Tag: Conseil National de Transition

  • Libye : La société post-Kadhafi toujours volatile et violente

    Pour réaliser les revendications des travailleurs, il leur faut s’auto-organiser avec des objectifs clairs

    Un peu plus d’un mois à peine après la mort de l’ambassadeur américain, les développements en Libye révèlent l’instabilité, et même le chaos, qui règne en de nombreux endroits du pays. En l’absence de véritable gouvernement, les combats continuent autour de Bani Walid (considéré comme une zone pro-Kadhafi) par les forces de Misrata, en colère contre l’emprisonnement et la mort d’Omran Shaban, le combattant rebelle qui a retrouvé Kadhafi après une attaque aérienne de l’OTAN contre son convoi il y a un an.

    Robert Bechert, CIO

    L’année dernière, nous expliquions qu’alors que Kadhafi, un ”dirigeant autocrate, entouré de sa famille et de ses amis privilégiés”, avait été renversé, la situation n’était pas similaire à celle qui a fait tomber Ben Ali et Moubarak en Tunisie et en Egypte. ”Cela aurait été largement applaudi si c’était le pur résultat de la lutte de la classe ouvrière libyenne, mais l’implication directe de l’impérialisme assombrit le futur de la révolution.” (CIO, www.socialistworld.net: ”Gaddafi Regime Crumbles”, 26 août 2011)

    L’un des plus grands changements au cours de cette année fut la reprise de la production de pétrole. En ce moment, le revenu du pétrole libyen est d’environ 1 milliard de dollars tous les 10 jours, ce qui n’est pas mal dans un pays de 6,5 millions d’habitants. Mais de nouveaux gangs de pillards se mettent déjà en place. En octobre, Le Monde Diplomatique a rapporté que les ministres perçoivent des salaires de 7800$ par mois et habitent dans des hôtels de luxes de Tripoli à 325$ la nuit. Même si les élections se sont déroulées pacifiquement en juillet, en réalité, le Congrès Général National est impuissant face aux milices concurrentes.

    Cette situation chaotique n’était pas inévitable. Quand les manifestations de masse ont commencé en février 2011, Kadhafi a lancé une contre-offensive brutale contre Benghazi et les autres centres de l’opposition. Benghazi, cependant, aurait pu être défendue par les masses populaires de la ville qui compte un million d’habitants, avec un appel aux travailleurs, aux jeunes et des pauvres du reste de la Libye. Cela aurait pu conduire plus rapidement à la victoire et ne laisser aucune excuse pour une intervention étrangère.

    A Benghazi, au début de la révolution, des affiches en anglais déclaraient : ”Non à l’intervention étrangère – Les Libyens peuvent se débrouiller tous seuls.” Mais la direction autoproclamée du Conseil National de Transition, dominée par des transfuges du régime de Kadhafi et des pro-impérialistes, a ignoré le sentiment populaire initial contre une intervention étrangère. Elle a recherché du soutien auprès des puissances impérialistes occidentales et des Etats Arabes semi-féodaux.

    Un grand nombre de Libyens se sont réjouis de la chute de Kadhafi en août 2011, mais pas tous, et ce n’étaient pas seulement l’élite privilégiée autour de Kadhafi et les groupes favorisés par son régime. Il existait également une part de réelle opposition contre le rôle des puissances occidentales et des régimes arabes autocratiques, ainsi que la peur des fondamentalistes religieux.

    Chacune des révolutions du printemps arabe avait ses propres caractéristiques. En Tunisie et en Egypte, les organisations ouvrières se développaient ou se transformaient. En Libye, le soulèvement initial spontané n’a pas mené à l’auto-organisation démocratique des travailleurs et des jeunes à une large échelle.

    Malgré l’implication d’un grand nombre de Libyens dans les combats et l’armement de la population, il n’y a pas le moindre signe pour l’instant que les travailleurs, les jeunes et les pauvres libyens qui lutteraient pour établir leur propre pouvoir collectif sur la société. Sans organisations démocratiques et indépendantes dans la plupart des communautés et des lieux de travail, les milices prennent les devants pour maintenir la sécurité. Mais la plupart de ces milices sont divisées sur des lignes territoriales, tribales, religieuses ou ethniques, et leurs dirigeants ont leurs objectifs propres.

    Les intégristes religieux

    A présent, les intégristes religieux s’impliquent de plus en plus et les éléments qui ont lutté au côté de Kadhafi contre ce qu’ils considéraient comme une intervention étrangère perdurent. Ainsi, en plus des rivalités entre les milices, il y a eu la démolition de sanctuaires Soufi par les Salafistes intégristes et quatre attaques de représentants occidentaux avant l’attaque du consulat américain à Benghazi le 11 septembre et d’une base semi-secrète de renseignements américaine.

    La manifestation du 20 septembre qui a expulsé de Benghazi la milice Ansar al-Sharia, initialement accusée de l’attaque du consulat américain, n’était pas une simple réaction populaire contre les milices. La manifestation était dirigée par la police militaire qui a alors procédé à l’attaque de la base de la milice Rafallah al-Sahati (fondée par des Qatari) qui travaille avec le ministère de la défense basé à Tripoli. Rien n’est encore clair concernant le cadre dans lequel cette seconde cible a été choisie en fonction du contexte des rivalités entre les dirigeants de Benghazi et de Tripoli. Ces tensions continuent. Le 21 septembre, le commandant militaire de Benghazi a été kidnappé pendant six heures. Trois jours plus tard, les milices pro-Tripoli à Benghazi ont commencé à arrêter les participants à la manifestation du 20 septembre, dont 30 officiers de l’armée.

    Alors que certains Libyens sont encore reconnaissants du soutien des USA dans le renversement de Kadhafi, l’opposition augmente – surtout à caractère religieux, en ce moment – face à l’implication prolongée des USA en Libye. Cela va probablement accroître les tentatives des puissances occidentales de renforcer leur présence. En septembre, l’administration Obama a accordé 8 millions de dollars pour l’entraînement d’une force ”anti-terroriste” d’élite de 500 hommes en Libye.

    Le sentiment de libération de beaucoup de Libyens est encore important. Cela pourrait être la base d’une opposition aux milices sectaires et réactionnaires, dont le potentiel a été vu dans les manifestations contre Ansar al-Sharia. Cependant, cette manifestation a aussi montré que sortir dans la rue est insuffisant. Pour que les revendications des travailleurs soient réalisées, il est nécessaire de s’auto-organiser avec des objectifs clairs, sinon d’autres forces peuvent tirer profit de tels mouvements.

    Beaucoup de Libyens, en particulier les jeunes, sentent que l’année dernière ils ont eu une chance, et le pouvoir, de décider de leur propre avenir. Maintenant, il est de plus en plus clair que cela demande de l’organisation, un programme et une lutte pour l’unité des travailleurs et des jeunes dans une bataille commune, sinon il y a le risque d’une spirale de dégradation.

    Les divisions entre les zones sont de plus en plus fortes, malgré le ciment du revenu du pétrole. Misrata, par exemple, est maintenant pratiquement autonome. Dans la région Cyrénaïque riche en pétrole autour de Benghazi, il y a des revendications répétées pour plus d’autonomie, ce qui fait peur aux autres régions. En l’absence d’organisations indépendantes et démocratiques des travailleurs, les autres forces prendront la tête.

    L’opposition à une présence étrangère, la peur du retour de l’ancienne élite ou de la montée d’une nouvelle peuvent constituer la base de différentes formes de populisme – religieux, régional, tribal, ethnique ou nationaliste. Alors que les richesses pétrolières de la Libye peuvent maintenir le pays ensemble, particulièrement du point de vue des zones non-productrices de pétrole, des luttes peuvent éclater entre les élites rivales sur le partage du pillage ou, à un certain stade, sur la question de l’éclatement du pays.

    Il est essentiel de créer des organisations indépendantes et démocratiques des travailleurs

    La création d’organisations indépendantes et démocratiques de travailleurs, et notamment la question cruciale d’un parti de la classe des travailleurs, est d’une importance vitale. C’est le seul moyen pour que les travailleurs, les opprimés et les jeunes soient capables de surmonter les divisions de plus en plus présentes et d’entamer une lutte pour une véritable transformation révolutionnaire du pays et ainsi contrecarrer les projets des impérialistes, en finir avec la dictature et transformer radicalement la vie des masses.

    Pour parvenir à ses fins, un mouvement des travailleurs aura besoin de défendre tous les droits démocratiques, d’impliquer les travailleurs immigrés en abordant la défendre de leurs droits, et de s’opposer à la privatisation des atouts de la Libye. Il faut revendiquer le retrait de toutes les forces armées étrangères, s’opposer à toute intervention militaire étrangère et par-dessus tout, rejeter la participation à tout gouvernement avec des forces capitalistes.

    Le mouvement des travailleurs doit lutter pour un gouvernement de représentants des travailleurs et des pauvres, basé sur des structures démocratiques dans les lieux de travail et les collectivités. Un tel gouvernement utiliserait les ressources de la Libye dans l’intérêt de la population. Cela serait la réelle victoire pour les travailleurs et les jeunes Libyens et permettrait de mettre en avant un exemple international de fin d’un régime dictatorial et des misères du capitalisme.

  • Syrie : Le massacre de Houla augmente la crainte d’une véritable guerre civile

    Le meurtre de 108 personnes près de la ville syrienne de Houla a interpelé et choqué dans le monde entier. Le meurtre de 49 enfants, dont beaucoup ont été tués à bout portant, est particulièrement odieux. Les tensions sectaires alimentées par cet acte barbare font planer la terrible menace d’un glissement vers un conflit plus large et d’une véritable guerre civile. Comme toujours, les travailleurs et les pauvres en souffriront le plus. En lutte contre le régime brutal de Bachar El Assad, la classe ouvrière doit s’opposer au sectarisme et à l’intervention impérialiste

    Niall Mulholland, Comité pour une Internationale Ouvrière

    Depuis 15 mois maintenant, des manifestations massives ont lieu dans beaucoup d’endroits de Syrie contre le règne dictatorial de la famille Assad, qui dure depuis plus de 40 ans. A l’origine, ces protestations se sont déroulées dans le cadre des révolutions au Moyen Orient et en Afrique du Nord. Mais en l’absence d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière dirigeant la lutte et avec de plus en plus d’intervention dans la région de la part de régimes réactionnaires tels que ceux du Qatar et d’Arabie Saoudite ainsi que l’ingérence impérialiste, le conflit syrien a de plus en plus adopté un caractère de guerre civile teinté de sectarisme.

    Les puissances occidentales, en particulier les USA, la Grande Bretagne et la France, ont été rapides à condamner les atrocités de Houla. Elles ont fait reporter tout le poids de la faute sur le régime syrien du président Bachar el-Assad, qui décline de son côté toute responsabilité. Il est certain que beaucoup de témoins et de survivants accusent les forces armées syriennes et les gangs de Shabiha (qui peut se traduire par ‘‘bandits’’), qui massacrent et enlèvent régulièrement les opposants. Les investigateurs de l’ONU ont dit qu’il y a des indices que les Shabiha aient accompli au moins une partie de la tuerie des 25 et 26 mai.

    Les accusations des puissances impérialistes sont toutefois profondément hypocrites et écœurantes. Des centaines de milliers de civils ont perdu la vie en Irak comme en Afghanistan du fait de l’invasion occidentale et de l’occupation. Dans le cadre de leur quête de pouvoir, d’influence et de contrôle des ressources, des attaques aériennes impérialistes de drones ont quotidiennement lieu au Pakistan, en Somalie et au Yémen. Le lendemain du massacre de Houla, une attaque de l’OTAN dans l’est de l’Afghanistan a déchiqueté les 8 membres d’une famille.

    Les puissances occidentales justifient l’utilisation de la force militaire en déclarant attaquer des cibles ‘‘terroristes’’, ce qui est une rhétorique similaire à celle de la dictature de Bachar el-Assad. Dans les deux cas, ces attaques au hasard, approuvées par l’Etat, équivalent à des exécutions sommaires et à de potentiels crimes de guerre.

    Environ 15.000 personnes sont mortes en Syrie, majoritairement des mains de l’armée Syrienne et des forces pro-Assad, depuis l’insurrection de mars 2011. Mais sous le mandat d’Obama, plus de 500 civils ont été tués par des attaques aériennes dans le seul Pakistan, dont 175 enfants.<p

    A couteaux tirés

    Les USA, appuyant l’opposition syrienne, et la Russie, soutenant le régime d’Assad, sont de plus en plus à couteaux tirés à mesure qu’empire la situation du pays. Cela se traduit par des conflits au Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la manière de traiter la dossier syrien.

    La Russie et la Chine ont voté contre les résolutions anti-Assad soutenues par les USA, la Grande Bretagne et la France. Malgré cette rhétorique, les positions des USA et de la Russie n’ont rien à voir avec la situation critique du peuple Syrien. Elles sont liées aux intérêts de leurs classes dominantes respectives et à celles de leurs plus proches alliés.

    Les USA, la Grande Bretagne et la France ont clairement affirmé qu’ils veulent la fin du régime d’Assad. Depuis longtemps, ils le considèrent comme un obstacle à leurs intérêts impérialistes dans la région. Ils veulent à sa place un gouvernement docile et pro-occidental. Suite aux révolutions de l’année dernière qui ont renversé deux alliés cruciaux de l’occident dans la région – Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte – les puissances impérialistes sont déterminées à s’assurer que la révolte populaire en Syrie ne dépasse pas des barrières de ‘‘l’acceptables’’ (c’est-à-dire vers une position d’indépendance de classe) et qu’elle reste à l’avantage des impérialistes.

    Les USA instrumentalisent l’échec du ‘‘plan de paix’’ de Kofi Annan (émissaire conjoint de l’Organisation des Nations unies et la Ligue arabe sur la crise en Syrie ) pour menacer d’entrer en action ‘‘en dehors du plan Annan’’ et de l’autorité du Conseil de Sécurité des Nations Unies, avec le soutien des plus proches alliés dans le conflit Syrien ; la Grande Bretagne et la France. Cela rappelle l’infâme coalition militaire menée par George Bush et Tony Blair qui a envahi l’Irak en toute illégalité.

    D’un autre côté, la Russie considère le régime d’Assad comme un allié crucial dans la région, un allié qui lui offre un accès à un port de Méditerranée. Le ministre russe des affaires étrangères a ainsi indiqué qu’il pourrait être préparé à mettre en œuvre ce qu’il appelle la ‘‘solution Yéménite’’, c’est-à-dire qu’Assad soit renversé alors que la plupart de la structure de son régime resterait en place. Cette solution est calquée sur un plan de la Ligue Arabe au Yémen, où le président Ali Abdullah Saleh a perdu le pouvoir en février 2012, après des mois de manifestations massives.

    Le Kremlin est cependant fermement opposé à toute intervention militaire occidentale, en particulier après l’expérience amère du conflit libyen l’an dernier. La Russie soutenait une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU basée sur la constitution d’une zone d’exclusion aérienne, une ‘‘no-fly-zone’’. Mais les puissances occidentales ont utilisé cette résolution pour permettre une intervention armée de l’OTAN en Lybie, déviant la révolution de sa trajectoire, renversant le régime du Colonel Kadhafi et, selon leurs propres termes, installant un régime pro-occidental.

    L’OTAN

    Bachar el-Assad ne semble pas prêt de perdre le pouvoir ou d’être placé devant le risque imminent d’un coup d’Etat. Alors que la Syrie est frappée par des sanctions économiques, une part significatrice de la population dont beaucoup d’hommes d’affaires sunnites, n’ont pas encore catégoriquement rompu leurs liens avec le régime. Damas parie aussi sur le fait que l’Ouest serait incapable de mener une intervention militaire directe du type libyen.

    Le ministre des affaire étrangères britannique, William Hague, a récemment menacé qu’aucune option ne puisse être écartée dans le traitement de Bachar el-Assad, laissant entendre la possibilité d’une action militaire occidentale. Mais l’attaque de l’OTAN contre la Lybie l’an dernier ne peut pas tout simplement être répétée en Syrie, un pays qui possède une population beaucoup plus élevée et dont les forces d’Etat sont, selon les experts militaires, plus puissantes, mieux entrainées et mieux équipées.

    Assad a à sa disposition une armée de 250.000 personnes, en plus de 300.000 réservistes actifs. L’an dernier, l’OTAN a été capable d’envoyer des milliers de missions aériennes et de missiles sur la Lybie sans rencontrer de réelle résistance. Mais la Syrie possède plus de 80 avions de chasse, 240 batteries anti-aériennes et plus de 4000 missiles sol-air dans leur système de défense aérien. Les stratèges militaires occidentaux admettent qu’une invasion du pays demanderait un effort monumental. Leurs troupes seraient irréductiblement embourbées dans de larges zones urbaines hostiles.

    Quant aux diverses propositions visant à aider la population et à affaiblir le régime Syrien sans offensive militaire directe (‘‘corridor humanitaire’’, ‘‘zone d’exclusion aérienne’’,…), elles exigent tout de même des opérations militaires offensives.

    Chaque ère protégée devraient très certainement être sécurisés avec des troupes au sol, qu’il faudrait ensuite défendre contre des attaques, ce qui exigerait l’envoi de forces aériennes. Les stratèges britanniques de la défense admettent qu’une action militaire quelconque contre la Syrie ‘‘conduirait presqu’inévitablement à une guerre civile encore plus aigüe et sanglante.’’

    De plus, la composition complexe de la Syrie (une majorité sunnite avec des minorités chrétienne, alaouite, druze, chiite, kurde et autres) entraîne le risque de voir l’intervention militaire occidentale déclencher une véritable explosion dans la région, sur bases de divisions ethniques et sectaires.

    Même sans une intervention occidentale directe, la Syrie continue de glisser vers une guerre civile ‘‘à la libanaise’’. L’implication directe des régimes locaux de droite et des puissances mondiales qui soutiennent soit l’opposition, soit le régime, encourage cela.

    Les puissances sunnites réactionnaires de la région, avec à leur tête l’Arabie Saoudite et le Qatar, utilisent la crise syrienne pour appuyer leur position contre les régimes chiites. Avec le soutien des USA et d’Israël, les régimes sunnites s’opposent à l’Iran, le plus important allié de la Syrie dans la région.

    Il apparait que la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les autres Etats du Golfe, chacun suivant son plan, acheminent des fonds et des armes à l’opposition Syrienne, avec le soutien tacite des USA. Une base de passage à la frontière existe même depuis la Turquie. Les forces d’opposition armée disent avoir tué 80 soldats syriens le weekend du début du mois de juin. En même temps, un commandant en chef des Gardiens de la Révolution en Iran a récemment admis que les forces iraniennes opèrent dans le pays pour soutenir Assad.

    Patrick Cockburn, le journaliste vétéran du Moyen-Orient, a écrit que les rebelles armés ‘‘pourraient probablement commencer une campagne de bombardement et d’assassinats sélectifs sur Damas’’ (Independent, dimanche 03/06/12). Le régime d’Assad riposterait en ayant recours à des ‘‘sanctions collectives’’ encore plus sauvages. Damas serait ‘‘ victime de la même sorte de haine, de peur et de destruction qui ont ébranlé Beyrouth, Bagdad et Belfast au cours de ces 50 dernières années.’’

    Le sectarisme s’approfondit. La minorité chrétienne craint de subir le même sort que les chrétiens d’Irak, ‘‘ethniquement purgés’’ après l’invasion américaine de 2003. Le régime d’Assad exploite et alimente cette peur pour se garder une base de soutien dans la minorité chrétienne, ainsi que chez les Alaouites, les Druzes et les Kurdes. Les USA, la Grande Bretagne, la France et l’Arabie Saoudite et leurs alliés sunnites dans la région ont utilisé sans scrupules la carte du sectarisme pour défendre un changement de régime à Damas et pour leur campagne contre l’Iran et ses alliés. Tout cela a des conséquences potentiellement très dangereuses pour les peuples des Etats frontaliers et dans toute la région.

    Le conflit Syrien s’est déjà déployé au Liban frontalier, où le régime d’Assad a le soutien du Hezbollah, qui fait partie de la coalition gouvernementale. Le conflit entre les sunnites et les alaouites pro-Assad dans la ville de Tripoli au Nord du Liban a fait 15 morts en un weekend. Ces dernières semaines, le conflit s’est dangereusement exporté à Beyrouth, faisant craindre la ré-irruption d’un conflit sectaire généralisé au Liban.

    La classe ouvrière de Syrie et de la région doit fermement rejeter toute forme de sectarisme et toute intervention ou interférence impérialiste.

    Intervention

    L’insurrection de mars 2011 en Syrie a commencé par un mouvement authentiquement populaire contre la police d’Etat d’Assad, l’érosion des aides sociales, les degrés élevés de pauvreté et de chômages et le règne de l’élite riche et corrompue.

    En l’absence d’un mouvement ouvrier fort et unifié avec un programme de classe indépendant, les courageuses manifestations massives semblent avoir été occultées et dépassées par des groupes d’oppositions armés et hargneux. Alors que beaucoup de Syriens restent engagés pour un changement révolutionnaire et résistent à la provocation sectaire, de plus en plus de dirigeants de ces forces sont influencés par les régimes réactionnaires de la région et par l’impérialisme.

    Les combattants islamistes de la province irakienne d’Anbar, de Lybie et d’ailleurs ont rejoint l’opposition armée libyenne. Une attaque à la voiture piégée à Damas qui a tué un nombre de personnes record en mai dernier est largement reproché aux combattants de l’opposition liés à Al-Qaeda.

    Le Conseil National Syrien (CNS), un groupe d’opposition exilé, demande une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies autorisant l’usage de la force contre Assad, ce qui paverait la voie à une intervention armée, à l’instar de la Lybie.

    Alors qu’une grande partie du peuple libyen est dans une situation désespérée et que certains peuvent sincèrement espérer une intervention militaire extérieure, les évènements en Lybie illustrent que l’implication de l’OTAN ne conduit ni à la paix, ni à la stabilité. Le nombre de morts a connu une percée après que l’OTAN ait commencé ses attaques aériennes sur la Lybie, se multipliant par 10 ou 15 selon les estimations. Le pays, ruiné par la guerre, est maintenant dominé par des centaines de milices en concurrence qui dirigeants des fiefs.

    Environ 150 personnes sont mortes dans un conflit tribal dans le sud de la Lybie en mars, et le weekend dernier, une milice a temporairement pris le contrôle du principal aéroport du pays. La supposée administration centrale du pays (le Conseil National de Transition, non-élu et imposé par l’Occident) a sa propre milice, le Conseil Suprême de Sécurité, fort de 70.000 hommes. Les dirigeants de l’opposition bourgeoise et pro-impérialiste en Syrie cherchent sans doute à être mis au pouvoir d’une manière similaire par le pouvoir militaire occidental.

    Révolutions

    Cependant, la menace d’une intervention impérialiste en Syrie et l’implication de plus en plus forte des régimes réactionnaires Saoudiens et Qataris n’ont aucune raison de soutenir le régime d’Assad. Pour les socialistes, l’alternative a été clairement montrée lors des révolutions de l’année dernière en Tunisie et en Egypte, ainsi qu’aux débuts de la révolte syrienne en 2011.

    Elles ont illustré que c’est le mouvement massif et unifié des la classe ouvrière et des jeunes qui est capable de renverser les despotes et leurs régimes pour engager la lutte pour un changement réel aux niveaux politique et social. La reprise du mouvement révolutionnaire en Egypte, suite à l’issue injuste du procès de Moubarak et de ses sbires, souligne que ce n’est que par un approfondissement de l’action de masse du fait de la classe ouvrière et des jeunes qu’il peut y avoir un véritable changement.

    Les travailleurs de Syrie, quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse, ont le droit de se défendre eux-mêmes contre la machine d’Etat d’Assad et contre toutes les milices sectaires. Les véritables socialistes, basés sur les traditions du marxisme révolutionnaire, appellent à la constitution immédiate de comités de défense indépendants, démocratiquement élus et contrôlés par les travailleurs, pour défendre les manifestations, les quartiers et les lieux de travail.

    Cela doit être lié à une nouvelle initiative de la classe ouvrière en Syrie, construisant des comités d’action dans toutes les communautés et les lieux de travail, en tant que base pour un mouvement indépendant des travailleurs.

    L’une de ses tâches serait d’enquêter indépendamment sur les responsables de la tuerie de Houla et de tous les autres massacres et assassinats sectaires. Cela montrerait aussi le rôle du régime d’Assad et de ses milices, ainsi que celui des puissances voisines et impérialistes.

    Comme partout, les Nations Unies sont incapables, à cause de leur asservissement aux principales puissances mondiales, d’empêcher les atrocités contre les civils ou de résoudre les conflits armés dans l’intérêt de la classe ouvrière.

    Suite au massacre de Houla, les grèves de ‘‘deuil’’ ont éclaté dans certains endroits de la Syrie. Les manifestations contre Assad continuent dans certaines villes, dont à Damas. Il est crucial que de telles manifestations prennent un caractère anti-sectaire et pro-classe ouvrière. Un mouvement de la classe ouvrière en Syrie développerait les manifestations de travailleurs, les occupations de lieux de travail et les grèves, dont des grèves générales, pour rompre avec le sectarisme et lutter pour le renversement du régime d’Assad. Un appel de classe aux soldats pauvres du rang à s’organiser contre leurs généraux, à se syndiquer et à rejoindre les manifestants, pourrait diviser les forces d’Etat meurtrières et les neutraliser.

    Les travailleurs syriens de toutes religions et ethnies ont besoin d’un parti qui leur est propre, avec une politique socialiste indépendante. Un tel parti avec un soutien massif peut résister avec succès au sectarisme et aux politiques empoisonnées du diviser pour mieux régner d’Assad, des régimes sunnites et chiites de la région et de l’impérialisme hypocrite.

    Un programme socialiste – appelant à un contrôle et une gestion démocratiques de l’économie par les travailleurs pour transformer les conditions de vie, créer des emplois avec des salaires décents et une éducation, la santé et les logements gratuits et de qualités – inspirerait les travailleurs et les jeunes à rejoindre le camp de la révolution.

    Sous un drapeau authentiquement socialiste, en opposition aux forces prétendument ‘‘socialistes’’ qui soutiennent le régime dictatorial de Bachar el-Assad, la révolte populaire contre le régime syrien appellerait les travailleurs de la région à étendre la révolution.

    En liant ensemble les mouvements révolutionnaires qui ont lieu en Syrie, en Tunisie, en Egypte et ailleurs en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, sur base d’un programme d’orientation socialiste, où les secteurs clés de l’économie seraient aux mains des masses, la classe ouvrière pourrait dégager les tyrans et porter de puissants coups au capitalisme pourri et à l’ingérence impérialiste. Cela pourrait se transformer en une lutte pour une confédération socialiste volontaire et équitable du Moyen-Orient, dans laquelle les droits de toutes les minorités seraient garantis.

  • Révolution et contre-révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient : leçons des premières vagues de mouvements révolutionnaires

    Le Comité Exécutif International (CEI) du Comité pour une Internationale ouvrière (CIO) s’est réuni du 17 au 22 janvier 2011 en Belgique, avec plus de 33 pays représentés, d’Europe, Asie, Amérique Latine et Afrique. Daniel Waldron fait dans ce texte un rapport de la session consacrée aux mouvements révolutionnaires en Afrique du nord et au Moyen-Orient.

    Daniel Waldron, Socialist Party (CIO Irlande)

    L’onde de choc des mouvements révolutionnaires qui ont commencé en Tunisie en janvier 2011 s’est répercutée dans toute l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et à travers le monde. Cette vague de soulèvements a conduit au renversement de dictateurs dont certains dirigeaient leur État depuis des décennies, et a atteint presque tous les pays de la région. Les travailleurs et les jeunes du monde entier ont été inspirés par l’héroïsme et la détermination des masses et se sont identifiés à leur mouvement, du Wisconsin (aux Etats-Unis) au Nigéria. Un an après, le mouvement surnommé "Printemps Arabe" connaît une nouvelle phase.

    Cela a constitué la trame de l’excellente discussion, introduite par Niall Mulholland et conclue par Robert Bechert du Secrétariat International, que nous avons eu au Comité Exécutif International du Comité pour une Internationale Ouvrière. On a pu voir parmi les contributeurs des camarades de pays d’Afrique du Nord et Moyen-Orient, et également des camarades du CIO qui se sont rendus en Egypte au moment des événements révolutionnaires en 2011.

    Les représentants du capitalisme ont été pris de court par les mouvements révolutionnaires en Tunisie et en Égypte. Quelques mois à peine avant son renversement, le journal The Economist saluait encore Moubarak pour avoir apporté la "stabilité" dans la région. En d’autres termes, pour avoir agi en tant qu’agent fiable de l’impérialisme. Alors que Ben Ali avait déjà été renversé en Tunisie et que les masses égyptiennes avaient commencé leur révolte, ce torchon du capitalisme international clamait toujours qu’il ne tomberait pas. Mais il est bel et bien tombé. Les forces de l’impérialisme occidental n’étaient pas préparées et furent abasourdies alors que leurs alliés furent renversés, ne sachant rien faire d’autre que d’exprimer leur "soutien" tardif aux révoltes tout en essayant désespérément de garder le contrôle.

    Le CIO n’a toutefois pas été surpris par les évènements bouleversants qui ont balayé la région. Dans les documents que nous avions adoptés suite à notre Congrès Mondial de décembre 2010, nous mettions en lumière la possibilité de mouvements convulsifs en Afrique du Nord et au Moyen Orient ; la région était telle une boîte d’allumettes, prête à s’embraser.

    Ben Ali – le premier domino d’une longue rangée

    Nous avions insisté sur le fait que sa population particulièrement jeune et appauvrie, opprimée par des régimes autoritaires incapables de leur offrir un meilleur avenir, pourrait être le déclencheur d’explosions sociales dans ce contexte de crise mondiale du capitalisme. Ces soulèvements n’ont pas été provoqués uniquement par une colère contre les dictatures ; ils étaient aussi le reflet du fait que les masses n’acceptaient plus l’existence misérable que le capitalisme est la seule à pouvoir leur apporter. Le dirigeant tunisien Ben Ali, représentant féru du capitalisme néolibéral, fut le premier de la liste à ressentir la force des mouvements de masse et à tomber.

    Ben Ali s’est fait dégager 28 jours après le suicide tragique par immolation du jeune vendeur de rue Mohamed Bouazizi. Le dictateur a rapidement été suivi par son ancien premier ministre, Ghannouchi. Une semaine plus tard, le règne trentenaire de Hosni Moubarak en Egypte s’est lui aussi effondré. Alors que les images des manifestations sauvagement attaquées par la police d’Etat encore fidèle à l’ancien régime étaient diffusées autour du monde, on aurait pu croire que le renversement de ces dictatures était en fait un processus assez simple et linéaire : les masses prenaient la rue et refusaient de la lâcher tant que leurs revendications contre la dictature ne seraient pas satisfaites. L’occupation de la place Tahrir au Caire, par exemple, est devenue un véritable symbole et a directement inspiré les mouvements Démocratie Réelle ou Occupy.

    Les manifestations massives et les occupations ont évidemment joué un rôle clé ; mais le facteur décisif dans le succès des révolutions égyptienne et tunisienne a été l’implication de la classe ouvrière organisée. Malgré le fait que les dirigeants de la confédération syndicale UGTT étaient fortement incorporés au régime de Ben Ali, un degré important d’action indépendante et d’opposition à la dictature existait localement et nationalement. La classe ouvrière égyptienne, la plus nombreuse de la région, a une vraie tradition de mouvements puissants et indépendants.

    Dans ces deux pays, des comités de travailleurs ont émergé dans les lieux de travail et les usines. Cette méthode d’auto-organisation s’est étendue aux places, aux villes et aux villages, donnant une cohésion au mouvement et lui apportant tant une base organisationnelle qu’une capacité à répondre efficacement aux attaques du régime. Par exemple, lorsque des gros bras pro-Moubarak armés ont essayé de reprendre la place Tahrir début février 2011, cela a déclenché une grève générale dans tout le pays, paralysant le régime, renforçant le mouvement, et qui a rapidement mené au départ de Moubarak.

    A l’inverse de l’Egypte et de la Tunisie, l’absence de mouvements massifs de la classe ouvrière a été une faiblesse des soulèvements révolutionnaires dans les autres pays ; et a notamment amené à des affrontements avec le régime qui se sont révélés beaucoup plus longs, compliqués et sanglants. En Libye, le mouvement contre le régime de Mouammar Kadhafi a commencé dans la ville de Benghazi. Au début, il avait l’allure d’un soulèvement populaire. Des comités du peuple émergeaient dans la ville. Pourtant, l’absence d’organisations indépendantes des travailleurs (torpillées par le régime brutal de Kadhafi) ont affaibli la capacité du mouvement à surmonter les profondes divisions ethniques et tribales existant dans le pays. Même si la révolte s’est étendue à Misrata et à d’autres villes, elle est restée relativement isolée et divisée.

    Le rôle de l’impérialisme en Libye

    Les forces de l’impérialisme se sont vite regroupées et ont utilisé le blocage de la révolution libyenne comme moyen pour intervenir afin de s’assurer qu’elle se développerait sans menace pour leurs intérêts dans la région. Kadhafi avait été inclus dans les petits papiers des pouvoirs occidentaux, en échange d’un accès aux ressources en pétrole du pays, mais l’impérialisme pouvait bien voir que sa capacité à apporter la "stabilité" à la région était à l’agonie. Ils s’unirent alors pour promouvoir une opposition pro capitaliste autour de Benghazi, comprenant de récents détracteurs du régime, sous la forme du Conseil National de Transition.

    Alors que les masses à Benghazi, dans la phase initiale de la révolution, étaient clairement opposées à une intervention impérialiste, le CNT a supplié les forces occidentales d’intervenir. Leurs médias, notamment par la voix d’Al Jazeera (messager du régime qatari pro impérialiste), ont mené une campagne de propagande pour exagérer la menace posée pas l’armée de Kadhafi et augmenter la popularité de l’intervention occidentale.

    Le CIO n’a pas succombé à la pression, comme tous les marxistes auraient dû l’analyser, mais a justement expliqué que l’impérialisme ne pouvait pas jouer de rôle progressiste dans la situation. Leur seul but était d’installer un régime clientéliste suffisamment fiable pour ne pas apporter une quelconque liberté ou améliorer le quotidien des masses libyennes. Seul un mouvement massif des travailleurs et des pauvres libyens pouvait apporter un véritable changement.

    Et ce que nous avions dit s’est révélé être juste. La campagne de bombardement qu’a mené l’OTAN a freiné le mouvement. Pire encore, de nombreux éléments de guerre civile se sont développés ; avec des caractéristiques raciales et tribales. Des atrocités ont été commises, tant d’un côté que de l’autre. Kadhafi a été destitué, au bonheur de beaucoup. Mais il a été remplacé par un « gouvernement » du CNT non représentatif. Les tensions ethniques dans le pays se sont aggravées, notamment avec l’émergence de milices tribales. Il se pourrait qu’on assiste à une partition sanglante du pays autour de conflits sur les ressources naturelles, à moins qu’une alternative basée sur les intérêts communs des travailleurs et des masses pauvres soit construite.

    La Syrie

    De manière similaire en Syrie, le mouvement contre le régime d’Assad a été freiné par l’absence d’organisations unifiées de la classe ouvrière et des pauvres. Non content de réprimer brutalement le mouvement (on reporte plus de 5000 tués par les forces de l’Etat et un usage répandu de la torture), Assad a invoqué des chimères de bain de sang sectaire pour décourager les minorités alawites et chrétiennes de s’engager dans le soulèvement.

    L’impérialisme occidental et les élites sunnites qu’ils sponsorisent dans la région aimeraient assister à la destitution d’Assad ; car cela affaiblirait l’influence et le pouvoir du régime Iranien. Cela a notamment été reflété dans l’appel fait à Assad pour qu’il se retire de la Ligue Arabe (d’habitude impuissante), mais aussi dans les sanctions économiques qui ont été prises et qui auraient coûté au régime deux milliards de dollar, selon les estimations. Comme en Égypte, une opposition pro-occidentale est en train d’être préparée pour prendre le pouvoir ; en l’occurrence sous la forme du Conseil National Syrien. Toutefois, le déclenchement de conflits sectaires une fois Assad tombé pourrait avoir de sérieuses conséquences pour les intérêts de l’impérialisme dans la région, et une forme de compromis avec Assad n’est pas à exclure.

    Les derniers mouvements des masses tunisienne et égyptienne les ont vues revenir sur la scène de l’Histoire dans une tentative de changer fondamentalement la société. Les emblèmes des dicatures qu’étaient Ben Ali et Moubarak, ainsi que tellement d’autres de leurs alliés, ont été balayés. Cependant, même si les anciens régimes ont été ébranlés jusque dans leurs fondements, ils n’ont pas encore été détruits. Les vieilles élites qui soutenaient ces régimes restent intactes dans leur large majorité, malgré la détermination des masses.

    En Tunisie, l’élite a offert Ben Ali et par la suite Ghannouchi en sacrifice pour pacifier les mouvements révolutionnaires et les empêcher de menacer la position même de la classe capitaliste. En Égypte, les dirigeants de l’armée, un des piliers de l’Etat, ont été incapables d’étouffer la révolte ; et sont de fait intervenus pour prendre le pouvoir « au nom du peuple ». Parmi de larges couches des masses révolutionnaires, il n’y avait que peu de confiance dans les intentions des élites et un véritable désir d’aller vers un changement complet de la société. Mais en l’absence d’un parti de masse de la classe ouvrière avec un programme clair pour une transformation révolutionnaire de la société, l’énergie des masses épuisées a été dissipée, et les classes dirigeantes furent en capacité de regagner un certain degré de contrôle.

    Malheureusement, la vague révolutionnaire n’a trouvé que des forces défaillantes dans la gauche socialiste. Les maoïstes de l’UGTT, dont l’influence est considérable, ont adopté une approche dite étapiste, clamant qu’un capitalisme libre et une démocratie bourgeoise devaient être développés avant que des revendications pour la classe ouvrière et le socialisme soient mises en avant. Ce qui ne correspondait en rien à l’attitude des travailleurs tunisiens, dont les revendications portaient sur de meilleurs salaires et conditions de travail, la nationalisation de l’énergie ; ainsi que des éléments de contrôle ouvrier. Plutôt que d’appeler à une coordination des conseils des travailleurs et des pauvres pour former la base d’un gouvernement révolutionnaire, les maoïstes ont filé le train à l’opposition libérale.

    La gauche en Égypte

    En Égypte, une majeure partie de la gauche se traînait aussi derrière le mouvement. Ils tendaient à suivre la direction imposée pas les Frères Musulmans et d’autres forces d’opposition pro capitaliste, dont certains dirigeants appelaient à la formation d’un « gouvernement de salut national » au lieu d’un gouvernement révolutionnaire qui représenterait les intérêts des masses. Mais les dirigeants des Frères Musulmans se sont continuellement dirigés contre la gauche.

    Les élections parlementaires dans les deux pays ont vu la victoire de forces religieuses de droite (Ennahda en Tunisie et les Frères Musulmans en Égypte). Le parti salafiste Al Nour en Égypte a aussi gagné des voix. Ce n’était en rien une issue inévitable. Au moins au début, Ennahda et les Frères Musulmans se sont tenus à l’écart des mouvements. Il y un an, Ennahda ne pesait que 4% dans les sondages et leurs slogans religieux ne rencontraient pas d’écho parmi les masses. La montée de ces forces reflète le vide politique énorme qui existe, et qui pourrait potentiellement être rempli par un parti de la classe ouvrière doté d’un programme pour un changement socialiste.

    Alors que les médias occidentaux agitaient le spectre de la menace de l’« Islam politique » pendant les soulèvements révolutionnaires, il est clair que ces forces ne représentent pas une menace mortelle face aux intérêts de l’impérialisme. D’ailleurs les deux partis ont adopté des positions pro-occidentales. Le régime qatari a joué un rôle direct dans la sélection du gouvernent Ennahda. Les Frères Musulmans ont annoncé qu’ils voulaient modeler la « nouvelle » Égypte comme le régime pro-capitaliste de l’AKP en Turquie.

    L’élection de ces gouvernements ne mettra pas fin au processus révolutionnaire engagé en Afrique du Nord. Au contraire, il est clair qu’on assiste à un renouveau des luttes de la classe ouvrière et des pauvres. La souffrance quotidienne des masses n’a fait que s’approfondir depuis la chute des dictateurs ; le coût de la vie et le chômage ayant augmenté. Les travailleurs et les jeunes n’accepteront pas calmement que la vie continue ainsi, dans la pauvreté, même avec de nouveaux dirigeants. Le sentiment que la révolution a été « volée », qu’il en faudrait une deuxième ou une troisième, grandit.

    La tentative de l’élite militaire égyptienne de contrôler les élections et la nouvelle Constitution afin qu’elle leur soit favorable a provoqué de gigantesques conflits avec les travailleurs et jeunes révolutionnaires. Malgré une répression massive avec des milliers d’arrestations, ils furent forcés de faire des concessions. Après les élections, il y a eu encore plus de conflits avec le régime pendant l’anniversaire de la révolte. Les illusions qui existaient dans le caractère « pro-populaire » des dirigeants de l’armée ont volé en éclats chez de plus en plus d’Egyptiens. L’organisation indépendante de la classe ouvrière et les actions dans les usines se développent.

    L’élection du nouveau gouvernement tunisien a été suivie de manifestations massives pour de meilleures conditions de vie. Une grève générale se prépare dans une importante région minière, où des éléments de pouvoir ouvrier existent aujourd’hui. Les travailleurs continuent de se battre obstinément pour des améliorations concrètes et immédiates dans la santé, l’éducation et toute une série d’autres domaines ; et ce malgré la forte désapprobation des dirigeants de l’UGTT.

    Le rapport de forces régional

    La vague révolutionnaire a terrorisé le régime d’Israël, menaçant de déstabiliser le rapport de forces régional, déjà fragile. Le mouvement des masses égyptiennes en particulier a posé la possibilité de développer des liens de solidarité avec le peuple palestinien – malgré l’approche conciliante des Frères Musulmans et de l’armée envers Israël. Netanyahou a tenté de soulever les questions nationalistes et la peur des masses arabes parmi la population juive pour essayer de dompter l’agitation qui régnait en Israël et de préparer la population à la possibilité d’excursions militaires pour défendre l’élite nationale. Mais en vain.

    Le mouvement des tentes qui a balayé Israël pendant l’été était une preuve remarquable de la capacité qu’ont les mouvements révolutionnaires à dépasser les divisions ethniques, religieuses, sectaires et nationales. Le mouvement a englobé une énorme proportion de la population et beaucoup de ceux qui se sont retrouvés directement impliqués ont naturellement connecté leur lutte avec celle des masses à travers la région. Alors que les dirigeants n’apportaient ni objectifs clairs ni stratégie, le mouvement exprimait le rage que les travailleurs et les jeunes juifs ressentent par rapport à la minuscule élite corrompue qui dirige le pays. Dans des endroits comme Haifa, le mouvement a eu beaucoup de soutien de la part des Palestiniens. Ceci montre la possibilité de construire un mouvement unifié des travailleurs à travers la région et de trouver une solution socialiste et démocratique à la question nationale.

    L’expérience de la première vague de mouvements révolutionnaires a augmenté la conscience politique des travailleurs et des jeunes en Égypte et en Tunisie et peut paver la route pour de nouveaux soulèvements. Cela donnerait une nouvelle vigueur aux mouvements en Syrie, au Yémen, en Iran et dans toute la région. De plus en plus de personnes tireront la conclusion que pour avoir un futur décent et une vraie démocratie, la classe ouvrière et les masses pauvres doivent prendre le pouvoir en leurs propres mains, rompre avec l’impérialisme et briser le système capitaliste lui-même. Si l’immense richesse et toutes les ressources de la région étaient reprises des mains des élites corrompues et parasitaires et planifiées démocratiquement par les travailleurs et les pauvres, les conditions de vie des masses pourrait être rapidement transformées.

    La construction de partis de travailleurs qui unifieraient les masses pauvres autour d’un programme pour un changement socialiste et révolutionnaire de la société est une nécessité urgente. Les forces du CIO et les marxistes dans la région travaillent à cet objectif ; et peuvent croître pendant la prochaine période de défis auxquels la classe ouvrière et les jeunes se trouveront confrontés.

  • Libye: La fin du régime de Kadhafi

    Non à l’intervention militaire étrangère : les travailleurs, les jeunes et les pauvres libyens ne doivent accorder aucune confiance à l’impérialisme

    Après six longs mois de combats sanglants, le renversement du régime dictatorial de Kadhafi a été fêté par de larges couches de la population. A nouveau, un dictateur a connu la déroute. L’intervention directe de l’impérialisme fait toutefois planer une ombre sur l’avenir de la révolution.

    Les impérialistes ont présenté leur intervention comme étant ‘‘humanitaire’’, alors que ces mêmes puissances travaillent main dans la main avec des alliés tels que les régimes dictatoriaux d’Arabie Saoudite et du Qatar. L’objectif de l’intervention militaire n’était aucunement de protéger les intérêts du peuple, mais bien de garantir l’instauration d’un régime fiable pour contrôler les ressources pétrolières et gazières tout en tentant de freiner la vague révolutionnaire qui parcourt la région.

    Le Conseil National de Transition s’est appuyé à la fois sur le soutien de la force aérienne de l’OTAN ainsi que sur la large insatisfaction ressentie à l’encontre de Kadhafi. Il manquait des organisations indépendantes des travailleurs, des jeunes et des pauvres pour organiser la lutte vers la conquête du pouvoir. L’élan de la révolution libyenne à ses premiers jours a été perdu. Contrairement au Caire et à Tunis, Tripoli n’a pas connu des manifestations de masse les unes après les autres ou des grèves pour saper le régime.

    Cela n’est pas simplement dû à la répression brutale de la part du régime de Kadhafi. Ainsi, la répression n’a pas empêché les manifestations de se poursuivre en Syrie. Cela est aussi dû à l’absence de toute organisation et à l’immédiate ingérence impérialiste, destinée à s’assurer de disposer à l’avenir d’un allié fiable dans le pays.

    Ce qui va dorénavant se produire n’est pas clair. Le soutien dont bénéficie le Conseil National de Transition est encore incertain. L’assassinat du chef militaire des rebelles, le général Younes, n’est pas encore résolu. Le chef du Conseil National de Transition, Jibril, était plus à l’étranger qu’en Libye car, même à Benghazi, il craignait pour sa sécurité. Si Jibril ne se sentait jusqu’à présent pas en sécurité à Benghazi, la base du Conseil de transition, il est compréhensible que le Conseil lui-même doute d’aller à Tripoli.

    Les différences régionales, nationales et religieuses pourraient gagner en importance dans la période à venir, de même que les affrontements tribaux, dans un contexte où une couche importante de la population est armée. Les impérialistes vont certainement tenter de remédier à la situation et de la ‘‘stabiliser’’, mais il est certain que la reconstruction du pays et les concessions sociales entreront bientôt en collision avec ce système capitaliste en crise.

    La construction d’un mouvement indépendant des travailleurs de Libye ou issus de l’immigration, des pauvres et des jeunes, basé sur des actions propres et sur une lutte orientée vers un changement véritablement révolutionnaire est le seul moyen d’à la fois contrer les projets impérialistes, mettre réellement fin à toute dictature et changer fondamentalement la vie des masses.

  • Kadhafi: du ‘socialisme arabe’ au capitalisme

    Une région en révolte – ce qui a précédé… (4)

    Le dictateur libyen Kadhafi est une des figures parmi les plus étranges de la scène politique mondiale. Tout d’abord partisan de Nasser, il s’était retrouvé ces dernières années à mener une politique de privatisations et de concessions aux grandes multinationales. Il nous semble utile de revenir sur un certain nombre d’éléments historiques.

    La monarchie libyenne s’est effondrée en 1969 avec un coup d’Etat opéré par un groupe d’officiers, les ‘‘Officiers libres pour l’unité et le socialisme’’, dont était membre Kadhafi. Ce groupe était d’inspiration nassériste, du nom du leader égyptien Nasser. Nasser était lui-aussi parvenu au pouvoir après un coup d’Etat militaire, et avait lui-aussi renversé un roi corrompu. Nasser n’a pas mis fin au régime capitaliste dans son pays, mais utilisait par contre une rhétorique ‘‘socialiste’’ afin de disposer d’un soutien plus large parmi la population. Sa politique consistait essentiellement à louvoyer entre l’impérialisme occidental et le soutien de l’Union Soviétique. Il appelait cela le ‘‘socialisme arabe’’. Au vu de la période de croissance économique mondiale de l’époque, il lui a été possible d’améliorer le niveau de vie de la population sur base de réformes, entre autres en investissant dans l’enseignement, le développement d’un secteur public, en opérant des nationalisations,…

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    Quelques photos que certains aimeraient beaucoup oublier aujourd’hui…

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    Kadhafi était devenu membre des ‘‘Officiers libres pour l’unité et le socialisme’’ en 1963, alors qu’il était en formation à l’académie militaire de Benghazi. En 1969, cette organisation a commis un coup d’Etat contre le Roi Idris Ier, qui devait abdiquer en faveur de son fils. Les militaires proclament la ‘‘République arabe libyenne’’ et portent Kadhafi au pouvoir. Ce dernier mêlait des idées islamistes au panarabisme de Nasser. En 1972, il est même arrivé, purement officiellement, à une ‘‘Union des républiques arabes’’ dont étaient membres la Libye, l’Égypte et la Syrie, mais qui ne verra jamais véritablement le jour. Par la suite, en 1973-1974, il a tenté d’établir une union tuniso-libyenne qui, après un accord initial du président Habib Bourguiba, ne se concrétise pas non plus. Kadhafi a également soutenu des organisations telles que l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) avec des armes et des camps d’entraînement.

    Cet échec dans ses tentatives d’instaurer une fédération régionale ont poussé Kadhafi à rechercher du soutien plus à l’extérieur. Cette nécessité avait particulièrement été inspirée par la crise économique internationale à partir de 1974. Le soutien qu’a alors trouvé Kadhafi auprès de l’Union Soviétique ne représentait pas un choix idéologique conscient. En 1971, Kadhafi avait encore envoyé à une mort certaine un grand nombre de communistes soudanais en les renvoyant de Libye vers le Soudan, où ils sont tombés aux mains du dictateur Jafaar Numeiri. L’Union Soviétique était de son côté fort intéressée par le pétrole libyen, certainement après que Kadhafi ait nationalisé les possessions de British Petroleum dans le pays. Une partie des militaires impliqués dans le coup d’Etat de 1969 ont eu des problèmes avec ce nouveau cours et ont tenté de démettre Kadhafi en 1975, sans succès. Un d’eux, Omar Mokhtar El-Hariri, est une des figures actuelles du Conseil National de Transition et dirigeant du gouvernement provisoire de Benghazi. Entre-temps, d’innombrables indications démontraient l’implication de la Libye dans des attentats terroristes, dont le plus connu est probablement celui de Lockerbie en 1988, où un Boeing 747 de la compagnie américaine Pan American World Airways a explosé au-dessus du village de Lockerbie en Écosse et causa le décès de 270 personnes.

    Kadhafi a essayé d’idéologiquement étayer son virage et a publié son ‘‘Livre vert’’ à la moitié des années ’70. Il y décrivait sa vision de ce qu’il qualifiait de ‘‘socialisme’’, un mélange de rhétorique à consonance socialiste concernant des comités populaires et des congrès populaires jusqu’à la ‘‘suppression du travail salarié’’, en plus d’influences religieuses, sans toutefois les appeler ainsi. Mais après la chute du stalinisme, Kadhafi a à nouveau opéré un virage. Mais il est frappant de constater que des mesures anti-travailleurs décidées dès 1969 (comme l’interdiction de tout syndicat indépendant et les restrictions du droit de grève) n’ont jamais été remises en question, quelque soit le virage de Kadhafi…

    Dans le contexte de la nouvelle situation mondiale qui a suivi la chute du mur et l’effondrement de l’Union Soviétique, Kadhafi a dû rechercher de nouveaux alliés, ce qui impliquait un nouveau virage. Le régime libyen a donc recherché à se rapprocher de l’impérialisme occidental, et Kadhafi a donc été le premier dirigeant arabe à condamner les attentats du 11 septembre 2001. Il s’est aussi excusé pour l’attentat de Lockerbie, et lors de l’invasion de l’Irak, il a expliqué que le pays stoppait son programme de développement ‘‘d’armes de destruction massive’’,… Ces dix dernières années Kadhafi a pu installer ses tentes chez presque tous les dirigeants du monde à Bruxelles, à Paris, à Washington,… Très peu ont continué à le considérer comme un ‘‘anti-impérialiste’’, le président vénézuélien Hugo Chavez est l’un des derniers. Chavez se trompe lourdement d’ailleurs : soutenir un dictateur qui s’oppose aux intérêts des travailleurs et des pauvres ne signifie pas d’avancer dans la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme. Chavez se trouve en douteuse compagnie à cet égard, car Kadhafi a même reçu le soutien de l’extrême-droite européenne pour son ‘‘anti-impérialisme’’ bien particulier (il a été chuchoté ça et là que les contrats pétroliers entre la Libye et la province autrichienne de Carinthie à l’époque où le dirigeant d’extrême-droite Jörg Haider y était au pouvoir a été obtenu grâce aux très bons liens personnels entre Haider et Saïf Al-Islam Kadhafi, le fils de Kadhafi).

    Les revenus du pétrole ont donné durant plusieurs années la possibilité à la dictature de louvoyer entre les différentes classes sociales et les puissances internationales. Une certaine forme d’Etat-Providence a même pu être développée, qui a accordé au régime un relatif soutien. D’ailleurs, malgré la politique de privatisations de ces dernières années, il reste encore certaines mesures sociales.

    L’accès au pétrole libyen pour les multinationales occidentales a assuré que la Libye soit peu à peu retirée de la liste des ‘‘Etats voyous’’. Le premier dictateur tombé cette année en Afrique du Nord (Ben Ali en Tunisie), a toujours pu compter sur le soutien de Kadhafi. Berlusconi a aussi conclu un accord avec la Libye pour empêcher les immigrants africains de parvenir en Italie. D’autre part, des dirigeants internationaux tels que Tony Blair ou Condoleezza Rice se sont rendus en Libye pour discuter avec Kadhafi.

    Mais malgré ce nouveau virage de Kadhafi, il n’a jamais été considéré comme un allié véritablement fiable. La possibilité de le faire tomber sur base du mouvement initié à Benghazi a été saisie par l’impérialisme pour partir en guerre contre lui. Mais la victoire n’est pas venue rapidement. Les exemples des pays voisins comme l’Égypte et la Tunisie illustrent la meilleure manière de faire chuter un dictateur: par un mouvement de masse, initié par la base même de la société.

  • LIBYE: Soutien aux masses et à leur révolution ! Aucune confiance dans l’intervention impérialiste !

    Face à l’avance rapide des troupes de Kadhafi, la décision du Conseil de sécurité de l’ONU a été fêtée dans les rues de Benghazi et de Tobrouk. Les puissances coalisées se présentent aujourd’hui en sauveurs de Benghazi. Mais l’intervention militaire va-t-elle véritablement aider la révolution en Libye ?

    Par Boris Malarme

    La chute des dictateurs Ben Ali et Moubarak a inspiré des millions de jeunes, de travailleurs et de pauvres en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et partout dans le monde. Presque chaque pays de la région est touché par les contestations contre l’absence de libertés démocratiques et contre la misère. Ces victoires ont encouragé les masses en Lybie à suivre la même voie.

    Kadhafi et ses anciens amis

    L’Italie, la France, l’Espagne et l’Allemagne sont les principaux partenaires commerciaux de la Libye. Tous sont engagés dans l’offensive militaire (comme la Belgique), à l’exception de l’Allemagne qui vient de décider d’augmenter son engagement militaire en Afghanistan.

    En octobre 2010, la Commission Européenne a passé un contrat de 50 millions d’euros sur trois ans, en échange d’efforts visant à empêcher les réfugiés d’arriver en Europe ! La Libye est aussi un grand investisseur en Europe via le fond d’investissements “Libyan investment Authority”. Khadafi est encore actionnaire de la banque UniCrédit, de Fiat, de la Juventus,… La Lybie – douzième producteur mondial de pétrole et première réserve de pétrole d’Afrique – exporte 80% de son pétrole à destination de l’Europe. La panique sur les bourses et la montée du prix du baril, qui a dépassé le seuil des 120$, a illustré que les marchés craignent le développement de la révolution libyenne et la remise en cause des profits que garantissait le régime.

    Nombreux sont ceux qui se souviennent de la visite de Kadhafi à l’Elysée, en 2007, quand Sarkozy balayait toute critique avec ses 10 milliards d’euros de contrats commerciaux. L’Espagne a fait de même pour 11 milliards d’euros.

    La Belgique n’est pas en reste (141 millions d’euros d’exportation vers le pays en 2008). La Belgique a d’ailleurs été le premier pays à recevoir Kadhafi en 2004, quand la communauté internationale a cessé de l’isoler. Après une entrevue avec la Commission Européenne, la tente du dictateur a été plantée dans les jardins du palais de Val Duchesse, où Kadhafi a été reçu en grande pompe par Guy Verhofstat, Louis Michel et Herman de Croo. Louis Michel avait préparé sa venue en lui rendant visite à Syrte, entouré de patrons belges. Le CDh et Ecolo avaient bien protesté, mais cela ne les a pas empêché de participer au gouvernement Wallon avec le PS et de valider ensemble la livraison d’armes de la FN en Libye.

    Après une première rencontre avec Kadhafi en 1989, Robert Urbain, ministre (PS) du Commerce extérieur des gouvernements Martens et Dehaene, a conduit une mission commerciale en Libye en 1991, avec de nombreux industriels et confirmant l’accord commercial général conclu avec la Libye et gelé en 1983. Les investisseurs ont même dégoté un contrat immobilier mégalomane : deux livres vert monumentaux à la gloire du régime…

    Les gouvernements successifs connaissaient les crimes et les atrocités commises par le régime de Kadhafi contre les opposants et la population, mais ont maintenu des liens commerciaux étroits. La participation belge à l’intervention n’est qu’hypocrisie, les politiciens qui tendaient encore hier leur main à Kadhafi essayent aujourd’hui de faire oublier leur attitude passée, tout en tentant de sauvegarder les positions commerciales et les profits des entreprises belges.

    En Europe et ailleurs, un fort sentiment de sympathie envers ces révolutions est présent parmi la population. Le soutien de nos gouvernements aux régimes dictatoriaux et répressifs à travers tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord a écorné leur image “démocratique”. Après avoir soutenu et armé la dictature de Kadhafi, l’entrée en guerre des puissances de la coalition n’a pas pour objectif de venir au secours des masses libyennes et de leur révolution. Jusqu’ici, elles étaient plutôt enchantées de faire affaire avec le régime de Kadhafi au vu des ressources gazières et pétrolières contrôlées par le régime.

    Aujourd’hui, les puissances occidentales tentent d’exploiter la révolution afin de restaurer leur prestige et d’obtenir un régime plus favorable à l’emprise des multinationales sur les richesses du pays, ou au moins de sa partie Est, au vu de la possibilité d’une partition du pays. Comment la présence des Emirats Arabes Unis et du Qatar au sein de la coalition peut-elle effacer le caractère impérialiste de celle-ci, alors que ces deux Etats sont militairement impliqués au côté de la monarchie semi-féodale d’Arabie Saoudite dans la répression de la population du Bahreïn ? Les puissances de la coalition n’ont rien fait contre l’Arabie Saoudite et la Belgique ne remet pas en cause son commerce d’armes avec celle-ci.

    Malgré ses efforts depuis une dizaine d’années, le régime de Kadhafi n’est pas un allié suffisamment fiable pour l’impérialisme. Mais Kadhafi n’a jamais été l’allié des masses et des révolutions, comme en témoigne son attitude après la fuite de Ben Ali, qu’il considérait comme une grande perte pour les Tunisiens. En 1971 déjà, Kadhafi s’est rangé du côté de la contre-révolution en livrant le dirigeant du puissant parti communiste du Soudan (un million de membres à l’époque) à la dictature de Nimeiry et en l’aidant à écraser la tentative de coup d’Etat de gauche qui avait fait suite à l’interdiction des forces de gauche. Kadhafi a beau qualifier son régime de ‘‘socialiste et populaire’’, ce dernier n’a jamais rien eu à voir avec le socialisme démocratique. Kadhafi et ses fils ont toujours dirigé la Lybie d’une poigne de fer.

    “Non à une intervention étrangère, les libyens peuvent le faire eux-mêmes”

    C’est ce qu’on pouvait lire fin février sur une pancarte à Benghazi. Cela exprimait le sentiment qui dominait contre toute intervention impérialiste. Mais le maintien du contrôle de Kadhafi sur l’Ouest (malgré les protestations dans la capitale et les soulèvements à Misrata et Zuwarah) et sa contre-offensive vers l’Est ont provoqué un changement d’attitude. Mais les révolutionnaires qui espèrent que l’intervention les aidera se trompent.

    La résolution de l’ONU, la ‘‘no-fly-zone’’ aux commandes de l’OTAN et les bombardements des puissances coalisées vont miner tout le potentiel pour concrétiser les véritables aspirations de la révolution libyenne. De plus, le régime essaye d’exploiter les sentiments anti-impérialistes qui vivent parmi la population. Le maintien du régime de Kadhafi ne s’explique pas seulement par la supériorité de son armement, mais surtout par les faiblesses présentes dans le processus révolutionnaire. Ainsi, l’absence de véritables comités populaires démocratiques sur lesquels se baserait le mouvement révolutionnaire et l’absence d’un programme clair répondant aux aspirations sociales de la majorité de la population a fait défaut. Cela aurait permis de bien plus engager les 2/3 de la population de l’Ouest (au-delà des divisions tribales et régionales), de fractionner l’armée et d’unifier les masses contre Kadhafi.

    Le Conseil National de Transition rebelle (CNT) est un conseil autoproclamé, largement composé d’anciens du régime de Kadhafi et d’éléments pro-capitalistes, favorables aux puissances occidentales. Parmi eux ; l’ancien dirigeant du Bureau national de développement économique, que l’on trouve derrière des politiques néolibérales et le processus de privatisations qui a pris son envol à partir de 2003. Cela laisse une relative marge de manœuvre à Kadhafi, qui bénéficie encore d’un certain souvenir de ce qui a pu être fait en termes d’enseignement et de soins de santé grâce aux revenus du pétrole depuis 1969, et qui a récemment fait des concessions en termes de salaires et de pouvoir d’achat sous la pression de la révolte.

    C’est ce qui explique que l’envoyé spécial du quotidien Le Monde dans l’Est du pays a témoigné “on ne sent pas parmi la population un enthousiasme phénoménal vis-à-vis du Conseil National de transition.” (23/03/2011) Il affirme aussi que si les Libyens de l’Est étaient à ce moment favorables à un zone d’exclusion aérienne, ils sont fortement opposés à une intervention au sol.

    Les travailleurs et leur syndicat peuvent aider la révolution libyenne en s’opposant à la participation belge dans l’intervention, en bloquant les exportations de la Libye et en gelant les avoirs de la clique de Kadhafi. Mais l’avenir de la révolution libyenne doit se décider en Libye même. Contrairement à la Tunisie et l’Egypte, la classe des travailleurs n’a pas encore joué un rôle indépendant dans la révolution. La création d’un mouvement indépendant des travailleurs, des jeunes et des pauvres est la seule façon d’empêcher le projet impérialiste, d’en finir avec la dictature et d’élever le niveau de vie de la population.

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