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  • Où va la reprise ? Le spectre de l’inflation menace d’une nouvelle crise


    Il y a beaucoup à dire sur le rebond économique dit “post-pandémie”. Les chiffres semblent impressionnants, mais les signaux d’alerte sont nombreux. Les inégalités entre riches et pauvres atteignent de nouveaux sommets, ce qui a pour effet d’attiser les tensions sociales existantes et d’en créer de nouvelles. La flambée des prix des denrées alimentaires provoque de nouvelles explosions sociales. Le capitalisme a fait preuve d’une lenteur désastreuse, d’inégalités et d’inefficacité dans la distribution des vaccins, ce qui a entraîné des formes de virus plus contagieuses et plus résistantes aux vaccins. Les pressions inflationnistes pourraient contraindre les banques centrales à resserrer leur politique monétaire et replonger l’économie dans la récession. En outre, il y a les nombreux défis qui existaient déjà avant la pandémie et qui sont devenus plus grands, plus imminents et plus urgents : les points de basculement écologiques, la nouvelle guerre froide, l’accumulation de la dette, le manque d’investissements dans la capacité de production, etc.

    Par Eric Byl, Exécutif international d’ASI

    Il n’est donc pas étonnant que le Fonds monétaire international (FMI) prévienne que ces risques pourraient revoir à la baisse ses prévisions de « référence globale » (6 % de croissance mondiale en 2021 et 4,9 % en 2022). L’appel du FMI aux banques centrales pour qu’elles ne resserrent pas leur politique monétaire à moins qu’une inflation persistante ne les y oblige illustre également son manque de confiance.

    Les chiffres de croissance semblent impressionnants, mais ils doivent être replacés dans leur contexte. Ils interviennent après une contraction de 3,2 % de l’économie mondiale en 2020, la pire depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette croissance est également alimentée par des changements historiques dans la politique économique capitaliste, avec des interventions monétaires (création de monnaie) et fiscales (dépenses budgétaires) massives s’élevant à 16 % du PIB en moyenne dans les pays capitalistes avancés (27 % si l’on inclut les prêts, les fonds propres et les garanties). Les chiffres correspondants pour les pays “émergents” et à faible revenu étaient respectivement de 4 à 6,5% et de 1,5 à 2% du PIB. Selon le FMI, début juillet 2021, pas moins de 16.500 milliards de dollars avaient été dépensés par les gouvernements du monde entier pour lutter contre la pandémie. Dans cette optique, les chiffres de croissance du FMI sont en fait décevants.

    Les capitalistes et leurs représentants politiques ont compris la nécessité d’un changement drastique de politique pour sauver leur système de l’implosion et tenter de conjurer les bouleversements sociaux. Pendant la Grande Dépression de 1929, il leur a fallu 4 ans pour passer du “laissez faire” (marché libre) à une politique plus interventionniste de la part de l’État, avec le New Deal. Au cours de ces 4 années, le PIB américain avait diminué de 25 %, le chômage avait atteint 25 %, des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées sans abri et des bidonvilles appelés “Hoovervilles” (du nom du président Hoover) sont apparus un peu partout.

    Sous Hoover, la dette publique américaine est passée de 16 % du PIB en 1929 à 40 % en 1933. Ces chiffres peuvent sembler raisonnables selon les normes d’aujourd’hui, mais à l’époque, les revenus annuels du gouvernement fédéral américain ne représentaient que 4 % du PIB, contre environ 30 % aujourd’hui. Le rapport entre la dette fédérale et le revenu fédéral annuel a augmenté de manière exponentielle. L’année suivant le début du New Deal de Roosevelt, l’économie américaine a rebondi de 10,8 % et a continué à croître à un rythme comparable pendant 3 années consécutives avant que la dépression ne revienne. Le New Deal a permis de gagner du temps, mais tous les problèmes sous-jacents sont restés sans solution, jusqu’aux destructions et aux dépenses massives de la Seconde Guerre mondiale et de son issue, qui ont tout changé.

    Il semble que les économies des pays capitalistes avancés atteindront les niveaux de PIB d’avant la crise plus tôt que prévu. La Chine y est parvenue l’année dernière et les États-Unis au cours du premier trimestre de cette année. Le PIB de la zone euro est toujours inférieur de 3 % aux niveaux d’avant la crise, mais sa croissance a pour la première fois dépassé celle de la Chine et des États-Unis. Elle pourrait rattraper son retard d’ici la fin de l’année : la France devrait connaître une croissance de 6 %, l’Italie de 5 %, la Roumanie de 7,4 % et l’Allemagne, plus touchée que les autres pays européens par les pénuries de matériaux intermédiaires, de 3,6 %. Selon le FMI, la croissance des pays capitalistes avancés aura compensé toutes les pertes liées à la pandémie à la fin de 2022. C’est à dire, si les nouvelles variantes de Covid-19 sont maîtrisées. Nous avons déjà vu comment, lorsque Morgan Chase a abaissé ses prévisions de croissance pour la Chine au troisième trimestre de 5,8 % à 2,3 % en raison de la variante “Delta”, des ondes de choc ont été envoyées sur le marché boursier américain.

    Des lignes de faille qui creusent les inégalités mondiales

    Dans les économies “émergentes”, le rattrapage sera beaucoup plus long, et encore plus dans les pays à faible revenu. À tel point que le FMI prévient que la reprise mondiale sera coupée en deux par la “ligne de faille de l’accès aux vaccins”, et reconnaît que près de 80 millions de personnes supplémentaires devraient entrer dans l’extrême pauvreté en 2020-21 par rapport aux projections antérieures à la pandémie. Selon le FMI, les pays à faible revenu auront besoin d’au moins 200 milliards de dollars de dépenses supplémentaires pour lutter contre la pandémie et encore 250 milliards de dollars pour retrouver leur trajectoire de croissance économique d’avant la pandémie.

    Alors que 40 % de la population des économies avancées a été entièrement vaccinée, ce chiffre est inférieur de moitié dans les économies “émergentes”, et seulement 2 % dans les pays à faible revenu. Les interventions fiscales importantes dans les économies avancées par rapport aux pays émergents et à faible revenu ont également creusé davantage l’écart de richesse. Les inquiétudes suscitées par cette réalité ont conduit le FMI à créer de l’argent frais, par le biais de ce que l’on appelle les “droits de tirage spéciaux”, pour un montant de 650 milliards de dollars. Toutefois, plus de 50 % de cette somme ira aux économies avancées, 42 % aux économies émergentes et à peine 3,2 % aux pays à faible revenu. Elle augmentera cependant d’au moins 10 % les réserves détenues par l’Argentine, le Pakistan, l’Équateur et la Turquie. Bien qu’elle soit présentée avec de belles paroles, l’objectif principal mal dissimulé de cette politique est de tenter de soutenir la stabilité financière en évitant aux investisseurs/spéculateurs privés et publics de subir des pertes à la suite de défauts de paiements de dettes souveraines.

    La menace de l’inflation

    Entre-temps, la reprise mondiale a fait grimper les prix du pétrole de près de 70 % par rapport à leur niveau le plus bas de 2020, et celui des produits de base non pétroliers de près de 30 %, notamment les métaux et les denrées alimentaires en raison des pénuries. Cette situation est en soi une source d’agitation sociale, surtout si elle s’ajoute à la pandémie qui fait rage, comme nous l’avons vu en Tunisie, en Afrique du Sud et à Cuba. La dépréciation de la monnaie a également fait grimper le prix des importations, ce qui a encore aggravé l’inflation. Certains pays “émergents”, dont le Brésil, la Hongrie, le Mexique, la Russie et la Turquie, ont déjà été contraints de commencer à resserrer leur politique monétaire pour contrer les pressions à la hausse sur les prix.

    Dans les pays capitalistes avancés, la reprise s’est faite au prix d’une augmentation de la dette publique de 20% en moyenne et de plus d’un triplement des déficits budgétaires, ainsi que d’une expansion gigantesque des soldes des banques centrales. Avec les deux grands programmes de dépenses de Biden, la question se posait des risques que les économies “surchauffent” et que l’inflation devienne incontrôlable. Aux États-Unis, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 5,4 % en juin, après une hausse de 5 % en mai. L’indice des prix à la production a augmenté de 7,3 % en juin, un record sur 13 ans. La demande explose à mesure que les économies s’ouvrent, alors que de nombreuses entreprises manquent de matériaux pour répondre à la demande. La fin des moratoires sur les loyers et les hypothèques aux États-Unis ainsi que la fin de la réduction de la TVA en Allemagne alimentent encore ces pressions inflationnistes. La hausse des prix exerce une pression sur le niveau de vie de la classe ouvrière et des ménages pauvres.

    À ce stade, le FMI, les banques centrales et la plupart des économistes traditionnels considèrent que cette poussée de l’inflation est un phénomène temporaire qui retombera à des niveaux pré-pandémie en 2022. Ils estiment en effet que les marges de manœuvre du marché de l’emploi restent importantes, même si certains secteurs souffrent de pénuries et de difficultés d’embauche. Ils estiment que les tendances inflationnistes reposent sur des facteurs temporaires et que d’autres facteurs structurels, tels que l’automatisation, ont réduit la sensibilité aux prix.

    Théories néolibérales et keynésiennes de l’inflation

    En d’autres termes, les économistes traditionnels ont abandonné la thèse unilatérale et fondamentale du monétarisme (un concept central aux idées du “néolibéralisme”), selon laquelle la masse monétaire détermine les prix des biens et des services et l’inflation survient lorsque la masse monétaire augmente plus rapidement que la production. En fait, en 2020, la masse monétaire a augmenté de plus de 25 %, mais la plupart de ces fonds ont été thésaurisés ou utilisés pour la spéculation. En conséquence, l’énorme augmentation de la masse monétaire a été largement compensée par la baisse de la vitesse de circulation monétaire. Les prix des biens et services n’ont donc à ce stade pas reflété l’énorme création monétaire.

    L’autre théorie dominante de l’inflation est la thèse keynésienne de la “poussée par les coûts”. Cette thèse affirme que l’inflation est due aux salaires, le résultat d’un faible taux de chômage et d’une forte demande de main-d’œuvre par rapport à l’offre, ce qui entraîne une hausse des salaires qui, à son tour, fait augmenter les prix, ce que l’on appelle la spirale salaires-prix. Les keynésiens se réfèrent souvent à la “courbe de Phillips”, selon laquelle un taux de chômage élevé entraîne une déflation des prix, tandis qu’un taux de chômage faible provoque une inflation. Toutefois, dans les années 1970, contrairement à la courbe de Phillips, l’inflation et le chômage ont augmenté simultanément, ce que l’on a alors appelé la “stagflation”. Après la récession de 2008/9, le chômage dans les principales économies est tombé à des niveaux historiquement bas, tandis que les augmentations de salaires sont restées faibles, tout comme l’inflation des prix.

    Marxisme, valeur et inflation

    Marx n’a jamais formulé une théorie complète de l’inflation. Il affirmait que la monnaie représente la “valeur d’échange”, ou la quantité de travail nécessaire pour produire des biens et des services. Ce n’est pas la masse monétaire qui détermine les prix, mais bien l’inverse. Il ne s’agit pas de nier que l’offre et la demande, la formation de cartels, la lutte des classes, etc., interfèrent avec la fixation des prix, mais le facteur fondamental qui détermine les prix est la quantité moyenne de temps de travail socialement nécessaire pour la production et la transformation des biens et services. D’autres facteurs peuvent pousser les prix en dessous ou au-dessus de la valeur réelle (d’échange), mais toujours de manière temporaire.

    Marx rejette également l’idée que les augmentations de salaires sont la cause de l’inflation. Dans Valeur, Prix et Profit, il affirme : “une lutte pour une augmentation des salaires ne fait que suivre des modifications antérieures, qu’elle est le résultat nécessaire de fluctuations préalables dans la quantité de production, dans les forces productives du travail, dans la valeur du travail, dans la valeur de l’argent, dans l’étendue ou l’intensité du travail soutiré, dans les oscillations des prix du marché qui dépendent de celles de l’offre et de la demande et qui se produisent conformément aux diverses phases du cycle industriel; bref, que ce sont autant de réactions des ouvriers contre des actions antérieures du capital. Si vous envisagez la lutte pour des augmentations de salaires indépendamment de toutes ces circonstances et en ne considérant que les variations des salaires, si vous négligez toutes les autres variations dont elle découle, vous partez d’une prémisse fausse pour aboutir à de fausses conclusions.”

    Contrairement aux différentes “écoles économiques” du capitalisme, Marx n’a pas isolé une ou quelques caractéristiques symptomatiques (masse monétaire, coûts salariaux,…) pour en faire la cause première de tout, mais a abordé l’économie comme un jeu global de forces contradictoires.

    Dans sa Mise à jour des Perspectives de l’Économie Mondiale, le FMI semble confirmer involontairement ce constat. Il souligne le fait que la croissance des salaires est globalement stable jusqu’à présent et que, malgré une récente hausse de la croissance des salaires aux États-Unis, les salaires des individus n’indiquent pas une pression plus large sur le marché du travail et que les données du Canada, de l’Espagne et du Royaume-Uni montrent des modèles similaires de croissance des salaires globalement stable. En d’autres termes, s’il existe une “poussée des coûts” à ce stade, elle ne provient pas des salaires, mais des entreprises qui augmentent leurs prix, en partie en raison de la hausse du coût des matières premières, des produits de base et d’autres éléments, en partie en raison des perturbations causées par le Covid, et en partie pour tenter d’accroître leurs bénéfices. Si nous examinons la situation d’un point de vue plus large, la part du travail dans le PIB des pays capitalistes avancés a diminué depuis des décennies. Aux États-Unis, elle est passée d’une moyenne de 63 % dans les années 1950 et 1960 à 57 % au cours de la dernière décennie. Les salaires ne peuvent donc pas être tenus pour responsables des hausses de prix. En effet, si les salaires étaient restés au même niveau depuis les années 1960, les travailleurs américains auraient gagné collectivement mille milliards de dollars supplémentaires chaque année.

    Pour le FMI, le processus d’automatisation est un facteur essentiellement déflationniste ou, selon ses termes, un facteur de “réduction de la sensibilité aux prix”. Marx a expliqué cela plus clairement et plus longuement. Il a montré que les capitalistes, pour surpasser leurs concurrents, utilisent la “plus-value” (essentiellement le travail non rémunéré des travailleurs pris comme profits par les patrons) pour augmenter la productivité en installant des technologies meilleures et plus efficaces. En conséquence, le temps de travail requis par unité de production tend à diminuer. Ainsi, alors que l’offre de biens et de services a tendance à augmenter, la valeur réelle – la quantité de travail moyenne dépensée dans la production – de chaque produit ou service diminue parallèlement à l’augmentation de la productivité du travail. Cela explique pourquoi les prix des produits de base ont une tendance inhérente à la baisse et non à la hausse. Les capitalistes tentent de contrecarrer cette tendance et son impact sur le taux de profit par une exploitation accrue des travailleurs et par des moyens monétaires.

    Pour les travailleurs, la baisse des prix ou la déflation augmente leur pouvoir d’achat et leur épargne, mais pour les capitalistes, elle réduit leurs bénéfices, rend le remboursement des dettes plus difficile et rend les investissements productifs moins intéressants. Ils considèrent qu’une inflation contrôlée est “saine” car elle augmente les profits, rend le remboursement des dettes plus supportable, érode les salaires et stimule la consommation. Récemment, Kenneth Rogoff, ancien économiste en chef du FMI, a déclaré qu’”un peu d’inflation n’est pas une mauvaise chose”. Il affirme qu’après la crise financière de 2008, les banques centrales auraient dû adopter des taux d’intérêt négatifs et permettre une inflation de 4 à 6 % pendant quelques années. Il se dit désormais en faveur d’un objectif d’inflation de 3 % (au lieu des 2 % de la Fed) et cite favorablement son prédécesseur Olivier Blanchard qui plaidait en 2010 pour que les objectifs d’inflation soient portés à 4 %.

    L’inflation est difficile à gérer

    Par inflation “saine”, on entend un taux légèrement supérieur aux taux combinés de croissance de la productivité et de la main-d’œuvre. Jusqu’au milieu et à la fin des années 1970, dans les pays capitalistes avancés, un taux de 4 % était considéré comme sain, puis, lorsque la croissance de la productivité a ralenti, un taux de 2 % est devenu l’objectif d’inflation généralement admis. Kenneth Rogoff plaide en fait pour un élargissement de la marge entre l’inflation et les augmentations de productivité dans l’espoir que cela permettra non seulement de réduire le fardeau de la dette et d’augmenter la demande, mais aussi de stimuler la production. Le problème est que l’inflation est difficile à gérer.

    Au cours des 20 dernières années, les banques centrales n’ont pas réussi à atteindre leur objectif de 2 %, en partie parce qu’elles craignaient une répétition du début des années 1970, lorsqu’elles avaient complètement perdu le contrôle, ce qui avait entraîné ce que l’on appelait alors le piège de la stagflation, c’est-à-dire une stagnation économique combinée à une inflation à deux chiffres ou galopante. Il a fallu une combinaison d’attaques brutales contre le mouvement ouvrier et un fort freinage de la masse monétaire (qui a provoqué une nouvelle récession) pour que les capitalistes trouvent une issue. Au Royaume-Uni, Thatcher a augmenté les taux d’intérêt réels entre 1979 et 1982 de -3% à 4% et le chômage a grimpé en flèche de 5% à 11% en 1983. Volcker, alors président de la Fed aux Etats-Unis, a fait passer les taux d’intérêt réels de taux négatifs à 5%, et le chômage a doublé en 3 ans pour atteindre 10%, mais l’inflation a diminué de 13% à 3%. Le néolibéralisme est alors devenu la politique dominante pour toute une ère historique.

    Comme nous l’avons souligné précédemment, cela n’est plus tenable. Dans la crise actuelle, les capitalistes et leurs représentants dans les banques centrales et les gouvernements n’avaient d’autre choix que de recourir à des mesures plus interventionnistes. Cela ne leur plaisait pas, mais c’était nécessaire pour éviter un désastre économique encore plus grand qui aurait pu menacer leur système. Mais ils le font avec le spectre de la perte de contrôle dans un coin de leur tête.

    Les biens et services, y compris les biens de production (machines, matières premières, usines et bureaux) sont généralement vendus une fois ou quelques fois seulement pour être consommés et sortent rapidement de la circulation. Ils sont rarement thésaurisés et leur vélocité – le nombre de fois qu’ils entrent et sortent de la circulation – est limitée, facile à tracer et à contrôler. Ce n’est pas le cas de la monnaie. La même quantité d’argent peut entrer et sortir de la circulation plusieurs fois, passer d’un propriétaire à l’autre ou simplement être thésaurisée et ne pas circuler du tout. Avec la masse monétaire, la vélocité est un facteur beaucoup plus capricieux, la thésaurisation peut empêcher l’argent d’entrer en circulation, mais lorsque l’activité reprend et que l’argent commence à rouler, son “effet multiplicateur” peut facilement devenir exponentiel.

    C’est ce contre quoi Nouriel Roubini, alias Dr. Doom (Docteur Malédiction), met en garde, en ce qui concerne l’inflation. Il est difficile d’avoir un avis tranché sur la question. À ce stade, les tendances déflationnistes semblent toujours plus dominantes, mais l’économie marche sur une corde raide et de nombreux facteurs pourraient faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre. M. Roubini souligne l’évidence : les ratios d’endettement sont aujourd’hui près de trois fois plus élevés que dans les années 1970. Or, l’accroissement de la masse monétaire combiné aux chocs de l’offre pourrait déclencher l’inflation ; d’un autre côté, le remboursement de la dette est encore relativement bon marché, les taux d’intérêt étant historiquement bas et maintenus par les banques centrales.

    L’accroissement de la masse monétaire a cependant alimenté des bulles d’actifs et de crédit avec des ratios cours/bénéfices élevés, de faibles primes de risque et des actifs technologiques gonflés. Elle a également stimulé la crypto-mania irrationnelle, les dettes d’entreprise à haut rendement, les “meme stocks” (actions qui connaissent des changements soudains et spectaculaires en raison de l’engouement sur les médias sociaux), etc. Cela peut culminer dans ce que les économistes appellent un moment Minsky, une perte soudaine de confiance, et conduire à la panique déclenchant un crash.

    Il y a dix ans, les prix des denrées alimentaires sont devenus incontrôlables lorsque les spéculateurs ont inondé le marché à terme. Cela a conduit à des émeutes de la faim et a constitué un élément important de ce qui est devenu le “printemps arabe”. La répétition d’un tel scénario, surtout en période de pénurie créant de nombreuses opportunités spéculatives, est parfaitement imaginable, mais ses effets seraient encore plus désastreux dans le contexte de catastrophes climatiques, de marchés financiers surévalués et d’une pandémie qui fait rage.

    On parle également de “fièvre immobilière”, car les prix de l’immobilier ont bondi de 9,4 % dans les pays de l’OCDE au cours du premier trimestre de 2021. Aux États-Unis, en avril, les prix des logements ont atteint leur plus forte croissance depuis 30 ans. Les faibles coûts d’emprunt, la pénurie de l’offre, la hausse des prix de la construction et le fait que les personnes aisées recherchent des propriétés plus grandes en sont les causes. Les prix de l’immobilier augmentent à un rythme bien plus rapide que les revenus, ce qui accroît encore les inégalités. Fannie Mae, l’association fédérale américaine du logement, affirme que des prêts hypothécaires plus importants entraîneront une hausse des loyers et de l’inflation générale.

    Catch 22

    Si l’inflation devait augmenter davantage à moyen ou à long terme, les banques centrales se trouveraient dans une situation d’impasse “catch 22”: l’inflation pourrait atteindre un taux à deux chiffres si elles poursuivent leur politique d’accroissement de la masse monétaire et se retrouver dans un piège de stagflation. Dans les pays dont la dette publique est principalement libellée en monnaie nationale, la dette publique deviendra d’abord plus supportable. Dans les pays dont la dette publique est libellée en devises étrangères (dont bon nombre des pays les plus endettés d’Afrique et d’Amérique latine), ce ne sera pas le cas et un nombre croissant de ces pays risqueront de faire défaut et devront restructurer leur dette. Cela pourrait provoquer une chaîne de défauts de paiement, ce qui aggraverait les tensions internationales et pousserait au protectionnisme.

    Les dettes privées verraient également leurs spreads s’envoler par rapport aux obligations d’État plus sûres et la hausse de l’inflation ferait augmenter les primes de risque d’inflation. Environ un cinquième des entreprises américaines, et encore plus en Europe, sont considérées comme des entreprises zombies, ce qui signifie qu’elles seraient incapables d’assurer le remboursement de leurs dettes si elles n’avaient pas accès à de l’argent bon marché. Si cette source se tarissait, nombre d’entre elles feraient faillite et entraîneraient avec elles une chaîne de faillites.

    En revanche, si les banques centrales devaient réduire leurs interventions et augmenter les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, une crise massive de la dette, une chaîne de défauts de paiement et de faillites et une profonde récession seraient à portée de main. C’est pourquoi le FMI met en garde contre un resserrement monétaire prématuré. Il est désormais admis que la Banque centrale européenne a commis une erreur majeure en relevant ses taux d’intérêt trop tôt après la récession de 2008/2009. Elle a récemment revu sa politique, passant d’un objectif d’inflation de 2 % ou moins à une politique qui accepte que l’inflation puisse dépasser modérément cet objectif pendant un certain temps. Cela peut être interprété comme anecdotique, mais il s’agit en fait d’un changement majeur par rapport aux principes fondateurs de la BCE et à l’idée de la Bundesbank allemande de faire de la stabilité des prix la priorité absolue. Ce principe a été défendu sans relâche par l’establishment allemand, même au prix de l’imposition d’une contraction de 25 % de l’économie grecque après la grande récession de 2008/9, qui a causé des difficultés incommensurables à sa population. Il n’est pas exagéré de dire que cette politique a largement contribué à l’impréparation des services de pompiers grecs face aux incendies mortels qui y ont récemment fait des ravages.

    La Fed américaine semble devancer la BCE en déclarant “une politique qui compense l’incapacité passée à atteindre l’objectif d’inflation”, ce qui signifie que la Fed cherchera activement à pousser l’inflation au-dessus de son objectif. Bien que ce ne soit pas l’intention déclarée de la BCE et que cela provoquerait certainement des désaccords majeurs, notamment avec la Bundesbank, nous pouvons néanmoins nous attendre à ce que sa politique ne soit pas si éloignée de celle de la Fed si la zone euro est frappée par des chocs similaires.

    Un coup de pied dans la fourmilière

    Le scénario le plus probable est que les banques centrales et les gouvernements continuent à appliquer des politiques plus souples, mais peut-être de manière plus ciblée et avec l’intention de les réduire progressivement, avec beaucoup de prudence et probablement pas sans désaccords et revirements réguliers. En effet, il faudra le faire dans des circonstances extrêmement difficiles. Logiquement, la pandémie aurait dû donner lieu à une plus grande coopération internationale, mais le capitalisme a complètement échoué. Les équipement de protection, les tests et les respirateurs ont été militarisés pour servir les intérêts nationaux, puis nous avons vu apparaître la “diplomatie du vaccin” et l’”impérialisme du vaccin”. Les tendances au protectionnisme n’ont pas été inversées mais renforcées. Les gouvernements nationaux ont été poussés à rechercher une plus grande autosuffisance. De nouveaux chocs d’approvisionnement résultant du protectionnisme et stimulant l’inflation ne sont pas devenus moins, mais plus susceptibles de se produire.

    Cette situation sera aggravée par le vieillissement de la population dans les économies avancées et émergentes ainsi que par des restrictions plus strictes en matière d’immigration, d’autant plus qu’un nombre croissant de pays à faible revenu seront confrontés à des catastrophes sanitaires, à l’implosion économique, à des guerres et des guerres civiles ainsi qu’à la catastrophe climatique. La rivalité entre les impérialismes américain et chinois pour l’hégémonie mondiale s’est transformée en une guerre froide totale, qui pourrait parfois devenir chaude. Les alliances seront instables, certaines petites puissances profitant de l’impasse entre les deux forces impérialistes dominantes pour réaliser leurs propres ambitions impérialistes régionales. Un monde moins sûr et plus instable s’annonce, menaçant de fragmenter l’économie mondiale et de rendre les chaînes d’approvisionnement moins fiables, avec de nouveaux chocs à venir.

    Bien qu’il y ait une certaine reconnaissance de la nécessité de la transition écologique, le plan d’infrastructure de Biden n’a pas grand-chose à voir avec cela et vise principalement à ne pas être dépassé par la Chine. Les guerres technologiques et cybernétiques sont déjà bien engagées. Il n’y a aucune chance que le récent rapport du GIEC sur le changement climatique fasse ce que la pandémie n’a pas réussi à faire : agir comme un signal d’alarme pour convaincre les capitalistes du monde entier de mettre de côté leurs intérêts nationaux pour une coopération internationale.

    Aucun capitaliste ne renoncera volontairement à polluer s’il n’est pas bien compensé par des fonds publics qui seront finalement payés par les travailleurs et leurs familles. Le défi climatique exige le libre échange des connaissances et des technologies, la coopération internationale, la planification démocratique et des plans massifs d’investissements publics dans la transition écologique. Les intérêts privés et le mercantilisme, ingrédients clés de l’économie de marché, ne peuvent contribuer à cette solution, mais constituent le principal obstacle qui s’y oppose.

    On ne peut pas conclure avec certitude que la tendance déflationniste, qui est encore dominante aujourd’hui, sera suffisamment forte pour repousser les pressions inflationnistes dans les pays capitalistes avancés. Il y a trop de failles qui pourraient faire pencher la balance. Si l’inflation passe à deux chiffres, elle provoquera une résistance de masse. Il faut considérer le mouvement des Gilets jaunes en France en 2018 comme une mise en bouche. Mais même si les capitalistes parviennent à contenir la menace immédiate d’une crise inflationniste, cela ne résoudra pas non plus les grands problèmes systémiques sous-jacents. Les revendications sur les conditions de travail et les salaires, ainsi que les mouvements d’opposition à l’oppression et sur la catastrophe climatique se développeront encore…

    Une chose est sûre, l’illusion selon laquelle on peut s’en remettre à la sagesse du marché et réduire le rôle des banques centrales et des gouvernements à celui de simples technocrates “gérant” la société appartient au passé. L’idée de l’”indépendance” des banques centrales date d’une autre époque et les gouvernements seront contraints, qu’ils le veuillent ou non, de poursuivre des politiques plus interventionnistes. Il ne sera plus possible pour l’establishment de prétendre que la société a dépassé toute idéologie et que la gérer n’est qu’une question de techniciens intelligents.

    Au contraire, la politique réaffirmera sa primauté et, avec elle, la lutte idéologique sur les choix politiques s’épanouira. Les temps seront difficiles pour le “centre” politique, car la polarisation augmentera. La fausse illusion d’être ni de gauche, ni de droite, qui a toujours signifié en fin de compte que l’on acceptait fondamentalement la politique de droite existante, se dissipera. Des problèmes majeurs, insolubles dans le cadre de la société capitaliste, stimuleront la recherche de solutions plus radicales. Les forces populistes de droite tenteront d’exploiter ce phénomène. Il serait illusoire de penser que le réformisme ou le “populisme” de gauche peuvent y répondre. Seule une attitude sérieuse en matière d’analyse, de perspectives, de programme et d’organisation peut offrir une issue socialiste internationaliste à la décadence du capitalisme.

  • Opportunités et dangers à « l’ère du désordre » – Document de perspectives mondiales d’ASI

    Neil Cummings, “Le capitalisme, c’est la crise”, Occupy London, 2011, flickr.com

    Nous publions ici le texte d’un document sur les perspectives mondiales discuté, amendé et approuvé par le Comité international d’Alternative Socialiste Internationale lors de sa session du 23 au 26 février 2021. // Document sous forme de brochure

    Introduction

    Près de quatre mois se sont écoulés depuis la rédaction du document intitulé “Opportunités et dangers à l’ère du désordre”. Dans cette période de changements rapides, c’est un délai très long. Par conséquent, une série de développements cruciaux sont survenus que ce document ne couvre pas. Cependant, nous pensons que les principales tendances qui y sont identifiées ont été, en général, confirmées et renforcées.

    Comme le soulignait le document, “la polarisation massive va se poursuivre et, avec elle, l’affaiblissement supplémentaire des institutions bourgeoises”. L’année 2021 avait à peine commencé que les gens du monde entier regardaient avec stupéfaction des milliers de partisans de Trump et de l’extrême droite prendre d’assaut le Capitole à Washington DC – le point culminant de la campagne démagogique de Trump, qui a duré des mois, centrée autour du récit d’une “élection volée”. Ces événements ont profané une institution sacro-sainte du capitalisme américain. Les sections dominantes de la classe dirigeante américaine qui avaient soutenu Trump durant quatre ans n’ont pas pu digérer ces événements en raison de leurs effets déstabilisants. L’assaut contre le Capitole a conduit à un certain renforcement de l’État sur l’extrémisme d’extrême droite pour reprendre le contrôle de la situation et a déclenché la deuxième procédure de destitution de Trump au Sénat.

    Tout en aiguisant les conflits internes au Parti républicain, ces événements ont également montré la relative résilience du noyau dur des électeurs de Trump, que de nombreux élus républicains ne souhaitent pas s’aliéner. En ce sens, ni le délabrement de la démocratie bourgeoise américaine, ni le danger de voir se développer en son sein des mouvements populistes de droite et d’extrême droite plus affirmés – deux phénomènes que les événements du 6 janvier ont illustrés de manière graphique – ne seront fondamentalement inversés par l’arrivée de Biden à la Maison Blanche.

    Sans aucun doute, la nouvelle administration Biden a l’intention de “tirer un trait” sur les quatre dernières années du mandat de Trump, en projetant une nouvelle image de changement. Sur le front intérieur en particulier, la profondeur de la crise économique et sanitaire dont Biden a hérité l’oblige à faire plus que simplement repeindre la façade. Le nouveau plan de sauvetage américain de 1.900 milliards de dollars, qui comprend de « l’argent-hélicoptère », des investissements dans les soins de santé publics et des aides aux collectivités locales, confirme un changement dans les politiques économiques de la classe dirigeante américaine, qui s’éloigne du guide de jeu néolibéral. En outre, l’administration Biden envisage également de consacrer 2 000 milliards de dollars aux infrastructures et à la création d’emplois et de verser 300 dollars par mois et par enfant pour lutter contre la pauvreté infantile, qui atteint 21 %. Le rapport 2019 sur la compétitivité mondiale du Forum économique mondial a classé les États-Unis au 13e rang pour la qualité des infrastructures. Biden a averti que la Chine “mangera notre déjeuner” si l’Amérique ne “renforce pas” ses dépenses d’infrastructure en s’adressant aux sénateurs après son premier appel téléphonique avec Xi Jinping : “Ils investissent des milliards de dollars pour régler toute une série de problèmes liés aux transports, à l’environnement et à bien d’autres choses. Nous devons simplement faire mieux”.

    Ces mesures peuvent et vont très certainement donner un peu de répit à la nouvelle administration Biden, mais elles ne résoudront pas les contradictions structurelles sous-jacentes au cœur de la crise. Elles indiquent toutefois que les mesures de relance massives et les interventions accrues de l’État observées tout au long de l’année dernière ont pris une dynamique propre et ne seront pas rapidement ou facilement abandonnées – même si la durabilité et l’accessibilité financière de ces mesures, mises en œuvre à l’échelle internationale, varieront considérablement d’un pays à l’autre. En général, cependant, les ailes dominantes de la bourgeoisie comprennent que les ravages de la dépression mondiale de l’année dernière signifient que d’importants pans de l’économie sont encore sous assistance respiratoire, et que débrancher maintenant risquerait de tuer le patient, en plus d’augmenter les niveaux déjà élevés d’instabilité politique et sociale. Nous sommes donc d’accord avec le Wall Street Journal qui a récemment commenté : “Les lendemains de la crise de Covid pourraient voir beaucoup plus d’interventions gouvernementales”.

    Si l’on considère que l’économie mondiale a enregistré l’an dernier le plus grand et le plus large effondrement de son histoire, touchant 93 % des pays, il est probable que de nombreux pays connaîtront une forme de reprise économique en 2021. Mais cela ne signifiera évidemment pas un retour aux niveaux antérieurs de production ou à une croissance stable, et plusieurs facteurs pourraient provoquer un nouveau ralentissement mondial ou des rechutes de récession plus localisées, sous le poids de nouvelles vagues et de nouveaux confinements – comme cela semble de plus en plus probable dans la zone euro – ou déclenchées par une nouvelle crise financière – dont la menace, comme notre document l’a déjà expliqué, n’a pas disparu. Les scénarios pour l’économie mondiale seront dans une large mesure influencés par le niveau d’efficacité de la vaccination à l’échelle mondiale.

    Le regain initial d’optimisme des bourgeois à ce sujet, l’automne dernier, a fait place à une vision plus sobre, à mesure que les complications, les contradictions et le chaos du déploiement de vaccins sont apparus de façon spectaculaire. L’anarchie du marché, le fossé qui se creuse entre les pays pauvres et les pays riches, l’objectif lucratif des entreprises pharmaceutiques, le prestige et les intérêts concurrents des classes dirigeantes nationales, tout cela fait obstacle à une réponse rapide, globale et efficace. Selon l’OMS, au 10 février, environ 130 pays – où vivent quelque 2,5 milliards de personnes – n’avaient pas encore reçu une seule dose de vaccin. Mais même dans les pays de l’UE, seuls 4 % de la population ont jusqu’à présent reçu au moins une dose. Un calcul de Bloomberg montre qu’au rythme actuel de la vaccination, il faudrait sept ans au monde pour atteindre l’immunité de groupe.

    Cette lenteur et le manque de capacité de production et de distribution de vaccins dont disposent de nombreux pays du monde néocolonial laissent plus de place à la propagation de nouvelles variantes de la maladie, potentiellement plus dangereuses et résistantes aux vaccins. Cela peut encore compromettre les efforts déjà entrepris, même dans les pays les plus avancés, et pourrait contribuer, ironiquement, à un approfondissement de la fragmentation géopolitique et des tendances à la démondialisation.

    Le chaos et l’inefficacité qui caractérisent le déploiement mondial des vaccins sont d’une grande importance politique. Comme ce fut le cas lors de la première vague avec les pénuries d’EPI (équipements de protection individuels), de respirateurs, de tests, etc., la crise de la vaccination du capitalisme met en lumière les entraves que le capitalisme impose à la production et à la distribution des biens les plus nécessaires. Le phénomène du “nationalisme vaccinal”, qui a déjà donné lieu à de vifs affrontements entre le Royaume-Uni et l’UE et qui a menacé de dynamiter l’accord sur le Brexit quelques jours seulement après sa conclusion, revêt une importance particulière. La précipitation des classes dirigeantes nationales à vacciner d’abord “les leurs”, motivée par le désespoir de rouvrir la machine à profit et de devancer les rivaux sur le plan économique, est l’une des plus grandes menaces pour la lutte contre le Covid, qui nécessite un programme de suppression et de vaccination international.

    Même si la pandémie de Covid-19 devait être maîtrisée, cette pandémie a de toute façon été un test sur l’ampleur et les effets toujours plus rapides de la catastrophe environnementale générée par le mode de production capitaliste. Le chercheur en environnement John Vidal, qui s’est entretenu avec des experts scientifiques et médicaux du monde entier, a récemment averti que, compte tenu de la destruction continue de l’habitat naturel des animaux, le pire est à venir en matière de menaces virales. Il exhorte à se préparer à une pandémie pire que le Covid “à l’échelle de la peste noire”, qui pourrait “ravager le globe en quelques semaines”. Le fait même que de tels scénarios soient discutés de façon plausible au sein de la communauté scientifique donne un aperçu des niveaux de barbarie que réserve la poursuite de ce système.

    Le conflit entre les États-Unis et la Chine va s’accélérer. Biden a présenté sa politique étrangère comme une rupture radicale avec celle de Donald Trump. Comme nous l’avons déjà souligné dans le document, les premiers signes indiquent qu’une relation plus glaciale avec le régime saoudien est à l’ordre du jour et qu’il devra “faire quelque chose” au sujet de ses promesses de campagne pour mettre fin à la guerre au Yémen, une guerre que l’administration d’Obama a contribué à créer. Les conditions d’une relance de l’accord sur le nucléaire iranien s’avèrent toutefois être un champ de mines politique, et le président iranien Rouhani – qui a exigé un allègement des sanctions avant de retourner à la table des négociations – termine son mandat cet été.

    Les dernières semaines ont également mis à bas les illusions selon lesquelles une administration démocrate annoncerait une réinitialisation qualitative des relations entre les États-Unis et la Chine. “Le président Trump a eu raison d’adopter une approche plus dure à l’égard de la Chine”, a déclaré le secrétaire d’État Antony Blinken lors de l’audition qui a confirmé sa nomination. Même si il ne s’agira pas d’une politique linéaire, la grande confrontation inter-impérialiste est là pour rester et risque de s’approfondir. Biden a promis une “concurrence extrême” avec la Chine, dans un contexte d’intensification des conflits en mer de Chine méridionale et d’intensification de l’impasse sur les nouvelles technologies, qui entraînent de nombreux autres pays dans leur sillage.

    Récemment, plusieurs accords commerciaux ont été signés, mais leurs détails doivent encore être négociés – comme c’est le cas de l’accord entre l’UE et la Chine, signé en 2020 mais qui ne sera pas finalisé avant 2022, voire jamais, et qui doit encore être ratifié par le Parlement européen. En outre, ces accords commerciaux ne peuvent occulter le contexte de la guerre froide de plus en plus polarisée dans lequel ils s’inscrivent. Le différend entre l’Australie et la Chine, qui a atteint des sommets presque immédiatement après la signature de l’accord RECP en Asie-Pacifique, en est une illustration. Pendant ce temps, la rhétorique des “droits humains” de la diplomatie de Biden semblera superficiel alors que son administration cherche à renforcer les alliances avec les rivaux régionaux de la Chine, au premier rang desquels se trouve le régime de Narendra Modi en Inde – dont le caractère de plus en plus antidémocratique est indiqué, entre autres, par ses tentatives violentes de réprimer les partisans de la révolte paysanne héroïque, longue de plusieurs mois et très populaire qui secoue son régime.

    Ayant besoin de projeter sa force sur les fronts intérieur et extérieur, le régime chinois a intensifié la répression à Hong Kong. En janvier, le PCC a procédé à la plus grande purge de figures de l’opposition depuis qu’il a imposé la loi sur la sécurité nationale dans la ville, et les syndicats de travailleurs ont été mis au pas. ASI, comme nous l’indiquions dans le document, doit accorder aux revendications démocratiques “une importance critique et renouvelée en cette période”. Ce point a trouvé une expression nouvelle et brûlante avec le coup d’État militaire au Myanmar le 1er février. Mais il en va de même pour l’autre aspect de la proposition : le fait que le passage des classes capitalistes à des formes de pouvoir plus autoritaires “ne se fera pas sans de sérieuses ripostes”. Les généraux ont “déclenché une nouvelle dynamique révolutionnaire à un moment d’intense bouleversement social et économique”, comme l’a décrit avec justesse un article du Financial Times. Des centaines de milliers de jeunes et de travailleurs sont descendus dans la rue pendant des jours et des jours pour résister au coup d’État dans le cadre d’une campagne de désobéissance civile de masse. Il est de la plus haute importance que la classe ouvrière ait commencé à s’élever en tant que force indépendante dans une vague croissante d’actions de grève impliquant des médecins, des enseignants, des cheminots, des fonctionnaires, des contrôleurs aériens, des employés de banque, des mineurs de cuivre… De manière significative, certains officiers de police ont été touchés par ce mouvement croissant, affichant ouvertement leur solidarité avec les masses dans les rues. En Haïti, des milliers de personnes ont défilé dans les rues au début du mois de février en scandant “A bas la dictature !” alors que le président profondément corrompu Jovenel Moïse s’accroche au pouvoir en gouvernant par décret depuis plus d’un an. Il a récemment utilisé un prétendu complot pour un coup d’Etat comme prétexte pour réprimer l’opposition et consolider son règne despotique.

    Il ne fait aucun doute que la classe ouvrière et la jeunesse ont accéléré le rythme de la lutte dans le monde entier, avec de nouvelles révoltes qui font les gros titres presque quotidiennement. De manière significative, le récent rapport du Forum économique mondial a identifié la “désillusion des jeunes” comme l’un des principaux facteurs de risque mondiaux pour 2021. Le mouvement de protestation qui a secoué la Tunisie pendant des semaines depuis la mi-janvier, les récentes manifestations étudiantes qui ont éclaté en Grèce et en Turquie, la vaste vague de protestations déclenchée par l’arrestation d’Alexei Nalavny en Russie : tous ces événements ont vu la jeunesse se battre à l’avant-scène en faisant preuve d’une extrêmement basse tolérance face à l’autoritarisme, à la corruption et à la pauvreté. Ces derniers mois ont confirmé la radicalisation tout aussi ferme qui touche des sections de la classe ouvrière organisée elle-même, souvent avec comme fer de lance les travailleurs de la santé et de l’éducation, de la Grande-Bretagne à Chicago, du Pays basque à la Bolivie.

    Bien sûr, les forces substantielles mobilisées dans de nombreux pays par les sceptiques d’extrême droite liés au Covid illustrent le danger que les forces réactionnaires développent également une capacité de mobilisation. Cependant, la base sociale de ces protestations est plutôt dominée par la classe moyenne et la petite-bourgeoisie que par la classe ouvrière, ce qui s’exprime également dans leur programme : en faveur de la “liberté” contre l’État et le droit de garder leurs entreprises ouvertes, contre les vaccinations et les multinationales pharmaceutiques, sceptiques à l’égard de la science et alimentant les théories complotistes réactionnaires et parfois un antisémitisme ouvert. La droite, qui est souvent à la tête de ces manifestations, ne peut pas être combattue en exposant moralement qu’elle est de droite et en défendant les mesures gouvernementales, mais en combinant la mobilisation contre la droite avec la critique des politiques sanitaires capitalistes dans une perspective socialiste. Ceci étant dit, certaines des couches impliquées dans ces protestations reflètent un sentiment anti-système très confus et pourraient potentiellement être gagnées par le mouvement des travailleurs si celui-ci mettait plus clairement son empreinte sur les événements.

    L’instabilité politique et les conflits entre les classes dirigeantes s’aggravent également dans tous les pays. À la mi-janvier, l’Europe a vu trois gouvernements nationaux tomber en une seule semaine aux Pays-Bas, en Estonie et en Italie, les classes dirigeantes ayant du mal à naviguer sur les rapides de cette crise sans précédent. Le discrédit croissant des politiciens, coalitions et partis de l’establishment offrira de nouvelles ouvertures aux forces qui se présentent comme anti-establishment et anti-système. Cela peut être le cas à droite, comme l’ont montré les récentes élections présidentielles au Portugal, qui ont vu le parti d’extrême droite Chega réaliser des gains importants dans un contexte d’effondrement du vote de gauche, en particulier du Bloc de gauche (BE) qui a servi de bouée de secours au gouvernement PS et à sa gestion désastreuse de la pandémie. Mais cela peut aussi être le cas à gauche, comme l’a montré le premier tour des élections en Équateur le 7 février, où les masses ont infligé une défaite écrasante à l’administration de droite sortante. Andrés Arauz, un associé de l’ancien président réformateur Correa, a remporté le plus grand nombre de voix et le candidat du parti indigène Pachakuti, Yaku Perez, a bénéficié d’une augmentation inattendue de son soutien et a manqué de peu une place au second tour (sur fond d’allégations de fraude électorale à son encontre). Ces résultats sont une continuation et une expression politiques du soulèvement de masse d’octobre 2019.

    En Catalogne, après plus de 3 ans d’impasse, les élections régionales ont vu s’intensifier la polarisation. Le parti Vox a fait son entrée au Parlement catalan pour la première fois, mais aussi la CUP, un parti de gauche, qui a augmenté ses voix de 50% par rapport aux dernières élections de 2017. Fait important, les partis pro-indépendance obtiennent leur plus grande majorité à ce jour, ce qui, ajouté à la probable victoire écrasante du SNP en Écosse lors des élections écossaises de mai, souligne les points évoqués dans le texte concernant la question nationale et sa persistance en tant que facteur clé de la crise à venir.

    Alors que l’année 2020 s’est achevée sur une victoire historique du mouvement pour le droit à l’avortement en Argentine, le gouvernement polonais a appliqué un mois plus tard la décision de la Cour constitutionnelle interdisant l’avortement dans ce pays, en dépit de l’énorme mouvement de résistance qui avait secoué l’élite dirigeante l’automne dernier. Tous ces développements font ressortir ce que notre document avait souligné : le fait que, dans le monde entier, la succession de développements progressistes et réactionnaires, de poussées de la réaction et de soulèvements de masse a été énormément aiguisée et accélérée par la crise sanitaire – provoquant de brusques changements dans la conscience de masse, et présentant à notre Internationale révolutionnaire à la fois de nouvelles séries de dangers et des opportunités croissantes pour construire nos forces.

    Opportunités et dangers à « l’ère du désordre ».

    La pandémie de Covid-19 a changé le monde à jamais, plongeant le capitalisme dans un tourbillon de crises d’une ampleur sans précédent, avec des conséquences dramatiques sur tous les aspects de la vie et englobant toutes les parties de la planète. Elle a considérablement aggravé le conflit stratégique mondial entre les deux plus grandes puissances impérialistes, les États-Unis et la Chine, ce qui bloque encore davantage les efforts visant à trouver une réponse “globale”.

    Si les causes fondamentales de cette crise résident dans les contradictions de l’économie capitaliste, le Covid-19 n’est pas une anomalie ni un “grain de sable dans la machine capitaliste” ; il est un sous-produit de ses contradictions – en particulier de la destruction de l’environnement que le système a créée. En soi, l’existence même de ce virus dans la population humaine est une mise en accusation du mode de production actuel, un avertissement que le capitalisme déséquilibre complètement l’écosystème et génère des dangers biologiques et environnementaux à une échelle croissante qui menace les espèces à une échelle massive de même que l’existence de la civilisation humaine.

    Le virus a été bien plus qu’un simple catalyseur de la dépression économique actuelle. Les effets de la pandémie qui en résultent ne sont pas une “voie à sens unique”, mais une interaction dialectique dans laquelle la cause devient l’effet et l’effet devient la cause, la pandémie intensifiant la profondeur de la crise du système qui l’a engendrée en premier lieu.

    Le COVID a été un accélérateur, car il a mis sous pression toutes les conditions préexistantes. Il a déclenché et intensifié la récession économique qui était imminente. Il a encore accru les inégalités de revenus, de genre et de couleur de peau. L’idéologie néolibérale, qui s’est effilochée, est maintenant en lambeaux. Les limites de l’État-nation ont été fortement mises en évidence par le nationalisme vaccinal. Elle a également renforcé la prise de conscience du fait que toute l’humanité partage une planète et un avenir commun et a stimulé le soutien aux idées de planification et de coopération. D’un point de vue économique, cette pandémie a complètement mis en pièces l’idée du capitalisme comme système “autorégulé”. La “main invisible du marché” a totalement perdu le contrôle des forces qu’elle a libérées – et a été forcée de faire place à la “main directrice de l’État” dans une tentative désespérée de retrouver un semblant de contrôle sur la situation. Mais comme la propriété privée des moyens de production, la maximisation du profit et la concurrence entre États-nations restent les pierres angulaires du capitalisme mondial, cette tentative est vouée à l’échec et ne fera qu’aggraver la situation. La mauvaise gestion initiale désastreuse de l’épidémie par l’État chinois souligne également les limites des “solutions” capitalistes d’État.

    Le monde est entré dans une phase qualitativement nouvelle d’instabilité généralisée, remodelant les relations mondiales et les relations entre les classes, accélérant toutes les contradictions préexistantes tout en en créant de nouvelles. Malgré inéluctabilité que des phases de stabilisation temporaires dans tel ou tel pays ou région prennent place, les convulsions révolutionnaires et contre-révolutionnaires, caractéristiques importantes de la décennie précédente, seront considérablement amplifiées.

    Cette crise crée des catastrophes monumentales pour les masses et ouvre la voie à des catastrophes encore plus grandes à l’avenir. Mais elle ouvre également la voie à d’énormes changements dans la conscience de dizaines de millions de travailleurs et de jeunes dans le monde entier, ainsi qu’à des bouleversements politiques et sociaux volcaniques sur tous les continents. Les questions posées auparavant par une minorité avancée deviendront de plus en plus des questions brûlantes posées par une grande masse de personnes. Déjà, la crise a ébranlé de nombreuses croyances établies, jeté à bas le corpus idéologique du néolibéralisme et provoqué un débat sur l’organisation de la société humaine à une échelle jamais vue depuis plusieurs décennies.

    Les conditions objectives auxquelles l’humanité est confrontée aujourd’hui réclament une planification démocratique et le socialisme mondial comme jamais auparavant. Cependant, comme Lénine l’a souligné, il n’y aura pas de crise finale du capitalisme – à moins qu’il ne reçoive le coup de grâce par la classe ouvrière, il continuera à faire souffrir des milliards de personnes, à détruire davantage l’environnement et à provoquer de nouvelles guerres. Le capitalisme a duré bien plus longtemps que ne l’imaginaient les grands dirigeants marxistes du XIXe et du début du XXe siècle. Il a fait preuve d’une grande flexibilité, mais aussi de répression brutale et de duplicité. Mais sa longévité a accumulé d’énormes contradictions, également plus grandes que ce que les dirigeants du passé auraient pu imaginer. Aujourd’hui, ces contradictions interagissent et se heurtent, accumulant de multiples crises et désastres pour le capitalisme et, si elles ne sont pas résolues, pour l’humanité. Il est difficile d’envisager une quelconque période de stabilité à l’avenir. Cependant, le capitalisme ne va pas disparaître, il va plutôt s’efforcer de trouver de nombreux moyens de s’échapper. La classe dirigeante va s’agiter et faire des zigzags sauvages, appliquer des politiques contradictoires, fouiller dans le passé pour trouver des solutions et adopter de nouvelles idées. Elle pourrait bien tenter des réformes, dépenser de grandes quantités d’argent public, pratiquer une austérité brutale, etc. La classe ouvrière et la jeunesse se tourneront largement vers des solutions internationales et coopératives, et de plus en plus vers le socialisme, pour mettre fin à la prison de l’instabilité et de la souffrance sans fin. Nous serons confrontés à des périodes d’accalmie, voire de désespoir, mais surtout à des mouvements et des explosions titanesques. Les vingt dernières années furent une répétition générale de ce qui attend une classe ouvrière qui a laissé l’effondrement du stalinisme derrière elle. La dure vérité du 21e siècle est que le capitalisme doit être supprimé pour libérer l’humanité d’un avenir sombre, et entrer à la place dans un monde de sécurité, de bien-être et d’harmonie écologique. L’intervention consciente des marxistes dans cette période menaçante et explosive et la construction de puissants partis révolutionnaires armés d’une Internationale pour aider la classe ouvrière à renverser le capitalisme et à construire le socialisme, restent en fin de compte le seul vaccin contre ce système malade.

    La rupture métabolique avec la nature devient un gouffre

    Dans l’ombre des crises sanitaires et économiques, la crise climatique continue de s’aggraver. En l’état actuel des choses, les glaces de l’océan Arctique ont diminué de 44 % depuis 1979, le niveau des mers a augmenté de 25 centimètres depuis 1880, le dioxyde de carbone dans l’atmosphère a augmenté de 6 % au cours des dix dernières années (pour atteindre 413 ppm), et la température moyenne a augmenté de 1,2 degré Celsius depuis l’époque préindustrielle. D’ici janvier 2021, le monde a moins de sept ans pour mettre fin aux émissions fossiles afin de pouvoir contenir le réchauffement climatique dans les limites de l’objectif de 1,5 degré fixé dans l’accord de Paris. Pourtant, 87 % de la production énergétique mondiale est d’origine fossile.

    En 2020, les émissions de carbone ont chuté d’environ 7 % en raison des confinements et du ralentissement économique. Les illusions initiales dans la capacité de “guérison de la nature” ont cependant été mises à mal – l’année 2020 a établi plusieurs records inquiétants. Les 29 tempêtes tropicales qui se sont formées cette année sur l’océan Atlantique représentent le plus grand nombre de tempêtes depuis que ces statistiques sont enregistrées, soit 1851. 82 % des mers du monde ont connu au moins une vague de chaleur marine cette année. Début décembre, 2020 semble être la deuxième année la plus chaude jamais enregistrée, juste derrière 2016, selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM) qui note également que la décennie 2011-2020 sera la plus chaude jamais enregistrée, 2015-2020 seront les six années les plus chaudes.

    Le nouveau domaine de recherche “attribution des phénomènes météorologiques extrêmes” peut désormais montrer un lien clair et évident entre les phénomènes météorologiques extrêmes et le changement climatique – par exemple, la vague de chaleur sans précédent qui a frappé la Sibérie en 2020, avec entre autres effets la fuite catastrophique de pétrole à Norilsk causée par la fonte du permafrost, a été rendue au moins 600 fois plus probable par le changement climatique.

    Certains points de basculement ont peut-être déjà été franchis : des études ont montré cette année que la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique se poursuivra même si les objectifs de Paris étaient atteints. Les vastes incendies de forêt de l’année dernière et leur contribution à l’augmentation de 2,6 % des émissions de carbone, contre une moyenne annuelle de 1,4 % depuis 2010, sont un avertissement des cercles vicieux qui se mettent en place. Selon l’OMM, l’augmentation moyenne de la température pourrait déjà dépasser 1,5 degré d’ici 2024.

    La crise climatique est étroitement liée à d’autres bombes à retardement écologiques, telles que l’extinction massive d’espèces en cours (68 % des animaux vertébrés ont disparu depuis 1970 selon le WWF, et 24 % des insectes pourraient avoir disparu au cours des 30 dernières années). L’empiétement de l’agriculture et de l’industrie sur la nature, si critique dans le déclenchement de la pandémie de Covid-19, a atteint des niveaux extrêmes – rares et en diminution sont les zones qui ne sont pas “fortement touchées par l’activité humaine” sur terre et en mer. Neuf personnes sur dix vivent désormais dans des zones gravement touchées par la pollution atmosphérique, qui, selon les estimations, est à l’origine de la mort de sept millions de personnes chaque année.

    Cela souligne la profonde division de classes derrière le tournant de ce que Marx a décrit comme une rupture métabolique entre les humains et notre environnement en un gouffre béant. La moitié la plus pauvre de la population mondiale est responsable pour moins de la moitié des émissions de carbone des 1 % les plus riches. L’idée selon laquelle c’est le capitalisme en tant que système qu’il faut supprimer pour avoir une chance d’arrêter et de s’adapter au changement climatique et à la dégradation de l’environnement, va s’imposer dans l’esprit de larges couches de jeunes, de communautés de la classe ouvrière et de travailleurs dans les années à venir.

    Nouveaux confinements – un coup de massue pour l’économie mondiale

    Selon les dernières perspectives pour l’économie mondiale du FMI (14 octobre), la crise du coronavirus infligera des dommages durables au niveau de vie dans le monde entier. Le FMI s’attend à ce que l’économie mondiale se contracte de -4,4%, soit moins que les -5,2% estimés en juin. C’est de loin le pire résultat depuis la Grande Dépression du début des années 30. Ces chiffres pourraient bien se révéler trop optimistes. Le rapport du FMI a été publié juste avant que la résurgence de la pandémie n’atteigne son apogée. Depuis lors, les mesures de confinement partiel et les restrictions se sont intensifiées car, six mois après le début de la pandémie, les gouvernements sont toujours incapables de garantir des conditions de travail et de vie sûres.

    Dans de nombreux pays, des couvre-feux ont été mis en place. Les cafés et les restaurants sont fermés. Jusqu’à un tiers d’entre eux ne rouvriront jamais. Les interdictions de voyager sont réintroduites et les agences de voyage font faillite. Le nombre de personnes que l’on peut rencontrer est limité, de même que la libre circulation. Les pays ont du mal à sauver leurs systèmes de santé de l’effondrement. C’est notamment le cas de la République tchèque et d’autres pays d’Europe centrale et orientale qui ont été relativement épargnés par la première vague du virus mais qui sont maintenant dans l’œil du cyclone. Pendant des années, les professionnels de la santé de la région ont émigré en grand nombre, principalement vers l’Europe occidentale, attirés par de meilleurs salaires et conditions de vie. En Hongrie, les médecins sont payés 3 euros de l’heure et ne sont pas impressionnés par l’augmentation de salaire de 120 % promise, liée au fait qu’ils peuvent être déployés partout dans le pays.

    Mais même dans les pays les plus riches, le système de santé est menacé. Le maintenir à flot est une priorité, tout comme d’éviter la fermeture d’écoles et des lieux de travail, car « l’économie ne peut pas se permettre un autre blocage complet », pour citer le nouveau premier ministre belge. En France, 25 % des foyers d’infection proviennent des lieux de travail, les écoles étant la deuxième source principale d’infection. Les classes dirigeantes sont prêtes à sacrifier nos vies pour leurs profits, mais dans de nombreux pays, cette approche devient intenable et aboutit à de nouveaux confinements, même s’ils sont un peu moins draconiens que les mesures mises en place lors de la première vague. C’est comme un coup de massue sur les pronostics de croissance économique de la bourgeoisie, avec de larges répercussions sur tous les aspects de la vie.

    La ruée vers un vaccin

    D’autre part, au moment de la rédaction de ce document, il semble y avoir des perspectives de plus en plus positives concernant le développement d’une première génération de vaccins anti-Covid au cours de l’hiver 2020/21. Bien que cela puisse offrir un certain répit à l’économie mondiale, et être potentiellement considéré par la bourgeoisie comme une voie de sortie des confinements intermittents à court et moyen terme, nous devons souligner qu’un vaccin anti-Covid ne vaccinera pas l’économie mondiale contre la menace de la nouvelle Grande Dépression qui se développe, ni ne bannira la pandémie dans un avenir prévisible. En outre, la crise de légitimité de l’establishment politique a renforcé la tendance au “scepticisme à l’égard des vaccins”, les sondages réalisés dans plusieurs pays, des Amériques à l’Europe, indiquent qu’environ la moitié des populations de ces pays ne prendraient pas le premier tour de vaccination. Cependant, cela n’affectera probablement pas l’approche globale de la bourgeoisie, dont la priorité immédiate est de réduire le nombre de morts afin de rouvrir complètement l’économie.

    Même dans les pays occidentaux, la production massive et la distribution des vaccins sera un long processus et sera assailli de problèmes et de contradictions. Là encore, la dimension de guerre froide est très prononcée, rappelant la course à l’espace entre les États-Unis et l’URSS, dans la “diplomatie des vaccins” concurrente des capitalistes chinois, russes et occidentaux envers leurs propres populations et celles d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. L’incompétence et le chaos qui ont caractérisé la ruée vers les équipements de protection individuels (EPI), les tests et les ventilateurs – découlant des entraves capitalistes de la propriété privée et de l’État-nation – au début de cette année, ont refait surface et referont surface dans la quête d’un programme de vaccination mondial efficace.

    La question de la vaccination mettra également en lumière l’inégalité croissante entre les classes, les nations et les régions du monde, qui est une caractéristique majeure de la situation mondiale. Les facteurs de production, de stockage, de logistique et de réfrigération sont déjà cités comme des obstacles à la fourniture et à la distribution de la première génération de vaccins anti-Covid dans le monde néocolonial. Les limites extrêmes de la “planification” capitaliste seront sous les feux de la rampe dans les mois à venir, car les intérêts nationaux et des entreprises concurrents interfèrent avec toute distribution rapide et efficace des vaccins existants. ASI doit développer une propagande et un programme de transition centré sur la nécessité d’un programme mondial de vaccination anti-Covid de masse, universel et gratuit, en faisant passer avant tout les intérêts des travailleurs de première ligne et des personnes vulnérables dans le monde entier.

    Le gouffre entre Wall Street et Main Street s’élargit

    Le FMI admet que près de 90 millions de personnes tomberont dans une pauvreté extrême d’ici la fin de 2020, alors que la Banque mondiale estime ce nombre à 150 millions. Cela ferait passer de 8,4 à 9,1 % la part de la population mondiale vivant avec moins de 1,90 $ par jour. Tous les prétendus gains réalisés dans la réduction de la pauvreté au cours des deux dernières décennies, principalement concentrés en Chine, seront effacés. Selon Oxfam, un demi-milliard de personnes supplémentaires pourraient être poussées dans la pauvreté avant la fin de la pandémie. Plus de personnes pourraient mourir de faim que de la maladie elle-même. Cela pourrait conduire à des révoltes de la faim, comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises dans l’histoire.

    Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), l’équivalent de plus d’un demi-milliard d’emplois à temps plein ont été perdus au cours du deuxième trimestre de 2020. Cette dévastation est concentrée parmi les travailleurs les plus vulnérables, les travailleurs à bas salaires, les travailleurs migrants et les travailleurs informels. Les femmes représentent 54 % des pertes d’emploi et 39 % de la main-d’œuvre mondiale. Les statistiques officielles du chômage sous-estiment l’ampleur réelle de la catastrophe. Dans l’ensemble de l’OCDE et des économies émergentes, quelque 30 millions de travailleurs découragés n’apparaissent pas dans les statistiques officielles. En Chine, la plupart des chômeurs sont des migrants internes également absents des statistiques officielles, des rapports indépendants crédibles affirment que 50 millions de ces travailleurs migrants sont toujours sans emploi malgré le soi-disant rebond économique.

    Une part importante des pertes d’emploi se concentre dans les petites entreprises. L’OIT estime qu’environ 436 millions de petites entreprises dans le monde sont menacées. L’un des effets de la crise a été un bond gigantesque de la concentration du capital. On estime que les 20 % des entreprises les plus performantes du monde ont gagné 335 milliards de dollars en valeur de marché, tandis que les 20 % les moins performantes ont perdu 303 milliards de dollars en valeur de marché. Parallèlement, selon UBS, les milliardaires du monde entier ont vu leur richesse augmenter de 27,5 % depuis janvier, pour atteindre le chiffre stupéfiant de 10 200 milliards de dollars.

    Dans l’écrasante majorité des cas, ce sont les travailleurs à faible revenu, dont beaucoup de jeunes, de femmes et de groupes de couleur, qui ont subi la plus forte baisse de revenu en 2020. Ceux qui se situent en haut de l’échelle des revenus ont même vu leurs revenus augmenter, car ils ont pu travailler à domicile en toute sécurité et confortablement, ce qui leur a permis d’économiser sur les trajets domicile-travail, etc. Les personnes aisées ont accumulé des économies grâce aux dépenses mises en attente pendant la crise sanitaire. L’inégalité accrue durant celle-ci se poursuivra lors de toute reprise. On parle de plus en plus d’une reprise en forme de K, qui profiterait aux riches aux dépens des pauvres, à l’intérieur des pays ainsi qu’entre les pays riches et les pays pauvres. Même le FMI recommande des systèmes fiscaux plus progressifs. L’OCDE a élaboré un “plan” pour une “révolution” de l’impôt sur les sociétés visant à atteindre 100 milliards de dollars, ce qui augmenterait de 4 % les collectes d’impôt sur les sociétés – “si cela est accepté”. Gita Gopinath, l’économiste en chef du FMI, prévient que la période de reprise après la crise sera “longue, inégale et incertaine”. Les économies avancées devraient être, d’ici la fin 2021, 4,7 % plus petites que ce qui avait été estimé au début 2020. Les économies émergentes pourraient être plus petites de 8,1 %. Et ce, si la pandémie est maîtrisée en 2021. Le FMI ajoute que “ces reprises inégales aggravent la perspective d’une convergence mondiale des niveaux de revenus”.

    Tout cela malgré des injections monétaires à hauteur de 8.700 milliards de dollars, qui ont fait croître les bilans des banques centrales de 10 % du PIB. Historiquement, les banques centrales ont été créées par crainte d’une inflation incontrôlable, précisément pour contrer l’excès de liquidités. De la Seconde Guerre mondiale à 2008, le solde de la Fed a varié entre 4 et 6 % du PIB, mais en réponse à la Grande Récession (2008-09), il a gonflé à 22 % du PIB. Cela n’a pas conduit à une croissance de l’inflation car, comme nous l’avons souligné précédemment, les énormes sommes d’argent injectées dans le secteur financier par le biais de l’assouplissement quantitatif ont été massivement consacrées à la spéculation, se traduisant par une inflation des actifs plutôt que des prix. Un autre facteur en jeu est la dynamique déflationniste sous-jacente dans l’économie mondiale, provoquée par la surproduction et la surcapacité.

    En raison de l’ampleur de la récession, la Fed n’a pas réussi à réduire son bilan. En janvier 2020, elle était encore à 4,2 trillions de dollars, soit 19 % du PIB américain, mais en juin, elle atteignait 7,2 trillions de dollars, soit 33 %. C’était nécessaire pour empêcher l’effondrement financier imminent. Cela explique pourquoi les marchés boursiers, après des chutes record fin février et en mars, ont rebondi pour atteindre de nouveaux niveaux record. Cela a encore creusé le fossé entre Wall Street et Main Street. L’inondation d’argent public pendant la crise sanitaire a encore stimulé les bulles spéculatives. Le marché boursier s’est détaché de la réalité économique. Les prix de l’immobilier s’envolent. Le bitcoin, l’or et d’autres actifs sont en ébullition. Ces bulles peuvent, et vont probablement, éclater avec des impacts sur l’économie réelle et l’homme de la rue. La répartition inégale de l’augmentation de la masse monétaire permet d’équilibrer l’inflation dans certaines régions et la déflation dans d’autres. Alors que les travailleurs ont subi des licenciements et des pertes de revenus, les milliardaires américains ont gagné 1.000 milliards de dollars pendant la pandémie. Faute d’investissements rentables dans la production, non seulement les injections monétaires mais aussi une grande partie des stimuli fiscaux sont allés à la spéculation, faisant exploser davantage le capital fictif. Cela s’ajoute à l’actuel rallye boursier, avec des indices grimpant à de nouveaux sommets historiques, au milieu d’une crise mondiale. Alors que des millions de personnes ne parviennent pas à payer leur loyer, les prix des logements augmentent (États-Unis : 13 % en décembre en glissement annuel), car les spéculateurs immobiliers sont en concurrence avec ceux qui saisissent l’occasion des taux d’intérêt très bas pour acheter une (deuxième) maison. Les prix des semi-conducteurs, du cuivre (+25 %) et d’autres matières premières augmentent. Cet équilibre pourrait toutefois basculer, lorsque les confinements prendront fin et que l’économie commencera à se redresser. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une menace immédiate, les prochaines années pourraient voir le retour du spectre de l’inflation. En fait, une inflation limitée et contrôlée serait bien accueillie par les économistes bourgeois, car les montagnes de dettes se dévalueraient. Les banques centrales américaines et britanniques (la BCE suivra probablement) ajustent leurs objectifs d’inflation pour les rendre plus flexibles, en optant pour des taux plus élevés que les 2% considérés comme “sains”, car ils correspondent au potentiel de croissance attendu. Cependant, une inflation élevée comporte le risque de déclencher des explosions sociales, car les salaires des travailleurs ne suivent pas la hausse des prix et la valeur de l’épargne est érodée. L’inflation est difficile à contrôler, si elle dépasse les niveaux souhaités, les taux d’intérêt devraient être augmentés, ce qui compromettrait le refinancement des montagnes de dettes privées et publiques et pourrait provoquer un effet boule de neige au niveau des loyers. Le keynésianisme d’après-guerre a abouti à la stagflation, lorsque les dépenses publiques massives ont entraîné une hausse des prix mais n’ont pas réussi à relancer l’économie surpeuplée. L’illusion keynésienne qui excluait l’inflation sans plein emploi s’est avérée incorrecte, tout comme le concept classique selon lequel le chômage et l’inflation ne peuvent jamais augmenter simultanément. Les forces qui ont conduit à la “fin du keynésianisme d’après-guerre”, principalement l’accumulation de capacités excédentaires, la suraccumulation entraînant un manque de rentabilité et, par conséquent, un détournement des investissements productifs, ainsi que l’accumulation de dettes, n’ont pas non plus été surmontées par le néolibéralisme. Si les mesures keynésiennes peuvent faire de la surenchère, elles n’offrent pas de solutions aux contradictions fondamentales sous-jacentes au mode de production capitaliste.

    La menace d’un effondrement financier n’a pas du tout disparu. Depuis des années, les économistes mettent en garde contre la dette insoutenable de nombreux pays. Avant la pandémie, près de 20 % des entreprises américaines étaient devenues des entreprises zombies, maintenues en vie par des prêts qu’elles sont incapables de rembourser. Si elles s’effondraient, cela pourrait provoquer une réaction en chaîne irréversible. Mais les taux d’intérêt sont déjà historiquement bas et, comme nous l’avons montré ci-dessus, les banques centrales sont à court de munitions monétaires. Selon l’Institut des finances, le ratio dette/PIB mondial a fait un bond de 10 % au premier trimestre 2020, la plus forte hausse trimestrielle jamais enregistrée, pour atteindre 331 %. La dette publique ainsi que les dettes des ménages et des entreprises augmentent à une vitesse incroyable.

    La croissance de la dette publique a également provoqué des débats sur le seuil d’endettement, c’est-à-dire le moment où la capacité de remboursement d’un pays est dépassée par le montant des intérêts à payer, créant ce que l’on appelle “l’effet boule de neige” de la dette. On estime que le ratio entre la dette et le PIB est de 130 % en moyenne, mais il est très dépendant du taux d’intérêt réel et des chiffres de la croissance. La dette publique du Japon dépasse les 200 % depuis des années sans devenir insoutenable, tandis que la Grèce est condamnée à des excédents budgétaires primaires depuis des décennies.

    D’où l’apparition d’illusions telles que l’idée que les économies peuvent se désendetter sans jamais avoir besoin de dégager un excédent budgétaire, “tant que” les taux d’intérêt restent inférieurs à la croissance économique nominale. Il est tout simplement inconcevable que toutes les grandes économies résistent simultanément, sur une période plus longue, à la tentation d’augmenter le niveau des taux d’intérêt par rapport au niveau de la croissance économique nominale, soit pour attirer un afflux supplémentaire de capitaux, soit – bien que ce ne soit pas la menace immédiate – pour lutter contre l’inflation. Si une grande économie le faisait, les autres suivraient.

    Certains plaident pour des variantes de la Théorie monétaire moderne, à savoir que les gouvernements créent de la monnaie sans limite à partir de rien, soutenus par les banques centrales qui gonflent leurs bilans à des taux d’intérêt de 0 % pour une période indéterminée ou très longue (100 ans). Il s’agit d’une version moderne de la théorie de la planche à billet. Dans les économies capitalistes, basées sur la propriété privée et l’échange de la valeur du travail à l’échelle internationale, c’est une utopie dangereuse. Il faudrait un taux de croissance exponentiel de la production de biens et de services pour que cet afflux et cette multiplication de l’argent ne libèrent pas des taux d’inflation élevés. Les monnaies ne reflétant pas suffisamment la valeur réelle seraient mises sur une liste noire dans le commerce et les échanges internationaux, ce qui obligerait ces pays à compter exclusivement sur leurs réserves de change.

    De l’orthodoxie fiscale à l’activisme fiscal

    La Grande Dépression des années 1930 a montré que la politique du “laissez faire” ne fonctionnait pas. L’idée d’Adam Smith, selon laquelle l’intérêt général est mieux servi lorsque chacun poursuit son propre intérêt, s’est heurtée à un mur. Keynes préconisait une approche anticyclique : les gouvernements devaient dépenser pour sortir des récessions et faire un pas en arrière lorsque la reprise s’installe. Roosevelt l’a appliqué en visant à sauver le capitalisme. Cela a échoué, non pas parce qu’il n’en a pas fait assez, mais parce qu’aucune des causes sous-jacentes de la Grande Dépression n’avait été traitée. C’est la révolution, la guerre, sa destruction, son issue et le rapport de forces qui en a découlé qui ont poussé le processus bien au-delà de ce que Keynes avait jamais envisagé. La position dominante de l’impérialisme américain après la Seconde Guerre mondiale, avec l’imposition du GATT ( accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) et le dollar comme monnaie d’échange internationale, combinée à l’existence d’un système alternatif sous la forme de la caricature stalinienne du socialisme et à la lutte des classes, a conduit à la mise en place d’États-providence – dans les pays capitalistes avancés et dans certaines parties du monde néocolonial – pour éviter la révolution. La fin de la reprise d’après-guerre (73-75), avec la stagflation et la baisse des taux de profit, a fait au keynésianisme d’après-guerre ce que la Grande Dépression des années 30 avait fait au “laissez-faire”.

    Le néolibéralisme n’est pas entré en scène tout de suite. Alors que les masses chiliennes abandonnent aujourd’hui la constitution de Pinochet, son coup d’État de 1973 a créé le rapport de forces nécessaire pour tester dans la vie réelle les concepts désastreux de l’école monétariste de Chicago. Ailleurs, il a fallu d’importantes batailles de classe sur une période de 5 à 10 ans, avant que la classe dirigeante n’acquière la confiance et la force nécessaires pour l’imposer comme politique dominante, ce qui s’est soldé par des défaites stratégiques pour la classe ouvrière dans des pays clés, principalement les États-Unis et la Grande-Bretagne, bientôt renforcés par les possibilités offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication qui ont ouvert les portes à un développement plus prononcé de la City et à l’expansion des délocalisations. Le résultat de ces luttes de classes était loin d’être garanti d’emblée, mais il était clair que le keynésianisme d’après-guerre avait atteint ses limites et n’offrait aucune issue, ni pour les classes dominantes, ni pour la classe ouvrière.

    Le monétarisme a été une politique importante qui a donné le coup d’envoi de ce que l’on appellera plus tard le néolibéralisme. Le monétarisme considère essentiellement la masse monétaire, et non la politique fiscale, comme le principal outil de régulation économique, garantie par des banques centrales indépendantes des gouvernements élus. Il considère que l’intervention politique dans l’économie est soumise à des pressions en faveur de l’égalité des revenus et des richesses au détriment de l’efficacité économique. Le contrôle de la masse monétaire, élément essentiel du monétarisme, visait à stabiliser la valeur de la monnaie et à empêcher la dévaluation du capital monétaire. Cela impliquait également une diminution des investissements de l’État et une réduction des impôts sur les sociétés. Pour tenter de surmonter le problème de la suraccumulation du capital, la classe capitaliste a cherché de nouvelles possibilités d’investissement rentable et des moyens d’augmenter ses taux de profit. Cela signifiait des attaques contre les salaires et les conditions de travail ainsi que l’ouverture des marchés étrangers afin d’exporter le capital et les biens excédentaires, la libre circulation du capital, en particulier du capital financier. C’est au fur et à mesure que la déréglementation, la financiarisation, la libéralisation et les privatisations progressaient que le néolibéralisme a pris forme. Il a été encore renforcé par le processus d’accélération de la mondialisation après l’effondrement du stalinisme. Bien qu’il soit possible de mettre en évidence certaines caractéristiques, le néolibéralisme ne doit pas être compris comme un ensemble de règles fixes, mais comme des politiques qui ont évolué dans une ère historique.

    Lors de la crise de 2007-2009, bon nombre des convictions du monétarisme et du néolibéralisme se sont révélées insuffisantes pour empêcher l’effondrement de l’économie. Au lieu de rester en dehors de l’économie, l’État est intervenu massivement. Au lieu de limiter la croissance de la masse monétaire en fonction de la croissance attendue de l’économie, il l’a explosé en abaissant les taux d’intérêt des banques centrales et en mettant en place des programmes d’achat d’obligations d’État. Au lieu de réduire la dette publique, celle-ci a atteint de nouveaux niveaux record. Ces mesures qui contredisent les idées centrales du néolibéralisme ont été appliquées à nouveau au cours de la crise actuelle, cette fois à une échelle qualitativement plus grande. Aujourd’hui, malgré la crise existentielle du néolibéralisme, l’austérité, la flexibilité accrue, les aspects de la libéralisation et des privatisations sont loin d’être rayés de la carte. Ce ne fut pas non plus le cas des attaques contre la classe ouvrière quand la lutte de classe menaçait les intérêts et le pouvoir de la classe dominante durant le keynésianisme des années 30. Roosevelt a combiné l’augmentation des dépenses sociales, les travaux d’infrastructure et la création d’emplois pour sauver le système. Mais aucune de ces mesures temporaires n’a résolu les problèmes sous-jacents de l’économie et cela a été accompagné d’une répression brutale des lutte ouvrières ainsi que d’une concentration accrue du capital, cette fois en choisissant les gagnants, par opposition à la concentration “naturelle” qui a lieu dans le cadre des politiques de laissez-faire. Le changement de politique par rapport au néolibéralisme ne signifie pas qu’il n’y aura pas de tentatives pour faire porter le fardeau par les travailleurs, mais plutôt que ce sera l’austérité nationale au lieu d’un régime international.

    L’Inde, par exemple, tout en lançant son propre plan de relance budgétaire de 20 milliards de dollars, a commencé à faire passer un programme de privatisation en pleine pandémie. Une nouvelle augmentation de l’âge de la retraite est sur la table. Mais l’expérience acquise depuis la Grande Récession a montré que la politique monétaire n’a pas les munitions nécessaires pour contrer une dépression aussi profonde qu’aujourd’hui. Carmen Reinhart, économiste en chef à la Banque mondiale, qui était un des principaux défenseurs de l’austérité et de l’orthodoxie budgétaire il y a une dizaine d’années, recommande maintenant aux pays d’emprunter massivement : “D’abord vous vous souciez de faire la guerre, ensuite vous trouvez comment la payer.” Le FMI estime que les pays ont augmenté leurs dépenses et réduit leurs impôts d’un montant stupéfiant de 11,7 trillions de dollars, soit 12 % du PIB mondial en 2020 ! C’est bien plus que les mesures de relance de 2 % du PIB mondial finalement adoptées par le G20 après la Grande Récession. Cela fait conclure à Chris Gilles, rédacteur économique du Financial Times, que l’orthodoxie fiscale a été remplacée par l’activisme fiscal. Une exception importante par rapport à la crise précédente est la Chine, qui a “sauvé le capitalisme mondial” avec son monstrueux plan de relance en 2009, mais qui est cette fois-ci loin derrière les autres grandes économies. Cette situation est principalement due à la montagne de dettes, héritage de cette précédente intervention, qui réduit désormais les options politiques du régime chinois.

    Un glissement tectonique dans la politique économique

    Nous pensons que cela fait partie d’un « glissement tectonique » dans les politiques économiques des capitalistes. Bien sûr, à bien des égards, la situation à laquelle nous sommes confrontés est unique. Dans une organisation démocratique saine cela va soulever des questions de clarification, des doutes et des discussions, comme cela s’est produit lors d’autres grands événements. Une des pierres angulaires de la méthode marxiste est de s’armer des lois du développement à l’œuvre dans l’histoire de l’humanité afin de mieux comprendre les processus qui se développent. Le parallèle le plus proche de la situation réelle que nous vivons est la période englobant la Grande Dépression des années 30. Le changement de politique appliqué aujourd’hui n’est pas le capitalisme dirigé par l’Etat des nazis ni l’économie bureaucratiquement planifiée du stalinisme. Il ne s’agit pas non plus des mesures de “l’État-providence” d’après la seconde guerre mondiale, qui étaient basées sur la reconstruction d’après guerre, sur le renouvellement de l’infrastructure et de la capacité de production vers une généralisation de la production de masse ; sur la domination particulière de l’impérialisme américain à l’issue de la guerre qui l’a mis en position d’imposer le GATT, le dollar comme monnaie d’échange internationale et de lancer le plan Marshall ; sur l’existence d’un système alternatif dirigé par l’URSS et sur la radicalisation des travailleurs à la suite de la guerre qui s’est partiellement exprimée dans le mouvement ouvrier organisé. Cela présente des similitudes avec les méthodes de type keynésien et l’intervention de l’État telles qu’elles étaient appliquées dans les années 30. Bien sûr, toutes comparaisons sont imparfaites et une analyse plus approfondie révélera de nombreuses différences.

    Cette politique sera-t-elle de courte durée ? Le néolibéralisme reprendra-t-il bientôt après une brève interruption, comme ce fut le cas au lendemain de la Grande Récession ? On ne peut évidemment pas exclure une répression économique. Mais ce n’est pas à ce stade la pensée dominante dans les milieux dirigeants. Cette politique sera-t-elle appliquée en ligne droite ? Non, nous connaîtrons des hauts et des bas, nous la verrons appliquée de différentes manières dans différents pays et régions du monde. Mais compte tenu de toutes ces différences, la tendance dominante dans l’économie mondiale sera à l’intensification de l’intervention de l’État – politiquement et financièrement – en accordant moins de poids au dogme “néolibéral” classique de la réduction des déficits. Le capitalisme est dans un état de multi-morbidité, une condition où plusieurs maladies affectent un corps en même temps. La propension à la crise de l’économie capitaliste est à l’origine de crises toujours plus graves de la légitimité et de la stabilité politiques, de l’écologie et de la santé, ce qui donne lieu à l’une des crises mondiales les plus profondes de l’histoire du capitalisme. Les économistes et les politiciens bourgeois sont désemparés dans leur recherche désespérée d’une issue. Le déficit fédéral américain a atteint 3,13 trillions de dollars cette année, soit 15,2 % du PIB, plus du triple de ce qu’il était en 2019 et le plus élevé depuis juste après la Seconde Guerre mondiale. La dette publique dépasse la taille de l’économie, son niveau le plus élevé depuis 1946. Néanmoins, le président de la Fed, Jerome Powell, déclare que “ce n’est pas le moment de donner la priorité à ces préoccupations”. Il estime que “le risque de trop en faire est moins grand que celui de ne pas en faire assez”. Newsweek a interrogé 12 experts économiques sur leurs conseils au prochain président américain. Le mot entendu à plusieurs reprises était “dépenser” ou, comme l’a dit un économiste, “de l’argent et beaucoup d’argent”. La boîte à outils de la bourgeoisie s’est révélée inadéquate pour résoudre la crise de 2008-2009 – les emprunts massifs actuels et la création de monnaie créeront d’autres problèmes à l’avenir.

    Le bloc des 19 pays de la zone euro se dirige vers des déficits budgétaires combinés de 1 trillion d’euros, soit 8,9 % du PIB du bloc, dix fois plus qu’en 2019. Mais Christine Lagarde, présidente de la BCE, déclare : “Il est clair que le soutien budgétaire et le soutien de la politique monétaire doivent rester en place aussi longtemps que nécessaire et qu’il faut éviter les variations brutales”. Marco Valli, d’UniCredit, déclare : “Continuez à dépenser tout ce qui est nécessaire pour soutenir les économies et réduire (…) les dommages à long terme”. En raison des erreurs de construction inhérentes à l’UE, elle-même conséquence de l’incapacité du capitalisme à surmonter les limites des États-nations, ces messages ont tendance à tomber dans l’oreille d’un sourd. Le “plan de relance et de résilience” historique d’une valeur de 750 milliards d’euros, qui mutualise en partie l’effort de relance, est toujours “en discussion”, tout comme le budget de l’UE. L’Allemagne a déjà annoncé son intention de réduire son déficit budgétaire en 2021 de 4,25 % du PIB, et la France prévoit également de réduire son déficit. Bien que le gouvernement allemand discute de la manière de contourner ou même de supprimer le frein constitutionnel allemand à l’endettement, celui-ci continue de jeter une ombre sur l’UE, en raison de la hausse de 15 % de la dette publique de la zone euro, qui devrait atteindre 100 % du PIB combiné d’ici la fin de 2020.

    Les prévisions de septembre de la BCE d’une reprise de 3 % pour le quatrième trimestre ont immédiatement intensifié le débat sur l’opportunité de mettre fin au programme d’achat d’urgence en cas de pandémie. Ce programme contourne en fait les règles qui lui interdisent de financer directement les gouvernements. La BCE a même acheté des obligations du gouvernement grec. Cependant, depuis la résurgence du virus, une récession à ‘‘double creux’’ est plus probable (la croissance pour le quatrième trimestre a depuis été révisée à -2,3 %). En conséquence, on s’attend à ce que la BCE continue à mettre la main à la poche et augmente son programme d’achat d’obligations d’urgence en décembre de 500 milliards d’euros. Cela ne signifiera pas que les contradictions nationales de longue date du continent seront surmontées.

    La dépression alimente des tendances centrifuges, existant au sein des pays, mais plus encore au sein de l’UE dans son ensemble qui pourrait entrer dans de nouvelles crises similaires à celles que nous avons connues dans les années 2010. L’accord commercial conclu entre le Royaume-Uni et l’UE, qui a signifié la conclusion du Brexit, ne résout fondamentalement aucune des questions clés qui ont bloqué les négociations pendant 4 ans et demi. Des affrontements diplomatiques et économiques réguliers sont à prévoir. Si le Royaume-Uni s’en sort moins bien, l’UE a sans aucun doute été affaiblie – et s’inquiétera d’une résurgence du sentiment anti-UE dans d’autres États membres (où il avait partiellement reculé), notamment en raison des piètres performances de l’UE en matière de distribution de vaccins, y compris par rapport à la Grande-Bretagne. Le conflit concernant l’exportation du vaccin d’AstraZeneca montre à quel point l’accord était mince comme du papier, les deux parties étant prêtes à en jeter des éléments quand cela les arrange. Dans les cinq semaines qui ont suivi la signature de l’accord, l’UE a, par ignorance, menacé de déclencher l’article 16, les “sauvegardes” qui peuvent conduire à l’annulation du protocole sur l’Irlande du Nord et faire resurgir la perspective d’une frontière entre le nord et le sud de l’Irlande. Cela a renforcé les tensions sectaires dans un contexte où le protocole est considéré par une grande partie de la population protestante comme une étape importante vers une “Irlande unie économique”. Nous avons déjà vu des menaces contre le personnel portuaire et une campagne Unioniste pour que le gouvernement britannique déclenche l’article 16. Parallèlement à des processus plus larges, cela soulève la question de savoir si le “processus de paix” en Irlande du Nord peut se poursuivre sous sa forme actuelle. Par exemple, le protocole doit de toute façon faire l’objet d’un vote à l’assemblée d’Irlande du Nord tous les quatre ans, ce qui maintiendra la question vivante et controversée. Des collisions similaires peuvent avoir lieu à tout moment sur le commerce, les aides d’État et la pêche.

    Une période de transition vers un “âge de désordre”.

    Ni le FMI ni aucune autre grande institution internationale, ni les principaux faiseurs d’opinion à ce stade ne plaident pour un abandon rapide du soutien budgétaire. Ce n’est ni réaliste, ni souhaitable. Tout comme la grande dépression des années 30 ou la “crise du pétrole” de 73-75, cette dépression montre que la politique dominante des dernières décennies a atteint ses limites. Sa poursuite ne fera qu’aggraver la catastrophe. Comme d’habitude, l’État est appelé à sauver le système, puis à le sauver par la réforme, ou dans le langage du FMI “pour aider aux ajustements”. Mais ceux-ci seront immenses. La pandémie et la dépression qu’elle a déclenchée laisseront les économies moins mondialisées, plus numérisées et moins égales. Les employés de bureau continueront à travailler au moins partiellement à domicile. Nombre d’entre eux travaillant dans des secteurs susceptibles de se contracter se retrouveront au chômage de façon permanente. De telles périodes de transition sont intrinsèquement instables, avec des éléments du passé qui coexistent avec de nouveaux. Pour les marxistes, la clé est de voir comment les processus évoluent et dans quelle direction.

    Avant qu’une période fondamentalement nouvelle puisse prendre forme, il faut procéder à des essais et des erreurs, tester les rapports de force, la guerre ou la guerre par procuration et, finalement, la lutte des classes, dont l’issue n’est pas prédéterminée. C’est ce qui ressort d’un rapport publié par la Deutsche Bank en septembre dernier, qui annonce la fin de quatre décennies de mondialisation et l’ouverture d’une nouvelle “ère du désordre”. Cette résolution comporte une section consacrée spécifiquement aux tensions impérialistes, qui traite de cette nouvelle mais différente “guerre froide”, de la déglobalisation, de l’effondrement des institutions internationales, des guerres commerciales et du protectionnisme économique. Inutile de rappeler ici que tout cela a été énormément propulsé par la pandémie et la dépression économique.

    La Chine est sortie de son isolement et a relancé son économie alors que ses principaux concurrents sont encore ravagés par la pandémie. Cela a provoqué la panique de la classe dirigeante américaine, qui craint pour sa part sur le marché mondial. Dans le même temps, compte tenu de la féroce rivalité économique et géopolitique avec l’Occident, le régime chinois recourt sans aucun doute à une “comptabilité créative” et à une manipulation de ses données économiques encore plus poussée qu’auparavant. Il y a de fortes raisons de mettre en doute la fiabilité des chiffres trimestriels du PIB chinois, par exemple pour le premier trimestre (-6,8 % est probablement un sous-estimation importante) et le troisième trimestre (+4,9 % est probablement une exagération). La position de Xi Jinping, plus qu’auparavant sous pression d’une résurgence de la lutte de pouvoir au sein du régime, renforce également la tentation de manipuler les données économiques.

    La reprise encore limitée de la Chine a été alimentée par les dépenses d’infrastructure soutenues par l’État et par la forte demande d’exportation d’EPI et d’équipements de travail à domicile. Les investissements immobiliers ont augmenté de 5,6 %. La demande des consommateurs est un élément clé qui fait défaut à la reprise. Selon l’agence statistique chinoise, les dépenses de consommation par habitant ont chuté de 6,6 % au cours des neuf premiers mois de 2020. Bien que la situation se soit partiellement redressée depuis septembre, cette baisse est principalement due aux dépenses des riches Chinois en produits de luxe et en vacances, tandis que les plus pauvres continuent de souffrir de la perte d’emplois et de revenus due à la pandémie. Selon une estimation, les 60 % des ménages les plus pauvres ont perdu environ 200 milliards de dollars de revenus au cours du premier semestre. Fait crucial, l’investissement en actifs fixes a atteint officiellement un maigre 0,8 % sur les neuf premiers mois de l’année, un chiffre qui a presque certainement été falsifié et qui était en réalité négatif. Avec la consommation et l’investissement en réalité à la baisse au cours du troisième trimestre, “l’évolution du PIB serait proche d’une chute de 5 %, et non d’une croissance de 5 %”, selon Derek Scissors, économiste en chef du China Beige Book basé à New York. Ce point est d’une importance majeure pour la Chine, car l’économie se débat depuis quelques années avec le “piège des revenus moyens”, qui désigne les pays qui ont connu une croissance rapide, mais qui ne parviennent pas à rattraper les économies à revenus plus élevés et sont donc piégés.

    Bien que l’économie chinoise puisse éviter les énormes chutes de PIB prévues pour la plupart des anciens pays capitalistes, elle est toujours confrontée à des pressions sans précédent et à la plus faible performance du PIB depuis la dernière année du règne de Mao Zedong. La nouvelle concurrence féroce pour les marchés mondiaux et les sources de croissance va encore aggraver les tensions entre les États-Unis et la Chine. Il est significatif que, pour la toute première fois, le nouveau “plan quinquennal” du régime (2021-25) ne stipule même pas d’objectif de croissance annuelle du PIB. Cela montre un niveau accru d’incertitude et de prudence dans les cercles dirigeants. Il est possible qu’un objectif de croissance du PIB soit fixé d’ici à ce que le plan soit approuvé par l’Assemblée nationale populaire en mars, mais cela n’est pas du tout certain. Par ailleurs, le nouveau plan est remarquable en tant que plan à peine déguisé pour une “économie de guerre froide”, pour résister à la pression économique de l’impérialisme américain en se concentrant sur le développement de la consommation intérieure et l’accélération de la création d’une base technologique plus solide (les éléments clés de la stratégie de “double circulation” de Xi Jinping). Le contenu de ce plan est “à 30 % dû aux facteurs états-uniens”, a commenté un responsable chinois ayant participé à sa préparation. Il comprend, pour la première fois, une section sur la modernisation des forces armées chinoises.

    Un changement de politique ne résoudra pas les causes sous-jacentes

    Les changements de politiques ne résoudront pas les nombreuses faiblesses sous-jacentes et contradictions du capitalisme. Les forces productives ont depuis longtemps dépassé le mode de production capitaliste et les rapports de propriété, qui sont passés d’un frein relatif au développement à une entrave absolue. Le développement productif a atteint depuis longtemps un stade qui exige une planification démocratique, une coopération et des échanges internationaux ainsi qu’un contrôle et une propriété publics des ressources, mais qui se heurte à la soif de profit du système. Si l’investissement public dans les infrastructures et la recherche, tel que proposé par le FMI et de nombreux économistes, sera bien accueilli par la classe ouvrière, il ne suffira pas à amortir l’effondrement. Il ne résoudra pas non plus la crise de rentabilité liée à la suraccumulation et ne conduira pas à un boom de l’investissement privé.

    Le découplage et la démondialisation vont encore s’accélérer. Le rapport sur l’investissement dans le monde de la CNUCED de janvier 2021 indique que les investissements directs étrangers (IDE) mondiaux se sont effondrés en 2020, chutant de 42 %, passant de 1.500 milliards de dollars en 2019 à un montant estimé à 859 milliards de dollars. Cela ramène les IDE à un niveau qui n’a plus été vu depuis les années 1990. L’effondrement est beaucoup plus important dans les pays développés que dans les pays en développement. Il est inférieur de plus de 30 % à celui de la grande récession de 2008/2009. Même s’il faut reconnaître que l’ampleur extrême du déclin est due à la pandémie, la CNUCED s’attend à ce que les flux mondiaux d’IDE restent faibles tout au long de 2021, la reprise ne devant pas commencer avant 2022. Entre 2002 et 2011, le volume du commerce mondial, avec une croissance annuelle moyenne de 5,7 %, a été un contributeur net à la production mondiale, qui a augmenté de 4,1 % en moyenne. Depuis lors, le commerce mondial est devenu un fardeau pour la production mondiale. En octobre 2020, le FMI s’attendait à ce que le commerce mondial se contracte de 10,4 % pour l’ensemble de l’année, tandis que la Banque mondiale estimait à -9,5 % en janvier 2021. En fonction de la pandémie, la plupart des prévisionnistes estiment une reprise du commerce mondial de 5 à 8 % pour 2021, lorsque les économies commenceront à s’ouvrir, mais il existe de nombreux risques de baisse et cela ne compensera pas les pertes.

    Tant que le capitalisme existera, quelle que soit la politique appliquée, celle-ci profitera toujours aux riches au détriment des pauvres. Comme l’a récemment souligné l’un de nos camarades nigérians, lorsque le prix du pétrole brut augmente, cela se traduit par une hausse des prix du carburant et de l’électricité. Mais lorsque le prix du pétrole brut baisse – étant donné que les raffineries nigérianes ont cessé de fonctionner il y a plus de dix ans et que le pays importe du pétrole raffiné – la diminution des revenus tirés de la vente du pétrole brut se traduit également par une augmentation des prix du carburant et de l’électricité. Simultanément, Seplat Petroleum, la plus grande compagnie pétrolière du Nigeria, a versé 132 % de ses bénéfices aux actionnaires au cours du premier semestre 2020.

    À l’échelle mondiale, la mesure dans laquelle les entreprises distribuent leurs bénéfices aux actionnaires par le biais de dividendes et de rachats est sans précédent. Entre 2010 et 2019, les sociétés cotées dans l’indice S&P 500 ont en moyenne versé 90 % de leurs bénéfices aux actionnaires. Oxfam a découvert que les 25 entreprises mondiales les plus rentables de l’indice S&P Global 1oo prévoient de verser 124 % de leurs bénéfices nets aux actionnaires en 2020, contre 103 % l’année précédant la pandémie.

    Dans son programme de transition, Trotsky a souligné que “le “New Deal” n’était possible que dans un pays où la bourgeoisie a réussi à accumuler des richesses incalculables. Dans de nombreux pays pauvres, cela ne peut pas être mis en œuvre de manière approfondie. Et ce, en dépit du fait que, dans certains d’entre eux, les écarts par rapport au ‘‘livre de recettes néolibéral’’ soient plus limités surtout lorsque la bourgeoisie ressent ou craint la pression des mouvements de masse. Par exemple, le nouveau plan de relance de Modi en octobre visait à stimuler la demande des consommateurs et les dépenses publiques supplémentaires pour les projets d’infrastructure, tandis que le plan d’aide d’urgence mensuel du gouvernement brésilien a permis de verser des paiements en espèces à 67 millions de pauvres depuis avril. C’est un facteur important derrière le récent regain de popularité de Bolsonaro au cours du second semestre 2020, malgré sa gestion désastreuse de la pandémie. Actuellement, sa popularité a de nouveau chuté en raison de la combinaison de l’aggravation de la crise sanitaire et de la fin de l’aide d’urgence. Le gouvernement est sous pression pour trouver un moyen de maintenir une certaine aide d’urgence aux plus pauvres malgré les effets sur les dépenses publiques et les restrictions constitutionnelles imposées aux dépenses publiques.

    Selon le FMI, environ la moitié des économies à faible revenu sont en danger de défaut de paiement. La plupart d’entre elles sont dans un état bien pire qu’avant la Grande Récession de 2008-2009. Une grande partie de leur dette est libellée en dollars américains, dont la valeur augmente en tant que valeur refuge, ce qui alourdit encore le fardeau du remboursement. Un moratoire sur la dette a été approuvé par le G20, qui expire à la fin de l’année. Les dirigeants du FMI et de la Banque mondiale font des discours éloquents et fournissent des financements d’urgence à 80 pays, mais ceux-ci sont liés à l’austérité, “plus dur, plus rapide et plus large” comme le décrit le Réseau Européen sur la Dette et le Développement (EURODAD). Dans 59 de ces pays, l’austérité au cours des trois prochaines années, telle que prescrite par le FMI, sera 4,8 fois plus importante que le montant dépensé dans le cadre des programmes Covid-19 en 2020. Les impôts indirects, qui touchent plus durement les pauvres, devraient augmenter dans au moins 40 de ces pays. La réduction des services publics représente les trois quarts du total des réductions menacées. Néanmoins, d’ici 2023, 56 de ces pays se retrouveraient encore avec des niveaux d’endettement plus élevés. Alors que nous assistons à un protectionnisme dans la plupart des pays capitalistes avancés, nous verrons une pression accrue pour ouvrir davantage les pays néocoloniaux à l’impérialisme avec une exploitation et une destruction accrues de l’écosystème ainsi qu’une production accrue de réfugiés. Comme la Chine est devenue un prêteur important, les discussions sur la restructuration de la dette se mêlent à la concurrence inter-impérialiste, devenant encore plus compliquées comme l’illustre le cas de la Zambie. Seule l’annulation de la dette pourrait éviter une nouvelle décennie perdue dans ces pays. Les effets politiques de ce cauchemar sans fin pour les masses posent, dans la période actuelle de révolte sur tous les continents, la question de luttes d’une ampleur encore plus grande et de la montée de forces et de figures politiques nationalistes, populistes, “anti-néolibérales” et populistes de gauche, malgré les dangers de la réaction sous différentes formes telles que les coups d’État militaires, le populisme de droite et les affrontements religieux et ethniques.

    Le conflit entre les États-Unis et la Chine

    Le conflit entre les États-Unis et la Chine, qui oppose l’impérialisme chinois en pleine ascension et l’hégémonie impérialiste américaine en déclin, n’est pas seulement le résultat d’événements épisodiques comme la montée de Donald Trump et se poursuivra dans un avenir proche.

    Ceci dit les années Trump ont certainement été un tournant. L’aggravation des tensions se traduit par une rhétorique enflammée. Le secrétaire d’État Mike Pompeo parle des États-Unis qui se défendent contre la “tyrannie” du Parti communiste chinois. Il a également déclaré en juillet que “si nous n’agissons pas maintenant, le [PCC] finira par éroder nos libertés et par renverser l’ordre fondé sur des règles que nos sociétés libres ont travaillé si dur à instaurer… L’ancien paradigme de l’engagement aveugle avec la Chine ne permettra tout simplement pas d’y parvenir. Nous ne devons pas le poursuivre. Nous ne devons pas y revenir”. La rhétorique des États-Unis est assortie à celle des diplomates chinois du “Wolf Warrior”. Récemment, Xi Jinping a profité du 70e anniversaire de l’entrée de la Chine dans la guerre de Corée pour attiser le nationalisme anti-américain : “Le peuple chinois comprend parfaitement que pour répondre aux envahisseurs, il faut leur parler dans une langue qu’ils comprennent”.

    Pendant ce temps, tout le monde parle de la nouvelle guerre froide. Il est important de préciser que la cause de la nouvelle guerre froide est complètement différente de la cause de la guerre froide qui existait avant l’effondrement du stalinisme. À l’époque, c’étaient les principaux pays capitalistes qui luttaient ensemble contre un système non capitaliste. La nouvelle guerre froide reflète un changement plus important au sein de la classe dirigeante américaine. Il est significatif que les démocrates ne se sont pas opposés à la politique générale de l’administration Trump.

    Il s’agit maintenant d’un conflit très large, exacerbé par la pandémie mondiale et le début de la dépression économique mondiale. La guerre commerciale est importante, mais ce n’est pas encore la question clé. L’augmentation des coûts et des risques liés à l’activité commerciale en Chine ainsi que la pression exercée par le régime Trump conduisent à une accélération du “découplage” des économies américaine et chinoise. Il s’agit d’un processus qui a en réalité commencé il y a 12 à 15 ans, les fabricants commençant à quitter la Chine pour d’autres pays d’Asie du Sud-Est en raison de la hausse des coûts de production. Étant donné la complexité des relations économiques entre les deux pays, un découplage plus complet prendra de nombreuses années, mais c’est la tendance actuelle.

    La Chambre de commerce américaine signale qu’au cours des deux dernières années, environ 40 % des entreprises américaines ont déménagé leurs installations de production hors de Chine ou envisagent de le faire. La Chambre de commerce indique également que seulement 28 % de ses entreprises membres augmenteront leurs investissements en Chine cette année, contre 81 % en 2016.

    Toutefois, ce ne sont pas seulement les États-Unis, mais aussi d’autres alliés comme le Japon et Taïwan qui pressent leurs entreprises de quitter la Chine. Le Japon a payé 87 entreprises pour qu’elles déplacent leur production (Washington Post, 21 juillet).

    De plus en plus, les grandes entreprises américaines sont contraintes de s’aligner sur les intérêts plus larges de l’impérialisme américain : pour citer Ben Simpfendorfer, directeur général de Silk Road Associates, “Si vous êtes fournisseur pour Google ou Facebook, vous devez montrer que ce n’est pas un produit chinois”. En outre, une série de nouvelles réglementations financières apparaissent, par exemple les gouvernements occidentaux s’efforcent de bloquer les investissements chinois, les rachats d’entreprises et empêchent les fonds de pension et autres institutions financières d’investir dans les actions chinoises. D’ici la fin 2021, plus de 200 sociétés chinoises cotées à Wall Street devront se conformer aux règles comptables américaines, ce qui pourrait déclencher une vague de radiations de sociétés chinoises. Cette “guerre financière” naissante est le principal moteur des efforts du régime chinois pour établir une monnaie numérique comme moyen de contourner le système de paiement mondial basé sur le dollar, qui confère aux États-Unis une position de pouvoir unique.

    Une autre caractéristique importante du conflit entre les deux puissances est la lutte pour la domination de la technologie 5G qui s’est concentrée sur Huawei. Il est très frappant de voir comment, malgré l’approche maladroite de l’administration Trump, ils ont réussi à obtenir de la Grande-Bretagne qu’elle chasse Huawei ainsi que l’Australie et l’Inde. La France a également imposé des restrictions qui équivalent virtuellement à des interdictions. Plus récemment, la Suède a rejoint la liste désormais assez longue des pays européens qui interdisent ou restreignent sévèrement Huawei. L’Allemagne, qui entretient des liens très étroits avec la Chine, semble toutefois s’écarter de cette tendance pour l’instant. L’inscription de Huawei sur la liste noire marque “un coup mortel pour la plus importante entreprise technologique chinoise” selon le groupe Eurasia, et le plus grand revers subi par le régime chinois au cours du conflit actuel. Bien qu’une administration Biden puisse revoir certains aspects de l’interdiction de Huawei, il est très peu probable que la politique soit inversée en raison de sa nature stratégique, les technologies avancées devenant le principal champ de bataille entre les puissances impérialistes.

    Cet alignement sur la position américaine n’est toutefois pas dû principalement à la pression ou à la persuasion de Trump, mais reflète le fait que d’autres puissances clés concluent, pour leurs propres raisons, que la poursuite de l’essor de la Chine représente également une menace pour leurs intérêts. Elles ont observé avec une méfiance croissante la propagation de l’initiative chinoise de “Nouvelle route de la soie” (BRI pour Belt and Road Initiative), son renforcement militaire et ses pressions diplomatiques incessantes. Les Chinois, tout en ayant également besoin d’exporter leur capacité industrielle excédentaire, utilisent clairement BRI pour développer un bloc de pays qui sont dépendants/alignés avec eux dans ce conflit mondial pour l’hégémonie.

    La Chine, les États-Unis et d’autres puissances se font concurrence pour développer et protéger les nouvelles technologies. Cette concurrence ne concerne pas seulement la 5G, mais aussi les semi-conducteurs, l’IA, “big-data” et l’informatique quantique, entre autres. Cela signifie une intervention accrue de l’État. Nous pouvons le voir dans la course au développement de vaccins pour le Covid 19, les États-Unis, la Chine et la Russie utilisent tous de manière flagrante leur secteur pharmaceutique pour promouvoir leurs intérêts nationaux. Ce conflit s’est développé de manière obscure dans le cadre d’une lutte de plus en plus intense pour les standards techniques mondiaux officiels. Cela pourrait conduire dans certains cas à des technologies parallèles qui n’ont littéralement pas d’interface. Ces technologies conflictuelles et les processus de production qui les accompagnent ne fonctionneraient alors que dans certaines zones de l’économie mondiale.

    Tout cela indique la rupture partielle d’une chaîne d’approvisionnement mondiale intégrée et une tendance à son remplacement par des chaînes d’approvisionnement régionales, la plus importante en Asie de l’Est, une autre en Amérique du Nord et la troisième centrée sur l’Allemagne et l’Europe de l’Est. Le président du géant taïwanais de l’industrie manufacturière Foxconn, Young Liu, a récemment déclaré que “le modèle passé où [la fabrication] était concentrée dans quelques pays comme une usine mondiale n’existera plus… Ce que nous pensons être plus probable à l’avenir, ce sont des réseaux de production régionaux”.

    Ce processus se caractérise par la création d’un Partenariat Régional Economique Global (RCEP) de 15 membres, lancé en novembre après huit ans de discussions, dont la Chine est le moteur. La création du RCEP en tant que “plus grand accord commercial du monde” en termes géographiques, est sans aucun doute une victoire diplomatique pour le régime chinois dans le contexte de la guerre commerciale américaine et de l’isolement politique croissant de la Chine pendant la crise actuelle. Mais en termes économiques, le RCEP est plutôt “superficiel” et “limité”, selon les commentateurs économiques. C’est un bloc commercial beaucoup moins poussé que l’UE ou l’USMCA (anciennement ALENA), car c’est ce qu’il était possible d’obtenir dans les conditions actuelles. L’Inde, la troisième économie d’Asie, s’est retirée du processus du RCEP en 2019. Le lancement du RCEP pourrait inciter les États-Unis, sous la direction de Biden, à faire un nouvel effort pour adhérer au Partenariat Transpacifique Global et Progressiste (anciennement connu sous le nom de TPP), dont Trump s’est retiré en 2017, et qui est un bloc économique capitaliste beaucoup plus profond conçu spécifiquement pour exclure la Chine. La régionalisation de l’économie mondiale sur la base actuelle a pour logique de tenter d’augmenter le niveau d’exploitation au sein de ces blocs régionaux, car les capitalistes tentent de compenser l’impact de la fracturation de l’économie mondiale. Cela signifie des tentatives d’accroître l’exploitation des petites puissances par les grandes et de la classe ouvrière en général, comme nous le voyons par exemple dans les divisions Nord-Sud au sein de l’UE et l’assaut austéritaire dans tous les pays européens au cours des 10 dernières années, et plus particulièrement dans les pays méditerranéens. Cela a toutefois des limites politiques, tant en termes d’affrontements entre les capitalistes eux-mêmes que de résistance de la classe ouvrière. Nous l’avons vu dans l’UE entre le gouvernement allemand et ses alliés contre non seulement la Grèce mais aussi les gouvernements italien, français et britannique, et les mouvements de la classe ouvrière, peut-être plus particulièrement en France pendant et après le mouvement des Gilets Jaunes. Nous le voyons également dans les tensions au sein du Nafta (maintenant USMCA) entre les États-Unis et le Mexique, l’élection d’AMLO à la présidence mexicaine et les luttes que cela a déclenchées, y compris dans les usines maquiladores pour des salaires plus élevés, la prévalence des usines maquiladores étant une conséquence directe de l’exploitation intensifiée pour laquelle le Nafta a été conçu. Ce qui est vrai pour l’UE et l’ALENA sera tout aussi vrai, voire plus vrai, pour le RCEP. Il est facile de voir comment les affrontements entre les gouvernements et les classes capitalistes de la région peuvent se développer, et aussi comment la lutte dans les pays clés du RCEP, comme l’Indonésie, pourrait imposer des limites politiques à la mise en œuvre effective de l’accord RCEP.

    Démondialisation accélérée

    Il s’agit d’un changement important par rapport au modèle de mondialisation néolibérale qui était basé sur la libre circulation des capitaux, du commerce et du travail. Il est important de souligner à nouveau que nous ne disons pas que la mondialisation sera complètement inversée. La tendance au développement de l’économie mondiale a été une caractéristique du capitalisme depuis ses débuts avec l’émergence des empires commerciaux. Mais elle n’a pas été un processus constant, allant toujours de l’avant. La mondialisation a atteint un niveau très élevé à la fin du XIXe siècle, suivi d’une longue période de démondialisation effective après la Première Guerre mondiale, qui a culminé avec le niveau très élevé de protectionnisme dans les années 30.

    Le protectionnisme et l’effondrement d’un “ordre mondial” ont atteint leur apogée dans les années 1930. Cette réaffirmation de l’État-nation reflétait la désintégration terminale du système capitaliste dans l’entre-deux-guerres, qui a été temporairement inversée après la Seconde Guerre mondiale en raison d’une série de facteurs exceptionnels. Depuis 2008, le capitalisme est à nouveau entré dans une phase de crise avancée. Le processus de démondialisation n’ira très certainement pas aussi loin cette fois-ci que dans les années 1930, mais il est déjà sur le point de remodeler radicalement les relations mondiales.

    Les États-Unis et la Chine, qui étaient les principaux moteurs de la mondialisation, sont désormais les principaux moteurs de la démondialisation. Cela se traduit par la montée du protectionnisme, l’intervention croissante de l’État dans l’économie et la tendance à briser les chaînes d’approvisionnement mondiales intégrées. Le capitalisme mondial est pris dans une contradiction. La production et le commerce capitalistes sont à l’échelle mondiale, mais politiquement, le système est piégé dans les frontières de l’État-nation. Au cours des dernières décennies, cette contradiction a pu être partiellement surmontée grâce à la croissance générale des marchés mondiaux des biens, des services et des capitaux (notamment des actifs financiers). La mondialisation a progressé de plus en plus parce que la classe capitaliste de pratiquement tous les pays en a profité. Aujourd’hui, la situation évolue dans une autre direction : le gâteau mondial ne croît plus mais se rétrécit. La garantie des profits n’est de plus en plus possible qu’aux dépens des autres. Il est nécessaire d’utiliser de manière rentable une masse toujours plus importante de capital, c’est-à-dire d’investir le capital et de vendre les produits à l’étranger. Le capitalisme ne peut pas revenir purement et simplement quatre ou cinq décennies en arrière, lorsque le commerce mondial et surtout l’exportation de capitaux étaient encore faibles par rapport à aujourd’hui. Il y aura donc de nouveaux accords commerciaux, la formation de nouveaux blocs, davantage d’échanges au niveau bi-multilatéral et régional et, en même temps, une tendance au découplage et à la démondialisation au niveau mondial.

    Des tensions militaires croissantes

    La dimension militaire du conflit entre les États-Unis et la Chine s’est également accentuée, les mers du Sud et de l’Est de la Chine et Taïwan étant les principaux points chauds. La mer de Chine méridionale contient d’importantes zones de pêche ainsi que des réserves de pétrole et de gaz, mais le problème majeur est qu’il s’agit d’un point d’étranglement stratégique. Qui contrôle la mer de Chine méridionale contrôle le Pacifique occidental et la Chine conteste agressivement la domination militaire américaine dans cette région.

    La Chine a cherché à créer des faits sur le terrain le long de la “ligne en neuf traits” qui, selon elle, définit ses eaux territoriales, en construisant des infrastructures militaires sur divers petits atolls. Les Chinois ont également construit la plus grande marine du monde, mais le pays est toujours militairement beaucoup plus faible que les États-Unis. La théorie chinoise semble être que les États-Unis doivent couvrir un terrain beaucoup plus vaste alors qu’eux peuvent concentrer leurs forces dans le Pacifique occidental. Si la Chine a réussi dans une certaine mesure à développer sa présence dans la mer de Chine méridionale, elle l’a fait au prix d’un antagonisme croissant avec d’autres pays de la région qui revendiquent des sections des mêmes eaux et en poussant ces pays à se rapprocher des États-Unis. Les Philippines, par exemple, après s’être rapprochées de la Chine sous le président Rodrigo Duterte et avoir menacé d’annuler une série d’accords militaires avec les États-Unis, ont maintenant inversé leur position et permis aux Américains de revenir.

    L’autre point litigieux est Taïwan, que le PCC et le nationalisme chinois n’accepteront jamais comme un État “indépendant”, étant donné qu’il a été intégré dans un bloc occidental ou “anti-Chine”. Les Etats-Unis poussent maintenant plus agressivement leurs relations avec Taïwan avec, au début de cette année, la plus haute visite officielle depuis des décennies. Il y a même eu des spéculations sur le fait que Trump aurait pu planifier une visite avant de contracter le Covid. L’armée de l’air chinoise a adopté une position de plus en plus agressive avec des incursions régulières de ses avions de chasse dans l’espace aérien taïwanais.

    La mer de Chine méridionale ou Taïwan pourraient voir la guerre froide devenir “chaude” comme cela s’est déjà produit à la frontière entre l’Inde et la Chine dans l’Himalaya. Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, la probabilité d’une guerre totale entre les États-Unis et la Chine, ou d’ailleurs entre la Chine et l’Inde, est très faible en raison de leurs arsenaux nucléaires, mais même une “petite” guerre serait très dangereuse et aurait d’énormes implications. Elle pourrait également provoquer un mouvement anti-guerre massif au niveau international.

    Les conflits exacerbent les contradictions

    La Chine a subi quelques revers, par exemple sur la 5G, et est plus isolée qu’il y a un an sur la scène mondiale. Le prestige du régime du PCC a été fortement entamé par son échec criminel à contenir l’épidémie de coronavirus au départ et par son camouflage ultérieur. L’économie chinoise est la seule grande économie mondiale qui pourrait connaître cette année une croissance positive, bien que faible et le régime utilise maintenant agressivement la “diplomatie du vaccin” en Asie du Sud-Est et dans d’autres parties du monde néocolonial.

    Nos publications ont montré que si le conflit entre la montée de l’impérialisme chinois et le déclin de l’impérialisme américain est inévitable, il tend également à affaiblir les deux puissances. Certains aspects du conflit sont motivés par le désir de détourner l’attention des problèmes internes, comme l’a fait Trump en faisant constamment référence au “virus de la Chine”. La rhétorique du régime chinois vise également à distraire la population et à rejeter la responsabilité des manifestations de protestation sociale, y compris les luttes ouvrières, sur les “forces étrangères”. Mais dans les deux cas, le fait de fouetter le nationalisme peut créer une dangereuse pression pour aller plus loin dans les provocations.

    La dictature du PCC craint profondément les protestations et les processus révolutionnaires. Il existe de fortes divisions au sein de la direction du PCC sur la manière de procéder face à cela avec une aile opposée à Xi qui cherche à désamorcer le conflit avec les Etats-Unis. La nature de plus en plus brutale de la dictature (à Hong Kong, envers les minorités nationales du Xinjiang et de la Mongolie Intérieure) ainsi que le conflit avec les Etats-Unis sont à la fois une source et un résultat du nationalisme suprématiste han.

    Aux États-Unis, il y a eu une polarisation politique massive, une certaine résurgence du mouvement ouvrier et une énorme vague de protestation contre le racisme structurel. Trump utilise le nationalisme pour mobiliser sa base, mais cela pourrait devenir encore plus prononcé dans les années à venir, alors que la crise sociale et économique interne s’aggrave aux États-Unis et que la classe dirigeante cherche à couper court à la lutte sociale. En Chine, alors que ces processus sont beaucoup moins visibles en raison des contrôles totalitaires sans précédent mis en place, une radicalisation énorme, surtout chez les jeunes, est en cours. L’une des expressions de ce phénomène est la forte croissance du soutien au “maoïsme”, mais avec des différences cruciales par rapport au passé. De nombreux jeunes maoïstes chinois (terme générique en Chine) sont radicalement différents de la “norme” maoïste dans d’autres pays, car ils ne soutiennent pas la dictature chinoise et le capitalisme chinois.

    Autres tensions inter-impérialistes

    Une caractéristique croissante des relations mondiales est l’intensification des conflits inter-impérialistes, tant entre les grandes puissances impérialistes qu’entre les puissances impérialistes régionales. Le conflit entre les États-Unis et la Chine n’en est que le principal exemple. Dans un certain nombre de cas, ces conflits sont menés par des forces indirectes.

    En Méditerranée orientale, un différend de longue date a pris une nouvelle tournure passionnée. Les marines de la Grèce et de la Turquie, toutes deux membres de l’OTAN, se sont affrontées en août au sujet des droits d’exploration du gaz naturel. Israël, l’Égypte, les Émirats arabes unis et la France soutiennent la Grèce et la République de Chypre, qui ont tenté d’empêcher la Turquie d’accéder aux réserves. Bien que cela n’ait pas conduit à un conflit armé, les problèmes ne sont en aucun cas résolus.

    En octobre, un conflit armé a éclaté entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet de l’enclave arménienne du Haut-Karabakh, l’Arménie ayant subi des pertes importantes. Les Azerbaïdjanais étaient soutenus par la Turquie et Israël, tandis que la Russie a des bases militaires en Arménie. Bien qu’il soit difficile d’obtenir des chiffres précis, plus d’un millier de personnes sont mortes dans le plus grand affrontement entre les deux pays depuis la guerre qui les a opposés à la suite de l’éclatement de l’ancienne Union soviétique. Un cessez-le-feu a maintenant été négocié par la Russie et des troupes russes de “maintien de la paix” ont été dépêchées pour surveiller la nouvelle ligne de contrôle.

    Si la question du Haut-Karabakh n’est pas nouvelle, elle est devenue un conflit par procuration entre la Turquie, qui a l’ambition de s’imposer comme une puissance impérialiste régionale, et la Russie. Tant pour la Turquie que pour la Russie, les problèmes économiques internes et l’aggravation des tensions politiques sont à l’origine de l’intensification des conflits. La politique étrangère du régime d’Erdogan repose en partie sur l’équilibre entre les différents intérêts impérialistes, notamment ceux des États-Unis et de la Russie. Il est entré en conflit non seulement avec la Grèce, mais aussi avec la Russie en Syrie et en Libye, et de plus en plus avec l’UE, plus particulièrement avec la France, avec laquelle il se trouve du côté opposé de la guerre civile libyenne. L’une des rivalités les plus vives de la Turquie est avec les Émirats arabes unis, qui ont utilisé leurs richesses pétrolières pour soutenir la dictature égyptienne d’Al-Sisi contre les Frères musulmans, ainsi que les forces de Haftar en Libye.

    Sans parler de la guerre en cours au Yémen, qui reflète en partie le conflit plus large entre l’Iran et un ensemble d’autres pays, dont l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Israël au Moyen-Orient, conflit qui est également aigu en Afrique, en particulier dans la Corne de l’Afrique, et qui implique également l’impérialisme américain et la Chine. La guerre au Tigré, en Éthiopie, entre l’armée nationale et les forces du TPLF (Front de Libération du Peuple de Tigré), peut déstabiliser davantage la région, provoquant la famine et la fuite de millions de personnes. C’est un constat dévastateur pour la propagande capitaliste vu que l’Éthiopie, en raison de sa forte croissance économique, était présentée comme un exemple pour les autres pays pauvres. Ce modèle a été construit sur une dictature et une exploitation impérialiste, sans aucun bénéfice pour les masses.

    Tendances centrifuges plus larges – la question nationale

    Alors que la nouvelle guerre froide est la principale force motrice qui mine et démantèle l’équilibre géopolitique du capitalisme mondial, des tendances centrifuges plus larges (vers la fragmentation) sont en jeu à travers la planète. Cela se traduit par l’aiguisement de la question nationale, un autre des problèmes insolubles du capitalisme. La crise profonde de légitimité qui touche tous les piliers de l’ordre bourgeois existant va jusqu’à menacer l’intégrité territoriale de certains de ses États-nations les plus anciens et les plus établis.

    La Grande Récession a déjà vu l’éruption de questions nationales qui avaient été au moins partiellement en sommeil à l’époque précédente, et un sérieux aiguisage des questions nationales préexistantes, avec l’Ecosse et la Catalogne au premier plan. Si, dans certains cas, l’intensité de ces crises s’est atténuée pendant un certain temps, elles restent des bombes à retardement qui n’ont nullement été désamorcées. La situation laisse présager de nouvelles convulsions dans ce domaine, potentiellement encore plus explosives, au cours des années 2020. L’éclatement de la guerre au Nagorno-Karabach, la crise, les protestations et la répression du PCC en Mongolie intérieure, la répression accrue du régime d’Erdogan contre les Kurdes de Turquie et sa nouvelle offensive militaire contre le PKK au Kurdistan du Sud, la rupture d’un cessez-le-feu de trois décennies entre le Front Polisario et l’État marocain sur la question du Sahara occidental, en sont autant de témoignages.

    Dans l’État espagnol, le modèle territorial des “régions autonomes”, conçu dans le cadre de la “Transition” bâclée du capitalisme espagnol à partir du franquisme, est en crise existentielle et a été un facteur constant tout au long de la pandémie. En Catalogne, où des éléments d’une situation révolutionnaire existaient en 2017 alors que des millions de personnes ont défié la répression brutale de l’État pour affirmer leur droit à l’autodétermination, une crise constitutionnelle à part entière reste encore ouverte trois ans plus tard. Des dizaines d’anciens ministres et dirigeants de mouvements restent exilés ou emprisonnés pour le “crime” d’avoir organisé un référendum.

    La dépression économique en cours, qui devrait frapper l’État espagnol plus durement que la plupart des pays européens, ne va pas seulement jeter les bases de nouveaux cycles de crise et de lutte de masse en Catalogne, mais elle pourrait aussi ouvrir de nouveaux fronts de crise nationale ailleurs dans la péninsule. Le Pays basque a été l’épicentre de la première vague de la pandémie et a connu des grèves spontanées dans l’industrie automobile qui ont entraîné la fermeture de certaines entreprises, notamment Michelin et Seat. Les derniers mois ont également été marqués par des grèves dans les secteurs de la santé et de l’éducation.

    En Grande-Bretagne, ces derniers mois, Boris Johnson a été régulièrement qualifié de “Premier ministre d’Angleterre”, avec plus qu’un brin de vérité. Un cocktail de facteurs comprenant la crise économique, la Covid et le Brexit accélèrent les tendances à la fragmentation du “Royaume-Uni”. En Écosse, le soutien à l’indépendance est constamment en tête des sondages (jusqu’à 8 %), avec plus de 75 % de jeunes en faveur. En Irlande du Nord, ces facteurs, auxquels s’ajoutent les changements démographiques, y compris la pression en faveur d’un scrutin frontalier sur l’unité irlandaise et le danger d’une grave escalade du sectarisme, se combinent pour soulever la question de savoir si le fragile “processus de paix” s’effilochera complètement, lorsque le conflit des aspirations nationales deviendra prononcé.

    La fière tradition d’analyse et d’intervention marxistes de ASI sur la question nationale – une approche flexible, reposant sur les piliers principiels de lutte pour les droits nationaux de tous sous la direction de la classe ouvrière, tout en luttant pour le maximum d’unité des travailleurs et l’internationalisme socialiste – est un atout crucial pour entrer dans cette nouvelle période. La compréhension du potentiel révolutionnaire inhérent aux luttes pour les droits démocratiques, en tant que moteurs et catalyseurs des grandes batailles de classe, est d’une importance capitale. Il en va de même pour une résistance internationaliste de principe contre les pressions exercées par le nationalisme bourgeois et petit bourgeois.

    D’autre part, les questions nationales non résolues peuvent également contribuer à alimenter des conflits brutaux comme c’est actuellement le cas dans le Caucase, dans certaines parties du Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne. Dans un certain nombre d’endroits, les dangers d’une “balkanisation” et les tendances à la fracture violente des pays sont visibles, comme au Yémen, en Libye ou plus récemment en Éthiopie. La pression croissante de la crise économique, l’ingérence des puissances étrangères et la faiblesse ou le recul du mouvement ouvrier sont autant de facteurs qui peuvent exacerber ces conflits et tendances, auxquels les socialistes devraient opposer un programme qui s’efforce avec sensibilité de forger l’unité de classe en luttant contre toutes les manifestations d’oppression et de violence nationales, et pour unifier les revendications de classe.

    Luttes et consciences : les années 2010 sous stéroïdes

    2019, saluée par de nombreux médias comme “l’année des protestations mondiales”, a été un point culminant des luttes dans le monde. Alors que la pandémie avait initialement coupé cette tendance, l’explosion du soulèvement BLM au milieu de l’année 2020 a marqué sa réémergence spectaculaire, renforcée par les effets de la pandémie et de la nouvelle dépression économique. L’irruption des masses en Biélorussie contre le régime de Loukachenko, les révoltes sans précédent de la jeunesse en Thaïlande et au Nigeria, la grande vague de grèves de l’été en Iran, les occupations d’écoliers en Grèce, la reprise des protestations de masse au Liban et au Chili, les grèves générales en Afrique du Sud et en Indonésie, ont tous confirmé le mécontentement généralisé et le potentiel explosif de cette période au fur et à mesure du développement du processus révolutionnaire.

    Une étude réalisée par deux universitaires italiens a récemment noté que la pandémie et l’impact de la crise sur les relations sociales et économiques provoquent “un sentiment latent de mécontentement public tel que l’on pourrait s’attendre à une augmentation significative du niveau de conflit social dans la période post-épidémique”. Une analyse de la société de gestion des risques internationaux Verisk Maplecroft a également prédit que le choc économique de la pandémie, associé aux griefs existants, constituait une “tempête parfaite” qui rend “inévitable des soulèvements publics de grande ampleur”. Ces études ne font que confirmer l’analyse de cette nouvelle crise au sein d’ISA, qui y voit une amplification des tensions de classe qui s’étaient déjà accumulées pendant la période pré-Covid, et l’incubateur de développements sociaux et politiques encore plus explosifs et rapides – ainsi que de brusques changements d’humeur des masses dans les mois et les années à venir.

    Les analystes bourgeois ont souligné que les émeutes du pain ont été l’un des catalyseurs des révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en 2010-2011 – un avertissement judicieux compte tenu du fait que les prix mondiaux des denrées alimentaires ont augmenté sans relâche pendant plusieurs mois consécutifs, alors que des millions de personnes perdaient leurs moyens de subsistance. Il est difficile de déterminer avec précision quel facteur ou quelle occasion conduira à des explosions et à quel moment, mais le degré de colère et de frustration collective qui couve dans le monde entier est tel que tout problème apparemment fortuit, qu’il s’agisse d’un scandale de corruption ou d’un acte de brutalité étatique, peut déclencher une éruption d’en bas presque partout.

    Comme Marx l’a expliqué, les gens font leur propre histoire non pas dans des circonstances de leur choix, mais dans des circonstances transmises par le passé. Cela inclut l’absence continue, à l’échelle mondiale, de partis de masse de gauche ayant une crédibilité et des racines parmi des couches importantes de la classe ouvrière. L’accélération actuelle des événements historiques reste, pour l’instant, combinée à un “talon d’Achille” assez prononcé, hérité de l’époque historique précédente, sous la forme de la faiblesse du facteur subjectif. Les principales tendances sous-jacentes sont le déroulement d’une crise profonde du capitalisme et l’émergence d’une opposition d’en-bas et de mouvements de la classe ouvrière. L’opposition, l’organisation et la conscience, bien qu’en développement, sont beaucoup moins importantes qu’elles ne pourraient l’être en raison de l’absence d’un facteur subjectif fort, qui pourrait agir comme un forum ou une “serre” pour leur développement. La conscience se développe également, et parfois ces changements seront dramatiques, mais pour le moment, dans un sens général, la classe ouvrière dans la plupart des pays n’est toujours pas une classe pour soi, ne menant pas encore pleinement ou consciemment la lutte de classe contre les formes d’exploitation et d’oppression du capitalisme. Des luttes et des événements très importants ont découlé de la Grande Récession et des conditions austères imposées dans de nombreux pays. Ceux-ci donnent un aperçu de ce qui se passera à l’avenir. Cependant, bien que ces événements aient fait progresser les choses, ils n’ont généralement pas été assez loin pour entraîner des percées qualitatives dans la plupart des pays, dans le sens où la classe ouvrière a organisé sa force ou a établi et consolidé des mouvements de masse de gauche forts et croissants. L’absence de percée de mouvements politiques forts a retardé la prise de conscience de certaines couches – ce qui s’est traduit par une confusion avant même la croissance dans certains pays des théories conspirationnistes pendant la pandémie. À un moment donné, les événements dans la société, en particulier la lutte, feront progresser la conscience générale, mais dans certains pays, il peut y avoir une situation contradictoire, polarisée et complexe au sein de la classe ouvrière, certains touchés par des idées progressistes tandis que d’autres peuvent être affectés par des idées populistes de droite, etc. Cependant, l’instabilité inhérente du système est telle que les conditions sont en constante évolution et il est très important de ne pas avoir une vision rigide ou schématique. En apparence, il peut parfois sembler que la société elle-même est bloquée ou que les différentes forces s’annulent mutuellement. Bien que des éléments contradictoires soient toujours présents, dans le passé, les camarades étaient plus habitués à des conditions objectives avec des phases distinctes qui tendaient à être généralement favorables, pour être remplacées par des phases moins favorables, etc. et vice versa. Aujourd’hui, nous devons comprendre que des développements positifs et réactionnaires peuvent avoir lieu exactement au même moment. Nous devons être politiquement forts, clairs et suffisamment disciplinés pour ne pas être désorientés par les aspects négatifs, pour y faire face mais pour nous concentrer sur la saisie des opportunités qui se présentent. Nous devons également montrer que le fouet de la réaction a toujours été un facteur important pour faire avancer la conscience des couches les meilleures et les plus avancées, et nous pouvons réaliser des gains essentiels parmi ces éléments vitaux au cours des mois et des années à venir. L’absence d’un facteur subjectif fort est également l’une des raisons pour lesquelles nous avons une perspective qu’il peut y avoir des explosions par le bas. L’absence de syndicats de combat et de partis pour la classe ouvrière peut signifier que les problèmes qui touchent les gens ne sont pas traités et que les conditions peuvent empirer. Mais tout comme un élastique trop tendu se casse inévitablement et de manière explosive, la colère des exploités et des opprimés peut également exploser. Nous devons discuter davantage de ce que peut être la nature de ces explosions. Dans certains cas, nous avons vu des explosions qui ont mis en branle des mouvements qui forgent avec ténacité une voie à suivre. Dans d’autres cas, les explosions ne sont pas signalées et, si elles se produisent, peuvent aussi se dissiper rapidement. Elles peuvent également contenir un potentiel exceptionnel et entraîner des changements qualitatifs dans les conditions et la conscience, notamment en jetant les bases d’une nouvelle organisation politique de la classe ouvrière. En plus de nous préparer à ce qui peut se passer dans les syndicats ou avec les nouvelles formations de gauche, nous devons également examiner de manière développée le potentiel des mouvements sur les femmes, le genre, le changement climatique, les luttes des travailleurs non organisés, les communautés opprimées et la jeunesse en général, en termes d’impact qu’ils peuvent avoir sur l’organisation politique et la compréhension de la classe ouvrière.

    Cependant, la classe ouvrière entre également dans les années 2020 avec l’expérience d’une décennie marquée par les répercussions économiques, politiques et sociales de ce qui était alors la plus grande crise capitaliste depuis des générations. Cette décennie a été marquée par d’importants épisodes de résistance de masse et même par des poussées révolutionnaires, qui ont tous laissé une empreinte profonde dans la conscience de millions de personnes et ont laissé au capitalisme – en particulier à sa variante néo-libérale – ainsi qu’à ses partis et institutions une autorité sérieusement diminuée. L’Indice mondial de la paix 2020 a calculé que les émeutes dans le monde ont augmenté de 282 % au cours des dix dernières années et les grèves générales de 821 % !

    Pour les “millennials”, et plus encore pour la “génération Z”, l’état “normal” du capitalisme est assimilé à une instabilité économique permanente et à une catastrophe environnementale. Nombre de ces millennials sont entrés dans la vie active pendant et après la dernière récession et sont maintenant frappés par une autre, encore plus brutale. Même avant l’effondrement du Covid, les jeunes – qui n’ont de plus en plus aucun souvenir de l’effondrement du stalinisme et de ses effets – étaient de plus en plus nombreux à rejeter le capitalisme et étaient plus ouverts aux idées socialistes, bien que la conscience reste confuse quant à ce que cela implique exactement et sur la manière dont le socialisme nécessaire peut être réalisé.

    Le discrédit du système capitaliste a été exacerbé par la crise de cette année. L’enquête de la “Victims of Communism Memorial Foundation”, menée par le cabinet de recherche YouGov, a révélé que le soutien au socialisme parmi la Génération Z (16 à 23 ans) aux États-Unis est passé de 40% l’année dernière à 49% cette année. Selon le même rapport, 60% des personnes âgées de 24 à 39 ans et 57% de la Génération Z soutiennent un “changement complet de notre système économique pour nous éloigner du capitalisme” : il s’agit d’augmentations de 8 et 14 points de pourcentage, respectivement, par rapport à l’année dernière. Les conditions nouvellement déclenchées par la pandémie entraînent un processus de radicalisation politique parmi les jeunes générations comme nous n’en avons probablement pas vu depuis des décennies – tout en provoquant même chez les générations plus âgées une prise de conscience croissante du fait que quelque chose ne va fondamentalement pas dans la manière dont la société est organisée, et que les développements sont liés à l’échelle internationale. Selon un sondage de la société de recherche EKOS, par exemple, 73 % des Canadiens de tous les groupes d’âge ont déclaré qu’ils s’attendaient à une “vaste transformation de notre société” lorsque la crise de Covid-19 prendra fin. L’humeur et la conscience des jeunes, qui ont été l’aiguillon de nombreux mouvements de protestation cette année, devraient être considérées comme un facteur potentiellement très important. Cela peut donner le ton et inspirer d’autres sections de la classe ouvrière en termes d’idées, de questions, de revendications et de lutte et avoir un impact sur les processus au sein de la classe ouvrière au sens large.

    Si, dans sa phase initiale, la crise actuelle semblait avoir presque “suspendu la politique”, repoussant les luttes de masse à l’arrière-plan, faisant ressortir des éléments de peur, de confusion et un certain “bénéfice du doute” attribué aux gouvernements nationaux, cette phase initiale n’a pas duré longtemps. Les grèves sauvages des travailleurs dans une série de pays ont été un signe précoce de la non-durabilité et du vide de la rhétorique de l’”unité nationale”.

    Sous la surface, la crise a considérablement épicé les ingrédients nécessaires pour que la colère généralisée éclate en conflits de classe ouverts et en mouvements de masse – avec une conscience généralement plus élevée que dans les mouvements qui ont marqué la décennie précédente. Les autres voies de radicalisation et de lutte qui ont caractérisé les années pré-Covid (oppression sexuelle et raciale, destruction de l’environnement, etc.), loin d’avoir disparu, ont été fortement accentuées – ne faisant qu’ajouter à ce mélange combustible.

    Bien entendu, il serait erroné de supposer que cela suivra une trajectoire rectiligne ou se développera de manière uniforme dans toutes les parties du monde. Le combustible que représente les luttes de masse n’est pas sans limites, les périodes de fatigue ainsi que les revers et les défaites sont inévitables en l’absence de partis, de dirigeants et de programmes capables de les faire avancer.

    Le facteur subjectif n’est pas en soi une condition préalable à l’apparition de mouvements de masse et même de révolutions. Même sans leadership, les luttes spontanées peuvent s’emparer de victoires temporaires, ou forcer la classe dirigeante à faire des pas en arrière et des concessions partielles – comme nous l’avons vu à maintes reprises ces derniers mois. Mais cette spontanéité finira par se heurter à des limites, et de telles concessions peuvent être reprises si ces mouvements ne sont pas capables de se hisser à un niveau plus élevé et plus organisé, notamment en adoptant un programme qui dépasse la logique du capitalisme.

    Le fait que l’ancien Premier ministre libanais Saad Hariri ait été chargé de diriger un nouveau cabinet alors que son précédent gouvernement avait été renversé par le soulèvement d’octobre dernier reflète non seulement l’impasse politique dans laquelle se trouve l’élite bourgeoise du pays, mais aussi les lacunes du mouvement qui n’a pas été en mesure d’articuler et d’imposer sa propre alternative de classe. Le rôle démesuré joué par des “figures accidentelles” dans certains des mouvements récents, comme l’imam Mahmoud Dicko dans les manifestations de masse au Mali, la dirigeante de l’opposition en exil Svetlana Tikhanovskaya dans les manifestations en Biélorussie, ou l’ancien prisonnier Sadyr Japarov propulsé à la présidence par les manifestations au Kirghizstan, témoigne du vide de leadership politique dans la classe ouvrière de ces pays.

    Par ailleurs, pratiquement partout, les directions syndicales ont, dans une plus ou moins large mesure, freiné les luttes des travailleurs, freinant ainsi le potentiel de résistance collective sérieuse contre la nouvelle offensive capitaliste sur l’emploi, les salaires et les conditions de travail. Cela n’a pas pu empêcher des luttes industrielles très importantes dans certains pays comme les Etats-Unis, la France et l’Inde. Néanmoins, dans ces circonstances, les chocs économiques brutaux qui se produisent et le spectre du chômage de masse peuvent exercer et exerceront parfois un effet stupéfiant sur la dynamique de la lutte des classes. La détresse économique de masse sans réponse collective tangible peut conduire à des actes de désespoir, au terrorisme individuel, à des émeutes désorganisées ou à des flambées de violence communautaire, sectaire ou tribale, ce qui est encore plus critique dans le monde néocolonial.

    La pandémie COVID-19 et la crise économique mondiale ont également fortement accéléré la tendance à la baisse du bien-être mental dans le monde entier, en particulier chez les jeunes. L’isolement physique, la fermeture des écoles, l’accès réduit aux soins de santé, les pertes d’emploi, l’anxiété économique accrue et la crainte de la catastrophe climatique ont produit une combinaison particulièrement toxique. Plus de la moitié (51 %) des 3 500 personnes interrogées dans sept pays par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) ont déclaré que la pandémie avait eu un impact négatif sur leur santé mentale. Les experts avertissent tous que certains de ces effets seront durables. Une autre caractéristique de la maladie de la société est qu’aux États-Unis et dans certaines parties du Canada, l’espérance de vie, en particulier pour les hommes, a chuté. Un facteur clé est l’explosion des décès dus aux opioïdes qui ont tué plus de personnes en Colombie-Britannique que le COVID en 2020 – 1.716 contre 901. Les gouvernements continuent de traiter de nombreux problèmes de santé mentale avec le système pénal, donc refusent un approvisionnement propre et sûr en médicaments et la police agresse et assassine constamment les personnes souffrant de mauvaise santé.

    À Hong Kong, la lutte de masse de l’année dernière a subi une grave défaite, la peur et la démoralisation s’installant dans un contexte de répression accrue du régime chinois et de ses valets. L’éclatement des conflits militaires et l’augmentation des tensions nationalistes peuvent également affecter l’humeur des masses et traverser les raz-de-marée de la lutte des classes. En l’absence d’une forte empreinte de la classe ouvrière dans certains des mouvements, la dynamique de la “guerre froide” en jeu à l’échelle mondiale peut générer des illusions dans l’un des deux blocs impérialistes comme contrepoids à ce qui est perçu comme l’ennemi le plus immédiat – comme le montrent certaines des confusions entourant la soi-disant ‘‘Alliance du thé au lait‘‘, avec la jeunesse militante de Hong Kong, de Taïwan et de Thaïlande regardant vers les États-Unis “démocratiques” contre la Chine autocratique et les généraux thaïlandais.

    Cependant, les perspectives marxistes équilibrées ne sont pas un simple “jeu à somme nulle” ; en dépit des diverses complications, nous devons identifier les caractéristiques dominantes des processus en jeu à l’échelle mondiale. D’une manière générale, malgré les contradictions mentionnées et les différences entre les différentes parties de la planète, il ne fait aucun doute que la pandémie et la nouvelle crise mondiale ont contribué à faire avancer la conscience de classe plutôt que le contraire. Bien que repartant d’un point plus bas que l’année dernière, les luttes ont, dans de nombreux cas, suivi la même voie.

    Une caractéristique importante de la période actuelle réside dans le fait que le rythme des fluctuations conjoncturelles, c’est-à-dire la succession de périodes de hausses et de baisses dans la lutte des classes, de développements révolutionnaires et contre-révolutionnaires, a été immensément accéléré. Il en va de même pour le déplacement du centre de gravité géographique des luttes, qui se déplace d’un pays à l’autre et d’un continent à l’autre à un rythme accéléré. Le niveau des inégalités de classe et l’instabilité du système capitaliste dans son ensemble ont atteint des niveaux historiquement élevés à l’échelle mondiale, à tel point que la tâche des classes dominantes dans le contrôle du mouvement élémentaire des masses s’apparente de plus en plus à celle d’un pompier luttant pour éteindre un nombre croissant d’incendies.

    Alors que dans beaucoup de ces mouvements, la compréhension du rôle de la classe ouvrière dans la réalisation d’un changement efficace est encore à un point relativement bas, des actions et des méthodes plus nettement ouvrières ont façonné certains d’entre eux – attesté par le retour de la “grève de masse” dans des pays comme l’Indonésie, l’Afrique du Sud et le Belarus. Même le magazine Teen Vogue l’a récemment reconnu, la conscience de classe est en hausse sur tous les continents, et a été stimulée par la pandémie et les effets des confinements. Tout en étant conscients de leurs flux et reflux inévitables et de leurs limites politiques actuelles, nous pouvons affirmer avec confiance que les révoltes de masse, les révolutions et les conflits plus durs entre les classes, ainsi que des bonds plus sérieux dans la croissance du soutien aux idées socialistes et aux forces marxistes, seront l’un des traits dominants de la prochaine décennie.

    Le processus des luttes de masse, leurs victoires et leurs défaites, est aussi une expérience accumulée dont on tire des leçons et des conclusions. La récente vague de grèves en Iran, par exemple, a vu un niveau unique de coordination entre les différentes industries, les travailleurs de tous les secteurs débrayant en solidarité les uns avec les autres, y compris ceux de 54 installations pétrolières, gazières et pétrochimiques. Cela s’appuie clairement sur les leçons tactiques tirées des précédentes séries de luttes contre le régime. Et ce qui est vrai dans un seul pays l’est aussi, dans une certaine mesure, au niveau international.

    Les effets de décennies de mondialisation et le développement massif de la communication par Internet et les médias sociaux ont jeté les bases matérielles de l’avènement d’une nouvelle forme rudimentaire d’internationalisme, en particulier parmi les jeunes générations. Bien qu’elle ne soit pas encore dotée d’un complément organisationnel ou politique à part entière, cette perspective instinctivement internationaliste et cette propension à regarder les luttes menées dans d’autres pays pour s’en inspirer et en tirer des enseignements, a été un trait caractéristique des mouvements récents, ce qui a facilité leur propagation rapide. Le caractère pleinement universel de la pandémie et de la crise économique, plus profondément mondiales que la Grande Récession de 2008, a renforcé l’idée qu’aucun des problèmes actuels ne peut être traité dans un cadre purement national. À l’heure où les tambours du nationalisme des classes dominantes battent de plus en plus fort, les idées de coopération internationale, de solidarité et de lutte transfrontalières de la classe ouvrière ont déjà trouvé et continueront de trouver un écho parmi les couches croissantes de travailleurs et de jeunes – comme l’illustrent de façon éloquente les grèves climatiques mondiales de l’année dernière, ou encore BLM et le mouvement antiraciste mondial cette année. Les initiatives d’ISA et de ses sections, basées sur ce sentiment internationaliste croissant, comme nous l’avons fait en réaction au conflit en Méditerranée orientale ou à l’accord de “normalisation” entre le Soudan et Israël, peuvent agir comme un paratonnerre pour ces couches. Le sentiment que ce système est brisé et n’offre aucun avenir est probablement à un niveau historique depuis la période qui a suivi immédiatement la première guerre mondiale ; de plus, les luttes de masse augmentent à l’échelle mondiale avec les mouvements explosifs de 2019 et 2020. En même temps, l’idée de ce à quoi pourrait ressembler une alternative au système actuel et surtout la question de savoir comment y parvenir est encore très floue. Lié à cela mais aussi à la bourgeoisification des anciens partis de la classe ouvrière et au rôle que les syndicats ont joué au cours des dernières décennies, la préparation à l’organisation est encore très faible. Cet obstacle ne pourra être surmonté que par l’augmentation de la lutte de classe, des victoires et des expériences vécues par des couches plus larges.

    Écoles et hôpitaux : une poudrière sociale

    Au cours de la pandémie de Covid-19, l’importance stratégique des travailleurs de la santé et de l’éducation dans la reproduction, la formation et la préservation physique de la main-d’œuvre actuelle et future a été mise en évidence de façon extrêmement nette.

    Dans de nombreux pays capitalistes avancés, en raison de la désindustrialisation, les hôpitaux sont parmi les lieux de travail qui rassemblent le plus de main d’oeuvre. Comme ASI l’avait identifié à un stade antérieur de la crise, les travailleurs des secteurs de la santé, de l’aide sociale et autres, ayant été confrontés à des risques accrus dans leur travail tout en bénéficiant d’un degré unique de sympathie de la part du public, ont vu leur colère et leur confiance renforcées, et se sont engagés dans des actions de grève militantes dans le monde entier – y compris, peut-être de manière plus frappante, dans un grand nombre de pays africains. Le slogan observé lors des manifestations des professionnels de la santé en France entre la première et la deuxième vague de Covid-19, “finis les applaudissements, place à la mobilisation”, traduit une impatience largement partagée de régler les comptes avec les politiciens capitalistes qui ont fait des ravages dans le secteur. Si cette tendance peut être temporairement submergée par la pression de la charge de travail dans le contexte de nouvelles vagues virales, elle peut revenir avec une vigueur renouvelée une fois que la pandémie se sera calmée. La pandémie est venue s’ajouter à une contradiction croissante du système capitaliste dans la période actuelle : en raison de la façon dont la société s’est développée, de plus en plus de personnes dépendent du secteur de la santé ou du secteur social. La société vieillit, la dégradation des conditions de travail et de vie a un impact négatif sur la santé physique et mentale de la classe ouvrière et des jeunes, et la pauvreté et le sansabrisme augmentent. L’importance du secteur ne cesse donc de croître, de même que sa position dans la société. En même temps, dans une situation de crise économique, les capitalistes sont désireux de réduire les conquêtes historiques de la classe ouvrière et veulent également ouvrir le secteur de la santé et du social au capital privé. Tout cela fait de la santé et du secteur social un champ de bataille central dans la lutte des classes d’aujourd’hui. Partout dans le monde, nous pouvons observer les luttes de classe les plus combatives dans ce secteur. La crise sanitaire ne fera qu’accélérer ce processus. C’est pourquoi notre Internationale et toutes les sections doivent développer une orientation stratégique vers les travailleurs du secteur de la santé et du social.

    La pandémie a également propulsé les enseignants et leurs syndicats au premier plan du débat sur la manière de rouvrir les écoles en toute sécurité. Les fermetures d’écoles et d’universités ont touché plus d’un milliard d’étudiants dans le monde, devenant une épine centrale dans le pied de la classe capitaliste en raison de l’effet boule de neige que ces fermetures ont eu sur le reste de la classe ouvrière. Dans le même temps, elles ont profondément affecté les familles de la classe ouvrière, nuisant au développement des enfants et augmentant la charge au sein des ménages individuels, et exacerbant la pression, en particulier sur les épaules des femmes. D’un autre côté, cette situation a considérablement renforcé la confiance en soi des enseignants et des travailleurs de l’éducation, faisant de ce secteur un autre champ de bataille probable dans les luttes à venir, comme nous l’avons déjà vu en France avec la “grève sanitaire” des enseignants en novembre 2020.

    En Grande-Bretagne, le plus grand syndicat d’enseignants, le NEU, a vu ses effectifs augmenter de plus de 50 000 nouveaux membres depuis le début de la pandémie – le plus haut niveau jamais enregistré depuis de nombreuses années. Aux États-Unis, le soutien public aux syndicats n’était que de 48 % en 2009 pendant la Grande Récession, mais il est maintenant de 65 % selon le dernier sondage Gallup de juillet-août 2020. Si la situation du mouvement syndical varie fortement d’un pays à l’autre, ces chiffres mettent en lumière le potentiel des syndicats à se renforcer dans cette période convulsive, si leurs dirigeants sont prêts à se battre – ou sont poussés à le faire. Sous la pression de la base, certains syndicats seront parfois poussés à agir plus loin que ne le voudraient leurs dirigeants. Cependant, la profondeur de la dépression économique, les licenciements massifs dans de nombreux pays et la polarisation accrue des classes signifient également que l’inertie, les conciliations et les trahisons (qui sont les sous-produits d’une approche réformiste des dirigeants syndicaux) peuvent aussi se traduire plus rapidement par de graves chutes des adhésions aux syndicats, et précipiter des syndicats entiers dans la crise. Cela peut à son tour entraîner des scissions ou la création de nouvelles formations syndicales potentiellement plus militantes. Le travail des socialistes révolutionnaires pour aider à construire et à diriger un mouvement syndical combattant est donc d’autant plus crucial dans cette conjoncture. Mais il faudra aussi une énorme flexibilité aux socialistes, pour ne pas laisser les syndicats traditionnels aux mains de la bureaucratie tout en participant à toute percée significative dans le développement de nouvelles structures syndicales, et tout en articulant des propositions concrètes pour une action unie de la classe ouvrière dans les syndicats.

    Les secteurs qui ont été en première ligne des luttes au cours de l’année dernière sont également fortement féminisés. Il en va de même pour les secteurs les plus touchés par la crise économique, comme le commerce de détail, l’hôtellerie et le travail domestique. Comme l’illustre la lutte des travailleurs de Debenham en Irlande, qui a duré des mois, les femmes de la classe ouvrière ont été propulsées au premier plan de la résistance mondiale contre l’assaut capitaliste. Poursuivant une dynamique observée dans le monde entier ces dernières années, les femmes ont également joué un rôle de premier plan dans les mouvements de masse de cette année, du Nigeria au Belarus. En Thaïlande, elles ont apporté leurs propres revendications dans la lutte de masse des jeunes, dénonçant l’écart de rémunération entre les sexes, la culture du viol, les lois restrictives sur l’avortement et la marchandisation du corps féminin.

    Dans le contexte d’une crise où les femmes ont dû faire face à une pression économique renouvelée, à des attaques contre leurs droits reproductifs et à une augmentation spectaculaire de la violence sexiste dans tous les domaines, le potentiel de lutte sur des questions directement liées à l’oppression sexiste reste élevé – comme le soulignent à nouveau les protestations qui ont déferlé sur l’Inde après le viol et le meurtre brutal d’une jeune fille Dalit dans l’état d’Uttar Pradesh au nord ; ou en Turquie, où des milliers de femmes sont descendues dans la rue dans plusieurs villes au cours de l’été contre les féminicides et la violence domestique, les manifestations les plus importantes depuis le début de la pandémie.

    Mais c’est sans doute en Pologne que le potentiel de ces questions à entraîner des bouleversements sociaux majeurs, a été le plus vivement exprimé. L’attaque frontale du gouvernement de droite du PiS contre le droit à l’avortement a provoqué les plus grandes manifestations du pays depuis les années 1980 – alors qu’il était en situation de pandémie et de confinement – avec un climat de révolte nettement plus déterminé, plus répandu et plus politique que lors du mouvement qui a eu lieu il y a quatre ans. Une sorte de grève générale “en gestation” était présente, qui aurait pu se concrétiser en une véritable grève si la direction du syndicat avait été à la hauteur. Cette explosion soudaine a pris le gouvernement totalement par surprise, l’ébranlant jusqu’à ses fondements et le forçant à un retrait partiel.

    Le fait qu’un recul massif des droits des femmes se produise après des années de luttes historiques des femmes au niveau international met clairement en évidence l’échec des idées réformistes à atteindre l’égalité des sexes, et conduira de plus en plus de femmes de la classe ouvrière à des conclusions révolutionnaires.

    Développement dramatique aux États-Unis

    Cette année a commencé par une campagne présidentielle déferlante de Bernie Sanders dont le programme était plus à gauche qu’en 2016. La campagne de Sanders a représenté une menace sérieuse pour l’establishment néolibéral du Parti démocrate qui a mené une campagne féroce pour le bloquer et remettre l’investiture au très faible Joe Biden. Sanders a capitulé face à cet assaut et a laissé les travailleurs et la jeunesse progressistes sans direction efficace dans une année de crise profonde. Cependant, le soutien aux éléments clés de son programme n’a pas diminué.

    Il est important de garder cela à l’esprit lorsque l’on considère ce qui s’est passé depuis. Trump a mal géré la pandémie, entraînant la mort de centaines de milliers de personnes dans le pays capitaliste le plus puissant du monde. Il y a eu des effets économiques catastrophiques, notamment de longues files d’attente pour la nourriture dans tout le pays. Environ une famille sur trois avec enfants a été confrontée à l’insécurité alimentaire au cours des derniers mois. Tout cela a révélé au monde l’horrible réalité des inégalités massives et de la précarité, ainsi que l’état désastreux des soins de santé publics aux États-Unis.

    La renaissance du mouvement Black Lives Matter a été directement affectée par ces conditions. Il s’agissait d’une rébellion multiraciale de jeunes, menée par des jeunes Noirs, contre le racisme et un avenir de plus en plus sombre sous le capitalisme. Ce fut le plus grand mouvement de protestation de l’histoire des États-Unis, qui a temporairement mis les réactionnaires en retrait et a eu un effet positif significatif sur la conscience des masses. Cependant, il manquait également une direction, un programme, une structure démocratique et une stratégie clairs pour obtenir des gains tangibles. Cela a rendu la capitulation de Sanders – qui aurait pu jouer un rôle important à cet égard – encore plus criminelle. Les démocrates des grandes villes ont réussi à user le mouvement et à exploiter les erreurs gauchistes d’une partie du mouvement. Cela a donné à Trump une ouverture qu’il a exploitée.

    Résultats de l’élection présidentielle

    La défaite de Donald Trump a été accueillie avec soulagement par des centaines de millions de personnes dans le monde entier. Il s’agit objectivement d’un recul important pour le populisme de droite et l’extrême droite au niveau international. Les gens ordinaires ont surmonté la tentative massive pour les écarter des urnes, l’éviction manifeste d’électeurs dans de nombreux États, visant en particulier les électeurs noirs et latinos, et les menaces incessantes de Donald Trump de voler les élections. La classe dirigeante a également clairement indiqué qu’elle ne voulait pas que la démocratie bourgeoise soit davantage minée et a utilisé les médias pour défendre sans relâche l’”intégrité” de l’élection et du processus de comptage des votes.

    Cependant, l’ampleur du vote pour Trump, malgré sa gestion désastreuse de la pandémie, contient de sérieux avertissements pour le mouvement ouvrier s’il ne parvient pas à construire une véritable alternative de gauche aux démocrates au cours de la prochaine période.

    Comme notre section américaine l’a expliqué dans ses publications, Trump a obtenu le soutien de la grande majorité qui considère l’économie comme la question clé ; il a également obtenu le soutien de 40% des membres des syndicats à travers les États-Unis. Bien que nous rejetions fermement l’analyse qui réduit le résultat au “racisme blanc”, il est vrai que la droite populiste consolide une base au sein de la classe ouvrière et de la classe moyenne blanche basée en partie sur le racisme.

    Mais en même temps, une proportion légèrement plus élevée de l’ensemble de la classe ouvrière blanche a soutenu Biden par rapport à Clinton en 2016. Ceci est une indication de ce que Sanders aurait pu faire s’il avait été le candidat plutôt que Biden qui n’avait littéralement rien à dire à aucune section de la classe ouvrière et qui a ouvertement rejeté un système national d’assurance maladie (Medicare-for-All) et le Green New Deal.

    Le résultat signifie que la polarisation massive va se poursuivre et avec elle l’affaiblissement supplémentaire des institutions bourgeoises. L’establishment du Parti Républicain, qui a été fermement placé sous le contrôle de Trump, n’a pas de voie directe pour reprendre le contrôle à court terme. Mais il existe de profondes contradictions au sein du Parti républicain qui pourraient, à un moment donné de la prochaine période, conduire à une scission et à la formation d’un parti d’extrême droite plus clairement défini. Trump utilise actuellement la phase post-électorale pour consolider davantage sa base autour du récit concernant le vol de l’élection.

    Bien que ce soit une évolution dangereuse, elle pourrait également servir de “fouet de la contre-révolution” pour des développements à gauche. Les divisions au sein du Parti Démocrate ont été très visibles, les “modérés” attaquant AOC et la gauche comme cause de leurs pertes dans les élections au Congrès. Dans le même temps, AOC et le “Squad” à la Chambre des représentants ont été renforcées et pourraient être déterminantes dans l’équilibre du pouvoir.

    Avec des millions de personnes, en particulier des jeunes, radicalisées par la crise économique du capitalisme, le désastre climatique qui se développe et la lutte contre l’oppression raciale et d’autres formes d’oppression, il n’y a pas eu de plus grand espace objectif pour une alternative politique de gauche aux États-Unis depuis au moins les années 1970. La possibilité de reconstruire un mouvement ouvrier combattif a également été clairement démontrée par la révolte des enseignants de 2018 et la vague de grèves qui a suivi.

    Le facteur manquant est le leadership et les figures clés de la gauche, comme AOC, sont toujours embourbées dans le Parti Démocrate, réduites à se plaindre de ne pas être prises au sérieux par la direction. Mais ils seront soumis à une pression massive pour prendre position contre Biden au cours de la prochaine période, alors que la crise entre dans une nouvelle phase.

    Perspectives nationales pour l’administration Biden

    Biden dit qu’il va “dépenser de l’argent” pour faire face à la crise, ce qui peut paraître audacieux. Mais c’est littéralement ce que le FMI et la Réserve fédérale exhortent le gouvernement américain à faire. Bien sûr, dépenser de l’argent dans une situation d’urgence n’est pas la même chose que de s’engager dans des programmes à plus long terme qui bénéficieraient matériellement aux travailleurs. De tels engagements sont largement absents bien que Biden pourrait inverser les décrets de Trump qui sapent la réglementation environnementale et restreignent l’immigration, ce qui pourrait prolonger un peu sa période de “lune de miel”. Dans le même temps, les gouvernements locaux dirigés par les démocrates se préparent à mettre en œuvre des coupes massives dans les programmes sociaux.

    Mais les deux prochaines années ne seront pas comme en 2008-10, lorsque le mouvement ouvrier et la gauche ont refusé de dégager Obama, qui a renfloué les banques alors que des millions de personnes perdaient leur maison. Il y avait de véritables illusions en Obama qui n’existent pas en Biden et les travailleurs résisteront fortement à une répétition de ce qui s’est passé il y a dix ans. Nous ne pouvons pas être sûrs de la date et de la manière dont le conflit entre les travailleurs, les jeunes contre le gouvernement Biden va se développer, mais nous pouvons être absolument certains qu’il y aura de nombreux points chauds potentiels, notamment la menace d’expulsions massives, la lutte contre les coupes budgétaires au niveau des villes et des États et les menaces de la Cour suprême de droite sur le droit à l’avortement. Essayer d’utiliser les mêmes règles du jeu néolibérales qu’Obama aura des résultats très différents cette fois-ci.

    Cependant, si le mouvement ouvrier et la gauche ne parviennent pas à se montrer à la hauteur de la situation et à fournir une alternative claire, il y aura une grande ouverture pour que l’extrême droite puisse se développer au cours des prochaines années. Comme nous l’avons dit, le trumpisme pourrait être suivi d’un phénomène encore plus dangereux.

    L’administration Biden et la politique étrangère

    La principale question que nous devons nous poser est de savoir dans quelle mesure l’administration Biden représentera une “remise à plat” dans les relations mondiales. Biden prendra rapidement des mesures qui permettront de distinguer nettement la nouvelle administration de celle de Trump, du moins au niveau de la rhétorique. Il réintégrera l’Accord de Paris sur le climat que les États-Unis viennent de quitter officiellement ainsi que l’OMS. Plus largement, il renouera avec les institutions capitalistes mondiales que Trump a abandonnées et les alliances traditionnelles des États-Unis comme l’OTAN.

    Mais l’accord de Paris est extrêmement limité et le retour des États-Unis ne signifiera pas en soi un changement sérieux dans la course effrénée au désastre climatique. De même, mettre fin à la rhétorique “Amercican first” et chercher à s’engager dans l’OMC peut ralentir la croissance du protectionnisme. Mais c’est loin d’inverser la tendance de ces dernières années. M. Biden a promis de ramener des emplois à domicile sous l’étiquette “Made in America”.

    Cela est particulièrement clair dans le conflit entre les États-Unis et la Chine. Biden peut chercher, par exemple, à conclure un accord avec la Chine pour réduire les droits de douane, mais la politique américaine de “partenariat” avec la Chine, qui a commencé avec la visite de Nixon en 1972 et a conduit à l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2000, est maintenant définitivement terminée. Comme nous l’avons souligné, ce n’est pas seulement le résultat de la politique économique nationaliste de Trump, mais reflète un changement plus large de la classe dirigeante américaine. Même avant Trump, l’objectif d’Obama, avec l’alliance commerciale du TPP dont Trump s’est retiré, était d’”encercler” la Chine et de contenir son développement ultérieur. On peut s’attendre à ce que Biden insiste sur les “droits de l’homme” dans le cadre de la campagne d’endiguement de l’impérialisme américain dans une bien plus large mesure que Trump. Nous ne devons pas nous attendre à un changement sérieux dans le conflit sur les technologies ou dans les mouvements généraux vers le découplage.

    Biden et son équipe sont certainement déterminés à tenter de relancer l’accord nucléaire iranien, mais dans la pratique, cela s’avérera très difficile. L’Iran indique qu’il demandera des dédommagements pour les sanctions de Trump, ce qui serait probablement politiquement impossible à accepter pour Biden. Des élections en Iran sont également prévues l’année prochaine, ce qui pourrait ramener la présidence à la ligne dure du régime et ajouter aux complications pour une relance de l’accord. Certains éléments indiquent que M. Biden adoptera une position moins amicale à l’égard du régime saoudien. Le retrait de la Maison Blanche de Trump, que Mohamed Bin Salman avait utilisé comme couverture pour s’engager dans une campagne massive de centralisation du pouvoir autour de lui, pourrait raviver les querelles intestines au sein de l’élite dirigeante saoudienne. Les relations avec Nétanyahou seront glaciales, car il est probable que l’administration de Biden tentera d’apparaître moins agressive et moins provocatrice en faveur du régime israélien, et rouvrira les lignes de communication avec la direction palestinienne, qui s’était effondrée sous Trump. Cependant, il ne semble pas que la chimère d’un accord de paix soutenu par l’impérialisme entre Israël et les Palestiniens soit une priorité pour Biden dans tous les cas.

    La victoire de Biden est la bienvenue pour les dirigeants des principaux pays de l’UE, mais pas pour les gouvernements de Hongrie, de Pologne, de République tchèque et de Slovaquie, et il adoptera certainement une attitude plus antagoniste à l’égard de la Russie. Il s’oppose au Brexit mais reconnaît qu’il s’agit essentiellement d’un accord conclu.

    La polarisation politique s’approfondit

    L’austérité implacable, l’inégalité croissante et la concurrence entre les pauvres pour les services sociaux, qui ont déjà sapé l’acceptation sociale du néolibéralisme, sont les principales caractéristiques de la crise actuelle. Les représentants politiques, de gauche et de droite, les institutions ont tous été perçus par des couches de plus en plus importantes comme faisant partie des forces qui œuvrent en faveur d’un statu quo favorisant les élites. En outre, la position des principales directions syndicales a été considérablement réduite au cours de la dernière période, à des degrés divers selon les pays et au sein des pays. Les guerres prétendant rendre le monde plus sûr et étendre la “démocratie” ont au contraire produit plus d’insécurité, des dictatures brutales et un terrorisme d’une ampleur jamais vue auparavant. Les “révélations” et les rumeurs sur l’”État profond” et l’influence des services secrets des puissances étrangères sapent encore plus la crédibilité déjà affaiblie des institutions capitalistes. La lutte pour les ressources et les richesses a encore accru les tensions entre les blocs commerciaux, les pays et même les régions à l’intérieur des pays, alimentant les questions nationales et ouvrant des fissures entre les autorités locales, régionales et nationales. L’escalade des catastrophes environnementales renforce le sentiment d’urgence de la lutte contre le changement climatique, mais effraie également ceux qui dépendent des industries polluantes pour vivre. Ce creuset de contradictions alimente la déception, l’insécurité, la méfiance et l’anxiété, énormément aggravées par l’incapacité du système à faire face à la crise sanitaire ainsi qu’à la dépression économique.

    En octobre 2020, dans un sondage d’opinion en France, 79 % des personnes interrogées ont indiqué qu’elles envisageraient de voter contre le système. Cela s’inscrit dans une tendance internationale, qui s’est traduite par des mouvements sociaux au cours de l’année écoulée. Les partis politiques ou les personnalités prêtes à exploiter audacieusement cette tendance pourraient faire des progrès. Malheureusement, à l’échelle internationale, aucune figure de gauche ou nouvelle formation de gauche ne semble prête à relever le défi à ce stade ; ils se veulent plutôt constructifs et respectables. Les figures de gauche au sein du Parti travailliste britannique et du Parti démocrate américain reflètent une tendance croissante à la gauche dans la société, mais elles ont plus ou moins capitulé devant l’establishment. Dans le cas du “Squad” aux États-Unis, elles peuvent être poussées vers la gauche sous la pression de leur base à un stade ultérieur. Dans d’autres cas, la “nouvelle gauche” n’a pas su structurer une force politique organisée capable de consolider les gains électoraux, de s’engager dans la lutte et de permettre aux luttes de se refléter dans leurs rangs, et de commencer ainsi à construire des racines solides sur les lieux de travail et dans les communautés de la classe ouvrière. De différentes manières, les limites de la France Insoumise de Mélenchon et la structure politique d’AMLO reflètent toutes deux cet arrêt à mi-chemin dans la direction d’un nouveau parti de gauche, par des leaders qui ont fait un demi-pas dans cette direction.

    La plupart des dirigeants syndicaux craignent également les conséquences de ce qui pourrait être déclenché s’ils devaient traduire cette colère et cette frustration massives en demandes et actions concrètes. La gauche syndicale à ce stade est beaucoup plus faible qu’elle ne l’était il y a des décennies et commence seulement à se reconstruire dans certains pays, et n’est pas en mesure de dépasser et de contourner l’appareil bureaucratique dans la plupart des cas.

    Le populisme de droite et l’extrême droite

    Cela offre aux populistes de droite et même d’extrême droite l’occasion de se poser comme la principale, sinon la seule force antisystème. Même après quatre ans de présidence, avec toutes ses insultes racistes et misogynes, après avoir mal géré la crise sanitaire, Trump a réussi à se poser encore comme “anti-establishment”, le défenseur de la classe ouvrière blanche tout en attirant une couche importante de Latinos et même de Noirs. Trump et l’extrême droite ont exploité la peur de la privation, de l’exclusion du travail à cause des confinements dû au Covid-19, pour se faire passer pour les défenseurs de la “liberté”. La méfiance à l’égard de l’establishment après des années de désillusions, de trahisons et de mensonges purs et simples est saisie pour alimenter les théories du complot. Un sentiment de patriotisme visant à restaurer l’ordre public est suscité pour protéger “notre mode de vie” contre la soi-disant anarchie promue par “la gauche”, alimentée par la “mafia des syndicats et du Parti Démocrate” ainsi que par “l’État profond”, pour plonger les États-Unis dans la décadence.

    Les populistes de droite et l’extrême droite en Europe jouent des airs similaires. L’intensification du racisme, la promotion de l’ordre public et la défense de “nos valeurs chrétiennes” sont désormais complétées par l’exploitation de la peur des petits entrepreneurs qui seront contraints de fermer, la saisie de la frustration liée aux mesures antidémocratiques infligées aux gens ordinaires pendant que les grandes entreprises continuent à fonctionner et l’utilisation de la colère et du manque de confiance dans les principaux politiciens, la presse et les institutions bureaucratiques.

    Il existe cependant de sérieuses limites, avec des éléments d’extrême droite qui sortent du cadre et provoquent une contre-réaction beaucoup plus importante. La gauche antifasciste grecque a repoussé Aube Dorée au point que l’establishment s’est senti obligé de les laisser tomber au moins pour le moment. Bien qu’il s’agisse d’une victoire importante, nous ne pouvons pas exclure que le néofascisme revienne plus tard sous un nouveau nom. Les groupes de combat néo-fascistes, petits mais en pleine croissance, sont des outils utiles pour les partis d’extrême droite, mais leur présence conduit également à des conflits internes et à des scissions qui peuvent repousser temporairement l’extrême droite sur le plan électoral.Les alliances entre les conservateurs de droite et les crypto-fascistes sous le toit du populisme de droite restent instables. La croissance et le succès de l’AFD allemande sont encore et toujours paralysés par la lutte interne entre les deux ailes droites. D’un côté, le groupe radical anti-establishment autour du fasciste Björn Höcke veut un lien plus étroit avec les mouvements, du raciste Pegida à Querdenken qui nie la Covid, et a un programme social nationaliste. Tandis que le groupe patriotique conservateur autour de Jörg Meuthen veut rendre le parti prêt à participer au gouvernement dans le cadre d’un programme protectionniste et néolibéral. Les conservateurs nationalistes profitent de l’image anti-establishment que le parti a, et les crypto-fascistes ont besoin des conservateurs nationalistes comme d’une feuille de vigne bien visible. Les deux ailes ont besoin l’une de l’autre pour survivre, mais elles ne peuvent pas non plus vivre ensemble. Leur conflit pourrait s’intensifier à un stade ultérieur et conduire à une nouvelle scission.

    Populariser des idées réactionnaires à partir de l’opposition, reprises et adoptées ensuite par des partis plus traditionnels, est une chose, mais en tirer une politique gouvernementale cohérente nécessiterait une ingérence si poussée dans les décisions économiques que cela les mettrait directement en collision avec les classes dirigeantes dont elles visent à servir les intérêts. Lorsque les motifs idéologiques sont mis de côté, le carriérisme et l’avidité prennent le dessus, comme l’illustre si bien l’ancien vice-chancelier autrichien Strache. Tant que le terreau sur lequel ils peuvent construire ne disparaitra, rien ne garantit que les populistes de droite et l’extrême droite subiront automatiquement une défaite électorale en participant au gouvernement. Il est néanmoins frappant de constater que le FPÖ en Autriche et la Lega en Italie sont tous deux en baisse dans les sondages. Une partie de la base sociale de la Lega est maintenant récupérée par Fratelli d’Italia, encore plus à droite.

    Cependant, l’obstacle fondamental, celui sur lequel nous devons nous appuyer, est la compression de leur base sociale historique, les classes moyennes, en faveur d’une classe ouvrière en croissance numérique. Le rapport de forces potentiel entre les classes, même lorsque la classe ouvrière est faible sur le plan organisationnel et politiquement confuse, est le principal obstacle à des politiques populistes de droite et d’extrême droite décisives. Même lorsque les populistes de droite autoritaires s’appuient sur une bourgeoisie nationale naissante, dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, cela limite néanmoins énormément leur capacité à imposer leur politique. C’est ce qu’a démontré le mouvement massif en faveur de la nouvelle loi sur l’avortement en Pologne. L’appel de Kaczyński à rejoindre les milices fascistes pour protéger les églises et la menace de poursuivre les organisateurs en justice avec des peines allant jusqu’à huit ans d’emprisonnement ou encre d’infliger des amendes aux participants, ont tous été balayés par le flot massif de manifestants, dont beaucoup sont des femmes et des hommes de la classe ouvrière.

    L’homme fort de l’Inde, Modi, à la tête d’un gouvernement nationaliste de droite, chauvin et hindouiste, a néanmoins été confronté en janvier 2020 à une grève générale de 250 millions de personnes et, surtout, à des protestations massives contre sa loi sur la citoyenneté de 2019. D’autres hommes forts populistes de droite comme Orban ou Bolsonaro pourraient faire face à une résistance similaire. La défaite de Trump, que ce soit après un vote record, ajoutera encore à leurs limites.

    Il est compréhensible que certains identifient instinctivement au fascisme des gens comme Trump, Modi ou Loukachenko. Les courants néo-staliniens et anarchistes, les figures de l’establishment et les bureaucrates syndicaux promeuvent cette fausse idée qui justifie l’unité entre les classes contre “l’ennemi principal”, en écartant les questions sociales qui sont à la base de l’attrait plus large pour des populistes de droite et de l’extrême droite.L’absence d’une véritable alternative de gauche ou d’un mouvement ouvrier combattif faisant un appel de classe clair permet aux populistes de droite d’avoir une plus grande ouverture à des sections de la classe ouvrière sur la base qu’ils combattent les “élites libérales urbaines”. A moins d’être contesté, le danger est que le populisme de droite puisse ouvrir la porte à l’extrême droite et s’enraciner plus profondément à la fois dans la classe moyenne et dans les sections plus aliénées de la classe ouvrière. Mais dans la plupart des pays, les véritables forces organisées de l’extrême-droite et certainement du fascisme restent à ce stade objectivement très faibles.

    Le vrai fascisme est un mouvement de masse dont le but est de détruire toute organisation de la classe ouvrière et de l’atomiser. Il exige une défaite décisive de la classe ouvrière. Bien qu’en certaines occasions, la classe dominante se serve de groupements fascistes ou paramilitaires comme force auxiliaire pour semer la terreur et la division au sein de la classe ouvrière et des couches opprimées (comme le fait le RSS en Inde par exemple), le danger que des forces fascistes s’emparent du pouvoir de l’État pour écraser le mouvement ouvrier n’est pas à l’ordre du jour. Au-delà du changement objectif de l’équilibre des forces de classe qui rend une telle option plus impraticable, les classes dirigeantes d’aujourd’hui ne ressentent pas le même besoin de s’engager dans cette voie que dans les années 1930 en Allemagne, en Italie et en Espagne, lorsqu’elles avaient une peur viscérale et immédiate de la révolution socialiste. Le fait de le souligner ne signifie en aucun cas une sous-estimation des dangers. Si la classe ouvrière reste faiblement organisée et politiquement confuse, on ne peut pas exclure des défaites majeures qui pourraient faire place à une répression plus brutale et à une nouvelle croissance, encore plus dangereuse, de l’extrême droite. La question clé est la résistance de la classe ouvrière, sa force organisationnelle, son programme, sa stratégie et sa tactique, ainsi que le leadership forgé par ses expériences.

    Nouvelles formations de gauche

    Lorsque nous avons soulevé pour la première fois la nécessité de “nouveaux partis des travailleurs” au milieu des années 90, cela a été contesté à gauche. Notre analyse selon laquelle l’effondrement du stalinisme rendait très probable la “bourgeoisification” des organisations politiques de masse était à la fois pointue et confirmée par les événements. Notre perspective et la base de notre appel programmatique pour de nouveaux partis des travailleurs ont également été confirmées dans le sens où il y a eu de nombreuses tentatives au cours des deux décennies suivantes pour établir de nouvelles entités à la gauche de la social-démocratie, qui dans certains pays sont rapidement devenues des facteurs importants. Dans certains pays, ce processus a reçu un élan particulier dans la période qui a suivi la Grande Récession. Cependant, il est également vrai que notre attente de la construction générale de nouveaux partis de masse ne s’est pas réalisée.

    Certaines des formations établies ont rapidement disparu, d’autres ont été supplantées par de nouvelles, certaines continuent d’exister et pourraient encore jouer un rôle important à l’avenir. Le nouveau parti le plus important à se développer avant la Grande Récession, la Rifundazione Communista italienne (fondée en 1991), qui comptait la participation active de dizaines de milliers de militants ouvriers, a été détruit lorsqu’il est entré dans le deuxième gouvernement d’austérité Prodi (2006-8). Le réformisme donne la priorité à l’arithmétique et aux manœuvres parlementaires sur la confiance dans le pouvoir de l’organisation, de la mobilisation et de la lutte de la classe ouvrière comme moteur du changement. Malheureusement, la politique erronée de “coalitionisme” avec les partis pro-capitalistes, en soi une expression claire de la faillite de l’approche du réformisme des temps modernes, a été répétée ad nauseum par les dirigeants de nombreuses nouvelles formations dans la période qui a suivi, souvent avec des conséquences dévastatrices.

    Suite à l’effondrement de la PRC, les effets de sa trahison et de la démoralisation qu’elle a provoquée se font encore sentir aujourd’hui. Toutefois, à l’époque, la mondialisation battait son plein et bien qu’il y ait eu des mouvements antimondialisation et anti-guerre pendant cette période, la lutte de classe internationalement se situait à un niveau différent de ce qu’elle est devenue au lendemain de la grande récession et à l’approche de la crise actuelle.

    De nouvelles formations de gauche se sont formées dans une période d’attaques permanentes contre les conditions de travail et de vie. Contrairement aux anciens partis sociaux-démocrates et communistes qui avaient cimenté une base de masse et entretenaient des liens étroits avec la classe ouvrière pendant une longue période de stabilité capitaliste caractérisée par des gains pour la classe ouvrière, surtout en occident après la Seconde Guerre mondiale, les nouvelles formations de gauche ont été immédiatement mises à l’épreuve par les exigences de l’époque du néolibéralisme. Leur existence a donc été, par nature, plus instable. Tout en obtenant une représentation électorale considérable dans un certain nombre de pays, elles sont restées principalement des “partis de pression” jusqu’à la grande récession de 2008-2009 et les attaques vicieuses contre les travailleurs qui ont suivi. Puis, après une première période de paralysie, certains sont rapidement devenus des candidats au pouvoir.

    En Grèce, l’intervention de la troïka a provoqué une résistance de masse et des soulèvements. Pas moins de 40 grèves générales ont été déclenchées entre le printemps 2010, le début du premier mémorandum et la victoire électorale décisive de Syriza. Le fait que Syriza ait été catapulté par la crise et le vide politique comme le noyau de ce nouveau projet, est un rappel utile du besoin de flexibilité dans nos perspectives concernant l’émergence de nouvelles forces politiques de masse de la gauche dans la période à venir.

    Une fois au pouvoir, Tsipras a sous-estimé la résistance à laquelle il serait confronté. Après l’élection, des centaines de millions d’euros sortaient quotidiennement du pays. La BCE a gelé les liquidités des banques et les a obligées à fermer. Tsipras pouvait soit accepter les termes de la troïka, soit passer à l’offensive : imposer des contrôles de capitaux, refuser le remboursement de la dette, nationaliser les banques, introduire une monnaie nationale, lancer de grands travaux publics, nationaliser les hauts lieux de l’économie, planifier l’économie, imposer un monopole d’État sur le commerce extérieur, le contrôle et la gestion des travailleurs et faire appel au soutien des travailleurs ailleurs en Europe. Au lieu de cela, Tsipras a organisé un référendum le 5 juillet 2015. Une formidable majorité de 61,5% a rejeté un nouveau mémorandum et lui a donné le mandat de passer à l’offensive et de refuser de payer la dette, mais une semaine plus tard, il a capitulé. Cela a conduit à une démoralisation gigantesque, aucune section importante de Syriza ou de la gauche n’a pu mobiliser une réponse de masse de la classe ouvrière d’une ampleur nécessaire, et, c’est au contraire la droite ND qui a repris le pouvoir.

    Le mouvement Indignados (2011) dans l’État espagnol à son apogée a impliqué plus de huit millions de personnes, principalement des jeunes de la classe ouvrière et de la classe moyenne, dans des manifestations et des occupations. Les jeunes se sont détournés des partis officiels et des syndicats, notamment d’Izquierda Unida, dirigée par le PC, qui avait connu une croissance significative dans les sondages et soutenait publiquement le mouvement mais n’était pas en mesure de s’y associer de manière adéquate. Puis un groupe d’intellectuels de gauche et de personnalités des médias autour de Pablo Iglesias a lancé Podemos en 2014. Ses attaques contre “La caste” de politiciens et d’oligarques corrompus, combinées à un programme réformiste de gauche radicale, collaient à l’atmosphère. Lors des élections législatives de 2015, il a obtenu plus de 20 % des voix, arrachant cinq millions de voix à la social-démocratie.

    Au cours des années suivantes, plusieurs grèves générales et de multiples vagues de luttes ont eu lieu contre les privatisations, pour les droits des femmes, pour l’environnement et les bas salaires et surtout sur la question nationale. Ces luttes ont souvent été caractérisées par une rébellion des travailleurs et des jeunes contre la direction officielle du mouvement ouvrier, et par l’imposition d’une voie de lutte militante par la base. Au lieu de se baser sur cette dynamique pour lancer une lutte déterminée pour le pouvoir, la direction du Podemos (aujourd’hui alliée à l’ancienne Izquierda Unida) s’est concentrée sur des manœuvres institutionnelles, diluant son programme politique et se présentant comme un parti engagé dans la stabilité “constitutionnelle” capitaliste.

    La Covid-19 a changé la donne. Après quatre élections en quatre ans, le gouvernement “de gauche” PSOE-Unidos-Podemos a été formé. Il est soumis à une énorme pression de la base pour inverser les réductions imposées ces dernières années. En juin, il a introduit ce qu’il appelle à tort un revenu de base universel, en réalité une aide publique aux pauvres similaire à ce qui existe dans d’autres pays européens. Il bénéficiera néanmoins à 850 000 familles, pour un coût de plus de 3 milliards d’euros par an. Ensuite, des grèves, des manifestations et d’autres actions concernant les soins de santé ont amené le gouvernement à concéder une augmentation de 151 % de son budget santé pour 2021 et à promettre une nouvelle augmentation de 10 % de ce qu’il appelle l’investissement social. Ce n’est pas, comme le dit Iglesias, “le début d’une nouvelle ère qui laisse définitivement le néolibéralisme derrière elle et qui restaurera les droits sociaux et du travail et les services publics”. L’augmentation du budget de la santé comprend par exemple l’achat de vaccins. Mais après des années de coupes budgétaires sans fin, elle sera considérée comme un signe de changement bienvenu et stimulera de nouvelles revendications des travailleurs, y compris pour les nationalisations.

    A l’échelle de l’économie européenne, l’Espagne 2020 pèse plus que la Grèce 2010, sa dette publique par rapport au PIB est plus faible et son accès aux marchés monétaires n’est pas encore un problème. Mais elle reflète aussi le processus enclenché par la pandémie et la dépression, le détournement du néolibéralisme, avec la possibilité, au moins pour l’instant, de dépenser pour sortir de la dépression, y compris en Europe. Mais la politique du gouvernement montre aussi ses limites politiques. Seuls 2 milliards d’euros des fonds nécessaires sont prévus par une augmentation de 2 % de l’impôt sur les hauts revenus (plus de 300 000 euros), 3 % sur les revenus du capital et une légère réduction des exonérations fiscales pour les dividendes étrangers. L’essentiel sera payé par une “avance” de 27 milliards d’euros provenant du fonds de relance de l’UE. Avec une économie qui devrait se contracter de 11,2 % en 2020 et un taux de chômage de 16,3 % au troisième trimestre, le gouvernement finira par se retrouver coincé entre les demandes des travailleurs d’aller beaucoup plus loin et la résistance de l’establishment, aidé par l’UE et la BCE qui utiliseront les subventions du fonds de relance de l’UE comme un levier pour faire peser la charge sur les travailleurs.

    Les exemples grec et espagnol contiennent tous deux de nombreuses leçons pour aujourd’hui. Du côté positif, ils illustrent comment des événements majeurs et des mouvements sociaux importants, même après l’épuisement ou avoir été conduit hors des rues, peuvent transformer en quelques années de petites formations de gauche ou des formations nouvellement créées en instruments majeurs, à condition qu’ils soient capables d’exprimer certains des principaux sentiments comme Syriza l’a fait en Grèce en appelant à un gouvernement de gauche ou Podemos en Espagne lorsqu’il a critiqué “La Casta”. La trahison du PRC en Italie et plus tard de Syriza en Grèce complique sans aucun doute les développements futurs. Mais toutes les défaites ne sont pas égales et ne se produisent pas dans le même contexte ou à la même époque.

    La capitulation de Sanders, bien qu’elle constitue un revers important, n’a nullement empêché BLM de se développer, ni ne réduit l’attrait pour un nouveau parti de gauche, qui devrait se développer après une période initiale sous la présidence de Biden. En période de politisation de masse et de crise, l’impact des défaites peut également être différent selon les couches. Les couches importantes peuvent tirer des conclusions plus avancées des défaites et se rapprocher d’une compréhension de la faillite du réformisme. En Grande-Bretagne, ce qui semble être la défaite définitive du corbynisme a vu une couche importante de nouveaux militants chercher des alternatives plus à gauche, y compris un nombre important qui ont approché notre section, dont beaucoup l’ont rejointe.

    Les complications sont nombreuses. Ce qui est clair cependant, c’est que les processus qui ont conduit à des révoltes sociales à partir de la fin de 2019 se poursuivent après une brève interruption, même si la pandémie est encore en plein essor. La Bolivie et le Chili ne sont que les principales expressions de la manière dont ces mouvements peuvent également se traduire par des votes à une majorité écrasante, que ce soit lors d’élections ou de référendums. Il est important pour la détermination de tout mouvement de sentir qu’il représente l’opinion majoritaire. De tels mouvements au Brésil ou en Argentine pourraient transformer le PSOL et le FIT en forces majeures ce qui stimuleraient alors la formation de forces similaires dans toute l’Amérique latine. Même au Nigeria, à la suite de la révolte des jeunes, ou en Afrique du Sud, impliquant la jeunesse et des parties du mouvement ouvrier encore gigantesque, la question des nouvelles formations de gauche pourrait se poser dans un avenir proche. En Afrique du Sud cependant, l’existence d’EFF sera un facteur de complication supplémentaire.

    L’énorme fossé entre la maturité des conditions objectives, la volonté de lutter avec détermination pour un changement radical, la perspective internationaliste d’une part, et le manque d’organisation et de leadership d’autre part, peut-il seulement conduire à des défaites et à un inévitable retour de flamme de la réaction ? Ou bien le mouvement, en raison de sa force potentielle, viendra-t-il par vagues, parfois à l’offensive, puis repoussé à nouveau, et tirera-t-il plutôt les leçons de ses défaites tout en forgeant, au fil de l’action, des instruments d’organisation et un leadership plus en phase avec les défis ? Il n’y a pas de réponse a priori à ces questions. Bien que la série de crises insolubles auxquelles le capitalisme mondial est confronté tende à pousser une couche croissante, en particulier parmi les jeunes, vers la compréhension fondamentale qu’une rupture avec le système est nécessaire, de nombreux travailleurs et jeunes devront encore tester concrètement les limites du réformisme avant d’adopter une perspective révolutionnaire. Cela ne signifie pas un processus lent. En fait, de tels changements se produisent souvent rapidement et de manière spectaculaire. Nous ne pouvons pas avoir une vision rigide de la manière exacte dont cette expérience sera vécue, y compris le fait qu’elle doit dans tous les cas avoir lieu via de nouveaux partis de masse. Nous ne devons pas non plus penser qu’à moins que ces nouveaux partis de masse ne s’établissent rapidement, il existe une barrière insurmontable au développement de la conscience de la classe ouvrière et des jeunes.

    L’une des principales tâches des partis révolutionnaires est de généraliser et d’intégrer les leçons du passé dans son programme et son intervention. Alors que des éléments importants de l’analyse et de la perspective du CIO pour les nouvelles formations de gauche ont été confirmés par les événements, des aspects importants de notre perspective ne se sont pas développés comme nous l’avions prévu. Un examen critique est nécessaire. Dans une certaine mesure, nous avons eu tendance à s’attendre à ce que les nouvelles formations ressemblent davantage aux “partis ouvriers de masse” du passé que ce n’était le cas. Nous devons garder à l’esprit le fait que, de même que les partis du passé étaient fondés sur des circonstances historiques uniques, de même ce qui se passe dans le présent et le futur sera affecté par les circonstances qui se sont développées depuis. Avant de juger des perspectives politiques futures, de nombreux facteurs plus récents doivent être pris en compte, notamment les mouvements indépendants de la classe ouvrière, intégrant les mouvements des femmes et de genre, l’environnement et en particulier la radicalisation des jeunes. Les jeunes radicalisés peuvent être un élément important dans les perspectives des nouveaux partis. Ainsi, les nouveaux partis qui se développeront et grandiront dans les années 2020 porteront les marques de notre époque.

    Nous avons décrit les faibles racines ouvrières des nouvelles formations de gauche, souvent dominées par des couches petites-bourgeoises, en particulier à la direction. Leur “réinvention de la démocratie” dissimule souvent l’absence de véritables structures démocratiques et d’une approche descendante. Nous savons qu’elles se concentrent principalement sur les élections et les coalitions, avec peu d’expérience de mobilisation, ce qui dilapide un potentiel crucial. Nous avons vu les limites de leur programme réformiste, leur manque de préparation et de détermination qui, à des moments clés, conduit à la capitulation.

    Nous devons cependant appliquer ces leçons à la situation telle qu’elle se présente. Aujourd’hui, sous la contrainte des circonstances, la classe dominante cèdent plus de marge de manœuvre, du moins pour l’instant, à des degrés divers selon les richesses présentes dans un pays et les rapports de force entre les classes. Nul doute que les hommes politiques de toutes sortes, y compris ceux du genre d’Iglesias, s’en saisiront. Beaucoup la considéreront comme un soulagement bienvenu, un véritable changement et viseront plus loin. Nier le changement de circonstances nous laisserait simplement sans préparation et nous couperait de couches importantes. Au contraire, nous devrions partager l’enthousiasme de lutter pour plus, mais pas les illusions et mettre en garde contre les limites de l’approche réformiste et de ce qui est possible dans le cadre du capitalisme.

    La perspective et l’appel pour la formation de nouveaux partis ouvriers larges ou même de partis de gauche larges sans caractère de classe clair restent d’une importance cruciale en tant qu’instruments d’une expérience commune dans l’action. Notre expérience à ce jour montre que la nécessité de tels partis peut être posée objectivement – comme cela a été le cas aux Etats-Unis, par exemple – pendant des périodes parfois longues, mais qu’elle peut mettre du temps émerger et nécessiter de grands événements, en l’absence d’une direction combative de la classe ouvrière ayant la confiance nécessaire pour prendre l’initiative. D’autre part, l’expérience montre également que les vides ont tendance à être comblés, de manière parfois complexe et imprévue.

    Il faudra des batailles féroces de la classe ouvrière pour faire décoller de nouveaux partis de masse. Si ils se créent, ils exigeront encore une autre bataille pour garantir une composition sociale saine, des structures démocratiques et une orientation vers des actions et des mouvements concrets. Et puis, il y aura une lutte permanente sur le programme contre l’opportunisme ainsi que le gauchisme. A moins qu’il n’y ait une bataille, avec des sections significatives de ces partis évoluant dans une direction socialiste, révolutionnaire et marxiste, il n’y a aucune garantie qu’ils éviteront le sort de ceux qui les ont précédés. Cependant, pour de nombreux travailleurs et jeunes, les nouveaux partis et formations seront l’ouverture à une nouvelle vie politique, qui pourrait les aveugler sur des lacunes cruciales.

    On peut également s’attendre à ce qu’une couche comparativement plus petite mais néanmoins beaucoup plus importante que dans les décennies passées saute le stade des illusions dans les partis réformistes de masse et à tendre immédiatement la main à un parti révolutionnaire. Nous devons les gagner et les intégrer, les former à notre méthode principielle mais transitoire, pour qu’ils deviennent la colonne vertébrale de nos interventions dans les mouvements, dans les partis plus larges, lorsque ceux-ci font face à la répression et aux défaites partielles et nous aider à construire le noyau d’une future internationale révolutionnaire des travailleurs de masse.

    Dans le passé, nous avons souvent parlé de la “double tâche” consistant à aider à reconstruire un mouvement ouvrier combattif tout en construisant des forces révolutionnaires. Cela reste un concept clé, même si nous devrions peut-être reformuler le concept, car dans le passé, il a donné lieu à une certaine confusion. Cela ne signifie pas une équation équilibrée entre la construction du large mouvement ouvrier et la construction du parti révolutionnaire. Alors que la construction du mouvement ouvrier et des nouvelles formations/partis peut gagner ou perdre en urgence relative en fonction des défis concrets, notre tâche principale et stratégique reste la construction d’un noyau révolutionnaire. Cela a été confirmé par nos expériences des trente dernières années avec les nouvelles formations de gauche. Cependant, pour atteindre le gros des masses, il faudra continuer à appliquer avec habileté et pédagogie les tactiques du front uni.

    Nous participerons bien sûr à toute démarche décisive vers l’indépendance politique de la classe ouvrière tout en luttant toujours pour un programme révolutionnaire clair. Mais il n’y a pas d’approche tactique à élaborer à l’avance qui s’appliquerai en toutes circonstances.

    La répression de l’État et la lutte pour les droits démocratiques

    Même si cette nouvelle période sera marquée par des luttes de classes plus explosives, les socialistes doivent également se préparer à des formes plus agressives de réaction de l’État.

    L’émergence de la pandémie de Covid-19 s’est accompagnée d’une vague mondiale d’attaques contre les droits démocratiques – la “loi de sécurité nationale” à Hong Kong étant la législation répressive la plus complète imposée jusqu’à présent depuis le début de cette nouvelle crise. Une étude de l’ONG Freedom House a identifié 80 pays où “la démocratie a subi un coup dur pendant la pandémie”. Les classes dirigeantes ont profité du virus pour intensifier la répression de l’État et justifier une législation draconienne qui aurait été beaucoup moins facile à mettre en œuvre en temps “normal”.

    Lorsque la pandémie se sera calmée, ils tenteront sans aucun doute de s’accrocher le plus possible à ces nouvelles restrictions des droits démocratiques – même si, dans un certain nombre d’endroits, des flambées de lutte ont “débloqué” la situation et forcé la classe dirigeante à réduire ses ambitions. En octobre, le Premier ministre thaïlandais, par exemple, a été contraint de lever l’état d’urgence imposé une semaine plus tôt parce qu’il avait été de facto “annulé” par l’escalade des protestations dans les rues.

    Les gouvernements occidentaux impérialistes se sont empressés de pointer du doigt les “régimes autoritaires” qui exploitent la crise pour intensifier la répression. Par cela, ils entendent bien sûr uniquement ceux qui ne sont pas en accord avec leurs intérêts géopolitiques. En fait, les “démocraties libérales” du monde capitaliste avancé ont été elles-mêmes le théâtre d’une forme rampante d’autoritarisme et de transgression des normes traditionnelles du régime démocratique bourgeois. Cette tendance n’est pas nouvelle, mais elle a été renforcée par la pandémie et le ralentissement économique massif.

    La crise du capitalisme mine et met en colère les classes moyennes, et crée un ferment généralisé au sein de la classe ouvrière ; les partis bourgeois traditionnels ont été dépouillés d’une partie importante de leur base de soutien après de nombreuses années d’assauts néolibéraux. Le capitalisme traîne donc de plus en plus son appareil d’État sur la ligne de front pour contenir le niveau croissant de contradictions sociales qu’il a engendré. Comme Trotsky l’a expliqué un jour, sous la pression violente des classes et des antagonismes internationaux, les interrupteurs de la démocratie sautent ou éclatent.

    En France, Macron prévoit de faire passer un projet de loi “anti-séparatisme” qui sera l’introduction d’une batterie de mesures répressives visant plus particulièrement la communauté musulmane mais aussi, comme l’a déclaré le ministre de l’Intérieur, “certaines parties de l’ultra-gauche”. Le régime israélien, qui se vante souvent d’être “la seule démocratie du Moyen-Orient”, a mis en œuvre certaines des mesures antidémocratiques les plus extrêmes dans le contexte de la pandémie, notamment en donnant des pouvoirs de surveillance illimités à la police secrète.

    Une politique et des pratiques racistes plus sévères de la part de l’État font partie du nationalisme politique qui interagit avec le nationalisme dans le domaine économique. Les réfugiés sont particulièrement visés par la répression accrue de l’État. En septembre, l’Union européenne a lancé une proposition de nouveau “pacte de migration” qui, dans le langage orwellien, parle de “solidarité” – la solidarité des États membres qui s’entraident avec les expulsions forcées et l’accélération du processus d’évaluation (lire : rejet) des demandes d’asile. Le remplacement du camp de Moria à Lesvos, qui a été incendié, par un camp encore davantage carcéral est révélateur, tout comme les révélations sur la pratique européenne des “refoulements” en Méditerranée (forçant les bateaux de réfugiés à entrer dans les eaux internationales où il n’y a aucune obligation légale de les secourir).

    Alors que l’UE a, de cette manière, brutalement conjugué la “crise des réfugiés de 2015” au passé, la crise actuelle des réfugiés n’a fait que s’aggraver. Selon l’ONU, on dénombre au moins 79,5 millions de personnes réfugiées fin de 2019 – le nombre le plus élevé depuis la Seconde Guerre mondiale – un nombre qui devrait augmenter à mesure que les instabilités politiques et écologiques s’aggraveront. La nouvelle guerre civile en Éthiopie pourrait forcer jusqu’à 200 000 civils à fuir. Selon l’Institut pour l’Economie et la paix (IEP), environ 24 millions de personnes ont été déplacées chaque année par des catastrophes écologiques au cours des dernières années. L’IEP estime que jusqu’à 1,2 milliard de personnes pourraient être des “réfugiés climatiques” d’ici 2050.

    En d’autres termes, la question des réfugiés est appelée à devenir beaucoup plus pressante. La plupart des réfugiés étant déplacés dans leurs propres pays et régions en difficulté, les élites dirigeantes tenteront d’attiser les sentiments xénophobes et la violence (comme on l’a vu par exemple en Afrique du Sud en octobre) pour détourner les responsabilités de leurs propres échecs. Alors que les gouvernements, le populisme et l’extrême droite tentent d’exclure, de criminaliser, de blâmer et de punir les victimes, et que dans ces efforts ils utilisent et alimentent des opinions racistes et réactionnaires, la question contient également un potentiel explosif pour la solidarité et la protestation de la classe ouvrière. La première réaction en Europe en 2015 a été une solidarité de masse. Aujourd’hui, le rôle que les travailleurs migrants ont joué dans le blocage des services de santé et de soins aux personnes âgées dans les pays riches a été enregistré parmi leurs collègues et plus largement. Les protestations provoquées par l’expulsion massive des réfugiés à Paris et contre la nouvelle “loi de sécurité” l’illustrent.

    Dans le monde néocolonial, la situation est encore plus grave. La crise a mis en évidence la brutalité de l’État indien, avec ses éléments de caste et de communautarisme. En octobre, le Parlement du Sri Lanka a approuvé un amendement constitutionnel qui prévoit un élargissement considérable des pouvoirs du président Gotabaya Rajapaksa, lui donnant un contrôle sans entrave sur les institutions clés et éliminant les contrôles parlementaires – une mesure qui sanctifie le glissement du pays vers une véritable dictature bonapartiste. Selon Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), qui a suivi l’évolution des modèles de protestations dans le monde avec son Covid-19 Disorder Tracker (CDT), la répression étatique a augmenté de 30 % en Afrique, avec près de 1 800 incidents au cours desquels les forces de l’État ont pris pour cible des civils. Le récent coup d’État militaire au Mali est en ce sens révélateur d’une tendance plus générale sur le continent, l’armée ou des sections de celle-ci étant appelées à jouer un rôle plus important.

    Cette tendance n’est pas seulement motivée par le fait que les classes dirigeantes affûtent leurs lames en prévision d’explosions sociales plus graves. Les scénarios d’effondrement économique peuvent également accroître le mécontentement des échelons inférieurs et moyens de l’appareil d’État. Lorsque le gâteau à piller se rétrécit, les luttes intestines entre les différentes ailes des élites dirigeantes locales et au sommet de l’État peuvent également s’intensifier. Le mécontentement des masses dans la société peut alors devenir un levier pour s’emparer du pouvoir, en éliminant les dirigeants impopulaires et en présentant ces prises de contrôle militaires comme étant conformes à la volonté de la rue.

    De tels coups d’État peuvent bénéficier d’un certain soutien dans les premiers temps. Comme au Soudan l’année dernière, le coup d’État au Mali a d’abord été salué par une partie de la population, puisqu’il a destitué le président Keita contre lequel les masses avaient protesté pendant des mois auparavant. Mais le fait même que les putschistes aient été contraints de présenter leur coup comme la continuation de la lutte de masse implique que l’équilibre des forces n’a pas changé de manière décisive en faveur de la junte contre-révolutionnaire, et que le mouvement risque de réapparaître sous la forme d’un retour de bâton contre les nouveaux venus militaires qui ne parviendront pas à mettre fin à l’insurrection djihadiste, à la corruption généralisée dans l’État, à la pauvreté et aux problèmes sociaux généralisés.

    En Bolivie, moins d’un an après le coup d’État de droite contre Evo Morales, les masses ont fait un retour spectaculaire, grâce à deux semaines de mobilisations massives en août suivies de la victoire électorale retentissante du MAS aux élections d’octobre. Là encore, le coup d’État n’a pas réussi à imposer un coup durable au mouvement de la classe ouvrière, des indigènes et des paysans pauvres.

    Cela ne signifie bien sûr pas que de tels écrasements ne peuvent pas ou ne pourront pas arrivés à l’avenir. Mais en général, les mouvements de cette période auront tendance à se remettre plus rapidement des défaites que par le passé. Le poids social plus important de la classe ouvrière par rapport aux périodes historiques précédentes et l’épuisement et la prolétarisation correspondants des rangs de la petite bourgeoisie – la base sociale traditionnelle de la réaction – signifie que la bourgeoisie n’a pas le même réservoir à exploiter pour consolider des dictatures militaires purement et simplement, sans parler des régimes fascistes.

    La trajectoire du régime de Sisi en Égypte illustre le fait que le maintien de régimes ouvertement dictatoriaux pendant une longue période est rendu plus difficile pour les classes dirigeantes. Le coup d’État militaire de Sisi en 2013 a ouvert la porte à une contre-révolution féroce, purgeant physiquement l’”avant-garde” de la révolution de 2011 par des massacres et des emprisonnements, des tortures et des exils forcés. Mais six ans plus tard, “l’Égypte est revenue à la case départ, dans une situation globalement similaire à celle d’avant la révolution de 2011 : stable en surface, mais avec des problèmes structurels profonds, des griefs sociaux qui couvent, alors que les réserves disponibles pour les atténuer s’épuisent” – comme l’a récemment commenté un article de Arab Reform Initiative. Le même article poursuivait en avertissant qu’une explosion sociale était rendue probable en fin de compte “par l’absence de tout amortisseur”.

    ASI doit donner aux aspirations et aux revendications démocratiques une importance nouvelles et critique en cette période, car l’érosion de ces droits devient un point focal de la colère, en particulier chez les jeunes, alimentant la radicalisation contre le système et déclenchant des explosions de masse. Les protestations contre la brutalité policière ont été une caractéristique internationale déterminante des luttes en 2020, notamment aux États-Unis, en Colombie, en Tunisie, au Nigeria et dans un certain nombre d’autres pays. Elles montrent que le virage des classes capitalistes vers une violence étatique accrue et des formes de gouvernement plus autoritaires ne se fera pas sans de sérieuses ripostes.

    Plus particulièrement dans les pays où il existe des dictatures, des semi-dictatures, des vestiges de dictatures antérieures, d’un régime étranger ou des formes incomplètes de régime démocratique bourgeois, les revendications démocratiques contiennent un potentiel révolutionnaire élevé et constitueront un élément crucial d’un programme offensif de mobilisation contre le système. L’expérience du vote sur l’Assemblée constituante au Chili l’a encore mis en évidence. C’est le résultat direct de la révolte des travailleurs et de la jeunesse en 2019, qui a pris une ampleur et une intensité plus grandes que celles de nombreux mouvements qui ont explosé en 2019. Le résultat du vote lors du référendum d’octobre lui-même a été une gifle pour Piñera et l’establishment, et un coup de pouce à la confiance des masses chiliennes. Le “processus constituant” qui suivra représente une tentative tactique de la classe dirigeante pour faire dérailler le potentiel révolutionnaire de la lutte et rechercher une “remise à plat” superficielle qui laisse les bases du système intactes. D’autre part, il provoquera également un large débat dans la société sur la nécessité de changements structurels, dans lesquels les marxistes doivent intervenir, en expliquant les limites d’une seule “révolution politique” qui modifie la superstructure du système et la nécessité d’une révolution sociale pour construire une société socialiste fondamentalement différente. En général, les marxistes ne peuvent pas se permettre de laisser ces questions entre les mains des ailes “libérales” de la classe dirigeante ; ils doivent plutôt se battre en tant que “démocrates” les plus conséquents, tout en reliant les revendications démocratiques à la nécessité d’une lutte révolutionnaire pour le changement socialiste.

    S’il existe un sentiment généralisé de défense des droits démocratiques, il se conjugue aussi avec une crise de légitimité de plus en plus profonde des institutions officielles de la démocratie bourgeoise, considérées comme corrompues et biaisées en faveur des riches et des puissants. Les recherches du Centre pour l’avenir de la démocratie de l’université de Cambridge montrent une augmentation du mécontentement mondial à l’égard de la “démocratie”, un sentiment qui a fortement augmenté après la Grande Récession de 2008. L’incapacité évidente des classes dirigeantes à gérer la pandémie a encore accru cette méfiance. Diverses forces populistes et d’extrême droite s’en nourrissent, tentant de délégitimer les institutions centrales de la démocratie bourgeoise, comme en témoigne la campagne de Trump qui allègue sans fondement des fraudes électorales lors des élections présidentielles américaines. Tout en s’opposant à toute attaque contre les droits démocratiques, les socialistes devraient toujours préciser que nous ne luttons pas pour préserver les institutions en déclin de la démocratie capitaliste, mais que nous plaidons pour un programme de démocratie réelle qui inclut les droits démocratiques sur les lieux de travail, dans les écoles, dans les quartiers et dans l’ensemble de la société – en soulignant le rôle central et actif que la classe ouvrière et les jeunes doivent jouer dans la lutte pour un véritable changement et dans sa réalisation.

    Il convient de rappeler que la suppression de l’expression démocratique en Chine a joué un rôle central dans la transformation du Covid-19 en une pandémie mondiale. De même, l’absence de contrôle démocratique des travailleurs dans tous les aspects de la vie sous le capitalisme augmentera la remise en question du système par des couches croissantes de travailleurs et de jeunes, et devrait être prise en compte avec audace dans le programme de toutes nos sections.

    Conclusion

    La pandémie et la crise économique sont les caractéristiques d’une impasse plus profonde dans laquelle se trouve le capitalisme : son incapacité à développer davantage les forces productives ou l’économie mondiale sur une base harmonieuse. Et si l’attention s’est concentrée sur ces deux crises, la catastrophe climatique qui se profile représente une menace encore plus fondamentale pour notre avenir si nous ne mettons pas fin à ce système de plus en plus parasitaire.

    La classe dirigeante a été contrainte de s’écarter des règles du jeu néolibéral pour éviter un effondrement économique encore plus profond. Elle ne peut pas non plus utiliser les mêmes justifications idéologiques en faveur de son règne que pendant l’ère néolibérale. Elle se tournera de plus en plus vers le nationalisme et le racisme pour maintenir la division des travailleurs. Mais le fouet de la contre-révolution que nous voyons dans un pays après l’autre poussera également la classe ouvrière et les opprimés à s’organiser économiquement et politiquement.

    Les mouvements de masse ont démontré leur capacité à repousser la classe dirigeante, de plus les revers et les défaites que nous avons vus dans certains cas n’ont pas été décisifs. Nous sommes toujours dans une phase ascendante de lutte de masse. Bien sûr, si les faiblesses subjectives et la désorganisation du mouvement ouvrier ne sont pas surmontées dans la prochaine période, nous pourrions être confrontés à la perspective de défaites plus graves.

    Nos tâches en tant qu’organisation révolutionnaire sont plus urgentes que jamais. L’aspect le plus favorable de la situation actuelle pour nous est la radicalisation des jeunes, en particulier des jeunes femmes, et l’internationalisme instinctif que nous avons vu dans les bouleversements de 2019 et 2020. Nous croyons fermement qu’il y aura d’importantes possibilités de construire nos forces dans les mois et les années à venir.

  • Retour sur la Grande Dépression et les soulèvements ouvriers en Belgique

    La Grande Dépression qui a suivi le crash boursier de 1929 a également frappé notre pays avec des répercussions désastreuses pour les travailleurs et leurs familles. Ces derniers ont été amenés à riposter. Démunis face à la crise et sans solution dans cette situation, les dirigeants syndicaux et du parti socialiste (le POB) ont freiné les grèves et la contestation. Cela a conduit à des débordements d’autant plus intenses.

    Par Geert Cool

    La Grande Dépression en Belgique

    Après la Première Guerre mondiale, la demande croissante de charbon et le pillage du Congo avaient permis la reprise de l’économie, au côté de l’effet des mesures sociales imposées par le mouvement ouvrier qui était sorti renforcé de la guerre. Le plein emploi fut atteint en 1924 et, en 1925, l’économie était revenue à son niveau de 1914.

    Tous les éléments qui ont conduit à la Grande Dépression (l’instabilité sous-jacente du capitalisme due à la baisse du taux de profit, les pertes et dettes résultant de la guerre, la perturbation du commerce mondial, les tensions inter-impérialistes, la spéculation, etc.) jouaient également en Belgique, pays exportateur par excellence. La chute du commerce mondial mit directement l’économie belge sous une intense pression. La production a stagné en 1929 mais, à partir du milieu des années 1930, on assista à une contraction de l’économie et la récession est arrivée. Elle fut d’autant plus dure que les mesures adoptées dans les pays voisins pour soutenir leurs propres économies avaient négativement impacté l’économie belge.

    Les conséquences sociales furent désastreuses. En 1932, environ un Belge sur trois était totalement ou partiellement au chômage. En 1932, jusqu’à 40 % des mineurs connaissaient le chômage au moins un ou deux jours par semaine. Parallèlement, les loyers ont très rapidement augmenté. Le budget des ménages était en outre impacté par des mesures telles que les taxes supplémentaires instaurées sur l’importation de farine, par exemple, ce qui a fait exploser le prix du pain.

    Le parti social-démocrate POB (Parti ouvrier belge) considérait la récession comme un déséquilibre temporaire entre la production et la consommation et estimait que le mouvement ouvrier devait serrer les dents et simplement endurer la situation. Ainsi, en août 1930, le député liégeois du POB Dejardin écrivit : “La classe ouvrière doit se préparer à une période très difficile, au cours de laquelle elle devra subir des baisses de salaire. Le mot d’ordre des travailleurs doit être : prudence, réflexion et renforcement de l’organisation syndicale. Surtout, n’oubliez pas qu’en temps de crise, les grèves, et certainement les mouvements spontanés, sont plus dangereux pour la classe ouvrière que pour la classe capitaliste”.

    Le POB a préféré éviter que le gouvernement tombe. Le parti craignait par-dessus tout de devoir lui-même participer à un gouvernement impopulaire. Les dirigeants syndicaux faisaient également appel à la prudence. Eux aussi étaient dépourvus face à la crise. La direction du POB et celle des syndicats avaient été complètement aspirés dans la logique du capitalisme. Les choses étaient si graves que la Banque du Travail, dont Edouard Anseele fut l’un des fondateurs, a été jusqu’à acheter une plantation de coton au Congo ! C’était une manière d’assurer que cette coopérative soit concurrentielle face aux autres banques. Cela n’a pas empêché la Banque du travail de faire faillite en 1934.

    Face à la crise, la réponse de la bourgeoisie était une politique de réduction des coûts pour les patrons par le biais, entre autres, de réductions de salaires. Au même moment, les impôts indirects étaient augmentés afin d’absorber la hausse des dépenses publiques (dont les allocations de chômage). Le POB et les syndicats ont limité leur riposte au rejet des attaques contre les éléments de protection sociale précédemment gagnés par le mouvement ouvrier. Une véritable campagne conservatrice était à l’œuvre et l’on a ainsi pu lire le 7 juillet 1932 dans La Libre Belgique: “Les allocations familiales ruinent le pays”. La bourgeoisie défendait que le pays ne pouvait pas faire face à de pareils frais. Les allocations de chômage et les pensions étaient également en ligne de mire.

    La résistance du POB et des syndicats face à ces attaques a conduit, entre autres, à de grandes mobilisations de chômeurs. Mais la social-démocratie n’a pas livré de réponse plus globale à la crise du capitalisme, et encore moins popularisé l’idée d’une transformation socialiste de la société comme un objectif concret à atteindre.

    Les grèves des mineurs de 1932

    Alarmé, le député démocrate-chrétien Bodart a averti que les travailleurs ne continueraient pas à se résigner : « Il viendra un jour où ils en auront assez et où ils diront avec les manifestants du Borinage : “Mieux vaut être mort que de voir nos enfants mourir de faim”. Tout sera possible ce jour-là, même le pire. » À un certain point, le réflexe de défense individuelle cède la place à la lutte collective. De là sont nées les manifestations spontanées au début de l’année 1932 ou la grande participation aux manifestations de chômeurs durant l’été 1932. Mais c’est surtout lors de la grève des mineurs de 1932 que la colère a éclaté.

    Derrière les vagues de grèves spontanées – tant en mai dans le Borinage qu’à partir de la fin juin dans un mouvement de grève plus soutenu au niveau national – se trouvaient plusieurs réductions salariales à un moment où le prix du pain augmentait. Lorsqu’une réduction des salaires a été introduite le 19 juin, des grèves spontanées ont éclaté. Une semaine plus tard, elles semblaient terminées. Le patronat a tenté de profiter de la situation pour licencier des centaines de mineurs. Cependant, cela a déclenché encore plus de grèves : le 6 juillet, le mouvement de grève était général.

    La direction du syndicat a été dépassée tandis que les parlementaires du POB se contentaient de présenter un nouveau projet de loi sur la nationalisation des mines, en sachant très bien qu’aucune majorité parlementaire ne pourrait être trouvée pour ce projet. Avec ces propositions législatives, le sommet du POB voulait surtout détourner le mouvement vers le terrain parlementaire au lieu de le renforcer sur le terrain afin d’imposer la nationalisation par une pression d’en bas.

    Là où les révolutionnaires, en particulier les trotskystes de l’Opposition de Gauche Communiste (OGC), ont joué un rôle pionnier, la grève a été organisée avec le plus d’implication possible. Au lieu d’assemblées générales (AG) par syndicat avec contrôle à l’entrée, des AG ont été organisées en étant ouvertes à tous et avec participation de la salle. Ce fut le cas à Gilly et Châtelineau, près de Charleroi. Ces AG étaient le lieu où la plate-forme de revendications et les actions ultérieures étaient discutées. Les revendications centrales portaient sur le retrait des réductions de salaires, la répartition du temps de travail disponible, le contrôle du commerce, la réduction de l’âge de la retraite et enfin la nationalisation des mines et des grandes entreprises.

    Tout au long du mouvement de grève, l’unité s’est construite de bas en haut. Les femmes et les migrants ont joué un rôle actif, même si les dirigeants du POB étaient au départ très négatifs à l’égard des migrants. Le député Pierard, par exemple, a écrit : “Les travailleurs étrangers ne sont pas aussi durs que les Borains. Nous comprenons certainement le besoin d’avoir de la pitié pour les étrangers qui viennent ici. Nous ne demandons pas que les malheureux Italiens qui sont ici en tant que réfugiés politiques soient renvoyés à la frontière. Mais pour ce qui est des autres ! Aussi internationalistes que nous soyons, nous demandons que nous pensions d’abord aux nôtres, sans travail et sans pain”. Quant à la CSC, elle a notamment exigé la suppression progressive du travail des femmes mariées afin de libérer de l’espace pour les hommes au chômage. Mais dès que la classe ouvrière s’est mobilisée, il est apparu clairement que les divisions entre hommes et femmes ou entre travailleurs belges et migrants affaiblissaient le mouvement. Lorsque, début juillet, la Fédération des mineurs a défendu un accord dans lequel il était proposé de renoncer aux étrangers non mariés, celui-ci a été rejeté de manière imposante par les assemblées générales de mineurs.

    Le manque de perspective de la grève, aggravé par l’absence de réponse politique à la crise due au POB et la relative faiblesse du Parti communiste et de l’opposition de gauche trotskyste (qui s’est toutefois fortement développée en raison de son rôle actif dans la grève des mineurs), a rendu difficile la poursuite de la grève. Finalement, un accord a été imposé par le sommet, malgré la forte opposition de la base, laquelle a continué à faire grève en de nombreux endroits pendant des semaines. L’accord a obtenu l’arrêt des réductions salariales en plus de la majoration de 1 %, mais d’autres éléments sont restés très vagues ou ont rapidement disparu de la table une fois le travail repris.

    Conséquences

    Cela n’a pas mis fin à la crise économique en Belgique. Il n’y a pas eu de reprise. En 1933, le gouvernement a essayé de faire face à la crise par de nouvelles augmentations des impôts indirects, ce qui a entraîné une hausse des prix. Le gouvernement a agi avec les pouvoirs spéciaux: un instrument toujours utilisé pour imposer des mesures “impopulaires” sans même tenir un débat parlementaire. Dès 1933, de nouvelles grèves spontanées à petite échelle ont eu lieu.

    La vague de grève spontanée de 1932 a eu des conséquences bien après cette année. Une pression de gauche a été exercée au sein du POB, en partie due à la grève de 1932 et au mécontentement qui s’en est suivi concernant la politique antisociale. À la fin de 1933, le POB a adopté un programme d’investissements et de travaux d’infrastructure en réponse à la crise. Il s’agit du “Plan De Man”, qui a suscité l’enthousiasme d’une grande partie de la population.

    En 1936, après l’assassinat de deux syndicalistes socialistes, Pot et Grijp, une grève générale nationale fut déclenchée. La direction syndicale fut à nouveau dépassée et les travailleurs ont réclamé une semaine de 40 heures, une augmentation générale des salaires, un salaire minimum de 32 francs par jour et six jours de congés payés. Le gouvernement et le patronat ont été forcés de faire des concessions. Ils craignaient une nouvelle expansion du mouvement de grève et avaient l’expérience de 1932 encore fraîche dans leur esprit. Avec le couteau de la grève sur la gorge, une augmentation de salaire de plus de 7% a été accordée, en plus de l’introduction d’un salaire minimum légal, de la semaine de 40 heures dans les mines et de six jours de congé payé pour tous les travailleurs.

    Une période de crise économique et de dépression peut initialement avoir un effet paralysant sur la lutte des travailleurs. Elle a un effet encore plus grand sur les dirigeants politiques et syndicaux pour qui le changement social n’est pas lié à la lutte quotidienne pour préserver et étendre les conquêtes sociales. La colère et le réflexe de défense individuelle se transforment inévitablement en luttes collectives de la part de travailleurs qui ne veulent pas, et souvent ne peuvent pas, payer la crise. Imposer des concessions exige un rapport de force que les patrons redoutent. “La bourgeoisie doit être terrifiée pour être rendue docile”, a fait remarquer Trotsky.

    Pour construire une gauche cohérente, il faut s’engager dans la lutte, défendre une issue et la rendre concrète, tant en ce qui concerne l’organisation de la lutte que le programme de transformation socialiste de la société. Un mouvement socialiste révolutionnaire fortement organisé et implanté est nécessaire pour mettre fin au capitalisme, un système qui condamne sans cesse les travailleurs à de nouvelles crises.

  • Le capitalisme en crise : un monde en proie à l’instabilité

    A la mi-août, une importante réunion s’est tenue en Belgique avec des représentants de partis-frères du PSL issus de 25 pays. Cela a annoncé une nouvelle ère à plus d’un égard. Le lecteur trouvera sur la page suivante des explications sur les développements importants qui ont eu lieu ces derniers mois au sein de l’Internationale socialiste révolutionnaire, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), dont le PSL est la section belge. Mais ce sont surtout les développements internationaux dans les domaines économique, politique, social et écologique qui vont marquer cette nouvelle ère.

    Par Eric Byl

    L’économie menace d’entrer en récession

    Toutes ces évolutions s’expliquent par le ralentissement rapide de l’économie mondiale et la forte possibilité d’un nouveau krach financier similaire à celui de 2008-09 aux conséquences sociales incalculables. À l’époque, après une période initiale de paralysie de la lutte des classes, le krach a conduit à des événements révolutionnaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et à des mouvements de masse, dont des grèves générales, en particulier en Europe du Sud et aux États-Unis, mais également en Asie. La crise a finalement été surmontée par des injections massives d’argent par des gouvernements et des banques centrales, par des investissements massifs de la part des autorités nationales et locales chinoises et des institutions publiques et par une intervention mondiale coordonnée de la part du G20.

    C’est impossible aujourd’hui. Entre-temps, le niveau de la dette mondiale a fortement augmenté. À l’époque, les taux d’intérêt ont été abaissés pour encourager les gouvernements, les ménages et les entreprises à contracter des emprunts. Certains taux d’intérêt sont même devenus négatifs afin d’encourager les banques à faire circuler leurs réserves. Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont déjà historiquement bas et, dans certains cas, négatifs. On a fait massivement appel à ‘‘l’assouplissement quantitatif’’: le phénomène par lequel les banques centrales injectent chaque mois de l’argent supplémentaire dans l’économie afin de la lubrifier. En conséquence, les actifs inscrits au bilan de la Réserve fédérale des Etats-Unis ont atteint 22% du Produit intérieur brut du pays, alors qu’ils se situaient entre 4 et 6% entre la Seconde Guerre mondiale et 2008. Il s’agit même de 40% pour la Banque centrale européenne et de 90% pour la Banque du Japon !

    Le déclencheur immédiat de la crise de 2008-2009 fut l’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis. Aujourd’hui, la principale menace est le ralentissement du commerce mondial, les guerres commerciale et monétaire. Mais les faiblesses sous-jacentes de l’économie capitaliste puisent leurs racines dans la fin de la période de croissance d’après-guerre, dans les années 1970. La principale contradiction interne du capitalisme est la suraccumulation du capital, la tendance croissante à produire plus de valeur ajoutée que ce qui peut être investi de manière rentable. Cela a conduit à de nouveaux domaines d’investissement grâce à la privatisation des services publics, des systèmes de retraite, des soins de santé et de l’enseignement. La crise des rendements s’est également traduite par une ‘‘financiarisation’’ accrue, avec un rôle encore plus important pour les banques et une expansion considérable du crédit. La dette mondiale est aujourd’hui trois fois plus élevée que le PIB mondial. Malgré toutes les intentions de freiner les marchés financiers, le casino financier est aujourd’hui plus grand qu’en 2009 : 1.200.000 milliards de dollars ont été investis en produits dérivés.

    La lutte pour l’hégémonie

    Pour la première fois depuis 1973, la géopolitique est à nouveau la principale cause de la récession à venir. La lutte pour l’hégémonie mondiale prend de l’ampleur, particulièrement entre la Chine et les Etats-Unis. Depuis 2017, la croissance du commerce mondial s’est ralentie pour atteindre 2,1% cette année, selon l’OCDE. Entre 1987 et 2007, le commerce mondial a augmenté à un taux annuel moyen de 7%. Un facteur important est l’utilisation des tarifs douaniers par Trump comme arme au secours de sa politique étrangère. Les exportations des États-Unis vers la Chine ont donc chuté de 31,4% l’an dernier et celles de la Chine vers les États-Unis de 7,8%. Le gouvernement chinois a laissé sa devise, le renminbi, plonger pour la première fois sous le seuil symbolique des 7 yuans pour 1 dollar, en réaction à l’annonce de Trump d’imposer à partir du 1er septembre une surtaxe de 10% sur 350 milliards de dollars d’importations chinoises qui avaient été jusqu’ici épargnées. Le même jour, le Trésor américain a qualifié la Chine de ‘‘manipulateur monétaire’’. La guerre douanière peut devenir une guerre des monnaies.

    Les différends commerciaux ne se limitent pas à cela. L’Union européenne (UE) veut des concessions américaines en matière de politique agricole alors que les États-Unis menacent d’imposer une surtaxe de 25% sur les automobiles européennes. Le Japon a imposé des contrôles à l’exportation à la Corée du Sud. La Chine et l’Europe sont divisées au sujet de la nouvelle Route de la Soie, de l’ouverture des marchés et des conditions d’investissement pour les entreprises. En Afrique, une bataille d’influence fait rage entre l’Europe, la Russie, les Etats-Unis et la Chine. Une nouvelle course aux armements est en cours et le nombre de foyers de conflits militaires ne cesse d’augmenter : Rojava, le Cachemire indien, la mer de Chine du Sud, le détroit d’Ormuz,… En fait, nous sommes confrontés à bien plus qu’une guerre commerciale et nous traversons une période de dé-mondialisation, de guerre technologique et de contestation de l’hégémonie des États-Unis. Martin Wolf (du Financial Times) parle du ‘‘début d’une guerre de 100 ans’’. Le journal britannique The Guardian fait référence à une atmosphère qui rappelle l’été européen de 1914.

    Certains parlent d’une nouvelle guerre froide. L’Union soviétique et l’impérialisme américain étaient deux systèmes sociaux antagonistes qui se maintenaient l’un l’autre en équilibre, malgré les menaces nucléaires. Avec le recul, la guerre froide est restée ‘‘relativement’’ froide. Cette fois, il y a deux variantes du capitalisme, la première davantage ‘‘capitalisme d’État’’, la seconde néolibérale. La logique des tensions entre les États-Unis et la Chine est la guerre, une lutte à mort, mais deux facteurs font barrage : l’arsenal nucléaire qui ne peut conduire qu’à des perdants et la réaction que cela peut provoquer sur le front intérieur, y compris en Chine, surtout après le déclenchement du mouvement de masse à Hong Kong.

    Instabilité politique et soulèvements sociaux

    La bourgeoisie doit gérer toutes ces tensions avec des instruments créés pour une autre époque et inadaptés à la nouvelle ère. Les institutions d’après-guerre de Bretton Woods et divers traités s’effondrent. Les partis politiques qui, pendant des décennies, ont fourni des ‘‘dirigeants de la nation’’ incontestés sont en train de crouler. Tant à gauche qu’à droite, ils sont confrontés à de nouvelles formations plus radicales. La formation de gouvernements stables devient extrêmement difficile. Des gouvernements minoritaires et des coalitions atypiques émergent. La crise économique a érodé l’autorité des institutions bourgeoises traditionnelles, nécessitant des recompositions dangereuses.

    Pour l’instant, ce sont surtout les populistes de droite qui en profitent en raison de l’incapacité de la gauche traditionnelle et des nouvelles formations de gauche à imposer le changement. L’échec de Lula et de Dilma au Brésil a ouvert la voie à Bolsonaro, le blocage de Sanders par les Démocrates américains a débouché sur Trump, la trahison de Syriza en Grèce a déblayé le terrain pour la Nouvelle Démocratie, l’échec de Rifundazione (PRC) et du Mouvement 5 étoiles en Italie ont servi de rampe de lancement à Salvini,…. Cependant, les victoires électorales des populistes de droite ne doivent pas être confondues avec un soutien solide pour leur programme. Ils génèrent souvent des contre-mouvements gigantesques.

    Le mouvement ouvrier est encore sous l’effet des défaites du passé et de l’héritage de la chute du stalinisme. Cela s’exprime de manière concentrée sur les dirigeants syndicaux et ceux des anciennes et nouvelles formations politiques de gauche. Cela contribue à faire en sorte que le mouvement ouvrier n’ait pas encore laissé sa marque sur les événements. La grève générale de juin au Brésil a été déclenchée par le mouvement des femmes. En Algérie, l’appel aux grèves générales a été lancé dans les réseaux sociaux, en dehors des structures traditionnelles. A Hong Kong, tout le mouvement est coordonné par les réseaux sociaux, mais cela peut rapidement changer. En Algérie comme au Soudan, la base commence à revendiquer ses syndicats, généralement par la mise en place de structures contrôlées par la base. A Hong Kong a eu lieu la première grève générale depuis des décennies et, aux États-Unis, le mouvement commence à se traduire par une vague de syndicalisation. Nous pensons que nous nous trouvons à un point tournant et que la meilleure préparation pour cela est de nous engager dans les mouvements existants en défendant un programme socialiste en soulignant la nécessité d’une orientation vers le mouvement des travailleurs.

  • Catastrophe climatique et nécessité d’une économie planifiée

    Les 20 années les plus chaudes jamais enregistrées se sont produites au cours des 22 dernières années et la hausse des températures n’est qu’un des symptômes de la catastrophe climatique que nous connaissons actuellement. 8% des espèces sont menacées d’extinction. L’État de Louisiane perd la surface d’un terrain de football toutes les 45 minutes en raison de l’élévation du niveau de la mer. Les feux de forêt ravagent l’Ouest des États-Unis et les ouragans ont ravagé la côte sud-est.

    Par Keely Mullen, Socialist Alternative (USA)

    L’humanité est à la croisée des chemins. L’un après l’autre, les rapports nous avertissent qu’à moins que des mesures décisives ne soient prises pour réduire les émissions de carbone, nous risquons d’atteindre des points de non-retour après lesquels les effets sur l’environnement ne pourront être inversés. Un rapport de Columbia Engineering prévoit que la capacité de la planète à absorber le dioxyde de carbone pourrait commencer à diminuer en 2060. Notre filet de sécurité contre l’excès de dioxyde de carbone dans l’atmosphère s’érode, accélérant considérablement les pires effets du changement climatique.

    Un autre de ces points de non-retour est la fonte de la glace polaire. La glace aux pôles agit comme un réflecteur qui renvoie une partie des rayons du soleil dans l’espace et refroidit la planète. Lorsque cette glace fond, elle révèle l’eau plus foncée qui se trouve en dessous et qui absorbe beaucoup plus de chaleur, déclenchant ainsi une boucle de réaction qui augmente de plus en plus le réchauffement. Un autre danger de la fonte des glaces est qu’elle finira par découvrir les couches de pergélisol existantes qui contiennent actuellement d’énormes quantités de méthane. Si le pergélisol fond, ce méthane – qui a un effet de réchauffement beaucoup plus important que le dioxyde de carbone – sera rejeté dans l’atmosphère.

    L’enjeu de l’aggravation de la crise climatique n’est pas seulement notre confort, mais aussi l’accès aux ressources collectives de la terre, à l’eau, à la terre et à l’air pur, ainsi que le déplacement massif de millions de personnes qui deviendront des réfugiés climatiques.

    Les climatologues sont particulièrement préoccupés par l’effet du changement climatique sur le cycle de l’eau de la planète. La hausse des températures a entraîné une augmentation de la quantité de vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère, ce qui rend la disponibilité de l’eau très difficile à prévoir. Cela peut entraîner à la fois des pluies torrentielles plus intenses et des sécheresses plus graves.

    Bien que les tempêtes tropicales, les ouragans et les pluies de mousson fassent partie du régime météorologique normal des États-Unis, l’augmentation de la fréquence et de la gravité de ces phénomènes entraînent des inondations plus intenses qui menacent la qualité générale de notre eau. En effet, les eaux d’inondation recueillent les eaux usées, les pesticides, l’huile de moteur, les eaux usées industrielles et toutes sortes de contaminants et les rejettent directement dans nos cours d’eau. En 2014, l’ouragan Sandy a inondé 10 des 14 stations d’épuration des eaux usées de la ville de New York, provoquant le rejet d’eaux usées partiellement traitées ou non traitées dans les cours d’eau locaux.

    Les entreprises sont responsables

    Quand Al Gore a sorti Une vérité qui dérange en 2006, il a eu un effet retentissant, expliquant en termes simples la science derrière le réchauffement climatique et le danger que cela représente pour l’humanité. Ce film a lancé un réel débat étant donné que pendant des décennies, les grandes entreprises se sont engagées dans une campagne déterminée pour cacher les faits sur le changement climatique afin d’éviter toute perturbation de leurs activités extrêmement rentables. Cette campagne écœurante a sans doute déjà causé la mort de milliers de personnes.

    La conclusion d’Al Gore, c’est que le ralentissement ou l’inversion des effets du changement climatique reposent sur les épaules des individus et leurs choix de consommation. Changez vos ampoules, prenez des douches plus courtes, achetez une voiture hybride, n’utilisez pas de pailles en plastique. Bien que certains de ces changements à notre consommation quotidienne pourraient avoir un impact, même si tout le monde aux États-Unis suivait chaque suggestion d’Une vérité qui dérange, les émissions de carbone aux États-Unis ne diminueraient que de 22 % ! Le consensus scientifique est qu’il doit être réduit de 75 % à l’échelle mondiale. D’où la question de savoir qui sont les véritables responsables de la crise climatique et comment les affronter ?

    Les rapports ont révélé que 100 entreprises sont à elles seules responsables de 71 % des émissions mondiales depuis 1988, la plupart d’entre elles étant des sociétés productrices de charbon et de pétrole comme Exxon, Shell et BP.

    Ce n’est ni une coïncidence ni un accident que ces entreprises soient les principaux moteurs du réchauffement climatique. Il est inhérent à la logique du capitalisme que, pour rester viables, les entreprises doivent maximiser leurs profits. Cela signifie qu’il faut rechercher tous les raccourcis possibles, toutes les dépenses qui peuvent être évitées et toutes les mesures de sécurité qui peuvent être contournées.

    Lors de l’horrible marée noire de Deepwater Horizon en 2010, 4,9 millions de barils de pétrole ont été déversés dans le golfe du Mexique. Une commission de la Maison-Blanche a confirmé qu’avant l’explosion, BP, Transocean et Halliburton ont pris une série de décisions pour réduire les coûts, qui ont finalement causé l’explosion de la plate-forme pétrolière et la mort de 11 travailleurs. Cette commission de la Maison-Blanche a elle-même confirmé que cela allait probablement se reproduire en raison de la “complaisance de l’industrie”. En d’autres termes, cela se reproduira probablement parce que le coût du nettoyage d’une catastrophe n’est rien comparé aux profits réalisés en la provoquant.

    Diverses initiatives politiques ont été proposées pour faire face à cette crise, dont la plupart n’arrivent pas à la cheville de ce qu’il est nécessaire de faire. Le Green New Deal (GND) d’Alexandria Ocasio-Cortez est celui qui va le plus loin, appelant à une transition rapide vers une énergie 100% renouvelable, à un remaniement des systèmes de transport et à une imposition progressive. Gagner le GND représenterait un énorme pas en avant vers une société durable, mais son talon d’Achille, c’est son approche de la puissance structurelle du secteur de l’énergie. Si le secteur de l’énergie reste entre les mains du secteur privé, ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour saper le GND, qui ferait passer la valeur de leurs réserves inexploitées de centaines de milliards de dollars à zéro. Les objectifs contraires des chefs d’entreprise, dont le but est de réaliser des bénéfices, et des forces qui tenteraient de mettre en œuvre le GND rendront pratiquement impossible une transition rapide vers les énergies renouvelables.

    Arguments pour la propriété publique

    Il n’est pas du tout impossible que la pression des masses conduise à des mesures qui amorcent la transition des combustibles fossiles aux énergies renouvelables, même sous le capitalisme. Toutefois, sans intégrer d’importants secteurs de l’économie (à commencer par le secteur de l’énergie) au secteur public, cette transition serait lente et largement désorganisée. Pour changer radicalement de cap et éviter les pires effets du changement climatique, nous devons nous mettre sur le pied de guerre. Cela signifie une approche rapide et organisée pour mettre le secteur de l’énergie sous propriété du secteur public et le ré-équiper sur une base renouvelable.

    Pour opérer une transition rapide vers l’abandon des combustibles fossiles – même dans le cas d’un secteur énergétique public – il faudrait également faire entrer d’autres secteurs de l’économie dans le domaine public. La reprise d’une partie importante du secteur manufacturier permettrait l’expansion rapide des voitures électriques et des transports publics. Au-delà de cela, nous avons besoin de banques publiques pour aider les familles et les petites entreprises à faire la transition vers des logements et des commerces éconergétiques. Un changement aussi profond indique une réorganisation complète de la production sur une base socialiste avec une économie démocratiquement planifiée.

    Historiquement, le capitalisme a libéré la productivité humaine à grande échelle. Cependant, les caractéristiques déterminantes du capitalisme – la propriété privée et l’État-nation – sont maintenant devenues un obstacle au développement futur de notre économie et de notre société. C’est ce qui ressort clairement de la série d’accords internationaux sur le climat qui ont eu très peu d’effet en raison de la réticence des États-nations concurrents à faire des concessions qui profiteraient à leurs rivaux.

    À l’heure actuelle, toutes les grandes décisions sur la façon d’utiliser les ressources de la société sont prises par quelques dirigeants d’entreprises extrêmement riches. Les décisions sont prises en fonction de ce qui rapporte le plus d’argent. Cela signifie souvent l’utilisation de méthodes totalement inefficaces pour produire. Par exemple, lorsqu’une voiture est en cours d’assemblage, presque toutes les pièces se rendent au Mexique, au Canada et aux États-Unis avant que les pièces ne s’assemblent pour former une voiture. La base métallique d’un volant fabriqué aux États-Unis est envoyée au Mexique pour être recouverte et cousue avant d’être renvoyée aux États-Unis. C’est simplement pour que l’entreprise puisse trouver la main-d’œuvre et les matériaux les moins chers pour fabriquer son produit final.

    L’industrie dite de la “mode rapide” est un autre exemple de production inefficace et gaspilleuse sous le capitalisme. L’industrie de la mode est le deuxième plus grand pollueur au monde. Créer des tendances qui changent si rapidement que personne ne peut les suivre garantit que les gens continuent d’acheter des vêtements jetables bon marché, de les jeter et d’en acheter d’autres. Quatre-vingts milliards de vêtements sont produits en série chaque année, presque exclusivement à partir de textiles gourmands en eau mais bon marché comme le coton. Afin d’obtenir la bonne couleur pour une paire de jeans, 10 849 litres d’eau sont utilisés !

    S’il s’agit là d’exemples choquants de gaspillage et de manque total d’innovation, c’est typique de la façon dont la société est organisée sous le capitalisme. La question est donc, quelle est l’alternative ? Comment organiser la société plus efficacement, et dans l’intérêt des personnes et de la planète plutôt que dans celui du profit ?

    Besoin d’un système planifié

    Nous avons besoin d’une économie démocratiquement planifiée dans laquelle les 500 plus grandes entreprises sont mises sous propriété publique, et où les décisions sur la façon dont une industrie donnée est gérée sont prises par des organes élus de travailleurs et de consommateurs. La crise climatique est peut-être la crise la plus existentielle à laquelle l’humanité est confrontée, mais le capitalisme engendre inévitablement des inégalités massives, la pauvreté, et le racisme structurel. Pour répondre à toutes ces questions, il faut une société où les décisions économiques clés sont prises démocratiquement par les masses populaires.

    Mettre une entreprise en propriété publique, c’est retirer ses ressources matérielles – usines, outils, réseaux de distribution, technologies, infrastructures – et ses réserves financières existantes des mains d’investisseurs fortunés et les remettre entre les mains de la société dans son ensemble. Une fois cette étape critique franchie, des conseils démocratiques peuvent remplacer les patrons capitalistes et faciliter le fonctionnement de cette entreprise ou industrie. Ces conseils devraient refléter l’expertise des travailleurs de cette industrie, qui sont intimement familiers avec la façon dont elle fonctionne, ce qu’elle produit et ce qui peut être amélioré. Afin d’empêcher le développement d’une bureaucratie, toute personne élue à un comité d’entreprise ne gagnerait pas plus d’argent que le travailleur moyen de cette industrie et serait révocable.

    Le but de ces conseils ne serait pas de maximiser la rentabilité de leur industrie, mais plutôt de maximiser la capacité de cette industrie à répondre aux besoins de la société. Cela conduirait à une augmentation substantielle du niveau de vie général de la grande majorité de la population parce qu’il n’y aurait aucune raison de maintenir des salaires bas, des semaines de travail inutilement longues, ou de sous-financer les services publics.

    La transition vers une économie planifiée peut très bien commencer dans un pays, mais pour qu’elle réussisse, elle devra s’étendre à l’échelle internationale. Nous vivons dans une économie mondiale créée par le capitalisme, mais pour en tirer pleinement parti, il faut une planification socialiste mondiale. Dans le cadre d’une économie planifiée démocratiquement, des structures internationales devraient être mises en place pour faciliter la coordination maximale des conseils ouvriers dans les différentes industries au-delà des frontières.

    Comme on l’a vu plus haut, la plupart des grandes industries du capitalisme sont pieds et poings liés par la nécessité constante de réduire les coûts. Les patrons chercheront des raccourcis pour s’assurer qu’ils obtiennent les biens et la main-d’œuvre les moins chers. La tâche des conseils démocratiquement élus pour la gestion des lieux de travail et des industries serait d’identifier les domaines où les choses peuvent être rendues plus efficaces et plus durables sur le plan environnemental. Par exemple, à l’heure actuelle, les vastes réseaux de logistique et de chaîne d’approvisionnement qui existent chez Amazon et Walmart sont complètement séparés l’un de l’autre parce qu’ils sont en concurrence directe. Une fois cette concurrence éliminée, ces réseaux incroyablement utiles peuvent être combinés et réoutillés. Le modèle de flux tendu adopté par Amazon et d’autres grands détaillants, grâce auquel un produit peut être commandé et livré en quelques jours, pourrait être d’une grande utilité pour la société s’il n’était pas motivé par le profit. La vaste entreprise de Walmart est elle-même planifiée – avec une coordination à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement. Cela jette les bases d’une transition relativement facile vers une entreprise coopérative, planifiée démocratiquement.

    Alors, comment tout cela est-il lié à la menace existentielle du changement climatique, et comment une économie planifiée pourrait-elle y répondre ?

    Planifier un avenir vert

    Le capitalisme génère des innovations importantes – mais celles-ci sont motivées par la rentabilité, pas forcément la nécessité.

    Sur la base d’une économie planifiée démocratiquement, la recherche peut se faire dans l’intérêt de la population et du climat. Nous pouvons investir dans une véritable transformation des grandes industries sur une base durable. Nous pouvons investir dans le reconversion de millions de travailleurs dans les industries actuellement polluantes et créer des millions d’emplois syndiqués bien rémunérés en exploitant l’énergie renouvelable grâce aux technologies solaire, éolienne et marémotrice. De nouvelles formes d’énergie renouvelable seront sans aucun doute découvertes, et le perfectionnement de la technologie pour exploiter cette énergie exigera la formation d’un plus grand nombre de scientifiques et d’ingénieurs, ainsi que le transfert des scientifiques qui travaillent actuellement au développement d’armes vers des travaux beaucoup plus utiles.

    Afin d’inverser certains des pires effets de la crise climatique, un projet de reboisement mondial devrait être mis en œuvre. La reforestation par la plantation de millions d’arbres endémiques réduirait considérablement la pollution de l’air et rétablirait les habitats naturels et les écosystèmes qui ont été détruits par la déforestation. Parallèlement, il faudra procéder à une réorganisation importante de l’agriculture mondiale afin de réduire la superficie des terres consacrées à l’élevage, ainsi qu’au développement de substituts sains de la viande.

    Dans la plupart des grandes villes, les transports publics s’érode complètement, pendant que les Américains passent 19 jours complets par an coincés dans les embouteillages sur le chemin du travail. Si les gens devraient avoir le choix de posséder et d’utiliser leur propre véhicule, l’expansion massive du transport en commun et son électrification totale permettraient à beaucoup plus de gens de se déplacer plus rapidement et plus facilement que la voiture. Au-delà du transport en commun local, il faut également davantage de trains longue distance. Les trains électriques à grande vitesse pourraient constituer une alternative moins coûteuse et beaucoup moins polluante que le transport aérien.

    L’expansion du transport en commun durable permettrait non seulement d’améliorer le niveau de vie de nombreuses personnes, mais aussi de faire un bond en avant dans la transformation de la société sur une base écologique.

    Une société libérée des contraintes du profit pourrait s’engager dans un certain nombre de projets révolutionnaires pour changer la société : la création de logements à haut rendement énergétique avec une isolation plus efficace, la recherche de stations de purification de l’air pollué, et le développement de routes électrifiées pour charger les véhicules électriques lorsqu’ils circulent.

    La solution à cette crise ne se fera pas par en haut, elle ne sera pas initiée par Elon Musk, elle ne résultera pas d’un simple vote tous les quatre ans. Le rééquipement de la société sur une base véritablement durable et la garantie d’un avenir pour l’humanité reposent sur la fin de la domination anarchique et chaotique du capitalisme et son remplacement par une économie planifiée véritablement démocratique.

    Quelle est la prochaine étape ?

    Gagner un changement révolutionnaire et transformer notre société sur une base socialiste exigera une confrontation historique avec les super riches qui dominent actuellement notre société. Il y a des signes très encourageants aux États-Unis et à l’échelle internationale quant à la possibilité de relever ce défi, des grèves historiques des enseignants qui ont eu lieu aux Etats-Unis au cours de la dernière année et demie et qui pourraient s’étendre à d’autres secteurs, au mouvement grandissant des jeunes pour le climat qui prévoit maintenant une journée internationale d’action le 20 septembre.

    C’est la force unie et organisée des travailleurs et des jeunes qui peut ouvrir la voie au changement socialiste. Une étape critique dans ce processus sera la construction de notre propre parti politique de masse avec un programme socialiste clair et une direction déterminée. Depuis 2015, nous avons mis l’accent sur le rôle que Bernie Sanders – et maintenant Alexandria Ocasio-Cortez – pourraient jouer dans ce processus, en utilisant leur énorme base de soutien pour une politique progressiste et ouvrière, et en lançant une nouvelle organisation de masse.

    Nous devons continuer à construire et à renforcer les organisations de la classe ouvrière en vue des luttes décisives qui nous attendent. Cela signifie construire sur nos lieux de travail des syndicats de lutte bien organisés, véritablement démocratiques, avec la participation active de tous les travailleurs et travailleuses et qui sont prêts à faire tout ce qui est nécessaire pour se défendre contre les attaques de nos patrons. Les syndicats doivent s’associer aux mouvements sociaux dynamiques qui luttent actuellement contre le changement climatique, le sexisme et le racisme, et montrer la voie à suivre sur une base ouvrière.

    Afin de prendre les mesures nécessaires pour sauver la planète de sa destruction par le profit, nous devons fondamentalement rompre avec le capitalisme et lutter pour la transformation socialiste de la société sur la base de l’innovation, la coopération et l’égalité.

  • 10 ans après le krach financier : une réponse socialiste à la crise capitaliste

    Le 15 septembre dernier, une rencontre particulière a eu lieu dans un lieu tenu secret à Londres. Des banquiers de premier plan qui faisaient partie de Lehman Brothers – autrefois la quatrième banque d’investissement au monde – y ont célébré le dixième anniversaire de son effondrement en 2008 avec ‘‘cocktails et canapés’’. La disparition de cette banque d’investissement a marqué un tournant majeur dans la crise financière déjà en cours depuis 2007, mais qui s’est ensuite transformée en un krach économique mondial.

    Par Steve Score, Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles.

    L’économie mondiale ne s’est toujours pas totalement remise de cette crise qui a fondamentalement changé la politique à travers le monde. Les milliards de personnes qui ont subi les conséquences de ces événements avec une dégradation de leurs conditions de vie n’avaient vraiment aucune raison de se réjouir !

    Jusqu’à l’effondrement de Lehman Brothers, les gouvernements, banquiers et économistes répétaient encore à l’envi que le capitalisme basé sur un marché libre non réglementé, avec une intervention limitée de l’État, était systématiquement la meilleure option. Ils se sont alors rendu compte que, s’ils n’intervenaient pas, ils risquaient non seulement un accident, mais un accident de l’ampleur de celui de 1929. Cet événement a entraîné la grande dépression des années 1930, avec toutes ses conséquences, y compris la révolution et la contre-révolution. Ils ont été forcés d’agir.

    L’intervention des autorités

    Les gouvernements capitalistes néolibéraux ont totalement changé d’approche. Ils ont nationalisé et subventionné les banques. Ils ont injecté des milliards de dollars dans les économies du monde entier. Cela n’était pas à destination de la classe des travailleurs. Tous les efforts visaient les banques et les institutions financières. Cette énorme intervention des autorités a empêché une répétition du crash de 1929, mais cela n’a pas permis de stopper l’important ralentissement économique mondial.

    Il ne s’agissait bien sûr pas de nationalisations socialistes mais plutôt de ‘‘socialisme pour les riches’’ dans le but de soutenir le capitalisme. Les faiblesses du capitalisme ont été mises en évidence. Parallèlement, des millions de personnes perdaient leur emploi et leur maison. Mais aucune subvention n’est venue soutenir leurs conditions de vie ! De leur côté, les banquiers qui ont précipité l’économie dans la crise n’ont pas été sanctionné pour leur rôle. Ils ont même pu continuer à récolter des bonus de plusieurs millions de dollars.

    Une fois de plus, les événements ont prouvé la justesse du marxisme. Parfois, ce furent même les principaux porte-parole du capitalisme qui s’accordaient à contrecœur à dire que l’analyse de Marx sur le capitalisme était rigoureusement exacte. L’an dernier, on a pu lire dans les pages de The Economist que ‘‘beaucoup de ce que Marx a dit semble devenir plus pertinent de jour en jour’’. Bien sûr, leur conclusion n’est pas de se débarrasser du capitalisme, mais de le consolider.

    La crise économique fait partie de l’ADN du capitalisme. Les périodes de croissance et d’effondrement périodiques n’ont jamais été éliminées, avec leur destruction de valeur, de capacités productives et compétences à grande échelle. Les effondrements affectent radicalement les conditions de vie de la classe ouvrière et, en même temps, démontrent le gaspillage et l’absurdité du capitalisme en tant que système. Depuis des centaines d’années, les économistes capitalistes ont été incapables de résoudre ce problème fondamental.

    Expansion et récession

    Dans chaque boom économique, les représentants des capitalistes prétendent avoir trouvé la réponse ! Gordon Brown, ancien Premier ministre britannique travailliste en place au moment de l’effondrement, avait prétendu à plusieurs reprises avoir résolu les maux du capitalisme. Il l’a encore affirmé dans son discours sur le budget de 2007, quelques mois seulement avant le début de la crise.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) avait depuis longtemps analysé les processus qui conduiraient à l’inévitable crash. Toute la question était de savoir quand cela surviendrait. Cette conviction n’a pas été formulée à la manière grossière de ceux qui prétendent qu’une crise catastrophique se profile à l’horizon chaque année, mais sur base d’une analyse sobre des facteurs économiques.

    Le déclencheur immédiat de la crise a été la perte de confiance dans les grandes banques d’investissement qui avaient investi dans des prêts qui, en réalité, ne seraient jamais remboursés. Sur fond de bulle immobilière, le marché américain des ‘‘subprimes’’ accordait des prêts à des personnes qui n’avaient pas les moyens de les rembourser. Ces dettes extrêmement risquées ont ensuite été vendues sous forme de produits financiers, mélangées à d’autres prêts de manière complexe. Les banques ont réalisé d’énormes profits sur leurs spéculations, mais celles-ci reposaient sur une construction financière fragile de dettes et de risques.

    Une série de formes de spéculation initialement destinées à répartir le risque s’est transformée en ‘‘instruments financiers de destruction massive’’. Les problèmes sont apparus lorsque certains de ces risques ont commencé à faire faillite et que les banques ont commencé à admettre qu’elles n’avaient aucune idée de la valeur réelle de leurs fonds de placement. Lehman Brothers avait emprunté 35 fois plus que la valeur de ses actifs.

    Les banques dans leur ensemble étaient ‘‘sous-capitalisées’’, en accordant des prêts beaucoup plus importants qu’elles n’avaient d’actifs. Le château de cartes du monde de la finance a commencé à s’effondrer et son impact s’est répandu dans le monde entier. La crise financière s’est inévitablement étendue à l’économie réelle, à la production de biens matériels. À ce moment-là, le gouvernement américain est intervenu pour renflouer de grandes banques d’investissement comme Bear Stearns et les courtiers en hypothèques soutenus par le gouvernement Freddie Mae et Fannie Mac.

    Au Royaume-Uni, le gouvernement a dû intervenir pour sauver la banque Northern Rock, la Royal Bank of Scotland (RBS) et Lloyds. Le chancelier Alastair Darling a rappelé qu’il avait eu une conversation avec le président de la RBS, alors la plus grande banque du monde, qui a déclaré qu’elle manquait de liquidités. Quand Darling lui a demandé ‘‘combien de temps avons-nous ?’’, on lui a répondu ‘‘quelques heures’’.

    La cause sous-jacente de cette crise était bien plus qu’une simple spéculation financière qui a mal tourné. Partout dans le monde, la dette avait atteint des niveaux sans précédent. Nous avons commenté ces causes à l’avance.

    En décembre 2006, Lynn Walsh a écrit dans le magazine Socialism Today un article intitulé : ‘‘L’économie américaine se dirige-t-elle vers la récession ?’’ Il a expliqué que le boom avait, jusqu’alors, été soutenu par l’endettement des consommateurs. Mais l’inégalité croissante et l’appauvrissement constant des travailleurs au cours d’un certain nombre d’années ont contribué à l’instabilité de l’économie. Il disait alors du capitalisme américain : ‘‘Son orgie de profits à courts termes a sapé ses propres fondements, et le système fait face à un avenir de crise économique et de bouleversements politiques.’’

    Dans un autre article, publié en mai 2007, nous avons expliqué : ‘‘Derrière la marée de liquidités, il y a une source plus profonde, la suraccumulation de capital. Les capitalistes n’investissent leur argent que s’ils peuvent trouver des domaines d’investissement rentables. Depuis la dernière phase de la reprise d’après-guerre (1945-73), les capitalistes ont eu de plus en plus de mal à trouver des domaines d’investissement rentables dans la production. Malgré la croissance de nouveaux produits et de nouveaux secteurs de l’économie, il existe dans de nombreux secteurs une surcapacité par rapport à la demande de crédits garantis. Des milliards de personnes manquent de produits de première nécessité. Mais ils n’ont pas les revenus nécessaires, le pouvoir d’achat, pour acheter les biens et services disponibles dans le cadre de l’économie capitaliste.’’

    Les contradictions du capitalisme

    L’inégalité et l’exploitation sont ancrées dans les fondements du capitalisme. Marx a expliqué que le capitalisme repose sur la création de profit. Cela provient du travail non rémunéré des véritables créateurs de richesse, la classe ouvrière. Les travailleurs créent de la valeur, mais les patrons font des profits en les payant moins que la valeur qu’ils produisent. Avec le temps, les travailleurs ont tendance à être incapables à racheter la pleine valeur de ce qu’ils produisent, ce qui entraîne une surcapacité de production.

    Cette contradiction peut être surmontée par le capitalisme pendant un certain temps si les capitalistes réinvestissent ce surplus dans la production. Mais aujourd’hui, ils n’y parviennent pas, ils ne remplissent même pas leur mission historique de développer les forces productives. C’est ce qui sous-tend le cycle d’extension et de récession du capitalisme.

    Dans la période qui a précédé 2007, la bulle de la dette a soutenu la croissance économique pendant longtemps. Il a fallu qu’elle finisse par éclater. L’élément déclencheur, ce fut les prêts hypothécaires à risque. Mais cela aurait pu être une conséquence des nombreux problèmes qui existent dans ce système.

    Nous nous opposons à l’anarchie du capitalisme, un système fondamentalement non planifié, motivé par la nécessité de profits pour les propriétaires individuels et les grandes entreprises, au détriment de la satisfaction des besoins de la société et d’une planification socialiste démocratique. Pour pouvoir planifier l’économie, il faut la retirer des mains des ultra-riches et en faire une propriété publique. L’éclatement de la bulle a eu un impact immédiat sur l’économie réelle. Dix millions d’emplois ont été perdus aux États-Unis et en Europe.

    Cette situation a été exacerbée par les mesures d’austérité imposées par les gouvernements. La récession réduit les recettes du gouvernement, car les gens gagnent moins et payent moins d’impôts. Plus les autorités réduisent les dépenses publiques, moins les gens ont à dépenser, ce qui crée un cercle vicieux. Nous avons maintenant le plus haut niveau de dette publique depuis la Seconde Guerre mondiale.

    Les mesures d’austérité ont dévasté les services publics. Le niveau de vie réel, pour la grande majorité, ne s’est pas rétabli par rapport à son niveau d’avant 2007. Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, a déclaré l’an dernier qu’il n’y a pas eu de période de si faible croissance des revenus en Grande-Bretagne depuis le XIXe siècle.

    Les inégalités ont continué de grimper en flèche : la valeur nette des 500 premiers milliardaires du monde a augmenté de 24 % pour atteindre 5,38 milles milliards de dollars en 2017. Oxfam affirme que 82 % de la richesse générée l’an dernier est allée au 1 % le plus riche de la population mondiale. La moitié la plus pauvre du monde – 3,7 milliards de personnes – n’a pas connu d’augmentation.

    La reprise

    La “reprise” économique depuis 2008 a été extrêmement faible et de nombreux facteurs laissent présager qu’un nouvel effondrement économique se profile. La dette a de nouveau augmenté, atteignant aujourd’hui 240 % de la production mondiale annuelle totale, soit 30.000 $ par personne ! Le rédacteur en chef américain du Financial Times parle ainsi des banques : ‘‘Ce qui s’est passé, c’est que la dépendance à l’égard de la dette privée – l’héroïne, si vous voulez – a été remplacée par une dépendance à l’égard de la dette publique – la morphine. Le système dans son ensemble est toujours déséquilibré.’’

    Toute une série de menaces pèsent sur l’économie mondiale, notamment le protectionnisme commercial croissant, ainsi que les troubles politiques et le changement climatique.

    Le marxisme n’est pas déterministe. Il n’y a pas de ‘‘crise finale’’ du capitalisme. Ce système ne s’effondrera pas de lui-même. C’est le rôle de la classe ouvrière au niveau international, avec le soutien de la grande majorité de la population mondiale, de mettre fin au capitalisme et de le remplacer par un système plus sain et plus humain. Le rôle des socialistes est de fournir une analyse, une alternative et une stratégie.

    Les banques et les institutions financières, ainsi que le nombre relativement restreint de grandes entreprises qui dominent l’économie doivent être nationalisées et placées sous contrôle démocratique. Cela permettrait de mettre en place un plan de production économique visant à produire ce qui est nécessaire, en utilisant les ressources du monde de manière durable et au profit de la société tout entière. Cela permettrait de mettre fin à la pauvreté, à l’inégalité et à toutes les horreurs causées par le capitalisme.

    Mais pour y parvenir, nous devons construire un mouvement de masse et une force socialiste qui puisse intervenir dans les événements. Le résultat de l’austérité imposée au monde depuis 2008 a été l’instabilité politique. D’énormes mouvements ont eu lieu à gauche dans de nombreux pays, mais on a également connu une croissance du populisme de droite et de l’extrême droite. Les gens sont de plus en plus désabusés par les partis politiques établis.
    Au cours des prochaines années, nous serons confrontés à une série de crises économiques et à la recherche de réponses par des millions de travailleurs et de jeunes. Nous devons construire des partis de masse armés de réponses socialistes face à la crise du capitalisme.

  • Critique : Thomas Piketty : le nouveau Marx ?

    Le capital au vingt-et-unième siècle

    Au Royaume-Uni, les 20 % les plus pauvres de la population constituent une des couches les plus démunies d’Europe occidentale, avec un niveau de vie comparable à celui de la Slovénie ou de la Tchéquie. Parallèlement, les 1 % les plus riches du pays sont parmi les plus riches du monde, s’accaparant à peu près un tiers du revenu mondial !

    Par Hannah Sell, Socialist Party (CIO en Angleterre et pays de Galles)

    Cela fait un certain temps que le Royaume-Uni n’est plus champion dans quoi que ce soit, mais en ce qui concerne l’inégalité, il en a largement à remontrer : parmi les pays “développés”, le Royaume-Uni est le deuxième pays le plus inégal après les États-Unis. Mais la croissance de l’inégalité, qui semble à présent si inévitable, est en réalité un phénomène mondial. Selon l’ONG Oxfam, les 85 personnes les plus riches au monde possèdent à elles seules autant de richesses (1700 000 milliards de dollars) que la moitié de la population mondiale (3,5 milliards de personnes).

    Les stratèges du capitalisme (du moins, ceux parmi eux qui ne sont pas des farceurs) reconnaissent vaguement le fait que cette inégalité croissante menace l’avenir du capitalisme. Lorsqu’on voit par exemple la directrice du FMI et le gouverneur de la Bank of England proclamer que « Il faut faire quelque chose » pour préserver la « stabilité », on comprend que l’élite mondiale commence à sérieusement s’inquiéter du risque de grèves, de révoltes et de révolutions.

    Une inégalité de plus en plus grande

    C’est dans ce contexte que M. Thomas Piketty, économiste français, a publié son œuvre Le capital au vingt-et-unième siècle. Piketty a collaboré avec d’autres économistes tout au long des quinze dernières années afin de fournir des preuves selon lesquelles la tendance naturelle du capitalisme sur le long terme est d’aller vers un accroissement de l’inégalité. Piketty remarque à très juste titre le fait que la période “dorée” d’après la Seconde Guerre mondiale (années ’60-’70) était une période d’exception et que, depuis lors, le système est revenu à la “normale”, avec une tendance marquée à un renforcement de l’inégalité. Il explique par exemple que « entre 1977 et 2007, les 1 % des plus riches Américains se sont approprié 60 % de la croissance du revenu national ».

    Le capitalisme mène à l’inégalité : cela n’est pas une idée nouvelle. Karl Marx lui-même, il y a plus de cent ans, écrivait qu’il y a : « corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même.» (Le Capital, chapitre 25)

    Réactions

    Néanmoins, les informations statistiques rassemblées par Piketty et ses collaborateurs sont extrêmement utiles, et sont également clairement perçues comme une menace par les défenseurs du capitalisme.

    Le Financial Times a vigoureusement attaqué leurs données sur l’inégalité, en relevant quelques erreurs statistiques relativement mineures dans le but de discréditer l’ensemble des conclusions de Piketty. Le problème de tout ceci, cependant, est que loin d’être “révolutionnaires” ou “nouvelles”, les données de Piketty ne font que confirmer une tendance marquée depuis des décennies. Piketty lui-même a répondu que son livre est selon lui loin d’exagérer la réalité de l’inégalité, puisque de nouvelles recherches parues depuis indiquent que « la hausse de la part de la richesse pour les plus riches Américains au cours des dernières décennies serait en réalité encore plus élevée que ce que j’ai calculé dans mon livre ».

    Même si certaines personnes de droite ont tenté de discréditer Piketty, son livre a connu un grand succès auprès du public, se hissant en tête des ventes dans de nombreux pays. Nombreux sont ceux à gauche qui l’ont applaudi, y compris le secrétaire général du syndicat britannique Unite, Len McCluskey, qui avouait : « Je suis enthousiaste quand je pense jusqu’où Piketty pourrait nous mener ». Cependant, ceux qui espèrent que ce livre leur fournira une analyse convaincante de ce pourquoi le capitalisme crée cette inégalité croissante seront plutôt déçus ; encore plus déçus seront ceux qui attendent une solution de la part de l’auteur.

    Puisque le titre du livre ressemble à celui du chef d’œuvre de Karl Mark, Le Capital, beaucoup de commentateurs affirment que Piketty est le digne successeur de Marx. Piketty a quant à lui répondu que ce n’est pas comme ça qu’il se perçoit, et qu’en fait, il n’a jamais lu Le Capital. Cela n’est guère étonnant, vu que les seules fois où Piketty mentionne Marx dans son livre, c’est pour le critiquer, et souvent pour des choses que Marx n’a jamais dites ni écrites.

    Piketty, par exemple, prétend que « Tout comme ses prédécesseurs, Marx a totalement négligé la possibilité d’un progrès technologique durable et d’une productivité sans cesse croissante », ou encore que « La théorie de Marx est implicitement fondée sur l’hypothèse d’une hausse zéro de la productivité sur le long terme ». Ces affirmations sont complètement à l’opposé de la véritable analyse de Marx. Marx expliquait justement qu’une caractéristique fondamentale du capitalisme est la façon dont la course aux profits force les capitalistes à entrer en concurrence avec leurs rivaux en investissant dans la science et dans la technologie – “progrès technologique” donc – afin d’accroitre leur productivité. C’est cette course débridée vers plus de profits qui conduit à la crise – à la récession et à la dépression – mais qui jette également les bases pour la transition vers une société socialiste démocratique.

    Le fait que les taux d’investissements aient atteint à présent leur point le plus bas de l’histoire – et certainement au Royaume-Uni – indique que le capitalisme est un système en faillite, incapable de faire progresser la société plus en avant. Le capitalisme a créé – tout comme Piketty le décrit – une richesse immense, mais seul une planification socialiste démocratique de la production permettrait à présent de reprendre le contrôle sur les forces productives afin de protéger la planète et de satisfaire aux besoins de base de l’humanité – ce que le capitalisme est incapable de faire – en assurant le droit à un emploi décent, sûr et bien payé, à un logement, à un enseignement gratuit et à la retraite à 60 ans (et même avant).

    Le marxisme

    Le marxisme et les idées socialistes sont cependant complètement inconnus pour Piketty. Il n’essaie pas une seule fois d’expliquer les raisons de la crise capitaliste. Il ne parle pas non plus de la production de marchandises, ni de leur vente : il préfère se concentrer exclusivement sur la répartition de la richesse. Sa “nouvelle théorie” pour expliquer l’inégalité est que le taux de retour sur “capital” est toujours supérieur au taux de retour sur “revenu”. Piketty dit que c’est là la contradiction centrale du capitalisme. Cependant, il ne donne aucune explication pour nous permettre de comprendre en quoi cette contradiction serait si importante.

    De plus, il se trompe dans son usage du mot “capital”. Pour les marxistes, toute richesse n’est pas capital. Est capital uniquement la part de la richesse mise en œuvre par les capitalistes afin de tenter d’engranger un profit ; la source de tout profit étant l’exploitation de la classe prolétaire, la classe des travailleurs. Mais lorsque Piketty parle de capital, il parle de richesse de manière générale, qu’il s’agisse d’un investissement, d’un collier en diamant ou encore de la maison d’un travailleur. Il ne considère pas non plus que la force et l’action du mouvement des travailleurs, que la capacité des travailleurs à se battre pour défendre leurs salaires et conditions de travail, soit un facteur qui détermine la répartition de la richesse entre capitalistes et travailleurs.

    Les énormes lacunes du livre de Piketty signifient que cet ouvrage ne parvient en réalité pas à offrir ne serait-ce que le début d’une analyse du capital au vingt-et-unième siècle – ce qui a d’ailleurs été reconnu par ses admirateurs. Lawrence Summers, par exemple, ex-secrétaire du Trésor américain, loue le “tour-de-force” que représente ce travail, tout en restant très sceptique quant à son analyse : « Quand je me projette dans le futur, je vois que le principal élément créateur d’inégalité et lié à l’accumulation de capital ne sera pas, contrairement à ce que croit Piketty, le fait que les riches amassent des fortunes. La principale raison de cette inégalité sera le développement de l’impression en 3D, de l’intelligence artificielle, de toutes ces choses qui auront des conséquences désastreuses pour les personnes occupées à des tâches manuelles routinières. D’ailleurs, nous avons déjà plus de personnes détentrices d’une assurance handicap que de personnes occupées à la production dans l’industrie ».

    M. Summers exprime ici une grande crainte de la classe capitaliste, à laquelle Piketty ne touche même pas. Les nouvelles technologies rendent chaque travailleur de plus en plus productif, mais pour chaque travailleur productif, il y a de plus en plus de sans-emploi ou de personnes sous-employées. Tout cela ne promet que plus de crises économiques et d’instabilité sociale à l’échelle mondiale.

    Cela rend également de plus en plus évidente la nécessité du passage au socialisme, afin que les nouvelles technologies qui posent un problème au capitalisme puissent être mises en œuvre non pas pour licencier les travailleurs en masse, mais pour répartir le temps de travail entre tous et donc réduire la semaine de travail à 30 heures par semaine sans perte de salaire, voire même encore moins. Au lieu de ça, on voit que, malgré le fait que la lutte pour la journée des huit heures a été entamée depuis la création même du mouvement ouvrier, cette revendication n’est toujours pas acquise pour des millions de travailleurs de par le monde.

    Piketty ne cherche pas à en finir avec le capitalisme : il veut l’aider à s’en sortir. Quand il est passé à la télévision, on lui a demandé s’il voulait en finir avec l’inégalité. Sa position était très claire : selon lui, c’est un problème que 50 % des Britanniques ne possèdent que 3 % de la richesse nationale, mais s’ils en possédaient 5 ou 8 %, ce ne serait pas un souci !

    Afin de parvenir à cette toute petite hausse de l’égalité, Piketty appelle à une hausse de taxe pour la population riche, qu’on devrait taxer à hauteur de 80 %, et à une taxe progressive sur la richesse au niveau mondial. En tant que socialistes, nous soutenons ces revendications, qui seraient certainement également soutenues avec enthousiasme par la majorité de la population. Cependant, même les plus enthousiastes parmi les admirateurs de Piketty ne peuvent s’empêcher de sourire à cette idée. Même le célèbre économiste keynésien Paul Krugman, qui n’a que louanges pour cet ouvrage, s’est vu contraint d’admettre qu’il « est aisé d’exprimer un certain cynisme à l’égard de toute proposition de ce genre ». Le journaliste et professeur honoraire à l’université de Wolverhampton Paul Mason a exprimé la même idée dans le quotidien britannique Guardian, de manière un peu plus brutale : « Il est plus facile d’imaginer la chute du capitalisme que d’imaginer l’élite consentir à une telle taxe ».

    Nous arrivons donc au nœud du problème. Piketty espère pouvoir appeler les capitalistes à la “raison”, en les priant de reconnaitre que s’ils veulent préserver leur système, ils doivent laisser un petit peu plus pour les “99 %”. Ça rappelle les discours du dirigeant social-démocrate britannique Ed Milliband, qui parle d’un “capitalisme plus équitable”, sans donner la moindre proposition concrète en ce sens comme la taxation des riches ou des grandes entreprises.

    Un capitalisme fait de partage et d’amour ?

    Le président français François Hollande avait promis de mettre en place une “taxe des millionnaires” afin de se faire élire. Cela a suscité une virulente opposition de la part du capitalisme français. Finalement, Hollande a fait passer devant la Cour constitutionnelle une version fortement édulcorée de sa taxe sur les riches. Mais il a fini par capituler devant les exigences des capitalistes. Le magazine Forbes titrait à cette occasion : « Hollande converti, propose l’austérité et une baisse des taxes pour renforcer la croissance en France ».

    On a beau montrer de beaux arguments et supplier, on ne parviendra pas à mettre en place un capitalisme “à visage humain”. Les seules fois où les capitalistes se voient contraints de faire des concessions importantes pour la majorité de la population est lorsqu’ils sont confrontés à des mouvements de masse de la classe des travailleurs qui menacent l’avenir de leur système. Et même lorsque des concessions sont faites, ils tentent toujours de les récupérer d’une autre manière un peu plus tard.

    Tout gouvernement qui demeure dans le cadre du capitalisme ne sera jamais en mesure de mettre en pratique les quelques propositions de Piketty. On estime à 20.000 milliards de dollars la richesse planquée dans des paradis fiscaux, la moitié de cette richesse appartenant à à peine 100.000 personnes. Cette somme est supérieure à la dette nationale cumulée de tous les pays développés. Personne ne paie de taxe sur cette immense richesse. Rien qu’au Royaume-Uni, on estime que la fraude fiscale (surtout du fait des riches) s’élève à 120 milliards de livres par an.

    Une popularité révélatrice

    Piketty reconnait en partie le fait que les capitalistes seront toujours tentés d’éviter de payer des taxes, en déménageant à l’étranger, etc. C’est pourquoi il parle d’une taxe progressive sur la richesse au niveau mondial. À nouveau, en tant que socialistes, nous soutenons cette revendication, mais nous ne pensons pas qu’il soit possible – dans un monde fait de flux et reflux de capitaux que les gouvernements sont incapables de contrôler – de parler de cette revendication sans l’introduire dans le cadre d’un programme plus large fait de revendications socialistes. Qui voterait cette taxe ? Un impôt mondial sur la fortune ne pourra qui plus est jamais être prélevé sans le monopole étatique sur le commerce étranger et la nationalisation des banques à échelle nationale puis internationale. Sans quoi, ce serait comme quelqu’un qui tenterait d’arracher ses griffes à un tigre de manière “douce”.

    Malgré ses limites, la popularité du livre de Piketty illustre néanmoins le fait que de plus en plus de gens sont à la recherche d’une alternative au capitalisme du vingt-et-unième siècle, qui ne nous offre qu’un sombre avenir fait d’emplois mal payés, de contrats flexibles et précaires et de logements impossibles à payer. Nul doute que beaucoup de ceux qui aujourd’hui dévorent le livre de Piketty, demain mordront à pleines dents Le Capital de Karl Marx, qui leur donnera une analyse bien plus “moderne” et “pertinente” du capitalisme que celle de Piketty.

  • États-Unis : après le “shutdown” – Soupirs de soulagement, mais l'austérité va continuer

    C’est avec un grand soulagement que la population des États-Unis d’Amérique, simples travailleurs comme grands patrons, a appris la fin du “shutdown” de l’administration. 800 000 employés du gouvernement retournent au travail ; la plupart seront payés pour ces deux semaines sans travail.Malgré le fait que ces évènements soient perçus à juste titre comme une défaite pour le Tea Party, les Démocrates tout autant que les Républicains prévoient de lancer de grandes attaques sur les programmes d’aide sociale tels que Medicare, Medicaid et la sécurité sociale, dans le cadre de leurs négociations “bipartisanes” quant au nouveau budget fédéral, qui doivent commencer en décembre.

    Par Bryan Koulouris, Socialist Alternative (CIO-USA)

    Pour Robert Reich, qui était secrétaire au Travail sous le président Bill Clinton, « Obama a déjà proposé une méthode pour réduire les futures dépenses de la sécurité sociale, en modifiant la manière dont les montants à payer sont ajustés en fonction de la hausse du cout de la vie – en utilisant un indice des prix au consommateur “en chaine”, ce qui veut dire que lorsque les prix augmentent, les gens sont censés économiser en se tournant vers des alternatives meilleur marché. Mais cela n’a aucun sens si l’on parle des personnes âgées, qui dépensent déjà une part énorme de leurs revenus en médicaments, soins à domicile, et appareils médicaux dont les prix augmentent plus vite que l’inflation. »

    Ces propositions de coupes budgétaires ne feront qu’encore saper l’autorité déjà mise à mal de notre système politique foireux. Qui plus est, nous devons déjà nous attendre à connaitre une crise similaire en janvier et février 2014. Un sondage Gallup effectué durant le shutdown a révélé que 60 % de la population trouve qu’il faut créer un nouveau parti aux USA – un record ! –, tandis que 26 % seulement pense que le système à deux partis fonctionne correctement. Voilà qui révèle une polarisation profonde au sein de la société américaine. L’immense vide à gauche se reflète directement par le succès des campagnes électorales locales menées par notre section américaine, Socialist Alternative.

    La droite se retrouve isolée

    Les politiciens du “Tea Party” (fraction de droite populiste à l’intérieur du parti républicain) et même certains de leurs riches sponsors avaient planifié ce shutdown gouvernemental longtemps à l’avance. Ils pensaient que c’était là leur dernière chance de battre le “Obamacare”, partie intégrale de leur bataille pour une politique ultra-austérité tout en activant leur base de droite en vue des élections de mi-mandat qui se dérouleront l’année prochaine. Au lieu de cela, ils n’ont fait que révéler au grand jour les énormes divisions au sein du parti républicain et démontrer l’ampleur de la crise politique apparemment permanente qui traverse la classe dirigeante américaine.

    Le Tea Party est une invention de vieux républicains visant à créer une organisation faussement militante et “populaire” en se servant de l’énorme colère contre les renflouements bancaires et de la grande déception envers Obama. Ils ont reçu un certain écho dans un pays fort polarisé, et ont pu organiser de grands meetings qui rassemblaient des participants essentiellement blancs, âgés, vivant à la campagne ou dans les faubourgs résidentiels (suburbs) et de “classe moyenne”. L’idéologie du Tea Party colle à celle de ces personnes qui sont déçues du déclin relatif de la puissance américaine dans le monde et se sentent souvent mal à l’aise du fait d’avoir un président noir. Cette base a dans beaucoup d’endroits fortement ébranlé les primaires républicaines (élections au sein du parti), ce qui a poussé les candidats et députés républicains à se radicaliser et à refuser tout consensus bipartisan avec le reste de la classe dirigeante.

    Le Tea Party a reçu beaucoup de publicité de la part des médias capitalistes, qui l’ont utilisé pour orienter le débat vers la droite et pour faire passer le programme d’austérité. Mais aujourd’hui, ils sont fortement discrédités. Chaque nouveau sondage montre à quel point le Tea Party est déconnecté de la réalité et du point de vue de la grande majorité de la population concernant la plupart des enjeux de société. Le mouvement Occupy a complètement bouleversé le débat quant à la crise, en accusant les véritables responsables, qui sont non pas l’intervention gouvernementale dans l’économie, mais la classe dirigeante dans son ensemble, et les inégalités au sein de la société.

    La rhétorique du Tea Party a peut-être aidé les républicains lors des primaires dans les quartiers résidentiels, mais ce n’est pas une stratégie durable ni pour le parti républicain, ni pour ses riches mécènes. Même les frères Koch, des milliardaires ultra-conservateurs, ont fini par publier une déclaration dans laquelle ils se distancient du Tea Party et de son rôle dans le shutdown gouvernemental. Idem en ce qui concerne le célèbre pasteur de droite Pat Robertson.

    Le dernier jour avant le début du shutdown, plusieurs très grands patrons sont intervenus auprès de John Boehner et de politiciens Tea Party pour tenter de les convaincre d’arrêter leurs menaces, qui revenaient à pointer un revolver sur la tempe de l’économie américaine. D’autres membres du Tea Party ont averti à Boehner que tout geste de soumission de sa part reviendrait à mettre un terme à sa carrière politique. Mais à présent, ils tentent de contenir le conflit au sein du parti républicain, qui est passé de la “guerre froide” à la “guerre de tranchées”. On s’attend encore à de grandes batailles lors des primaires républicaines pour les élections de mi-mandat, sans doute alimentées par les nouvelles divisions qui émergeront peut-être concernant la question du budget d’État en janvier et février prochains.

    Tout cela a déjà fait énormément de dégâts aux institutions dirigeantes américaines dans la perception des travailleurs américains comme aux yeux de la population mondiale.

    Une immense colère

    C’est surtout le Tea Party qui est jugé responsable du shutdown, mais la plupart des gens sont également en colère contre tous les politiciens quels qu’ils soient. Il a été largement révélé que les députés du Congrès continuaient à recevoir leurs salaires, alors même que 800 000 fonctionnaires et employés de l’État se retrouvaient de force en congés sans solde, et que la fermeture de l’ensemble des services publics (comme les urgences hospitalières) a causé un grand nombre de morts.

    Les dirigeants syndicaux n’ont pas appelé à la moindre manifestation contre le shutdown. Ce faisant, ils ont laissé passer une immense occasion de construire le soutien aux syndicats et pour un programme d’urgence pour l’emploi qui serait financé par des taxes sur les millionnaires et sur les grandes entreprises. La colère qui vit dans la société devait pourtant bien s’exprimer quelque part. Le Tea Party a tenté de mobiliser des camionneurs pour fermer les routes qui mènent à Washington DC, afin de capitaliser sur la frustration et de la diriger contre les Démocrates : cela a été un flop complet.

    Des millions de gens ont vu Dylan Ratigan, un commentateur libéral, donner à la télévision un discours de cinq minutes extrêmement radical et apparemment improvisé, venant du cœur, qui a ensuite été partagé des centaines de milliers de fois sur Facebook.

    Ratigan disait que « Des dizaines de milliers de milliards de dollars sont extraits des États-Unis d’Amérique par un système financier, un système boursier, un système de taxation, qui a été mis en place par les deux partis. Le Congrès est vendu ! Il faut arrêter affaire d’argent dans la politique ! Le système bancaire est totalement corrompu et il nous pille ! » Il n’a évidemment pas été jusqu’à dire qu’il nous faut un nouveau parti qui représente les 99 % de la population, pour installer le socialisme démocratique, mais le fait de voir ce pétage de plomb radical autant diffusé montre bien la conscience qui est en train de se développer.

    Un écran de fumée pour couvrir la boucherie

    L’adoption du budget fédéral a été renvoyé à un “comité congressionnel” qui prendra ses décisions dans les prochaines semaines. Obama et les dirigeants du parti démocrate ont déjà affirmé être prêts à attaquer tous les grands programmes sociaux qui nous viennent du “New Deal” et de la “Great Society”, qui avaient été imposés par des mouvements de masse des travailleurs, des opprimés et de la jeunesse. Obama a même été jusqu’à dire qu’il voudrait diminuer les taxes sur les grandes entreprises. Bien que beaucoup de gens sont contents de voir les politiciens “mettre leurs différences de côtés pour se mettre au travail”, le problème est que le programme des deux partis n’est pas du tout orienté vers la défense des intérêts de la population laborieuse et des pauvres. Il se base plutôt sur une approche conflictuelle qui vise à instaurer une politique pro-capitaliste. Tout accord budgétaire bipartisan s’en prendra de nouveau aux programmes essentiels que sont Medicare et la sécurité sociale, plutôt que taxer l’incroyable richesse de notre élite super-riche. Il faut donc s’attendre à voir encore grandir la déception envers les Démocrates si ces coupes budgétaires devaient être effectuées.

    Le vide politique

    Il y a d’immenses ouvertures pour le mouvement syndical et pour la gauche pour intervenir dans ce débat. Les récents sondages, les discours radicaux à la télévision, la popularité du mouvement Occupy, les luttes déterminées menées par les travailleurs à bas salaire – toutes ces éléments indiquent une ouverture massive que la gauche doit saisir fermement.

    Socialist Alternative, section américaine du CIO, a montré l’exemple avec nos campagnes électorales extrêmement politiques et dynamiques à Seattle et à Minneapolis. Il faut que d’autres militants de la classe prolétaire se dressent et se présentent aux élections de mi-mandat de 2014, au niveau local et national.

    Il nous faut des candidats qui viennent du syndicat des enseignants, en lutte contre les coupes et la privatisation de l’enseignement ; des candidats qui soient des propriétaires de maison menacés d’expulsion par les banques et les flics, en lutte contre les saisies immobilières ; des candidats qui soient des travailleurs à bas salaire, qui se présentent contre les politiciens capitalistes ; des militants anti-sexistes, anti-racistes, anti-homophobie, pour rompre avec la politique des deux partis des patrons.

    Plus que jamais, cette crise montre à quel point Wall Street a deux partis, tandis que nous n’en avons aucun. Un pas énorme dans la construction d’un parti qui soit un parti des 99 % de la population, serait de voir deux-cent candidats indépendants se présenter pour les élections de 2014. Des candidats liés aux mouvements sur le terrain, des candidats qui refusent de se voir achetés, des candidats avec un programme de lutte pour et avec les travailleurs, les jeunes et les pauvres.

  • Il y a certaines choses que l’on ne vous dit pas sur le capitalisme…

    Alors que la crainte d’une nouvelle récession se fait sans cesse plus préoccupante, politiciens et économistes ne parlent plus que de ‘‘stabilisation’’, de retour à la ‘‘normale’’ pré-2008 (on ne parle même plus des ‘‘30 glorieuses’’ d’après guerre). Face à cet avenir incertain, de plus en plus nombreux sont ceux qui, effrayés, détournent le regard du caractère profond de l’actuelle crise systémique pour lorgner sur un passé, proche ou plus lointain, où tout semblait aller pour le mieux.

    Par Nicolas Croes


    Ce dossier est basé sur la critique de Lynn Walsh du livre ‘’23 choses que l’on ne vous dit pas sur le capitalisme’’ parue dans ‘‘Socialism Today’’, revue de nos camarades britanniques.


    En fait, même selon ses propres critères, le capitalisme est un échec. Au cours de ces trente dernières années, l’influence grandissante du néolibéralisme a entraîné de moindres performances économiques partout à travers le monde. Les ingrédients de base de cette recette pro-riches étaient la dérégulation des marchés (particulièrement du secteur financier), la dégradation progressive de l’intervention de l’Etat dans l’économie (privatisations, libéralisations,…), une réduction massive de l’imposition des entreprises et des riches et, enfin, un assaut organisé contre les travailleurs et les droits syndicaux. Toutes ces mesures puisaient leur justification dans l’idée que les ressources seraient mieux gérées ainsi et que la richesse finirait par ‘‘ruisseler’’ du haut vers le bas, conduisant à une plus grande prospérité pour tous.

    Des riches plus riches, des pauvres plus pauvres

    Le principal succès remporté par le néolibéralisme est d’avoir augmenté les profits, les revenus et la fortune des capitalistes. Entre 1979 et 2006, le pourcent le plus riche des Etats-Unis a doublé sa part de possessions dans le revenu national (de 10% à 22,9%). Le 0,1% situé tout au sommet a même réussi à plus de tripler ses avoirs, en passant de 3,5% en 1979 à 11,6% en 2006. Selon l’hypothèse néolibérale, une croissance économique plus rapide devait également faire partie du processus. Sauf que, selon les données de la Banque Mondiale, l’économie mondiale a connu une croissance annuelle moyenne de 3% durant les années ‘60 et ‘70, pour une moyenne de 1,4% entre 1980 et 2009.

    Alors que les revenus des actionnaires ont connu une véritable explosion, ceux des travailleurs et de la classe moyenne n’ont goûté qu’à la stagnation. De 1980 à aujourd’hui, les revenus des dirigeants d’entreprises (salaires, stock options,…) sont passés d’un rapport de 30 à 40 fois le revenu moyen d’un travailleur à… 300 à 400 fois l’équivalent du salaire d’un travailleur de base! Parallèlement, le plein emploi s’est évanoui au profit d’un chômage de masse tandis que se généralisaient les emplois précaires et sans protection syndicale. Cette stagnation des revenus des travailleurs a miné la demande en biens et services, jusqu’au moment ou cette chute des revenus a été compensée par le développement des dettes et emprunts, afin de doper la consommation.

    De fait, il était possible de prêter de gigantesques masses d’argent, comme les investisseurs se tournaient de plus en plus vers un secteur financier au développement colossal puisque les investissements dans de nouveaux moyens de productions ne garantissent plus un taux de profit suffisant à leurs yeux. Le développement des nouvelles technologies et de la productivité était graduellement devenu un sérieux problème, en mettant sous pression le taux de profit et en poussant à économiser sur les salaires des travailleurs, qui de ce fait étaient constamment moins aptes à écouler la production. Le secteur financier s’est donc senti progressivement moins concerné par les perspectives à long terme de la production.

    La formidable augmentation des profits du secteur financier n’a pas entraîné de similaire croissance de l’économie, ni de la productivité, et encore moins du niveau de vie de la majorité de la population. Et, malgré le développement de tout un tas de dérivés financiers visant à minimiser les risques, l’instabilité économique s’est accrue, avec toute une série de crashs financiers majeurs de la crise asiatique de 1997 jusqu’au point culminant de la crise survenue en 2008.

    There Is No Alternative

    Avec la dégradation de la situation économique d’après-guerre, l’idéologie et les politiques keynésiennes (intervention de l’État, dépenses sociales élevées et tentatives relatives de contrôle de l’économie nationale) ne correspondaient plus à la période. Elles ont donc peu à peu fait place au monétarisme de Milton Friedman et de ‘‘l’École de Chicago’’ (notamment célèbre pour avoir utilisé le Chili de Pinochet comme véritable laboratoire du néolibéralisme). Leur politique était basée sur la ‘‘main invisible’’, théorie selon laquelle le marché était capable de s’autoréguler, idée de plus en plus présentée comme une évidence quasi-scientifique. Et, même si ça ne fonctionnait pas parfaitement, il n’y avait pas d’alternative (‘’There Is No Alternative’’, Tina). Suite à la crise financière de 2008, Alan Greespan, à la tête de la Federal Reserve (la Banque centrale américaine), a dû confesser que cette idée était fausse et qu’il avait eu bien tort d’y croire.

    A partir des années ’80 et de la contre-révolution de Thatcher (en Grande-Bretagne) et de Reagan (aux USA), les académiciens monétaristes du type de Friedman, auparavant considérés comme une petite clique d’économistes de droite, ont fourni le soutien intellectuel nécessaire au développement de ces politiques, faites pour s’adapter aux nouvelles conditions matérielles de la société afin de vigoureusement redéfinir les rapports entre travail et capital (à la faveur de ce dernier). Cet armement idéologique a considérablement été renforcé par l’effondrement du stalinisme. En l’absence de toute alternative idéologique de la part des dirigeants des partis ouvriers traditionnels, les idées néolibérales se sont diffusées dans de plus larges franges de l’opinion publique.

    Comment coordonner l’économie ?

    La contradiction fondamentale du capitalisme est que le processus de production est socialisé alors que la propriété des moyens de production est privée. La production capitaliste actuelle requiert un haut degré d’organisation sociale, mais les lois de la propriété privée des moyens de production et de la concurrence empêchent toute planification et entraîne une production anarchique se traduisant par des crises périodiques. Il est crucial et urgent de coordonner l’économie, de voir comment produire ce qui est exactement nécessaire à la collectivité, et de façon beaucoup plus efficace.

    La division du travail entre les diverses entreprises s’est très fortement développée jusqu’à aujourd’hui, et les entreprises sont fort dépendantes les unes des autres. La nature sociale du processus de production s’est largement intensifiée. Aujourd’hui, entre un tiers et la moitié du commerce international concerne des transferts entre différentes unités au sein même des multinationales. D’autre part, les grandes entreprises ne peuvent poursuivre leur course aux profits à large échelle que grâce au soutien d’institutions publiques comme le système légal, l’enseignement et la formation des travailleurs, les subsides publics pour la recherche et le développement,… Toutes choses connaissant un degré de planification assez élaboré, mais hélas en restant dans le cadre de la course aux profits et de la concurrence inscrite au plus profond du système capitaliste.

    Les secteurs clés de l’économie doivent être nationalisés et placés dans les mains de la collectivité pour procéder à une coordination des diverses unités de production, basée sur la satisfaction des besoins de la majorité de la population, dans le respect de notre environnement. Toutes les petites entreprises ne seraient pas nécessairement nationalisées, mais intégrées dans le cadre global de la planification établie. Cette planification centrale n’est pas une utopie, comme l’ont démontré les différents Etats durant les deux guerres mondiales, qui ont massivement introduit des éléments de planification dans le cadre de l’effort de guerre.

    Mais pour être soutenable à long terme, pour reprendre les termes du révolutionnaire Léon Trotsky, une économie planifiée a besoin de démocratie comme un corps a besoin d’oxygène. Nombreux sont ceux qui rejettent tout système de planification à la simple idée du cauchemar stalinien et des dictatures bureaucratiques copiées sur le modèle de l’Union Soviétique. Mais il faut bien considérer que la dégénérescence de l’URSS ne provient pas de la ‘’folie d’un homme’’ ou du ‘’lien naturel entre le communisme et le stalinisme’’, mais de conditions historiques très précises (l’isolement d’un pays économiquement et culturellement arriéré, avec une classe ouvrière très limitée et un gigantesque analphabétisme,…) qui ont permis l’émergence d’une bureaucratie contre-révolutionnaire.

    Des comités démocratiquement élus, avec des représentants révocables à tout moment par leur base, peuvent élaborer un plan économique flexible, adapté et coordonné à tous niveaux (local, régional, national et international) et continuellement amélioré par l’implication active de comités de base, tant du point de vue de la production elle-même que de la distribution ou encore de la vérification de la qualité des produits. Une société basée sur ces comités de quartier, d’usine, d’école,… – une société socialiste démocratique – est la meilleure réponse qui soit contre la dictature des marchés et des spéculateurs.

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