Tag: Côte d’Ivoire

  • Côte d’Ivoire : Soutien aux travailleurs des Grands Moulins d’Abidjan (GMA)

    Stop à la victimisation des syndicalistes ! Réintégrez les dirigeants limogés du SYT-GMA !

    Les « Grands Moulins d’Abidjan », ou GMA, sont des minoteries situées dans la zone portuaire de la capitale ivoirienne, qui occupent un rôle clé dans l’économie du pays. Ils produisent de la farine de blé, du son de blé et de l’alimentation animale, commercialisés dans toute l’Afrique de l’Ouest, dont 70 % de la farine distribuée en Côte d’Ivoire même. En 2018, les Grands Moulins ont été rachetés par une multinationale américaine cotée à la Bourse de New York appelée Seaboard Corporation, qui opère dans 45 pays à travers le monde, dont 16 sur le continent africain. La nomination d’un nouveau directeur par le groupe en juin 2020 a marqué le début d’une offensive contre les conditions de travail et les droits des salariés.

    Par Militant CI (ASI en Côte d’Ivoire)

    En avril 2021, suite à une grève infructueuse des travailleurs des GMA, ils décident de créer leur propre syndicat indépendant, le SYT-GMA (Syndicat des Travailleurs des Grands Moulins d’Abidjan). La création d’une représentation syndicale digne de ce nom fut la conséquence logique de l’inertie de longue date des « délégués » de l’époque, affiliés à l’Union Générale des Travailleurs de Côte d’Ivoire (UGTCI), lesquels étaient cooptés par la direction et travaillaient main dans la main avec cette dernière pour étouffer toute véritable revendication des travailleurs, et avaient dévoyé leur grève pour des raisons intéressées. « “Ils répondaient aux ordres de la direction, pas des travailleurs »”, nous dit Digbé Patrick Raymond Lucien, le secrétaire général du SYT-GMA, lors d’un entretien avec Militant CI.

    Après sa création, le SYT-GMA s’est battu pour obtenir la première élection syndicale plurielle et transparente sur le lieu de travail en 58 ans, une élection au cours de laquelle il obtint une majorité écrasante, avec 8 délégués du personnel élus sur 10 appartenant au nouveau syndicat – et ce après seulement 3 mois d’existence. 160 des 260 ouvriers et employés des GMA sont désormais affiliés au SYT-GMA.

    La combativité et l’absence de compromissions du SYT-GMA dans sa lutte contre l’exploitation des travailleurs et les conditions de travail précaires au sein de l’entreprise, et dans sa contestation des diktats patronaux, a rapidement modifié le rapport de forces et permis d’obtenir des gains importants pour les travailleurs des GMA. Ceux-ci comprennent, entre autres, une assurance maladie pour tous les ouvriers et employés (qui n’était auparavant disponible que pour les cadres de l’entreprise), des allocations familiales, la réhabilitation des vestiaires, ou l’accès à de l’eau minérale propre pour tous les travailleurs au lieu de l’eau insalubre qu’ils étaient obligés de boire auparavant.

    La réponse de la direction face à l’émergence du SYT-GMA ne s’est pas faite attendre, avec une longue série de tactiques de harcèlement et d’intimidation, combinée à des tentatives d’amadouer et de compromettre les nouveaux délégués par des faveurs matérielles et un traitement privilégié — une tentative évidente de neutraliser le nouveau syndicat. Les patrons étaient en effet habitués à des délégués qui rentrent dans le rang, et qui ne les contredisent presque jamais — pas à des délégués qui résistent et organisent les travailleurs dans l’entreprise afin d’améliorer leur sort.

    Le point culminant de cette campagne vindicative de la part des patrons est tombé cet été avec leur décision de licencier cinq membres du bureau exécutif du SYT-GMA en mai, juin et juillet — juste après que le syndicat eut déposé un préavis de grève sur la base d’une série de revendications auxquelles la direction avait fait la sourde oreille. Ces revendications comprenaient, ironie du sort, la fin du harcèlement des représentants syndicaux, mais aussi le respect de la semaine de 40 heures, des primes de travail de nuit, une allocation logement, la présence d’un service de santé la nuit et la définition d’une grille salariale claire. 

    Ces licenciements sont clairement illégaux aux yeux de la constitution ivoirienne qui, dans son article 17, garantit sur le papier le droit de grève, tant dans le secteur public que privé. Ils ont été faits sans aucune compensation, et avec la pleine complicité et l’approbation formelle de l’Inspection du travail. Comme les travailleurs s’en sont vite rendu compte, l’État a agi de mèche avec les patrons des GMA pour briser leur lutte, la police spéciale du Port ayant même été mobilisée pour arrêter temporairement plusieurs dirigeants du SYT-GMA en mai de cette année.

    Alors que les prix continuent d’augmenter dans tout le pays et que les travailleurs sont plus sous pression financière que jamais, l’entreprise choisit d’attaquer le seul véritable syndicat des travailleurs par tous les moyens disponibles, plutôt que de faire la moindre concession. Cette intransigeance patronale n’a rien à voir avec un manque de capacité matérielle pour l’entreprise : les GMA font un chiffre d’affaires d’au moins 300 millions de francs CFA par jour (=environ un demi-million de dollars américains) tandis que Seaboard Corporation a enregistré un bénéfice de 2,4 milliards d’euros en 2016. Cela a tout à voir avec une tentative d’intimidation des travailleurs pour qu’ils se gardent de soutenir le syndicat, pour les maintenir dans la peur et la pauvreté en paralysant leur principal moyen de résistance, tout ça afin d’assurer la poursuite par les patrons de leur guerre de classe à sens unique, et remplir les comptes en banque des actionnaires de la compagnie.

    Militant CI et ASI appellent à la plus ample solidarité internationale possible avec la lutte courageuse des travailleurs des GMA et de leur syndicat. Une issue positive à cette lutte pour les droits syndicaux et la dignité des travailleurs pourrait avoir un impact beaucoup plus large dans la reconstruction d’un mouvement ouvrier organisé et combatif en Côte d’Ivoire. C’est particulièrement le cas compte tenu de la place particulière qu’occupent les GMA dans l’économie ivoirienne et de leur localisation dans une zone industrielle concentrée, là où des dizaines de milliers d’autres travailleurs sont confrontés à des conditions d’abus similaires et à un manque de syndicats réels. C’est pourquoi les travailleurs des GMA ont besoin de notre solidarité et de notre soutien, et pourquoi le reste du mouvement syndical et socialiste, en Côte d’Ivoire et à l’échelle internationale, devrait se joindre à leur lutte.

    Non au management dictatorial ! Défendons les libertés syndicales ! Réintégrez les dirigeants licenciés du SYT-GMA, et améliorez les salaires et les conditions de tous les travailleurs !

    Vous pouvez aider dans cette lutte pour la liberté syndicale en:

    • envoyant des lettres de protestation (voir ci-dessous un modèle de lettre pouvant être utilisé à cet effet) à gregs@somc.co.za (Greg Stough, Directeur Général Afrique de Seaboard Corporation) et à seaboard@seaboardcorp.com (Siège gGénéral de Seaboard Corporation à Kansas City, Etats-Unis), avec copie à odigbahio@gmail.com (Militant CI)
    • appelant le +1 913-676-8800 (Siège gGénéral de Seaboard Corporation à Kansas City), pour exiger la réintégration immédiate de Digbé Patrick Raymond Lucien, Coulibaly Ibrahima, Dosso Lassina, Ehui Atta Jean Claude et Sieni Désiré
    • partageant cet appel à la solidarité sur les réseaux sociaux. 

    Modèle de lettre de protestation:

    “Madame, Monsieur,

    Nous avons/j’ai pris connaissance des cinq licenciements abusifs de dirigeants du Syndicat des Travailleurs des Grands Moulins d’Abidjan (SYT-GMA) que votre entreprise a conduits cette année. Nous sommes/je suis pleinement conscient(e)(s) que cette décision est directement liée à leur activité syndicale, ce qui est en violation flagrante de la loi. Cette décision fait partie d’une campagne plus large visant à générer la peur et l’intimidation contre les travailleurs des Grands Moulins qui tentent de s’organiser sur leur lieu de travail pour protéger leurs droits les plus élémentaires. Nous sommes entièrement solidaires des travailleurs des GMA et du SYT-GMA dans leur lutte pour la liberté syndicale et pour que leurs justes revendications pour de meilleures conditions de travail et de rémunération soient pleinement satisfaites. Nous/j’exigeons/e la réintégration immédiate de Digbé Patrick Raymond Lucien, Coulibaly Ibrahima, Dosso Lassina, Ehui Atta Jean Claude et Sieni Désiré, et veillerons/veillerai à ce que, faute de quoi, les pratiques abusives de votre entreprise soient largement exposées.

    Bien à vous,

    XXX.”

  • Côte d'Ivoire. Réélection de Ouattara au terme d'un scrutin d'un «calme à faire peur»

    La dictature se consolide tandis que l’«opposition» se ridiculise – temps de tourner la page!

    AlassaneCe dimanche 25 octobre était une date depuis longtemps attendue par l’ensemble de la population de Côte d’Ivoire mais aussi de la «communauté internationale» et des fameux «investisseurs étrangers» qui, parait-il, attendaient la fin de ce scrutin avant de venir nous arroser de leur pluie de milliards. Les élections présidentielles se sont bien déroulées, et, à la suite d’une campagne marquée par de nombreuses irrégularités, l’arrogance du pouvoir, la neutralisation de l’opposition et un sentiment de résignation de la part de la population désabusée face à une élection sans enjeu, ont fini par mener à la réélection du président sortant Alassane Dramane Ouattara, sans que cela ne surprenne ni n’émeuve qui que ce soit.

    Ouattara, vainqueur sans gloire, s’incruste à la tête de son État policier et de son gang de pillards. Pendant ce temps, les partis d’opposition bourgeois et petite-bourgeois, notamment les deux tendances du FPI, ont confirmé aux yeux du monde entier leur impuissance, leur désorganisation, leur manque de vision et de stratégie.

    Maintenant qu’une page a été tournée, il est plus que temps de rassembler les forces éparses de la gauche ivoirienne, tirer ensemble les leçons qui s’imposent et réorganiser un mouvement de lutte prolétarienne, véritablement national, armé d’un programme socialiste, en tant que seul outil de lutte pour une transformation radicale de la société ivoirienne, la liberté, la justice, le développement, la richesse partagée, la souveraineté nationale et l’indépendance véritable politique et économique.

    Déclaration du Comité pour une Internationale Ouvrière – Côte d’Ivoire

    Les élections : une véritable mascarade

    On ne cesse de le répéter depuis deux ans : les conditions dans lesquelles se sont déroulées ces élections ont été lamentables. Tout d’abord, la Commission électorale indépendante, composée en majorité de personnes proches du pouvoir et avec à sa tête le même Youssouf Bakayoko qui a été un des acteurs majeurs de la crise de 2010, n’inspirait confiance à personne. Ensuite, l’absence de tout débat politique entre pouvoir et opposition : aucun dialogue, aucune liberté de meeting, aucun droit de passage à la télévision… Sans compter les très nombreux prisonniers politiques et exilés, qui n’ont bien entendu pas eu leur mot à dire ! Le tour majeur a été la division organisée par le régime, avec la corruption de certains cadres, l’enfermement d’autres, et la mise au pas de partis tels que le PDCI dont les membres ont été brutalisés pour accepter le fameux «appel de Daoukro» qui faisait d’Alassane Ouattara « le candidat du PDCI» sur simple volonté de Bédié et contrairement aux décisions du congrès.

    Ensuite, la question de l’éligibilité de Ouattara qui a fait couler tellement d’encre et marcher tellement de gens (une question que nous avons toujours considéré comme un faux débat). Alors que le débat a duré pendant toute l’année, ce n’est finalement qu’à quelques semaines des élections que le Conseil constitutionnel, dirigé par un certain Mamadou Koné depuis la démission de Francis Wodié, a tout à coup annoncé qu’Alassane pouvait bel et bien être candidat. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

    Puis on a vu la défaillance dans l’opération d’inscription des nouveaux électeurs du mois de juin, qui a dû être prolongée d’un mois vu le faible engouement. Alors qu’on s’attendait à «entre 2,3 et 3,3 millions de nouveaux votants» (le gouvernement n’a même pas de chiffres de population fiables !), seul 108 387 jeunes Ivoiriens sont venus s’inscrire (chiffres donnés entre autres par le magasine Jeune Afrique). Alors que le nombre d’électeurs potentiels devait être de 8 à 9 millions selon le recensement de l’année passée, on n’avait que 6 millions d’inscrits cette année. Puis ça a été la même comédie avec les cartes d’électeurs qui devaient être retirées dans les semaines avant le scrutin. Selon le code électoral, la date limite de retrait des cartes ne peut dépasser 8 jours avant le vote. Mais vu que les foules, une fois de plus, ne se pressaient pas, le régime s’est vu contraint de reporter le délai au vendredi 23/10… pour finalement annoncer qu’il serait possible de voter sans sa carte d’électeur ! Tant le régime a commencé à s’inquiéter du fait que l’élection serait véritablement boudée par les Ivoiriens.

    Après avoir manœuvré pendant cinq ans pour s’assurer la mort de toute opposition politique, et après deux ans de meetings tournants régionaux de « précampagne » financés par la caisse de l’État, voilà que tout à coup le régime s’est rendu compte que la campagne électorale n’intéressait absolument personne, tant il était évident que Ouattara serait réélu. Le gouvernement a alors pris la décision d’accorder 100 millions de francs à chaque candidat « pour faire campagne », de façon totalement illégale.

    Pendant ce temps, les gares ne désemplissaient pas, vu le grand nombre de personnes qui cherchaient à fuir Abidjan pour aller se réfugier qui en brousse, qui au Ghana ou au Burkina, en attendant l’issue des élections.

    Le jour même du vote, on constatait que les tablettes censées permettre une identification rapide, facile et infaillible des électeurs, ne fonctionnaient pas. Des tablettes achetées pour la somme de 11 milliards de francs au même M. Kagnassi, responsable de nombreux cafouillages électoraux dans toute la sous-région, y compris en Côte d’Ivoire en 2010 (la fameuse opération d’enrôlement des électeurs à 160 milliards de francs) ; le même M. Kagnassi est aussi celui à qui on a confié la «rénovation» de l’université de Cocody (source : L’Éléphant déchainé, 30/10/15). On se demande bien comment un tel individu peut encore se voir attribuer le moindre marché public. Bref…

    Le soir du dimanche, le pouvoir a commencé par annoncer un taux de 60 % de participation. Devant la risée générale, y compris de plusieurs ambassades, le taux a été revu à la baisse, à 55 %… Avant d’être « rectifié » à 52 %. Mais qu’on soit bien clairs : ces 52 % expriment 3 129 742 suffrages sur 6 301 189 inscrits (si les chiffres donnés par le régime lui-même sont véridiques, et ils s’approchent sans doute de la réalité). Or, si l’on prend en compte le fait que 3 millions de jeunes « nouveaux électeurs » n’ont pas été s’inscrire, les 3 129 742 électeurs qui se sont exprimés le 25 octobre, sur une population en âge de voter de 9 millions d’habitants, nous donnent en réalité un taux de participation d’à peine 35 %, et non 52 % !

    Si on avait compté, comme le régime a voulu le faire, que le taux de participation est de 60 %, alors Ouattara avec ses 83,66 %, aurait obtenu le chiffre magique de 50,2 %, ce qui représenterait une majorité absolue de la population. Mais si on prend en compte le taux de participation réel de 35 % (en tenant compte des non-inscrits et des inscrits non votant), Ouattara n’a dans les faits reçu les suffrages que de 29 % des Ivoiriens.

    En réalité, avec ses 2 618 229 voix selon le résultat officiel, Ouattara n’a quasiment pas amélioré son nombre de voix de 2 483 164 au second tour des élections de 2010. Si en 2010 les 2 483 164 voix donnaient 54 % (chiffre contesté), comment 2 618 229 voix peuvent-elles donner 84 % ? N’oublions non plus que dans toutes ces voix, la moitié lui viennent du PDCI…

    Il n’y a donc pas lieu de brandir les soi-disant «11 % de taux de participation» que sort d’on ne sait où le FPI-Sangaré pour décrédibiliser cette élection. Les chiffres officiels donnés par le régime nous suffisent amplement à dire qu’Alassane Dramane Ouattara n’est pas le dirigeant légitime de ce pays.

    Et ce sont ces élections organisées à la va-vite, truquées, trafiquées, muselées, boudées… que la plupart de la presse occidentale cherche aujourd’hui à nous présenter comme étant «les premières élections pacifiques jamais organisées en Côte d’Ivoire.»

    Voici ce qu’écrivait le journal français Le Monde à ce sujet : «En Afrique, une victoire au premier tour n’est pas nécessairement un bon signe démocratique. Surtout avec un score «à la soviétique» de 83,6 %, tel que celui obtenu par Alassane Ouattara. Rien de cela en Côte d’Ivoire. La réélection au premier tour du chef de l’État sortant intervient à l’issue d’un vote apaisé, reconnu, endossé par les observateurs sur place et l’ensemble de la communauté diplomatique internationale. Même si la logistique ne fut pas sans reproche le jour du vote. Mais l’on passe beaucoup de choses au président Ouattara, et personne n’insistera sur les manquements de ce scrutin. Fort de son score et d’un taux de participation honorable (près de 55 %), le président sort crédibilisé de ce scrutin »

    Et de rappeler que les élections de 2010 s’étaient soldées par un bain de sang, pour lequel Gbagbo a été emprisonné… comme si Ouattara n’avait lui, par contre, rien à voir avec cette violence ?!

    L’opposition : impuissante, désorganisée, sans vision

    L’opposition nous a donné un bien piètre tableau tout au long de cette année électorale. Il lui a fallu énormément de temps pour se mettre en route, et les nombreuse hésitations des «leaders» n’ont pas contribué à l’engouement. Pourtant, comme nous l’avions analysé il y a maintenant un an, la situation n’avait jamais été aussi mure pour l’émergence d’un candidat indépendant. En effet, les Ivoiriens sont fatigués de ce feuilleton qui n’en finit pas des trois partis politiques et de leurs leaders. Ces trois partis perdent petit à petit leurs membres et leur implantation, et c’est ce qui avait été révélé par les élections municipales de 2013, où pour la première fois dans l’histoire de notre pays, la majorité des communes ont été occupées par des indépendants et non par un des trois grands partis. L’intérêt pour les candidats indépendants s’exprimait aussi par tout le débat qui a eu lieu à propos d’un éventuel régime de transition.

    Mais de manière générale, la CNC et ses «leaders» ont trahi tous les espoirs, non seulement les nôtres, mais aussi ceux des Ivoiriens qui espéraient voir un changement de tête au sommet de l’État pour tourner la page et présider à une véritable «réconciliation».

    Ainsi, nous écrivions, dans le premier numéro de notre bulletin, L’Étincelle, paru en février 2015, que KKB était pour nous le candidat qui avait le plus de potentiel de présider à la constitution d’un front radical large anti-Ouattara. Cependant, nous écrivions aussi que «pour cela, KKB devra rompre avec son parti en prenant avec lui autant de militants que possible, faire une autocritique franche et honnête de ses prises de position passées, et adopter un programme de lutte autour de thèmes militants tels que l’emploi, l’enseignement, le pouvoir d’achat, le logement et la nationalisation des secteurs-clés de l’économie et des ressources naturelles, en développant une véritable dynamique autour de ces thèmes.» KKB a été le candidat le plus virulent par ses déclarations fracassantes qui souvent touchaient juste, mais étaient essentiellement destinées à susciter l’intérêt des pro-Gbagbo. Il a aussi été le premier candidat à se rendre à La Haye pour rendre visite à Laurent Gbagbo, créant un véritable buzz autour de sa personne. Il bénéficiait aussi du fait d’e?tre un jeune et d’apporter un peu de sang neuf dans la course électorale, par rapport aux vieux politiciens usés.

    Malheureusement, KKB n’a pas du tout cherché à créer un mouvement autour de lui, se contentant de faire du bruit. Il n’a pas non plus donné de vision claire de son programme avant la fin du scrutin – un programme qui d’ailleurs ne tranchait pas avec l’impérialisme, puisque pour lui : «Pour industrialiser notre pays, il faut avoir des capitaux. Des capitaux qui viennent de l’étranger. Il faut faire en sorte que la Côte d’Ivoire redevienne une sorte de paradis fiscal pour attirer les capitaux étrangers.» Bref, on voit qu’avec son score de 4 % et sa place de troisième candidat, il aurait pu faire beaucoup mieux, s’il l’avait voulu.

    Mais le voulait-il ? Voici quelqu’un qui, quelques jours avant les élections, lançait encore : «De même qu’un pont peut valoir deux mandats, aujourd’hui débarrasser les Ivoiriens de Ouattara peut valoir dix voire quinze mandats». La même personne qui, devant un public conquis à la cause de Laurent Gbagbo, lançait il y a à peine trois mois : «Le président des Ivoiriens est à l’étranger, alors que le président des étrangers est en Côte d’Ivoire!», ou encore : «Ouattara ne peut pas gagner d’élection en Côte d’Ivoire, parce qu’il n’a jamais gagné d’élection en Côte d’Ivoire!» Et revoilà le même KKB qui, avant même la proclamation des résultats, félicite déjà Ouattara pour sa victoire, allant même jusqu’à «souhaiter que cet autre mandat soit pour lui l’opportunité de continuer à rassembler les ivoiriens, à les unir et à leur offrir le bonheur qu’ils sont en droit d’attendre de leurs dirigeants. Que Dieu l’aide dans cette noble mission.» La candidature de KKB n’était-elle donc qu’une autre farce orchestrée pour le régime, à la recherche de candidats pour «accompagner» Ouattara ?

    Essy Amara est lui aussi l’exemple type de cet opposant indécis qui déçoit les grandes attentes placées en lui. Alors que ses partisans étaient venus l’accueillir nombreux à l’aéroport et ont même été jusqu’à créer leur propre journal, voilà que la cérémonie d’investiture a été sans cesse retardée, que l’individu se livre à un jeu de passe-passe au moment de (ne pas) rejoindre la CNC, et finit tout bonnement par se retirer de lui-même de la course électorale. Au moins a-t-il été consistant dans son refus de s’engager dans ce simulacre d’élections.

    Tout le contraire de Banny, qui lui, a tout donné et s’est enfoncé comme il le pouvait dans la «campagne électorale», jusqu’au vendredi avant-veille du scrutin. C’est à n’y rien comprendre. Si les conditions pour l’élection n’étaient pas réunies, alors pourquoi participer ? Mais si on a participé, c’est qu’à un moment on pensait que les conditions étaient réunies, ou du moins sur le point d’être réunies ? Au final, Banny, qui a fait deux fois le voyage à La Haye et comptait certainement, à tort, sur un éventuel appel de Gbagbo aux militants du FPI, ressort la queue entre les jambes. Le laissera-t-on prendre sa retraite au PDCI ?

    Finalement, la CNC a péché par son manque de stratégie et de vision. Tout d’abord, étant dominée par des individus aux visées opposées, elle ne s’est jamais fixé pour objectif une candidature unique contre Ouattara, préférant se cantonner à demander des «élections véritablement transparentes». Or, même cet objectif minime n’a jamais pu être atteint. Qu’aurait-il fallu faire pour l’obtenir ? Il aurait fallu mobiliser les foules pour faire pression sur le régime. Or, pour bon nombre d’Ivoiriens, à quoi bon se battre pour des élections transparentes, si aucun des candidats potentiels ne répond à leurs attentes ? Quand on sait en plus les risques que cela peut engendrer. Qu’y a-t-il à y gagner ? Il n’aurait été intéressant d’avoir des élections véritablement transparentes que si, à la clé, cela aurait pu assurer de pouvoir élire un candidat qui suscite un engouement.

    D’autre part, pendant que la CNC avait été officiellement constituée pour appeler à des élections transparentes et apaisées, la majorité de ses membres étaient issus du FPI-Sangaré qui, lui, appelait à boycotter les élections et n’est jamais revenu sur ce mot d’ordre. Comment peut-on appeler à boycotter des élections qu’on désire en même temps «libres et transparentes» ?? Au final, le seul slogan qui était véritablement repris lors des meetings de la CNC était «Libérez Gbabgo!»

    Pendant ce temps, les indépendants issus du PDCI semblaient considérer ces meetings comme des « primaires » pendant lesquelles ils auraient pu convaincre la base FPI de les adopter comme candidat. C’est pourquoi chacun d’eux a cherché à rivaliser de discours assassins envers le régime, allant jusqu’à tomber dans la pure démagogie, avec des propos peu susceptibles de rassembler l’ensemble de la population.

    Bref, empêtrée dans ses multiples contradictions, la CNC n’a jamais pu donner de mots d’ordre clairs à la population ni la moindre orientation quant aux objectifs à atteindre. Elle s’est contentée de dénoncer Ouattara en tant qu’individu sans chercher à décortiquer son programme de société néolibéral et pro-impérialiste, ni à présenter une alternative «nationaliste». De plus, par ses  attaques à la nationalité», la CNC n’a fait que donner du crédit aux discours de Soro et repousser dans les bras du RDR les nombreux nordistes qui commençaient à douter de Ouattara et de sa politique. En divisant les Ivoiriens, elle a donc renforcé le régime et sa base sociale.

    D’ailleurs, le programme de l’ensemble des candidats de l’opposition était finalement le même que celui d’Alassane, à part l’un ou l’autre détail. Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut «développer le pays par l’industrialisation et la transformation de nos matières première grâce à l’apport de capitaux étrangers, ce qui nécessite de créer un environnement propice aux affaires». Mais n’est-ce pas ce que fait déjà le régime RHDP ? Alors à quoi bon risquer de déstabiliser une fois de plus le pays, si c’est pour de toute façon obtenir la même chose ?

    Enfin, la CNC a été incapable d’identifier les moyens qui auraient pu ébranler le régime. Pourtant, il est clair qu’on ne chassera pas Ouattara et qu’on ne mettra pas un terme à sa politique néolibérale pro-impérialiste simplement en marchant à Yopougon, à Dabou ou à Bonoua, quand bien même la marche regrouperait des milliers de personnes (ce qui n’était de loin pas le cas). La seule arme capable d’effectuer un véritable changement est un front uni des syndicats des travailleurs, en lutte pour leurs droits.

    Pourquoi l’impérialisme soutient-il Ouattara ? Parce que c’est lui qui assure que les Ivoiriens travaillent dans les entreprises françaises qui contrôlent 40 % de notre économie et rapportent des profits considérables à quelques grands patrons français. Si, par la grève, nous faisons en sorte que plus aucun argent ne rentre dans les poches de ces grands patrons, alors le règne de Ouattara touchera à sa fin. Mais ce n’est que la dernière semaine que la CNC est parvenue à arracher à certains syndicats une motion, selon laquelle les syndicats se disaient inquiets des conditions dans lesquelles se déroulaient le scrutin. Trop peu, trop tard.

    Au final, la raison fondamentale pour laquelle la CNC a été incapable de jouer un véritable rôle, n’est pas le simple «manque de vision», «manque de formation» ou «individualisme» de tel ou tel «leader de l’opposition». La raison est que la CNC était un conglomérat de forces bourgeoises ou petites-bourgeoises qui sont liées au capitalisme et n’ont aucun intérêt à voir les syndicats jouer un rôle de premier plan dans la politique du pays, ni à donner le pouvoir à la masse populaire. Puisqu’une fois arrivés au pouvoir, tous ces dirigeants partagent un programme dans lequel les travailleurs ivoiriens devront docilement travailler pour le compte d’«investisseurs étrangers», censés «développer le pays» pour le plus grand profit de la bourgeoisie nationale ivoirienne. Il ne faut donc pas s’étonner que la CNC, dès le début, donne l’impression de se battre avec un bras dans le dos. Seule une force prolétarienne pourra proposer aux habitants de Côte d’Ivoire un véritable programme de lutte et d’action pour rompre à la fois avec la dictature, l’impérialisme et le capitalisme.

    Le FPI : toujours la même soupe

    L’aile du FPI, dorénavant surnommée comme «messianique» par l’Éléphant déchainé (c’est-à-dire, qui attend le Messie qui viendra les libérer), brille également par son incohérence et son incapacité à mener le moindre débat sérieux. Voilà des gens qui ne parviennent pas à organiser le moindre mouvement depuis quatre ans, mais qui tout d’un coup sont convaincus qu’ils parviendront à faire tomber Alassane en deux semaines par l’organisation de marches éclatées. Qui, pour ne pas s’associer avec des « ennemis de Gbagbo », vont s’associer à d’autres ennemis de Gbagbo.

    Des gens dont la presse ne fait que relayer les moindres rumeurs venant de l’Élysée et qui appellent de toute leur âme l’intervention de la France pour chasser Ouattara. Les mêmes qui avaient fêté la victoire de François Hollande sur Sarkozy, croyant que cela allait changer quelque chose. Incapables de mener le moindre combat sans leur leader emprisonné et de développer le moindre projet de société.

    Incapables aussi de tirer les moindres leçons du passé et notamment de leur défaite de 2010. Le congrès de Mama aurait pu servir de lieu de débat serein pour identifier les raisons qui ont fait perdre le pouvoir au FPI et tirer les conclusions révolutionnaires qui s’imposaient en terme de stratégie et de programme. On aurait ainsi pu convaincre les «affidés» de la justesse du combat à mener. Au lieu de ça, la simple réélection de Gbagbo pour soi-disant clouer le bec à Affi, n’a fait que tirer le parti encore plus en arrière. Le FPI-Sangaré ressemble de plus en plus à une secte, qui s’enfonce dans le mysticisme et préfère les «songes» et «prophéties» à l’analyse politique rationnelle.

    Au lieu d’envoyer leurs nombreux militants en campagne dans les quartiers et dans les zones industrielles pour mener une agitation et organiser la population autour de thèmes concrets : contre la cherté de la vie, pour des hausses salariales, pour plus d’investissement dans les secteurs publics, etc., le FPI-Sangaré préfère se croiser les bras tant que Gbagbo n’est pas libéré.

    Au lieu de reconnaitre Ouattara pour les quelques mérites de sa politique, de poser le pour et le contre mais en démontrant les tares de sa politique néolibérale et pro-impérialiste et d’en tirer des conclusions argumentées en termes politiques, le FPI-Sangaré préfère rester au niveau de la calomnie, des ragots, des attaques personnelles, des alertes au complot… Et les titres de la presse bleue deviennent de plus en plus fantaisistes de jour en jour.

    Au lieu d’utiliser contre lui-même les chiffres donnés par le pouvoir, qui montrent selon nos calculs (et ceux d’Essy Amara, d’ailleurs) qu’Alassane n’a été réélu que par 29 % des Ivoiriens, le FPI-Sangaré préfère balancer un taux de participation sorti d’on ne sait où, de 11 %, et s’y tenir.

    Le FPI-Sangaré considère que les « 89 % » qui n’ont pas voté ont suivi son appel au boycott. En réalité, on sait bien que le faible taux de participation, de 35 % (52 % des 67 % d’inscrits), est dû à toute une série de facteurs, notamment la peur de voir les élections dégénérer, la crainte de représailles, le manque d’intérêt d’un scrutin dont on connaissait déjà le vainqueur, l’absence de tout candidat crédible… L’appel au boycott a été un facteur, mais un facteur parmi d’autres.

    En réalité, lorsqu’Alassane Ouattara déclare au lendemain des élections que « le FPI sera vidé de sa substance », il ne fait qu’observer le processus déjà en cours au sein du FPI à l’heure actuelle.

    Affi : la solitude pour avenir

    En vérité, comme le titrait l’Éléphant déchainé la semaine passée, le FPI a enfin tenu son congrès. C’était là le seul véritable enjeu de ces élections. Affi, qui prétendait avoir la majorité des membres du FPI derrière lui, parviendra-t-il, oui ou non, à obtenir un score honorable ? Avec ses 9 % sur un taux de participation réel de 35 %, Affi a donc obtenu le vote de 3 % des Ivoiriens. Pas terrible. Alors que 1 756 504 personnes avaient voté pour Gbagbo au premier tour des élections de 2010, Affi fait 290 780 voix, sachant que ces élections auraient dû compter 3 millions d’électeurs supplémentaires…

    Affi, contrairement à ses opposants «frondeurs», a cherché à tirer les leçons de la défaite de 2010. Le problème est qu’il a tiré des conclusions totalement opposées aux nôtres. Pour Affi et son groupe, le FPI a perdu le pouvoir parce qu’il a été «trop radical», parce qu’il n’a pas cherché à bien négocier avec la «communauté internationale», parce qu’il a été  trop dans l’idéologie». Le camp Affi a donc développé une nouvelle doctrine «social-démocrate» pour qui l’idéal socialiste est une idée du passé, une utopie. Le camp Affi s’est en outre fourvoyé en prétendant que, Sarkozy ayant perdu le pouvoir, «Ouattara avait perdu ses fétiches».

    Ce camp accepte le capitalisme et le compromis. Il ne faut donc pas s’étonner d’y retrouver la plupart des membres de la « bourgeoise FPI », tels que Marcel Gossio, Christophe Gnéhiri, etc. des individus riches pour qui les affaires priment sur l’idéologie et la lutte. Pour cette bourgeoisie, le combat du FPI est essentiellement axé sur un partage du gâteau plus équitable entre bourgeoisie étrangère et bourgeoisie nationale. Sans compter qu’Affi N’Guessan lui-même n’est en liberté que par une décision de justice qui lui a accordé un sursis tandis que Simone Gbagbo a été condamnée à 20 ans de prison.

    Le camp Affi s’est de plus décrédibilisé aux yeux des militants sincères par son refus d’organiser le congrès, par ses nombreux recours judiciaires à l’encontre de ses camarades de parti, par ses attaques à peine voilées contre la personne de Laurent Gbagbo. Le but d’Affi et de ses amis est de faire du FPI un parti « normal », de tourner la page des années Gbagbo. Il ne faut donc guère s’étonner de sa défaite électorale retentissante.

    D’où vient le soutien à Alassane ?

    Malgré les nombreuses irrégularités qui ont entaché le scrutin, on ne peut dire qu’Alassane ne jouit d’aucun soutien dans la société. Son premier atout est la passivité et la résignation. En l’absence de la moindre alternative crédible à sa politique, il a pu déployer toute la force de sa machine de répression pour faire taire les quelques mouvements d’opposition qui tentaient de se constituer, allant jusqu’à attaquer une marche de mamans de Yopougon qui voulaient protester contre les enlèvements d’enfants. Pour beaucoup d’Ivoiriens, même si tout ne va pas bien et que les ministres RHDP se complaisent dans la corruption et l’impunité, «au moins, le pays avance, nous avons une certaine stabilité et nous pouvons réaliser nos projets». Personne n’est prêt à prendre le risque de jeter à nouveau le pays dans le chaos pour mettre en place un politicien qui appliquera de toute manière le même programme qu’Alassane. La réconciliation, la démocratie, «ça ne se mange pas».

    Alassane Ouattara est quand même parvenu à accomplir de grands travaux d’infrastructure (et pas seulement un ou deux ponts), à améliorer le revenu des paysans, à diminuer la fréquence des coupures d’eau et d’électricité, à faire revenir toute une série d’investisseurs étrangers… Même si les fruits de la croissance tardent à se faire sentir dans la poche des Ivoiriens (ce qui est normal vu la nature néolibérale de sa politique), même s’il mène une politique avant tout à destination des riches, même si de très nombreuses promesses n’ont pas été tenues, de l’avis de beaucoup de gens, le pays est mieux géré qu’avant.

    Non, Alassane n’est pas indéboulonnable, mais en l’absence d’une alternative, d’une stratégie de lutte capable de redonner la foi à la majorité désabusée, et d’un projet de société crédible, il reste en place « par défaut ».

    Vers où allons-nous à présent ?

    Il est clair que l’ensemble des facteurs de déstabilisation et de mécontentement sont toujours là. Mais la population ne trouve aucune force et aucun leader crédible capable d’organiser et de donner une voix à ce mécontentement, de l’orienter sur le chemin de la lutte et de donner des objectifs et des mots d’ordre clairs.

    Alassane n’ayant plus de nouvelle échéance électorale devant lui, on aurait pu s’attendre à ce qu’il cherche à mettre en place un gouvernement d’« union nationale » auquel toutes les forces politiques du pays auraient été conviées. Malheureusement, galvanisé par sa victoire, le pouvoir RHDP continue dans la même arrogance qui le caractérise. « Je suis un libéral et qu’est-ce que j’aurais à faire avec des gens du FPI qui sont socialo-marxistes ? ». On trouvera peut-être l’un ou l’autre petit poste pour KKB et Banny… C’est tout.

    Alassane va surtout chercher maintenant à consolider son régime pour assurer sa succession, en faisant fusionner le PDCI et le RDR avec la bénédiction de Bédié, en modifiant la constitution pour créer un poste de vice-président qui pourrait être taillé sur mesure pour Guillaume Soro… avant d’éventuellement prendre sa retraite pour raisons médicales d’ici 2-3 ans.

    Vu que de nombreux capitalistes étrangers attendaient la fin du scrutin pour lancer leurs projets d’investissement dans le pays, il est probable que nous allons assister à une réelle croissance de l’économie. Déjà, le chocolatier Cémoi a annoncé la construction de la toute première usine de chocolat d’Afrique de l’Ouest, qui devra engager 400 personnes, tandis que la brasserie Heineken sera la première à s’installer dans la nouvelle zone industrielle au PK24 pour faire travailler 700 ouvriers. On s’attend encore à l’extension du port d’Abidjan, à la construction d’hôtels sur le littoral « déguerpi » à Port-Bouët, à l’ouverture du grand magasin Carrefour à Marcory, à plus d’unités de transformation de l’anacarde et du coton… L’arrivée de ces grands groupes, venus pour exploiter le travail des Ivoiriens, renforcera le pouvoir potentiel de la classe ouvrière en tant qu’acteur de transformation sociale.

    Comment assurer la victoire de la démocratie, la souveraineté, le développement et la juste répartition des richesses ?

    Nous devons être clairs sur le fait qu’Alassane Ouattara n’est qu’un élément de la chaine de domination impérialiste sur notre continent. Fidèle à sa logique libérale, il mène une politique d’amélioration du «climat des affaires» censée permettre l’épanouissement d’entreprises capitalistes sur notre territoire. Nous ne devons pas nous leurrer : ce n’est pas comme cela que nous arriverons à une situation de développement partagé et de mieux-être pour tous, vu que la présence de ces entreprises sur notre sol sera conditionné au fait que les salaires resteront bas, que les travailleurs ne pourront bénéficier de conditions de travail décentes, que les taxes à payer resteront minimes, que l’État s’engagera à subsidier leur implantation (entre autres par la mise en place de soi-disant « partenariats public-privé »), et que la police sera toujours là pour chicoter les grévistes. Tout cela en persévérant dans le discours de division afin d’empêcher une lutte commune de l’ensemble de la population de Côte d’Ivoire contre le système et pour un mieux-vivre commun.

    Alassane est remplaçable. Ce n’est pas étonnant si la plupart de la campagne électorale s’est réalisée à l’étranger, dans des salons à Paris et à New York, avant même d’avoir commencé ici. L’impérialisme a déjà préparé ses pièces de rechange au cas où Alassane venait à faillir. Tant qu’Alassane satisfait ses patrons étrangers, tant qu’il maintient les Ivoiriens au travail, ils le soutiendront. Au cas où il ne parviendrait plus à maintenir la stabilité nécessaire à la bonne marche de l’exploitation capitaliste, ils le remplaceront par un autre candidat bourgeois, que ce soit via des élections ou via un coup d’État et un soi-disant «régime de transition».

    Notre rôle en tant que révolutionnaires est de ne pas nous laisser berner par toutes ces petites manœuvres et d’y voir clair à travers l’ensemble du processus. Notre rôle est d’expliquer patiemment aux masses que la croissance obtenue sous Ouattara n’est qu’un leurre qui ne profite pas aux populations de Côte d’Ivoire, mais à quelques grands patrons étrangers et à leurs représentants ivoiriens.

    Notre rôle est de pouvoir identifier et mobiliser les masses populaires autour de thèmes de campagne qui correspondent aux véritables problèmes des habitants de Côte d’Ivoire : cherté de la vie, mauvaise qualité de l’enseignement, désorganisation des transports, bas salaires, dégradation de la fertilité des terres agricoles, manque d’accès à la terre, au crédit, aux services publics, au logement, etc. Dans tout cela, nous devons adopter un discours qui permettent aux populations du Nord comme du Sud d’ouvrir les yeux et de comprendre la véritable nature des enjeux et des diverses forces politiques en présence.

    Notre rôle est d’encadrer les masses et la classe ouvrière dans la création de véritables organes de lutte syndicale afin de pouvoir déployer le plein potentiel de notre force de frappe, par des grèves, des occupations et des marches de solidarité, le tout partie prenante d’une véritable stratégie pour le changement.

    Enfin, il nous faudra toujours expliquer qu’aucun développement, aucune indépendance véritable ne sera possible tant que nous resterons dans le cadre du capitalisme et que nous suivrons des politiciens petits-bourgeois dont le seul but est de tromper les masses pour obtenir un compromis avec l’impérialisme et s’accrocher à la « mangeoire » étatique.

    Cela veut dire que nous devons œuvrer patiemment mais obstinément à la création d’un nouveau parti politique, un parti prolétarien autofinancé et totalement indépendant de la politique bourgeoise, armé d’un programme socialiste et tissant des liens forts avec des groupes révolutionnaires dans toute l’Afrique de l’Ouest (notamment via le Comité pour une Internationale Ouvrière), afin de rompre une bonne fois pour toute avec le capitalisme et tout son cortège de misère, d’ignorance, de division, de mensonges, de violence et d’oppression.

  • Afrique : Ebola déclaré crise d’ampleur mondiale

    Entre épidémie, psychose et business

    L’épidémie d’Ebola est en train de s’étendre à toute l’Afrique de l’Ouest. Partie de Guinée-Conakry, elle touche à présent le Sierra Leone, le Liberia et a déjà fait des victimes au Nigeria. Des rumeurs non confirmées font état de cas en Côte d’Ivoire. Ce qui est sûr, c’est que vu l’ampleur qu’a pris cette épidémie, ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne soit confirmée dans notre pays. Quoiqu’il en soit, cela suscite déjà une véritable crise qui se traduit d’une part par une réaction de panique de la part des populations, d’autre part par un profond questionnement sur la nature de cette maladie et de cette épidémie.

    Dans cet article, nous allons expliquer plus en détail d’où vient cette maladie, mais surtout expliquer en quoi l’épidémie est aggravée par le système capitaliste qui une fois de plus révèle son caractère destructeur.

    Mais avant d’entrer dans le sujet, nous voudrions tout d’abord exprimer au nom du CIO nos sincères condoléances avec toutes les victimes de cette maladie et à tous ceux et celles qui continueront à souffrir des conséquences de l’épidémie après qu’elle soit passée.

    Article par Jules Konan, CIO-CI

    Ebola c’est quoi ?

    L’Ebola est un virus provoquant une fièvre hémorragique (c’est-à-dire, sanglante) meurtrière. Il doit son nom au fait que la première épidémie déclarée de cette maladie s’est produite au Congo (alors Zaïre) en 1976, dans un village près de la rivière Ebola. Les premiers symptômes de la maladie sont très semblables à ceux du palu : mal de te?te, gorge irritée, fièvre, tremblement, diarrhée, douleurs aux articulations… Après 4 5 jours, surviennent les symptômes hémorragiques proprement dit : l’individu commence à manifester des éruptions cutanées, puis à vomir et pisser du sang ; du sang lui coule du nez, des gencives, des yeux, de l’anus… La personne meurt le plus souvent de déshydratation (perte d’eau intense causée par les saignements) après une ou deux semaines.

    Ce virus se transmet uniquement par les fluides vitaux : sang, salive, sueur, sperme, urine… Les personnes guéries ou décédées demeurent contagieuses jusqu’à deux mois après la guérison ou le décès. La maladie par contre n’est normalement pas contagieuse par l’air. En outre, comme ce virus a la particularité de tuer très vite, il n’a habituellement pas le temps de se propager très rapidement et très loin. La plupart des épidémies sont jusqu’ici restées isolées à quelques villages, touchant 100-200 personnes (en tuant la majorité d’entre elles) avant de disparaitre. Entre deux épidémies, le virus vit vraisemblablement “caché” dans le corps d’animaux en brousse qui eux-mêmes ne sont pas affectés (un peu comme le palu et le moustique) ; on soupçonne les chauve-souris, mais aussi certains singes, les porc-épics, gazelles… La maladie en effet survient toujours en région forestière, jamais dans les savanes.

    C’est donc bel et bien ici la toute première fois que l’on a affaire à une épidémie de pareille ampleur – qui parvient à s’étendre à toute une région puis à des pays entiers (et la toute première fois que cette maladie se déclare en Afrique de l’Ouest et non en Afrique centrale). Jusqu’ici, la flambée d’Ebola la plus grave avait été celle de 1976 au Zaïre, qui avait fait 280 victimes, avec une mortalité de 90 %.

    De fait, la variété de virus qui sévit en ce moment n’a une mortalité “que” de 60 %, ce qui laisse sans doute plus de possibilités aux victimes pour transmettre la maladie à d’autres personnes. Avec plus de 1000 personnes tuées dans quatre pays lors des 5 derniers mois (mais 500 rien que dans le dernier mois, vu que le nombre de morts et de cas est en accélération – à noter qu’il s’agit uniquement du nombre de cas rapportés ; encore plus de gens sont sans doute morts en brousse sans que personne ne l’apprenne), l’OMS a déclaré cette crise comme étant d’“intérêt mondial”.

    Les remèdes ?

    Le plus gros problème de cette maladie est qu’il n’y existe en ce moment aucun remède connu, aucun vaccin, aucun médicament. Comme il s’agissait jusqu’ici d’une maladie ne touchant que quelques centaines de personnes par an dans des régions isolées et dans des pays pauvres, les entreprises pharmaceutiques (pour la plupart privées et entre les mains de capitalistes occidentaux) préfèrent concentrer leurs recherches sur des maladies à profits garantis, comme le cancer, la grippe ou l’obésité. De leur côté, les laboratoires africains sont sous-équipés et les meilleurs chercheurs sont partis depuis bien longtemps servir de manœuvres dans les hôpitaux américains ou européens. Le manque d’un remède ne vient donc pas du fait que cette maladie est le fruit d’une “conspiration” ou d’un “châtiment divin”, mais est tout bonnement le fruit des contradictions du système capitaliste pour lequel seul comptent les profits immédiats.

    Pour les victimes donc, le seul espoir aujourd’hui est de recevoir des soins intensifs de la part des équipes médicales, soins qui ne servent pas à tuer la maladie (vu qu’il n’aucun remède n’existe encore), mais à aider le patient à survivre aux effets de la maladie (notamment en lui faisant boire ou en lui injectant beaucoup d’eau afin de lutter contre la déshydratation causée par la perte de sang), en attendant que la maladie passe d’elle-même. Pour les malades en phase terminale par contre, la seule aide que l’on peut apporter est une série d’antidouleurs et de calmants pour faciliter le décès de la personne.

    Un aspect très important du travail des équipes de secours est l’isolement des malades afin de protéger leurs proches. Cela inclut non seulement la mise en place et le respect de mesures de protection très strictes, mais aussi de nourrir tous ces malades (dans des conditions souvent difficiles), les laver, etc. mais aussi leur tenir compagnie vu qu’ils se retrouvent seuls dans une sorte de cage, ce qui ne fait qu’aggraver l’impact psychologique pour des personnes qui voient déjà la mort arriver. De plus, comme aucun fluide provenant de ces malades ne peut quitter la zone de quarantaine, des procédures spécifiques doivent également être suivies en ce qui concerne les objets touchés par ces malades : la vaisselle, les serviettes, les nattes, etc. doivent être brulées après usage.

    Le travail des équipes de soins est loin d’être facile, d’autant que comme les docteurs et infirmiers sont en contact permanent avec les malades, la moindre erreur dans le suivi des procédures peut s’avérer rapidement fatale. En Guinée, des docteurs ont même fait grève à un moment car ils ne bénéficiaient pas d’un équipement adéquat leur permettant de s’approcher des malades sans être eux-mêmes contaminés.

    Des ONG très bien équipées et au personnel spécialement formé, comme Médecins sans frontières, sont arrivées sur le terrain. S’il faut saluer le travail de ces personnes, véritables héros – dont les exploits et le sacrifice sont comparables à ceux effectués par les sauveteurs de Tchernobyl –, il est évidemment à regretter que les effectifs et moyens déployés restent insuffisants, et qu’une fois de plus, les pays africains dépendent d’une aide extérieure pour faire face à une crise à laquelle ses pays n’étaient pas préparés.

    Et les églises et mosquées n’ont jamais été aussi remplies…

    Prévention

    La seule solution pour arrêter l’épidémie est de l’empêcher de s’étendre en la contenant. Comme la maladie se transmet par le contact physique avec des liquides corporels, des mesures de sécurité sont recommandées comme par exemple le fait de ne pas se serrer la main ni s’embrasser, et d’éviter tout contact physique de manière générale. C’est ici l’occasion de saluer le comportement responsable de pasteurs qui recommandent à leurs fidèles de suivre une procédure alternative lors du traditionnel geste de paix lors de la messe (ne pas se serrer la main mais simplement se sourire, etc.). N’oublions pas non plus de nous laver les mains avec du savon aussi souvent que possible !

    Toute personne s’approchant d’un malade ou d’un individu suspect doit impérativement porter un équipement spécialisé : masque, lunettes, gants, chemise en plastique, pantalon, bottes… Qui seront désinfectés après utilisation et ne quitteront pas la zone de quarantaine.

    Évidemment, ces conseils sont faciles à donner, mais beaucoup moins à respecter. Il est estimé que la distance de sécurité à respecter par rapport aux personnes suspectes est de un mètre. Si on peut éviter de se serrer la main à l’église, il est tout de même difficile de ne pas être touchée par la sueur ou les postillons d’une personne potentiellement contaminée lorsqu’on monte dans le gbaka ou le woro-woro (surtout pendant les embouteillages dans la chaleur). De même, on dit de se laver les mains régulièrement, mais que faire pour les personnes qui vivent en brousse ou pour tous ces habitants des quartiers pauvres d’Abidjan où les coupures d’eau sont si fréquentes ?

    On dit aussi qu’il faut disposer de manière sécurisée des corps des malades décédés. En effet, on estime que 80 % des cas de contamination sont dues au fait d’avoir touché le corps d’une personne décédée de la maladie. L’évacuation sécurisée des corps des malades va cependant à l’encontre de nombreuses traditions, selon lesquelles le corps du mort doit non seulement être ramené au village et non enterré ou incinéré à l’hôpital comme il est recommandé, mais en plus être exposé pendant un certain temps pour que ses proches puissent se recueillir auprès de lui ; dans certains pays, il est même de tradition de danser avec le corps à travers le village. Les équipes médicales ont parfois du mal à convaincre les habitants de les laisser enterrer, voire incinérer les corps, aussi rapidement que possible après le décès.

    Les effets personnels (vêtements, etc.) des victimes doivent également être brulés, les cercueils désinfectés… Tout cela est très dur à accepter pour beaucoup de familles, et cela a dans certains cas même mené à des attaques de la part de la population sur les équipes de secours. Il faut pourtant bien comprendre que dans certains cas, la tradition doit être mise de côté afin d’éviter la mort de toute une famille ou de tout un village. Mais les moyens manquent aussi souvent pour transmettre le message et faire comprendre aux populations qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort. Dans certains cas aussi, c’est la pauvreté qui pousse les proches à tenter malgré les avertissements de se saisir d’une chemise ou des bijoux de leur parent décédé – ainsi on voit que la misère endémique, fruit du système capitaliste, aide la maladie à se propager.

    Il faut contenir les foyers d’épidémie autant que possible. Cela signifie bloquer les accès aux villages touchés, bloquer les frontières des pays touchés (y compris au niveau des aéroports), et effectuer des tests médicaux sur chaque personne désirant passer. Ces mesures doivent être prises de la manière la plus humaine possible, mais ferme et sans exception aucune. Par exemple, au Nigeria, les autorités non seulement ont laissé rentrer des personnes infectées du Liberia alors qu’elles avaient déclaré la fermeture totale des frontières, mais en plus ont autorisé une des infirmières infectées par le virus à rester à domicile plutôt qu’à l’hôpital. Cette dame a depuis pris la fuite pour se réfugier dans son village, et a peut-être infecté des dizaines d’autres personnes en cours de route. On n’ose imaginer les conséquences qu’aurait l’épidémie si elle survenait à Lagos…

    Une maladie de pauvres ?

    Si aucun remède n’existe contre Ebola, on remarque que comme pour d’autres maladies comme le choléra, etc., certaines personnes résistent mieux que d’autres. Des personnes ayant une alimentation variée et contenant assez de vitamines ont plus de chances que d’autres de s’en sortir. C’est pourquoi il est recommandé de manger autant de légumes et fruits que possible, en prenant en compte aussi le miel, les noix, les œufs, etc. Mais évidemment, les “régimes miracles et naturels” promus par de nombreuses personnes sur internet sont loin d’être pratiques et à la portée de la plupart des bourses, en particulier dans les campagnes africaines où certains produits sont carrément impossibles à trouver.

    Cette crise a une fois de plus mis en relief le sous-développement des pays africains, causé par l’influence délétère de l’impérialisme et la corruption sans borne des élites locales qui en est la conséquence, qui ne fait qu’aggraver la crise. Le manque d’infrastructures pour les soins ou la protection des populations (le CHU de Treichville à Abidjan ne dispose par exemple pas de zone de quarantaine), la faiblesse des moyens de communication et le manque d’instruction de la population qui rendent plus difficile la transmission des messages de prévention, la pauvreté et le manque de structures d’accompagnement qui poussent certaines personnes à tenter d’aller travailler ou voyager malgré la maladie parce qu’elles n’ont pas le choix pour pouvoir gagner de quoi manger…

    C’est notamment le cas dans l’Ouest ivoirien, où de nombreuses personnes viennent tout de même du Liberia ou de Guinée commercer sur les marchés ivoiriens, faute d’autres ressources ; tandis que des Ivoiriens continuent eux aussi à tenter de se rendre pour commercer dans ces pays, ne sachant si on les laissera revenir chez eux.

    De même, comme la maladie peut se transmettre par voie animale, notamment par la faune sauvage, il est recommandé de ne pas toucher ni consommer aucune viande de brousse tant que l’épidémie est présente. Pourtant, on dénonce le fait que des braconniers continuent leurs activités de chasse et de vente de viande de brousse malgré l’interdiction, et tentent de convaincre les habitants d’acheter leur gibier en dépit des risques.

    En outre, la crise profite aux églises et mosquées, mais aussi à de nombreux charlatans, faux pasteurs et soi disant marabouts qui prétendent guérir ou protéger d’Ebola par des “médicaments” connus d’eux seuls et moyennant un fort prix. Encore une fois, la crise est aggravée par l’ignorance et la misère qui pousse les gens à adopter des comportements dangereux pour eux et pour leur entourage.

    Il n’est donc pas étonnant de voir que les pays les plus touchés sont des pays qui souffrent depuis des années d’une grande instabilité, de guerres civiles, de conflits ethniques et coups d’État à répétition, et où l’économie est sous développée et les ressources naturelles mal utilisées : Guinée, Liberia, Sierra Leone. L’épidémie qui s’est déclarée dans ces pays vient s’ajouter à la longue liste des souffrances de leur population, souffrances dont la cause est également à aller chercher du côté du système qui entretient les divisions et aide des criminels à se maintenir au pouvoir.

    Par ailleurs, il convient aussi de souligner le fait que ces pays qui vivaient depuis des années à l’écart de toute aide étrangère, se retrouvent tout à coup au centre de l’attention et reçoivent des centaines de millions d’euros dans le cadre de la lutte contre l’épidémie, alors que ces pays ne disposent de toute façons pas de l’infrastructure ni du personnel adéquat pour y faire face. En plus, vu la déficience des institutions étatiques et le caractère d’urgence, il ne fait aucun doute qu’une grande partie de cet argent sera facilement détourné à d’autres fins par les cadres de ces États.

    Impact économique et social

    Comme les frontières sont bloquées, qu’il y a des barrages partout, et que certains villages sont encerclés par l’armée qui tire à vue, le commerce s’est arrêté dans de nombreux endroits. Certaines personnes n’ont également même plus accès à leur champ. C’est pourquoi le prix des denrées alimentaires est en train de flamber à Conakry ou même à Bissao. Les villages et régions concernées de leur côté ne reçoivent plus d’essence ou autres produits de première nécessité leur venant des villes. Au Bénin, des rumeurs selon lesquelles l’oignon protègerait de la maladie, ont fait grimper le prix de ce légume à des hauteurs inimaginables.

    Puisque la circulation des avions s’est également littéralement interrompue, de nombreux projets de développement ou entreprises sont à l’arrêt vu le rapatriement du personnel ou l’absence prolongée de cadres étrangers. Les États de plusieurs pays ont d’ores et déjà annoncé revoir leurs chiffres de croissance à la baisse. C’est aussi de nombreuses familles qui se retrouvent séparées par la fermeture des frontières.

    De manière plus anecdotique, de nombreuses équipes sportives ont également été privées de tournée à l’étranger : l’équipe américaine de basketball par exemple a décidé de ne pas se rendre au Sénégal de peur du virus. D’autres sportifs d’Afrique de l’Ouest ont été privés d’accès aux Jeux olympiques de la jeunesse de Nankin en Chine. Ailleurs, ce sont les réfugiés pro-Gbagbo au Liberia qui cherchent maintenant à revenir en Côte d’Ivoire coute que coute, et qui sont à présent confrontés au refus du gouvernement, alors que celui-ci les invitait encore à rentrer il y a quelques mois, ce que eux refusaient de faire.

    Les déga?ts psychologiques seront par contre dans de nombreux cas irréparables. Des reportages font état de familles entières emmurées vivantes par leurs voisins : si le père a contracté la maladie, on soupçonne tout de suite l’ensemble de la famille, et la mère, la fille, le fils sont enfermés dans leur maison et bloqués dedans. Les habitants attendent ensuite, les larmes aux yeux, que l’ensemble des occupants de la maison soient morts de la maladie ou de faim, restant sourds aux appels à l’aide qui viennent de l’intérieur pendant plusieurs jours, puis cessent… D’autres personnes ou familles soupçonnées d’être porteuses du virus, pour éviter pareil sort, courent se réfugier dans la forêt et tentent d’y survivre en mangeant des plantes sauvages ou en volant sur les champs de leurs voisins. Certains villages sont bloqués par l’armée. Lorsque les habitants tentent de les quitter, on leur tire dessus à vue, sans même aucun avertissement.

    Certains malades aussi refusent d’admettre qu’ils sont touchés d’Ebola, et cherchent à convaincre leur entourage, voire les médecins, qu’ils ne souffrent que d’un petit palu. Cela soit pour des raisons psychologiques (le fameux « Ça ne peut arriver qu’aux autres »), soit parce qu’ils espèrent cacher leur maladie de peur de voir leur famille et leurs proches se faire maltraiter comme d’autres avant eux. Si les États disposaient de moyens suffisants pour traiter et isoler les malades, ce genre de choses n’arriveraient pourtant pas.

    Le personnel soignant est lui aussi rejeté par son entourage, chassé par sa famille, vu qu’il a le plus de chances de contracter la maladie. C’est un véritable sacrifice qui est demandé aux infirmiers et docteurs. Pour les encourager à accepter ce choix, dans certains cas, le personnel soignant voit tout d’un coup son salaire passer à 100 € par jour au lieu de 100 € par mois ! Et parfois, cela crée des jalousies et des rumeurs parmi les populations qui pensent que ces gens viennent profiter de leurs souffrances.

    Même les survivants continuent de souffrir, sont rejetés par leur entourage, quand bien même ils portent un certificat garantissant qu’ils ne sont plus porteurs du virus. Et ces personnes se souviendront sans doute toute leur vie de ces jours passés avec la maladie, la mort en face, sans aucun autre espoir autre qu’un miracle… Et que dire de ces enfants qui sont seuls survivants de toute leur famille, de ces quelques habitants survivants dans un village dont tous leurs voisins sont décédés ?

    Les périodes de psychose comme celle-ci aussi, comme à chaque fois, sont aussi le moment où éclatent les jalousies, où une personne en accuse une autre d’être malade dans son seul intérêt personnel. De nombreux “innocents” meurent ainsi abandonnés par leurs proches.

    De nombreuses rancœurs subsisteront longtemps après la crise. Des personnes fragilisées, des familles dévastées, des haines, des maisons vides et des villages fantômes, des soldats et des médecins dont les nuits resteront à jamais peuplées de cauchemars… L’épidémie est dans une certaine mesure pire qu’une guerre, car l’ennemi est invisible et il est impossible de parlementer avec lui.

    Une fois que l’épidémie sera passée, de nombreuses personnes ayant perdu leurs proches vivront dans une pauvreté et un désespoir pires encore que ce qu’ils avaient connus auparavant. Cela signifie que la Guinée plongera encore un peu plus dans son état de sous-développement et de barbarie latente, tandis que le flot de réfugiés vers les pays “riches” comme la Côte d’Ivoire continuera à s’accroitre.

    La situation en Côte d’Ivoire

    La Côte d’Ivoire semble aujourd’hui encore épargnée par l’épidémie, en raison notamment du contrôle des frontières par l’armée, de la fermeture des marchés dans les villages de la frontière avec le Liberia, etc. Une quarantaine de cas suspects ont été identifiés, mais aucun n’a été confirmé comme porteur du virus, même si des rumeurs persistantes font état de victimes dans le nord du pays. Si l’épidémie se déclarait en Côte d’Ivoire, ce serait extrêmement grave, vu que le pays n’est clairement pas prêt non plus à affronter ce défi en termes d’équipement, de moyens ou de personnel. Toute la sous région est menacée, il n’y pas lieu de croire qu’un pays sera a priori épargné plutôt qu’un autre.

    Mais on comprend bien que si un ou plusieurs cas d’Ebola venaient à être déclarés en Côte d’Ivoire, le gouvernement ivoirien pourrait être tenté de tout faire pour ne pas que ça se sache, afin d’éviter les nombreuses conséquences économiques et diplomatiques que cela pourrait avoir. Par exemple, malgré le fait que seul quelques cas aient été déclarés au Nigeria, la France recommande désormais déjà à tous ses ressortissants d’éviter ce pays coute que coute. Imaginez ce qui se passerait en Côte d’Ivoire !

    En plus, si le gouvernement ivoirien parvenait à se sortir de cette crise en affirmant qu’aucun malade ne s’est déclaré dans le pays, cela augmenterait grandement l’image de Ouattara et de son équipe aux yeux de la population, notamment par rapport à son électorat traditionnel et par rapport aux personnes qui aujourd’hui regrettent d’avoir voté pour lui. Mais ce serait un jeu extrêmement dangereux, parce que le fait de taire la présence de la maladie plutôt que d’y répondre tout de suite risquerait de la voir se propager à tout le pays avant que le gouvernement ne se voie finalement contraint de réagir. Encore une fois, la crise risque de s’aggraver du fait des jeux d’argent et des calculs politiciens inhérents à ce système.

    La crainte est également de voir se renforcer le chauvinisme ivoirien, c’est-à-dire le mépris affiché par de nombreux Ivoiriens envers les ressortissants des pays voisins. Il faut pourtant bien comprendre que si nos frères et sœurs guinéens, libériens ou sierra-léonais se retrouvent dans pareille situation, c’est parce qu’ils sont eux aussi des victimes du même capitalisme, du même impérialisme (qui n’est qu’une extension du capitalisme) que nous autres qui connaissons la crise depuis vingt ans, victimes de ce même impérialisme qui aujourd’hui encore fait et défait les gouvernements, pille les richesses et crée la misère dans notre pays et dans les pays voisins.

    Une conspiration ?

    De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le fait que cette maladie serait une invention de l’Occident pour décimer la population africaine. Il convient cependant de relativiser quelque peu. Rappelons tout de même que Ebola, depuis son apparition en 1976, n’a jamais tué au total que 2500 personnes (1000 cette année, 1500 au total auparavant), alors que le paludisme continue à tuer chaque année 660 000 Africains sans que personne ne crie au scandale – c’est-à-dire que si Ebola a tué 1000 personnes au cours des six derniers mois, on peut aussi supposer que 330 000 personnes sont déjà mortes du palu au cours de la même période. Pourtant, aucune psychose et tout le monde trouve ça normal. C’est sans compter aussi les accidents de la route, la faim et les violences…

    Ebola est une maladie très grave et qui effraie de part son caractère impressionnant et son haut taux de mortalité. Cependant, il faut bien se rendre compte que ce n’est pas la maladie la plus mortelle au monde, et que l’épidémie pourrait être facilement contenue si seulement nos pays étaient développés comme il se doit, si la population était éduquée et bien nourrie, si du personnel était disponible sur place…

    Ebola n’a donc pas été inoculée à la population africaine dans le but exprès d’exterminer cette population ou de nuire aux pays concernés (qui voudrait nuire au Liberia ??). Il a été avancé que cette épidémie est le fruit de tests militaires par certaines puissances qui désireraient voir quel effet cette maladie pourrait avoir si elle était employée comme arme de guerre. Cela est possible, même si l’hypothèse d’une origine naturelle nous semble tout de même plus probable. Si l’épidémie était le fruit d’une machination, cela ne devrait que nous renforcer dans notre conviction d’en finir avec ce système. Mais quoiqu’il en soit, nous n’avons pas besoin de contes de fées pour regarder en face l’horreur du système capitaliste : la réalité est sans doute beaucoup plus terre à terre, mais elle n’est que le fruit logique du fonctionnement de ce système.

    D’autres évènements sont à déplorer : à Monrovia, après l’attaque d’un centre de soins par des bandits qui ont fait sortir les malades et emporté les couvertures infectées et souillées de sang malade. Il semblerait que les bandits aient été motivés par la croyance qu’Ebola n’existe pas mais est une invention du gouvernement qui désirerait s’en servir à des fins politiciennes. Du coup, on est en train d’envisager de bloquer tout le quartier de West Point, qui compte 75 000 habitants. La mobilisation des jeunes du quartier par leur association n’a pas permis de retrouver les 17 malades enfuis, et on craint qu’ils soient partis se cacher ailleurs en ville, risquant une nouvelle vague de contaminations.

    D’autres pensent que tout cela ne serait qu’une machination pour inoculer de force aux Africains un sérum expérimental à l’effet non prouvé et qui pourrait avoir des effets secondaires inconnus. Il s’agit en fait bel et bien d’un médicament expérimental, mais qui a déjà prouvé son efficacité après avoir guéri plusieurs malades de nationalité américaine – sans savoir quelles seront les conséquences que ce “médicament” pourrait avoir sur leur santé par après. Mais face à cela, d’autres personnes haussent le ton en disant que « Ces personnes ont été soignées uniquement parce qu’elles sont blanches, alors qu’un médicament existe, les États-Unis préfèrent le garder pour leurs propres ressortissants et laisser mourir les Africains » – nous avons donc ici deux théories conspirationnistes qui se contredisent l’une l’autre !

    Vu la souffrance quotidienne et l’inégalité et l’injustice qui caractérisent l’existence des millions d’Africains, vu le manque d’éducation et de culture générale aussi pour beaucoup de gens, il est compréhensible que certaines personnes commencent à tout mélanger et à se croire victimes d’un complot téléguidés par des sectes sataniques à l’étranger. Il faut cependant savoir se pencher sobrement sur les faits et faire la part des choses : oui, ça va mal, mais non, tout ce qui arrive n’est pas le fait d’une machination ou d’un complot. Et ce n’est pas non plus parce que quelqu’un tire profit d’une situation, qu’il a forcément provoqué cette situation.

    D’ailleurs, ce “masochisme” africain est aussi lié à l’illusion qu’en Europe, tout va mieux, et que seuls les Africains sont laissés pour compte : pourtant, il a été récemment révélé que même des pays comme le Royaume-Uni ou la Belgique ne possèdent quasiment aucune structure pour l’accueil et la quarantaine des malades – une capacité de quelques dizaines de personnes au grand maximum ! S’il est vrai qu’au jeu de la crise du capitalisme, l’Afrique a quelques longueurs d’avance, cela ne veut pas dire que la crise ne touche pas les pays européens, loin de là ! Ce n’est pas pour rien que des enfants s’évanouissent de faim dans les écoles en Grèce, que 3000 jeunes Irlandais quittent leur pays chaque mois, ou que toute la presse belge parle en ce moment de l’apparition des délestages électriques.

    Comme nous l’avons déjà dit plus haut, en tant que marxistes, nous comprenons que la réalité du système capitaliste est beaucoup plus prosaïque, ce qui n’enlève pourtant rien au fait qu’il s’agit d’un système horrible dont nous devons nous sortir à tout prix. Le “conspirationnisme” est une tendance extrêmement dangereuse et sournoise, que les militants anti-impérialistes et anti-capitalistes doivent éviter à tout prix. Mais nous reviendrons sur ce thème dans un article futur.

    Dénoncer ce qui doit l’e?tre

    Tout comme nos camarades du Mouvement socialiste démocratique au Nigeria, nous ne pensons pas qu’il n’existe « aucun remède » à Ebola. Qui cherche trouve ! Cette maladie a longtemps été négligée par les grands laboratoires de recherche car pour eux, seul compte le profit. On préfère se concentrer sur maladie de riche que maladie de pauvre. C’est pour la même raison que la recherche traine aussi par rapport au palu, au choléra, etc. Il faut également dénoncer le fait que pratiquement aucune recherche indépendante n’est accomplie en Afrique même, faute de moyens, d’équipement et de personnel – de ce fait, nous restons dépendants de la recherche occidentale. Équipons-nous, finançons notre recherche, on va trouver et on va soigner !

    En attendant, si le seul remède potentiel est le fameux sérum Zmapp, il faut bien se rendre compte que nous n’avons pas le choix, vu l’urgence de la situation, que de tenter cette solution de rechange en attendant mieux. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas continuer à dénoncer le manque de clairvoyance et l’irresponsabilité de tous les dirigeants capitalistes et acteurs du secteur pharmaceutique, pour qui tant qu’un problème ne s’est pas mué en une crise d’ampleur sous-régionale ou mondiale, il n’existe pas !

    Il faut dénoncer également le sous-développement et la pauvreté qui aggravent l’épidémie et facilite sa propagation, par l’adoption de comportements à risques. Quand des gens sont prêts à mourir d’Ebola plutôt que de voir bruler la chemise de leur frère, il est clair que ça ne va pas. Il faut dénoncer aussi tous ceux qui sèment des mensonges en cherchant à maintenir leur réputation où à tirer un profit personnel.

    Mais au-delà de ça, ce qui revient à dénoncer, c’est une fois de plus, le capitalisme en tant que système pour qui seul compte le profit, qui remet les problèmes à plus tard, crée le chaos, pousse les gouvernements à sans cesse dire que “tout va bien” et mentir à la population, et dont le mode de fonctionnement gâte la population à sa racine et la pousse à la malhonnêteté et à des actes désespérés afin de survivre.

    C’est pourquoi, malgré les nombreuses menaces qui pèsent sur nous, suivons l’ensemble des recommandations sanitaires pour éviter la contamination – nous appelons d’ailleurs à ce titre la Cici à organiser des comités populaires de sensibilisation dans les quartiers et à l’intérieur du pays pour ne pas que cette activité reste le monopole des chefs religieux, des politiciens bourgeois et des ONG occidentales…

    …Mais surtout, continuons aussi à nous organiser et à lutter pour la reconstruction d’un puissant mouvement prolétaire qui chassera tous ces vautours qui jouent avec nos vies et avec notre santé – un mouvement populaire qui reprendra le contrôle de la société en vue de sa reconstruction totale sur des bases socialistes : une société débarrassée de la misère, de l’ignorance, de la recherche de profits et de l’insalubrité, afin que de telles crises ne puissent plus jamais se reproduire dans le futur ! C’est cet objectif que vise le CIO en Côte d’Ivoire, en Afrique et dans le reste du monde !

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop