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Tag: Economie
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Où va la reprise ? Le spectre de l’inflation menace d’une nouvelle crise

Il y a beaucoup à dire sur le rebond économique dit “post-pandémie”. Les chiffres semblent impressionnants, mais les signaux d’alerte sont nombreux. Les inégalités entre riches et pauvres atteignent de nouveaux sommets, ce qui a pour effet d’attiser les tensions sociales existantes et d’en créer de nouvelles. La flambée des prix des denrées alimentaires provoque de nouvelles explosions sociales. Le capitalisme a fait preuve d’une lenteur désastreuse, d’inégalités et d’inefficacité dans la distribution des vaccins, ce qui a entraîné des formes de virus plus contagieuses et plus résistantes aux vaccins. Les pressions inflationnistes pourraient contraindre les banques centrales à resserrer leur politique monétaire et replonger l’économie dans la récession. En outre, il y a les nombreux défis qui existaient déjà avant la pandémie et qui sont devenus plus grands, plus imminents et plus urgents : les points de basculement écologiques, la nouvelle guerre froide, l’accumulation de la dette, le manque d’investissements dans la capacité de production, etc.Par Eric Byl, Exécutif international d’ASI
Il n’est donc pas étonnant que le Fonds monétaire international (FMI) prévienne que ces risques pourraient revoir à la baisse ses prévisions de « référence globale » (6 % de croissance mondiale en 2021 et 4,9 % en 2022). L’appel du FMI aux banques centrales pour qu’elles ne resserrent pas leur politique monétaire à moins qu’une inflation persistante ne les y oblige illustre également son manque de confiance.
Les chiffres de croissance semblent impressionnants, mais ils doivent être replacés dans leur contexte. Ils interviennent après une contraction de 3,2 % de l’économie mondiale en 2020, la pire depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette croissance est également alimentée par des changements historiques dans la politique économique capitaliste, avec des interventions monétaires (création de monnaie) et fiscales (dépenses budgétaires) massives s’élevant à 16 % du PIB en moyenne dans les pays capitalistes avancés (27 % si l’on inclut les prêts, les fonds propres et les garanties). Les chiffres correspondants pour les pays “émergents” et à faible revenu étaient respectivement de 4 à 6,5% et de 1,5 à 2% du PIB. Selon le FMI, début juillet 2021, pas moins de 16.500 milliards de dollars avaient été dépensés par les gouvernements du monde entier pour lutter contre la pandémie. Dans cette optique, les chiffres de croissance du FMI sont en fait décevants.
Les capitalistes et leurs représentants politiques ont compris la nécessité d’un changement drastique de politique pour sauver leur système de l’implosion et tenter de conjurer les bouleversements sociaux. Pendant la Grande Dépression de 1929, il leur a fallu 4 ans pour passer du “laissez faire” (marché libre) à une politique plus interventionniste de la part de l’État, avec le New Deal. Au cours de ces 4 années, le PIB américain avait diminué de 25 %, le chômage avait atteint 25 %, des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées sans abri et des bidonvilles appelés “Hoovervilles” (du nom du président Hoover) sont apparus un peu partout.
Sous Hoover, la dette publique américaine est passée de 16 % du PIB en 1929 à 40 % en 1933. Ces chiffres peuvent sembler raisonnables selon les normes d’aujourd’hui, mais à l’époque, les revenus annuels du gouvernement fédéral américain ne représentaient que 4 % du PIB, contre environ 30 % aujourd’hui. Le rapport entre la dette fédérale et le revenu fédéral annuel a augmenté de manière exponentielle. L’année suivant le début du New Deal de Roosevelt, l’économie américaine a rebondi de 10,8 % et a continué à croître à un rythme comparable pendant 3 années consécutives avant que la dépression ne revienne. Le New Deal a permis de gagner du temps, mais tous les problèmes sous-jacents sont restés sans solution, jusqu’aux destructions et aux dépenses massives de la Seconde Guerre mondiale et de son issue, qui ont tout changé.
Il semble que les économies des pays capitalistes avancés atteindront les niveaux de PIB d’avant la crise plus tôt que prévu. La Chine y est parvenue l’année dernière et les États-Unis au cours du premier trimestre de cette année. Le PIB de la zone euro est toujours inférieur de 3 % aux niveaux d’avant la crise, mais sa croissance a pour la première fois dépassé celle de la Chine et des États-Unis. Elle pourrait rattraper son retard d’ici la fin de l’année : la France devrait connaître une croissance de 6 %, l’Italie de 5 %, la Roumanie de 7,4 % et l’Allemagne, plus touchée que les autres pays européens par les pénuries de matériaux intermédiaires, de 3,6 %. Selon le FMI, la croissance des pays capitalistes avancés aura compensé toutes les pertes liées à la pandémie à la fin de 2022. C’est à dire, si les nouvelles variantes de Covid-19 sont maîtrisées. Nous avons déjà vu comment, lorsque Morgan Chase a abaissé ses prévisions de croissance pour la Chine au troisième trimestre de 5,8 % à 2,3 % en raison de la variante “Delta”, des ondes de choc ont été envoyées sur le marché boursier américain.
Des lignes de faille qui creusent les inégalités mondiales
Dans les économies “émergentes”, le rattrapage sera beaucoup plus long, et encore plus dans les pays à faible revenu. À tel point que le FMI prévient que la reprise mondiale sera coupée en deux par la “ligne de faille de l’accès aux vaccins”, et reconnaît que près de 80 millions de personnes supplémentaires devraient entrer dans l’extrême pauvreté en 2020-21 par rapport aux projections antérieures à la pandémie. Selon le FMI, les pays à faible revenu auront besoin d’au moins 200 milliards de dollars de dépenses supplémentaires pour lutter contre la pandémie et encore 250 milliards de dollars pour retrouver leur trajectoire de croissance économique d’avant la pandémie.
Alors que 40 % de la population des économies avancées a été entièrement vaccinée, ce chiffre est inférieur de moitié dans les économies “émergentes”, et seulement 2 % dans les pays à faible revenu. Les interventions fiscales importantes dans les économies avancées par rapport aux pays émergents et à faible revenu ont également creusé davantage l’écart de richesse. Les inquiétudes suscitées par cette réalité ont conduit le FMI à créer de l’argent frais, par le biais de ce que l’on appelle les “droits de tirage spéciaux”, pour un montant de 650 milliards de dollars. Toutefois, plus de 50 % de cette somme ira aux économies avancées, 42 % aux économies émergentes et à peine 3,2 % aux pays à faible revenu. Elle augmentera cependant d’au moins 10 % les réserves détenues par l’Argentine, le Pakistan, l’Équateur et la Turquie. Bien qu’elle soit présentée avec de belles paroles, l’objectif principal mal dissimulé de cette politique est de tenter de soutenir la stabilité financière en évitant aux investisseurs/spéculateurs privés et publics de subir des pertes à la suite de défauts de paiements de dettes souveraines.
La menace de l’inflation
Entre-temps, la reprise mondiale a fait grimper les prix du pétrole de près de 70 % par rapport à leur niveau le plus bas de 2020, et celui des produits de base non pétroliers de près de 30 %, notamment les métaux et les denrées alimentaires en raison des pénuries. Cette situation est en soi une source d’agitation sociale, surtout si elle s’ajoute à la pandémie qui fait rage, comme nous l’avons vu en Tunisie, en Afrique du Sud et à Cuba. La dépréciation de la monnaie a également fait grimper le prix des importations, ce qui a encore aggravé l’inflation. Certains pays “émergents”, dont le Brésil, la Hongrie, le Mexique, la Russie et la Turquie, ont déjà été contraints de commencer à resserrer leur politique monétaire pour contrer les pressions à la hausse sur les prix.
Dans les pays capitalistes avancés, la reprise s’est faite au prix d’une augmentation de la dette publique de 20% en moyenne et de plus d’un triplement des déficits budgétaires, ainsi que d’une expansion gigantesque des soldes des banques centrales. Avec les deux grands programmes de dépenses de Biden, la question se posait des risques que les économies “surchauffent” et que l’inflation devienne incontrôlable. Aux États-Unis, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 5,4 % en juin, après une hausse de 5 % en mai. L’indice des prix à la production a augmenté de 7,3 % en juin, un record sur 13 ans. La demande explose à mesure que les économies s’ouvrent, alors que de nombreuses entreprises manquent de matériaux pour répondre à la demande. La fin des moratoires sur les loyers et les hypothèques aux États-Unis ainsi que la fin de la réduction de la TVA en Allemagne alimentent encore ces pressions inflationnistes. La hausse des prix exerce une pression sur le niveau de vie de la classe ouvrière et des ménages pauvres.
À ce stade, le FMI, les banques centrales et la plupart des économistes traditionnels considèrent que cette poussée de l’inflation est un phénomène temporaire qui retombera à des niveaux pré-pandémie en 2022. Ils estiment en effet que les marges de manœuvre du marché de l’emploi restent importantes, même si certains secteurs souffrent de pénuries et de difficultés d’embauche. Ils estiment que les tendances inflationnistes reposent sur des facteurs temporaires et que d’autres facteurs structurels, tels que l’automatisation, ont réduit la sensibilité aux prix.
Théories néolibérales et keynésiennes de l’inflation
En d’autres termes, les économistes traditionnels ont abandonné la thèse unilatérale et fondamentale du monétarisme (un concept central aux idées du “néolibéralisme”), selon laquelle la masse monétaire détermine les prix des biens et des services et l’inflation survient lorsque la masse monétaire augmente plus rapidement que la production. En fait, en 2020, la masse monétaire a augmenté de plus de 25 %, mais la plupart de ces fonds ont été thésaurisés ou utilisés pour la spéculation. En conséquence, l’énorme augmentation de la masse monétaire a été largement compensée par la baisse de la vitesse de circulation monétaire. Les prix des biens et services n’ont donc à ce stade pas reflété l’énorme création monétaire.
L’autre théorie dominante de l’inflation est la thèse keynésienne de la “poussée par les coûts”. Cette thèse affirme que l’inflation est due aux salaires, le résultat d’un faible taux de chômage et d’une forte demande de main-d’œuvre par rapport à l’offre, ce qui entraîne une hausse des salaires qui, à son tour, fait augmenter les prix, ce que l’on appelle la spirale salaires-prix. Les keynésiens se réfèrent souvent à la “courbe de Phillips”, selon laquelle un taux de chômage élevé entraîne une déflation des prix, tandis qu’un taux de chômage faible provoque une inflation. Toutefois, dans les années 1970, contrairement à la courbe de Phillips, l’inflation et le chômage ont augmenté simultanément, ce que l’on a alors appelé la “stagflation”. Après la récession de 2008/9, le chômage dans les principales économies est tombé à des niveaux historiquement bas, tandis que les augmentations de salaires sont restées faibles, tout comme l’inflation des prix.
Marxisme, valeur et inflation
Marx n’a jamais formulé une théorie complète de l’inflation. Il affirmait que la monnaie représente la “valeur d’échange”, ou la quantité de travail nécessaire pour produire des biens et des services. Ce n’est pas la masse monétaire qui détermine les prix, mais bien l’inverse. Il ne s’agit pas de nier que l’offre et la demande, la formation de cartels, la lutte des classes, etc., interfèrent avec la fixation des prix, mais le facteur fondamental qui détermine les prix est la quantité moyenne de temps de travail socialement nécessaire pour la production et la transformation des biens et services. D’autres facteurs peuvent pousser les prix en dessous ou au-dessus de la valeur réelle (d’échange), mais toujours de manière temporaire.
Marx rejette également l’idée que les augmentations de salaires sont la cause de l’inflation. Dans Valeur, Prix et Profit, il affirme : “une lutte pour une augmentation des salaires ne fait que suivre des modifications antérieures, qu’elle est le résultat nécessaire de fluctuations préalables dans la quantité de production, dans les forces productives du travail, dans la valeur du travail, dans la valeur de l’argent, dans l’étendue ou l’intensité du travail soutiré, dans les oscillations des prix du marché qui dépendent de celles de l’offre et de la demande et qui se produisent conformément aux diverses phases du cycle industriel; bref, que ce sont autant de réactions des ouvriers contre des actions antérieures du capital. Si vous envisagez la lutte pour des augmentations de salaires indépendamment de toutes ces circonstances et en ne considérant que les variations des salaires, si vous négligez toutes les autres variations dont elle découle, vous partez d’une prémisse fausse pour aboutir à de fausses conclusions.”
Contrairement aux différentes “écoles économiques” du capitalisme, Marx n’a pas isolé une ou quelques caractéristiques symptomatiques (masse monétaire, coûts salariaux,…) pour en faire la cause première de tout, mais a abordé l’économie comme un jeu global de forces contradictoires.
Dans sa Mise à jour des Perspectives de l’Économie Mondiale, le FMI semble confirmer involontairement ce constat. Il souligne le fait que la croissance des salaires est globalement stable jusqu’à présent et que, malgré une récente hausse de la croissance des salaires aux États-Unis, les salaires des individus n’indiquent pas une pression plus large sur le marché du travail et que les données du Canada, de l’Espagne et du Royaume-Uni montrent des modèles similaires de croissance des salaires globalement stable. En d’autres termes, s’il existe une “poussée des coûts” à ce stade, elle ne provient pas des salaires, mais des entreprises qui augmentent leurs prix, en partie en raison de la hausse du coût des matières premières, des produits de base et d’autres éléments, en partie en raison des perturbations causées par le Covid, et en partie pour tenter d’accroître leurs bénéfices. Si nous examinons la situation d’un point de vue plus large, la part du travail dans le PIB des pays capitalistes avancés a diminué depuis des décennies. Aux États-Unis, elle est passée d’une moyenne de 63 % dans les années 1950 et 1960 à 57 % au cours de la dernière décennie. Les salaires ne peuvent donc pas être tenus pour responsables des hausses de prix. En effet, si les salaires étaient restés au même niveau depuis les années 1960, les travailleurs américains auraient gagné collectivement mille milliards de dollars supplémentaires chaque année.
Pour le FMI, le processus d’automatisation est un facteur essentiellement déflationniste ou, selon ses termes, un facteur de “réduction de la sensibilité aux prix”. Marx a expliqué cela plus clairement et plus longuement. Il a montré que les capitalistes, pour surpasser leurs concurrents, utilisent la “plus-value” (essentiellement le travail non rémunéré des travailleurs pris comme profits par les patrons) pour augmenter la productivité en installant des technologies meilleures et plus efficaces. En conséquence, le temps de travail requis par unité de production tend à diminuer. Ainsi, alors que l’offre de biens et de services a tendance à augmenter, la valeur réelle – la quantité de travail moyenne dépensée dans la production – de chaque produit ou service diminue parallèlement à l’augmentation de la productivité du travail. Cela explique pourquoi les prix des produits de base ont une tendance inhérente à la baisse et non à la hausse. Les capitalistes tentent de contrecarrer cette tendance et son impact sur le taux de profit par une exploitation accrue des travailleurs et par des moyens monétaires.
Pour les travailleurs, la baisse des prix ou la déflation augmente leur pouvoir d’achat et leur épargne, mais pour les capitalistes, elle réduit leurs bénéfices, rend le remboursement des dettes plus difficile et rend les investissements productifs moins intéressants. Ils considèrent qu’une inflation contrôlée est “saine” car elle augmente les profits, rend le remboursement des dettes plus supportable, érode les salaires et stimule la consommation. Récemment, Kenneth Rogoff, ancien économiste en chef du FMI, a déclaré qu’”un peu d’inflation n’est pas une mauvaise chose”. Il affirme qu’après la crise financière de 2008, les banques centrales auraient dû adopter des taux d’intérêt négatifs et permettre une inflation de 4 à 6 % pendant quelques années. Il se dit désormais en faveur d’un objectif d’inflation de 3 % (au lieu des 2 % de la Fed) et cite favorablement son prédécesseur Olivier Blanchard qui plaidait en 2010 pour que les objectifs d’inflation soient portés à 4 %.
L’inflation est difficile à gérer
Par inflation “saine”, on entend un taux légèrement supérieur aux taux combinés de croissance de la productivité et de la main-d’œuvre. Jusqu’au milieu et à la fin des années 1970, dans les pays capitalistes avancés, un taux de 4 % était considéré comme sain, puis, lorsque la croissance de la productivité a ralenti, un taux de 2 % est devenu l’objectif d’inflation généralement admis. Kenneth Rogoff plaide en fait pour un élargissement de la marge entre l’inflation et les augmentations de productivité dans l’espoir que cela permettra non seulement de réduire le fardeau de la dette et d’augmenter la demande, mais aussi de stimuler la production. Le problème est que l’inflation est difficile à gérer.
Au cours des 20 dernières années, les banques centrales n’ont pas réussi à atteindre leur objectif de 2 %, en partie parce qu’elles craignaient une répétition du début des années 1970, lorsqu’elles avaient complètement perdu le contrôle, ce qui avait entraîné ce que l’on appelait alors le piège de la stagflation, c’est-à-dire une stagnation économique combinée à une inflation à deux chiffres ou galopante. Il a fallu une combinaison d’attaques brutales contre le mouvement ouvrier et un fort freinage de la masse monétaire (qui a provoqué une nouvelle récession) pour que les capitalistes trouvent une issue. Au Royaume-Uni, Thatcher a augmenté les taux d’intérêt réels entre 1979 et 1982 de -3% à 4% et le chômage a grimpé en flèche de 5% à 11% en 1983. Volcker, alors président de la Fed aux Etats-Unis, a fait passer les taux d’intérêt réels de taux négatifs à 5%, et le chômage a doublé en 3 ans pour atteindre 10%, mais l’inflation a diminué de 13% à 3%. Le néolibéralisme est alors devenu la politique dominante pour toute une ère historique.
Comme nous l’avons souligné précédemment, cela n’est plus tenable. Dans la crise actuelle, les capitalistes et leurs représentants dans les banques centrales et les gouvernements n’avaient d’autre choix que de recourir à des mesures plus interventionnistes. Cela ne leur plaisait pas, mais c’était nécessaire pour éviter un désastre économique encore plus grand qui aurait pu menacer leur système. Mais ils le font avec le spectre de la perte de contrôle dans un coin de leur tête.
Les biens et services, y compris les biens de production (machines, matières premières, usines et bureaux) sont généralement vendus une fois ou quelques fois seulement pour être consommés et sortent rapidement de la circulation. Ils sont rarement thésaurisés et leur vélocité – le nombre de fois qu’ils entrent et sortent de la circulation – est limitée, facile à tracer et à contrôler. Ce n’est pas le cas de la monnaie. La même quantité d’argent peut entrer et sortir de la circulation plusieurs fois, passer d’un propriétaire à l’autre ou simplement être thésaurisée et ne pas circuler du tout. Avec la masse monétaire, la vélocité est un facteur beaucoup plus capricieux, la thésaurisation peut empêcher l’argent d’entrer en circulation, mais lorsque l’activité reprend et que l’argent commence à rouler, son “effet multiplicateur” peut facilement devenir exponentiel.
C’est ce contre quoi Nouriel Roubini, alias Dr. Doom (Docteur Malédiction), met en garde, en ce qui concerne l’inflation. Il est difficile d’avoir un avis tranché sur la question. À ce stade, les tendances déflationnistes semblent toujours plus dominantes, mais l’économie marche sur une corde raide et de nombreux facteurs pourraient faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre. M. Roubini souligne l’évidence : les ratios d’endettement sont aujourd’hui près de trois fois plus élevés que dans les années 1970. Or, l’accroissement de la masse monétaire combiné aux chocs de l’offre pourrait déclencher l’inflation ; d’un autre côté, le remboursement de la dette est encore relativement bon marché, les taux d’intérêt étant historiquement bas et maintenus par les banques centrales.
L’accroissement de la masse monétaire a cependant alimenté des bulles d’actifs et de crédit avec des ratios cours/bénéfices élevés, de faibles primes de risque et des actifs technologiques gonflés. Elle a également stimulé la crypto-mania irrationnelle, les dettes d’entreprise à haut rendement, les “meme stocks” (actions qui connaissent des changements soudains et spectaculaires en raison de l’engouement sur les médias sociaux), etc. Cela peut culminer dans ce que les économistes appellent un moment Minsky, une perte soudaine de confiance, et conduire à la panique déclenchant un crash.
Il y a dix ans, les prix des denrées alimentaires sont devenus incontrôlables lorsque les spéculateurs ont inondé le marché à terme. Cela a conduit à des émeutes de la faim et a constitué un élément important de ce qui est devenu le “printemps arabe”. La répétition d’un tel scénario, surtout en période de pénurie créant de nombreuses opportunités spéculatives, est parfaitement imaginable, mais ses effets seraient encore plus désastreux dans le contexte de catastrophes climatiques, de marchés financiers surévalués et d’une pandémie qui fait rage.
On parle également de “fièvre immobilière”, car les prix de l’immobilier ont bondi de 9,4 % dans les pays de l’OCDE au cours du premier trimestre de 2021. Aux États-Unis, en avril, les prix des logements ont atteint leur plus forte croissance depuis 30 ans. Les faibles coûts d’emprunt, la pénurie de l’offre, la hausse des prix de la construction et le fait que les personnes aisées recherchent des propriétés plus grandes en sont les causes. Les prix de l’immobilier augmentent à un rythme bien plus rapide que les revenus, ce qui accroît encore les inégalités. Fannie Mae, l’association fédérale américaine du logement, affirme que des prêts hypothécaires plus importants entraîneront une hausse des loyers et de l’inflation générale.
Catch 22
Si l’inflation devait augmenter davantage à moyen ou à long terme, les banques centrales se trouveraient dans une situation d’impasse “catch 22”: l’inflation pourrait atteindre un taux à deux chiffres si elles poursuivent leur politique d’accroissement de la masse monétaire et se retrouver dans un piège de stagflation. Dans les pays dont la dette publique est principalement libellée en monnaie nationale, la dette publique deviendra d’abord plus supportable. Dans les pays dont la dette publique est libellée en devises étrangères (dont bon nombre des pays les plus endettés d’Afrique et d’Amérique latine), ce ne sera pas le cas et un nombre croissant de ces pays risqueront de faire défaut et devront restructurer leur dette. Cela pourrait provoquer une chaîne de défauts de paiement, ce qui aggraverait les tensions internationales et pousserait au protectionnisme.
Les dettes privées verraient également leurs spreads s’envoler par rapport aux obligations d’État plus sûres et la hausse de l’inflation ferait augmenter les primes de risque d’inflation. Environ un cinquième des entreprises américaines, et encore plus en Europe, sont considérées comme des entreprises zombies, ce qui signifie qu’elles seraient incapables d’assurer le remboursement de leurs dettes si elles n’avaient pas accès à de l’argent bon marché. Si cette source se tarissait, nombre d’entre elles feraient faillite et entraîneraient avec elles une chaîne de faillites.
En revanche, si les banques centrales devaient réduire leurs interventions et augmenter les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, une crise massive de la dette, une chaîne de défauts de paiement et de faillites et une profonde récession seraient à portée de main. C’est pourquoi le FMI met en garde contre un resserrement monétaire prématuré. Il est désormais admis que la Banque centrale européenne a commis une erreur majeure en relevant ses taux d’intérêt trop tôt après la récession de 2008/2009. Elle a récemment revu sa politique, passant d’un objectif d’inflation de 2 % ou moins à une politique qui accepte que l’inflation puisse dépasser modérément cet objectif pendant un certain temps. Cela peut être interprété comme anecdotique, mais il s’agit en fait d’un changement majeur par rapport aux principes fondateurs de la BCE et à l’idée de la Bundesbank allemande de faire de la stabilité des prix la priorité absolue. Ce principe a été défendu sans relâche par l’establishment allemand, même au prix de l’imposition d’une contraction de 25 % de l’économie grecque après la grande récession de 2008/9, qui a causé des difficultés incommensurables à sa population. Il n’est pas exagéré de dire que cette politique a largement contribué à l’impréparation des services de pompiers grecs face aux incendies mortels qui y ont récemment fait des ravages.
La Fed américaine semble devancer la BCE en déclarant “une politique qui compense l’incapacité passée à atteindre l’objectif d’inflation”, ce qui signifie que la Fed cherchera activement à pousser l’inflation au-dessus de son objectif. Bien que ce ne soit pas l’intention déclarée de la BCE et que cela provoquerait certainement des désaccords majeurs, notamment avec la Bundesbank, nous pouvons néanmoins nous attendre à ce que sa politique ne soit pas si éloignée de celle de la Fed si la zone euro est frappée par des chocs similaires.
Un coup de pied dans la fourmilière
Le scénario le plus probable est que les banques centrales et les gouvernements continuent à appliquer des politiques plus souples, mais peut-être de manière plus ciblée et avec l’intention de les réduire progressivement, avec beaucoup de prudence et probablement pas sans désaccords et revirements réguliers. En effet, il faudra le faire dans des circonstances extrêmement difficiles. Logiquement, la pandémie aurait dû donner lieu à une plus grande coopération internationale, mais le capitalisme a complètement échoué. Les équipement de protection, les tests et les respirateurs ont été militarisés pour servir les intérêts nationaux, puis nous avons vu apparaître la “diplomatie du vaccin” et l’”impérialisme du vaccin”. Les tendances au protectionnisme n’ont pas été inversées mais renforcées. Les gouvernements nationaux ont été poussés à rechercher une plus grande autosuffisance. De nouveaux chocs d’approvisionnement résultant du protectionnisme et stimulant l’inflation ne sont pas devenus moins, mais plus susceptibles de se produire.
Cette situation sera aggravée par le vieillissement de la population dans les économies avancées et émergentes ainsi que par des restrictions plus strictes en matière d’immigration, d’autant plus qu’un nombre croissant de pays à faible revenu seront confrontés à des catastrophes sanitaires, à l’implosion économique, à des guerres et des guerres civiles ainsi qu’à la catastrophe climatique. La rivalité entre les impérialismes américain et chinois pour l’hégémonie mondiale s’est transformée en une guerre froide totale, qui pourrait parfois devenir chaude. Les alliances seront instables, certaines petites puissances profitant de l’impasse entre les deux forces impérialistes dominantes pour réaliser leurs propres ambitions impérialistes régionales. Un monde moins sûr et plus instable s’annonce, menaçant de fragmenter l’économie mondiale et de rendre les chaînes d’approvisionnement moins fiables, avec de nouveaux chocs à venir.
Bien qu’il y ait une certaine reconnaissance de la nécessité de la transition écologique, le plan d’infrastructure de Biden n’a pas grand-chose à voir avec cela et vise principalement à ne pas être dépassé par la Chine. Les guerres technologiques et cybernétiques sont déjà bien engagées. Il n’y a aucune chance que le récent rapport du GIEC sur le changement climatique fasse ce que la pandémie n’a pas réussi à faire : agir comme un signal d’alarme pour convaincre les capitalistes du monde entier de mettre de côté leurs intérêts nationaux pour une coopération internationale.
Aucun capitaliste ne renoncera volontairement à polluer s’il n’est pas bien compensé par des fonds publics qui seront finalement payés par les travailleurs et leurs familles. Le défi climatique exige le libre échange des connaissances et des technologies, la coopération internationale, la planification démocratique et des plans massifs d’investissements publics dans la transition écologique. Les intérêts privés et le mercantilisme, ingrédients clés de l’économie de marché, ne peuvent contribuer à cette solution, mais constituent le principal obstacle qui s’y oppose.
On ne peut pas conclure avec certitude que la tendance déflationniste, qui est encore dominante aujourd’hui, sera suffisamment forte pour repousser les pressions inflationnistes dans les pays capitalistes avancés. Il y a trop de failles qui pourraient faire pencher la balance. Si l’inflation passe à deux chiffres, elle provoquera une résistance de masse. Il faut considérer le mouvement des Gilets jaunes en France en 2018 comme une mise en bouche. Mais même si les capitalistes parviennent à contenir la menace immédiate d’une crise inflationniste, cela ne résoudra pas non plus les grands problèmes systémiques sous-jacents. Les revendications sur les conditions de travail et les salaires, ainsi que les mouvements d’opposition à l’oppression et sur la catastrophe climatique se développeront encore…
Une chose est sûre, l’illusion selon laquelle on peut s’en remettre à la sagesse du marché et réduire le rôle des banques centrales et des gouvernements à celui de simples technocrates “gérant” la société appartient au passé. L’idée de l’”indépendance” des banques centrales date d’une autre époque et les gouvernements seront contraints, qu’ils le veuillent ou non, de poursuivre des politiques plus interventionnistes. Il ne sera plus possible pour l’establishment de prétendre que la société a dépassé toute idéologie et que la gérer n’est qu’une question de techniciens intelligents.
Au contraire, la politique réaffirmera sa primauté et, avec elle, la lutte idéologique sur les choix politiques s’épanouira. Les temps seront difficiles pour le “centre” politique, car la polarisation augmentera. La fausse illusion d’être ni de gauche, ni de droite, qui a toujours signifié en fin de compte que l’on acceptait fondamentalement la politique de droite existante, se dissipera. Des problèmes majeurs, insolubles dans le cadre de la société capitaliste, stimuleront la recherche de solutions plus radicales. Les forces populistes de droite tenteront d’exploiter ce phénomène. Il serait illusoire de penser que le réformisme ou le “populisme” de gauche peuvent y répondre. Seule une attitude sérieuse en matière d’analyse, de perspectives, de programme et d’organisation peut offrir une issue socialiste internationaliste à la décadence du capitalisme.
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Retour sur la Grande Dépression et les soulèvements ouvriers en Belgique
La Grande Dépression qui a suivi le crash boursier de 1929 a également frappé notre pays avec des répercussions désastreuses pour les travailleurs et leurs familles. Ces derniers ont été amenés à riposter. Démunis face à la crise et sans solution dans cette situation, les dirigeants syndicaux et du parti socialiste (le POB) ont freiné les grèves et la contestation. Cela a conduit à des débordements d’autant plus intenses.Par Geert Cool
La Grande Dépression en Belgique
Après la Première Guerre mondiale, la demande croissante de charbon et le pillage du Congo avaient permis la reprise de l’économie, au côté de l’effet des mesures sociales imposées par le mouvement ouvrier qui était sorti renforcé de la guerre. Le plein emploi fut atteint en 1924 et, en 1925, l’économie était revenue à son niveau de 1914.
Tous les éléments qui ont conduit à la Grande Dépression (l’instabilité sous-jacente du capitalisme due à la baisse du taux de profit, les pertes et dettes résultant de la guerre, la perturbation du commerce mondial, les tensions inter-impérialistes, la spéculation, etc.) jouaient également en Belgique, pays exportateur par excellence. La chute du commerce mondial mit directement l’économie belge sous une intense pression. La production a stagné en 1929 mais, à partir du milieu des années 1930, on assista à une contraction de l’économie et la récession est arrivée. Elle fut d’autant plus dure que les mesures adoptées dans les pays voisins pour soutenir leurs propres économies avaient négativement impacté l’économie belge.
Les conséquences sociales furent désastreuses. En 1932, environ un Belge sur trois était totalement ou partiellement au chômage. En 1932, jusqu’à 40 % des mineurs connaissaient le chômage au moins un ou deux jours par semaine. Parallèlement, les loyers ont très rapidement augmenté. Le budget des ménages était en outre impacté par des mesures telles que les taxes supplémentaires instaurées sur l’importation de farine, par exemple, ce qui a fait exploser le prix du pain.
Le parti social-démocrate POB (Parti ouvrier belge) considérait la récession comme un déséquilibre temporaire entre la production et la consommation et estimait que le mouvement ouvrier devait serrer les dents et simplement endurer la situation. Ainsi, en août 1930, le député liégeois du POB Dejardin écrivit : “La classe ouvrière doit se préparer à une période très difficile, au cours de laquelle elle devra subir des baisses de salaire. Le mot d’ordre des travailleurs doit être : prudence, réflexion et renforcement de l’organisation syndicale. Surtout, n’oubliez pas qu’en temps de crise, les grèves, et certainement les mouvements spontanés, sont plus dangereux pour la classe ouvrière que pour la classe capitaliste”.
Le POB a préféré éviter que le gouvernement tombe. Le parti craignait par-dessus tout de devoir lui-même participer à un gouvernement impopulaire. Les dirigeants syndicaux faisaient également appel à la prudence. Eux aussi étaient dépourvus face à la crise. La direction du POB et celle des syndicats avaient été complètement aspirés dans la logique du capitalisme. Les choses étaient si graves que la Banque du Travail, dont Edouard Anseele fut l’un des fondateurs, a été jusqu’à acheter une plantation de coton au Congo ! C’était une manière d’assurer que cette coopérative soit concurrentielle face aux autres banques. Cela n’a pas empêché la Banque du travail de faire faillite en 1934.
Face à la crise, la réponse de la bourgeoisie était une politique de réduction des coûts pour les patrons par le biais, entre autres, de réductions de salaires. Au même moment, les impôts indirects étaient augmentés afin d’absorber la hausse des dépenses publiques (dont les allocations de chômage). Le POB et les syndicats ont limité leur riposte au rejet des attaques contre les éléments de protection sociale précédemment gagnés par le mouvement ouvrier. Une véritable campagne conservatrice était à l’œuvre et l’on a ainsi pu lire le 7 juillet 1932 dans La Libre Belgique: “Les allocations familiales ruinent le pays”. La bourgeoisie défendait que le pays ne pouvait pas faire face à de pareils frais. Les allocations de chômage et les pensions étaient également en ligne de mire.
La résistance du POB et des syndicats face à ces attaques a conduit, entre autres, à de grandes mobilisations de chômeurs. Mais la social-démocratie n’a pas livré de réponse plus globale à la crise du capitalisme, et encore moins popularisé l’idée d’une transformation socialiste de la société comme un objectif concret à atteindre.
Les grèves des mineurs de 1932
Alarmé, le député démocrate-chrétien Bodart a averti que les travailleurs ne continueraient pas à se résigner : « Il viendra un jour où ils en auront assez et où ils diront avec les manifestants du Borinage : “Mieux vaut être mort que de voir nos enfants mourir de faim”. Tout sera possible ce jour-là, même le pire. » À un certain point, le réflexe de défense individuelle cède la place à la lutte collective. De là sont nées les manifestations spontanées au début de l’année 1932 ou la grande participation aux manifestations de chômeurs durant l’été 1932. Mais c’est surtout lors de la grève des mineurs de 1932 que la colère a éclaté.
Derrière les vagues de grèves spontanées – tant en mai dans le Borinage qu’à partir de la fin juin dans un mouvement de grève plus soutenu au niveau national – se trouvaient plusieurs réductions salariales à un moment où le prix du pain augmentait. Lorsqu’une réduction des salaires a été introduite le 19 juin, des grèves spontanées ont éclaté. Une semaine plus tard, elles semblaient terminées. Le patronat a tenté de profiter de la situation pour licencier des centaines de mineurs. Cependant, cela a déclenché encore plus de grèves : le 6 juillet, le mouvement de grève était général.
La direction du syndicat a été dépassée tandis que les parlementaires du POB se contentaient de présenter un nouveau projet de loi sur la nationalisation des mines, en sachant très bien qu’aucune majorité parlementaire ne pourrait être trouvée pour ce projet. Avec ces propositions législatives, le sommet du POB voulait surtout détourner le mouvement vers le terrain parlementaire au lieu de le renforcer sur le terrain afin d’imposer la nationalisation par une pression d’en bas.
Là où les révolutionnaires, en particulier les trotskystes de l’Opposition de Gauche Communiste (OGC), ont joué un rôle pionnier, la grève a été organisée avec le plus d’implication possible. Au lieu d’assemblées générales (AG) par syndicat avec contrôle à l’entrée, des AG ont été organisées en étant ouvertes à tous et avec participation de la salle. Ce fut le cas à Gilly et Châtelineau, près de Charleroi. Ces AG étaient le lieu où la plate-forme de revendications et les actions ultérieures étaient discutées. Les revendications centrales portaient sur le retrait des réductions de salaires, la répartition du temps de travail disponible, le contrôle du commerce, la réduction de l’âge de la retraite et enfin la nationalisation des mines et des grandes entreprises.
Tout au long du mouvement de grève, l’unité s’est construite de bas en haut. Les femmes et les migrants ont joué un rôle actif, même si les dirigeants du POB étaient au départ très négatifs à l’égard des migrants. Le député Pierard, par exemple, a écrit : “Les travailleurs étrangers ne sont pas aussi durs que les Borains. Nous comprenons certainement le besoin d’avoir de la pitié pour les étrangers qui viennent ici. Nous ne demandons pas que les malheureux Italiens qui sont ici en tant que réfugiés politiques soient renvoyés à la frontière. Mais pour ce qui est des autres ! Aussi internationalistes que nous soyons, nous demandons que nous pensions d’abord aux nôtres, sans travail et sans pain”. Quant à la CSC, elle a notamment exigé la suppression progressive du travail des femmes mariées afin de libérer de l’espace pour les hommes au chômage. Mais dès que la classe ouvrière s’est mobilisée, il est apparu clairement que les divisions entre hommes et femmes ou entre travailleurs belges et migrants affaiblissaient le mouvement. Lorsque, début juillet, la Fédération des mineurs a défendu un accord dans lequel il était proposé de renoncer aux étrangers non mariés, celui-ci a été rejeté de manière imposante par les assemblées générales de mineurs.
Le manque de perspective de la grève, aggravé par l’absence de réponse politique à la crise due au POB et la relative faiblesse du Parti communiste et de l’opposition de gauche trotskyste (qui s’est toutefois fortement développée en raison de son rôle actif dans la grève des mineurs), a rendu difficile la poursuite de la grève. Finalement, un accord a été imposé par le sommet, malgré la forte opposition de la base, laquelle a continué à faire grève en de nombreux endroits pendant des semaines. L’accord a obtenu l’arrêt des réductions salariales en plus de la majoration de 1 %, mais d’autres éléments sont restés très vagues ou ont rapidement disparu de la table une fois le travail repris.
Conséquences
Cela n’a pas mis fin à la crise économique en Belgique. Il n’y a pas eu de reprise. En 1933, le gouvernement a essayé de faire face à la crise par de nouvelles augmentations des impôts indirects, ce qui a entraîné une hausse des prix. Le gouvernement a agi avec les pouvoirs spéciaux: un instrument toujours utilisé pour imposer des mesures “impopulaires” sans même tenir un débat parlementaire. Dès 1933, de nouvelles grèves spontanées à petite échelle ont eu lieu.
La vague de grève spontanée de 1932 a eu des conséquences bien après cette année. Une pression de gauche a été exercée au sein du POB, en partie due à la grève de 1932 et au mécontentement qui s’en est suivi concernant la politique antisociale. À la fin de 1933, le POB a adopté un programme d’investissements et de travaux d’infrastructure en réponse à la crise. Il s’agit du “Plan De Man”, qui a suscité l’enthousiasme d’une grande partie de la population.
En 1936, après l’assassinat de deux syndicalistes socialistes, Pot et Grijp, une grève générale nationale fut déclenchée. La direction syndicale fut à nouveau dépassée et les travailleurs ont réclamé une semaine de 40 heures, une augmentation générale des salaires, un salaire minimum de 32 francs par jour et six jours de congés payés. Le gouvernement et le patronat ont été forcés de faire des concessions. Ils craignaient une nouvelle expansion du mouvement de grève et avaient l’expérience de 1932 encore fraîche dans leur esprit. Avec le couteau de la grève sur la gorge, une augmentation de salaire de plus de 7% a été accordée, en plus de l’introduction d’un salaire minimum légal, de la semaine de 40 heures dans les mines et de six jours de congé payé pour tous les travailleurs.
Une période de crise économique et de dépression peut initialement avoir un effet paralysant sur la lutte des travailleurs. Elle a un effet encore plus grand sur les dirigeants politiques et syndicaux pour qui le changement social n’est pas lié à la lutte quotidienne pour préserver et étendre les conquêtes sociales. La colère et le réflexe de défense individuelle se transforment inévitablement en luttes collectives de la part de travailleurs qui ne veulent pas, et souvent ne peuvent pas, payer la crise. Imposer des concessions exige un rapport de force que les patrons redoutent. “La bourgeoisie doit être terrifiée pour être rendue docile”, a fait remarquer Trotsky.
Pour construire une gauche cohérente, il faut s’engager dans la lutte, défendre une issue et la rendre concrète, tant en ce qui concerne l’organisation de la lutte que le programme de transformation socialiste de la société. Un mouvement socialiste révolutionnaire fortement organisé et implanté est nécessaire pour mettre fin au capitalisme, un système qui condamne sans cesse les travailleurs à de nouvelles crises.
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Le capitalisme en crise : un monde en proie à l’instabilité

A la mi-août, une importante réunion s’est tenue en Belgique avec des représentants de partis-frères du PSL issus de 25 pays. Cela a annoncé une nouvelle ère à plus d’un égard. Le lecteur trouvera sur la page suivante des explications sur les développements importants qui ont eu lieu ces derniers mois au sein de l’Internationale socialiste révolutionnaire, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), dont le PSL est la section belge. Mais ce sont surtout les développements internationaux dans les domaines économique, politique, social et écologique qui vont marquer cette nouvelle ère.
Par Eric Byl
L’économie menace d’entrer en récession
Toutes ces évolutions s’expliquent par le ralentissement rapide de l’économie mondiale et la forte possibilité d’un nouveau krach financier similaire à celui de 2008-09 aux conséquences sociales incalculables. À l’époque, après une période initiale de paralysie de la lutte des classes, le krach a conduit à des événements révolutionnaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et à des mouvements de masse, dont des grèves générales, en particulier en Europe du Sud et aux États-Unis, mais également en Asie. La crise a finalement été surmontée par des injections massives d’argent par des gouvernements et des banques centrales, par des investissements massifs de la part des autorités nationales et locales chinoises et des institutions publiques et par une intervention mondiale coordonnée de la part du G20.
C’est impossible aujourd’hui. Entre-temps, le niveau de la dette mondiale a fortement augmenté. À l’époque, les taux d’intérêt ont été abaissés pour encourager les gouvernements, les ménages et les entreprises à contracter des emprunts. Certains taux d’intérêt sont même devenus négatifs afin d’encourager les banques à faire circuler leurs réserves. Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont déjà historiquement bas et, dans certains cas, négatifs. On a fait massivement appel à ‘‘l’assouplissement quantitatif’’: le phénomène par lequel les banques centrales injectent chaque mois de l’argent supplémentaire dans l’économie afin de la lubrifier. En conséquence, les actifs inscrits au bilan de la Réserve fédérale des Etats-Unis ont atteint 22% du Produit intérieur brut du pays, alors qu’ils se situaient entre 4 et 6% entre la Seconde Guerre mondiale et 2008. Il s’agit même de 40% pour la Banque centrale européenne et de 90% pour la Banque du Japon !
Le déclencheur immédiat de la crise de 2008-2009 fut l’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis. Aujourd’hui, la principale menace est le ralentissement du commerce mondial, les guerres commerciale et monétaire. Mais les faiblesses sous-jacentes de l’économie capitaliste puisent leurs racines dans la fin de la période de croissance d’après-guerre, dans les années 1970. La principale contradiction interne du capitalisme est la suraccumulation du capital, la tendance croissante à produire plus de valeur ajoutée que ce qui peut être investi de manière rentable. Cela a conduit à de nouveaux domaines d’investissement grâce à la privatisation des services publics, des systèmes de retraite, des soins de santé et de l’enseignement. La crise des rendements s’est également traduite par une ‘‘financiarisation’’ accrue, avec un rôle encore plus important pour les banques et une expansion considérable du crédit. La dette mondiale est aujourd’hui trois fois plus élevée que le PIB mondial. Malgré toutes les intentions de freiner les marchés financiers, le casino financier est aujourd’hui plus grand qu’en 2009 : 1.200.000 milliards de dollars ont été investis en produits dérivés.
La lutte pour l’hégémonie
Pour la première fois depuis 1973, la géopolitique est à nouveau la principale cause de la récession à venir. La lutte pour l’hégémonie mondiale prend de l’ampleur, particulièrement entre la Chine et les Etats-Unis. Depuis 2017, la croissance du commerce mondial s’est ralentie pour atteindre 2,1% cette année, selon l’OCDE. Entre 1987 et 2007, le commerce mondial a augmenté à un taux annuel moyen de 7%. Un facteur important est l’utilisation des tarifs douaniers par Trump comme arme au secours de sa politique étrangère. Les exportations des États-Unis vers la Chine ont donc chuté de 31,4% l’an dernier et celles de la Chine vers les États-Unis de 7,8%. Le gouvernement chinois a laissé sa devise, le renminbi, plonger pour la première fois sous le seuil symbolique des 7 yuans pour 1 dollar, en réaction à l’annonce de Trump d’imposer à partir du 1er septembre une surtaxe de 10% sur 350 milliards de dollars d’importations chinoises qui avaient été jusqu’ici épargnées. Le même jour, le Trésor américain a qualifié la Chine de ‘‘manipulateur monétaire’’. La guerre douanière peut devenir une guerre des monnaies.
Les différends commerciaux ne se limitent pas à cela. L’Union européenne (UE) veut des concessions américaines en matière de politique agricole alors que les États-Unis menacent d’imposer une surtaxe de 25% sur les automobiles européennes. Le Japon a imposé des contrôles à l’exportation à la Corée du Sud. La Chine et l’Europe sont divisées au sujet de la nouvelle Route de la Soie, de l’ouverture des marchés et des conditions d’investissement pour les entreprises. En Afrique, une bataille d’influence fait rage entre l’Europe, la Russie, les Etats-Unis et la Chine. Une nouvelle course aux armements est en cours et le nombre de foyers de conflits militaires ne cesse d’augmenter : Rojava, le Cachemire indien, la mer de Chine du Sud, le détroit d’Ormuz,… En fait, nous sommes confrontés à bien plus qu’une guerre commerciale et nous traversons une période de dé-mondialisation, de guerre technologique et de contestation de l’hégémonie des États-Unis. Martin Wolf (du Financial Times) parle du ‘‘début d’une guerre de 100 ans’’. Le journal britannique The Guardian fait référence à une atmosphère qui rappelle l’été européen de 1914.
Certains parlent d’une nouvelle guerre froide. L’Union soviétique et l’impérialisme américain étaient deux systèmes sociaux antagonistes qui se maintenaient l’un l’autre en équilibre, malgré les menaces nucléaires. Avec le recul, la guerre froide est restée ‘‘relativement’’ froide. Cette fois, il y a deux variantes du capitalisme, la première davantage ‘‘capitalisme d’État’’, la seconde néolibérale. La logique des tensions entre les États-Unis et la Chine est la guerre, une lutte à mort, mais deux facteurs font barrage : l’arsenal nucléaire qui ne peut conduire qu’à des perdants et la réaction que cela peut provoquer sur le front intérieur, y compris en Chine, surtout après le déclenchement du mouvement de masse à Hong Kong.
Instabilité politique et soulèvements sociaux
La bourgeoisie doit gérer toutes ces tensions avec des instruments créés pour une autre époque et inadaptés à la nouvelle ère. Les institutions d’après-guerre de Bretton Woods et divers traités s’effondrent. Les partis politiques qui, pendant des décennies, ont fourni des ‘‘dirigeants de la nation’’ incontestés sont en train de crouler. Tant à gauche qu’à droite, ils sont confrontés à de nouvelles formations plus radicales. La formation de gouvernements stables devient extrêmement difficile. Des gouvernements minoritaires et des coalitions atypiques émergent. La crise économique a érodé l’autorité des institutions bourgeoises traditionnelles, nécessitant des recompositions dangereuses.
Pour l’instant, ce sont surtout les populistes de droite qui en profitent en raison de l’incapacité de la gauche traditionnelle et des nouvelles formations de gauche à imposer le changement. L’échec de Lula et de Dilma au Brésil a ouvert la voie à Bolsonaro, le blocage de Sanders par les Démocrates américains a débouché sur Trump, la trahison de Syriza en Grèce a déblayé le terrain pour la Nouvelle Démocratie, l’échec de Rifundazione (PRC) et du Mouvement 5 étoiles en Italie ont servi de rampe de lancement à Salvini,…. Cependant, les victoires électorales des populistes de droite ne doivent pas être confondues avec un soutien solide pour leur programme. Ils génèrent souvent des contre-mouvements gigantesques.
Le mouvement ouvrier est encore sous l’effet des défaites du passé et de l’héritage de la chute du stalinisme. Cela s’exprime de manière concentrée sur les dirigeants syndicaux et ceux des anciennes et nouvelles formations politiques de gauche. Cela contribue à faire en sorte que le mouvement ouvrier n’ait pas encore laissé sa marque sur les événements. La grève générale de juin au Brésil a été déclenchée par le mouvement des femmes. En Algérie, l’appel aux grèves générales a été lancé dans les réseaux sociaux, en dehors des structures traditionnelles. A Hong Kong, tout le mouvement est coordonné par les réseaux sociaux, mais cela peut rapidement changer. En Algérie comme au Soudan, la base commence à revendiquer ses syndicats, généralement par la mise en place de structures contrôlées par la base. A Hong Kong a eu lieu la première grève générale depuis des décennies et, aux États-Unis, le mouvement commence à se traduire par une vague de syndicalisation. Nous pensons que nous nous trouvons à un point tournant et que la meilleure préparation pour cela est de nous engager dans les mouvements existants en défendant un programme socialiste en soulignant la nécessité d’une orientation vers le mouvement des travailleurs.
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Catastrophe climatique et nécessité d’une économie planifiée

Les 20 années les plus chaudes jamais enregistrées se sont produites au cours des 22 dernières années et la hausse des températures n’est qu’un des symptômes de la catastrophe climatique que nous connaissons actuellement. 8% des espèces sont menacées d’extinction. L’État de Louisiane perd la surface d’un terrain de football toutes les 45 minutes en raison de l’élévation du niveau de la mer. Les feux de forêt ravagent l’Ouest des États-Unis et les ouragans ont ravagé la côte sud-est.
Par Keely Mullen, Socialist Alternative (USA)
L’humanité est à la croisée des chemins. L’un après l’autre, les rapports nous avertissent qu’à moins que des mesures décisives ne soient prises pour réduire les émissions de carbone, nous risquons d’atteindre des points de non-retour après lesquels les effets sur l’environnement ne pourront être inversés. Un rapport de Columbia Engineering prévoit que la capacité de la planète à absorber le dioxyde de carbone pourrait commencer à diminuer en 2060. Notre filet de sécurité contre l’excès de dioxyde de carbone dans l’atmosphère s’érode, accélérant considérablement les pires effets du changement climatique.
Un autre de ces points de non-retour est la fonte de la glace polaire. La glace aux pôles agit comme un réflecteur qui renvoie une partie des rayons du soleil dans l’espace et refroidit la planète. Lorsque cette glace fond, elle révèle l’eau plus foncée qui se trouve en dessous et qui absorbe beaucoup plus de chaleur, déclenchant ainsi une boucle de réaction qui augmente de plus en plus le réchauffement. Un autre danger de la fonte des glaces est qu’elle finira par découvrir les couches de pergélisol existantes qui contiennent actuellement d’énormes quantités de méthane. Si le pergélisol fond, ce méthane – qui a un effet de réchauffement beaucoup plus important que le dioxyde de carbone – sera rejeté dans l’atmosphère.
L’enjeu de l’aggravation de la crise climatique n’est pas seulement notre confort, mais aussi l’accès aux ressources collectives de la terre, à l’eau, à la terre et à l’air pur, ainsi que le déplacement massif de millions de personnes qui deviendront des réfugiés climatiques.
Les climatologues sont particulièrement préoccupés par l’effet du changement climatique sur le cycle de l’eau de la planète. La hausse des températures a entraîné une augmentation de la quantité de vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère, ce qui rend la disponibilité de l’eau très difficile à prévoir. Cela peut entraîner à la fois des pluies torrentielles plus intenses et des sécheresses plus graves.
Bien que les tempêtes tropicales, les ouragans et les pluies de mousson fassent partie du régime météorologique normal des États-Unis, l’augmentation de la fréquence et de la gravité de ces phénomènes entraînent des inondations plus intenses qui menacent la qualité générale de notre eau. En effet, les eaux d’inondation recueillent les eaux usées, les pesticides, l’huile de moteur, les eaux usées industrielles et toutes sortes de contaminants et les rejettent directement dans nos cours d’eau. En 2014, l’ouragan Sandy a inondé 10 des 14 stations d’épuration des eaux usées de la ville de New York, provoquant le rejet d’eaux usées partiellement traitées ou non traitées dans les cours d’eau locaux.
Les entreprises sont responsables
Quand Al Gore a sorti Une vérité qui dérange en 2006, il a eu un effet retentissant, expliquant en termes simples la science derrière le réchauffement climatique et le danger que cela représente pour l’humanité. Ce film a lancé un réel débat étant donné que pendant des décennies, les grandes entreprises se sont engagées dans une campagne déterminée pour cacher les faits sur le changement climatique afin d’éviter toute perturbation de leurs activités extrêmement rentables. Cette campagne écœurante a sans doute déjà causé la mort de milliers de personnes.
La conclusion d’Al Gore, c’est que le ralentissement ou l’inversion des effets du changement climatique reposent sur les épaules des individus et leurs choix de consommation. Changez vos ampoules, prenez des douches plus courtes, achetez une voiture hybride, n’utilisez pas de pailles en plastique. Bien que certains de ces changements à notre consommation quotidienne pourraient avoir un impact, même si tout le monde aux États-Unis suivait chaque suggestion d’Une vérité qui dérange, les émissions de carbone aux États-Unis ne diminueraient que de 22 % ! Le consensus scientifique est qu’il doit être réduit de 75 % à l’échelle mondiale. D’où la question de savoir qui sont les véritables responsables de la crise climatique et comment les affronter ?
Les rapports ont révélé que 100 entreprises sont à elles seules responsables de 71 % des émissions mondiales depuis 1988, la plupart d’entre elles étant des sociétés productrices de charbon et de pétrole comme Exxon, Shell et BP.
Ce n’est ni une coïncidence ni un accident que ces entreprises soient les principaux moteurs du réchauffement climatique. Il est inhérent à la logique du capitalisme que, pour rester viables, les entreprises doivent maximiser leurs profits. Cela signifie qu’il faut rechercher tous les raccourcis possibles, toutes les dépenses qui peuvent être évitées et toutes les mesures de sécurité qui peuvent être contournées.
Lors de l’horrible marée noire de Deepwater Horizon en 2010, 4,9 millions de barils de pétrole ont été déversés dans le golfe du Mexique. Une commission de la Maison-Blanche a confirmé qu’avant l’explosion, BP, Transocean et Halliburton ont pris une série de décisions pour réduire les coûts, qui ont finalement causé l’explosion de la plate-forme pétrolière et la mort de 11 travailleurs. Cette commission de la Maison-Blanche a elle-même confirmé que cela allait probablement se reproduire en raison de la “complaisance de l’industrie”. En d’autres termes, cela se reproduira probablement parce que le coût du nettoyage d’une catastrophe n’est rien comparé aux profits réalisés en la provoquant.
Diverses initiatives politiques ont été proposées pour faire face à cette crise, dont la plupart n’arrivent pas à la cheville de ce qu’il est nécessaire de faire. Le Green New Deal (GND) d’Alexandria Ocasio-Cortez est celui qui va le plus loin, appelant à une transition rapide vers une énergie 100% renouvelable, à un remaniement des systèmes de transport et à une imposition progressive. Gagner le GND représenterait un énorme pas en avant vers une société durable, mais son talon d’Achille, c’est son approche de la puissance structurelle du secteur de l’énergie. Si le secteur de l’énergie reste entre les mains du secteur privé, ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour saper le GND, qui ferait passer la valeur de leurs réserves inexploitées de centaines de milliards de dollars à zéro. Les objectifs contraires des chefs d’entreprise, dont le but est de réaliser des bénéfices, et des forces qui tenteraient de mettre en œuvre le GND rendront pratiquement impossible une transition rapide vers les énergies renouvelables.
Arguments pour la propriété publique
Il n’est pas du tout impossible que la pression des masses conduise à des mesures qui amorcent la transition des combustibles fossiles aux énergies renouvelables, même sous le capitalisme. Toutefois, sans intégrer d’importants secteurs de l’économie (à commencer par le secteur de l’énergie) au secteur public, cette transition serait lente et largement désorganisée. Pour changer radicalement de cap et éviter les pires effets du changement climatique, nous devons nous mettre sur le pied de guerre. Cela signifie une approche rapide et organisée pour mettre le secteur de l’énergie sous propriété du secteur public et le ré-équiper sur une base renouvelable.
Pour opérer une transition rapide vers l’abandon des combustibles fossiles – même dans le cas d’un secteur énergétique public – il faudrait également faire entrer d’autres secteurs de l’économie dans le domaine public. La reprise d’une partie importante du secteur manufacturier permettrait l’expansion rapide des voitures électriques et des transports publics. Au-delà de cela, nous avons besoin de banques publiques pour aider les familles et les petites entreprises à faire la transition vers des logements et des commerces éconergétiques. Un changement aussi profond indique une réorganisation complète de la production sur une base socialiste avec une économie démocratiquement planifiée.
Historiquement, le capitalisme a libéré la productivité humaine à grande échelle. Cependant, les caractéristiques déterminantes du capitalisme – la propriété privée et l’État-nation – sont maintenant devenues un obstacle au développement futur de notre économie et de notre société. C’est ce qui ressort clairement de la série d’accords internationaux sur le climat qui ont eu très peu d’effet en raison de la réticence des États-nations concurrents à faire des concessions qui profiteraient à leurs rivaux.
À l’heure actuelle, toutes les grandes décisions sur la façon d’utiliser les ressources de la société sont prises par quelques dirigeants d’entreprises extrêmement riches. Les décisions sont prises en fonction de ce qui rapporte le plus d’argent. Cela signifie souvent l’utilisation de méthodes totalement inefficaces pour produire. Par exemple, lorsqu’une voiture est en cours d’assemblage, presque toutes les pièces se rendent au Mexique, au Canada et aux États-Unis avant que les pièces ne s’assemblent pour former une voiture. La base métallique d’un volant fabriqué aux États-Unis est envoyée au Mexique pour être recouverte et cousue avant d’être renvoyée aux États-Unis. C’est simplement pour que l’entreprise puisse trouver la main-d’œuvre et les matériaux les moins chers pour fabriquer son produit final.
L’industrie dite de la “mode rapide” est un autre exemple de production inefficace et gaspilleuse sous le capitalisme. L’industrie de la mode est le deuxième plus grand pollueur au monde. Créer des tendances qui changent si rapidement que personne ne peut les suivre garantit que les gens continuent d’acheter des vêtements jetables bon marché, de les jeter et d’en acheter d’autres. Quatre-vingts milliards de vêtements sont produits en série chaque année, presque exclusivement à partir de textiles gourmands en eau mais bon marché comme le coton. Afin d’obtenir la bonne couleur pour une paire de jeans, 10 849 litres d’eau sont utilisés !
S’il s’agit là d’exemples choquants de gaspillage et de manque total d’innovation, c’est typique de la façon dont la société est organisée sous le capitalisme. La question est donc, quelle est l’alternative ? Comment organiser la société plus efficacement, et dans l’intérêt des personnes et de la planète plutôt que dans celui du profit ?
Besoin d’un système planifié
Nous avons besoin d’une économie démocratiquement planifiée dans laquelle les 500 plus grandes entreprises sont mises sous propriété publique, et où les décisions sur la façon dont une industrie donnée est gérée sont prises par des organes élus de travailleurs et de consommateurs. La crise climatique est peut-être la crise la plus existentielle à laquelle l’humanité est confrontée, mais le capitalisme engendre inévitablement des inégalités massives, la pauvreté, et le racisme structurel. Pour répondre à toutes ces questions, il faut une société où les décisions économiques clés sont prises démocratiquement par les masses populaires.
Mettre une entreprise en propriété publique, c’est retirer ses ressources matérielles – usines, outils, réseaux de distribution, technologies, infrastructures – et ses réserves financières existantes des mains d’investisseurs fortunés et les remettre entre les mains de la société dans son ensemble. Une fois cette étape critique franchie, des conseils démocratiques peuvent remplacer les patrons capitalistes et faciliter le fonctionnement de cette entreprise ou industrie. Ces conseils devraient refléter l’expertise des travailleurs de cette industrie, qui sont intimement familiers avec la façon dont elle fonctionne, ce qu’elle produit et ce qui peut être amélioré. Afin d’empêcher le développement d’une bureaucratie, toute personne élue à un comité d’entreprise ne gagnerait pas plus d’argent que le travailleur moyen de cette industrie et serait révocable.
Le but de ces conseils ne serait pas de maximiser la rentabilité de leur industrie, mais plutôt de maximiser la capacité de cette industrie à répondre aux besoins de la société. Cela conduirait à une augmentation substantielle du niveau de vie général de la grande majorité de la population parce qu’il n’y aurait aucune raison de maintenir des salaires bas, des semaines de travail inutilement longues, ou de sous-financer les services publics.
La transition vers une économie planifiée peut très bien commencer dans un pays, mais pour qu’elle réussisse, elle devra s’étendre à l’échelle internationale. Nous vivons dans une économie mondiale créée par le capitalisme, mais pour en tirer pleinement parti, il faut une planification socialiste mondiale. Dans le cadre d’une économie planifiée démocratiquement, des structures internationales devraient être mises en place pour faciliter la coordination maximale des conseils ouvriers dans les différentes industries au-delà des frontières.
Comme on l’a vu plus haut, la plupart des grandes industries du capitalisme sont pieds et poings liés par la nécessité constante de réduire les coûts. Les patrons chercheront des raccourcis pour s’assurer qu’ils obtiennent les biens et la main-d’œuvre les moins chers. La tâche des conseils démocratiquement élus pour la gestion des lieux de travail et des industries serait d’identifier les domaines où les choses peuvent être rendues plus efficaces et plus durables sur le plan environnemental. Par exemple, à l’heure actuelle, les vastes réseaux de logistique et de chaîne d’approvisionnement qui existent chez Amazon et Walmart sont complètement séparés l’un de l’autre parce qu’ils sont en concurrence directe. Une fois cette concurrence éliminée, ces réseaux incroyablement utiles peuvent être combinés et réoutillés. Le modèle de flux tendu adopté par Amazon et d’autres grands détaillants, grâce auquel un produit peut être commandé et livré en quelques jours, pourrait être d’une grande utilité pour la société s’il n’était pas motivé par le profit. La vaste entreprise de Walmart est elle-même planifiée – avec une coordination à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement. Cela jette les bases d’une transition relativement facile vers une entreprise coopérative, planifiée démocratiquement.
Alors, comment tout cela est-il lié à la menace existentielle du changement climatique, et comment une économie planifiée pourrait-elle y répondre ?
Planifier un avenir vert
Le capitalisme génère des innovations importantes – mais celles-ci sont motivées par la rentabilité, pas forcément la nécessité.
Sur la base d’une économie planifiée démocratiquement, la recherche peut se faire dans l’intérêt de la population et du climat. Nous pouvons investir dans une véritable transformation des grandes industries sur une base durable. Nous pouvons investir dans le reconversion de millions de travailleurs dans les industries actuellement polluantes et créer des millions d’emplois syndiqués bien rémunérés en exploitant l’énergie renouvelable grâce aux technologies solaire, éolienne et marémotrice. De nouvelles formes d’énergie renouvelable seront sans aucun doute découvertes, et le perfectionnement de la technologie pour exploiter cette énergie exigera la formation d’un plus grand nombre de scientifiques et d’ingénieurs, ainsi que le transfert des scientifiques qui travaillent actuellement au développement d’armes vers des travaux beaucoup plus utiles.
Afin d’inverser certains des pires effets de la crise climatique, un projet de reboisement mondial devrait être mis en œuvre. La reforestation par la plantation de millions d’arbres endémiques réduirait considérablement la pollution de l’air et rétablirait les habitats naturels et les écosystèmes qui ont été détruits par la déforestation. Parallèlement, il faudra procéder à une réorganisation importante de l’agriculture mondiale afin de réduire la superficie des terres consacrées à l’élevage, ainsi qu’au développement de substituts sains de la viande.
Dans la plupart des grandes villes, les transports publics s’érode complètement, pendant que les Américains passent 19 jours complets par an coincés dans les embouteillages sur le chemin du travail. Si les gens devraient avoir le choix de posséder et d’utiliser leur propre véhicule, l’expansion massive du transport en commun et son électrification totale permettraient à beaucoup plus de gens de se déplacer plus rapidement et plus facilement que la voiture. Au-delà du transport en commun local, il faut également davantage de trains longue distance. Les trains électriques à grande vitesse pourraient constituer une alternative moins coûteuse et beaucoup moins polluante que le transport aérien.
L’expansion du transport en commun durable permettrait non seulement d’améliorer le niveau de vie de nombreuses personnes, mais aussi de faire un bond en avant dans la transformation de la société sur une base écologique.
Une société libérée des contraintes du profit pourrait s’engager dans un certain nombre de projets révolutionnaires pour changer la société : la création de logements à haut rendement énergétique avec une isolation plus efficace, la recherche de stations de purification de l’air pollué, et le développement de routes électrifiées pour charger les véhicules électriques lorsqu’ils circulent.
La solution à cette crise ne se fera pas par en haut, elle ne sera pas initiée par Elon Musk, elle ne résultera pas d’un simple vote tous les quatre ans. Le rééquipement de la société sur une base véritablement durable et la garantie d’un avenir pour l’humanité reposent sur la fin de la domination anarchique et chaotique du capitalisme et son remplacement par une économie planifiée véritablement démocratique.
Quelle est la prochaine étape ?
Gagner un changement révolutionnaire et transformer notre société sur une base socialiste exigera une confrontation historique avec les super riches qui dominent actuellement notre société. Il y a des signes très encourageants aux États-Unis et à l’échelle internationale quant à la possibilité de relever ce défi, des grèves historiques des enseignants qui ont eu lieu aux Etats-Unis au cours de la dernière année et demie et qui pourraient s’étendre à d’autres secteurs, au mouvement grandissant des jeunes pour le climat qui prévoit maintenant une journée internationale d’action le 20 septembre.
C’est la force unie et organisée des travailleurs et des jeunes qui peut ouvrir la voie au changement socialiste. Une étape critique dans ce processus sera la construction de notre propre parti politique de masse avec un programme socialiste clair et une direction déterminée. Depuis 2015, nous avons mis l’accent sur le rôle que Bernie Sanders – et maintenant Alexandria Ocasio-Cortez – pourraient jouer dans ce processus, en utilisant leur énorme base de soutien pour une politique progressiste et ouvrière, et en lançant une nouvelle organisation de masse.
Nous devons continuer à construire et à renforcer les organisations de la classe ouvrière en vue des luttes décisives qui nous attendent. Cela signifie construire sur nos lieux de travail des syndicats de lutte bien organisés, véritablement démocratiques, avec la participation active de tous les travailleurs et travailleuses et qui sont prêts à faire tout ce qui est nécessaire pour se défendre contre les attaques de nos patrons. Les syndicats doivent s’associer aux mouvements sociaux dynamiques qui luttent actuellement contre le changement climatique, le sexisme et le racisme, et montrer la voie à suivre sur une base ouvrière.
Afin de prendre les mesures nécessaires pour sauver la planète de sa destruction par le profit, nous devons fondamentalement rompre avec le capitalisme et lutter pour la transformation socialiste de la société sur la base de l’innovation, la coopération et l’égalité.
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Critique : Thomas Piketty : le nouveau Marx ?
Le capital au vingt-et-unième siècle
Au Royaume-Uni, les 20 % les plus pauvres de la population constituent une des couches les plus démunies d’Europe occidentale, avec un niveau de vie comparable à celui de la Slovénie ou de la Tchéquie. Parallèlement, les 1 % les plus riches du pays sont parmi les plus riches du monde, s’accaparant à peu près un tiers du revenu mondial !
Par Hannah Sell, Socialist Party (CIO en Angleterre et pays de Galles)
Cela fait un certain temps que le Royaume-Uni n’est plus champion dans quoi que ce soit, mais en ce qui concerne l’inégalité, il en a largement à remontrer : parmi les pays “développés”, le Royaume-Uni est le deuxième pays le plus inégal après les États-Unis. Mais la croissance de l’inégalité, qui semble à présent si inévitable, est en réalité un phénomène mondial. Selon l’ONG Oxfam, les 85 personnes les plus riches au monde possèdent à elles seules autant de richesses (1700 000 milliards de dollars) que la moitié de la population mondiale (3,5 milliards de personnes).
Les stratèges du capitalisme (du moins, ceux parmi eux qui ne sont pas des farceurs) reconnaissent vaguement le fait que cette inégalité croissante menace l’avenir du capitalisme. Lorsqu’on voit par exemple la directrice du FMI et le gouverneur de la Bank of England proclamer que « Il faut faire quelque chose » pour préserver la « stabilité », on comprend que l’élite mondiale commence à sérieusement s’inquiéter du risque de grèves, de révoltes et de révolutions.
Une inégalité de plus en plus grande
C’est dans ce contexte que M. Thomas Piketty, économiste français, a publié son œuvre Le capital au vingt-et-unième siècle. Piketty a collaboré avec d’autres économistes tout au long des quinze dernières années afin de fournir des preuves selon lesquelles la tendance naturelle du capitalisme sur le long terme est d’aller vers un accroissement de l’inégalité. Piketty remarque à très juste titre le fait que la période “dorée” d’après la Seconde Guerre mondiale (années ’60-’70) était une période d’exception et que, depuis lors, le système est revenu à la “normale”, avec une tendance marquée à un renforcement de l’inégalité. Il explique par exemple que « entre 1977 et 2007, les 1 % des plus riches Américains se sont approprié 60 % de la croissance du revenu national ».
Le capitalisme mène à l’inégalité : cela n’est pas une idée nouvelle. Karl Marx lui-même, il y a plus de cent ans, écrivait qu’il y a : « corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même.» (Le Capital, chapitre 25)
Réactions
Néanmoins, les informations statistiques rassemblées par Piketty et ses collaborateurs sont extrêmement utiles, et sont également clairement perçues comme une menace par les défenseurs du capitalisme.
Le Financial Times a vigoureusement attaqué leurs données sur l’inégalité, en relevant quelques erreurs statistiques relativement mineures dans le but de discréditer l’ensemble des conclusions de Piketty. Le problème de tout ceci, cependant, est que loin d’être “révolutionnaires” ou “nouvelles”, les données de Piketty ne font que confirmer une tendance marquée depuis des décennies. Piketty lui-même a répondu que son livre est selon lui loin d’exagérer la réalité de l’inégalité, puisque de nouvelles recherches parues depuis indiquent que « la hausse de la part de la richesse pour les plus riches Américains au cours des dernières décennies serait en réalité encore plus élevée que ce que j’ai calculé dans mon livre ».
Même si certaines personnes de droite ont tenté de discréditer Piketty, son livre a connu un grand succès auprès du public, se hissant en tête des ventes dans de nombreux pays. Nombreux sont ceux à gauche qui l’ont applaudi, y compris le secrétaire général du syndicat britannique Unite, Len McCluskey, qui avouait : « Je suis enthousiaste quand je pense jusqu’où Piketty pourrait nous mener ». Cependant, ceux qui espèrent que ce livre leur fournira une analyse convaincante de ce pourquoi le capitalisme crée cette inégalité croissante seront plutôt déçus ; encore plus déçus seront ceux qui attendent une solution de la part de l’auteur.
Puisque le titre du livre ressemble à celui du chef d’œuvre de Karl Mark, Le Capital, beaucoup de commentateurs affirment que Piketty est le digne successeur de Marx. Piketty a quant à lui répondu que ce n’est pas comme ça qu’il se perçoit, et qu’en fait, il n’a jamais lu Le Capital. Cela n’est guère étonnant, vu que les seules fois où Piketty mentionne Marx dans son livre, c’est pour le critiquer, et souvent pour des choses que Marx n’a jamais dites ni écrites.
Piketty, par exemple, prétend que « Tout comme ses prédécesseurs, Marx a totalement négligé la possibilité d’un progrès technologique durable et d’une productivité sans cesse croissante », ou encore que « La théorie de Marx est implicitement fondée sur l’hypothèse d’une hausse zéro de la productivité sur le long terme ». Ces affirmations sont complètement à l’opposé de la véritable analyse de Marx. Marx expliquait justement qu’une caractéristique fondamentale du capitalisme est la façon dont la course aux profits force les capitalistes à entrer en concurrence avec leurs rivaux en investissant dans la science et dans la technologie – “progrès technologique” donc – afin d’accroitre leur productivité. C’est cette course débridée vers plus de profits qui conduit à la crise – à la récession et à la dépression – mais qui jette également les bases pour la transition vers une société socialiste démocratique.
Le fait que les taux d’investissements aient atteint à présent leur point le plus bas de l’histoire – et certainement au Royaume-Uni – indique que le capitalisme est un système en faillite, incapable de faire progresser la société plus en avant. Le capitalisme a créé – tout comme Piketty le décrit – une richesse immense, mais seul une planification socialiste démocratique de la production permettrait à présent de reprendre le contrôle sur les forces productives afin de protéger la planète et de satisfaire aux besoins de base de l’humanité – ce que le capitalisme est incapable de faire – en assurant le droit à un emploi décent, sûr et bien payé, à un logement, à un enseignement gratuit et à la retraite à 60 ans (et même avant).
Le marxisme
Le marxisme et les idées socialistes sont cependant complètement inconnus pour Piketty. Il n’essaie pas une seule fois d’expliquer les raisons de la crise capitaliste. Il ne parle pas non plus de la production de marchandises, ni de leur vente : il préfère se concentrer exclusivement sur la répartition de la richesse. Sa “nouvelle théorie” pour expliquer l’inégalité est que le taux de retour sur “capital” est toujours supérieur au taux de retour sur “revenu”. Piketty dit que c’est là la contradiction centrale du capitalisme. Cependant, il ne donne aucune explication pour nous permettre de comprendre en quoi cette contradiction serait si importante.
De plus, il se trompe dans son usage du mot “capital”. Pour les marxistes, toute richesse n’est pas capital. Est capital uniquement la part de la richesse mise en œuvre par les capitalistes afin de tenter d’engranger un profit ; la source de tout profit étant l’exploitation de la classe prolétaire, la classe des travailleurs. Mais lorsque Piketty parle de capital, il parle de richesse de manière générale, qu’il s’agisse d’un investissement, d’un collier en diamant ou encore de la maison d’un travailleur. Il ne considère pas non plus que la force et l’action du mouvement des travailleurs, que la capacité des travailleurs à se battre pour défendre leurs salaires et conditions de travail, soit un facteur qui détermine la répartition de la richesse entre capitalistes et travailleurs.
Les énormes lacunes du livre de Piketty signifient que cet ouvrage ne parvient en réalité pas à offrir ne serait-ce que le début d’une analyse du capital au vingt-et-unième siècle – ce qui a d’ailleurs été reconnu par ses admirateurs. Lawrence Summers, par exemple, ex-secrétaire du Trésor américain, loue le “tour-de-force” que représente ce travail, tout en restant très sceptique quant à son analyse : « Quand je me projette dans le futur, je vois que le principal élément créateur d’inégalité et lié à l’accumulation de capital ne sera pas, contrairement à ce que croit Piketty, le fait que les riches amassent des fortunes. La principale raison de cette inégalité sera le développement de l’impression en 3D, de l’intelligence artificielle, de toutes ces choses qui auront des conséquences désastreuses pour les personnes occupées à des tâches manuelles routinières. D’ailleurs, nous avons déjà plus de personnes détentrices d’une assurance handicap que de personnes occupées à la production dans l’industrie ».
M. Summers exprime ici une grande crainte de la classe capitaliste, à laquelle Piketty ne touche même pas. Les nouvelles technologies rendent chaque travailleur de plus en plus productif, mais pour chaque travailleur productif, il y a de plus en plus de sans-emploi ou de personnes sous-employées. Tout cela ne promet que plus de crises économiques et d’instabilité sociale à l’échelle mondiale.
Cela rend également de plus en plus évidente la nécessité du passage au socialisme, afin que les nouvelles technologies qui posent un problème au capitalisme puissent être mises en œuvre non pas pour licencier les travailleurs en masse, mais pour répartir le temps de travail entre tous et donc réduire la semaine de travail à 30 heures par semaine sans perte de salaire, voire même encore moins. Au lieu de ça, on voit que, malgré le fait que la lutte pour la journée des huit heures a été entamée depuis la création même du mouvement ouvrier, cette revendication n’est toujours pas acquise pour des millions de travailleurs de par le monde.
Piketty ne cherche pas à en finir avec le capitalisme : il veut l’aider à s’en sortir. Quand il est passé à la télévision, on lui a demandé s’il voulait en finir avec l’inégalité. Sa position était très claire : selon lui, c’est un problème que 50 % des Britanniques ne possèdent que 3 % de la richesse nationale, mais s’ils en possédaient 5 ou 8 %, ce ne serait pas un souci !
Afin de parvenir à cette toute petite hausse de l’égalité, Piketty appelle à une hausse de taxe pour la population riche, qu’on devrait taxer à hauteur de 80 %, et à une taxe progressive sur la richesse au niveau mondial. En tant que socialistes, nous soutenons ces revendications, qui seraient certainement également soutenues avec enthousiasme par la majorité de la population. Cependant, même les plus enthousiastes parmi les admirateurs de Piketty ne peuvent s’empêcher de sourire à cette idée. Même le célèbre économiste keynésien Paul Krugman, qui n’a que louanges pour cet ouvrage, s’est vu contraint d’admettre qu’il « est aisé d’exprimer un certain cynisme à l’égard de toute proposition de ce genre ». Le journaliste et professeur honoraire à l’université de Wolverhampton Paul Mason a exprimé la même idée dans le quotidien britannique Guardian, de manière un peu plus brutale : « Il est plus facile d’imaginer la chute du capitalisme que d’imaginer l’élite consentir à une telle taxe ».
Nous arrivons donc au nœud du problème. Piketty espère pouvoir appeler les capitalistes à la “raison”, en les priant de reconnaitre que s’ils veulent préserver leur système, ils doivent laisser un petit peu plus pour les “99 %”. Ça rappelle les discours du dirigeant social-démocrate britannique Ed Milliband, qui parle d’un “capitalisme plus équitable”, sans donner la moindre proposition concrète en ce sens comme la taxation des riches ou des grandes entreprises.
Un capitalisme fait de partage et d’amour ?
Le président français François Hollande avait promis de mettre en place une “taxe des millionnaires” afin de se faire élire. Cela a suscité une virulente opposition de la part du capitalisme français. Finalement, Hollande a fait passer devant la Cour constitutionnelle une version fortement édulcorée de sa taxe sur les riches. Mais il a fini par capituler devant les exigences des capitalistes. Le magazine Forbes titrait à cette occasion : « Hollande converti, propose l’austérité et une baisse des taxes pour renforcer la croissance en France ».
On a beau montrer de beaux arguments et supplier, on ne parviendra pas à mettre en place un capitalisme “à visage humain”. Les seules fois où les capitalistes se voient contraints de faire des concessions importantes pour la majorité de la population est lorsqu’ils sont confrontés à des mouvements de masse de la classe des travailleurs qui menacent l’avenir de leur système. Et même lorsque des concessions sont faites, ils tentent toujours de les récupérer d’une autre manière un peu plus tard.
Tout gouvernement qui demeure dans le cadre du capitalisme ne sera jamais en mesure de mettre en pratique les quelques propositions de Piketty. On estime à 20.000 milliards de dollars la richesse planquée dans des paradis fiscaux, la moitié de cette richesse appartenant à à peine 100.000 personnes. Cette somme est supérieure à la dette nationale cumulée de tous les pays développés. Personne ne paie de taxe sur cette immense richesse. Rien qu’au Royaume-Uni, on estime que la fraude fiscale (surtout du fait des riches) s’élève à 120 milliards de livres par an.
Une popularité révélatrice
Piketty reconnait en partie le fait que les capitalistes seront toujours tentés d’éviter de payer des taxes, en déménageant à l’étranger, etc. C’est pourquoi il parle d’une taxe progressive sur la richesse au niveau mondial. À nouveau, en tant que socialistes, nous soutenons cette revendication, mais nous ne pensons pas qu’il soit possible – dans un monde fait de flux et reflux de capitaux que les gouvernements sont incapables de contrôler – de parler de cette revendication sans l’introduire dans le cadre d’un programme plus large fait de revendications socialistes. Qui voterait cette taxe ? Un impôt mondial sur la fortune ne pourra qui plus est jamais être prélevé sans le monopole étatique sur le commerce étranger et la nationalisation des banques à échelle nationale puis internationale. Sans quoi, ce serait comme quelqu’un qui tenterait d’arracher ses griffes à un tigre de manière “douce”.
Malgré ses limites, la popularité du livre de Piketty illustre néanmoins le fait que de plus en plus de gens sont à la recherche d’une alternative au capitalisme du vingt-et-unième siècle, qui ne nous offre qu’un sombre avenir fait d’emplois mal payés, de contrats flexibles et précaires et de logements impossibles à payer. Nul doute que beaucoup de ceux qui aujourd’hui dévorent le livre de Piketty, demain mordront à pleines dents Le Capital de Karl Marx, qui leur donnera une analyse bien plus “moderne” et “pertinente” du capitalisme que celle de Piketty.
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États-Unis : après le “shutdown” – Soupirs de soulagement, mais l'austérité va continuer
C’est avec un grand soulagement que la population des États-Unis d’Amérique, simples travailleurs comme grands patrons, a appris la fin du “shutdown” de l’administration. 800 000 employés du gouvernement retournent au travail ; la plupart seront payés pour ces deux semaines sans travail.Malgré le fait que ces évènements soient perçus à juste titre comme une défaite pour le Tea Party, les Démocrates tout autant que les Républicains prévoient de lancer de grandes attaques sur les programmes d’aide sociale tels que Medicare, Medicaid et la sécurité sociale, dans le cadre de leurs négociations “bipartisanes” quant au nouveau budget fédéral, qui doivent commencer en décembre.
Par Bryan Koulouris, Socialist Alternative (CIO-USA)
Pour Robert Reich, qui était secrétaire au Travail sous le président Bill Clinton, « Obama a déjà proposé une méthode pour réduire les futures dépenses de la sécurité sociale, en modifiant la manière dont les montants à payer sont ajustés en fonction de la hausse du cout de la vie – en utilisant un indice des prix au consommateur “en chaine”, ce qui veut dire que lorsque les prix augmentent, les gens sont censés économiser en se tournant vers des alternatives meilleur marché. Mais cela n’a aucun sens si l’on parle des personnes âgées, qui dépensent déjà une part énorme de leurs revenus en médicaments, soins à domicile, et appareils médicaux dont les prix augmentent plus vite que l’inflation. »
Ces propositions de coupes budgétaires ne feront qu’encore saper l’autorité déjà mise à mal de notre système politique foireux. Qui plus est, nous devons déjà nous attendre à connaitre une crise similaire en janvier et février 2014. Un sondage Gallup effectué durant le shutdown a révélé que 60 % de la population trouve qu’il faut créer un nouveau parti aux USA – un record ! –, tandis que 26 % seulement pense que le système à deux partis fonctionne correctement. Voilà qui révèle une polarisation profonde au sein de la société américaine. L’immense vide à gauche se reflète directement par le succès des campagnes électorales locales menées par notre section américaine, Socialist Alternative.
La droite se retrouve isolée
Les politiciens du “Tea Party” (fraction de droite populiste à l’intérieur du parti républicain) et même certains de leurs riches sponsors avaient planifié ce shutdown gouvernemental longtemps à l’avance. Ils pensaient que c’était là leur dernière chance de battre le “Obamacare”, partie intégrale de leur bataille pour une politique ultra-austérité tout en activant leur base de droite en vue des élections de mi-mandat qui se dérouleront l’année prochaine. Au lieu de cela, ils n’ont fait que révéler au grand jour les énormes divisions au sein du parti républicain et démontrer l’ampleur de la crise politique apparemment permanente qui traverse la classe dirigeante américaine.
Le Tea Party est une invention de vieux républicains visant à créer une organisation faussement militante et “populaire” en se servant de l’énorme colère contre les renflouements bancaires et de la grande déception envers Obama. Ils ont reçu un certain écho dans un pays fort polarisé, et ont pu organiser de grands meetings qui rassemblaient des participants essentiellement blancs, âgés, vivant à la campagne ou dans les faubourgs résidentiels (suburbs) et de “classe moyenne”. L’idéologie du Tea Party colle à celle de ces personnes qui sont déçues du déclin relatif de la puissance américaine dans le monde et se sentent souvent mal à l’aise du fait d’avoir un président noir. Cette base a dans beaucoup d’endroits fortement ébranlé les primaires républicaines (élections au sein du parti), ce qui a poussé les candidats et députés républicains à se radicaliser et à refuser tout consensus bipartisan avec le reste de la classe dirigeante.
Le Tea Party a reçu beaucoup de publicité de la part des médias capitalistes, qui l’ont utilisé pour orienter le débat vers la droite et pour faire passer le programme d’austérité. Mais aujourd’hui, ils sont fortement discrédités. Chaque nouveau sondage montre à quel point le Tea Party est déconnecté de la réalité et du point de vue de la grande majorité de la population concernant la plupart des enjeux de société. Le mouvement Occupy a complètement bouleversé le débat quant à la crise, en accusant les véritables responsables, qui sont non pas l’intervention gouvernementale dans l’économie, mais la classe dirigeante dans son ensemble, et les inégalités au sein de la société.
La rhétorique du Tea Party a peut-être aidé les républicains lors des primaires dans les quartiers résidentiels, mais ce n’est pas une stratégie durable ni pour le parti républicain, ni pour ses riches mécènes. Même les frères Koch, des milliardaires ultra-conservateurs, ont fini par publier une déclaration dans laquelle ils se distancient du Tea Party et de son rôle dans le shutdown gouvernemental. Idem en ce qui concerne le célèbre pasteur de droite Pat Robertson.
Le dernier jour avant le début du shutdown, plusieurs très grands patrons sont intervenus auprès de John Boehner et de politiciens Tea Party pour tenter de les convaincre d’arrêter leurs menaces, qui revenaient à pointer un revolver sur la tempe de l’économie américaine. D’autres membres du Tea Party ont averti à Boehner que tout geste de soumission de sa part reviendrait à mettre un terme à sa carrière politique. Mais à présent, ils tentent de contenir le conflit au sein du parti républicain, qui est passé de la “guerre froide” à la “guerre de tranchées”. On s’attend encore à de grandes batailles lors des primaires républicaines pour les élections de mi-mandat, sans doute alimentées par les nouvelles divisions qui émergeront peut-être concernant la question du budget d’État en janvier et février prochains.
Tout cela a déjà fait énormément de dégâts aux institutions dirigeantes américaines dans la perception des travailleurs américains comme aux yeux de la population mondiale.
Une immense colère
C’est surtout le Tea Party qui est jugé responsable du shutdown, mais la plupart des gens sont également en colère contre tous les politiciens quels qu’ils soient. Il a été largement révélé que les députés du Congrès continuaient à recevoir leurs salaires, alors même que 800 000 fonctionnaires et employés de l’État se retrouvaient de force en congés sans solde, et que la fermeture de l’ensemble des services publics (comme les urgences hospitalières) a causé un grand nombre de morts.
Les dirigeants syndicaux n’ont pas appelé à la moindre manifestation contre le shutdown. Ce faisant, ils ont laissé passer une immense occasion de construire le soutien aux syndicats et pour un programme d’urgence pour l’emploi qui serait financé par des taxes sur les millionnaires et sur les grandes entreprises. La colère qui vit dans la société devait pourtant bien s’exprimer quelque part. Le Tea Party a tenté de mobiliser des camionneurs pour fermer les routes qui mènent à Washington DC, afin de capitaliser sur la frustration et de la diriger contre les Démocrates : cela a été un flop complet.
Des millions de gens ont vu Dylan Ratigan, un commentateur libéral, donner à la télévision un discours de cinq minutes extrêmement radical et apparemment improvisé, venant du cœur, qui a ensuite été partagé des centaines de milliers de fois sur Facebook.
Ratigan disait que « Des dizaines de milliers de milliards de dollars sont extraits des États-Unis d’Amérique par un système financier, un système boursier, un système de taxation, qui a été mis en place par les deux partis. Le Congrès est vendu ! Il faut arrêter affaire d’argent dans la politique ! Le système bancaire est totalement corrompu et il nous pille ! » Il n’a évidemment pas été jusqu’à dire qu’il nous faut un nouveau parti qui représente les 99 % de la population, pour installer le socialisme démocratique, mais le fait de voir ce pétage de plomb radical autant diffusé montre bien la conscience qui est en train de se développer.
Un écran de fumée pour couvrir la boucherie
L’adoption du budget fédéral a été renvoyé à un “comité congressionnel” qui prendra ses décisions dans les prochaines semaines. Obama et les dirigeants du parti démocrate ont déjà affirmé être prêts à attaquer tous les grands programmes sociaux qui nous viennent du “New Deal” et de la “Great Society”, qui avaient été imposés par des mouvements de masse des travailleurs, des opprimés et de la jeunesse. Obama a même été jusqu’à dire qu’il voudrait diminuer les taxes sur les grandes entreprises. Bien que beaucoup de gens sont contents de voir les politiciens “mettre leurs différences de côtés pour se mettre au travail”, le problème est que le programme des deux partis n’est pas du tout orienté vers la défense des intérêts de la population laborieuse et des pauvres. Il se base plutôt sur une approche conflictuelle qui vise à instaurer une politique pro-capitaliste. Tout accord budgétaire bipartisan s’en prendra de nouveau aux programmes essentiels que sont Medicare et la sécurité sociale, plutôt que taxer l’incroyable richesse de notre élite super-riche. Il faut donc s’attendre à voir encore grandir la déception envers les Démocrates si ces coupes budgétaires devaient être effectuées.
Le vide politique
Il y a d’immenses ouvertures pour le mouvement syndical et pour la gauche pour intervenir dans ce débat. Les récents sondages, les discours radicaux à la télévision, la popularité du mouvement Occupy, les luttes déterminées menées par les travailleurs à bas salaire – toutes ces éléments indiquent une ouverture massive que la gauche doit saisir fermement.
Socialist Alternative, section américaine du CIO, a montré l’exemple avec nos campagnes électorales extrêmement politiques et dynamiques à Seattle et à Minneapolis. Il faut que d’autres militants de la classe prolétaire se dressent et se présentent aux élections de mi-mandat de 2014, au niveau local et national.
Il nous faut des candidats qui viennent du syndicat des enseignants, en lutte contre les coupes et la privatisation de l’enseignement ; des candidats qui soient des propriétaires de maison menacés d’expulsion par les banques et les flics, en lutte contre les saisies immobilières ; des candidats qui soient des travailleurs à bas salaire, qui se présentent contre les politiciens capitalistes ; des militants anti-sexistes, anti-racistes, anti-homophobie, pour rompre avec la politique des deux partis des patrons.
Plus que jamais, cette crise montre à quel point Wall Street a deux partis, tandis que nous n’en avons aucun. Un pas énorme dans la construction d’un parti qui soit un parti des 99 % de la population, serait de voir deux-cent candidats indépendants se présenter pour les élections de 2014. Des candidats liés aux mouvements sur le terrain, des candidats qui refusent de se voir achetés, des candidats avec un programme de lutte pour et avec les travailleurs, les jeunes et les pauvres.
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Il y a certaines choses que l’on ne vous dit pas sur le capitalisme…
Alors que la crainte d’une nouvelle récession se fait sans cesse plus préoccupante, politiciens et économistes ne parlent plus que de ‘‘stabilisation’’, de retour à la ‘‘normale’’ pré-2008 (on ne parle même plus des ‘‘30 glorieuses’’ d’après guerre). Face à cet avenir incertain, de plus en plus nombreux sont ceux qui, effrayés, détournent le regard du caractère profond de l’actuelle crise systémique pour lorgner sur un passé, proche ou plus lointain, où tout semblait aller pour le mieux.
Par Nicolas Croes
Ce dossier est basé sur la critique de Lynn Walsh du livre ‘’23 choses que l’on ne vous dit pas sur le capitalisme’’ parue dans ‘‘Socialism Today’’, revue de nos camarades britanniques.
En fait, même selon ses propres critères, le capitalisme est un échec. Au cours de ces trente dernières années, l’influence grandissante du néolibéralisme a entraîné de moindres performances économiques partout à travers le monde. Les ingrédients de base de cette recette pro-riches étaient la dérégulation des marchés (particulièrement du secteur financier), la dégradation progressive de l’intervention de l’Etat dans l’économie (privatisations, libéralisations,…), une réduction massive de l’imposition des entreprises et des riches et, enfin, un assaut organisé contre les travailleurs et les droits syndicaux. Toutes ces mesures puisaient leur justification dans l’idée que les ressources seraient mieux gérées ainsi et que la richesse finirait par ‘‘ruisseler’’ du haut vers le bas, conduisant à une plus grande prospérité pour tous.
Des riches plus riches, des pauvres plus pauvres
Le principal succès remporté par le néolibéralisme est d’avoir augmenté les profits, les revenus et la fortune des capitalistes. Entre 1979 et 2006, le pourcent le plus riche des Etats-Unis a doublé sa part de possessions dans le revenu national (de 10% à 22,9%). Le 0,1% situé tout au sommet a même réussi à plus de tripler ses avoirs, en passant de 3,5% en 1979 à 11,6% en 2006. Selon l’hypothèse néolibérale, une croissance économique plus rapide devait également faire partie du processus. Sauf que, selon les données de la Banque Mondiale, l’économie mondiale a connu une croissance annuelle moyenne de 3% durant les années ‘60 et ‘70, pour une moyenne de 1,4% entre 1980 et 2009.
Alors que les revenus des actionnaires ont connu une véritable explosion, ceux des travailleurs et de la classe moyenne n’ont goûté qu’à la stagnation. De 1980 à aujourd’hui, les revenus des dirigeants d’entreprises (salaires, stock options,…) sont passés d’un rapport de 30 à 40 fois le revenu moyen d’un travailleur à… 300 à 400 fois l’équivalent du salaire d’un travailleur de base! Parallèlement, le plein emploi s’est évanoui au profit d’un chômage de masse tandis que se généralisaient les emplois précaires et sans protection syndicale. Cette stagnation des revenus des travailleurs a miné la demande en biens et services, jusqu’au moment ou cette chute des revenus a été compensée par le développement des dettes et emprunts, afin de doper la consommation.
De fait, il était possible de prêter de gigantesques masses d’argent, comme les investisseurs se tournaient de plus en plus vers un secteur financier au développement colossal puisque les investissements dans de nouveaux moyens de productions ne garantissent plus un taux de profit suffisant à leurs yeux. Le développement des nouvelles technologies et de la productivité était graduellement devenu un sérieux problème, en mettant sous pression le taux de profit et en poussant à économiser sur les salaires des travailleurs, qui de ce fait étaient constamment moins aptes à écouler la production. Le secteur financier s’est donc senti progressivement moins concerné par les perspectives à long terme de la production.
La formidable augmentation des profits du secteur financier n’a pas entraîné de similaire croissance de l’économie, ni de la productivité, et encore moins du niveau de vie de la majorité de la population. Et, malgré le développement de tout un tas de dérivés financiers visant à minimiser les risques, l’instabilité économique s’est accrue, avec toute une série de crashs financiers majeurs de la crise asiatique de 1997 jusqu’au point culminant de la crise survenue en 2008.
There Is No Alternative
Avec la dégradation de la situation économique d’après-guerre, l’idéologie et les politiques keynésiennes (intervention de l’État, dépenses sociales élevées et tentatives relatives de contrôle de l’économie nationale) ne correspondaient plus à la période. Elles ont donc peu à peu fait place au monétarisme de Milton Friedman et de ‘‘l’École de Chicago’’ (notamment célèbre pour avoir utilisé le Chili de Pinochet comme véritable laboratoire du néolibéralisme). Leur politique était basée sur la ‘‘main invisible’’, théorie selon laquelle le marché était capable de s’autoréguler, idée de plus en plus présentée comme une évidence quasi-scientifique. Et, même si ça ne fonctionnait pas parfaitement, il n’y avait pas d’alternative (‘’There Is No Alternative’’, Tina). Suite à la crise financière de 2008, Alan Greespan, à la tête de la Federal Reserve (la Banque centrale américaine), a dû confesser que cette idée était fausse et qu’il avait eu bien tort d’y croire.
A partir des années ’80 et de la contre-révolution de Thatcher (en Grande-Bretagne) et de Reagan (aux USA), les académiciens monétaristes du type de Friedman, auparavant considérés comme une petite clique d’économistes de droite, ont fourni le soutien intellectuel nécessaire au développement de ces politiques, faites pour s’adapter aux nouvelles conditions matérielles de la société afin de vigoureusement redéfinir les rapports entre travail et capital (à la faveur de ce dernier). Cet armement idéologique a considérablement été renforcé par l’effondrement du stalinisme. En l’absence de toute alternative idéologique de la part des dirigeants des partis ouvriers traditionnels, les idées néolibérales se sont diffusées dans de plus larges franges de l’opinion publique.
Comment coordonner l’économie ?
La contradiction fondamentale du capitalisme est que le processus de production est socialisé alors que la propriété des moyens de production est privée. La production capitaliste actuelle requiert un haut degré d’organisation sociale, mais les lois de la propriété privée des moyens de production et de la concurrence empêchent toute planification et entraîne une production anarchique se traduisant par des crises périodiques. Il est crucial et urgent de coordonner l’économie, de voir comment produire ce qui est exactement nécessaire à la collectivité, et de façon beaucoup plus efficace.
La division du travail entre les diverses entreprises s’est très fortement développée jusqu’à aujourd’hui, et les entreprises sont fort dépendantes les unes des autres. La nature sociale du processus de production s’est largement intensifiée. Aujourd’hui, entre un tiers et la moitié du commerce international concerne des transferts entre différentes unités au sein même des multinationales. D’autre part, les grandes entreprises ne peuvent poursuivre leur course aux profits à large échelle que grâce au soutien d’institutions publiques comme le système légal, l’enseignement et la formation des travailleurs, les subsides publics pour la recherche et le développement,… Toutes choses connaissant un degré de planification assez élaboré, mais hélas en restant dans le cadre de la course aux profits et de la concurrence inscrite au plus profond du système capitaliste.
Les secteurs clés de l’économie doivent être nationalisés et placés dans les mains de la collectivité pour procéder à une coordination des diverses unités de production, basée sur la satisfaction des besoins de la majorité de la population, dans le respect de notre environnement. Toutes les petites entreprises ne seraient pas nécessairement nationalisées, mais intégrées dans le cadre global de la planification établie. Cette planification centrale n’est pas une utopie, comme l’ont démontré les différents Etats durant les deux guerres mondiales, qui ont massivement introduit des éléments de planification dans le cadre de l’effort de guerre.
Mais pour être soutenable à long terme, pour reprendre les termes du révolutionnaire Léon Trotsky, une économie planifiée a besoin de démocratie comme un corps a besoin d’oxygène. Nombreux sont ceux qui rejettent tout système de planification à la simple idée du cauchemar stalinien et des dictatures bureaucratiques copiées sur le modèle de l’Union Soviétique. Mais il faut bien considérer que la dégénérescence de l’URSS ne provient pas de la ‘’folie d’un homme’’ ou du ‘’lien naturel entre le communisme et le stalinisme’’, mais de conditions historiques très précises (l’isolement d’un pays économiquement et culturellement arriéré, avec une classe ouvrière très limitée et un gigantesque analphabétisme,…) qui ont permis l’émergence d’une bureaucratie contre-révolutionnaire.
Des comités démocratiquement élus, avec des représentants révocables à tout moment par leur base, peuvent élaborer un plan économique flexible, adapté et coordonné à tous niveaux (local, régional, national et international) et continuellement amélioré par l’implication active de comités de base, tant du point de vue de la production elle-même que de la distribution ou encore de la vérification de la qualité des produits. Une société basée sur ces comités de quartier, d’usine, d’école,… – une société socialiste démocratique – est la meilleure réponse qui soit contre la dictature des marchés et des spéculateurs.

