétrole. Le référendum de l’an dernier était la troisième tentative majeure par la classe dirigeante vénézuélienne, soutenue par l’impérialisme américain, pour éjecter Chavez et écraser toute menace potentielle que le mouvement pourrait poser au Venezuela et partout ailleurs en Amérique latine. Mais toutes les tentatives contre-révolutionnaires (le putsch du 11 avril 2002, le lock-out patronal de deux mois, la tentative de sabotage économique à la fin de la même année et enfin le référendum) ont été bloquées par l’action de masse des pauvres et des travailleurs qui se sont d’avantage radicalisés et dont les espoirs se sont largement développés.

    Dans la période post-référendum, le rapport de force a temporairement glissé en faveur des masses. Les forces de l’opposition (l’élite financière, les partis politiques et leader syndicaux corrompus, l’église catholique, etc.) sont sorties de ces défaites divisées et démoralisées. Chavez, lui-même, a cherché initialement un arrangement avec l’opposition en leur demandant de travailler avec lui à la reconstruction du pays. Mais sous la pression des travailleurs et des pauvres, il s’est d’avantage radicalisé décrivant la révolution bolivarienne pour la première fois comme « socialiste », amorçant une réforme agraire et parachevant les premières nationalisations du régime. Au même moment, il a durci sa rhétorique anti-impérialiste, anti-US et ses actions dans la région.

    Ce tournant à gauche a alarmé la classe capitaliste vénézuélienne et l’impérialisme américain. Ils craignent que les masses, voyant leurs espoirs croître, puissent pousser Chavez dans une direction encore plus radicale, minant leur contrôle économique. Puisque jusqu’à présent, les timides tentatives du régime Chavez avaient laissé ce contrôle largement intact. L’administration américaine a récemment attaqué Chavez au vitriol en l’accusant de soutenir le terrorisme en Colombie et de fomenter des révoltes en Bolivie, en Equateur et partout en Amérique Latine. La secrétaire d’Etat américaine, Condoleeza Rice a décrit Chavez comme « une menace majeure pour la région entière ». Les relations économiques croissantes avec Cuba de Chavez, dans lesquelles le Venezuela fournit de l’essence à bas prix en retour de médecins cubains etc, ont effectivement brisé l’embargo américain de l’île, lançant une bouée de sauvetage économique tellement nécessaire depuis la chute de l’Union Soviétique qui était son principal appui économique. Chavez est également vu comme un obstacle dans la stratégie américaine qui vise à faire de la Colombie une base de défense des intérêts US en Amérique Latine. Plus important : Chavez a cherché des marchés internationaux alternatifs pour l’essence vénézuélienne, signant des contrats avec la Russie, la Chine, l’Iran autant que d’autres pays latino-américain. Il a menacé d’exercer des représailles contre n’importe quelle agression US en coupant l’approvisionnement en pétrole et au cours de la conférence internationale de la jeunesse à Caracas au mois d’août, il a déclaré que le marché nord américain n’était pas vital pour le Venezuela. Bien qu’une bonne partie de cette rhétorique soit anti-impérialiste, confrontée à une situation déjà instable en Irak et au Moyen-Orient, l’impérialisme américain veut s’assurer que son approvisionnement en pétrole du Venezuela n’est pas menacé. Mais la marge de manœuvre de l’impérialisme US est actuellement limitée. Une combinaison de la faiblesse de l’opposition et des revenus énormes du pétrole à la disposition de Chavez pour financer les réformes sociales profitables aux pauvres (sa principale base sociale) signifie que la situation entre les forces en présence est dans une impasse et que cette situation pourrait être maintenue pour un moment.

    Une invasion directe du Venezuela, comme en Irak, est hors de propos pour le moment. L’Irak a montré les limites de l’hégémonie américaine. Même si la capacité militaire américaine n’était pas déjà dépassée, une invasion du Venezuela serait extrêmement risquée, déclenchant une vague de résistance qui pourrait embraser l’ensemble des Amériques. L’impérialisme américain a donc été forcé à poursuivre dans une approche moins directe, reposant sur un travail dans l’opposition vénézuélienne et dans les forces réactionnaires en Colombie. En décembre de l’an dernier, les forces colombiennes en conjonction avec des sections des forces de sécurité vénézuéliennes sont intervenues directement au Venezuela pour kidnapper un leader de la guérilla FARC, donnant une indication claire de la manière dont ils pouvaient être utilisés pour créer la peur et l’instabilité à l’intérieur du pays. Il n’y a aucun doute sur le fait que certaines parties de l’administration américaine soutiennent l’appel du chrétien fondamentaliste de droite Pat Robertson à l’assassinat ou au kidnapping de Chavez pour amener un « changement de régime » au Venezuela (de telles actions ne peuvent être totalement écartées). Mais chaque mouvement réactionnaire a jusqu’ici donné une impulsion de gauche au processus révolutionnaire et chaque action prématurée pourrait pousser les masses dans une direction encore plus radicale.

    Les parties les plus sérieuses et réfléchies de l’opposition ont donc tiré la conclusion que, après avoir été vaincus à chaque étape par le soutien à Chavez dans la masse de pauvres radicalisés, pour le moment ils n’ont d’autre choix que d’apprendre à « coexister » avec lui. Avec l’équilibre actuel des forces, chaque étape ouvertement contre-révolutionnaire dans le court terme, après celles qui ont été déjà tentées, risque d’accroître la radicalisation du mouvement et de provoquer des mesures qui pourraient menacer d’avantage leur contrôle de l’économie et l’appareil d’état. « Nous devons mordre la poussière de la défaite », a dit le gouverneur de l’état de Zulia quelques jours après le référendum. « Les deux Venezuela doivent se réconcilier, le Venezuela ne peut continuer dans le conflit », a déclaré le patron de Fedecamaras (principale organisation patronale).

    En dépit de l’adoption d’un ton anti-Chavez moins strident, l’administration US semble poursuivre une stratégie à long terme d’épuisement du processus révolutionnaire et préparer un rapport de force qui leur serait plus favorable, avant de lancer des actions de plus grande ampleur contre Chavez.

    Mais malgré cela, sans un mouvement décisif de la classe ouvrière et des pauvres vers une cassure avec le capitalisme et d’établissement d’un état ouvrier démocratique, la contre-révolution réussira par un moyen ou un autre à se ré-affermir. Cela pourrait venir sous une forme extra-parlementaire, un futur putsch victorieux, comme c’est arrivé au Chili en 1973, ou une contre-révolution électorale « démocratique » comme au Nicaragua en 1990. Cette victoire sous n’importe quelle forme signifierait un désastre pour les masses vénézuéliennes. La classe ouvrière vénézuélienne et les pauvres sont confrontés à une tâche urgente, utiliser ce « temps de respiration » pour construire un parti révolutionnaire qui peut fournir un programme qui pousserait le gouvernement en avant et complèterait la révolution socialiste.

    Electoralement, les forces de l’opposition au Venezuela ont été complètement divisées entre une partie qui défendait l’abstention et l’autre qui contestait les élections. Où ils sont restés, ils ont subit défaites sur défaites. Après les élections d’octobre de l’an dernier, ils ne contrôlent plus que deux des 23 états que compte le pays et ont de plus perdu le contrôle de Caracas, la capitale. Aux élections locales et municipales, qui se sont tenues le 7 août de cette année, ils ont obtenu moins de 20% des sièges.

    Le principal quotidien vénézuélien, détenu par des opposants de droite qui ont soutenu unanimement les forces de la réaction à chaque étape, a publié des articles commémorant l’anniversaire du référendum. Ils se sont concentrés sur ce qu’ils considèrent comme le besoin désespéré pour l’opposition « démoralisée, désorientée, manquant de direction » (El Nacional) de s’unir pour fournir une alternative électorale crédible aux « chavistas ». Avec les élections parlementaires attendues pour la fin de l’année et les élections présidentielles en décembre 2006, l’opposition se prépare à de futures défaites électorales.

    Chavez lui-même caracole à 70% d’approbation dans les sondages (l’un des taux les plus hauts de sa présidence). Durant le festival international de la jeunesse, il a parlé confidentiellement de rester en politique jusqu’en 2030 ! Sa confiance a été boostée par les victoires électorales et par le prix élevé du pétrole sur le marché mondial. Le pétrole représente 85% des exportations vénézuéliennes, un quart du PIB et plus de la moitié des revenus du gouvernement. En 2004, les exportations de pétrole ont généré un revenu de 29$ milliards, pour 22$ milliards en 2001 et la somme semble fortement augmenter cette année. Cette énorme aubaine réalisée par le pétrole a permis à Chavez de maintenir et d’accroître les dépenses des « misiones », les programmes de réformes sociales de bien-être qui ont été démarrées en 2003 et largement orientées vers les plus pauvres. Les avantages de ces réformes sont clairement visibles dans les rues des zones les plus pauvres de Caracas. Une superbe nouvelle clinique ou un supermarché d’état Mercal (Mercado de Alimentacion) qui vend de la nourriture de base subsidiée qui se distinguent facilement des immeubles et des infrastructures en ruine des « barrios », les bidonvilles vérolés de pauvreté situés à deux pas de zones d’opulence comme Altamira où vit l’élite.

    Selon les chiffres du gouvernement, 300.000 Vénézuéliens ont surmonté l’analphabétisme (9% des plus de dix ans), deux millions vont à l’école primaire, secondaire et supérieure, et 17 millions ont maintenant accès aux soins de santé de première nécessité grâce aux « misiones ».

    Malgré ces améliorations sociales visibles, une pauvreté noire pourrit encore la vie de millions de Vénézuéliens. 60% des ménages étaient pauvres en 2004, pour 54% en 1999. Même si l’état contrôle les prix de la nourriture de base, l’inflation grimpe à 15-20% et qu’un Vénézuélien sur deux ne dispose pas d’un logement adéquat. Selon un sondage d’opinion récent, le chômage est le problème principal dans la société. Il y a eu des améliorations dans les boulots, à travers des initiatives comme « Vuelvan Caras » , le plan d’état de création d’emplois, principalement dans les coopératives et dans les petites entreprises. Mais 14% de la population reste toujours sans emploi et des millions de personnes sont toujours confrontées à l’insécurité et à l’exploitation dans le secteur informel (comme les vendeurs de rue, les chauffeurs de taxi, etc.).

    Si cela est la situation de la majorité des travailleurs et des pauvres au Venezuela alors que le prix du pétrole est à un niveau si élevé, il est clair que les espoirs des masses ne pourront se concrétiser dans le cadre du capitalisme. Le magazine britannique de droite The Economist résume clairement la situation lorsqu’il écrit : « quand les revenus du pétrole chuteront, tombera dans un enfer de récession et d’inflation »(25 août 2005).

    C’est ce qui est arrivé au Nicaragua. Après la révolution de 1979 qui avait éjecté le dictateur détesté Somoza, les Sandinistes avaient le contrôle de l’appareil d’état. Ils ont nationalisé jusqu’à 40% de l’économie, mais le reste est resté dans les mains de la classe capitaliste qui a utilisé son contrôle économique pour saboter l’économie. Combiné avec la guerre des contras, subventionnée par l’impérialisme US, l’économie plongea dans une crise avec une inflation qui explosa jusqu’à 3600% et un niveau de vie qui périclita de 90% !

    A cause de la démoralisation des masses due à la crise économique, la droite vainquit les Sandinistes aux élections présidentielles de 1990 et poursuivit depuis lors une politique néo-libérale vicieuse à l’encontre des travailleurs et des pauvres nicaraguayens. Si la classe ouvrière au Venezuela n’exproprie pas les monopoles restés dans les mains des capitaliste vénézuéliens et étrangers, si elle n’applique pas une planification de la production sous contrôle démocratique, la crise économique et l’incapacité à satisfaire les besoins des masses mèneront à la démoralisation et à la démobilisation du mouvement, balisant la route pour une victoire de la réaction. Cela serait alors utilisé pour ouvrir une nouvelle ère de répression brutale, en vue de recouvrir un contrôle total de l’économie et de l’état, avec bien sûr une atomisation des organisations et des droits de la classe ouvrière.

    Le haut taux d’abstention (70%) dans les élections locales et régionales du mois d’août représente un avertissement pour le futur. Il est vrai qu’historiquement le taux de participation aux élections locales vues comme en dehors des préoccupations de la plupart des Vénézuéliens a toujours été bas. Une partie de l’opposition appelait également les gens à ne pas voter. Malgré cela, le niveau d’abstention dans les zones pro-Chavez était très élevé alors qu’il avait lui-même souligné l’importance, pour ses partisans, de se mobiliser en masse. Bien que le taux de participation soit susceptible d’être beaucoup plus haut dans des élections parlementaires et présidentielles, des signes de mécontentement commencent à arriver à l’encontre des troupes du mouvement bolivarien. Des activistes étaient mécontents du remplacement bureaucratique de candidats de base par des candidats inconnus des gens des communautés locales. Lors des élections d’octobre de l’an dernier pour le mayorat et le gouvernement d’état, des candidats dissidents se sont présentés contre les candidats officiellement chavistes. Dans les élections locales, des partis pro-Chavez perçus comme plus « radicaux » comme le Parti Communiste Vénézuélien et le mouvement Tupamaros ont augmenté leur nombre de votes dans certaines régions. Le mécontentement, où il existe, ne vise pas principalement Chavez, qui bénéficie encore d’une autorité et d’un soutient immense dans les masses, mais plutôt la bureaucratie qui l’entoure, perçue comme une cassure avec les réformes radicales que ce soit à travers l’inefficacité, la corruption ou le sabotage conscient. Une femme qui protestait contre les actions d’un leader dans l’état de Anzoategui a résumé le sentiment d’une couche d’activistes lorsqu’elle a dit : « Président, ouvrez les yeux… beaucoup de ceux à vos côtés sont en train de vous décevoir. Ecoutez la voix du peuple »(El Nacional).

    La direction du mouvement bolivarien est extrêmement hétérogène. Pour parler franchement, une aile est plus en contact avec les masses et reflète l’atmosphère qui y règne, il y a donc une pression pour qu’elle continue les réformes radicales. L’autre aile, réformiste et pro-capitaliste, dont certains membres ont des contacts avec les forces de l’opposition, essaye à chaque étape de retenir le mouvement et de l’empêcher d’aller dans une direction plus radicale. Ces divisions se sont aiguisées depuis la défaite du référendum. Chavez lui-même a balancé entre ces différentes forces de la société. Sa prise de position la plus récente à « gauche » a été une réponse à la demande d’actions plus radicales de la part des masses. Il a signé un décret nationalisant VENEPAL (l’entreprise de papier en faillite), par exemple, après que les travailleurs aient lancé une lutte déterminée en conjonction avec la communauté locale en occupant l’usine et en demandant sa nationalisation. Depuis janvier, Chavez a qualifié la révolution bolivarienne de socialiste, ceci représentant un développement significatif. La question du socialisme commence à s’ancrer dans la conscience d’une partie des étudiants, des travailleurs et des pauvres. Dans un récent sondage organisé par l’ « Instituto Venezolano de Analisis de Datos », 47,8 % des personnes interrogées déclaraient qu’elles préfèreraient un gouvernement socialiste alors que seulement 22,7% opteraient pour un gouvernement capitaliste.

    Mais Chavez n’a pas une idée claire sur ce qu’ il veut dire par socialisme ni sur la manière d’y arriver. Il parle vaguement de « socialisme au 21ème siècle » qui serait un ‘nouveau type’ de socialisme et il a aussi appelé à son peuple à se débarrasser des vieux préjugés concernant la signification du socialisme. On pourrait interpréter cela comme un rejet du stalinisme. Mais en même temps, Chavez est en train de renforcer ses liens économiques et diplomatiques avec Fidel Castro à Cuba. Il complimente le merveilleux service de santé cubain, dont beaucoup de vénézuéliens sont en train de profiter grâce aux docteurs cubains travaillant au Venezuela, grâce à la formation de docteurs vénézuéliens et aux patients qui sont envoyés à Cuba pour des opérations. Mais en fait Chavez n’est pas critique du tout sur la nature bureaucratique du régime cubain et sur l’absence de véritable démocratie ouvrière.

    Chavez pourrait-il devenir un « second Castro » comme le craingnent une partie de la classe dirigeante vénézuélienne et l’impérialisme américain ? Théoriquement une telle perspective ne pourrait pas être complètement exclue. Arrivé au pouvoir en 1959, Castro n’a pas décidé consciemment de nationaliser l’économie cubaine mais il a pris cette direction en réaction au blocus US et à la pression des masses cubaines. Mais vu que la classe ouvrière n’était pas consciemment à la tête de la révolution, le résultat fut la création d’un état ouvrier déformé, où le capitalisme et le féodalisme ont été éliminés mais où la société était toujours contrôlée du sommet vers le bas par une caste bureaucratique. Le contexte international actuel, après la chute de l’ Union Soviétique, est très différent du temps de la révolution cubaine quand Cuba était soutenu matériellement par la bureaucratie soviétique et ce pour des raisons stratégiques. Quoiqu’il en soit, il n’est pas inconcevable que les masses du Venezuela puissent spontanément prendre possession des usines et de la terre, forçant ainsi Chavez à nationaliser de larges pans de l’économie. Mais un tel régime serait extrêmement instable.

    La révolution serait très certainement vaincue à un certain moment par les forces de la réaction sauf si la classe ouvrière est consciente du rôle qu’elle a à jouer, non seulement en expropriant la classe capitaliste, mais aussi en formant des comités élus démocratiquement qui pourraient faire tourner l’industrie, mettre en place un plan démocratique de production et créer les bases pour un Etat ouvrier dont le programme serait capable d’élargir la révolution à l’Amérique latine et internationalement. C’est pourquoi la lutte pour une véritable ‘politique étrangère’ internationale de la classe ouvrière est si importante aujourd’hui ; soutenant, par exemple, des liens économiques avec Cuba mais utilisant cela pour encourager une réelle démocratie ouvrière au sein du pays et pour étendre la révolution internationalement comme le seul réel moyen de défendre ces acquis qui ont déjà été obtenus.

    La réaction de Chavez à de futurs évènements aura bien sûr un gros impact sur la façon dont les développements se déroulent, particulièrement dans une situation de ralentissement économique. Pour le moment il est en train de répondre d’une façon limitée à la radicalisation des masses et il pourrait aller plus loin dans cette direction. Malheureusement, il y a de nombreux exemples de dirigeants honnêtes qui malgré leur bonnes intentions, une fois confrontés avec la ‘logique’ du marché capitaliste qui se sont mis à réprimer les ‘demandes excessives’ des travailleurs.

    Dans une situation où d’autres options sont trop risquées, une partie de la classe capitaliste du Venezuela s’appuie sur le mouvement de l’aile pro-capitaliste pour freiner les réformes radicales et pour être potentiellement capable de reprendre les acquis de la classe ouvrière et des masses pauvres. Ils préparent ainsi la voie pour une défaite du processus révolutionnaire et pour la victoire de la contre-révolution.

    Il est vrai qu’ils n’ont pas la même autorité au sein de la classe ouvrière et des masses pauvres qu’avaient les sandinistes au Nicaragua après la révolution de 1979 ou qu’avaient les partis socialistes et communistes au Portugal en ’75. Quoiqu’il en soit, si la classe ouvrière n’achève pas complètement la révolution au Venezuela et que la démoralisation s’installe, cette aile pourrait jouer un rôle important en freinant le mouvement et posant les bases pour le triomphe de la réaction capitaliste. Leur façon de définir le socialisme est relativement claire – une économie « mixte » où quelques compagnies d’états et coopératives existent mais dans laquelle les leviers économiques principaux restent dans les mains de la classe capitaliste du Venezuela et étrangère. Chavez parlait récemment d’enquêter sur l’éventuelle expropriation de 136 à1149 entreprises. Mais en réalité toutes ses compagnies étaient en faillite, fermées ou en passe de le devenir. Le ministre de l’industrie a éclairci cette position en déclarant que la nationalisation ne prendrait place que dans des « cas extrêmes », qu’il n’y aurait pas de « vagues d’expropriations » et que les firmes capitalistes ainsi que la « production sociale » pouvaient coexister. De même, la redistribution de 13 000 hectares de terres appartenant au Lord Vesty marquait un pas en avant dans la réforme agraire alors qu’auparavant, seule la terre appartenant à l’Etat avait été redistribuée aux pauvres des campagnes. Mais à ce stade, le gouvernement n’envisage de distribuer que de la « terre non fertile ».

    Quoiqu’il en soit, 158 paysans ont été tués depuis 2000 quand la loi sur la terre a été votée, démontrant que même face à des réformes limitées, les grands propriétaires terriens résisteront brutalement, aidés dans certains cas par les paramilitaires de droite Colombiens.

    Utilisant un langage révolutionnaire, les coopératives sont présentées comme l’embryon de la société socialiste. 79000 coopératives ont été créées les 6 dernières années, majoritairement dans le secteur des services et de l’agriculture. Elles ont eu un certain effet dans la réduction du chômage, qui ne pourra être que temporaire. Ces coopératives sont toujours complètement dans le marché capitaliste avec des compagnies privées et seront dévastées par la crise économique. Beaucoup de ces coopératives en réalité fonctionnent comme des compagnies privées, exploitant la force de travail et dénigrant les droits des travailleurs. Il y a de nombreux exemples d’employeurs privés qui « déguisent » leur entreprise en coopérative afin de recevoir des subsides de l’Etat. En même temps, Chavez encourage « le co-management » des industries d’Etat ainsi que des industries privées. « Ceci est la révolution. Ceci est le socialisme », voilà ce qu’il déclara récemment quand il fit crédit à des taux d’intérêt bas à des patrons de petites entreprises privées qui acceptaient d’introduire des représentant des travailleurs dans les conseils d’administration de leur compagnie.

    Une fois de plus, le ministre de l’industrie utilise clairement cette cogestion, ou participation ouvrière, comme une collaboration de classes pour tromper les travailleurs, augmenter l’exploitation et booster les profits de la classe capitaliste, comme cela a été fait dans des pays comme l’Allemagne. Il déclara : « Il y a une interprétation faussée de ce que signifie la cogestion ». « L’idée est de faire participer les travailleurs à la gestion de l’entreprise, non pas de leur en laisser le contrôle, mais plutôt d’aider à éviter des tensions et des contradictions inutiles. » (El Nacional).

    Chavez, ne voulant pas se confronter à l’économie capitaliste et au pouvoir d’Etat, met en application des contrôles partiels et essaie d’éviter les structures économiques existantes et l’appareil d’Etat. Donc par exemple, en plus des coopératives, il a créé une compagnie aérienne d’Etat, une compagnie de téléphone d’Etat, une station télé d’Etat, et des supermarchés d’Etat vendant des produits basiques jusqu’à 30 % moins chers que dans le secteur privé. Tout ça avec l’intention de rivaliser avec les monopoles privés.

    Ces mesures partielles comme les contrôles des prix sur les aliments de base et les contrôles sur les échanges, servent à rendre la bourgeoisie furieuse, et à augmenter leur détermination à éviter les futurs empiètements sur leur pouvoir économique et sur l’état.

    En même temps, en laissant les grandes entreprises monopolistiques, les banques et les institutions financières, les journaux, etc… dans les mains du privé, il est impossible de planifier démocratiquement l’économie afin d’assouvir les besoins des masses. De plus, la classe dirigeante reste capable de saboter l’économie et de miner le mouvement. Il y a eu une certaine réorganisation du personnel au sommet de l’armée, de la justice, du collège électoral et d’autres institutions d’Etat, mais , sans des élections et le droit de révocation de tous ceux qui ont une position dans l’appareil d’Etat, ainsi que l’existence d’un parti socialiste de masse contrôlant constamment l’Etat, de nouveaux points de soutien à la réaction capitaliste peuvent être générés, même au sein de ceux qui soutiennent Chavez aujourd’hui.

    La classe capitaliste fera clairement tout ce qu’elle peut pour abattre toutes les mesures qui ont été introduites à la demande des masses. Ils utilisent les médias et font pression sur l’aile pro-capitaliste du gouvernement de Chavez pour poursuivre des politiques sociales et économiques plus « réalistes », afin de conquérir les 4 millions de personnes qui ont voté contre Chavez lors du référendum pour sa révocation et afin de ne pas effrayer les investisseurs étrangers. Chavez a lui même encouragé des joint ventures entre du capital étranger et la compagnie pétrolière d’Etat PDVSA. En fait, les multinationales comptent déjà pour plus ou moins 50 % de la production pétrolière au Venezuela, pendant que la production de la PDVSA a, elle, diminué de moitié depuis l’ élection de Chavez, en ’98. Il est vrai que même un Etat ouvrier sain pourrait être forcé de signer des accords économiques et de commerce avec des pays capitalistes ou des compagnies étrangères si la propagation de la révolution internationale était temporairement retardée. Mais cela serait fait sur base d’un plan démocratique de production, d’un monopole d’Etat des exportations et d’une politique consciente d’élargissement de la révolution en appelant la classe ouvrière internationalement.

    Maintenant, en partant d’une politique de préservation du capitalisme, des accords sur des investissements étrangers et sur les commerces seront utilisés pour miner et faire dérailler la révolution. Il y eut un nouvel avertissement quand Chavez a récemment accepté un accord commercial de vente d’armes avec le gouvernement espagnol, le ministre des affaires étrangères de celui-ci, défendant l’accord en réponse aux critiques US en expliquant « le rôle que l’Espagne pourrait jouer au Venezuela pour la satisfaction de Washington, en mettant un frein aux rêves de Chavez d’étendre sa révolution bolivarienne à d’autres pays dans la région » (El Pais, 9 Mai).

    La classe ouvrière, du fait de son rôle dans le processus de production et de son pouvoir collectif potentiel, est la clef capable de mener à bien la révolution socialiste au Venezuela et de vaincre les forces de la réaction. Mais, bien que la classe ouvrière ait été impliquée dans le mouvement de masse dans les moments les plus cruciaux, elle n’a été qu’un élément parmi d’autres. La classe ouvrière n’a pas été consciente de son propre pouvoir ou de la responsabilité qu’elle a de diriger les masses pour transformer la société. A différents moments, Chavez a encouragé la participation des masses mais cela avec des limites strictes. Et sans un programme clair pour faire avancer le processus révolutionnaire, le mouvement risque de stagner et de se démobiliser. Chavez n’a pas encouragé, en particulier, l’indépendance d’action des travailleurs. Pendant, par exemple, une récente grève des travailleurs du métro de Caracas, un conseiller de Chavez a demandé que les grèves soient interdites dans le secteur public et Chavez lui même a menacé d’envoyer la garde nationale contre les grévistes. La tâche principale d’un parti révolutionnaire au Venezuela n’est pas de conseiller Chavez sur la façon de diriger la révolution mais de renforcer et d’étendre les organisations de la classe ouvrière ainsi que de mettre en avant des revendications qui augmenteront la confiance des travailleurs dans leur capacité à changer la société ainsi qu’en augmentant leur compréhension de ce qui est nécessaire à chaque étape d’un processus révolutionnaire. Cela devrait inclure une explication sur la façon dont la classe dirigeante utilisera la cogestion pour défendre ses propres intérêts et sur la nécessité de construire et de renforcer les comités de travailleurs qui seuls pourraient être capables de mettre en application un contrôle réel et une gestion ouvrière des lieux de travail comme un pas en avant vers une planification démocratique de toute l’économie. Des éléments de contrôle ouvrier existent déjà sur certains lieux de travail. Dans la compagnie d’Etat de production d’aluminium ALCASA, par exemple, les travailleurs élisent ceux qui gèrent l’entreprise, ceux-ci ne reçoivent que l’équivalent de leur salaire précédent (comme ouvrier) et peuvent être révoqués. Un récent meeting national des travailleurs, convoqué pour discuter de la cogestion et du contrôle ouvrier a accepté : « d’inclure dans les propositions pour une cogestion révolutionnaire que la compagnie doit être la propriété de l’Etat, sans distribution des actions aux travailleurs, et que chaque profit doit être réparti selon les besoins de la société à travers des conseils de planification socialiste. Ces conseils de planification socialiste doivent être compris comme les organes qui mettent en application les décisions des citoyens réunis en assemblée ». Un véritable programme socialiste révolutionnaire devrait appeler à une démocratisation des organisations de la révolution bolivarienne, à la formation et à l’extension de comités d’entreprises démocratiques et de lier ceux-ci aux comités élus dans les quartiers, dans les forces armées, et ce au niveau local et national.

    En plus de tout ça, des forces de défense ouvrière doivent être formées pour défendre le mouvement contre la réaction. Chavez a reconnu la nécessité de défendre la révolution contre l’agression impérialiste et il a doublé les réserves de l’armée, mis sur pied « des unités de défense populaire » sur les lieux de travail et dans les campagnes. Mais tout cela sera sous son propre commandement et non sous le contrôle démocratique des organisations de la classe ouvrière et des masses pauvres. La solidarité des travailleurs dans le reste de l’Amérique latine et internationalement est aussi un moyen vital de défense. De son point de vue, Chavez est un internationaliste. En imitant son héros, Simon Bolivar, il se voit lui même comme le dirigeant de l’alliance anti-impérialiste en Amérique latine et il utilise le pétrole et les revenus du pétrole pour promouvoir ses objectifs. On voit de récentes initiatives comme par exemple le lancement de Télésur, une compagnie de télé continentale, ainsi que Pétrosur et Pétrocaribe, qui sont des accords avec différents pays d’Amérique Latine et des Caraïbes autour de l’exportation, de l’exploitation et du raffinage du pétrole. Il a aussi utilisé l’argent du pétrole pour racheter la dette de l’Argentine et de l’Equateur en « solidarité » contre les marchés financiers internationaux. Mais Chavez s’est orienté principalement en direction de dirigeants qui appliquent une politique néo-libérale, plutôt que d’en appeler à la classe ouvrières et aux masses pauvres. Le président brésilien Lula, par exemple, a appliqué des politiques d’attaques contre la classe ouvrière et son parti est mêlé à un sérieux scandale de corruption.

    De plus, durant une récente visite, Chavez a félicité Lula et a interprété ce scandale de corruption comme une « conspiration de droite ».

    Chavez est accusé par l’impérialisme d’exporter la révolution à d’autres pays d’Amérique Latine. Mais quand des travailleurs du secteur pétrolier sont partis en grève dans deux Etats d’Amazonie en Equateur en août dernier, demandant que plus de ressources soient investies dans les communautés locales et qu’une compagnie pétrolière US soit virée du pays, Chavez a effectivement joué le rôle de casser la grève, prêtant du pétrole au gouvernement équatorien pour compenser la « perturbation » que les grévistes ont entraînés sur les réserves. En opposition à tout cela, après le passage de l’ouragan Katrina, on a perçu comment une véritable politique internationale de solidarité parmi la classe ouvrière pourrait être menée. Comme Chavez, un gouvernement ouvrier démocratique aurait immédiatement offert de l’aide tout en exposant comment le capitalisme place les profits avant les vies des plus pauvres dans la société, et comment l’impérialisme US est totalement incapable de répondre aux besoins des travailleurs américains en temps de crise ainsi que dans des temps « d’accalmie ». En même temps, il aurait créé des liens avec la classe ouvrière et les organisations des communautés aux Etats Unis pour promouvoir le contrôle démocratique de la distribution de l’aide dans les régions affectées, renforçant ainsi la confiance et la conscience de la classe ouvrière américaine.

    L’Amérique Latine est un continent en révolte. La victoire d’une révolution socialiste démocratique au Venezuela aurait un impact électrique sur la classe ouvrière et sur les masses pauvres de la région et cela aux Etats-Unis même. La classe ouvrière vénézuélienne est maintenant face au défi de construire et de renforcer leurs organisations, ceci incluant la création d’un parti révolutionnaire de masse avec un programme qui sera capable d’assurer la victoire de la révolution dans sa lutte contre la contre-révolution.

  • Venezuela: Rapport du Festival Mondial de la Jeunesse

    Un groupe de membres du Comité pour une Internationale Ouvrière (notre organisation internationale) venus du Chili, d’Autriche, d’Angleterre et du Pays de Galles a fait une intervention très réussie au Festival mondial de la Jeunesse qui s’est tenu à Caracas au Venezuela. Beaucoup de jeunes se présentent comme socialistes et ont envie de discuter si et comment la « révolution bolivarienne » peut conduire au socialisme et faire progresser substantiellement le niveau de vie des masses vénézuéliennes. L’article qui suit reprend des extraits du « Journal de bord vénézuélien » écrit par Sonja Grusch, qui est la porte-parole du Parti Socialiste de Gauche (SLP), notre organisation sœur en Autriche, et membre du Comité Exécutif International du CIO.

    Sonja Grusch

    De grands espoirs (4 août)

    Des milliers de jeunes du monde entier vont se rassembler sur le thème de cette année “Pour la paix et la solidarité – Nous combattrons contre l’impérialisme et la guerre ».

    Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle le Venezuela est pour le moment une destination intéressante. Depuis l’élection d’Hugo Chavez comme président en 1998, le pays se trouve de plus en plus sous les feux de la rampe. La ‘Révolution Bolivarienne’ ne laisse personne indifférent. A côté de fermes partisans, il a aussi des opposants déterminés. Le pays a connu ses premières nationalisations d’entreprises et de terres. Les opposants se trouvent pour l’essentiel dans la classe dominante et dans certains secteurs de la classe moyenne au Venezuela mais également aux Etats-Unis.

    Le Venezuela est un des plus importants producteurs de pétrole pour les USA et un modèle populiste radical comme celui fourni par le gouvernement de Chavez, qui bénéficie d’une sympathie très étendue parmi les masses populaires de tout l’Amérique Latine, est un coin enfoncé dans l’impérialisme US.

    Sur le chemin menant à l’aéroport, j’ai vu une suite sans fin de graffitis et de peintures murales. Les opposants prétendent qu’une invasion cubaine est à l’ordre du jour. Il y a aussi beaucoup de graffitis contre Fidel et contre le communisme. Mais la seule « invasion » cubaine qu’on peut voir, ce sont les 10.000 médecins qui permettent à des milliers de gens d’avoir accès aux soins de santé.

    Mais la majorité des graffitis soutient Chavez et sa politique. Au cours des dernières années, des écoles et des universités ont ouvert, des programmes d’alphabétisation ont été mis en œuvre et d’énormes pas en avant ont été faits dans le secteur de la santé. Mais, malgré toutes ces améliorations, j’ai vu beaucoup de sans-abri dans le centre-ville de Caracas. Les bidonvilles et la misère sont encore largement répandus. Un élément qui illustre le niveau de la misère, ce sont les mesures de sécurité prises par les commerçants et les autres indépendants. Les fenêtres sont grillagées ou barricadées et, dans de nombreux magasins et hôtels, on ne peut entrer qu’une fois les portes déverrouillées et ouvertes de l’intérieur.

    Les attentes sont très grandes dans le pays où 80 % de la population est encore officiellement considérée comme pauvre. Les prochains jours, je veux essayer de comprendre qu’elles sont les attentes et les espoirs des gens et ce qu’ils pensent des changements en cours.

    Au cours des derniers mois, un débat sur le « socialisme » a démarré dans le pays. De plus en plus de gens se demandent s’il est possible de trouver dans le cadre du capitalisme une solution aux nombreux problèmes qui se posent aujourd’hui. Chavez a parlé d’un « socialisme du 21e siècle ». Mais ce que cela signifie pour lui n’est pas clair. Cette question – quel type de socialisme et, plus encore, comment y parvenir et comment le développer – sera la question centrale de ma visite.

    Sous le signe des élections (5 août)

    Dimanche il y aura des élections locales au Venezuela. C’est perceptible à chaque coin de rue, mais la manière de le voir dépend du quartier on se trouve. La différence est frappante entre les quartiers les plus pauvres et les plus riches de Caracas. Les quartiers pauvres de Valle et Coche sont presque entièrement pro-Chavez. A première vue, ces quartiers semblent assez pittoresques. Il y a beaucoup de petites maisons, parfois peintes, s’agrippant à flanc de montagnes. Mais quand on y regarde de plus près, cette impression change rapidement. La plupart de ces maisons ont été construites illégalement, sont très petites et presque construites les unes sur les autres. La plupart ne sont pas cimentées et sont partiellement construites en tôle ondulée.

    La pauvreté est omniprésente. Un jeune homme attend à l’extérieur d’un immeuble grillagé à appartements que quelqu’un lui demande de ramener ses courses à la maison. C’est un moyen pour lui de se faire quelque bolivars (la monnaie du pays). Un vieil homme aveugle erre de café en café en faisant tinter une cannette . En regardant les bus et les autos, on se demande comment ils peuvent encore rouler. Les affiches de l’opposition ne durent pas très longtemps ici.

    Dans les quartiers riches de la ville, il en va tout autrement. On se retrouve là comme dans une grande ville européenne : de grosses autos avec des gens bien vêtus. Et ici on trouve des affiches de l’opposition. Ce qui frappe, c’est que les candidats de l’opposition ont pour la plupart un teint beaucoup plus clair que la majorité de la population. Les différences sociales et de classes sont très visibles.

    Même si le soutien à Chavez et sa politique est grand, on se demande si la participation aux élections sera élevée. Il y a des critiques sur la manière dont les candidats sont sélectionnés : ils sont souvent choisis par en haut, beaucoup sont des inconnus dans les circonscriptions où ils se présentent. En fin de compte, il ne sera pas possible de résoudre les problèmes sociaux par la voie des élections.

    Les slogans qui appellent au socialisme se retrouvent partout. Mais le socialisme exige la démocratie et une participation active de la population. Les travailleurs, les paysans, les jeunes et les pauvres ne doivent pas être de simples observateurs, mais doivent prendre la direction du processus.

    Au Venezuela, une grande partie de l’économie, et en particulier l’industrie pétrolière, est nationalisée. En plus, il y a eu d’autres nationalisations au cours des derniers mois. Une discussion sur la « cogestion » est en cours. En fonction des gens avec qui on discute, cela peut signifier une participation des travailleurs, une co-direction de l’entreprise ou une autogestion par les travailleurs. Ce débat et les résultats qui en sortiront seront décisifs pour la période à venir.

    Les élections et le début du festival (7 août)

    14,4 millions de Vénézuéliens peuvent aujourd’hui apporter leur voix pour élire le gouverneur d’Amazonas, deux bourgmestres mais surtout 5.596 représentants locaux.

    Il est impossible de dire combien de partis participent aux élections. Le vote est électronique, ce qui sera probablement utilisé par l’opposition pour accuser Chavez de fraude électorale. Etrangement, cette même opposition ne considère pas que les votes électroniques aux USA soient anti-démocratiques alors qu’il y a eu néanmoins de nombreux « incidents » douteux. Devant les bureaux de votes il y a de longues files, mais il est difficile de préjuger quelle sera la participation.

    Le réceptionniste de mon hôtel me raconte qu’initialement dans ce quartier il y avait presque 100% de voix pour Chavez. Mais un certain nombre d’électeurs sont déçus parce qu’il n’a pas tenu toutes ses promesses et que, de toute évidence, il y a des gens qui se remplissent les poches au passage. Il dit qu’en général la corruption est un problème.

    Il est difficile de contrôler ce genre d’affirmations. Dans les médias qui sont dominés par l’opposition, on trouve beaucoup d’articles négatifs sur Chavez. Il est possible qu’un certain nombre de critiques soient réelles, mais beaucoup sont fausses ou racontées d’une manière complètement déformée.

    Un membre du CIO qui a visité le pays lors du référendum en août 2004 et qui est maintenant du nouveau sur place, raconte comment la situation a évolué depuis lors. A l’époque il y avait des discussions partout, dans la rue, les cafés, les transports publics,… Maintenant, tout cela a presque complètement disparu. Mais, en même temps, le « socialisme » est devenu un thème largement utilisé et un point de référence.

    Un processus révolutionnaire, comme celui qui se développe au Venezuela, porte en lui des éléments contradictoires et ne se développe pas en ligne droite. Mais il y a bien une donnée cruciale : le temps compte. Des possibilités et des opportunités s’ouvrent, mais elles peuvent de nouveau disparaître si elles ne sont pas utilisées à temps. La motivation pour les discussions était plus forte lors du référendum en 2004 quand la menace immédiate de l’opposition était plus palpable. Mais, à ce moment, l’essentiel du soutien à Chavez et à un nouveau Venezuela était orienté vers le terrain électoral.

    Aujourd’hui marque aussi l’ouverture du Festival de la Jeunesse. Mais, aujourd’hui comme hier, il sera cependant difficile de faire la fête parce que la Ley Seca (la « Loi sèche ») interdit la distribution d’alcool la veille et le jour des élections.

    Malgré cela, l’ambiance est bonne parce que le public, très majoritairement jeune, se réjouit de cet événement international et de passer du temps avec des gens qui pensent comme. Ils sont unis dans leur volonté de faire quelque chose contre la faim et l’exploitation, contre l’oppression et la violence et contre la guerre et le capitalisme.

    Les discussions seront intenses et également polémiques. Mais elles seront cruciales pour le Venezuela à cette étape de la lutte. Elles seront l’occasion d’apprendre du passé pour éviter les mêmes erreurs à l’avenir. Les évènements sanglants du 11 septembre 1973 au Chili ont prouvé que les tentatives de trouver un terrai commun et une unité avec la classe capitaliste se termine en défaite pour les travailleurs. Il y a également des leçons importantes à tirer de la révolution cubaine.

    Une opposition enragée et un long début du festival (9 août)

    Des discussions sérieuses se développent à propos du résultat des élections. D’une part, l’opposition se plaint que les bureaux de votes soient restés ouverts plus longtemps que prévu. D’autre part, on discute aussi de l’ampleur de la participation. L’opposition présente des chiffres montrant une abstention entre 77 et 78% des électeurs. Selon la commission électorale, ce chiffre n’atteint que 69,1%. Il faut savoir que ce sont des chiffres normaux pour des élections locales : en 2000, l’abstention était de 76,2%. Une partie de l’opposition avait même appelé au boycott des élections, ce qui rend leurs divagations à propos de la faible participation assez ridicule.

    Le parti de Chavez, le MVR (Mouvement pour une Cinquième République), a récolté 58% des sièges sur le plan national et l’ensemble des partis pro-Chavez en récoltent 80%. Cela semble être la véritable raison de la colère de l’opposition. Certains partis d’opposition ont un lourd passé de fraude électorale. Vu le manque de soutien de la population à leur égard, ils ne semblent pas avoir d’autre solution que de brandir des accusations de fraude.

    Le Festival de la Jeunesse a commencé hier. Les délégations des différents pays se sont rassemblées sur une grande place. Il y avait des jeunes et des moins jeunes. La délégation du CIO, même si elle était petite, a défilé en tant que groupe international. Elle comptait des camarades qui venaient d’au moins cinq pays différents. Notre matériel politique mettait l’accent sur les questions « Qu’est-ce que le socialisme ? », « Comment peut-on construire un mouvement pour le socialisme au Venezuela ? »,… Ces questions ont une énorme importance pour les Vénézuéliens. Nous ne pouvons pas distribuer gratuitement notre matériel. Il coûte assez cher en fonction du niveau de vie au Venezuela – 500 bolivars, l’équivalent d’une grande baguette au festival. Malgré cela, les gens font régulièrement la queue pour en acheter.

    Il y a un énorme intérêt pour les idées politiques. Les gens sont très ouverts et désireux de discuter, mais il y a également beaucoup de confusion sur ce que signifie le socialisme. Il y a un million de réponses à la question de ce qu’est le socialisme qui sont souvent contradictoires. Il n’y a certainement pas de réponse facile mais néanmoins la réponse sera d’une importance cruciale pour l’avenir du Venezuela.

    Le pétrole, source de richesse et de misère (10 août)

    Le Venezuela est un pays riche. Il est le cinquième plus grand producteur de pétrole à travers le monde. Mais l’énorme richesse de ce pays n’est pas redistribuée équitablement, c’est le moins que l’on puisse dire. Depuis l’augmentation du prix du pétrole au milieu des années ‘70, les revenus de l’Etat ont quadruplé. Une partie de cette somme a servi à améliorer le niveau de vie des travailleurs et des pauvres. Mais cela n’a pas duré longtemps. Avec la baisse du prix du pétrole dans les années suivantes sont venues des mesures néo-libérales drastiques d’austérité qui ont eu des conséquences sociales dramatiques.

    Les revenus réels ont chuté. Le pouvoir d’achat de ceux qui touchaient le salaire minimum a été amputé des deux-tiers entre 1978 et 1994. Des coupes sévères ont eu lieu dans les services sociaux à tel point que les dépenses pour la sécurité sociale ont été réduites de moitié. Les pertes d’emplois ont été énormes et les conditions de travail sont devenues de plus en plus précaires. Le taux de chômage a explosé et beaucoup de gens ont dû se tourner vers le secteur informel pour survivre. En 1999, on estimait que 53 % de la population travaillait dans le secteur informel. Le taux de pauvreté a lui aussi explosé : entre 1984 et 1995, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 36 à 66 %.

    Les partis dominants sont entrés en crise, à cause de leur arrogance et de leur implication croissante dans des scandales de corruption, mais surtout de la polarisation de la situation sociale. Chavez a réussi à offrir une alternative en mettant en avant une politique économique et sociale plus juste. Il s’est adressé « aux gens» et s’est engagé dans une direction de plus en plus anti-capitaliste. Un grand nombre d’améliorations ont eu lieu à l’initiative des ministres ou des « Missions » et de nouveaux emplois ont été créés, particulièrement dans le secteur public.

    Pendant le festival, il était parfois difficile de faire une distinction entre les ceux qui participaient aux activités et les salariés des services publics, comme les balayeurs et les nettoyeurs de rue. Tous portaient des T-shirts rouges avec des slogans pro-Chavez.

    Le programme d’alphabétisation mis en place a permis à plus d’un million de gens d’apprendre à lire et à écrire. Pour la première fois, les universités ont été ouvertes aux enfants de travailleurs et 3.200 nouvelles écoles sont aussi été construites. Des millions de gens ont, pour la première fois de leur vie, eu accès à des soins de santé. A tout moment, les gens parlent avec enthousiasme de ces améliorations et de la différence qu’elles font dans leur vie. Casanova, un dirigeant du MVR, a déclaré que « le pétrole était maintenant géré pour le peuple ».

    Il ne fait aucun doute qu’il y a eu d’énormes changements, même si la misère reste également énorme. La base de ces améliorations réside non seulement dans la volonté politique de changement, mais aussi dans le haut niveau des prix du pétrole. 50 % des dépenses publiques sont financées par les revenus pétroliers. Cela pose la question de savoir ce qui se passera si les prix du pétrole baissent.

    Une partie de la population espère que le processus actuel continuera indéfiniment et qu’elle connaîtra une augmentation continuelle et constante de son niveau de vie. Un enseignant m’explique que ce sera un long processus qui pourrait durer peut-être de 20 à 30 ans. Mais les gens sont-ils prêts à attendre si longtemps ? Peuvent-ils se permettre d’attendre si longtemps ? Et l’opposition bourgeoise et l’impérialisme se contenteront-ils d’observer ce processus en restant silencieux pendant encore 20 ans ? A toutes ces questions, on doit répondre par la négative.

    Le salaire minimum qui n’existe que dans le petit secteur formel est de 405.000 bolivars par mois. La compagnie d’électricité, Cadafe paie un salaire moyen de 600.000 bolivars par mois à ses travailleurs. Un repas bon marché coûte 6.000 bolivars, un petit yogourt 1.000. Un ticket de métro coûte entre 300 et 350 bolivars, une bière entre 1.000 et 1.500. Il n’y a pas d’allocations de chômage et les pensions sont une exception. C’est ce qui fait que la discussion sur le socialisme est si importante.

    Mais, comme je l’ai dit, le terme de socialisme a ici beaucoup de significations. Cela vaut également pour ce qu’on appelle la « co-gestion ». Certains y voient ou veulent y voir le contrôle des travailleurs et même la gestion par les travailleurs. Mais ce n’est pas nécessairement ce que le gouvernement entend par là. Ses représentants disent que cela signifie la propriété par l’Etat et l’implication des travailleurs dans la gestion. On en parle aussi comme d’une distribution d’actions et d’un paiement de dividendes aux travailleurs et aux populations locales.

    Une société socialiste signifie plus que de permettre aux travailleurs de se faire entendre et d’avoir mot à dire. Le socialisme signifie un véritable contrôle ouvrier et une gestion par les travailleurs de la production et des moyens de productions.

    Pour préparer un Venezuela socialiste, un programme clair est indispensable. A notre stand au Teatro Teresa Carreno, toutes nos discussions sont centrées sur le socialisme. Nous ne discutons pas qu’avec les participants du festival, mais aussi avec les nettoyeurs, les balayeurs et les gardiens qui travaillent sur place. Tous veulent discuter et sont intéressés à chercher des réponses à leurs questions sur la manière de procéder. Ils souhaitent entendre notre point de vue. Ces discussions sont vraiment excitantes et il y a beaucoup de gens qui sont d’accord avec notre opinion que la question du socialisme est vitale.

    Une fête pour Chavez (12 août)

    Le festival dure depuis quelques jours et de plus en plus il se transforme en une fête massive pour fans de Chavez et de Che Guevara. Il y a des posters de tous les formats montrant Chavez posant face à Bolivar. Il y a des t-shirts avec Chavez, des porte-clés et des petites photos à glisser dans le portefeuille. On peut aussi acheter des discours de Chavez sur CD, des fichus et des bikinis… aux couleurs du drapeau vénézuélien.

    Notre stand est unique en son genre parce qu’il est le seul à l’entrée du Teatro Teresa Carenno à proposer du matériel politique.

    L’enthousiasme pour les changements dans le pays est compréhensible. Mais l’admiration et le soutien sans critique pour Chavez en tant que personne sont autre chose. Chavez est une figure-clé qui peut jouer un rôle décisif, mais il n’est pas seul et il n’est pas infaillible.

    Chavez ne peut pas remplacer l’organisation de la classe ouvrière. En contraste avec l’attitude de beaucoup de Vénézueliens (et je ne parle pas de l’opposition), critiquer Chavez est vu presque comme un acte de blasphème par beaucoup de visiteurs internationaux.

    Beaucoup veulent penser que Chavez est infaillible. S’il commet une erreur, ce sera mis sur le compte de mauvais conseillers. Malheureusement, cette attitude acritique n’aide pas à faire avancer le processus révolutionnaire. Celui-ci a besoin de discussions ouvertes qui permettent de prendre en compte différentes idées et propositions, de les confronter les unes aux autres, de développer des perspectives et, plus encore, de tirer les leçons du passé. La participation active des travailleurs, des jeunes et des pauvres dans la prise de décision est une condition élémentaire. Sans leur participation, il ne pourra y avoir de socialisme véritable et démocratique.

    Au meeting du CIO sur le thème « Qu’est-ce que le socialisme et comment le réaliser ? », un jeune Vénézuélien a expliqué que le Festival ressemblait à un événement destiné à promouvoir le gouvernement. Beaucoup sont contents d’avoir la possibilité de discuter avec nous à notre stand.

    Tous les discours sur l’apolitisme des jeunes ont été démentis une fois de plus. Des jeunes venus de partout dans le monde sont ici pour discuter de politique. Le Festival est aussi l’expression de la solidarité et du soutien à la révolution bolivarienne. Une fois de plus, cela montre clairement que le peuple n’est pas trop mauvais ou trop égoïste pour le socialisme, mais que c’est le capitalisme qui est mauvais pour le peuple.

    Pour le socialisme, mais quel socialisme ? (15 août)

    Aujourd’hui, c’est le dernier jour du festival. Les deux jours précédents s’est tenu le tribunal anti-impérialiste qui a mis en évidence les crimes de l’impérialisme – les guerres contre le Vietnam et l’Irak, la misère et la faim, la répression et les attaques contre les droits démocratiques.

    Des milliers de gens dans la salle et des milliers d’autres dehors sont venus écouter le discours de clôture de Chavez. A côté de nombreuses références historiques à Bolivar, Sandino, Miranda et d’autres encore et de suggestions de livres à lire, Chavez a cité les fameuses paroles de Rosa Luxembourg : Socialisme ou Barbarie. L’enthousiasme avec lequel le socialisme est vu comme une alternative est un développement relativement récent. Après l’effondrement des Etats staliniens à fin des années ‘80, le socialisme était devenu très impopulaire.

    La situation a commencé à changer à nouveau la naissance du mouvement anti-mondialisation et a trouvé son expression dans le slogan « Un autre monde est possible ». Cependant, la signification exacte du mot « autre » n’était pas très claire.

    Depuis lors, beaucoup de choses ont changé. La classe des travailleurs est de retour dans l’arène de la lutte et nous avons assisté à de nombreuses grèves et grèves générales dans de nombreux pays et à de soulèvements et des mouvements insurrectionnels qui ont provoqué la chute de présidents et de gouvernements en Asie, en Afrique, en Amérique Latine et ailleurs.

    La discussion sur ce que peut être « l’autre monde possible » a continué d’avancer. C’est le message que je veux ramener chez moi de ce Festival.

    En 1997, lors du Festival de la Jeunesse à Cuba, la discussion sur le socialisme comme alternative au capitalisme était moins présente. En 2005, à Caracas, il y a presque un consensus sur le fait que le socialisme était l’alternative au capitalisme.

    Chavez a reçu le plus d’applaudissements quand il a fait référence au socialisme. Friedrich Engels a dit en son temps que le socialisme ne marquerait que le commencement de l’histoire de l’humanité. Aujourd’hui, nous nous n’en sommes qu’au début du commencement.

    Mais qu’est ce que c’est exactement le socialisme ? Que veut dire Chavez quand il parle du socialisme du 21e siècle ? Qu’est-ce que les Vénézuéliens et les participants au festival entendent par là ? Il est clair que cela signifie une répartition plus juste des richesses et l’élimination de la misère. Mais, à ce stade, beaucoup n’ont pas une idée plus claire ou plus élaborée de ce que signifie le socialisme.

    Chavez n’est pas plus clair quand il décrit le socialisme du 21e siècle. Il voit comme partenaires tant Fidel Castro (alors qu’à Cuba manque cruellement une démocratie pour les travailleurs) que Lula (dont le parti et le gouvernement sont impliqués actuellement dans un scandale majeur de corruption et qui est confronté à des actions de protestation contre l’application de mesures néo-libérales). Chavez a fait des références positives à Poutine (qui restreint les droits démocratiques et mène une guerre sanglante contre la Tchétchénie) et à l’établissement d’une Zone de Libre Commerce en Amérique Latine.

    Chavez a glissé vers la gauche, mais n’a pas un programme clairement socialiste. Le socialisme ne va pas se réaliser de lui-même. Il faut une progression révolutionnaire consciente vers le socialisme et un renversement actif du capitalisme, sinon le danger existe d’un retour à une politique néo-libérale au Venezuela. Développer un tel programme et travailler au renversement du capitalisme et à la construction d’une véritable société socialiste démocratique est la tâche des socialistes révolutionnaires aujourd’hui.

  • Forum Social Mondial 2005. Chavez parle devant 25000 personnes

    Quatre heures durant, des jeunes ont conflué par milliers vers le stade du Gigantinho ( "Petit Géant" ) sous une chaleur estivale étouffante. La file s’étire aussi loin que l’oeil peut voir, son parcours tracé pour tirer avantage du moindre point d’ombre existant sur le côté: sous des arbres, des auvents de magasin, des portes… Et à mesure que l’heure tourne, on sent le suspense monter.

    Kevin Simpson

    Car ces milliers de gens sont venus pour voir Hugo Chavez, Président du Vénézuela, parler de la rébellion contre le néo-libéralisme et l’impérialisme des USA. Au contraire de la conférence donnée par Lula, un peu plus tôt dans la semaine, où les partisans du PT furent amenés, tous frais payés, ceux qui sont venus ici l’ont fait de leur propre chef, et ce sont des jeunes.

    Et parlant à ceux qui sont venus écouter, on devine bien que la majorité voulait entendre parler de la révolution : une alternative radicale ( mais sans réelle clarté sur comment elle sera réalisée ) pour la lutte contre la brutalité que le capitalisme amène en Amérique Latine.

    Nouvelle generation

    Beaucoup de ces jeunes font partie de la nouvelle génération de militants brésiliens ( et sud-américains ) qui est en train de se former. Ils ont rompu avec toute illusion qu’ils auraient pu avoir concernant Lula et le capitalisme ; ils sont anti-capitalistes et anti-guerre, comme le sont beaucoup de leur génération sur d’autres continents… Mais il y a une différence importante : ils sont passés à travers l’expérience de ce qui a été une rébellion continentale dans les dernières années contre le néo-libéralisme. Dans certains pays, ce mouvement a mis un terme aux privatisations en cours, et engrangé des mouvements d’insurrection massifs venant de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre.

    Et c’est ainsi qu’ils sont entrés en lutte, pas seulement avec de la confiance, de l’énergie et de la vitalité, mais pour une importante fraction d’entre eux, avec une soif d’idées révolutionnaires et socialistes, et un niveau politique développé.

    La conférence de Hugo Chávez qui a eu lieu le 30 janvier était peut-être la conférence la plus importante du FSM. Elle était financée par les dirigeants du CUT ( les chefs de la Fédération des Syndicats brésilienne, corrompue et fort à droite ) et par le Movimento dos Trabalhadores Sem Terra ( MST : la plus grande des organisations des paysans sans-terre au Brésil, bien qu’elle soutienne généralement le gouvernement de Lula, tout en critiquant certaines de ses politiques).

    Hostilité amère

    Cette conférence suivait le discours de Lula, ce qui a encore plus polarisé politiquement les participants au Forum Social. Il était évident que les dirigeants du CUT, surtout, voulaient utiliser l’apparition de Chávez pour tenter de renverser l’hostilité que la plupart des syndiqués et des jeunes radicaux leurs porte. C’est pour cela que le président du CUT était prévu pour faire un discours aux côtés de Chávez, espérant qu’un peu de l’autorité du Président vénézuélien pourrait lui être transmise. Le Gouverneur de l’état de Paraná, Roberto Requião, un partisan de Lula, était aussi invité à parler.

    Des membres du MST présentaient l’événement, mais il était clair qu’il avaient pris en compte le type de public, et étaient conscients que certains des invités pourraient recevoir un mauvais accueil. Et donc, à partir du moment où les gens commencèrent à remplir les sièges, les présentateurs du MST menèrent le jeu avec des slogans révolutionnaires et socialistes.

    La conférence qui se tint au Gigantinho représentait en microcosme la politique brésilienne d’aujourd’hui : une grande polarisation entre ceux qui gardent encore des illusions sur Lula ( encouragés par les dirigeants syndicaux, la bureaucratie du PT et les ONGs ), et une majorité qui se sent absolument trahie par Lula et s’ est radicalisée avec les événements récents sur le continent.

    Quand tous les gradins étaient remplis, d’énormes drapeaux rouges flottaient un peu partout. Un gros groupe de partisans du PSOL prit le côté gauche du stade et commença à chanter des slogans anti-Lula et anti-impérialistes. Et quand les présentateurs lancèrent "Brésil, Vénézuela, Amérique Centrale, la lutte socialiste est internationale", et suivirent par "A bas l’impérialisme, longue vie au socialisme", l’assemblée entière éclata dans un tonnerre approbatif, alors qu’une forme d’électricité politique remplissait l’air et que de nombreuses "olas" étaient lancées par la foule. Cette réponse montre bien comment dans d’autre parties du monde, l’ombre laissée par la chute du Stalinisme parmi la mase de la population, et l’effet qu’elle a eu sur la conscience populaire, sera complètement évacuée par le résultat des luttes massives qui se développeront contre le néo-libéralisme.

    Cependant, la nature radicale de la plupart de la foule devint vraiment évidente pour tout le monde quand un petit groupe de Jeunesse Socialiste ( la section des jeunes du Parti Communiste du Brésil, PCdoB, qui font partie du gouvernement PT et sont perçus comme la "police de la pensée" de Lula ) commença à chanter des slogans pro-Lula et à agiter les drapeaux de leur parti.

    En quelques secondes, une colère bouillante et une hostilité terrible remplit l’air, en même temps que des milliers de gens criaient qu’on les expulse. Le chant s’élevait "Pelego, pelego, pelego", un pelego étant une couverture épaisse que l’on place sous la selle d’un cheval pour mieux le contrôler. Ce terme est utilisé par les travailleurs brésiliens pour décrire les syndicats "jaunes" dont le rôle est de servir d’instruments de contrôle par le patronat.

    Un mur de son accueille l’arivée de Chávez sur la scène. Mais la colère explose encore une fois parmi le public quand le Président du CUT, Luis Marinho, commença à parler. Le CUT est perçu comme un complice de Lula dans sa politique d’attaques sur les droits des travailleurs et sur l’éducation, à travers la législation de réforme syndicale et la réforme sur l’éducation.

    Quand Marinho critiqua le public, qui selon lui s’ attaquait à ceux qui sont contre les privatisations et qui fraternisent avec le mouvement ouvrier qui se bat contre les patrons, sa voix fut noyée par les huements de la presque totalité des quinze mille spectateurs. Il ne reçut aucun répit, malgré son rappel à ceux qui écoutaient que le CUT ést la seule fédération syndicale qui a protesté contre la tentative de coup d’état contre Chávez en 2002. Pour ceux qui venaient d’en-dehors de l’Amérique Latine, voir un bureaucrate d’une telle fédération syndicale se faire accueillir avec une tele hostilité était quelque chose de jamais-vu.

    Le seul autre moment où le public fut presque entièrement à l’unisson dans les slogans fut quand la délégation du PSOL lança ses slogans contre les réformes de l’éducation et des droits syndicaux proposées par le gouvernement Lula.

    Il sembla que Marinho termina son discours plus tôt que prévu, et retourna à la sécurité relative de son siège à côté de Chávez. L’ex-Gouverneur de l’état du Rio Grande do Sul, et ministre actuel dans le gouvernement Lula, Olivio Dutra, eut droit à un traitement un peu meilleur parce que ses compliments constants envers Chávez le protégeait partiellement de cette animosité que Marinho venait de reçevoir, et aussi parce qu’il est vu comme étant plus à gauche que les autres. Le Gouverneur du Paraná n’essaya même pas de parler au public.

    L’atmosphère changea encore du tout au tout quand Chávez entama son discours, vu que le public attendait impatiamment le message de lutte qu’il allait donner. Sans nul doute, Chávez est une figure charismatique et parle avec l’autorité de quelqu’un qui a un soutien massif de la plupart des organisations de travailleurs, des pauvres des villes et de la petite paysannerie du Vénézuela. Par conséquent quand il dit pendant son discours "Je ne suis pas ici en tant que Président du Vénézuela. Je ne me sens pas Président. Je suis seulement Président à cause d’un concours de circonstances particulières. Je suis Hugo Chávez et je suis un militant et un révolutionnaire. Parce que pour rompre avec l’hégémonie du capitalisme et celle des oligarchies, le seul moyen est la révolution", la foule rugit d’applaudissements. Il parle aussi avec le langage de la classe ouvrière, sans peur d’attaquer l’impérialisme américain devant une telle audience.

    Toutefois, Chávez suit tous les autres politiciens populistes, se pliant au public devant lui en prenant et mélangeant un peu toutes les formes d’idéologies politiques pour se présenter comme un « mélange » devant tout le monde.

    Pendant la première partie de son discours, il mentionna la plupart des rébellions contre le colonialisme et l’impérialisme sur le continent sud-américain, des guérillas des peuples inidgènes du 16ème siècle, jusqu’à Fidel Castro. Il répéta même quelques commentaires sur Jésus-Christ, qui selon lui, fut le plus grand révolutionaire de tous les temps.

    Il insita sur le combat des continents du Sud contre le Nord riche. Malheureusement, il ne posa pas cette question dans un contexte de lutte de classe internationale, et cita le travail du groupe des nations non-alignées dans les années 60 et 70 comme un exemple de ce qui pourrait être organisé au sein des nations d’Amérique du Sud à l’heure actuelle.

    Durant cette partie de ses commentaires, il cita Mao, disant "Il est important dans la lutte de connaître ses amis et ses ennemis". Les membres de Socialismo Revolucionario ( la section brésilienne du CWI ) ont expliqué après la conférence que ceci était une critique implicite du public qui avait attaqué le chef du CUT. Ce qui est important est que même Chávez n’était pas préparé à faire cette critique de manière explicite.

    La dernière partie du discours de Chávez fut peut-être son intervention la plus radicale face à un public de ce type. Mais tout militant qui réfléchit par après à ces commentaires réalisera que parmi tous les points valides de Chávez, les parties radicales de son discours apparaissaient enrober les commentaires beaucoup plus douteux qu’il exprima.

    Ses conclusions sur les effets de la chute du Stalinisme étaient à leur base identique à ceux que les marxistes ont tirées depuis la chute du Mur, et il lança un commentaire passionné sur le réchauffement climatique.

    Il continua jusqu’à citer Trotsky, disant que le coup d’état envers lui illustrait bien le point mentionné par ce chef de la Révolution Russe : "chaque révolution a besoin du fouet de la contre-révolution". Toutefois, ceci n’est pas la fin de la question. Car Hugo Chávez a fait face à au moins trois sérieuses tentatives de le renverser, qui ont été contrées par les masses. Mais tant que la révolution n’est pas amenée jusqu’à sa conclusion par l’adoption d’un régime socialiste et le renversement du capitalisme, la contre-révolution frappera à nouveau, et vaincra si le capitalisme n’est pas mis à bas.

    Mais il parla aussi de sa relation très proche avec le gouvernement chinois et le colonel Kadafi, et félicita Poutine pour sa résistance à l’impérialisme américain. Dans une des parties les plus importantes de son discours, il expliqua qu’il n’y a seulement deux alternatives : capitalisme et socialisme. Le capitalisme peut seulement être transformé par un socialisme véritable: une société juste et équitable, mais cela ne peut être réalisé que par la démocratie. Mais nous devons clarifier ce que pour nous signifie la démocratie, et ce n’est pas celle que pratique Bush".

    Les derniers commentaires de Chávez montrèrent une tentative d’utilisation d’une rhétorique radicale, afin de préparer le terrain à un compliment envers Lula, lorsqu’il déclama "Il y a des gens dans mon pays. De braves gens, mais des gens qui disent que je ne vais pas assez vite, ou que je ne suis pas assez radical. Mais ces camarades doivent réaliser que ceci est un processus, un processus avec des stades et un rythme. Souvenez-vous que nous nous attaquons à un système mondial, ce qui est une grosse tâche. Je sais que je cours un risque de me faire huer, mais lula est un brave type, et un ami."

    Et Chávez fut hué, mais ceci fut partiellement noyé sous les applaudissements qu’il reçut à la fin de son discours.

    Les militants les plus conscients qui quittèrent la conférence ont dû remarquer que le discours de Chávez contenait plus d’éléments radicaux que d’habitude. Malgré cela, ils ont dû aussi remarquer qu’il manquait d’explications réellement révolutionnaires et socialistes quant à comment le capitalisme pourrait être vaincu au Vénézuela et à travers le continent.

    Les membres du CWI au Forum Social savaient que le nombre de personnes à la conférence de Chávez serait énorme : c’est là que se trouveraient tous ceux qui cherchaient des idées radicales au Forum. Par conséquent nos membres arrivèrent à l’entrée quatre heures avant le début de la conférence pour monter des stands, distribuer des tracts et vendre des journaux. Notre but était de discuter avec autant de gens que possible au sujet des tâches par lesquelles la révolution vénézuelienne pourrait arriver à sa conclusion.

    Alors que d’autres partis de gauche avaient leur matériel à proximité, le travail de campagne du CWI avant la conférence était le plus visible de loin. Des équipes du CWI marchaient le long de la file dicutant avec les gens et distribuant le matériel. En tout, 200 livrets de la version espagnole "Les Socialistes et la Révolution Vénézuelienne" par Tony Saunois, c’est-à-dire tous ceux que nous avions imprimés, furent vendus. Dans certains cas, des jeunes en achetaient un, puis revenaient avec leurs amis pour en obtenir d’autres. 6000 tracts furent distribués avant, pendant, et après la conférence.

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop