Tag: Cour de Cassation

  • Défendons notre droit de grève!

    Ces derniers mois, le droit de grève a été fortement remis en cause dans notre pays. Plusieurs actions chez Carrefour ont eu à faire face aux menaces d’huissiers et même à la violence physique de policiers, le tout destiné à briser les piquets. Dans d’autres conflits aussi, le droit de grève a été attaqué. Et les libéraux flamands ont déposé une proposition de loi pour miner le droit de grève dans le secteur public (via un service minimal dans les aéroports, à la SNCB ou dans les prisons). Bientôt, on ne pourra plus faire grève que si personne ne le remarque…

    Par Geert Cool

    D’où vient le droit de grève?

    C’est par la lutte que le droit de grève a été arraché. Lors des débuts du capitalisme industriel, tout a été fait pour interdire l’organisation des travailleurs. La bourgeoisie arrivant au pouvoir considérait la liberté d’entreprise comme centrale et refusait aux travailleurs le droit de s’organiser.

    Ainsi, en France, la loi Le Chapelier de 1791 affirmait que tout regroupement de travailleurs était interdit parce que cela s’opposait « au libre exercice de l’industrie et du travail ». C’est exactement le raisonnement qui est repris aujourd’hui par la direction de Carrefour lorsqu’elle demande une interdiction pour « des actes qui empêchent l’employeur de se servir de l’entrée de l’entreprise (qui) sont des faits établis qui portent atteinte au droit de la liberté d’entreprise ».

    La loi Le Chapelier de 1791 est allée de pair avec le décret D’Allarde la même année (l’ensemble fut introduit chez nous par les Français en 1795) qui définissait la liberté d’entreprise. La direction de Carrefour s’est basée sur le décret D’Allarde pour imposer les astreintes contre les grévistes. En d’autres termes, nous ne remontons pas au 19e siècle, mais bien au 18e !

    Un siècle plus tard, la loi Le Chapelier a été reformulée pour devenir l’article 310 du code pénal, qui interdisait les attroupements devant une entreprise. Cet article a été supprimé en 1921 sous la pression du mouvement ouvrier qui luttait depuis des années des actions pour exiger le suffrage universel et le droit de s’organiser librement. Les mouvements à la fin de la Première Guerre mondiale ont connu leur apogée avec la Révolution russe de 1917 et avec la révolution manquée en Allemagne en 1918. La bourgeoisie a ressenti une grande frayeur devant la force du mouvement ouvrier organisé et a dû faire des concessions.

    Arraché par la lutte des travailleurs, le droit de grève a été reconnu plusieurs fois juridiquement, notamment dans la Charte sociale européenne. Les piquets de grève et les barrages routiers font partie de ce droit de grève et du droit de s’organiser, ce qui a été confirmé en Belgique par différents tribunaux (entre autres par la Cour de Cassation en 1997 et par la Cour d’Appel à Anvers en 2004).

    Le Comité européen des Droits sociaux a rendu il y a quelques années un jugement dans un rapport sur la Belgique dans lequel il est stipulé que les piquets de grève pacifiques font partie du droit garanti à l’action collective. Les astreintes contre les piquets de grève sont donc inacceptables. La Cour européenne de Justice, qui n’est pas connue pour ses sympathies socialistes, a déclaré que la liberté de manifester (ce qui comprend les barrages routiers) ne peut être limitée qu’exceptionnellement (Schmidberger, arrêté du 02.08.2003).

    Une réponse à l’argumentation juridique

    Lors de différentes actions du personnel de Carrefour et de leurs sympathisants, des requêtes unilatérales ont été signifiées aux militants. Une intervention judiciaire générale préventive a été réclamée (et obtenue), ce qui a été contesté notamment par le professeur Gilbert Demez de l’UCL, qui parle d’un dépassement du cadre du pouvoir judiciaire.

    Nous avons examiné la base de telles requêtes unilatérales et avons trouvé trois arguments défendant son contenu : le droit de propriété, la liberté d’entreprendre et le droit au travail.

    Le droit des travailleurs à s’organiser sur le lieu de travail est attaqué car il irait à l’encontre du « droit de propriété » du patron. Pourtant, les piquets de grève ne revendiquent pas encore la propriété de l’entreprise ! Non, les piquets de grève doivent partir pour laisser entrer les non-grévistes – qui sont souvent des intérimaires qui ne sont pas certains de pouvoir continuer à travailler ensuite dans l’entreprise, surtout s’ils ont fait grève. Apparemment, le patronat considère que la main d’œuvre intérimaire est également sa propriété.

    Le deuxième argument de Carrefour est le droit au travail et au salaire des employés qui ne font pas grève. La direction se base pour cela sur l’article 23 de la Constitution dans lequel on peut lire que chacun a le droit de mener « une vie décente » et a pour cela le droit « au travail et au libre choix du travail professionnel dans le cadre d’une politique générale d’emploi qui vise, entre autres, à garantir un niveau d’emploi aussi haut et stable possible, le droit à des conditions de travail et de salaire raisonnables, aussi bien que le droit d’information, de concertation et de négociations collectives ».

    Les négociations collectives ainsi que le droit à des emplois décents avec de bonnes conditions de salaire se trouvent donc bien dans la Constitution. Ce n’est pas un hasard si les libéraux veulent changer cet article de la Constitution en faveur du principe de la « liberté d’entreprendre. Mais différents juges n’ont pas eu besoin d’une modification de la Constitution pour suivre la direction de Carrefour dans son application de la « liberté d’entreprendre ».

    En résumé, la base juridique est donc formée par un principe général datant de 1791 et une interprétation fortement unilatérale de l’article 23 de la Constitution.

    Les avocats de Carrefour ont demandé (et obtenu) une décision judiciaire dans laquelle « la mission du pouvoir public » est précisée. Celle-ci explique qu’ « il est donc utile de préciser sa mission (celle du pouvoir public) et de lui ordonner de donner suite aux ordres que l’huissier de Justice lui donne, si nécessaire en utilisant la contrainte physique pour assurer l’entrée pacifique des bâtiments ». C’est donc en fin de compte le patronat qui décide des missions de la police.

    Comment défendre le droit de grève ?

    Les arguments juridiques en défense du droit de grève ont été arrachés par les luttes des travailleurs. Pourtant, la base juridique pour les patrons briseurs de grève a beau être limitée, ce sont ceux-ci qui obtiennent le plus souvent raison auprès des juges. Il y a heureusement des exceptions, comme ce juge malinois qui a expliqué que le droit de grève est un droit fondamental. Mais la plupart des juges appuient le patronat et lui donnent les moyens de pouvoir recourir aux huissiers et à la police, un peu à la manière d’une milice privée.

    L’utilisation des astreintes lors des grèves déjà conduit à des protestations à plusieurs reprises. En 2002, une pétition syndicale a obtenu 80.000 signatures et patrons et syndicats ont fini par conclure un « gentlemen’s agreement », c’est-à-dire une convention non contraignante. Le patronat y promettait d’éviter de recourir aux interventions judiciaires lors de grèves. De cet accord, il ne reste plus rien.

    Pour la défense du droit de grève, nous ne pouvons pas compter sur la justice, le patronat ou les politiciens traditionnels. Chaque pas légal fait en défense du droit de grève doit être évidemment soutenu mais nous allons surtout devoir construire un rapport de forces au moyen pour empêcher, dans la pratique, les patrons de recourir à des requêtes unilatérales. C’est de cette manière que le droit de grève a été obtenu et c’est comme cela qu’il va devoir être défendu.

    Il est évidemment important de convaincre tous les travailleurs de l’entreprise de participer à la grève : s’il n’y a plus de non-grévistes, les huissiers devront se mettre eux-mêmes aux caisses de Carrefour ! Mais, à côté de cela, la force du nombre est importante : notifier une contrainte à 50 ou 100 personnes est encore faisable pour un huissier. Mais que faire s’il y a 1.000 militants ou plus au piquet ? Après les précédents des dernières semaines, d’autres attaques viendront. Pour conserver notre droit de mener des actions collectives, nous devons réagir sans faiblir.

  • Des huissiers employés pour casser les piquets de grève

    Le porte-parole de Carrefour était on ne peut plus clair le weekend passé: avec une requête unilatérale et des astreintes juridiques, l’entreprise peut briser un piquet de grève. Ce n’étaient là que des mots mais samedi, à la filiale de Carrefour de Sint-Pieters-Leeuw, les ordonnances du juge ont effectivement été notifiées de façon arbitraire à des personnes présentes. Parler à un client devant le magasin suffisait pour se voir notifier une contrainte.

    Par Geert Cool

    Des dizaines de militants syndicaux et de sympathisants ont reçu de telles ordonnances des huissiers qui avaient reçu du juge la compétence de recourir à la force publique pour interdire chaque empêchement ou chaque obstacle à l’entrée des locaux, du parking,… Tomber en panne sur le parking tombait donc également sous la compétence des huissiers qui peuvent dès lors imposer une astreinte.

    Tiré par les cheveux? Et bien non, car cela faisait partie de la décision juridique remise aux militants syndicaux. La direction de Carrefour a fait appel à quelques avocats du cabinet Claeys & Engels pour casser la grève. Une requête a été dressée dans laquelle trois arguments sont utilisés:

    • violation de la liberté de commerce, d’industrie et du droit de propriété,
    • violation du droit de travail et de salaire des travailleurs non-grévistes et
    • violation du droit au travail des tiers entreprises et clients.

    Base juridique: un décret de… 1791

    Le principal argument est celui du droit d’industrie et de commerce. Les avocats se basent pour cela sur le décret D’Allarde de 1791 (introduit chez nous après l’annexion à la France en 1795). La raison pour laquelle les ordonnances de ce décret ont aujourd’hui force de loi chez nous nous échappe. A partir du décret D’Allarde, il n’y a qu’un petit pas vers une autre loi datant de 1791, la loi Le Chapelier qui déterminait que chaque attroupement de travailleurs était interdit parce que cela allait à l’encontre du «libre exercice de l’industrie et du commerce». C’est exactement le raisonnement que Carrefour suit et qui, curieusement, a été soutenu par les juges bruxellois.

    Nous ne sommes donc pas les seuls pour qui ces attaques contre le droit de grève datent du 18e siècle… Le premier et principal argument des avocats de Claeys & Engels commence par une référence au décret D’Allarde. Mais alors que, en 1791, cette loi était liée à une interdiction des travailleurs de s’organiser, elle est aujourd’hui liée aux «faits établis» qui vont de pair avec cette organisation. «Des actes qui empêchent l’employeur de se servir de l’entrée de l’entreprise sont des faits établis qui portent atteinte au droit de la liberté d’entreprise», selon un juriste auquel se réfère la requête.

    La base juridique reste donc à ce jour limitée à un principe général datant de 1791 ainsi qu’à l’interprétation de ce principe par un juriste et au fait que cette interprétation a été suivie par un juge liégeois. C’est un peu faible comme réponse sur le droit de grève et comme base juridique, mais cela a laissé le juge en question de marbre. Ce dernier a ainsi approuvé sans rechigner la requête de Carrefour.

    Comme autre argument, on peut lire le droit de propriété garanti par la Constitution. Est-ce que ce droit a été remis en cause par les piquets de grève? Pour autant qu’on le sache, les militants syndicaux présents n’ont procédé à aucune collectivisation (sans parler de nationalisation). L’argument que la pleine jouissance de la propriété est entravée par des travailleurs qui bloquent une entreprise est en fait utilisé pour faire rentrer des non-grévistes. Apparemment, le patronat voit la force de travail des non-grévistes comme faisant également partie de sa propriété…

    On en vient au deuxième argument: la violation du droit de travail et de salaire des non-grévistes. Pour cela, Carrefour se base sur l’article 23 de la Constitution, dans lequel on trouve par ailleurs également le droit de chacun à «mener une vie digne de l’être humain». Tout le monde «a droit au travail et au libre choix de travail professionnel dans le cadre d’une politique générale d’emploi qui vise, entre autres, à garantir un niveau d’emploi aussi haut et stable possible, le droit à des conditions de travail et de salaire raisonnables, aussi bien que le droit d’information, de concertation et de négociations collectives».

    Pourquoi Carrefour ne reconnait-elle pas le droit à un salaire raisonnable aux travailleurs de la filiale de la Tour Bleue à Bruges? Pourquoi Carrefour ne reconnaît-elle pas le droit de concertation et de négociations collectives en présentant l’action comme un droit individuel et non pas collectif? C’est évidemment un peu faible d’attaquer sur base d’une disposition qu’on ne suit pas soi-même…

    Enfin arrive le dernier argument: «les faits établis violent le droit de travail des tiers entreprises et clients». Pour cet argument, aucune disposition légale n’est citée. Pour résumer, la base juridique est donc un principe général datant de 1791 et une interprétation très unilatérale de l’article 23 de la Constitution. Le droit de grève et le droit de mener des actions collectives doivent s’effacer devant cela.

    Ampleur de la disposition

    Les avocats de Carrefour demandent au juge de préciser la mission de la police pour que celle-ci ne se limite pas à la protection de l’huissier. «Il est donc utile de préciser sa mission (celle du pouvoir public) et de lui ordonner de donner suite aux ordres que l’huissier de Justice lui donne, si nécessaire en utilisant la contrainte physique pour assurer l’entrée pacifique des bâtiments.» Qui décide donc des missions de la police? Le patronat!

    L’ampleur et la durée de la disposition constitue un autre point particulièrement grossier: la durée de validité est d’un mois, dès le 17 octobre, et peut être rallongée si la crainte existe que d’autres «faits établis» puissent être «commis». Jusqu’au 16 novembre, il est interdit aux militants de mener une action à une filiale de Carrefour sur le territoire de l’arrondissement juridique de Bruxelles. A Sint-Pieters-Leeuw, l’huissier a déclaré à un militant arrêté que «mener une action» peut être interprété largement : faire ses courses suffit. C’est littéralement qu’a déclaré ce huissier! Que cette menace puisse de cette façon violer «le droit du client» et «d’accès à l’entreprise» n’est sans doute qu’une coïncidence toute ironique.

    Le fait qu’une intervention juridique est préventivement demandée est tout aussi contestable. Le professeur Gilbert Demez de l’UCL (université de Louvain-la-Neuve) déclarait encore début 2006 dans une interview au quotidien Le Soir que de telles interventions préventives de la justice constituent un dépassement du pouvoir juridique. Il ajoutait encore qu’une intervention juridique n’est utilisée que comme moyen de pression patronal, où ce n’est pas tant la protection des droits qui est en jeu que la limitation du droit de grève. Le professeur Demez était d’opinion que limiter les moyens d’action du «contrepouvoir social» mène à une forme de «dictature»

    La base du droit de grève

    Ce n’est qu’après la Première Guerre Mondiale que le droit de faire grève et de se syndiquer ont été reconnus en Belgique, bien évidemment dans le contexte des mouvements qui ont suivi la guerre, dont la Révolution russe était un des points culminants. Partout en Europe se développaient des mouvements et les travailleurs se sont révoltés dans différents pays. La bourgeoisie avait peur de la force du mouvement ouvrier organisé et elle a donc dû faire des concessions.

    Ainsi a entre autres été instauré le suffrage universel (masculin uniquement), mais la liberté syndicale a aussi été reconnue. En 1921 une loi a garanti «la liberté d’organisation». En même temps, une loi antigrève a été abolie (le fameux article 310 de la loi pénale qui interdisait tout attroupement à une entreprise) et la journée des 8 heures (ainsi que la semaine de travail de 48 heures) a été introduite.

    Le droit de grève est le fruit de la lutte des travailleurs et a plusieurs fois été reconnu juridiquement (entre autres dans la Charte Sociale de l’Europe). Les piquets de grève et les barrages routiers font partie du droit de grève et du droit de s’organiser. Cela a été confirmé par plusieurs Cours de justices en Belgique (notamment la Cour de Cassation en 1997 ou la Cour d’Appel à Anvers en 2004).

    Le droit de mener des actions collectives ne peut tout simplement pas être limité. Le Comité Européen des Droits Sociaux a jugé il y a quelques années dans un rapport sur la Belgique que les piquets de grève pacifiques font partie du droit garanti de mener des actions collectives, des astreintes contre un tel piquet de grève ne sont donc pas acceptables.

    Mettre sur pied des piquets de grève et même des barrages routiers fait partie de la liberté d’expression. D’ailleurs, dans le cas des barrages routiers, nous ne sommes pas les seuls à les considérer comme partie intégrante de la liberté d’expression. La Cour Européenne de Justice, qui n’est pas connue pour ses sympathies avec les idées du socialisme, a déclaré que la liberté de manifester (y compris les barrages routiers) ne peut être limitée que de façon exceptionnelle (arrêt de Schmidberger du 02/08/2003). La liberté d’expression lors d’un barrage routier a priorité sur le libre trafic de marchandises et de personnes, a déclaré la Cour.

    Juridiquement, il y a donc une base pour défendre le droit de grève, alors que celle sur laquelle se reposent les casseurs de grève est très, très, limitée. Néanmoins, ces derniers semblent toujours obtenir gain de cause chez les juges. Seuls quelques juges échappent à l’attrait de l’illusion que c’est eux qui décident dans des conflits collectifs. Qu’il s’agit bien d’une illusion est évident : ce sont les patrons qui décident, qui utilisent la justice pour pouvoir recourir à des huissiers ou qui encore peuvent considérer la police comme leur propre milice privée.

    Il faut une campagne

    L’utilisation des astreintes pendant les grèves a déjà plusieurs fois mené à des protestations. En 2002, une pétition syndicale a rassemblé 80.000 signatures et syndicats et patronat ont négocié pour conclure un «gentlemen’s agreement», un accord qui n’est pas imposable. Dans cet accord, le patronat a promis d’éviter de recourir à des interventions juridiques. Il ne reste rien de cet accord.

    Pour la défense du droit de grève, nous ne pouvons pas compter sur la justice, le patronat ou les politiciens traditionnels. Nous soutenons évidemment chaque pas pour la défense du droit de grève, mais il va falloir construire un rapport de force avec lequel on peut en pratique imposer que les patrons n’osent plus utiliser de requêtes unilatérales. Voilà comment le droit de grève a été obtenu et voilà comment il va devoir être défendu.

    Evidemment, il est important de convaincre tous les travailleurs de participer à la grève: s’il n’y a plus de non-grévistes, les huissiers peuvent se mettre eux-mêmes aux caisses de Carrefour. A coté de cela, la force du nombre est importante : notifier une contrainte à 50 ou 100 personnes est encore faisable pour un huissier. Mais que faire s’il y a 1.000 militants ou plus au piquet? Ce n’est pas une option théorique, un appel des syndicats avec une mobilisation générale à une filiale de Carrefour dans la région bruxelloise aurait très certainement un grand effet.


    Comment réagir face à un huissier?

    A côté du droit de mener des actions collectives, il y a aussi des possibilités de résister à un huissier qui veut imposer une astreinte. Un huissier présent à un piquet ne peut pas simplement demander la carte d’identité d’un participant pour effectivement notifier la contrainte. La police n’a droit à faire un contrôle d’identité que pour une infraction ou un crime (par exemple perturber l’ordre public). L’huissier doit pouvoir s’identifier et prouver qu’il est compétent pour l’arrondissement juridique en question. S’il ne peut pas le prouver, il ne peut rien notifier.

  • Ensemble, résistons pour le droit de grève.

    Personnel en solde, droit de grève en liquidation.

    Alors que la lutte ouvrière d’Alost, fin du 19e siècle, constitue l’arrière-plan de la comédie musicale Daens, l’agression patronale de l’époque redevient actuelle. Malheureusement pas sous la forme d’une comédie musicale mais bien dans le monde réel des huissiers, des piquets de grève et des directions qui économisent sur leur personnel.

    Par Bart Vandersteene, porte-parole du MAS (LSP)

    L’histoire de Daens raconte comment les directeurs d’usines se sont entendus entre eux pour effectuer une pression commune sur les salaires et augmenter la flexibilité (entre autres, en faisant tourner le même nombre de machines avec moins d’ouvriers). Cela doit sembler très actuel pour les travailleurs de Carrefour dont la direction veut diminuer les salaires de 30% et augmenter la flexibilité, via le précédent brugeois. A l’époque de Daens, il était demandé de travailler plus pour un salaire moindre et ceux qui protestaient recevaient une raclée. La différence aujourd’hui ? La gendarmerie de l’époque n’existe plus ; maintenant, on retourne à la tradition des shérifs (comme celui de Nottingham que Robin des Bois combattait), sous la forme d’huissiers.

    L’arrestation de 30 militants syndicaux à un piquet de grève de Ninove est alléede pair avec une interdiction d’actions. Toute une série d’«experts», parmi lesquels des représentants d’organisations patronales et d’autres libéraux mais aussi le professeur Blanpain, ont proclamé que des piquets de grève empêchant l’accès à une entreprise seraient «illégaux» car ils compromettraient «la liberté de travail et d’entreprise».

    Ceci rappelle quasi littéralement l’argumentation de la loi anti syndicale Le Chapelier et le décret D’Allarde (datant tous deux de 1791 et importés chez nous pendant la période napoléonienne) : «Tout attroupement d’artisans, d’ouvriers, de domestiques, de journaliers ou de ceux qui, suite à leurs incitations, s’opposent au libre exercice de l’industrie et du travail de qui que ce soit… sera considéré comme attroupement séditieux et sera, en tant que tel, dispersé par la force publique…». L’envoi d’huissiers sur base de requêtes unilatérales et avec astreintes est une application actuelle de cela. Les Napoléons patronaux déplorent encore toujours la suppression en 1919 de la législation susmentionnée.

    Il y a tout un tas de bases légales pour le droit à des actions collectives, piquets de grèves inclus. Ceci est garanti par la Charte Sociale Européenne et les règles de l’Organisation Internationale du Travail. Différents tribunaux, dont la Cour de Cassation, ont confirmé que les piquets de grève et/ou les barrages routiers font partie du droit de grève. Il y a quelques années encore, le Comité Européen des Droits Sociaux a jugé que des astreintes contre un piquet de grève sont inacceptables. Il n’a jamais été question d’un projet de loi pour confirmer cela : ce n’était pas une priorité pour les membres du parlement.

    Les juges aussi ont leurs priorités. L’enquête judiciaire suite à la méga fraude du géant du textile Roger De Clerck (Beaulieu) traîne depuis plus de 18 ans et il ne semble pas que cela aboutira à une condamnation, étant donné que le « délai raisonnable » est dépassé. Toutefois, lors d’une grève sur l’implantation-Beaulieu de Wielsbeke, tout a pu aller très vite : en un rien de temps, des huissiers ont été mobilisés pour casser la grève. Il est frappant de voir comme la justice belge peut se montrer rapide et efficace lorsqu’il s’agit de casser une grève.

    Auparavant, les matraques des gendarmes s’occupaient de la dispersion des piquets. Il semble que cela n’était pas assez douloureux et c’est sans doute pourquoi, à présent, les grévistes se voient infliger des astreintes astronomiques. C’est ainsi que les patrons foulent aux pieds des accords pris par le passé… En 2002, un soi-disant «accord de parole» a été conclu, dans lequel les employeurs s’engageaient à ne plus procéder à des requêtes unilatérales contre les grévistes. Ces dernières semaines, nous avons malheureusement constaté de nombreuses fois que les patrons sont loin d’être des «gens de parole».

    Pour défendre le droit à l’action collective et s’opposer à la détérioration des conditions de travail et de salaires, nous ne pouvons évidemment pas compter sur le patronat, ni sur les politiciens traditionnels, ni sur la justice. A un moment où l’on ressort Marx pour analyser la crise des capitalistes et où Daens (sponsorisé par Fortis) chante l’agression patronale, nous devons tirer une leçon : une opposition commune des syndicalistes rouges et verts peut offrir un contrepoids.

    Nous ne pouvons compter que sur nos propres forces. Au niveau syndical, sous forme d’actions de protestation massives, il est possible d’arrêter 30 personnes mais 300 ou 3000 ? Au lieu d’engager le combat entreprise par entreprise, il est nécessaire de faire preuve de solidarité. Pour construire un rapport de force, il nous faut aussi mener le combat sur le terrain politique. L’expérience que nous tirons de la politique gouvernementale ainsi que du manque d’opposition nous apprend qu’il ne faut pas compter sur le PS ou le Spa ni sur Ecolo ou Groen. Aujourd’hui, ce n’est pas aux piquets de grève que l’on trouve les « socialistes » mais bien dans les conseils d’administration de Carrefour (Willy Claes), Ethias (Steve Stevaert), Dexia (Patrick Janssens et Frank Beke), BIAC (Luc Van Den Bossche)… Il y a nécessité d’un nouveau parti politique qui reprenne, défende et soutienne les exigences syndicales pour engager le combat aux côtés des travailleurs.

  • Flightcare: Vindevoghel gagne son procès, mais regagnera-t-elle son emploi?

    En juillet 2005, Maria Vindevoghel, déléguée LBC (la Centrale flamande des Employés de la CSC) avait été licenciée sous prétexte qu’elle n’avait pas respecté les règles de sécurité, traquée par la direction pour qui la moindre excuse était bonne pour se débarasser d’une déléguée trop gênante.

    Par un militant LBC/CNE

    La Cour du Travail de Bruxelles vient de juger qu’elle avait été injustement licenciée par Flightcare, que la déléguée et son syndicat avaient été discriminés par cette entreprise et qu’elle devrait maintenant retrouver sa place.

    En soi, c’est une victoire importante. Mais que faire si Flightcare ne réintègre pas la déléguée malgré tout ?

    La Cour du Travail a notamment déclaré qu’il n‘existe aucune base légale pour imposer des astreintes. Il n’existe donc concrètement aucun levier et Flightcare n’a d’ailleurs donné aucune suite à cette décision si ce n’est de faire appel à la Cour de Cassation.

    En France et aux Pays-Bas, un employeur doit d’abord recevoir la permission avant de licencier un délégué. Dans le cas contraire, le licenciement est annulé.

    En Belgique, le renforcement de la protection des délégués est un thème crucial, surtout à l’approche des élections sociales de 2008. Si des astreintes imposées à l’employeur peuvent être une option, la réintégration des délégués injustement licenciés doit être obligatoire.

    Le droit de grève et la protection des délégués ont été acquis sur base de la lutte et de la solidarité, c’est par la lutte et la solidarité que ces acquis seront préservés et élargis.

  • Pour une véritable protection des délégués!

    La Centrale Générale (FGTB) commence une campagne sur les droits syndicaux

    Ce 16 mai s’est déroulé à Saint-Nicolas un débat sur la protection des délégués, où 200 personnes sont venues réagir aux interventions de Rudy De Leeuw (secrétaire fédéral de la FGTB et bientôt président de la FGTB), Marc Rigaux (professeur de droit du travail) et Dirk Vandermaelen (SP.a).

    Geert Cool

    Il s’agissait du début d’une campagne de la Centrale Générale sur les droits syndicaux dans le but d’attirer des candidats pour les élections sociales de 2008.

    Stop à l’intervention de la justice dans les conflits collectifs!

    Ce point a été introduit par l’exemple d’une grève chez Stora Enso à Gand fin 2005. Une action de grève y avait été perturbée par un huissier. Le piquet avait été interdit de même que la tente des grévistes avec la menace d’une astreinte de 1.000 euros par heure!

    Rudy De Leeuw (FGTB) a déclaré à juste titre dans son argumentation contre les interventions judiciaires qu’un piquet de grève fait partie intégrante du droit de grève. De plus, restreindre le droit à la libre expression ou à l’action collective peut mener à la limitation d’autres droits.

    Il constatait également qu’il ne reste pas grand chose du “gentlemen’s agreement” de 2001 entre syndicats et patronat (dans lequel les patrons promettaient de ne pas recourir à la justice durant les conflits collectifs). Le seul problème était sa réponse: “il faut interpeller le patronat”. Comme si cela allait suffire…

    Dans différents cas de licenciement de délégués le plan d’action était faible pour mettre à l’agenda la défense des délégués au niveau sectoriel ou interprofessionnel. Au mieux y a-t-il eu une manifestation, un cortège funèbre plutôt qu’un début de campagne plus large avec actions de grèves sectorielles et régionales.

    Pour le professeur Rigaux de l’Université d’Anvers des arguments juridiques existent contre les requêtes unilatérales, les astreintes, l’utilisation de la procédure du référés,… Ce professeur voit néanmoins un problème important dans l’attitude conservatrice de la justice et spécifiquement de la Cour de Cassation. “Le problème n’est pas d’avoir raison, mais que la justice l’accepte” , selon lui.

    Dirk Vandermaelen n’avait lui pas grand chose à dire. Selon lui, le problème revient en première instance aux partenaires sociaux. Il déclarait que, pour le SP.a, le droit de grève est sacré et qu’il revient aux syndicats et au patronat de faire des accords sur ce point. “Si la FGTB veut du travail législatif, nous allons y participer”, promettait-il, non sans s’empresser de rappeller la présence des libéraux au gouvernement… Vandermaelen pensait s’en tirer ainsi facilement.

    Comment renforcer la protection des délégués?

    Pour le professeur Rigaux il serait utile de changer la loi à l’instar de la France et des Pays-Bas où le patron doit recevoir une autorisation au préalable avant qu’un délégué ne soit licencié sans quoi le licenciement est suspendu et le délégué reste dans l’entreprise. Selon Dirk Vandermaelen il y a déjà une grande protection sur base de la loi de 1991, mais le problème se trouve dans l’application par les Tribunaux. “Avec d’autres juges, on pourrait déjà faire beaucoup”, selon lui.

    Rudy De Leeuw, par contre, défendait la proposition de Rigaux pour rendre la protection des délégués impérative sous peine d’annuler le licenciement. Mais évidemment le “mais” a rapidement suivi. Si la loi doit être changée, De Leeuw craint qu’il n’y ait “pas assez de combativité” au Parlement et qu’une réforme ne mène au démantèlement des autres éléments de protection des délégués.

    Le droit de grève et la protection des délégués ne sont pas pour nous qu’une question de règles, de procédures et de recours juridique. Un rapport de forces dans la société est l’arme la plus puissante dont on dispose. Commencer une campagne autour de la protection syndicale est un premier pas utile, mais le contenu de cette campagne n’a malheureusement pas été discuté dans ce débat.

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