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Tag: Colombie
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Colombie : La grève générale déclenche un soulèvement de masse

Après plus de deux semaines d’un soulèvement populaire qui s’est étendu à tous les coins du pays, la Colombie reste en révolte ouverte. Les gaz lacrymogènes, les balles en caoutchouc et les balles réelles n’ont jusqu’à présent pas réussi à dissuader les masses. Elles en sont arrivées à la conclusion que la seule façon de sortir de leur misère sans fin est la lutte de masse contre le gouvernement de droite actuel et le système pourri qu’il représente.
Par Darragh O’Dwyer, Socialist Alternative (section d’Alternative Socialiste Internationale en Angleterre, Pays de Galles et Ecosse), article initialement publié le 14 mai sur internationalsocialist.net
La rébellion a débuté le 28 avril par une grève générale appelée par le Comité national de grève (un groupe composé des principales fédérations syndicales et d’autres organisations) en réponse à la proposition de réforme fiscale du président de droite Ivan Duque. La “loi de solidarité durable” aurait fait passer une partie de la classe moyenne et des travailleurs salariés dans une tranche d’imposition plus élevée. La TVA devait également être élargie pour couvrir un plus grand nombre de biens et de services auparavant exonérés. Bien qu’elle ait été présentée comme bénéficiant aux sections les plus pauvres de la société, il est rapidement devenu clair ce qu’elle signifiait réellement : une tentative de faire supporter les coûts de la pandémie par les masses.
Mais nous ne sommes pas à une époque où des attaques aussi frontales contre les travailleurs et les pauvres peuvent être menées sans conséquences graves. La réponse des masses colombiennes démontre avec force le type de résistance auquel la classe dirigeante peut s’attendre en cette période de crise capitaliste profonde.
Une victoire initiale
Bien qu’une seule journée d’action ait été initialement prévue, la grève générale a déclenché un mouvement d’une ampleur et d’une intensité qui ont dépassé de loin les attentes des directions syndicales. La bureaucratie et les partis d’opposition se sont retrouvés à la traîne des masses à maintes reprises. Le 1er mai, les appels au calme n’ont pas été entendus et les protestations ont continué à s’étendre et à prendre de l’ampleur.
Des manifestations combatives ont éclaté dans 250 villes et villages. Une grande partie du pays reste paralysée en raison des blocages. Rassemblant dans ses rangs toutes les catégories d’exploités et d’opprimés, le mouvement est un panorama de la diversité des luttes en Colombie. Travailleurs, étudiants, femmes, paysans, indigènes, afro-colombiens, militants LGBTQI, écologistes, tous unis contre un ennemi commun. L’arsenal de tactiques de division et de domination de l’élite colombienne – du racisme à la « peur du rouge » – s’est avéré inefficace pour faire dérailler l’insurrection.
Le 2 mai, le mouvement a remporté sa première victoire lorsque Duque a retiré le projet de loi si détesté. Le jour suivant, son architecte, le ministre des finances Alberto Carrasquilla, a démissionné, touché par la disgrâce. Mais tout espoir que ces concessions calment la colère de la rue s’est rapidement évaporé. Le mouvement s’est radicalisé davantage et une série d’autres revendications ont été reprises, qui reflètent toutes la compréhension que le projet de loi n’était que la partie visible de l’iceberg. Parmi celles-ci figurent l’arrêt de la privatisation des soins de santé et du système des retraites, la gratuité de l’enseignement supérieur, la fin de la répression d’État et la démission de Duque.
La pandémie enflamme la fureur des masses
Ce qui se passe en Colombie est une réémergence, à un niveau plus élevé, du mouvement de masse qui avait eu lieu en novembre 2019 dans le cadre de la vague de révoltes anti-néolibérales qui a secoué l’Amérique latine et balayé le monde entier. Comme ailleurs, la propagation du Covid-19 a interrompu les développements en cours, mais cela ne pouvait être que temporaire. Le mécontentement qui a éclaté dans les rues en 2019 a continué à couver dans le contexte d’une pandémie qui a fait des ravages dans toute la région.
Avec 3 millions de contaminés recensés et près de 80.000 décès, la Colombie a subi l’une des pires crises sanitaires au monde. Les confinements stricts ont eu un impact économique dévastateur sur un pays où 62% de la main-d’œuvre est employée dans le secteur informel. Le chômage a plus que doublé, 500.000 entreprises ont fermé leurs portes et, l’année dernière, l’économie s’est contractée de 7 %. La catastrophe sociale qui s’en est suivie a plongé 3,6 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté, portant le nombre total à 21 millions, soit 42 % de la population. La malnutrition et même la famine, qui ne sont pas nouvelles dans le pays le plus inégalitaire d’Amérique du Sud, sont montées en flèche.
La pandémie a non seulement exacerbé les inégalités au sein des nations, mais elle a également creusé le fossé entre pays riches et pays pauvres. Si les premiers n’ont pas échappé aux coups de boutoir, les seconds ne disposent pas des mêmes ressources pour atténuer les pires effets de la crise. La dette de la Colombie a grimpé de 20 milliards de dollars l’année dernière, mais le gouvernement de droite de Duque a voulu assurer aux investisseurs qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.
Comme l’indique un article de Bloomberg : « Contrairement aux nombreux pays qui continuent d’emprunter et de dépenser pour stimuler la croissance au milieu de la pandémie, la Colombie a désormais pour priorité de tenir à distance les vigiles des obligations et de convaincre les sociétés de notation qu’elle est l’un des rares crédits de qualité d’investissement en Amérique latine. »
Autrement dit, la classe dirigeante colombienne, liée par mille fils à l’impérialisme américain, n’a pas osé insulter les intérêts des multinationales, des banques et des financiers. Au lieu de cela, elle s’est employée à vider le peu qui restait dans les poches de la classe ouvrière et des pauvres.
Bien sûr, la Colombie n’est pas un cas isolé. La pandémie a plongé toute la région dans la tourmente économique, sociale et politique. L’année dernière, des manifestations explosives du Guatemala au Paraguay ont révélé la rage qui existe sous la surface. Les succès électoraux de la gauche en Bolivie et au Pérou montrent également que de plus en plus de personnes sont à la recherche d’une alternative. Confrontés aux mêmes conditions intolérables que les masses colombiennes, les travailleurs, les jeunes et les opprimés de toute l’Amérique latine pourraient bien adopter les mêmes méthodes de lutte militante. Tous les matériaux inflammables sont là pour une explosion sociale à l’échelle du continent et, comme le titre d’un récent article de CNN l’indiquait, « les manifestations sanglantes de Colombie pourraient être un avertissement pour la région ».
« Le gouvernement est plus dangereux que le virus »
Même une pandémie enragée ne pourrait pas empêcher les masses de descendre dans la rue. La Colombie traverse son moment le plus sombre, enregistrant actuellement quelque 15.000 cas et 400 décès par jour. Le fait que le mouvement se soit développé en dépit de cette situation donne un aperçu des conditions désespérées auxquelles beaucoup sont confrontés. L’espoir d’un avenir sans misère s’est éteint et le sentiment qu’il n’y a rien à perdre est omniprésent.
Certaines pancartes donnent un aperçu de cet état d’esprit : « Le gouvernement est plus dangereux que le virus », « Nous en avons assez de survivre, nous voulons vivre », « Je préfère mourir dans la lutte que vivre dans la misère ».
La répression de l’État
Et beaucoup de personnes sont mortes dans la lutte. Si les chiffres officiels de l’État sont moins élevés, les organisations de défense des droits humains font état d’au moins 40 morts aux mains des forces de l’État, de plus d’un millier de blessés et de centaines de cas de manifestants qui ont « disparu ». La police a également sexuellement agressé des femmes – une méthode ignoble mais courante pour dissuader les éléments les plus radicaux de descendre dans la rue.
À l’instar des carabiniers au Chili, la police antiémeute colombienne, l’ESMAD, est désormais reconnue pour ses méthodes particulièrement brutales. La revendication radicale de leur démantèlement s’est maintenant généralisée. Tirer à bout portant sur les manifestants, faire foncer des véhicules sur les manifestations et terroriser sciemment les quartiers populaires sont quelques-unes des nombreuses formes de répression qu’ils ont exercées sur les masses.
Tout cela n’est pas une démonstration de force mais de faiblesse, trahissant la peur d’un soulèvement populaire qui frappe le capitalisme colombien en plein coeur. Pour exercer son contrôle, la classe dirigeante ne peut compter que sur la force brute. Mais chaque coup de matraque, chaque balle tirée et chaque tir de gaz lacrymogène fait prendre conscience que l’État n’est pas une force neutre mais un outil de domination de classe. Loin de briser le mouvement, ces expériences ont forcé les manifestants à tirer les conclusions les plus radicales sur ce qu’il convient de faire.
Cali – l’épicentre de la lutte
C’est à Cali, la troisième plus grande ville de Colombie, que la lutte a atteint son stade le plus avancé. Les quartiers ouvriers sont sous le contrôle de comités de quartier avec des éléments d’auto-organisation. Dans certains, des repas sont préparés collectivement pour les manifestants et des soins médicaux de base sont fournis. Sans surprise, c’est aussi là que l’État a frappé le plus fort. La grande majorité des décès enregistrés ont eu lieu ici et, comme le montre une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, des hélicoptères de la police ont tiré sur la foule.
Pour se défendre, les jeunes ont transformé de la ferraille en boucliers pour faire face aux gaz lacrymogènes et aux balles. La défense a également pris la forme de La Minga, une caravane d’indigènes qui a héroïquement fait le voyage jusqu’à Cali pour rejoindre la lutte et offrir une protection aux autres manifestants. L’unité inspirante entre ces secteurs a davantage alarmé l’élite. Des paramilitaires d’extrême droite se faisant passer pour des citoyens ordinaires effrayés ont ouvert le feu sur les manifestants indigènes, le tout sous l’œil complice de la police.
La résistance à Cali a été si forte que le président a effectué deux visites d’urgence et a ordonné un déploiement accru de troupes pour démanteler les barrages qui isolent une grande partie de la ville. Malgré sa faible cote de popularité, Duque et son parti, le Centro Democratico (dirigé par l’ancien président l’archi-réactionnaire Alvaro Uribe), ont redoublé d’efforts pour diaboliser le mouvement en le qualifiant de voyous et de vandales afin de justifier le bain de sang.
L’impérialisme américain et la classe dirigeante colombienne
Le mouvement met également Biden dans une position délicate, lui qui, depuis son entrée en fonction, a tenté de se distancer de la politique étrangère plus manifestement belliqueuse de Trump. Revalorisant l’impérialisme américain dans une rhétorique de la démocratie et des droits humains, il subit des pressions pour condamner le gouvernement Duque. D’autre part, les États-Unis ont d’importants intérêts économiques et géopolitiques en Colombie que Biden veut protéger contre l’impérialisme chinois qui a récemment renforcé son influence dans la région. « Je suis le type qui a mis en place le Plan Colombie » s’est vanté Biden lors de la course à la présidence de l’année dernière.
Ce Plan Colombie est une intensification de la « guerre contre la drogue ». Il s’agit d’une campagne de contre-insurrection contre les FARC et d’autres groupes de guérilla de gauche engagés dans une guerre civile de plusieurs décennies contre l’État colombien. Les États-Unis ont fourni aux gouvernements de droite successifs de l’argent, des armes et des formations pour intensifier une offensive militaire et idéologique contre non seulement les groupes de guérilla, mais aussi l’ensemble de la gauche et du mouvement ouvrier. En fait, cela a également conduit à la création de l’ESMAD, qui terrorise aujourd’hui les manifestants avec des fusils de fabrication américaine et des gaz lacrymogènes.
Les FARC, affaiblies, ont entamé des négociations de paix avec le gouvernement Santos en 2012 et un traité de paix historique a été signé en 2016, qui a conduit à la démobilisation et au désarmement des anciens guérilleros. Contrairement aux paroles souvent citées de Benjamin Franklin, l’accord était très certainement une « mauvaise paix ». Depuis 2016, plus de 600 dirigeants de mouvements sociaux et ex-guérilleros ont été massacrés – un rappel effrayant que le système est incapable de résoudre ses propres problèmes.
Tout ceci n’est que le dernier chapitre de l’histoire ensanglantée du capitalisme colombien, loué par la classe dirigeante du monde entier comme la démocratie la plus stable d’Amérique latine. Avec le soutien de l’impérialisme américain, le niveau de violence exercé par l’État colombien (et les forces paramilitaires d’extrême droite avec lesquelles il collabore régulièrement) dépasse celui de certains des régimes les plus despotiques de l’histoire. Ceux qui sont dans la rue aujourd’hui comprennent que la réalisation d’une paix véritable est complètement liée à la lutte contre Duque et Uribismo. Les liens historiques d’Alvaro Uribe avec les paramilitaires de droite sont bien connus, ce qui illustre les liens profonds entre les politiciens, les grandes entreprises et les cartels de la drogue.
La gauche, le CNP et la voie à suivre
Cet assaut prolongé et sanglant contre la classe ouvrière et ses organisations a certainement fait des ravages. La Colombie est l’endroit le plus dangereux au monde pour un syndicaliste, avec plus de 3.000 assassinats au cours des trois dernières décennies. Aujourd’hui, le taux de syndicalisation n’est que de 4 %. De même, la classe ouvrière et les opprimés ne bénéficient d’aucune représentation politique réelle. En regardant la Colombie d’aujourd’hui, on pourrait penser que les masses possèdent des réserves d’énergie infinies, mais ce n’est pas le cas. À un certain moment, une stratégie politique est nécessaire pour mener les choses à leur terme.
Nombreux sont ceux qui espèrent que Gustavo Petro, ancien membre du groupe de guérilla M-19, sera à la hauteur. Petro est arrivé deuxième derrière Duque dans la course à la présidence de 2018 alors qu’il a mené une campagne audacieuse qui a donné une expression au mécontentement bouillonnant des travailleurs et de la jeunesse et a brisé une impasse électorale pour la gauche. Le fait qu’un ancien guérillero – qui fait face à un barrage constant de propagande de droite – soit désormais le favori pour remporter les élections de l’année prochaine reflète une profonde radicalisation et un glissement vers la gauche de la société. Néanmoins, la conscience des couches les plus avancées du mouvement actuel a surmonté le léger programme social démoratique de Petro et son manque de confiance dans les masses pour mener une lutte révolutionnaire contre le capitalisme.
De la même manière, le Comité National de Grève (CNP), dirigé par la bureaucratie syndicale, ne constitue pas la direction que le moment exige actuellement. Le lundi 10 mai, le CNP a rencontré Duque mais n’est pas parvenu à un accord. Les mobilisations de masse se sont poursuivies à un rythme soutenu. Pourtant, le fait que le comité se soit même assis à la table du président alors que le pays reste militarisé et que le sang des manifestants tache les rues a provoqué la colère de beaucoup.
Cela met en évidence le gouffre entre la direction officielle et les sections les plus combattives du mouvement qui font réellement avancer la situation. Le CNP n’a pas coordonné correctement l’action, n’a pas proposé une stratégie qui s’appuie sur la force des masses qui, si elles étaient mobilisées ne serait-ce qu’à la moitié de leur potentiel, pourraient faire tomber Duque en quelques minutes.
Les formes embryonnaires d’auto-organisation observées à Cali et ailleurs donnent un aperçu du type d’organisation qui est réellement nécessaire. Des comités populaires doivent être créés dans les quartiers, sur les lieux de travail, dans les universités, dans les communautés paysannes et indigènes pour planifier et coordonner les actions locales, y compris l’organisation de l’autodéfense. Ces comités doivent ensuite être liés entre eux par des assemblées régionales et nationales. De cette façon, le véritable moteur du mouvement peut prendre l’initiative, discuter démocratiquement de la meilleure façon d’aller de l’avant et convenir collectivement d’un programme et d’une stratégie qui peuvent indiquer un moyen de sortir de la crise.
Pour nous, cela signifie l’extension de la grève à tous les secteurs de l’économie pour arrêter complètement et indéfiniment la production et lutter pour un programme incluant les revendications suivantes :
- A bas la répression ! Enquête et punition des responsables ! Dissolution de l’ESMAD !
- Non aux contre-réformes et autres mesures néolibérales ! Non à la privatisation de la santé ! Vaccins et santé publique garantis pour toutes et tous ! Aide d’urgence pour toutes celles et ceux qui en ont besoin ! Que les capitalistes et les super-riches paient pour la crise !
- A bas Iván Duque et le système politique et économique qui le soutient !
- Pour un gouvernement des travailleurs et des masses opprimées.
Colombia Resiste – Solidarité internationale
La solidarité du mouvement international de la classe ouvrière est absolument cruciale. Les faibles mots de condamnation des gouvernements capitalistes ne signifient rien. Biden et d’autres sont les défenseurs loyaux d’un système économique à l’origine de toutes les souffrances qu’endurent actuellement les masses colombiennes. Mais l’héroïsme et l’ingéniosité des manifestants, en particulier des jeunes, sont une source d’inspiration pour la classe ouvrière et les opprimés dans toute l’Amérique latine et au-delà.
C’est pourquoi Alternative Socialiste Internationale (ASI) s’est engagée à construire une campagne de solidarité internationale pour soutenir la révolte de masse en Colombie et toutes celles et ceux qui font face à la répression. Les socialistes, les syndicalistes, les militants antiracistes et féministes du monde entier sont solidaires du soulèvement héroïque des masses colombiennes. Nous luttons contre le même système économique mondial qui n’engendre que misère, violence et destruction écologique.
C’est précisément pour cette raison que nous nous organisons au niveau international – un parti mondial qui relie les luttes de la classe ouvrière et des opprimés sur tous les continents, unis dans un mouvement commun de rupture avec le capitalisme et l’impérialisme.

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Colombie : nouvelle vague de protestation contre les meurtres policiers

Le soir du 8 septembre, la police a assassiné un habitant de Bogota, Javier Ordoñez. Une vidéo de son assassinat brutal, alors qu’il était tazé à dix reprises, s’est rapidement répandue, provoquant une colère généralisée en Colombie. Ce meurtre s’ajoute aux 61 autres massacres perpétrés jusqu’à présent en 2020 par la police, alors que plus de 152 dirigeants syndicaux et de mouvements sociaux ont été assassinés de même que plus de 200 anciens membres des FARC tués après leur retour à la vie civile.
Par David Sanz Villamil, SAV (ASI-Allemagne)
Dans les jours qui ont suivi, des mobilisations militantes contre les violences policières ont éclaté. Ces événements présentent une grande similitude avec les protestations contre les violences et les meurtres policiers aux États-Unis. La réponse de la police colombienne a été encore plus violente qu’aux États-Unis.
Ce n’est pas le premier cas où les forces de police colombiennes ont dépassé les limites durant la pandémie, sans parler des nombreuses fois où elles l’ont fait auparavant. Mais la cruauté affichée dans la vidéo, ajoutée aux dizaines de situations de même nature qui ont été divulguées et combinée à la misère croissante ainsi qu’à la démission du gouvernement expliquent le caractère de masse des mobilisations contre la police de Bogota qui ont commencé immédiatement après ce meurtre.
Les 9 et 10 septembre, les manifestants ont refusé d’obéir aux ordres des autorités de se disperser. La police a réagi avec une force excessive à la simple présence des manifestants dans les rues, divers rapports faisant état de 13 morts et de plus de 200 civils blessés, dont 72 par balles. Trois femmes ont été enlevées et violées dans des commissariats de police et on ne peut que se demander à qui elles vont s’adresser pour porter plainte concernant ces horribles incidents. Les manifestants ont résisté à la présence de la police et auraient blessé 194 personnes et brûlé 45 petits postes de police, connus en Colombie sous le nom de CAI, à travers Bogota, la capitale du pays.
Des vidéos et d’autres preuves ont révélé les actions de la police. La police a tiré avec des armes à feu d’un modèle non conforme au lieu d’utiliser ses propres armes, de sorte qu’il était impossible de remonter jusqu’à eux. Des agents provocateurs déguisés et armés ont été envoyés dans la foule pour créer un chaos généralisé et justifier l’usage excessif de la force. Il n’y a aucune excuse acceptable pour que la police tire à balles réelles sur les manifestants, que ce soit avec des armes conformes ou non.
Une police irresponsable
Les forces gouvernementales sont incontrôlables de puis longtemps. La police colombienne fait partie du ministère de la défense et non des ministères de la justice ou de l’intérieur. Cela permet à la police d’être jugée par les tribunaux militaires spéciaux, au lieu des tribunaux civils ordinaires. Cela ne respecte pas la constitution colombienne, qui déclare que la police est une institution civile. De nombreux pays souffrent toutefois d’abus policiers alors que la police a un caractère civil, ce qui indique que la solution doit dépasser le simple respect de la constitution.
Le problème de la responsabilité de la police va au-delà de la manière dont ses actions sont jugées, car il est tout simplement très rare qu’elles soient jugées en premier lieu. Tout comme dans beaucoup d’autres pays, le gouvernement dépeint les policiers comme des héros de la patrie et des protecteurs de la communauté, ce qui contraste fortement avec la réalité et la fréquence des violences et des abus qu’ils font subir à la population.
Mais même en tenant compte des traditions des autorités colombiennes, le gouvernement de droite d’Iván Duque est allé au-delà de l’éloge et de la défense des forces de “l’ordre”. Le président Duque a déclaré que les forces de police “ont gagné le cœur des Colombiens grâce à leur culture du respect et de la bravoure” après la mort de Javier Ordoñez, ce qui ne peut guère être interprété autrement que comme une moquerie au regard de l’histoire de cette institution.
Le ministre de la défense, Carlos Holmes Trujillo, est allé plus loin en excusant de manière préventive les excès commis par les policiers lors des manifestations, affirmant que les manifestations ont un caractère systématique et ont été infiltrées par des membres de la guérilla de gauche et des groupes anarchistes et terroristes ne cherchant qu’à provoquer violence et destruction.
Comme il est d’usage dans la rhétorique de droite, Javier Ordóñez a déjà été déclaré persona non-grata à titre posthume par les réactionnaires colombiens, son alcoolisme le privant de son droit à un procès équitable. Il rejoint ainsi la longue liste des victimes d’abus des forces armées, dont Dylan Cruz, tué l’année dernière dans une manifestation d’un coup de feu à la tête, action justifiée par son vandalisme présumé. Le viol de trois adolescentes indigènes par des soldats a été justifié par l’affirmation dégoûtante que ces filles étaient à la recherche d’aventures sexuelles. Au cours de la répression brutale du début des années 2000, 10.000 jeunes hommes ont été assassinés par l’armée, qui a prétendu à tort qu’ils étaient des guérilleros.
2020 : Une année de malheur pour la classe ouvrière
L’explosion de colère populaire est enracinée dans la situation colombienne. Alors qu’un confinement réussi a entravé les premiers effets de la pandémie COVID-19, le gouvernement n’a pas voulu agir pour endiguer la hausse du chômage et la baisse des opportunités d’emploi dans une économie nationale essentiellement informelle, ce qui a placé le peuple colombien dans une situation désastreuse.
L’un des pays les plus fertiles du monde – rarement, voire jamais, frappé par la famine – a vu beaucoup de ses citadins souffrir de la faim exclusivement parce qu’ils n’avaient plus d’argent pour acheter des provisions afin de subvenir aux besoins de leur famille. Des serviettes rouges sont accrochées aux fenêtres lorsque des personnes en difficulté appellent à l’aide leurs voisins. Il n’est pas très surprenant que les mesures strictes de confinement auxquelles s’opposent les personnes qui ont désespérément besoin de travail et les vendeurs de rue dans tout le pays aient été le prétexte de brutalités policières répétées.
Les appels à un “revenu de base” ont été largement ignorés par le gouvernement, et le peu qu’ils ont donné – sous la forme d’une prime unique aux plus pauvres du pays correspondant à la moitié du salaire minimum – était insuffisant pour une personne isolée, encore plus pour une famille.
Si la violence généralisée n’a jamais vraiment disparu, elle s’est accélérée cette année, avec la longue liste de massacres visant particulièrement les militants sociaux, écologistes et syndicaux ainsi que les anciens membres des FARC.
Une longue histoire de violence d’Etat
L’ancien président Álvaro Uribe Vélez, de 2002 à 2010, était un populiste de droite qui a privatisé des pans entiers de l’économie et mené une guerre brutale contre les guérillas avec un recours généralisé aux escadrons de la mort militaires et surtout paramilitaires. Les soldats recevaient des primes pour les guérilleros qu’ils tuaient. L’armée a tué des milliers d’innocents en réclamant des primes. Uribe commentait “s’ils ont été tués, ce n’est pas pour avoir été chercher du café”. Uribe était populaire auprès du président américain George W Bush, qui l’a félicité pour sa “guerre contre la drogue”, bien qu’il soit soupçonné d’être impliqué dans ce trafic de drogue et alors que la Colombie est restée au centre de la production de cocaïne.
Son successeur, le président Santos, a négocié un accord de paix avec les guérillas. Cependant, son successeur, l’actuel président, Iván Duque Márquez, est un protégé d’Uribe et n’a pas poursuivi le processus de paix. Au lieu de cela, des escadrons de la mort paramilitaires de droite parcourent à nouveau les terres en grand nombre, en particulier dans les régions anciennement contrôlées par les FARC, et les enlèvements et les menaces de “nettoyage social” deviennent systématiques dans de nombreuses communautés rurales et petites communes dont les membres sont soupçonnés d’avoir des penchants de gauche.
Les promesses d’alternatives à la production de coca dans les campagnes ont eu pour résultat, au mieux, des efforts anémiques. Les efforts d’éradication de la coca, qui impliquent souvent des pulvérisations aériennes de glyphosate qui empoisonnent l’eau et provoquent des maladies, n’ont jamais vraiment cessé pendant les périodes de pandémie, opposant la population rurale à la police et aux forces militaires.
La droite a intensifié sa violence après qu’Uribe ait été assigné à résidence en août, accusé de corruption et de falsification de témoins. La réponse d’Uribe a été d’appeler à la résistance nationale contre le “virus de la jeunesse des FARC” et les juges.
Les forces militaires ont été utilisées pour soutenir la police dans la répression à Bogota, car les frontières entre la police et l’armée sont floues. On ne peut s’empêcher de se demander si l’État a déclaré la guerre à la classe ouvrière pour qu’une telle action ait lieu.
Le vieil adage selon lequel il ne faut pas gâcher une crise était à l’esprit de Duque pendant cette pandémie, car il a saisi cette occasion pour instaurer l’état d’urgence dans le pays et commencer à lancer des décrets sans participation des autres branches du gouvernement.
Parmi ces décrets figurent la permission accordée au personnel militaire américain de se rendre en Colombie, de multiples allégements fiscaux pour les entreprises du secteur privé et des prêts généreux pour les grandes entreprises et les propriétaires terriens. Les décrets qui bénéficieraient directement à la population générale étaient rares et l’un d’entre eux est tristement célèbre pour ne pas avoir été signé correctement par les ministres, qui n’ont pourtant eu aucun problème à signer les autres.
Ces actions ont été facilitées par le fait que le parti Centro Democrático (CD), fondé par Uribe, a réuni une coalition majoritaire au Sénat, et que ses membres, qui sont également des amis personnels du président, occupent les sièges de procureur de l’État, d’avocat de l’État et de “défenseur du peuple”, qui sont chargés de surveiller le comportement du président et de ses ministres.
Avec ces événements et bien d’autres, il n’est guère surprenant que la frustration refoulée de la population ait produit une puissante réaction aux abus flagrants commis par les forces de l’État.
La résistance sociale
Le peuple colombien a résisté aux gouvernements de droite. Lors des élections régionales, le parti de Duque a subi des défaites embarrassantes, notamment dans les deux plus grandes villes, Bogota et Medellín. Duque a cependant continué à mener sa politique.
En novembre, une grève nationale a été déclenchée par les comités syndicaux nationaux et de nombreux groupes d’opposition, dont certains présents au parlement. Le “Comité pour la grève nationale” a clairement appelé à s’opposer aux institutions impérialistes financières et de développement. Les revendications comprenaient l’opposition aux attaques contre la législation du travail, contre les impôts, contre les pensions et contre les services publics, des attaques qui allaient toutes signifier une augmentation ud coût de la vie pour les travailleurs et les pauvres. Il s’agissait également de s’opposer à la constitution d’un conglomérat des plus grandes institutions financières et de l’État.
Même si les objectifs de la grève n’ont pas été atteints, il s’agissait des plus grandes manifestations antigouvernementales en quatre décennies, entre novembre 2019 et janvier 2020. Elles ont effrayé le gouvernement et l’ont incité à reporter ses attaques contre le mouvement ouvrier. Des débrayages et des manifestations ont eu lieu dans tout le pays, dans tous les grands centres urbains. Ils ont été accueillis par une forte répression policière et les rapports faisant état de l’activité d’agents provocateurs ont accru l’indignation populaire alors que les principaux médias, absolument en accord avec le gouvernement, essayaient de délégitimer les protestations.
Le couvre-feu et le confinement lié à la pandémie ont mis sur pause les manifestations. Aujourd’hui, six mois après la fin de ce mouvement, la poudrière du mécontentement social a explosé sous la forme d’une mobilisation contre les abus de la police.
Quelles sont les revendications populaires ?
Ce mouvement n’a pas d’organisation claire et il n’y a pas de groupe de dirigeants précis à sa tête. Il s’agit d’une expression spontanée de l’indignation populaire. Pourtant, certains appels ont résonné sur les médias sociaux. Une chose est claire : les gens veulent une réforme de la police.
Trois choses spécifiques ont été fréquemment mentionnées dans ces protestations ainsi que dans les mouvements passés : l’appel à l’abolition de l’Escadron mobile anti-perturbation (ESMAD) qui possède des véhicules militaires et constitue la partie la plus répressive de la police, la démilitarisation générale des forces de police (en interdisant à la plupart d’entre elles de porter des armes à feu et en limitant les types d’armes à feu auxquelles elles ont accès) et le transfert des institutions policières au ministère de l’intérieur afin que le système spécial de justice militaire ne couvre pas leurs abus.
Le gouvernement ne cédera pas à ces exigences et l’indignation populaire contre le gouvernement et la police semble augmenter de jour en jour. Des manifestations de masse ont lieu dans les grandes villes comme Medellín et Carthagène. Le Comité national de grève a appelé à des manifestations dans tout le pays. Il est probable que les revendications s’étendent au-delà de la réforme de la police, avec des appels à une certaine forme d’allocation de secours pour les masses et un renversement de nombre des récentes attaques contre la classe ouvrière, qui bénéficient d’un soutien populaire accru.
La situation du plus grand allié des États-Unis en Amérique du Sud devient de plus en plus instable, le gouvernement de droite et ses alliés perdent leur crédibilité à un rythme sans précédent. Cela n’a pas empêché Mike Pompeo, le secrétaire d’État de Trump, de faire l’éloge de Duque lors d’une récente visite sans dire un seul mot au sujet des violations des droits humains en Colombie. Le remarquable soutien des Etats-Unis à la Colombie dans la prétendue guerre contre le trafic de drogue a été accueilli avec ridicule par le peuple colombien, bien conscient que la Colombie est le plus important producteur de cocaïne au monde et les Etats-Unis le plus gros acheteur.
Le soutien populaire à Gustavo Petro, candidat de gauche à la présidence de l’année dernière, est à son plus haut niveau mais la confiance dans le processus électoral s’est effondrée. Une chose que beaucoup de gens craignent dans cette situation est une plus grande répression de la part du gouvernement actuel pour compenser sa perte de contrôle sur la situation. Il y a également un risque de fraude électorale pour les prochaines élections. Si Petro était élu, il serait le premier président de gauche de l’histoire de la Colombie, et il ne fait aucun doute que la réaction ne perdrait pas de temps à se battre pour rendre son gouvernement aussi inefficace que possible.
Une chose est sûre : La Colombie est plongée dans une crise sociale et économique qui ne peut que s’aggraver, une crise sans issue capitaliste. Le besoin de construire un soutien pour une alternative socialiste, au sein des mouvements de masse des travailleurs, des jeunes et de tous les opprimés, lié à une lutte sur tout le continent pour une fédération socialiste de peuples libres, n’a jamais été aussi grand.
Il est à noter que les gouvernements du monde entier n’ont pas critiqué les meurtres et les massacres en Colombie. Alternative Socialiste Internationale (ASI, dont le PSL/LSP est la section belge) se bat pour mettre en évidence l’hypocrisie des gouvernements qui parlent des droits humains dans certains pays mais pas dans d’autres, dans la lutte pour une véritable solidarité internationaliste de la classe ouvrière.
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Argentine : Kirchner nationalise l’entreprise de pétrole YPF
L’annonce de la présidente péroniste de l’Argentine, Cristina Fernandez Kirchner, que 51% des parts de l’YPF seraient prises par l’Etat a rencontré un soutien massif en Argentine et a été vu comme une attaque envers la multinationale Repsol. Mais elle s’est attirée les foudres de l’impérialisme.
Tony Saunois, CIO
Le ministre de l’industrie espagnol, José Manuel Soria, a dénoncé cela comme un acte ”d’hostilité envers l’Espagne qui aura des conséquences”. Rajoy a parlé d’un acte ”arbitraire et hostile” qui casse le ”climat d’amitié” entre les deux pays. Le British Financial Times a reproduit ce ressentiment. Son éditorial, titré ”un acte lamentable de piraterie économique”, a mis en garde l’Argentine qu’elle pourrait être ”suspendue du G20” et prévenu Kirchner : ”Elle ne devrait pas oublier que tout acte ont des conséquences”. (FT 18/4/2012)
Le président néolibéral du Chili, Pinera, et Camderon, du Mexique, se sont aussi joints aux critiques contre cette acte de Krichner. Même Evo Morales le président Bolivien, dans une réaction assez lâche, a argumenté que c’était une question bilatérale entre deux Etats et que son gouvernement jouissait de bonnes relations avec Repsol ! Son propre gouvernement a pourtant subi des attaques similaires de la part du Brésil lorsqu’il a pris des mesures du même type contre Petrobras, la multinationale brésilienne ! (Depuis l’écriture de cet article, Morales a annoncé la nationalisation de l’entreprise de Transport d’électricité TDE, NDLR)
La nationalisation des parts de l’YPF est un développement significatif qui a des conséquences importantes au-delà de l’Argentine, c’est d’ailleurs ce qui se cache derrière le déversement de venin contre l’intervention d’Etat de Kirchner. La classe dominante mondiale a peur que cela puisse constituer un précédent pour d’autres gouvernements alors que la crise économique mondiale s’aggrave. ‘‘Le chant des sirènes populistes séduit à nouveau…’’ a ainsi titré Moisés Naim dans son article paru dans le Financial Times du 19 avril 2012. Ces développements en Argentine sont une anticipation de ce qui pourrait se développer dans d’autres pays alors que la crise du capitalisme s’intensifie. En ce sens ils signifient le début d’une nouvelle ère.
L’hostilité et l’opposition internationales aux mesures similaires de Hugo Chàvez au Venezuela dans le passé (quand son gouvernement avait également agi contre Total, BP et Chevron), elles n’atteignaient pas le même niveau que les réactions actuelles consécutives à l’intervention de Kirchner. C’est que la situation mondiale est maintenant beaucoup plus critique pour le capitalisme mondial. L’idée que d’autres gouvernements puissent être forcés d’intervenir et d’aller encore plus loin dans les nationalisations de secteurs de l’économie (que cela soit sous la pression de la population ou pour défendre leurs propres intérêts) terrifie à présent la classe dominante.
Une nouvelle politique de la classe dominante?
L’intervention de Kirchner, en saisissant 51% des parts de l’YPF, pourrait être annonciatrice d’une nouvelle situation où les gouvernements se verraient forcés d’intervenir, par une intervention d’Etat, afin de tenter d’atténuer les effets d’une sérieuse récession prolongée ou d’un marasme économique.
Cela remet aussi la question de la nationalisation à l’ordre du jour politique ; la classe dominante craint que la classe ouvrière se saisisse de ce mot d’ordre et exige son application. Les développements en Argentine sont en conséquences extrêmement importants internationalement.
L’intérêt géopolitique de l’Amérique Latine et des Amériques est un élément supplémentaire important. Le déclin perceptible d’Hugo Chàvez laisse un espace que Kirchner tente de remplir. L’impérialisme États-Unien a donc été plus prudent dans sa réaction, ne voulant pas pousser Kirchner davantage dans la ‘‘camp populiste’’. Le journal espagnol El Pais a cité un haut fonctionnaire États-Unien qui, à la suite du récent Sommet des Amériques en Colombie, disait que : ‘‘Nous avons des divergences occasionnelles avec l’Argentine, mais nous ne voulons pas que cela (la nationalisation de l’YPF) compromette notre large coopération économique et sur la sécurité’’ avec l’Argentine. (El Pais 16/4/12)
Cette re-nationalisation partielle de YPF est directement issue des conséquences désastreuses des privatisations massives menées en Argentine dans les années ’90 sous le règne du président péroniste Carlos Menem. Traditionnellement, le péronisme (un mouvement nationaliste populiste) a adopté une politique de lourdes interventions de l’Etat dans l’économie. Mais Menem avait change d’orientation et s’est dirigé vers des privatisations massives, résultat de l’adoption de la logique néolibérale qui prévalait intentionnellement. Il s’agissait à tel point d’un nouveau départ pour le péronisme qu’il a été surnommé le “Menemismo”.
L’YPF a été privatisé en 1992. Tout comme les autres privatisations, ce fut un désastre pour les masses, mais a qui représentait d’immenses opportunités pour les capitalistes argentins et pour les multinationales telles que Repsol qui sont retournées en Amérique Latine tels de nouveaux conquistadores, en achetant des pans entiers de l’économie d’Argentine et de l’Amérique Latine.
Ces privatisations ont véritablement été catastrophiques pour l’économie. Comme Kirchner l’a fait remarquer, le manque d’investissements et de développement dans les secteurs de l’énergie et du pétrole a eu pour conséquence que l’Argentine a dû commencer à importer du gaz et du pétrole pour la première fois depuis plus de 17 ans. Et cela malgré la découverte de champs de gaz étendus, connus sous le nom de Vaca Muerta (la ‘‘vache morte’’). ‘‘Cette politique vide, de ne pas produire, de ne pas explorer, nous a pratiquement transformés en un pays non-viable en raison de la politique du business, et non à cause d’un manque de ressources’’, était l’une des raisons invoquées par Kirchner pour prendre une part majoritaire de l’YPF. (El Pais 17/4/12)
Récemment encore, l’Aérolinéas Argentinas privatisée, les compagnies d’électricité et quelques autres ont aussi été renationalisées, en partie pour des raisons similaires. Ce changement de politique par le gouvernement Kirchner fait suite à un net ralentissement de l’économie, à une augmentation de l’inflation, à l’introduction de coupes budgétaires ainsi qu’au développement du chômage.
Ce qu’elle dit dans les faits, c’est que si le secteur privatisé n’assurera pas les services essentiels, alors l’Etat va intervenir et le faire. Cependant, malgré l’épanchement d’hostilité de la part des représentants du capitalisme et de l’impérialiste, Kirchner n’a pas effectué une nationalisation socialiste.
Trotsky et le Mexique de 1938
En mars 1938, le gouvernement populiste radical du Mexique dirigé par Làzaro Càrdenas a nationalisé les compagnies pétrolières Anglo-Américo-Néerlandaises. Trotsky argumentait que cette étape devait être soutenue et que les syndicats et la classe ouvrière devraient lutter pour un contrôle et une gestion démocratique par les travailleurs dans la nouvelle industrie d’Etat, bien que celle-ci n’ait pas été construite sur des bases socialistes. Cette approche est une leçon pour l’Argentine aujourd’hui.
De la même manière, les marxistes britanniques revendiquaient le contrôle et la gestion démocratique par les travailleurs lors des nationalisations des houillères, des chemins de fer et d’autres secteurs de l’économie par le gouvernement travailliste d’après-guerre. Ils proposaient concrètement que les conseils de ces entreprises soient formés d’un tiers de syndicalistes de l’industrie en question, un tiers de représentants de la Confédération Syndicale (représentant la classe ouvrière au sens large) et d’un tiers de représentants du gouvernement.
La nationalisation partielle de Kirchner a été suffisante pour provoquer la colère de la classe dirigeante. Elle ne signifie pas qu’un simple changement dans la politique du gouvernement, il s’agit d’un changement dans la politique de la dynastie Kirchner elle-même. Christina Kirchner n’a pas été partisane de la classe ouvrière et des pauvres d’Argentine. Son prédécesseur et défunt mari, Néstor Kirchner, était un partisan enthousiaste de la privatisation de l’YPF en 1992. En 1999, il a vendu 5% des parts de l’YPF à Repsol détenues en Patagonie, dans la province de Santa Cruz où il était alors Gouverneur.
Comme Repsol augmentait sa possession de YPF jusqu’à 99%, Kirchner a alors appuyé une politique d’ « Argentinisation » et a insisté pour qu’un pourcentage reste détenu par des intérêts argentins. En conséquence, le groupe Argentin Peterson, possédé par la famille Eskenazi, a reçu 25% des parts de l’YPF. Celles-ci n’ont pas été touchées par la récente nationalisation partielle.
Au gouvernement, les Kirchner ont amassé une fortune. Quand Nestor Kirchner a été élu président en 2003, la fortune du couple était estimée à 2,35 millions de dollars. Pendant son règne, la richesse des Kirchner a augmenté d’un étourdissant 900% en 7 ans. Au moment de la mort de Nestor en 2012, ils possédaient 18 millions de dollars avec 27 maisons, appartements, magasins et hôtels à leur nom. En 2003, la famille n’avait pas d’intérêts économiques dans la ville Patagonienne El Calafate. En 2010, les Kirchner dirigeaient 60 à 70 % de l’activité économique de la ville.
Les mesures prises par Cristina Kirchner, qui vont être très populaires en Argentine, sont une intervention d’Etat pour essayer de résoudre la crise de l’énergie. Elles ont été prises en partie pour essayer de résoudre le déficit énergétique et l’échec de Repsol à développer l’industrie. Elles sont aussi une tentative par Kirchner d’obtenir du soutien dans un contexte d’économie déclinante et d’attaques contre la classe ouvrière. Elle a essayé d’invoquer la mémoire de la populiste radicale et nationaliste Evita Peron (en annonçant les mesures devant une image d’une Evita souriante et en présence des Madres de la Plaza, les mères des milliers de disparus sous la dictature militaire).
Cette intervention montre comment la classe dominante peut être contrainte de changer sa politique et de soutenir l’intervention d’Etat quand elle y est forcée ou quand ses intérêts sont menacés.
En faisant cela, Kirchner a frappé un grand coup aux intérêts de l’impérialisme espagnol et de sa multinationale Repsol. Elle a agité le spectre que d’autres coups plus forts soient frappés contre les autres pays et replacé la question des nationalisations à l’ordre du jour politique. Cela a terrifié la classe dirigeante du monde entier. La revendication de nationalisations doit maintenant être reprise par les organisations des travailleurs mondialement. En Espagne, la formation de gauche Izquierda Unida s’est opposée au gouvernement Espagnol et a défendu le droit du gouvernement Argentin à nationaliser l’YPF, ce qui est positif. Cependant, l’achat de 51% des parts de l’YPF ne constitue pas une ‘‘nationalisation socialiste’’. Kirchner elle-même a été très claire lorsqu’elle a déclaré : ‘‘Le modèle n’est pas l’étatisation, c’est clair, mais la récupération de la souveraineté et du contrôle du fonctionnement de l’économie.’’ (El Pais 17/4/12)
Le Comité pour une Internationale Ouvrière et ses sections à travers le monde (dont le PSL en Belgique) s’opposent aux protestations des politiciens impérialistes et capitalistes.
Nous soutenons toutes les mesures authentiques prises contre l’impérialisme. Nous demandons que des actions réelles soient entreprises contre la domination impérialiste de l’économie et des capitalistes nationaux qui exploitent les peuples d’Argentine. Nous soutenons donc une nationalisation socialiste démocratique du secteur de l’énergie entier.
Pour la nationalisation de Repsol, de toutes les multinationales et de tout l’YPF en ne payant une compensation que sur base de besoins prouvés ! Le secteur de l’énergie nationalisé devrait alors être dirigé démocratiquement par la classe ouvrière d’Argentine, dans le cadre d’un plan démocratique de toute l’économie basé sur la nationalisation des grandes entreprises.
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Pérou : Ollanta Humala remporte les élections présidentielles – Quelles perspectives pour la classe ouvrière ?
La nuit du 5 juin dernier, des milliers de personnes ont célébré la victoire électorale de leur candidat, Ollanta Humala, sur la Plaza Dos de Mayo au centre de Lima. Parmi eux se trouvaient surtout des militants syndicaux ou issus des différents mouvements de lutte du pays. L’élection d’Ollanta Humala a créé beaucoup d’espoirs pour des changements radicaux sur les plans politique, social et économique dans ce pays andin. Mais c’est surtout la force de la classe ouvrière qui déterminera l’orientation de ces changements.
Par Tim (Bruxelles)
Avec ses 51,5% des voix, le populiste de gauche Ollanta Humala a battu son adversaire Keiko Fuijimori, qui a su convaincre 48,5% de l’électorat. Ce résultat est arrivé après une lutte électorale extrêmement tendue, déjà commencée lors des élections régionales et locales d’octobre 2010. Ces dernières avaient été de cuisantes défaites pour les partis traditionnels du Pérou, qui avaient tous perdu contre des candidats ‘‘indépendants’’, et souvent peu connus. Il s’agissait d’une punition suite à la politique néolibérale que ces partis ont mené : une politique où la forte croissance économique s’est accompagnée d’une large croissance de la pauvreté.
Néanmoins, les favoris des sondages pour la présidentielle – l’ancien bourgmestre de Lima, Luis Castañeda, l’ancien président Alejandro Toledo et l’ancien premier ministre Pedro Pablo Kuczynski – se sont obstinés à répéter qu’ils avaient l’intention de poursuivre cette politique s’ils étaient élus. Mais tous les sondages, les uns après les autres, leur donnaient tort. Après le premier tour des élections en avril, seuls deux candidats restaient en lice: le populiste de gauche Ollanta Humala et Keiko Fujimori, la fille de l’ancien dictateur Alberto Fujimori, qui a régné sur le pays entre 1990 et 2000, jusqu’à être chassé du pouvoir par un soulèvement populaire.
Mais entre ces deux candidats pour le deuxième tour, les choses restaient très tendues. Fujimori a pu compter sur un certain soutien, surtout parmi les couches les plus pauvres de la population, basé sur une politique clientéliste suite à l’accès de certains à des ressources limitées (électricité, eau, …) permises par ‘‘papa’’ Fujimori dans les années ’90. A côté de ça, Fujimori a reçu le soutien de l’immense majorité de la presse bourgeoise, les entrepreneurs et les partis traditionnels, qui craignaient que leurs privilèges ne soient mis en danger par les réformes économiques et sociales que Humala avait promis. Ils préféraient clairement un retour au régime autoritaire fujimorien plutôt que de devoir partager une partie de leurs richesses avec les travailleurs et les pauvres du pays.
Humala a, de son côté, obtenu son soutien principalement parmi les mouvements sociaux et la classe ouvrière organisée du Pérou. Beaucoup de militants ont placé beaucoup d’espoir en Humala et ce qu’il pourrait faire pour les revendications de changements sociaux et économiques des pauvres et des travailleurs. Ces dernières années, le Pérou a connu une grande inflation de luttes.
Le pays a connu une des plus grandes croissances économiques au monde (10% de croissance du PNB en 2010) mais, en même temps, 1 Péruviens sur 3 vit dans l’extrême pauvreté. La croissance économique et la spéculation internationale sur la nourriture a également provoqué une forte croissance des prix pour les denrées de base, une augmentation qui n’a pas été suivie par la hausse des salaires des ménages. Le mouvement ouvrier péruvien a une longue tradition de lutte et, ces dernières années, les mineurs, les dockers, les professeurs d’écoles et les travailleurs du secteur non-marchand ont, entre autres, mené des luttes pour de meilleures conditions de travail et de vie. Toute une série de ces mouvements avaient aussi un programme politique très offensif: les mineurs demandaient ainsi, en plus d’augmentations de salaires, que leurs entreprises payent des taxes (le secteur minier est pour ainsi dire totalement exempté de taxes sur les profits). Dans certaines régions, ils ont même lutté sous la revendication de la nationalisation du secteur minier dans son entièreté. Une autre revendication politique importante dans beaucoup de ces mouvements est un changement radical de la constitution. La nationalisation des secteurs clés de l’industrie (comme l’extraction de gaz, de pétrole et minière) est proposée, de même que la transition de l’emprise des multinationales actives dans le secteur agricole vers des coopératives gérées par les paysans et les consommateurs. Une des promesses électorales d’Ollanta Humala est effectivement d’opérer ce changement de la constitution, mais il est toutefois resté très vague durant toute la campagne électorale concernant ce sur quoi devaient porter les modifications.
Cela illustre directement la faiblesse la plus importante d’une figure comme OIlanta Humala : il refuse jusqu’à présent de faire un choix clair entre la classe ouvrière et la bourgeoisie du pays. En essayant d’attirer à lui les électeurs du centre politique, Ollanta a changé son image de partisan d’Hugo Chavez au Venezuela pour afficher des liens politique très étroits avec l’ancien président brésilien Lula. Des rumeurs font ainsi état de conseillers politiques brésiliens membres du PT, le parti de Lula, partis au Pérou soutenir la campagne d’Ollanta. Ce choix explique aussi pourquoi Ollanta a eu du mal à toucher les pauvres restés derrière Fujimori : il ne propose pas assez d’alternatives concrètes face aux promesses – très limitées – qu’a faites Fujimori envers cette couche. Le programme d’Ollanta propose surtout des réformes au sein du système capitaliste : une augmentation des impôts des grandes entreprises (qui sont effectivement très bas au Pérou), renégocier les contrats d’exploitation des multinationales, utiliser ces moyens pour investir dans un programme massif d’investissements dans l’enseignement et l’infrastructure,… Humala qualifie sa politique de réforme d’une ‘‘économie de marché’’ vers une ‘‘économie nationale’’, alors qu’il ne parle presque pas du fonctionnement anarchique de l’économie de marché capitaliste…
Il est clair qu’une telle politique ne répondra pas aux besoins et attentes des pauvres et travailleurs qui l’ont élu. La croissance économique actuelle du Pérou est surtout basée sur les prix élevés des matières premières que le Pérou exporte, et sur les capitaux étrangers qui cherchent des profits à court terme dans le pays. Ces deux facteurs sont très instables. De plus, une série de représentants de multinationales et de grandes entreprises péruviennes ont menacé de faire fuir les capitaux et de recourir au lock-out (une grève patronale qui consiste à provisoirement fermer une entreprise) au cas où le président était réellement décider à opérer des réformes trop radicales. De l’autre côté, les représentants de toute une série de mouvements de lutte attendent beaucoup d’Ollanta : ils veuillent en premier lieu que la forte répression de l’armée et la police contre les mouvements sociaux s’arrêtent, mais ils réclament aussi des réformes rapides et radicales. Beaucoup de militants savent qu’ils seront obligés d’occuper les rues pour revendiquer cela, mais ils espèrent qu’Ollanta Humala choisira leur camp.
La classe ouvrière va passer par une période très intéressante au Pérou. Malgré la force historique de la gauche radicale et révolutionnaire du pays, c’est la première fois qu’un candidat populiste de gauche y remporte les élections. Le pays a jusqu’à présent été, avec la Colombie, l’un des piliers du soutien à l’impérialisme américain en Amérique Latine, une situation qui va probablement changer. La direction que va prendre Humala est néanmoins fort incertaine. Acceptera-t-il les revendications des mouvements de lutte qui l’ont porté au pouvoir ? Décidera-t-il de rompre avec ces militants et de mener une politique en faveur des riches et des multinationales ? L’élection d’Humala a fait naitre de grands espoirs pour des améliorations pour les couches larges de la population, mais ces réformes ne s’effectueront en définitive qu’au travers de la lutte et pas grâce au palais présidentiel.
Finalement, Humala dispose d’une marge limitée. Même s’il accepte une partie des revendications du mouvement ouvrier péruvien et opère des nationalisations et d’autres réformes progressistes, il risque de faire face à des sabotages de l’armée et à des lockouts de la part de multinationales. Seule une politique socialiste qui placerait les secteurs clé de l’économie sous le contrôle démocratique de la population pourrait satisfaire les revendications et les besoins des pauvres et des travailleurs au Pérou.
- augmentation du salaire minimum vers 2.000 soles/mois
- formalisation des secteurs ‘‘informels’’ de l’économie, avec de vrais contrats et droits de travail
- instauration d’une coopérative nationale, contrôlée par les syndicats et les organisations paysannes, pour organiser la distribution de la production agricole et assurer des prix honnête pour les paysans et les consommateurs
- nationalisation du secteur minier, de l’exploitation de gaz et de pétrole, des banques, du secteur du transport et des 500 plus grandes entreprises du Pérou, et mise sous contrôle ouvrier de ces entreprises
- investissements massifs dans l’enseignement et les soins de santé, et construction d’une bonne infrastructure routière, ferroviaire et de transport public
- arrêt de la répression brutale de la police et l’armée contre les mouvements de lutte : mise en procès des officiers et responsables politiques pour les victimes de la répression de ces dernières années. L’armée et la police doivent être placées sous le contrôle démocratique du mouvement ouvrier et des comités de quartiers
- organisation d’un mouvement national pour un changement de la constitution, organisé dans les entreprises, les quartiers, et les régions rurales, avec des représentants démocratiquement élus qui éliront une Assemblée Constituante Nationale
- pour une politique socialiste, où les richesses seront utilisées pour la majorité de la population, et plus au bénéfice des multinationales et d’une élite richissime.
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Venezuela / Colombie : Chavez rompt les relations diplomatiques avec la Colombie
Pour la solidarité internationale et la lutte pour le socialisme!
Le 22 juillet, le président Chavez a annoncé qu’il rompait tout lien diplomatique avec la Colombie. Cette décision a été prise après que le gouvernement colombien ait encore une fois dénoncé à l’OEA (l’organisation des Etats américains) la présence de la guérilla des FARC sur le territoire vénézuélien. Pour le gouvernement colombien, le gouvernement vénézuélien soutient et protège l’ELN et les FARC, qu’il qualifie de terroristes.
Socialismo Revolucionario (CIO-Venezuela)
Avant la période présente de tensions, le Venezuela et la Colombie ont partagé une longue histoire commune dans leur développement en tant que nations indépendantes. Jusqu’en 1830, les deux pays formaient une seule nation, “la Gran Colombia”, un projet d’unité continentale encouragé par Simon Bolivar. Mais après la mort du “Liberator” Bolivar, tant dans le territoire vénézuélien que dans le colombien, les classes dirigeantes ont développé des mouvements séparatistes ce qui a abouti à la fin de “la Gran Colombia” et à la formation des ces deux Etats qui existent toujours aujourd’hui. Le 20e siècle a vu des incidents variés apparaître entre les deux pays voisins, jusqu’à atteindre connaître des situations proches de la guerre, comme avec le conflit de “Caldas” en 1987, quand un bateau colombien a été coulé dans les eaux vénézuéliennes, ce qui avait aggravé la dispute concernant la frontière entre les deux pays au Golfe du Venezuela.
Au cours de ces dernières 100 années, la grande majorité des conflits politiques entre Venezuela et Colombie ont été motivés par des questions territoriales, et largement “gagnées” par la Colombie. Mais c’est depuis l’arrivée de Chavez au pouvoir et la déclaration de la révolution bolivarienne en 1998 que nous avons vu se développer une période de tensions plus aigües.
Depuis le début de la révolution bolivarienne il y a 11 ans, il y a eu divers incidents au scenario plus ou moins semblable: le gouvernement colombien accuse le Venezuela de soutenir les guérillas qu’il qualifie de terroristes, et le gouvernement vénézuélien répond en disant que l’administration colombienne est d’ultra droite et est un laquais de l’impérialisme.
Au cours de ces dernières années, le gouvernement vénézuélien a aussi déclaré à la communauté internationale qu’il reconnaissait les guérillas colombiennes des FARC et de l’ELN comme des forces belligérantes et non comme des terroristes. Il argumente en disant que les guérillas colombiennes sont des combattants de la liberté armés, luttant contre une classe dirigeante qui attaque les intérêts du peuple. Cela a constitué l’une des déclarations de Chavez les plus sujettes à controverse et une des raisons principales qui explique pourquoi la classe dirigeante colombienne, dirigée par l’ancien président Alvaro Uribe et avec le soutien des USA, ont augmenté leurs attaques diplomatiques contre la révolution bolivarienne.
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Certains pourraient conclure que le conflit actuel entre la Colombie et le Venezuela est un conflit entre la gauche et la droite au niveau régional et international. Nous pouvons dire que cela est vrai en surface, mais des conclusions plus précises peuvent être tirées d’une analyse plus profonde.
Colombie: nouveau président, même agenda
La Colombie est en train d’opérer une transition “démocratique”, le gouvernement dirigé par le président Alvaro Uribe quittant le pouvoir après 8 ans. Mais Uribe avait tenté, en vain, de se représenter aux élections présidentielles avec un referendum constitutionnel permettant une réélection indéfinie, une belle hypocrisie quand on se souvient des critiques qu’avait reçues le gouvernement vénézuélien pour une même tentative! Juan Manuel Santos, le nouveau président colombien, partage les mêmes racines politiques qu’Uribe, et était son bras droit au Ministère de la Défense lors du précédent gouvernement, où il figurait parmi les plus intransigeants face au Venezuela.
Uribe laisse derrière lui des scandales politiques, la crise sociale du para-militarisme et une région déstabilisée, conséquence de l’accord conclu avec les USA leur permettant d’installer 7 bases militaires dans le pays. Cela est vu par les Vénézuéliens comme une menace contre la révolution bolivarienne tout autant que comme une menace envers la stabilité du continent.
La révolution bolivarienne en crise
Au Venezuela, la situation est maintenant très fortement différente, tant sur le plan social que politique et économique. 11 ans après la révolution bolivarienne, le gouvernement n’a toujours pas développé d’économie alternative ni rompu avec le système capitaliste. L’économie du pays continue à être faible et dépendante du pétrole. Les 5 années de croissance économique du Venezuela étaient basées sur des hauts prix pétroliers ainsi que, par extension, sur la spéculation concernant les matières premières, ce qui a eu un rôle significatif dans le développement de la crise capitaliste actuelle. Une récession a suivi, qui a remis à l’agenda plusieurs problèmes qui semblaient être résolu au Venezuela grâce aux programmes sociaux financé par les revenus pétroliers.
Selon les rapports économiques internationaux, dans la région, seules les économies du Venezuela et de Haïti, récemment touchée par un terrible tremblement de terre, restent en déclin. Cela a troublé les eaux du processus bolivarien et ouvert la voie pour une offensive de l’aile droite, dans le cadre des élections parlementaires du 26 septembre prochain où elle pourrait augmenter son nombre de sièges.
Au même moment, même les politiques gouvernementales comme la création de structures similaires à des conseils communaux, le renforcement de l’intervention de l’Etat dans l’économie et d’autres politiques sociales qui avaient été abandonnées au cours de la précédente période de néolibéralisme, avant l’arrivée de la révolution bolivarienne, ont démontré leur insuffisance et les structures étatiques continuent à être de plus en plus touchées par l’inefficience bureaucratique et la corruption. Cela a été illustré dans le cas récent de la PDVAL, une entreprise alimentaire gouvernementale créée par la PDVSA (une compagnie pétrolière gouvernementale). En conséquence de corruption et d’incompétence, des tonnes de nourritures ont été perdues, ce après quoi énormément de gens ont commencé à considérer le gouvernement de Chavez comme étant opaque et manquant de transparence.
Voilà le contexte du conflit actuel. Il s’agit bien du résultat d’une politique de menaces et d’intimidation contre la révolution bolivarienne mais, cependant, derrière la rhétorique diplomatique, le facteur le plus concret de cette situation est la construction de bases pour l’impérialisme américain en Colombie, qui n’a pas provoqué de réponse aussi forte du gouvernement vénézuélien. Les relations entre les deux pays se sont détériorées jusqu’à un point où le commerce entre les deux pays a chuté de 60%.
Une intervention impérialiste ?
Un des éléments clés de ce conflit est représenté par la tentative de l’élite politique dirigeante des deux pays de créer un conflit qui ne sert les intérêts d’aucune population de la région, mais qui a l’avantage de détourner leur attention de la situation qui se développe au Venezuela et en Colombie.
Rien ne peut être certifié concernant une future action de l’impérialisme, mais pour l’instant, avec des Etats-Unis submergés par une crise économique et politique de grande ampleur, militairement embourbés dans les occupations de l’Irak et de l’Afghanistan, en crise ouverte avec le régime iranien, une intervention militaire directe des USA au Venezuela semble hautement improbable. Une telle intervention provoquerait une vague de solidarité internationale qui renforcerait les éléments anti-impérialistes et réveillerait le volcan de la révolution des Andes qui avait menacé d’explosé en 2002-2006, quand différents gouvernements de “gauche” avaient été élus dans la région. Cela referait apparaître la menace du début d’une véritable révolution socialiste, de la libération continentale et internationale et de la lutte pour une fédération socialiste d’Amérique Latine.
Nous n’espérons pas voir se concrétiser la menace de l’impérialisme. Mais dans nos perspectives, actuellement, la plus grande menace pour le processus bolivarien est interne. Les tendances réformistes et “sociales-démocrates” conspirent ouvertement pour prévenir tout développement orienté vers la révolution socialiste. Leur rhétorique, qui se confine à la “libération nationale”, considère le socialisme comme une tâche lointaine alors qu’il s’agit d’une nécessité urgente. Ce type de contradictions a maintenant conduit à une situation où la droite et les contre-révolutionnaires, après des années de défaite, après avoir été proches de l’extinction, sont maintenant plus vivants que jamais, avec une réelle possibilité de revenir au pouvoir au Venezuela.
Nos revendications :
- Non à la guerre !
- Les bases militaires US : hors de Colombie !
- Non à l’intervention impérialiste !
- La véritable guerre n’est pas entre les peuples, mais contre le système capitaliste !
- Travailleurs, paysans, indigènes, étudiants et communautés populaires de Colombie et du Venezuela : unité and lutte pour le socialisme démocratique et révolutionnaire !
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Pérou: STOP à la soif de profit des multinationales!
Il faut généraliser la lutte pour faire tomber le président Garcia!
Hier après-midi, environ 200 manifestants, principalement des Latino’s, mais aussi une cinquantaine de Belges, ont manifesté devant l’ambassade péruvienne à Bruxelles. De cette façon, ils ont soutenu la mobilisation générale appellée par le "Front de Défense de la Souverainité et de la Vie", composé d’organisations de travailleurs, de paysans et d’indigènes. A la base de cette protestation: un massacre perpétré par la police péruvienne. Celle-ci, ce 5 juin, avait ouvert le feu à partir de plusieurs hélicoptères contre un barrage routier de quelques 5.000 indigènes près de Bagua, dans la région amazonienne. Bilan: plus de 200 blessés et 60 tués.
Rapport et photos par Eric Byl
Depuis le 9 avril, près de 60 ethnies indigènes se mobilisent afin d’abroger 11 décrets gouvernementaux. Ces décrets sont la conséquence d’accords de libre échange (TLC) qui donnent le feu vert aux multinationales pour exploiter les richeses naturelles. La mise est particulièrement importante depuis la récente découverte d’énormes réserves. Des entreprises pétrolières telles que la brésilienne Petrobas, mais aussi des entreprises d’exploitation forrestière et minières, frotent la manche au président péruvien Garcia. La population indigène craint le pillage de la région, la pollution, et la disparition des profits dans les coffres-forts des multinationales, pour ne laisser que des miettes afin d’acheter l’élite locale.
Le Président Alan Garcia est préparé pour aller jusqu’au bout. Dans cette attaque du barrage, des fugitifs ont été poursuivis jusque dans les montagnes, plusieurs ont étés tués chez eux par les balles tirées depuis les hélicoptères. La population a résisté, 38 agents de police ont ainsi été pris en otage, dont 20 tués en réprésaille pour le massacre. Garcia n’en est pas à son coup d’essai. Selon la "Commission de la Vérité", il aurait lors de son premier mandat laissé massacrer plus de 100 prisonniers. Il a aussi laissé ouvrir le feu contre des travailleurs à Retamas et à Casapalca où, à chaque fois, des travailleurs ont étés tués. Ce n’est pas par hasard qu’à la protestation devant l’ambassade, le président Garcia est mis sur le même pied qu’Uribe, de Colombie.
Son objectif est clair: avec une défaite des Indiens, il veut paralyser tout le mouvement social et ouvrier. Cela doit lui permettre de continuer sa politique favorable aux multinationales, faite de libéralisations, de privatisations et d’attaques contre les conditions de salaire et de travail. Garcia instrumentalisera le fait que les Indiens ont tué des agents pour criminaliser le mouvement et encore augmenter la répression. Un autre déroulement aurait pourtant été possible.
En liant l’abrogation des 11 décrets à des revendications s’opposant à la privatisation des ports ou à d’autres revendications pour les travailleurs, le mouvement aurait pu prendre un autre tournant, vers une paralysie générale de toute l’économie et pour finalement obtenir la chute du président Garcia et de sa clique.
Hélas, au Pérou aussi, les syndicats sont pieds et poings liés aux politiciens de l’opposition qui souhaitent surtout la stabilité et ne veulent certainement pas qu’une généralisation de la lutte puisse arriver à une rupture avec le système. C’est ce qui explique que durant 50 jours, les dirigeants syndicaux de la CGT ont laissé à leur sort les indiens, sans aller plus loin que la pression parlementaire et la résistance verbale. L’appel du "Front de Défense de la Souveraineté et la Vie", composé d’organisations de paysans, de travailleurs et d’Indiens, pour une journée nationale de lutte est un pas énorme en avant. Espérons que se soit le début d’un mouvement généralisé.
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Venezuela, un an après le référendum. Quels dangers menacent la révolution maintenant?
Il y a un peu plus d’un an, le 15 août, le référendum visant l’éjection du président vénézuélien Chavez fut un échec retentissent grâce à la mobilisation des masses vénézuéliennes, particulièrement dans les villes-ghetto, à travers les « unités de combat » électorales et d’autres organisations de la révolution « Bolivarienne ». Cette défaite a ouvert une nouvelle phase dans le processus révolutionnaire. Mais comme Christine Thomas l’explique : même si les forces de l’opposition ont été sévèrement affaiblies, la menace de la contre-révolution subsiste.
Christine Thomas
L’élection de Chavez en temps que président en 1998 a représenté un rejet massif de la part des pauvres, des travailleurs et de certaines parties de la classe moyenne de la politique néo-libérale vicieuse orchestrée par l’establishment corrompu de la « quatrième république ». Son populisme anti-impérialiste/anti-néolibéral a radicalisé les couches les plus pauvres de la société vénézuélienne. Ils ont vu en Chavez un leader politique qui les représentait et qui parlait pour eux, plutôt que ces riches oligarques qui dilapidaient les richesses pétrolières : les laissant sombrer plus profondément dans la pauvreté. Sa victoire a créé l’espoir que leurs besoins désespérés d’emplois décents, de soins de santé, d’enseignement et de logements trouveraient enfin une solution. La classe dirigeante vénézuélienne et l’impérialisme américain, de l’autre côté, craignent que les masses déchaînées et radicalisées puissent exiger des mesures plus radicales, se mettent en mouvement dans une direction qui menacerait leurs intérêts. L’impérialisme américain, en particulier, craint l’instabilité dans un pays qui lui fournit 15% de ses besoins en pétrole. Le référendum de l’an dernier était la troisième tentative majeure par la classe dirigeante vénézuélienne, soutenue par l’impérialisme américain, pour éjecter Chavez et écraser toute menace potentielle que le mouvement pourrait poser au Venezuela et partout ailleurs en Amérique latine. Mais toutes les tentatives contre-révolutionnaires (le putsch du 11 avril 2002, le lock-out patronal de deux mois, la tentative de sabotage économique à la fin de la même année et enfin le référendum) ont été bloquées par l’action de masse des pauvres et des travailleurs qui se sont d’avantage radicalisés et dont les espoirs se sont largement développés.
Dans la période post-référendum, le rapport de force a temporairement glissé en faveur des masses. Les forces de l’opposition (l’élite financière, les partis politiques et leader syndicaux corrompus, l’église catholique, etc.) sont sorties de ces défaites divisées et démoralisées. Chavez, lui-même, a cherché initialement un arrangement avec l’opposition en leur demandant de travailler avec lui à la reconstruction du pays. Mais sous la pression des travailleurs et des pauvres, il s’est d’avantage radicalisé décrivant la révolution bolivarienne pour la première fois comme « socialiste », amorçant une réforme agraire et parachevant les premières nationalisations du régime. Au même moment, il a durci sa rhétorique anti-impérialiste, anti-US et ses actions dans la région.
Ce tournant à gauche a alarmé la classe capitaliste vénézuélienne et l’impérialisme américain. Ils craignent que les masses, voyant leurs espoirs croître, puissent pousser Chavez dans une direction encore plus radicale, minant leur contrôle économique. Puisque jusqu’à présent, les timides tentatives du régime Chavez avaient laissé ce contrôle largement intact. L’administration américaine a récemment attaqué Chavez au vitriol en l’accusant de soutenir le terrorisme en Colombie et de fomenter des révoltes en Bolivie, en Equateur et partout en Amérique Latine. La secrétaire d’Etat américaine, Condoleeza Rice a décrit Chavez comme « une menace majeure pour la région entière ». Les relations économiques croissantes avec Cuba de Chavez, dans lesquelles le Venezuela fournit de l’essence à bas prix en retour de médecins cubains etc, ont effectivement brisé l’embargo américain de l’île, lançant une bouée de sauvetage économique tellement nécessaire depuis la chute de l’Union Soviétique qui était son principal appui économique. Chavez est également vu comme un obstacle dans la stratégie américaine qui vise à faire de la Colombie une base de défense des intérêts US en Amérique Latine. Plus important : Chavez a cherché des marchés internationaux alternatifs pour l’essence vénézuélienne, signant des contrats avec la Russie, la Chine, l’Iran autant que d’autres pays latino-américain. Il a menacé d’exercer des représailles contre n’importe quelle agression US en coupant l’approvisionnement en pétrole et au cours de la conférence internationale de la jeunesse à Caracas au mois d’août, il a déclaré que le marché nord américain n’était pas vital pour le Venezuela. Bien qu’une bonne partie de cette rhétorique soit anti-impérialiste, confrontée à une situation déjà instable en Irak et au Moyen-Orient, l’impérialisme américain veut s’assurer que son approvisionnement en pétrole du Venezuela n’est pas menacé. Mais la marge de manœuvre de l’impérialisme US est actuellement limitée. Une combinaison de la faiblesse de l’opposition et des revenus énormes du pétrole à la disposition de Chavez pour financer les réformes sociales profitables aux pauvres (sa principale base sociale) signifie que la situation entre les forces en présence est dans une impasse et que cette situation pourrait être maintenue pour un moment.
Une invasion directe du Venezuela, comme en Irak, est hors de propos pour le moment. L’Irak a montré les limites de l’hégémonie américaine. Même si la capacité militaire américaine n’était pas déjà dépassée, une invasion du Venezuela serait extrêmement risquée, déclenchant une vague de résistance qui pourrait embraser l’ensemble des Amériques. L’impérialisme américain a donc été forcé à poursuivre dans une approche moins directe, reposant sur un travail dans l’opposition vénézuélienne et dans les forces réactionnaires en Colombie. En décembre de l’an dernier, les forces colombiennes en conjonction avec des sections des forces de sécurité vénézuéliennes sont intervenues directement au Venezuela pour kidnapper un leader de la guérilla FARC, donnant une indication claire de la manière dont ils pouvaient être utilisés pour créer la peur et l’instabilité à l’intérieur du pays. Il n’y a aucun doute sur le fait que certaines parties de l’administration américaine soutiennent l’appel du chrétien fondamentaliste de droite Pat Robertson à l’assassinat ou au kidnapping de Chavez pour amener un « changement de régime » au Venezuela (de telles actions ne peuvent être totalement écartées). Mais chaque mouvement réactionnaire a jusqu’ici donné une impulsion de gauche au processus révolutionnaire et chaque action prématurée pourrait pousser les masses dans une direction encore plus radicale.
Les parties les plus sérieuses et réfléchies de l’opposition ont donc tiré la conclusion que, après avoir été vaincus à chaque étape par le soutien à Chavez dans la masse de pauvres radicalisés, pour le moment ils n’ont d’autre choix que d’apprendre à « coexister » avec lui. Avec l’équilibre actuel des forces, chaque étape ouvertement contre-révolutionnaire dans le court terme, après celles qui ont été déjà tentées, risque d’accroître la radicalisation du mouvement et de provoquer des mesures qui pourraient menacer d’avantage leur contrôle de l’économie et l’appareil d’état. « Nous devons mordre la poussière de la défaite », a dit le gouverneur de l’état de Zulia quelques jours après le référendum. « Les deux Venezuela doivent se réconcilier, le Venezuela ne peut continuer dans le conflit », a déclaré le patron de Fedecamaras (principale organisation patronale).
En dépit de l’adoption d’un ton anti-Chavez moins strident, l’administration US semble poursuivre une stratégie à long terme d’épuisement du processus révolutionnaire et préparer un rapport de force qui leur serait plus favorable, avant de lancer des actions de plus grande ampleur contre Chavez.
Mais malgré cela, sans un mouvement décisif de la classe ouvrière et des pauvres vers une cassure avec le capitalisme et d’établissement d’un état ouvrier démocratique, la contre-révolution réussira par un moyen ou un autre à se ré-affermir. Cela pourrait venir sous une forme extra-parlementaire, un futur putsch victorieux, comme c’est arrivé au Chili en 1973, ou une contre-révolution électorale « démocratique » comme au Nicaragua en 1990. Cette victoire sous n’importe quelle forme signifierait un désastre pour les masses vénézuéliennes. La classe ouvrière vénézuélienne et les pauvres sont confrontés à une tâche urgente, utiliser ce « temps de respiration » pour construire un parti révolutionnaire qui peut fournir un programme qui pousserait le gouvernement en avant et complèterait la révolution socialiste.
Electoralement, les forces de l’opposition au Venezuela ont été complètement divisées entre une partie qui défendait l’abstention et l’autre qui contestait les élections. Où ils sont restés, ils ont subit défaites sur défaites. Après les élections d’octobre de l’an dernier, ils ne contrôlent plus que deux des 23 états que compte le pays et ont de plus perdu le contrôle de Caracas, la capitale. Aux élections locales et municipales, qui se sont tenues le 7 août de cette année, ils ont obtenu moins de 20% des sièges.
Le principal quotidien vénézuélien, détenu par des opposants de droite qui ont soutenu unanimement les forces de la réaction à chaque étape, a publié des articles commémorant l’anniversaire du référendum. Ils se sont concentrés sur ce qu’ils considèrent comme le besoin désespéré pour l’opposition « démoralisée, désorientée, manquant de direction » (El Nacional) de s’unir pour fournir une alternative électorale crédible aux « chavistas ». Avec les élections parlementaires attendues pour la fin de l’année et les élections présidentielles en décembre 2006, l’opposition se prépare à de futures défaites électorales.
Chavez lui-même caracole à 70% d’approbation dans les sondages (l’un des taux les plus hauts de sa présidence). Durant le festival international de la jeunesse, il a parlé confidentiellement de rester en politique jusqu’en 2030 ! Sa confiance a été boostée par les victoires électorales et par le prix élevé du pétrole sur le marché mondial. Le pétrole représente 85% des exportations vénézuéliennes, un quart du PIB et plus de la moitié des revenus du gouvernement. En 2004, les exportations de pétrole ont généré un revenu de 29$ milliards, pour 22$ milliards en 2001 et la somme semble fortement augmenter cette année. Cette énorme aubaine réalisée par le pétrole a permis à Chavez de maintenir et d’accroître les dépenses des « misiones », les programmes de réformes sociales de bien-être qui ont été démarrées en 2003 et largement orientées vers les plus pauvres. Les avantages de ces réformes sont clairement visibles dans les rues des zones les plus pauvres de Caracas. Une superbe nouvelle clinique ou un supermarché d’état Mercal (Mercado de Alimentacion) qui vend de la nourriture de base subsidiée qui se distinguent facilement des immeubles et des infrastructures en ruine des « barrios », les bidonvilles vérolés de pauvreté situés à deux pas de zones d’opulence comme Altamira où vit l’élite.
Selon les chiffres du gouvernement, 300.000 Vénézuéliens ont surmonté l’analphabétisme (9% des plus de dix ans), deux millions vont à l’école primaire, secondaire et supérieure, et 17 millions ont maintenant accès aux soins de santé de première nécessité grâce aux « misiones ».
Malgré ces améliorations sociales visibles, une pauvreté noire pourrit encore la vie de millions de Vénézuéliens. 60% des ménages étaient pauvres en 2004, pour 54% en 1999. Même si l’état contrôle les prix de la nourriture de base, l’inflation grimpe à 15-20% et qu’un Vénézuélien sur deux ne dispose pas d’un logement adéquat. Selon un sondage d’opinion récent, le chômage est le problème principal dans la société. Il y a eu des améliorations dans les boulots, à travers des initiatives comme « Vuelvan Caras » , le plan d’état de création d’emplois, principalement dans les coopératives et dans les petites entreprises. Mais 14% de la population reste toujours sans emploi et des millions de personnes sont toujours confrontées à l’insécurité et à l’exploitation dans le secteur informel (comme les vendeurs de rue, les chauffeurs de taxi, etc.).
Si cela est la situation de la majorité des travailleurs et des pauvres au Venezuela alors que le prix du pétrole est à un niveau si élevé, il est clair que les espoirs des masses ne pourront se concrétiser dans le cadre du capitalisme. Le magazine britannique de droite The Economist résume clairement la situation lorsqu’il écrit : « quand les revenus du pétrole chuteront, tombera dans un enfer de récession et d’inflation »(25 août 2005).
C’est ce qui est arrivé au Nicaragua. Après la révolution de 1979 qui avait éjecté le dictateur détesté Somoza, les Sandinistes avaient le contrôle de l’appareil d’état. Ils ont nationalisé jusqu’à 40% de l’économie, mais le reste est resté dans les mains de la classe capitaliste qui a utilisé son contrôle économique pour saboter l’économie. Combiné avec la guerre des contras, subventionnée par l’impérialisme US, l’économie plongea dans une crise avec une inflation qui explosa jusqu’à 3600% et un niveau de vie qui périclita de 90% !
A cause de la démoralisation des masses due à la crise économique, la droite vainquit les Sandinistes aux élections présidentielles de 1990 et poursuivit depuis lors une politique néo-libérale vicieuse à l’encontre des travailleurs et des pauvres nicaraguayens. Si la classe ouvrière au Venezuela n’exproprie pas les monopoles restés dans les mains des capitaliste vénézuéliens et étrangers, si elle n’applique pas une planification de la production sous contrôle démocratique, la crise économique et l’incapacité à satisfaire les besoins des masses mèneront à la démoralisation et à la démobilisation du mouvement, balisant la route pour une victoire de la réaction. Cela serait alors utilisé pour ouvrir une nouvelle ère de répression brutale, en vue de recouvrir un contrôle total de l’économie et de l’état, avec bien sûr une atomisation des organisations et des droits de la classe ouvrière.
Le haut taux d’abstention (70%) dans les élections locales et régionales du mois d’août représente un avertissement pour le futur. Il est vrai qu’historiquement le taux de participation aux élections locales vues comme en dehors des préoccupations de la plupart des Vénézuéliens a toujours été bas. Une partie de l’opposition appelait également les gens à ne pas voter. Malgré cela, le niveau d’abstention dans les zones pro-Chavez était très élevé alors qu’il avait lui-même souligné l’importance, pour ses partisans, de se mobiliser en masse. Bien que le taux de participation soit susceptible d’être beaucoup plus haut dans des élections parlementaires et présidentielles, des signes de mécontentement commencent à arriver à l’encontre des troupes du mouvement bolivarien. Des activistes étaient mécontents du remplacement bureaucratique de candidats de base par des candidats inconnus des gens des communautés locales. Lors des élections d’octobre de l’an dernier pour le mayorat et le gouvernement d’état, des candidats dissidents se sont présentés contre les candidats officiellement chavistes. Dans les élections locales, des partis pro-Chavez perçus comme plus « radicaux » comme le Parti Communiste Vénézuélien et le mouvement Tupamaros ont augmenté leur nombre de votes dans certaines régions. Le mécontentement, où il existe, ne vise pas principalement Chavez, qui bénéficie encore d’une autorité et d’un soutient immense dans les masses, mais plutôt la bureaucratie qui l’entoure, perçue comme une cassure avec les réformes radicales que ce soit à travers l’inefficacité, la corruption ou le sabotage conscient. Une femme qui protestait contre les actions d’un leader dans l’état de Anzoategui a résumé le sentiment d’une couche d’activistes lorsqu’elle a dit : « Président, ouvrez les yeux… beaucoup de ceux à vos côtés sont en train de vous décevoir. Ecoutez la voix du peuple »(El Nacional).
La direction du mouvement bolivarien est extrêmement hétérogène. Pour parler franchement, une aile est plus en contact avec les masses et reflète l’atmosphère qui y règne, il y a donc une pression pour qu’elle continue les réformes radicales. L’autre aile, réformiste et pro-capitaliste, dont certains membres ont des contacts avec les forces de l’opposition, essaye à chaque étape de retenir le mouvement et de l’empêcher d’aller dans une direction plus radicale. Ces divisions se sont aiguisées depuis la défaite du référendum. Chavez lui-même a balancé entre ces différentes forces de la société. Sa prise de position la plus récente à « gauche » a été une réponse à la demande d’actions plus radicales de la part des masses. Il a signé un décret nationalisant VENEPAL (l’entreprise de papier en faillite), par exemple, après que les travailleurs aient lancé une lutte déterminée en conjonction avec la communauté locale en occupant l’usine et en demandant sa nationalisation. Depuis janvier, Chavez a qualifié la révolution bolivarienne de socialiste, ceci représentant un développement significatif. La question du socialisme commence à s’ancrer dans la conscience d’une partie des étudiants, des travailleurs et des pauvres. Dans un récent sondage organisé par l’ « Instituto Venezolano de Analisis de Datos », 47,8 % des personnes interrogées déclaraient qu’elles préfèreraient un gouvernement socialiste alors que seulement 22,7% opteraient pour un gouvernement capitaliste.
Mais Chavez n’a pas une idée claire sur ce qu’ il veut dire par socialisme ni sur la manière d’y arriver. Il parle vaguement de « socialisme au 21ème siècle » qui serait un ‘nouveau type’ de socialisme et il a aussi appelé à son peuple à se débarrasser des vieux préjugés concernant la signification du socialisme. On pourrait interpréter cela comme un rejet du stalinisme. Mais en même temps, Chavez est en train de renforcer ses liens économiques et diplomatiques avec Fidel Castro à Cuba. Il complimente le merveilleux service de santé cubain, dont beaucoup de vénézuéliens sont en train de profiter grâce aux docteurs cubains travaillant au Venezuela, grâce à la formation de docteurs vénézuéliens et aux patients qui sont envoyés à Cuba pour des opérations. Mais en fait Chavez n’est pas critique du tout sur la nature bureaucratique du régime cubain et sur l’absence de véritable démocratie ouvrière.
Chavez pourrait-il devenir un « second Castro » comme le craingnent une partie de la classe dirigeante vénézuélienne et l’impérialisme américain ? Théoriquement une telle perspective ne pourrait pas être complètement exclue. Arrivé au pouvoir en 1959, Castro n’a pas décidé consciemment de nationaliser l’économie cubaine mais il a pris cette direction en réaction au blocus US et à la pression des masses cubaines. Mais vu que la classe ouvrière n’était pas consciemment à la tête de la révolution, le résultat fut la création d’un état ouvrier déformé, où le capitalisme et le féodalisme ont été éliminés mais où la société était toujours contrôlée du sommet vers le bas par une caste bureaucratique. Le contexte international actuel, après la chute de l’ Union Soviétique, est très différent du temps de la révolution cubaine quand Cuba était soutenu matériellement par la bureaucratie soviétique et ce pour des raisons stratégiques. Quoiqu’il en soit, il n’est pas inconcevable que les masses du Venezuela puissent spontanément prendre possession des usines et de la terre, forçant ainsi Chavez à nationaliser de larges pans de l’économie. Mais un tel régime serait extrêmement instable.
La révolution serait très certainement vaincue à un certain moment par les forces de la réaction sauf si la classe ouvrière est consciente du rôle qu’elle a à jouer, non seulement en expropriant la classe capitaliste, mais aussi en formant des comités élus démocratiquement qui pourraient faire tourner l’industrie, mettre en place un plan démocratique de production et créer les bases pour un Etat ouvrier dont le programme serait capable d’élargir la révolution à l’Amérique latine et internationalement. C’est pourquoi la lutte pour une véritable ‘politique étrangère’ internationale de la classe ouvrière est si importante aujourd’hui ; soutenant, par exemple, des liens économiques avec Cuba mais utilisant cela pour encourager une réelle démocratie ouvrière au sein du pays et pour étendre la révolution internationalement comme le seul réel moyen de défendre ces acquis qui ont déjà été obtenus.
La réaction de Chavez à de futurs évènements aura bien sûr un gros impact sur la façon dont les développements se déroulent, particulièrement dans une situation de ralentissement économique. Pour le moment il est en train de répondre d’une façon limitée à la radicalisation des masses et il pourrait aller plus loin dans cette direction. Malheureusement, il y a de nombreux exemples de dirigeants honnêtes qui malgré leur bonnes intentions, une fois confrontés avec la ‘logique’ du marché capitaliste qui se sont mis à réprimer les ‘demandes excessives’ des travailleurs.
Dans une situation où d’autres options sont trop risquées, une partie de la classe capitaliste du Venezuela s’appuie sur le mouvement de l’aile pro-capitaliste pour freiner les réformes radicales et pour être potentiellement capable de reprendre les acquis de la classe ouvrière et des masses pauvres. Ils préparent ainsi la voie pour une défaite du processus révolutionnaire et pour la victoire de la contre-révolution.
Il est vrai qu’ils n’ont pas la même autorité au sein de la classe ouvrière et des masses pauvres qu’avaient les sandinistes au Nicaragua après la révolution de 1979 ou qu’avaient les partis socialistes et communistes au Portugal en ’75. Quoiqu’il en soit, si la classe ouvrière n’achève pas complètement la révolution au Venezuela et que la démoralisation s’installe, cette aile pourrait jouer un rôle important en freinant le mouvement et posant les bases pour le triomphe de la réaction capitaliste. Leur façon de définir le socialisme est relativement claire – une économie « mixte » où quelques compagnies d’états et coopératives existent mais dans laquelle les leviers économiques principaux restent dans les mains de la classe capitaliste du Venezuela et étrangère. Chavez parlait récemment d’enquêter sur l’éventuelle expropriation de 136 à1149 entreprises. Mais en réalité toutes ses compagnies étaient en faillite, fermées ou en passe de le devenir. Le ministre de l’industrie a éclairci cette position en déclarant que la nationalisation ne prendrait place que dans des « cas extrêmes », qu’il n’y aurait pas de « vagues d’expropriations » et que les firmes capitalistes ainsi que la « production sociale » pouvaient coexister. De même, la redistribution de 13 000 hectares de terres appartenant au Lord Vesty marquait un pas en avant dans la réforme agraire alors qu’auparavant, seule la terre appartenant à l’Etat avait été redistribuée aux pauvres des campagnes. Mais à ce stade, le gouvernement n’envisage de distribuer que de la « terre non fertile ».
Quoiqu’il en soit, 158 paysans ont été tués depuis 2000 quand la loi sur la terre a été votée, démontrant que même face à des réformes limitées, les grands propriétaires terriens résisteront brutalement, aidés dans certains cas par les paramilitaires de droite Colombiens.
Utilisant un langage révolutionnaire, les coopératives sont présentées comme l’embryon de la société socialiste. 79000 coopératives ont été créées les 6 dernières années, majoritairement dans le secteur des services et de l’agriculture. Elles ont eu un certain effet dans la réduction du chômage, qui ne pourra être que temporaire. Ces coopératives sont toujours complètement dans le marché capitaliste avec des compagnies privées et seront dévastées par la crise économique. Beaucoup de ces coopératives en réalité fonctionnent comme des compagnies privées, exploitant la force de travail et dénigrant les droits des travailleurs. Il y a de nombreux exemples d’employeurs privés qui « déguisent » leur entreprise en coopérative afin de recevoir des subsides de l’Etat. En même temps, Chavez encourage « le co-management » des industries d’Etat ainsi que des industries privées. « Ceci est la révolution. Ceci est le socialisme », voilà ce qu’il déclara récemment quand il fit crédit à des taux d’intérêt bas à des patrons de petites entreprises privées qui acceptaient d’introduire des représentant des travailleurs dans les conseils d’administration de leur compagnie.
Une fois de plus, le ministre de l’industrie utilise clairement cette cogestion, ou participation ouvrière, comme une collaboration de classes pour tromper les travailleurs, augmenter l’exploitation et booster les profits de la classe capitaliste, comme cela a été fait dans des pays comme l’Allemagne. Il déclara : « Il y a une interprétation faussée de ce que signifie la cogestion ». « L’idée est de faire participer les travailleurs à la gestion de l’entreprise, non pas de leur en laisser le contrôle, mais plutôt d’aider à éviter des tensions et des contradictions inutiles. » (El Nacional).
Chavez, ne voulant pas se confronter à l’économie capitaliste et au pouvoir d’Etat, met en application des contrôles partiels et essaie d’éviter les structures économiques existantes et l’appareil d’Etat. Donc par exemple, en plus des coopératives, il a créé une compagnie aérienne d’Etat, une compagnie de téléphone d’Etat, une station télé d’Etat, et des supermarchés d’Etat vendant des produits basiques jusqu’à 30 % moins chers que dans le secteur privé. Tout ça avec l’intention de rivaliser avec les monopoles privés.
Ces mesures partielles comme les contrôles des prix sur les aliments de base et les contrôles sur les échanges, servent à rendre la bourgeoisie furieuse, et à augmenter leur détermination à éviter les futurs empiètements sur leur pouvoir économique et sur l’état.
En même temps, en laissant les grandes entreprises monopolistiques, les banques et les institutions financières, les journaux, etc… dans les mains du privé, il est impossible de planifier démocratiquement l’économie afin d’assouvir les besoins des masses. De plus, la classe dirigeante reste capable de saboter l’économie et de miner le mouvement. Il y a eu une certaine réorganisation du personnel au sommet de l’armée, de la justice, du collège électoral et d’autres institutions d’Etat, mais , sans des élections et le droit de révocation de tous ceux qui ont une position dans l’appareil d’Etat, ainsi que l’existence d’un parti socialiste de masse contrôlant constamment l’Etat, de nouveaux points de soutien à la réaction capitaliste peuvent être générés, même au sein de ceux qui soutiennent Chavez aujourd’hui.
La classe capitaliste fera clairement tout ce qu’elle peut pour abattre toutes les mesures qui ont été introduites à la demande des masses. Ils utilisent les médias et font pression sur l’aile pro-capitaliste du gouvernement de Chavez pour poursuivre des politiques sociales et économiques plus « réalistes », afin de conquérir les 4 millions de personnes qui ont voté contre Chavez lors du référendum pour sa révocation et afin de ne pas effrayer les investisseurs étrangers. Chavez a lui même encouragé des joint ventures entre du capital étranger et la compagnie pétrolière d’Etat PDVSA. En fait, les multinationales comptent déjà pour plus ou moins 50 % de la production pétrolière au Venezuela, pendant que la production de la PDVSA a, elle, diminué de moitié depuis l’ élection de Chavez, en ’98. Il est vrai que même un Etat ouvrier sain pourrait être forcé de signer des accords économiques et de commerce avec des pays capitalistes ou des compagnies étrangères si la propagation de la révolution internationale était temporairement retardée. Mais cela serait fait sur base d’un plan démocratique de production, d’un monopole d’Etat des exportations et d’une politique consciente d’élargissement de la révolution en appelant la classe ouvrière internationalement.
Maintenant, en partant d’une politique de préservation du capitalisme, des accords sur des investissements étrangers et sur les commerces seront utilisés pour miner et faire dérailler la révolution. Il y eut un nouvel avertissement quand Chavez a récemment accepté un accord commercial de vente d’armes avec le gouvernement espagnol, le ministre des affaires étrangères de celui-ci, défendant l’accord en réponse aux critiques US en expliquant « le rôle que l’Espagne pourrait jouer au Venezuela pour la satisfaction de Washington, en mettant un frein aux rêves de Chavez d’étendre sa révolution bolivarienne à d’autres pays dans la région » (El Pais, 9 Mai).
La classe ouvrière, du fait de son rôle dans le processus de production et de son pouvoir collectif potentiel, est la clef capable de mener à bien la révolution socialiste au Venezuela et de vaincre les forces de la réaction. Mais, bien que la classe ouvrière ait été impliquée dans le mouvement de masse dans les moments les plus cruciaux, elle n’a été qu’un élément parmi d’autres. La classe ouvrière n’a pas été consciente de son propre pouvoir ou de la responsabilité qu’elle a de diriger les masses pour transformer la société. A différents moments, Chavez a encouragé la participation des masses mais cela avec des limites strictes. Et sans un programme clair pour faire avancer le processus révolutionnaire, le mouvement risque de stagner et de se démobiliser. Chavez n’a pas encouragé, en particulier, l’indépendance d’action des travailleurs. Pendant, par exemple, une récente grève des travailleurs du métro de Caracas, un conseiller de Chavez a demandé que les grèves soient interdites dans le secteur public et Chavez lui même a menacé d’envoyer la garde nationale contre les grévistes. La tâche principale d’un parti révolutionnaire au Venezuela n’est pas de conseiller Chavez sur la façon de diriger la révolution mais de renforcer et d’étendre les organisations de la classe ouvrière ainsi que de mettre en avant des revendications qui augmenteront la confiance des travailleurs dans leur capacité à changer la société ainsi qu’en augmentant leur compréhension de ce qui est nécessaire à chaque étape d’un processus révolutionnaire. Cela devrait inclure une explication sur la façon dont la classe dirigeante utilisera la cogestion pour défendre ses propres intérêts et sur la nécessité de construire et de renforcer les comités de travailleurs qui seuls pourraient être capables de mettre en application un contrôle réel et une gestion ouvrière des lieux de travail comme un pas en avant vers une planification démocratique de toute l’économie. Des éléments de contrôle ouvrier existent déjà sur certains lieux de travail. Dans la compagnie d’Etat de production d’aluminium ALCASA, par exemple, les travailleurs élisent ceux qui gèrent l’entreprise, ceux-ci ne reçoivent que l’équivalent de leur salaire précédent (comme ouvrier) et peuvent être révoqués. Un récent meeting national des travailleurs, convoqué pour discuter de la cogestion et du contrôle ouvrier a accepté : « d’inclure dans les propositions pour une cogestion révolutionnaire que la compagnie doit être la propriété de l’Etat, sans distribution des actions aux travailleurs, et que chaque profit doit être réparti selon les besoins de la société à travers des conseils de planification socialiste. Ces conseils de planification socialiste doivent être compris comme les organes qui mettent en application les décisions des citoyens réunis en assemblée ». Un véritable programme socialiste révolutionnaire devrait appeler à une démocratisation des organisations de la révolution bolivarienne, à la formation et à l’extension de comités d’entreprises démocratiques et de lier ceux-ci aux comités élus dans les quartiers, dans les forces armées, et ce au niveau local et national.
En plus de tout ça, des forces de défense ouvrière doivent être formées pour défendre le mouvement contre la réaction. Chavez a reconnu la nécessité de défendre la révolution contre l’agression impérialiste et il a doublé les réserves de l’armée, mis sur pied « des unités de défense populaire » sur les lieux de travail et dans les campagnes. Mais tout cela sera sous son propre commandement et non sous le contrôle démocratique des organisations de la classe ouvrière et des masses pauvres. La solidarité des travailleurs dans le reste de l’Amérique latine et internationalement est aussi un moyen vital de défense. De son point de vue, Chavez est un internationaliste. En imitant son héros, Simon Bolivar, il se voit lui même comme le dirigeant de l’alliance anti-impérialiste en Amérique latine et il utilise le pétrole et les revenus du pétrole pour promouvoir ses objectifs. On voit de récentes initiatives comme par exemple le lancement de Télésur, une compagnie de télé continentale, ainsi que Pétrosur et Pétrocaribe, qui sont des accords avec différents pays d’Amérique Latine et des Caraïbes autour de l’exportation, de l’exploitation et du raffinage du pétrole. Il a aussi utilisé l’argent du pétrole pour racheter la dette de l’Argentine et de l’Equateur en « solidarité » contre les marchés financiers internationaux. Mais Chavez s’est orienté principalement en direction de dirigeants qui appliquent une politique néo-libérale, plutôt que d’en appeler à la classe ouvrières et aux masses pauvres. Le président brésilien Lula, par exemple, a appliqué des politiques d’attaques contre la classe ouvrière et son parti est mêlé à un sérieux scandale de corruption.
De plus, durant une récente visite, Chavez a félicité Lula et a interprété ce scandale de corruption comme une « conspiration de droite ».
Chavez est accusé par l’impérialisme d’exporter la révolution à d’autres pays d’Amérique Latine. Mais quand des travailleurs du secteur pétrolier sont partis en grève dans deux Etats d’Amazonie en Equateur en août dernier, demandant que plus de ressources soient investies dans les communautés locales et qu’une compagnie pétrolière US soit virée du pays, Chavez a effectivement joué le rôle de casser la grève, prêtant du pétrole au gouvernement équatorien pour compenser la « perturbation » que les grévistes ont entraînés sur les réserves. En opposition à tout cela, après le passage de l’ouragan Katrina, on a perçu comment une véritable politique internationale de solidarité parmi la classe ouvrière pourrait être menée. Comme Chavez, un gouvernement ouvrier démocratique aurait immédiatement offert de l’aide tout en exposant comment le capitalisme place les profits avant les vies des plus pauvres dans la société, et comment l’impérialisme US est totalement incapable de répondre aux besoins des travailleurs américains en temps de crise ainsi que dans des temps « d’accalmie ». En même temps, il aurait créé des liens avec la classe ouvrière et les organisations des communautés aux Etats Unis pour promouvoir le contrôle démocratique de la distribution de l’aide dans les régions affectées, renforçant ainsi la confiance et la conscience de la classe ouvrière américaine.
L’Amérique Latine est un continent en révolte. La victoire d’une révolution socialiste démocratique au Venezuela aurait un impact électrique sur la classe ouvrière et sur les masses pauvres de la région et cela aux Etats-Unis même. La classe ouvrière vénézuélienne est maintenant face au défi de construire et de renforcer leurs organisations, ceci incluant la création d’un parti révolutionnaire de masse avec un programme qui sera capable d’assurer la victoire de la révolution dans sa lutte contre la contre-révolution.
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Comité Exécutif international du CIO. APRES LA VICTOIRE DE BUSH: VERS UN NOUVEL ORDRE MONDIAL?
Comité Exécutif international du CIO
LE COMITÉ POUR UNE INTERNATIONALE OUVRIÈRE (CIO), qui possède des sections dans 36 pays et sur tous les continents et dont fait partie le MAS/LSP, a tenu en Belgique son exécutif durant la 3ième semaine du mois de novembre. Les délégués – venus de tous les continents – ont brossé l’état de la situation politique et économique internationale et avancé des perspectives de développement.
Vincent Devaux
C’est reparti pour un tour
L’actualité a partout été dominée par la question des élections américaines. Bush a été réélu alors qu’il est certainement le président US le plus haï depuis longtemps. Mais s’il a remporté les élections, son soutien s’est érodé et il est loin des 90% qu’il avait dans les sondages peu après le 11 septembre.
Kerry ne représentait pas une alternative à la politique de Bush. Le slogan «Tout sauf Bush» appelant à voter démocrate a érodé le résultat de Ralph Nader (moins de 1%), seul candidat qui présentait un programme défendant les couches opprimées. Une grande partie des votes engrangés ne le sont pas sur base de la politique étrangère (Irak), ni même de sa politique intérieure, mais plutôt sur base des valeurs morales traditionnelles avancées par Bush dans sa campagne avec l’appui des évangélistes.
L’incertitude sur la ligne politique pour son second mandat est tombée. On constate qu’il va poursuivre sa politique agressive. Il a déjà déclaré qu’il voulait un budget de 2.200 milliards de $ pour le budget de la défense jusqu’en 2008 et une diminution de l’impôt sur les plus-values.
L’économie mondiale tirée par les Etats-Unis et la Chine est en porte-à-faux
Bush va devoir tenir compte de deux déficits jumeaux colossaux: le déficit public et celui de la balance des paiements. Le financement de sa dette se fait au travers de l’émis-sion de bons du trésor, les 3/4 des investissements dans des bons d’états par les banques étrangères sont le fait de l’Asie, principalement la Chine et le Japon. Si la croissance US en 2004 a été de 4.4 %, elle est due partiellement à la baisse continuelle du taux d’intérêt passant de 6.25% à 1.25% en quelques années provoquant une surconsommation et la naissance d’une bulle immobilière. La baisse d’impôt – pour les plus riches- au début de la première législature de Bush et la guerre en Irak, remplissant les poches des marchands de canons par une politique de «keynésianisme négatif», a également permis de soutenir la croissance.
La baisse du dollar permet de réduire artificiellement la dette US et permet d’écouler ses produits plus facilement sur le marché mondial et donc d’exporter la crise. Mais cette dépréciation du dollar mine la confiance des investisseurs qui choisissent de se tourner vers d’autres devises comme l’euro. L’importante croissance économique de la Chine ces dernières années (+/-9%) ne doit pas cacher son caractère inégalitaire entre les différentes provinces ; l’intérieur du pays principalement rural restant très pauvre. Le pouvoir central tente de contrôler l’ouverture de l’économie chinoise au capitalisme afin d’éviter l’implosion de cet énorme pays comme en URSS. L’économie chinoise, basée sur l’exportation de biens et l’importation d’énergie et de matières premières est très sensible à l’économie américaine et aux variations de ses taux d’intérêts. Une élévation des taux d’intérêts aurait un impact sur la croissance chinoise.Bien que les achats massifs de bons d’états US permettent de soutenir artificiellement la croissance des Etats-Unis et donc l’exportation de produits chinois, la Chine ralentit ses investissements dans la dette US car elle doit également diversifier ses investissements dans le secteur énergétique pour garantir son approvisionnement. Les deux économies sont très liées et sont actuellement la locomotive de l’économie mondiale, mais elles se soutiennent artificiellement et pourraient s’écrouler tel un château de carte.
On a vu ces derniers mois une augmentation du prix du pétrole dépassant les 45 dollars le baril, due à la combinaison d’une croissance de la consommation d’une part et à l’instabilité de certains pays producteurs d’autre part: l’Irak qui ne peut rétablir son ancienne production, instabilité politique au Vénézuela, grèves à répétition au Nigéria, affaire Ioukos,… d’autre part il y a eu peu de découvertes de nouvelles ressources pétrolières ces dernières années et les installations n’ont pas été suffisamment développées, certains économistes pensent qu’il faudra 15 ans pour rétablir la situation. La production de l’acier au niveau mondial est également sous pression de la demande chinoise. Cette montée du cours du brut a des conséquences directes sur les prix des biens à la consommation et réduit le pouvoir d’achat des populations et cela même dans des pays comme l’Iran ou le Nigéria, exportateurs de brut mais qui doivent importer des produits raffinés.
Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte en elle l’orage. (Jaurès)
Les Américains n’ont pas les moyens de leur ambition: jouer les gendarmes du monde. S’ils ont annoncé la prise de Falluja en Irak comme une victoire, provoquant le déplacement dans des conditions précaires de 200.000 personnes, il est clair que c’est plutôt une défaite et que la résistance devient plus expérimentée. De plus le risque d’une guerre civile n’est pas exclu si les Sunnites ne sont pas représentés au parlement.
La politique guerrière de Bush est partiellement responsable de la reprise de la course à l’armement. La Corée du Nord et l’Iran, qui développent un arsenal nucléaire, sont sous pression de l’Occident. Une intervention militaire en Iran n’est pas exclue mais beaucoup d’obstacles sont présents; accords gaziers avec la Chine et autres fournitures pétrolières avec autres pays, comme la Russie,… le pays est en pleine croissance ce qui n’était pas le cas de l’Irak après une guerre et une décennie d’embargo.
De plus, avec une population trois fois plus nombreuse et un pays quatre fois plus grand que l’Irak il va être plus difficile d’y intervenir. Enfin, l’administration doit compter avec le mécontentement croissant parmi la population et l’armée américaine. Une intervention en Corée du Nord pourrait dégénérer en guerre régionale avec la proximité de la Corée du Sud et de la Chine.
Une montée de la lutte des classes
Le Nigeria a déjà vu 7 grèves générales contre l’augmentation du prix de l’essence depuis qu’Obasanjo est au pouvoir et qu’il mène une politique dure de privatisation des services publics. En Chine des mouvements à caractère insurrectionnels se multiplient.
Une manif a rassemblé‚ 40 à 50.000 personnes à Wanzhou pour protester contre la bastonnade d’un travailleur par un fonctionnaire. Une grève de sept semaines a eu lieu dans une usine textile qui était privatisée, 7.000 personnes protestant contre leurs nouvelles conditions de travail et les licenciements, ce qui est une première depuis 1949. On doit également citer une occupation d’un barrage par des paysans qui est passée de 40.000 à 100.000 personnes après la mort d’un manifestant et qui a finalement obligé la police à se retirer. En Amérique Latine, la plupart des gouvernements – au Pérou, Brésil, Venezuela, Argentine,…- tiennent un discours anti-libéral. La Colombie a vu l’élection d’un président social-démocrate après 100 ans de pouvoir aux mains des conservateurs, signe de l’élévation de la conscience de la population. On voit néanmoins actuellement les limites de tous ces gouvernements qui ne cassent pas avec le capitalisme.
L’Europe entre en marche Les attaques sur les conditions de vie des ouvriers entraînent la réaction de la classe ouvrière par des manifestations rassemblant des centaines de milliers de personnes (grèves générales en Italie…).
En Angleterre, le syndicat des pompiers a consciemment brisé ses liens avec le Labour Party qui mène les attaques sur le niveau de vie des gens. L’Allemagne qui a certainement vu les pires attaques, a vu se développer les Journées du Lundi (contre le plan Hartz IV) ainsi qu’une nouvelle formation électorale qui pourrait être le point de départ d’un nouveau parti des travailleurs. Aux Pays-Bas, le modèle « Polders », basé sur la paix sociale a montré ses limites, la manif du 9 octobre dernier contre la politique de Balkenende a rassemblé entre 200.000 et 300.000 manifestants. En Pologne, avec un taux de chômage moyen de 20-30 %la population n’a plus d’illusions sur les soi-disant bénéfices de l’intégration au sein de l’U.E.
Partout dans le monde nous voyons une montée de l’instabilité politique des tensions entre les grands blocs économiques, un pourrissement de la société dans les pays où intervient l’impérialisme et une escalade militaire. Seul un changement de société, porté par le développement de la lutte des classes peut éviter une explosion de barbarie.