Tag: Chokri Bela

  • Achever le processus révolutionnaire : après la chute de Ben Ali, la chute du capitalisme !

    Initiée il y a maintenant plus de deux ans, la révolution tunisienne a connu un tournant au début de ce mois de février avec l’assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaïd. Quelques jours après sa mort, plus d’un million de personnes étaient dans les rues (sur une population de 12 millions d’habitants) pour lui rendre hommage et en opposition au gouvernement, tandis que prenait place la première grève générale nationale depuis 1978. De retour du Forum Social Mondial de Tunis, notre camarade Nicolas Croes nous parle de l’actualité du processus de révolution et de contre-révolution en Tunisie.

    Par Nicolas Croes

    Une situation qui reste explosive

    Les événements qui se sont succédés après l’assassinat de Chokri Belaïd ont profondément déstabilisé le régime et le parti islamiste réactionnaire au pouvoir, Ennadha. La colère et la haine éprouvées contre lui n’ont fait que se renforcer ces derniers mois, à mesure de l’aggravation de toutes ces questions sociales qui étaient au cœur de la révolution de 2011.

    En effet sur le ‘’terrain’’, le chômage est énorme tandis que l’inflation massive des prix a avalé la plupart des augmentations salariales acquises de haute lutte par les travailleurs. La misère sociale est encore plus criante dans diverses régions maintenues dans le sous-développement. Dans les faits, la politique des dirigeants actuels suit une voie néolibérale identique à celle de l’ancienne clique mafieuse autour du dictateur Ben Ali. A titre d’exemple, les conditions du récent prêt conclu avec le Fonds Monétaire International prévoient notamment d’abolir les subsides d’Etat pour les denrées alimentaires. Cette mesure suffira à elle seule pour précipiter directement 400.000 personnes de plus dans la pauvreté. Quant à l’ancien appareil policier, si ses maîtres ont changé, il poursuit inlassablement son sale boulot de répression et de violence, sur fond d’un état d’urgence toujours en vigueur. En bref, toutes les conditions matérielles qui furent à la base de l’explosion révolutionnaire de décembre 2010 – janvier 2011 sont toujours bien présentes et n’ont fait que devenir plus aigües.

    Avant même les événements de février, l’establishment politique était déjà embourbé dans une crise profonde dont les fondements résident dans l’incapacité des classes dominantes à trouver la formule magique leur permettant d’appliquer la politique contre-révolutionnaire tout en disposant d’une assise relative parmi les masses. Sorti vainqueur des dernières élections, Ennadha est littéralement au bord de l’implosion et voit aujourd’hui son autorité s’effondrer. Cette perte d’influence a été illustrée par la tentative de son aile la plus radicale d’opérer un tour de force au lendemain de la grève générale par l’organisation d’une manifestation. Malgré tout l’argent destiné à payer les participants à cette manifestation ‘‘massive’’, seuls quelques milliers de personnes avaient répondu à l’appel. Un sondage paru en avril dans le journal tunisien Le Quotidien accordait au dirigeant d’Ennhada Rached Ghannouchi (largement considéré comme l’assassin de Belaïd) un taux de popularité de 1,9%.

    Quelle voie de sortie ?

    Dans l’opposition, deux grands blocs se font face, à côté d’une myriade de petits partis. On trouve d’une part le parti Nidaa Tounès, qui se positionne comme le parti de l’opposition bourgeoisie laïque et tente de rallier à lui sous le slogan de ‘‘Tout sauf les islamistes’’. Mais il s’agit surtout du refuge de tout un tas d’anciens membres du RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocrate), le parti de l’ancien dictateur Ben Ali ! Son dirigeant, Essebsi, fut d’ailleurs notamment ministre sous Bourguiba et président de la Chambre sous Ben Ali. Fondamentalement, Ennadha et Nidaa Tounes ne représentent que deux des têtes de l’hydre de la dictature du capital et de la contre-révolution. Chacune de ces têtes essaye d’attirer l’attention sur la fracture entre les religieux et les laïcs, avant tout pour dévier l’attention de la véritable guerre de classe à l’œuvre dans le pays. Chacune clame que la révolution est maintenant terminée. Elles se font l’écho de tous ceux pour qui Ben Ali pouvait bien tomber le vendredi 14 janvier 2011 pourvu que les travailleurs retournent à l’usine le lundi.

    Mais les slogans que l’on pouvait entendre lors de la grève générale de février dans les cortèges massifs et historiques de manifestants parlaient de la chute du gouvernement et de la nécessité d’une nouvelle révolution. Des jours durant, des affrontements eurent lieu entre manifestants et forces de police dans de nombreux endroits, en particulier dans les régions militantes de l’intérieur du pays comme Gafsa (où avaient éclaté les émeutes du bassin minier en 2008) ou Sidi Bouzid (d’où est parti le mouvement révolutionnaire qui mit fin au règne de Ben Ali). Heureusement, bien qu’encore imparfaite, cette colère dispose d’un embryon d’expression politique.

    Car à côté d’Ennadha et de Nidaa Tounès, on trouve le Front Populaire, une organisation créée en octobre 2012 réunissant le large spectre de la gauche radicale tunisienne. En son sein se trouvent différentes organisations et courants se réclamant du maoïsme (notamment le Parti des Travailleurs et le Parti des Patriotes Démocrates Unifié), du trotskisme (la Ligue de la Gauche Ouvrière), du nassérisme ou encore de l’écologie politique. La dynamique enclenchée autour de ce Front est porteuse d’un grand potentiel pour construire une réelle expression politique pour les luttes des travailleurs et des couches populaires. Mais pour l’instant, sa direction, tout comme celle de la grande fédération syndicale UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail), manque encore d’audace et de clarté sur la stratégie à adopter aujourd’hui. Or, chaque moment de répit laissé à l’hydre de la contre-révolution se payera chèrement dans le camp des travailleurs. Si ce n’est pas encore la perspective la plus immédiate, le danger d’un coup d’État est bien présent dans la situation.

    Pour la chute du gouvernement, pour la chute du système capitaliste

    Aujourd’hui, la gauche et la centrale syndicale UGTT doivent prendre garde à ne pas sombrer dans les diverses manœuvres pour ‘‘l’unité nationale’’ ou pour ‘‘l’unité contre les islamistes’’. Il ne saurait être question d’une alliance avec des forces hostiles aux travailleurs, la ligne de démarcation doit être clairement tracée entre les amis et les ennemis de la révolution !

    La seule unité possible est celle de la classe ouvrière, de la jeunesse et des pauvres pour poursuivre leur révolution jusqu’à l’instauration, à travers la lutte de masse, d’un gouvernement qui leur appartient. Le potentiel est aujourd’hui gigantesque pour cela, et il n’est pas exagéré de dire que le pouvoir a été à portée de main des masses à plusieurs reprises ces deux dernières années, et très certainement en février dernier. Parmi la population, la compréhension que les droits démocratiques ne peuvent êtres défendus que par une démocratie économique est très grande (cela implique de placer sous contrôle et gestion démocratique des travailleurs et des masses pauvres les secteurs-clés de l’économie). L’idée de la nécessité du ‘‘socialisme’’ est fort répandue, directement issue de la puissance du syndicat UGTT, de sa place dans l’histoire du pays et des fortes traditions issues de l’activité de la gauche radicale, y compris sous la dictature. Mais il règne un grand flou concernant ce que ce terme peut bien signifier.

    Aujourd’hui, il faut un plan d’action clair avec l’organisation d’une nouvelle grève générale suite au succès de celle de février liée à la tenue d’assemblées de masse dans les lieux de travail, les quartiers, les universités, les écoles, etc. pour discuter et déterminer les prochaines étapes de la lutte de la manière la plus démocratique et collective possible.

    Selon nous, la meilleure voie à suivre est de construire des comités de lutte et de les coordonner aux échelons local, régional et national par l’élection de représentants révocables directement issus des forces vives de la révolution (les couches combatives de l’UGTT, du mouvement ouvrier et de la jeunesse). Ces comités ne doivent pas seulement avoir pour tâche d’organiser une lutte efficace contre les forces de la contre-révolution et de protéger la population contre l’action de la police ou des milices réactionnaires islamistes, mais aussi de préparer les travailleurs et les pauvres à l’exercice du pouvoir et à la construction d’une société socialiste démocratique. De façon similaire à la vague de mobilisations de masse qui a déferlé sur le monde après la révolution tunisienne, une telle démarche audacieuse vers le véritable socialisme initierait un élan révolutionnaire international extraordinaire, tout particulièrement dans le contexte actuel de crise du capitalisme.

    Revendications défendues par les partisans du CIO en Tunisie

    • Ennahda dégage ! Pour l’organisation rapide d’une nouvelle grève générale de 24h, à renouveler jusqu’à la chute du régime !
    • Pour la formation de comités de défense par les travailleurs, les jeunes et les masses pauvres, afin d’organiser la protection contre les attaques de la contre-révolution !
    • Stop à l’état d’urgence et à la répression des mouvements sociaux ! Pour la défense résolue de toutes les libertés démocratiques !
    • Non aux attaques contre les droits des femmes ! Pour l’égalité de traitement à tous niveaux !
    • Un revenu et un logement décents pour tous et toutes ! A bas la vie chère ! Pour l’indexation automatique des revenus au coût de la vie !
    • Non aux plans antisociaux du FMI, aux privatisations et à l’austérité ! Non au paiement de la dette de Ben Ali !
    • Nationalisation, sous contrôle démocratique des travailleurs et de la population des banques et des grandes entreprises !
    • Pour un gouvernement des travailleurs, de la jeunesse et des masses pauvres, appuyé par les organisations de gauche, syndicales et populaires (UGTT, Front Populaire,…)
    • Pour la lutte internationale des jeunes et des travailleurs contre le capitalisme et l’impérialisme – pour le socialisme international !


      Quelques photos du Forum Social Mondial

  • Tunisie : Non au gouvernement Larayedh! Grève générale, jusqu’à la chute du régime! Le pouvoir aux travailleurs, aux masses pauvres et à la jeunesse !

    Le nouveau gouvernement d’Ali ‘Chevrotine’ n’est qu’une version légèrement édulcorée du précédent. Les Nahdaouis, bien qu’affaiblis, ne s’en iront pas sans une lutte d’arrache-pied imposée par la rue. La crise actuelle du pouvoir est le résultat de la résistance à laquelle la politique de la Troïka est confrontée depuis des mois et des mois par les travailleurs, la jeunesse, les femmes, les masses pauvres des villes, les paysans, les chômeurs, etc. Cette politique n’a contribué qu’à rendre les problèmes quotidiens du plus grand nombre chaque jour pire encore.

    Tract du Comité pour une Internationale Ouvrière consacré à la situation en Tunisie et distribué lors du Forum Social Mondial

    “Honte au gouvernement, la jeunesse brûle ”

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    Socialisme 2013. Dimanche prochain, à l’occasion du week-end "Socialisme 2013", un rapport de la situation actuelle en Tunisie sera livré par Nicolas Croes, rédacteur de socialisme.be et de notre mensuel, de retour de Tunisie.

    L’explosion du chômage et le désespoir social poussent les suicides et les dépressions à des niveaux record. Les régions du Sud et du Centre-Ouest continuent de s’enfoncer dans une spirale de misère extrême. Et la clique au pouvoir augmente le prix des carburants, du tabac et de l’électricité, alors que les maigres augmentations de salaires arrachées par les grèves sont déjà rognées par une explosion continue des prix des produits de première nécessité, poussant la survie quotidienne à des niveaux plus que critiques pour de nombreuses familles pauvres.

    Pendant ce temps, les nombreux avantages fiscaux et la corruption des grosses fortunes prolifèrent, le pouvoir poursuivant les politiques néolibérales désastreuses de l’ancien régime. La signature d’un accord de “partenariat privilégié” avec l’UE ne va que renforcer la dépendance de l’économie tunisienne aux desiderata des gros groupes capitalistes internationaux. Ennahda, tout comme Nidaa Tounes -repère de partisans de l’ancien régime- sont les deux revers de la même médaille: celle des grands patrons, des multinationales occidentales et des institutions créancières internationales, lesquels poussent tous à reproduire les “normes” qui ont permis à une clique de parasites de s’enrichir en saignant à blanc les travailleurs et le peuple tunisien.

    Les créanciers de la Tunisie ont prêté des montagnes d’argent à Ben Ali &Co pour soutenir la dictature, et demandent aujourd’hui au peuple de payer la facture. Le FMI poursuit ses “négociations” avec les autorités tunisiennes afin d’octroyer un prêt d’une valeur de 1,78 milliard de dollars. Celui-ci sera bien sûr conditionné à des mesures drastiques de casse sociale: coupes salariales dans la fonction publique, privatisations à la volée, diminution des subventions sur les produits de base,…

    Quelques chiffres

    • 85% des entreprises tunisiennes évoluent en flagrant délit de fraude du fisc. Un chiffre d’affaires non imposable de 115 milliards de dollars, soit 6 fois et demi le budget de l’Etat 2013
    • Les milliardaires tunisiens expatrient jusqu’à 45% de leur fortune à l’étranger
    • La Tunisie a perdu 39 milliards de dollars US entre 1970-2010 par la fuite illicite de capitaux
    • L’INS a chiffré à 400.000 le nombre de personnes qui basculerait dans la pauvreté dans le cas d’une suppression des subventions alimentaires…

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    Il est temps de faire payer les vrais responsables de notre misère !

    Les droits des femmes sont dans la ligne de mire des réactionnaires au pouvoir, comme encore illustrées par les récents propos d’Habib Ellouze sur “l’esthétisme” de l’excision. Pendant que des rappeurs sont arrêtés pour leurs propos dénonçant les abus de la police, de nombreux parents demeurent dans l’ignorance des responsables de la mort de leurs enfants, et des dizaines de blessés continuent de souffrir en attendant désespérément des traitements médicaux appropriés. Des lois répressives datant de Ben Ali sont resservies pour étouffer la liberté d’expression, et l’état d’urgence est prolongé sans fin au mépris des libertés publiques.

    L’assaut engagé par les milices nahdaouies contre l’UGTT en décembre dernier avait abouti à la création d’une commission d’enquête. Mais comme celle sur la répression policière sauvage du 9 avril dernier à Tunis, cette commission n’a rien fait pour traduire leurs auteurs en justice; elle a au contraire été essentiellement utilisée pour couvrir leurs exactions.

    Briser la résistance de ces milices ne proviendra pas de mesures administratives de bonté venues d’en-haut. Autant demander à un tigre d’être végétarien ! Seule la coordination de groupes d’auto-défense, composés de syndicalistes, de jeunes révolutionnaires, de tout ce que la révolution compte de forces vives, peut faire efficacement face à la violence croissante de la contre-révolution, qu’elle provienne de ces milices ou des forces de l’Etat.

    Il faut rapidement un plan d’action pour organiser la riposte, en remettant les questions sociales au cœur de la lutte!

    Les mobilisations de rue juste après la mort de Chokri ont clairement démontré de quel côté pèse encore le rapport de forces. La grève générale du 8 février et l’avalanche humaine descendue dans les rues ce jour-là ont poussé le gouvernement et le parti dirigeant dans ses retranchements. La marche qu’Ennahda a organisée une semaine après n’a fait que confirmer l’érosion vertigineuse de la base sociale de ce parti. Même les funérailles du jeune vendeur ambulant qui s’est immolé par le feu il y a deux semaines se sont transformées en manifestation contre le parti au pouvoir.

    La grève générale de février a donné une bonne indication de ce qu’il est possible d’accomplir par la mobilisation de masse. Mais celle-ci doit demeurer soutenue, et s’inscrire dans une stratégie mettant à profit l’immense pouvoir potentiel de la rue, et surtout le poids du mouvement ouvrier organisé et de l’UGTT, pour en finir pour de bon avec le pouvoir actuel et avec le système de violence et de misère qu’il entretient.

    Il faut préparer sans plus attendre les prochaines étapes du mouvement. Un encouragement rapide à une nouvelle grève générale, si celle-ci s’adresse à toute la masse avec des revendications sociales claires et audacieuses, permettrait de redonner une perspective de lutte à tous ceux et toutes celles qui veulent en finir avec le pouvoir actuel. Une telle grève pourrait être préparée par une tournante de grèves régionales et sectorielles dans les jours qui précèdent, avec une grande campagne de mobilisation et d’agitation tournée vers l’ensemble du peuple tunisien. Pour maximiser son impact, une nouvelle grève générale ne peut se limiter à des mots d’ordre de refus de la violence et de dissolution des milices islamistes. Toutes les questions fondamentales de la révolution sont en jeu ! Fournir des emplois à tous les chômeurs, en finir avec les inégalités régionales, rendre justice aux martyrs, déraciner le vieil appareil d’Etat toujours en place…

    Si après une telle grève, Larayedh et son gouvernement n’ont toujours pas compris qu’ils doivent dégager, on pourrait prolonger les actions de grève et les manifs dans les jours suivants, peut-être couplées à l’occupation des lieux de travail, des places publiques, des lycées et des facs, jusqu’à faire plier le pouvoir en place.

    Les dirigeants de l’UGTT auraient déjà dû offrir un plan d’action pour poursuivre les mobilisations à la suite du succès de la grève générale, s’appuyant sur le rapport de force ainsi créé pour aller de l’avant et porter le coup de grâce à la Troika. Chercher à éviter la confrontation entre les masses révolutionnaires et le pouvoir n’arrêtera pas le conflit, mais le rendra seulement plus défavorable pour notre camp!

    C’est pourquoi il faut s’assurer que le mouvement soit démocratiquement construit par la base. La discussion sur les initiatives à entreprendre et les suites à donner aux actions doit être contrôlée par ceux qui sont en lutte! Encourager la convocation d’assemblées générales partout où c’est possible (dans les entreprises, dans les facs, les écoles, les villages, les quartiers populaires,…) serait un bon appui dans ce sens. De telles assemblées pourraient élire des comités de grève et d’action en leur sein pour prendre la lutte en main à chaque niveau, afin de structurer et coordonner partout le mouvement selon la volonté des masses en lutte. On pourrait ainsi déterminer partout collectivement quelles devraient être les prochaines étapes du mouvement, comment s’organiser contre la contre-révolution,…cela aiderait à construire le rapport de force et le soutien le plus massif possible en prévision des futures batailles.

    Ne laissons pas la contre-révolution confisquer nos conquêtes! Ne lâchons pas la rue !

    Le danger de la contre-révolution (qu’elle se présente sous une forme islamiste ou qu’elle se cache, comme Essebsi et ses alliés, derrière un visage “laïque”) est loin d’avoir été mise hors-jeu. Sans un programme d’action clair pour poursuivre la révolution jusqu’au bout, la contre-révolution peut user du répit ainsi offert pour relever la tête et contre-attaquer. Le meurtre de Chokri Belaïd, les violences répétées contre les bâtiments et les syndicalistes de l’UGTT, et les “listes noires” qui circulent montrent que certains groupes de nervis réactionnaires ne reculeront devant aucune méthode pour briser le coup de la révolution.

    “Vous craignez de descendre dans la rue ? si vous saviez ce qui vous attend si vous restez chez vous…” Chokri Belaïd

    La misère grandissante dans les quartiers pauvres nourrit le terreau à partir duquel les salafistes et jihadistes embrigadent, surtout parmi des jeunes qui n’ont plus rien à perdre. Les couches de la population pauvre les plus désespérées, si elles ne voient pas d’issue du côté du mouvement syndical et de la gauche, pourraient devenir la proie de ces démagogues réactionnaires. La seule façon dont la classe ouvrière et la jeunesse révolutionnaire peuvent gagner à elles la masse des laissés-pour-compte est de créer un mouvement national puissant capable de lutter pour les revendications de tous les opprimés. Cela implique de lier la nécessaire lutte pour la défense et l’élargissement de tous les droits démocratiques avec le combat sur des problèmes tels que l’emploi, le logement, la vie chère,…Dans le cas contraire, l’érosion du pouvoir nahdaoui pourrait partiellement profiter aux salafistes et à leur surenchère, lesquels pourraient gagner de nouveaux secteurs de la population pauvre, des exclus et des marginalisés à leur cause et les mobiliser contre la révolution. Le pays pourrait glisser dans une spirale de violence dont les masses paieraient le premier prix.

    Luttons pour un gouvernement issu de la révolution !

    Beaucoup de travailleurs et de jeunes ont leurs yeux tournés vers le Front Populaire, dont les militants jouent un rôle courageux et de premier plan dans beaucoup des luttes en cours. La dynamique enclenchée autour du Front Populaire est porteuse d’un grand potentiel pour construire une expression politique aux intérêts des travailleurs et des couches populaires et à leurs luttes.

    Cependant, les appels à “l’unité nationale” ou à un “gouvernement de compétences” sont des formules qui manquent de lisibilité et ne donne pas une idée claire sur la marche à suivre pour poursuivre et approfondir la révolution. Elles peuvent entretenir l’illusion qu’un compromis est possible pour parachever la soi-disant “transition démocratique” sans renverser le système en place. Mais un développement social digne de ce nom ainsi qu’une vraie démocratie ne viendront pas tant que les capitalistes, nationaux et étrangers, continuent de piller l’économie du pays. Il n’y a pas d’unité possible avec ces gens-là. L’unique voie possible pour arracher des mesures durables en faveur des masses populaires est de donner le maximum de vigueur et de structuration aux luttes actuelles, pour les coordonner en une vaste offensive révolutionnaire vigoureuse, menant la classe ouvrière, les jeunes et tous les opprimés à prendre le pouvoir et à renverser le système en place. Le succès de la révolution tunisienne est à ce prix!

    Dans ce sens, l’appel à un “ Congrès national de Salut” avancé par le Front prendrait tout son sens s’il s’adressait, sans équivoque, aux masses révolutionnaires elles-mêmes: la convocation d’assemblées et l’élection de comités locaux, issus directement des forces militantes de la révolution, des activistes du Front, des couches combatives de l’UGTT et de l’UGET, des jeunes, des chômeurs et militants de l’UDC, etc, dans chaque localité et gouvernorat de la Tunisie, pourraient fournir un contenu concret et révolutionnaire à un tel appel. Le Front Populaire et ses nombreux militants influents aux quatre coins du pays pourraient servir de colonne vertébrale pour mener une campagne énergique dans ce sens.

    Remettre la lutte pour le socialisme à l’ordre du jour

    Certains n’hésitent plus à en appeler à l’institution militaire pour mettre fin à l’état de crise que connait le pays. Beaucoup de soldats du rang, ainsi que certains policiers, se rendent compte qu’ils ne servent que de pions pour les grandes manoeuvres ayant cours dans les états-majors et les hautes sphères du pouvoir. Il faut défendre ouvertement leurs droits à l’insoumission, à refuser d’être utilisés pour réprimer la révolution, et à élire des comités au sein même des forces armées, pour en chasser les individus et les supérieurs indésirables. Issus du peuple et gagnant bien souvent une misère, les soldats et les policiers n’ont rien à gagner en servant les classes possédantes et leurs politiciens dans leurs sièges dorés.

    Créant les bases embryonnaires d’une nouvelle société libre et démocratique, l’expérience des nombreux comités de quartier et conseils populaires qui avaient surgi sous différentes formes lors du soulèvement contre Ben Ali avait montré que les meilleures “compétences” pour diriger le pays dans l’intérêt du plus grand nombre sont les masses tunisiennes elles-mêmes.

    La coordination à l’échelle locale, régionale puis nationale de comités d’action révolutionnaires, composés de représentants élus et révocables, émergeant directement du mouvement révolutionnaire et disposant de la confiance du peuple en lutte, pourraient fournir l’armature d’un nouveau pouvoir, directement issu de la révolution, capable d’affronter le régime en place et à terme, de se substituer à lui. Ainsi, les décisions politiques, au lieu d’être monopolisées dans un circuit fermé entre Carthage, La Kasbah, Le Bardot et Montplaisir, seraient réappropriées par tous ceux et toutes celles qui ont fait la révolution.

    Pour ne pas retomber dans les mêmes impasses que les gouvernements précédents, un tel pouvoir révolutionnaire userait de l’élan ainsi créé pour s’attaquer sans tarder au système économique actuel, en expropriant la poignée de familles capitalistes et de groupes multinationaux qui contrôlent l’économie du pays, et en les mettant sous la gestion et le contrôle de la collectivité: banques, compagnies d’assurance, industries textiles et mécaniques, grandes chaînes touristiques, mines de phosphate, transports, grande distribution,…Sur les bases d’une planification publique des investissements gérée démocratiquement par les travailleurs et la population, les intérêts de l’écrasante majorité du peuple tunisien pourraient enfin être mis au centre des priorités.

    Les salariés du transport de carburant ont obtenu récemment une réduction de leurs horaires de travail de 48h hebdomadaires à 40 heures. En généralisant ce type de mesures, en partageant le temps de travail entre tous, avec maintien des salaires, et en engageant un vaste programme d’investissement public répondant aux immenses besoins sociaux, des centaines de milliers d’emplois utiles à la collectivité pourraient ainsi être créés. Mais tout cela entre en conflit avec la logique de profit qui régit le système actuel. Seule la construction d’une société démocratique et socialiste, fondée sur la coopération, la solidarité et la planification des ressources et des techniques, peut libérer les ressources humaines et matérielles nécessaires pour résoudre les problèmes urgents des masses tunisiennes et commencer à concrétiser les objectifs de la révolution. Mise en place, une telle politique serait une source d’inspiration gigantesque pour les travailleurs et les pauvres aux quatres coins du monde. C’est pourquoi tisser de puissants liens avec le mouvement révolutionnaire égyptien, et plus généralement, avec les luttes des travailleurs et des jeunes à l’échelle internationale, sera d’un apport vital dans la perspective de “dégager” le capitalisme et l’impérialisme une bonne fois pour toutes dans les poubelles de l’histoire.

    • Ennahda dégage! Pour l’organisation rapide d’une nouvelle grève générale de 24h, à renouveler jusqu’à la chute du régime!
    • Pour la formation de comités de défense par les travailleurs, les jeunes et les masses pauvres, afin d’organiser la protection contre les attaques de la contre-révolution!
    • Stop à l’état d’urgence et à la répression des mouvements sociaux! Pour la défense résolue de toutes les libertés démocratiques!
    • Non aux attaques contre les droits des femmes! Pour l’égalité de traitement à tous les niveaux!
    • Un revenu et un logement décents pour tous et toutes! A bas la vie chère! Pour l’indexation automatique des revenus au coût de la vie!
    • Non aux plans antisociaux du FMI, aux privatisations et à l’austérité! Non au paiement de la dette de Ben Ali!
    • Pour un gouvernement des travailleurs, de la jeunesse et des masses pauvres, appuyée par les organisations de gauche, syndicales et populaires (UGTT, UDC, Front Populaire…)
    • Pour la lutte internationale des jeunes et des travailleurs – contre le capitalisme et l’impérialisme

    Qu’est-ce que le CIO ?

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) est une organisation internationale socialiste, qui lutte sans relâche pour les intérêts des travailleurs, des jeunes et des peuples opprimés à travers le monde. Nous disposons de partis, de groupes et de militants dans une cinquantaine de pays sur tous les continents, du Sri Lanka au Québec, du Kazakhstan au Chili. Le capitalisme est un système mondial; par conséquent, les travailleurs, les jeunes et les opprimés du monde entier ont besoin de s’unir à la même échelle pour le mettre à bas.

    Si vous voulez nous rejoindre ou disposer de plus d’infos: contactez nous au 0021622837971 (Tunisie) ou via cwi@worldsoc.co.uk ou visitez notre site web: www.socialistworld.net – www.socialisme.be ou www.gr-socialisme.org en français

  • Les révolutions ne sont pas terminées, la lutte continue !

    Moyen-Orient et Afrique du Nord

    Plus de deux ans après la vague de révolutions et d’insurrections au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, la lutte pour la justice s’embrase à nouveau. Si les précédentes révolutions n’ont pas encore conduit à un autre système, elles n’en menacent pas moins les bases des vieux régimes. Tant en Tunisie qu’en Egypte, le potentiel pour une nouvelle vague révolutionnaire reste bien présent. Une deuxième révolution est nécessaire pour parachever ce qui a été initié avec la chute des anciens dictateurs en faisant également tomber le système sur lequel se basaient ces dictatures. Capitalisme, dégage !

    par Geert Cool, article paru dans l’édition de mars de Lutte Socialiste

    Révolution et contre-révolution

    Les mouvements en Tunisie puis en Egypte ont provoqué un véritable séisme dans la région et à travers le monde. La population ouvrière, les pauvres et les jeunes ont montré qu’ils pouvaient obtenir un changement sur base de protestations de masse. La révolution est de nouveau à l’agenda, elle est même contagieuse…

    Pendant un temps, l’adversaire avait été rayé de la carte suite aux protestations massives. Mais, rapidement, la contre-révolution a relevé la tête, sur le plan national comme sur le plan international, et a tenté de regagner le contrôle de la situation. Elle s’est notamment basée sur les divisions ethniques et religieuses, sur les bombardements,… et s’en frontalement opposée aux intérêts de la majorité de la population.

    Finalement, aussi bien en Tunisie qu’en Egypte, des partis islamiques sont arrivés au pouvoir: Ennahda en Tunisie et les Frères musulmans en Egypte. La population s’était-elle emparée de la rue pour ce résultat ? Des dizaines de jeunes et de travailleurs avaient-ils risqué ou donné leur vie pour cela ? Les résultats électoraux étaient en fait comme autant de photographies instantanées d’un processus révolutionnaire vivant où les couches larges étaient très claires sur ce dont elles ne voulaient pas – les vieilles dictatures – sans être encore parvenues aux conclusions concrètes sur ce qui devait les remplacer.

    Faite d’alternatives politiques fortes issues du mouvement ouvrier, un espace a été laissé vacant, bien vite occupé par des partis islamistes qui, pourtant, n’avaient pas joué de rôle central dans les mouvements révolutionnaires. Une fois au pouvoir, ces partis n’ont pas réussi à constitué un régime stable. Pour les masses, il était impossible d’accepter que la même politique se poursuive avec simplement d’autres responsables. L’esprit de protestation et l’appel au changement ont réémergés.

    Les Frères musulmans se heurtent à la protestation

    En Egypte, les Frères musulmans ont été incapables d’éviter la forte augmentation des prix des denrées alimentaires de base lors des derniers mois. Les soucis économiques se sont succédé tandis que la politique de libéralisation exigée par le FMI va entraîner encore plus de catastrophes. Les protestations se poursuivent donc. En 2011, il y eut plus de 3.400 actions autour de thèmes sociaux et économiques, près de cinq fois plus que n’importe quelle autre année au cours de la première décennie de ce siècle. Plus de deux tiers de ces actions se sont tenues après que Morsi ait prêté serment comme président le 30 juin 2011.

    Les tentatives du régime de briser les protestations en bridant les syndicats n’ont eu qu’un effet limité. A côté de la fédération syndicale officielle, les syndicats indépendants en Egypte ont accueilli plus de 2,5 millions nouvelles affiliations. A la commémoration de la révolution, le 25 janvier, de massives protestations ont eu lieu et le régime a été obligé d’avoir recours à la répression. Des fans de foot ont été accusés d’être responsables des émeutes et ont été condamnés à mort, provoquant de nouvelles vagues d’opposition à Port Saïd.

    Les Frères musulmans se révèlent de plus en plus n’être qu’une force néolibérale opposée aux syndicats et aux luttes de la population. Dans ce cadre, pour aller plus loin qu’en 2011, la question d’un véritable instrument politique (des travailleurs et des jeunes) sera d’une importance cruciale. Si le mouvement laisse un vide politique se développer, la contre-révolution trouvera toujours de nouvelles forces pour remplir cet espace et ainsi épuiser le mouvement révolutionnaire.

    Le meurtre de Chokri Belaïd conduit à un mouvement de masse en Tunisie

    Le meurtre du dirigeant de l’opposition de gauche, Chokri Belaïd, a provoqué de nouvelles protestations massives en Tunisie. Le gouvernement d’Ennadha n’était déjà plus au mieux de sa forme. Le président du parti, Ghannouchi, parlait de la nécessité d’un gouvernement de technocrates. Dans diverses régions (certainement dans les régions reculées), des actions de grève se déroulaient déjà. Mais quand Chokri Belaïd a été tué, la Tunisie a connu sa première véritable grève générale depuis 1978. Le 8 février, le pays a été entièrement paralysé.

    Belaïd était un chef de file respecté du ‘‘Front populaire’’, une alliance de partis de gauche. Il était considéré comme étant du côté de la population. Mais au cours du mouvement de masse qui a suivi son assassinant, son parti (les Patriotes Démocrates) a déclaré être favorable à un gouvernement de ‘‘compétences nationales’’. Cette déclaration reste vague, elle laisse ouverte l’idée de l’unité avec des forces pro-capitalistes au moment décisif où seule l’unité de la classe ouvrière, des jeunes et des pauvres peut faire progresser la révolution.

    Les protestations massives ont poussé Ghannouchi à déclarer que les protestations étaient “contre-révolutionnaires”. Par là, il a surtout clairement démontré que la poursuite du processus révolutionnaire se heurte à son parti et à son gouvernement. Le mouvement de masse et le mécontentement ont également conduit à une crise politique au sommet du régime, ce qui montre, s’il le fallait encore, la puissance potentielle du mouvement de contestation.

    Comment l’emporter ?

    Les révolutions de 2011 ont démontré qu’un changement est possible. Elles ont aussi démontré l’effet que peut avoir une insurrection révolutionnaire et son effet domino dans la région. La question est désormais de savoir comment le processus révolutionnaire peut être mené jusqu’à ses conclusions logiques.

    Pour cela, il faut se tourner vers les traditions d’auto-organisation qui se sont établies pendant la première vague de la révolution. Avec des comités sur les lieux de travail, dans les écoles, dans les quartiers,… coordonnés sur le plan local, régional et national par des représentants démocratiquement élus peut être posée la base d’une prise en main collective de l’économie, afin de lancer un plan massif d’investissements publics dans l’infrastructure et pour des emplois socialement utiles.

    Afin d’imposer un tel programme de planification socialiste démocratique en fonction des intérêts de la majorité de la population, la lutte doit être organisée à tous niveaux. Cela signifie, entre autres, d’avoir un syndicalisme de combat et de créer une alternative politique de masse. Cela pourrait être un premier pas dans la direction d’une fédération socialiste et volontaire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

  • Tunisie: Non à Larayedh, ministre de la chevrotine! A bas Ennahdha! Pour la chute du système!

    La colère du peuple tunisien est profonde. Alors que l’élite politique a échoué à ne fut-ce que commencer à résoudre les problèmes quotidiens du plus grand nombre, et cela après plus de 14 mois au pouvoir, l’assassinat de Chokri Belaïd le 6 février a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, exaspérant l’ensemble du pays et poussant de ce fait le gouvernement haï d’Ennahdha dans ses retranchements.

    Par des partisans du CIO en Tunisie

    Le pays traverse désormais sa plus grave crise politique depuis la chute de Ben Ali. Les manœuvres par le Premier ministre Hamadi Jebali de former un gouvernement de soi-disant «technocrates» étaient destinées, comme Jebali l’a d’ailleurs dit lui-même explicitement, à «estomper la colère populaire», et à redonner de la marge de manœuvre au parti dominant, en perte de vitesse. Cependant, mardi, Jebali a annoncé l’échec de ces tentatives et sa démission, face à l’opposition de son propre parti à lâcher les postes ministériels-clé qu’il contrôle.

    Maintenant, la nouvelle mascarade d’Ennahdha est de resservir, encore, du neuf avec du vieux, en nommant son ministre de l’Intérieur, Ali Larayedh, comme nouveau chef de gouvernement. Il ne s’agit rien de moins que d’une pure provocation. Ali Larayedh a chapeauté le "ministère de la terreur" depuis plus d’un an, responsable d’abus et de violences systématiques par les forces de l’ordre, cette même flicaille aux ordres qui, rodées aux méthodes apprises sous Ben Ali, n’a répondu aux griefs et aux attentes de la population qu’a coups de matraques, de tortures, de gaz lacrymogènes et même de chevrotine, comme cela s’est passé lors du soulèvement dans la région de Siliana en décembre dernier.

    Cette nouvelle manœuvre politique montre, s’il le fallait encore, que les pourris d’Ennahdha ne lâcheront pas le pouvoir aussi facilement. Le parti, qui depuis plus d’un an, s’est attelé a placer ses pions un peu partout dans l’appareil d’Etat, dans les médias, dans les administrations, ne va pas s’en aller sans une lutte d’arrache-pied imposée par la rue.

    Ceci dit, les événements des dernières semaines ont donné une nouvelle indication, et non des moindres, de ce qui est possible d’accomplir par la mobilisation de masse, pour autant que celle-ci soit soutenue et armée d’une stratégie claire pour en finir avec le pouvoir actuel. En effet, malgré les tentatives désespérées de donner l’image du contraire, les racines de la crise institutionnelle actuelle résident dans la résistance de masse à laquelle le gouvernement dirigé par Ennahdha est confronté depuis des mois et des mois par le mouvement ouvrier organisé, par la jeunesse, les femmes, les pauvres des zones urbaines, les paysans, les chômeurs, les petits commerçants, etc. Cette résistance a atteint son paroxysme avec l’explosion de colère qui a secoué le pays le 8 février dernier, lorsqu’une grève générale d’une ampleur historique a secoué le pays, et que plus d’un million de personnes sont descendues dans les rues de Tunis et d’autres villes afin de commémorer la mort de Chokri Belaïd.

    Le bilan d’Ennahdha

    Le pouvoir d’Ennahdha a reproduit tous les mécanismes qui ont poussé les masses tunisiennes vers la route de la révolution il y a un peu plus de deux ans. Quand les masses se sont soulevées contre Ben Ali, l’un de leur principal slogan était: «Le travail est un droit, bande de voleurs». Depuis lors, plus de 200.000 personnes se sont rajoutées à la liste déjà longue des sans-emploi, malgré les prétentions d’Ennahdha de créer 500.000 emplois durant son mandat.

    Contrastant avec toutes les promesses vides du pouvoir en place, les régions du Sud et du Centre-Ouest du pays continuent à s’enfoncer dans une spirale de misère extrême, dans certains cas dépourvus des infrastructures les plus élémentaires.

    La hausse continue des prix des produits alimentaires (qui ont enregistré une augmentation globale de 8,4% en l’espace d’un an) poussent la survie quotidienne et le rationnement à la limite du supportable pour de nombreuses familles pauvres. Et c’est dans ces conditions déjà extrêmes que la clique au pouvoir a récemment décidé l’augmentation du prix des carburants, du tabac et de l’électricité, un nouveau hold-up sur les poches déjà vides des Tunisiens, plutôt que de s’attaquer aux intérêts des grosses entreprises et des spéculateurs qui s’enrichissent a partir de la misère généralisée.

    De nombreux parents demeurent jusqu’à ce jour dans l’ignorance des personnes responsables de la mort de leurs enfants tués sous les coups des balles de la machine répressive de Ben Ali, tandis que des dizaines de blessés continuent de souffrir en attendant désespérément des traitements médicaux appropriés.

    A cela se sont ajoutés l’étouffement systématique des droits démocratiques, les attaques contre la culture et contre la liberté d’expression. Tout au long de l’année dernière, les tribunaux ont appliqué des lois répressives datant de la dictature de Ben Ali afin de persécuter ce que le gouvernement considère comme nocif pour les «valeurs, la moralité ou l’ordre public, ou visant à diffamer l’armée.»

    Des gangs salafistes ont également participé de manière répétée à de violentes attaques contre tout ce qu’ils considèrent comme incompatible avec leur version rétrograde de l’Islam, bénéficiant, pour ce sale boulot, de la complaisance, voire de la collaboration directe, de certaines factions d’Ennahdha, utilisant ces milices salafistes ainsi que les "Ligues de Protection de la révolution" comme troupes auxiliaires de leur contre-révolution rampante.

    Les affrontements perpétrés par des milices armées d’Ennahda contre le syndicat UGTT à Tunis en décembre dernier ont abouti à la création d’une commission d’enquête. Mais comme celle qui avait été mise en place suite à la répression policière sauvage de la manifestation du 9 avril dernier a Tunis, cette commission n’a rien fait pour traduire les auteurs de ces actes en justice; elle a au contraire été essentiellement utilisée pour couvrir leurs abus.

    Les décisions politiques concernant le sort de millions de personnes sont quant à elles canalisées dans les hautes sphères du pouvoir entre Carthage, La Kasbah, Le Bardot et Montplaisir, à l’abri des regards et du contrôle de tous ceux et toutes celles qui ont fait la révolution, autrement dit, de tous ceux et toutes celles qui ont contribué, par leurs sacrifices et leur lutte héroïque, à mettre cette clique assassine et corrompue la ou elle est.

    En bref, tous les objectifs essentiels de la révolution restent non seulement sans réponse, mais sont mis en péril par les aspirants à l’imposition, de fait, d’une nouvelle dictature.

    Mais celle-ci est aussi d’ordre économique. Ennahdha, tout comme Nida Tounes (un repère de vieux destouriens et de partisans de l’ancien régime), défendent tous deux les impératifs de la classe patronale, des multinationales occidentales implantées en Tunisie, et des institutions créancières internationales, lesquelles poussent a réintroduire les "normes" économiques d’autrefois, celles qui ont permis à une clique de parasites de s’enrichir en saignant à blanc les travailleurs et le peuple tunisiens.

    Ces institutions capitalistes ne chôment d’ailleurs pas: pendant que toute l’attention des médias est portée vers les magouilles en cours dans la classe politique, le FMI poursuit ses "négociations" avec les autorités tunisiennes afin d’octroyer un "prêt" d’une valeur de 1,78 milliard de dollars qui, comme tous les prêts du FMI, sera conditionné à de nouvelles mesures drastiques d’appauvrissement de la population: réduction des salaires et licenciements dans la fonction publique, nouvelles privatisations, diminution des subventions sur les produits de base,…

    La Nahdha a échoué.. Qu’elle dégage!

    Il n’y a pas de meilleur exemple du discrédit du parti au pouvoir et de l’érosion de sa base sociale que les deux manifestations que ce parti a organisé récemment dans le but, précisément, de prouver le contraire. La dernière en date, organisée une semaine après la grève générale, était sensée être une de leur plus grande démonstration de force, certains dirigeants d’Ennahda prédisant même "une marche d’un million". Le parti avait mobilisé pour ce faire tous ses réseaux de soutien, amenant des bus de supporters des quatre coins du pays, pour en faire un succès. Des biscuits au chocolat furent même distribués aux gens présents pour rendre l’événement plus attractif. Pourtant, pas plus de 15.000 personnes se montrèrent pour l’occasion!

    Ce genre d’exemples constitue une gifle au visage de tous les commentateurs cyniques qui avait prévu, lors des élections d’octobre 2011, un "triomphe islamiste" clôturant le chapitre des espoirs révolutionnaires, et plongeant le pays dans un hiver long et sombre de réaction fondamentaliste. Si le danger de la réaction islamiste est loin d’être hors du jeu, il est clair que les mobilisations de rue survenues immédiatement après la mort de Chokri Belaïd ont démontré d’une manière limpide de quel côté pèse encore le rapport de forces pour le moment. La révolution n’est pas finie: partout, la tâche du moment doit être de se préparer pour le ‘deuxième round’!

    Les tâches de la gauche, le rôle du Front Populaire et de l’UGTT

    La classe ouvrière et la jeunesse tunisienne disposent encore de réserves de force insoupçonnées, qui ont plus d’une fois surpris même certains des commentateurs les plus avertis. Cet état de fait, cependant, ne doit pas être considéré comme définitivement acquis. L’aptitude de la gauche à saisir les opportunités ouvertes sera soumise à rude épreuve dans les semaines et mois à venir. Si l’énergie des masses n’est pas canalisée dans un programme clair d’action révolutionnaire, celle-ci pourrait se dissiper ou se perdre dans des explosions de colère localisées et désordonnées, le vent pourrait tourner rapidement, et un climat potentiellement favorable pourrait être perdu pour toute une période historique. La tergiversation ou la passivité dans cette situation risque de jouer le jeu de l’ennemi, lui donnant de nouveaux répits pour rassembler ses forces et contre-attaquer.

    En particulier, les couches de la population pauvre les plus opprimées et désespérées, si elles ne voient aucun espoir sérieux et radical provenant du mouvement syndical et de la gauche organisée, pourrait devenir la proie de démagogues réactionnaires du type salafiste ou autres. Le meurtre de Chokri Belaïd doit en ce sens servir d’avertissement sur le fait que ces groupes ne reculeront devant aucune méthode pour briser le cou de la révolution. La descente du pays dans une spirale de violence, avec des éléments de guerre civile larvée, pourrait prendre le dessus si la lutte révolutionnaire pour transformer la société n’est pas menée jusqu’à sa fin, et si les tentatives des fondamentalistes pour perpétrer leurs crimes contre la gauche et contre les «mécréants» n’est pas contrecarrée par une lutte de masse et unifiée des travailleurs, de la jeunesse et des pauvres.

    L’immense force du mouvement syndical tunisien, qui n’a d’équivalent dans aucun pays de la région, doit être utilisée à plein pour imposer sa marque sur la situation. Pour cela, une trajectoire radicalement différente de celle offerte jusqu’a présent par la direction nationale de l’UGTT est urgemment nécessaire. Une chose doit être absolument claire: chercher à éviter une confrontation pourtant inéluctable avec le pouvoir en place courre seulement le risque de l’avoir quand même, mais dans des conditions bien plus défavorables pour le camp de la révolution.

    L’absence de plan d’action offert par l’UGTT pour poursuivre et renforcer les mobilisations a la suite du succès indéniable de la grève générale du 8 février est, dans ce sens, le genre d’épisode à ne pas reproduire. De plus, comme lors de la grève générale avortée de décembre dernier, la limitation des mots d’ordre au "refus de la violence" et à la dissolution des "milices parallèles" est bien en-dessous des enjeux du moment: en effet, c’est bien du futur de la révolution pour l’emploi, la liberté et la dignité dont il est question.

    De surcroit, la dissolution effective de ces milices ne proviendra pas de mesures administratives prises par en-haut (le pouvoir ne sciera pas la branche sur laquelle il est assise), mais bien d’une mobilisation de tous les instants, couplée a l’organisation et a la coordination de groupes d’auto-défense composés de syndicalistes, de jeunes révolutionnaires et de tout ce que la révolution compte de forces vives, afin de faire face efficacement a la violence croissante de la réaction.

    Beaucoup de travailleurs et de jeunes ont leurs yeux tournés vers la coalition de gauche du Front Populaire. Cependant, depuis la grève du 8 février, la direction du Front n’a fourni aucun véritable mot d’ordre mobilisateur. Ses appels répétés à des formules gouvernementales et institutionnelles peu lisibles aux yeux des travailleurs et des jeunes ("gouvernement de compétences nationales", "Congrès national de dialogue", etc.) ne fournissent pas d’outil clair sur la marche à suivre et laissent les masses dans l’expectative. Un encouragement, par exemple, à une nouvelle grève générale aurait permis de rebondir sur celle du 8, et de construire la confiance parmi les larges masses que le Front Populaire est préparé a mener la bataille jusqu’au bout: jusqu’a la confrontation avec ce régime pourri, et avec le système économique tout aussi pourri qui le sous-tend.

    Un immense fossé sépare la majorité des Tunisiens de l’establishment politique actuel. Si le Front Populaire ne formule pas urgemment de propositions d’action visant à organiser et construire le mouvement des masses dans cette nouvelle étape cruciale de la révolution, il risque d’en payer les frais, lui aussi.

    Pour une nouvelle révolution! Pour la construction d’une lutte de masse afin d’imposer un gouvernement révolutionnaire des travailleurs, de la jeunesse et des pauvres!

    Probablement jamais depuis la chute de Ben Ali la crise du pouvoir n’a été aussi clairement exposée aux yeux de tous qu’aujourd’hui. Mais le fait que la seule manifestation d’ampleur qui ait pris place contre le régime en place depuis la démission de Jebali ait été prise a l’initiative d’activistes indépendants sur les réseaux sociaux, atteste a la fois d’un certain vide en termes d’initiatives prises par la gauche, mais aussi de la détermination et de la disposition d’une couche importante du peuple tunisien, de sa jeunesse active en particulier, de ne pas lâcher la rue.

    La plupart des organisations de la gauche tunisienne, à l’exception notable de la Ligue de la Gauche Ouvrière, défendent de fait une position ‘gradualiste’ de la révolution, considérant que la Tunisie doit d’abord devenir un pays capitaliste ‘développé’ et ‘démocratique’, libre de toute ingérence impérialiste, avant d’envisager, plus tard, une lutte pour le socialisme et pour le pouvoir des travailleurs. Cependant, une telle perspective gradualiste entre en conflit avec la réalité vivante, dans laquelle les questions démocratiques et économiques sont organiquement liées.

    L’expérience des deux dernières années a clairement démontré que le développement social et la démocratie véritable ne viendront pas tant que le capital règne sur l’économie. La perpétuation d’un système axé sur le profit individuel et l’exploitation des travailleurs va main dans la main avec la nécessité de «domestiquer» les travailleurs et la population, et s’accompagne nécessairement d’un mouvement irrésistible vers la restauration d’une dictature économique et politique, sous une forme ou l’autre.

    En Tunisie comme partout à travers le monde, le capitalisme est synonyme de pauvreté de masse, de crise économique et d’austérité généralisée. En Tunisie, cela va de pair avec une offensive majeure pour faire reculer la roue de l’histoire sur les questions sociétales et culturelles, utilisées comme un instrument de détournement et de domination. Les droits, les libertés et les loisirs des femmes, des jeunes, des artistes, des journalistes, des intellectuels et du mouvement ouvrier en tant que tel sont dans la ligne de mire des réactionnaires au pouvoir, de leur flicaille et de leurs milices.

    Dans une telle situation, la seule voie possible pour arracher des mesures durables et substantielles afin d’alléger la souffrance des masses, ne peut être que de transformer les luttes défensives actuelles en une vaste offensive révolutionnaire vigoureuse afin de retirer le pouvoir économique et politique d’entre les mains de l’élite dirigeante et des forces capitalistes qui la soutiennent. Ceci afin de réorganiser la société en fonction des intérêts de la masse des Tunisiens, sur les bases d’un plan économique géré démocratiquement par les travailleurs et la population. Cette lutte doit être liée avec les luttes montantes du mouvement ouvrier international, dans l’objectif de renverser le capitalisme et d’établir une société libre, démocratique et socialiste, fondée sur la coopération, la solidarité et l’utilisation rationnelle des immenses ressources et techniques de la planète pour le bien de tous.

    C’est pourquoi les sympathisants du CIO en Tunisie, actifs dans la Ligue de la Gauche Ouvrière (elle même composante du Front Populaire), militent en vue des revendications suivantes:

    • A bas le régime actuel et ses milices!
    • Ennahdha dégage! Pour la désobéissance civile jusqu’a la chute du régime nahdhaoui et de ses alliés! Pour l’organisation rapide d’une nouvelle grève générale de 24H, a renouveler jusqu’au balaiement de la clique au pouvoir!
    • Pour la convocation d’assemblées dans les quartiers, dans les universités, les écoles et les lieux de travail, afin de préparer la résistance collective contre le régime en place!
    • Pour la formation de comités de défense par les travailleurs, les jeunes et les masses pauvres, afin de protéger toutes les mobilisations contre les agressions et les attaques de la contre-révolution!
    • Stop a l’état d’urgence et a la répression! Pour la défense résolue du droit de manifestation et de rassemblement, et de toutes les libertés démocratiques!
    • A bas la vie chère! Pour une augmentation immédiate des salaires! Pour la formation de collectifs populaires de contrôle des prix pour lutter contre la spéculation!
    • Un emploi décent pour tous! Pour le partage collectif du temps de travail. Pour des indemnités permettant de vivre décemment pour tous les chômeurs du pays. Pour un plan ambitieux d’investissement public dans les régions pauvres!
    • Non aux plans antisociaux du FMI! Non au paiement de la dette de Ben Ali! -Non aux privatisations! Pour la réquisition sous contrôle des travailleurs de toutes les entreprises qui licencient!
    • Pour la nationalisation et la gestion, par les travailleurs, des secteurs-clés de l’économie: banques, compagnies d’assurance, entreprises industrielles, mines, transports, grande distribution,…
    • Pour un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et de la jeunesse, appuyée par l’UGTT, l’UDC et le Front Populaire, sur la base d’un programme socialiste.
  • Tunisie : La grève générale fait trembler le pays et précipite la crise politique au sommet de l’Etat

    Le fouet de la contre-révolution provoque une nouvelle étape dans la lutte de masse

    Comme l’interview ci-dessous l’indique, l’assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaïd représente un « point tournant» dans le processus de révolution et de contre-révolution qui se déroule en Tunisie depuis plus de deux ans maintenant. Cet épisode a ouvert un nouveau chapitre de confrontations dans la bataille en cours entre la masse des travailleurs tunisiens, des pauvres et des jeunes, et le gouvernement largement discrédité dirigé par Ennahdha. Il a aussi précipité la crise politique au sommet de l’appareil de l’Etat.

    Article suivi d’une interview de Dali Malik, sympathisant du CIO en Tunisie

    De nombreux commentateurs décrivent les événements récents comme un « sursaut laïque contre les islamistes ». Si les tentatives faites par Ennahdha et par d’autres groupes islamistes, en particulier les gangs salafistes, de faire reculer les traditions séculaires de longue date en vigueur dans le pays ont joué un rôle dans l’alimentation de la colère générale, une telle vision simpliste n’explique que très peu la situation. En effet, comme en Egypte, les questions sociales sont au cœur de la bataille en cours. Le chômage de masse, la flambée généralisée des prix, la misère sociale et la marginalisation des régions constituent l’arrière-plan de la colère politique de masse dirigée contre les dirigeants actuels, dont les politiques économiques néolibérales ont suivi exactement le même chemin désastreux pour la majorité de la population que celles de la clique mafieuse qui a été balayée du pouvoir il y a deux ans.

    Depuis mercredi dernier, le parti au pouvoir est dans la ligne de mire de manifestants en colère dans tout le pays, réclamant la chute du régime et une nouvelle révolution. Pendant des jours, des affrontements entre manifestants et forces de police ont eu lieu dans de nombreux endroits, en particulier dans les régions militantes de l’intérieur du pays comme Gafsa ou Sidi Bouzid. La grève générale de vendredi, la première dans le pays depuis 1978, a complètement paralysé l’économie du pays et a été combinée avec une mobilisation historique dans les rues de la capitale pour la commémoration de la mort de Belaïd. Le slogan «Chokri, repose-toi, nous continuerons ton combat! » exprimait un sentiment largement partagé: il s’agissait en effet d’un cortège funèbre très politique, l’ambiance dans les rues était celle d’une opposition et d’un mépris de masse à l’égard du régime. Des centaines de Tunisiens ont protesté à nouveau lundi devant l’Assemblée Nationale, demandant la démission du gouvernement.

    Des pourparlers sont maintenant engagés depuis plusieurs jours dans les coulisses du pouvoir pour tenter de former un gouvernement de soi-disant «unité nationale». Comme c’est arrivé un certain nombre de fois depuis la chute de Ben Ali, la classe dirigeante, craignant la vague révolutionnaire, est à la recherche de la mise en place d’un gouvernement qui puisse assurer la «continuité» de l’Etat, ou plutôt de «leur» Etat: un Etat qui puisse maintenir les masses laborieuses en échec, réprimer leurs actions et revendications, et bloquer leurs prétentions à prendre les choses entre leurs mains.

    La gauche et la centrale syndicale, l’UGTT, ne doivent pas mettre les pieds dans ces manœuvres! Comme Dali l’explique, la coalition de gauche du Front populaire doit « refuser tout accord avec des forces hostiles aux travailleurs et aux camps de la révolution ». Le Front Populaire argumente à présent en faveur d’un « Congrès National de Dialogue» et appelle à un gouvernement d’«urgence», ou de «crise». Tant le Parti des Travailleurs que le Parti des Patriotes Démocrates Unifié (l’organisation de Belaïd) se positionnent en faveur d’un gouvernement de «compétences nationales», toutes des formulations très vagues au demeurant, ouvrant la porte à d’éventuels arrangements gouvernementaux entre une partie de la direction du mouvement ouvrier et de la gauche, avec des éléments pro-capitalistes. L’idée de construire « l’unité nationale » présente à nos yeux le problème fondamental de ne pas clairement tracer la ligne de démarcation entre les amis et les ennemis de la révolution.

    Le CIO pense pour sa part qu’il n’y a qu’une seule unité possible: l’unité de la classe ouvrière, de la jeunesse et des pauvres pour poursuivre leur révolution, et ce jusqu’à la mise en place, à travers la lutte de masse, d’un gouvernement qui leur appartient, par la construction d’instruments ad hoc: comités de grève, comités de quartier, etc.

    Pour faire valoir ses arguments vers de larges couches de la population, le Front Populaire pourrait affirmer qu’il ne rentrerait dans un gouvernement que sur la base d’un certain nombre de conditions, qui inclurait : le retour de toutes les entreprises privatisées dans l’orbite du public, l’annulation totale de la dette, le lancement d’un plan d’investissements publics dans les infrastructures via la création massive d’emplois socialement utiles, l’imposition d’un monopole de l’État sur le commerce extérieur, et la prise en charge des secteurs stratégiques de l’économie entre les mains des travailleurs, au travers de représentants démocratiquement élus par eux. En pratique, un tel programme ne pourrait être mis en œuvre qu’indépendamment de tous les partis qui défendent la logique du capitalisme, et qui sont seulement intéressés à négocier des postes ministériels dans un futur gouvernement composé de représentants et défenseurs des grosses entreprises.

    En outre, d’importantes unités de l’armée ont été déployées ces derniers jours dans la capitale ainsi que dans d’autres villes. L’état d’urgence est toujours en cours, et l’ancien appareil policier continue son sale boulot de répression et d’abus et de violence contre les manifestants. Les masses ne doivent pas laisser les forces de l’État contrôler les rues, mais doivent les réclamer, en conjonction avec la construction d’organes de défense révolutionnaires, composés de militants ouvriers, de syndicalistes, de jeunes etc, pour empêcher la violence de la réaction de riposter. Des appels en direction des soldats du rang devraient être encouragés dans ce but, afin de diviser l’Etat selon des lignes de classe, et construire un puissant contrepoids face à la menace de possibles complots provenant des classes supérieures.

    Le Front populaire devrait mettre en avant un plan d’action clair, visant à renforcer la révolution et à la défendre contre les tentatives de la repousser en arrière, que ce soit par l’armée, par la police ou par des milices réactionnaires. Par exemple, il pourrait appeler à des assemblées de masse dans les lieux de travail et les localités, dans les universités et les institutions publiques, dans les écoles et dans les quartiers, etc, pour que les masses puissent discuter et déterminer, de la manière la plus démocratique et collective possible, quelles devraient être les prochaines étapes de leur lutte, et comment s’organiser partout contre la contre-révolution. Une nouvelle grève générale, après le succès de celle de vendredi, pourrait peut-être servir à réaffirmer la force de la révolution et de la classe ouvrière organisé, et contribuer à en finir avec la clique dirigeante actuelle, dont la légitimité, aux yeux de la majorité, a disparu depuis longtemps.

    Dans certaines régions, les récents incidents ont encouragé les masses à renouveler instinctivement avec des formes antérieures d’auto-organisation: des comités de quartiers ont rejailli dans certains quartiers populaires de Tunis, au Kef et en quelques autres endroits. Ces exemples doivent être utilisés pour être élargis ailleurs, jusques et y compris sur les lieux de travail et dans les usines, pour servir de tremplin vers l’institution du contrôle et de la gestion, par les travailleurs eux-mêmes, des leviers économiques de la société.

    L’appel à un « Congrès national » prendrait tout son sens s’il s’adresse aux masses révolutionnaires elles-mêmes. Cette proposition devrait être liée à la nécessité de construire et de coordonner des comités de lutte au niveau local, régional et national, élisant leurs représentants, révocables, issus directement des forces vives de la révolution, des couches combatives de l’UGTT, du mouvement ouvrier et de la jeunesse. De tels comités prépareraient ainsi la classe ouvrière et les pauvres à l’exercice du pouvoir et à la reconstruction de la société, sur la base d’un plan socialiste de production organisé de manière démocratique par la population. Une telle démarche audacieuse, vers l’établissement d’une Tunisie socialiste et démocratique, aurait un impact électrifiant et inspirant pour les travailleurs et les jeunes, dans la région et dans le monde entier. Elle établirait rapidement le lien avec le mouvement ouvrier révolutionnaire égyptien et d’autres, afin d’engager les premiers pas vers la construction d’une fédération socialiste libre des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

    Peux-tu expliquer rapidement quelles sont le contexte et l’implication de l’assassinat de Chokri Belaïd?

    La mort de Chokri Belaïd représente un événement majeur et un point tournant dans le processus révolutionnaire tunisien. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’une immense colère s’accumulait déjà depuis des mois contre le gouvernement en place. La mort de Belaïd a pris place dans un contexte où l’establishment politique, le gouvernement et l’Assemblée Nationale Constituante nageaient déjà dans une crise sans précédent. Cette situation reflète l’incapacité des classes dominantes à faire tenir une formule ministérielle capable d’imposer leurs plans contre-révolutionnaires tout en ayant suffisamment d’assise populaire pour le faire. C’est une équation impossible.

    Cela fait sept mois maintenant qu’on nous parle d’un remaniement ministériel mais ils n’arrivent toujours pas à se mettre d’accord, en premier lieu du fait de la colère sociale gigantesque qui s’exprime aux quatre coins du pays. La haine anti-gouvernementale avait déjà atteint un très haut niveau d’intensité avant que l’assassinat de Chokri Belaïd n’ait lieu. Cet assassinat a donc mis le feu aux poudres. Belaïd n’était pas « le » dirigeant révolutionnaire le plus en vue, mais c’était un militant avec une certaine stature, qui s’est fait connaitre surtout suite à la révolution.

    Des mobilisations massives ont explosé très vite partout suite à l’annonce de sa mort, certaines avec un caractère insurrectionnel. 72 locaux d’Ennahdha ont été incendiés dans les derniers jours ! Des manifs de grande dimension ont pris place dans la demi-heure qui a suivi la mort de Belaïd ; des sit-in, des grèves, des clashs avec les flics, etc font partie intégrante du paysage, à un niveau encore plus élevé que d’habitude, depuis mercredi. Et le jour de l’enterrement, une avalanche humaine a déferlé sur la capitale, ainsi que des manifestations de masse dans toute une série de villes. Certains chiffres évoquent plus d’un million de personnes dans les rues de Tunis vendredi ; il est impossible de décrire avec des mots l’ambiance qui y régnait. Les slogans repris dans la manif appelaient à la chute du régime, à une nouvelle révolution, accusaient Rached Ghannouchi (le chef d’Ennahdha) d’être un assassin, etc.

    Quel a été l’impact de la grève générale de vendredi ?

    La grève générale a été extrêmement bien suivie. L’adhésion était massive et totale. Même des entreprises où il n’y a pas de représentation syndicale, des institutions qui ne font jamais grève, ont débrayé. Cela est aussi vrai pour de nombreux cafés, des petits techniciens, des petits commerçants supposés pro-Ennahdha, qui ont fait grève également. Tout le pays était paralysé, comme cela ne s’est probablement jamais produit dans l’histoire de la Tunisie. Cette grève et la mobilisation qui l’a accompagnée a donné un nouveau coup de ‘boost’ à la révolution et à la confiance des masses. Elle a aussi touché de plein fouet le gouvernement, qui tremble maintenant littéralement sur ses bases.

    Le premier ministre Jebali est à présent engagé dans des pourparlers incessants pour essayer de sauver la face du pouvoir. Il tente de recomposer un appareil gouvernemental qui peut « tenir la face ». Mais la colère contre Ennahdha a atteint un paroxysme, au point que ce parti est au bord de l’implosion. L’aile radicale du parti a tente de mobilisé ses troupes samedi, mais ce fut un flop : même en payant des gens, ils n’ont pas réussi à faire descendre plus de 3000 personnes dans le centre de Tunis !

    La crise institutionnelle est profonde. Toute l’opposition a gelé sa présence à l’Assemblée Constituante, et le régime est vraiment déstabilisé. Aussi, des frictions se sont fait jour avec les puissances impérialistes sur la marche à suivre. Du point de vue des classes dirigeantes, il n’y a donc pas de solution évidente. Il y a quinze jours encore, des discussions étaient en cours avec les institutions financières internationales pour engager un programme de « réformes structurelles » (un euphémisme pour des plans d’attaques néolibérales, telles que la baisse de certaines subventions à des produits de base, de nouvelles privatisations, des baisses de salaires, etc) mais la mort de Belaïd a tout court-circuité. L’aile pragmatique d’Ennahdha autour de Jebali ainsi que les impérialistes semblent privilégier l’option d’un gouvernement de « technocrates » ; mais même une telle formule est pour eux difficile à mettre en place, et même si elle l’est, il n’est pas sûr qu’elle puisse tenir le coup. Dans ces conditions, nous devons être sur nos gardes, car même l’option d’un coup d’état ne peut plus être écartée, bien qu’il ne s’agisse pas de la perspective la plus immédiatement plausible.

    Qu’en est-il de la coalition de gauche du Front Populaire ?

    Le Front Populaire a une forte implication dans les luttes et les mouvements sociaux depuis sa fondation. Il joue un rôle central dans les mobilisations, et ses militants sont une force agissante dans presque toutes les mobilisations. Par exemple, le Front a joué un rôle décisif dans la grève régionale de Siliana en décembre dernier, ainsi que dans la plus récente grève régionale au Kef. Dans ce sens, le Front est vue largement comme la force politique du coté des luttes révolutionnaires, et sa base est essentiellement composée de jeunes révolutionnaires, de syndicalistes, de chômeurs… Chokri Belaïd était un des porte-parole du Front Populaire; à travers lui, c’est donc aussi le travail du Front et de ses militants qui est visé.

    Cependant, le Front a aussi d’importants déficits et limites quant à la lecture de la situation actuelle, ses propositions concrètes, son fonctionnement interne aussi. Bien qu’il a une importante base militante sur le terrain, ces mêmes militants n’ont que peu de poids sur les prises de position de ses dirigeants, et sur les décisions qui y sont prises, qui sont peu inclusives.

    Surtout, le Front demeure dans le flou en ce qui concerne la question la plus importante de la révolution, et qui en conditionne beaucoup d’autres : celle de qui détient le pouvoir. Le Front n’est pas homogène, et à l’intérieur, certaines de ses composantes sont toujours fortement influencées par la stratégie d’une révolution « par étapes », qui consiste à dire qu’il faut d’abord consolider la démocratie et les libertés avant de s’en prendre au capitalisme. Cette logique les amène à penser la démocratie dans un cadre qui ne remet pas en question les institutions existantes, ou à concevoir une prise de pouvoir uniquement par la voie du parlementarisme classique. Bien sûr, nous sommes en faveur de la plus grande démocratie possible et nous nous battons pour les libertés. Mais nous estimons qu’on ne peut pas détacher ces questions du contenu social de la révolution. Comme les marxistes le disent souvent, sous le capitalisme, la démocratie « s’arrête à la porte des usines ». Nous pensons qu’une vraie démocratie ne peut se réaliser que si les travailleurs ont la mainmise sur leurs instruments de travail et contrôlent directement ce qui est fait du fruit de leur labeur. Nous nous battons pour une vraie démocratie qui traverse toute la société, impliquant l’exercice du pouvoir par les masses elles-mêmes à tous les niveaux : dans les entreprises, dans les quartiers, dans les écoles,…Nous luttons à l’intérieur du Front pour renforcer ces points, pour que le Front formule un programme sans ambigüité sur le contenu d’une prise de pouvoir, et pour refuser tout accord gouvernemental avec des forces qui soient hostiles au camp de la révolution et des travailleurs.

    Le Front Populaire parle aujourd’hui de la nécessité d’un « gouvernement de crise ». Mais tout dépend du contenu que l’on donne à une telle formulation. A nos yeux, une sortie de crise ne peut avoir lieu sans la perspective de renverser un système économique et social qui baigne jusqu’au coup dans la crise, et fait payer chaque jour aux masses travailleuses son fonctionnement anarchique. Cela implique selon nous l’annulation pure et simple de la dette, question qui est source de divergences au sein du Front : certains proposent juste de la « geler » pour quelques temps, et d’instaurer un audit afin d’en déterminer la part odieuse. Cette logique implique qu’une partie tout au moins de la dette serait somme toutes légitime, alors qu’elle est le résultat du pillage des biens publics par l’ancienne mafia au pouvoir, avec le concours des institutions capitalistes internationales. Nous sommes aussi en faveur de la nationalisation sous contrôle ouvrier de toutes les entreprises qui licencient, ainsi que celle des banques et des multinationales, dont l’activité est uniquement orientée en vue de sucer le sang des masses et d’enrichir une poignée de parasites.

    Nous sommes prêts à travailler en commun avec d’autres forces à la réalisation de ces objectifs. Pour cela, nous sommes prêts à une certaine souplesse, mais il y a un point sur lequel nous ne dérogerons pas : celui qui fait le constat que la crise du capitalisme a atteint un point de retour, et qu’il faut une stratégie claire pour en sortir. Cela afin d’offrir un futur et de véritables opportunités à la majorité de la population, entre autres au million de chômeurs que compte ce pays. Si les travailleurs décidaient eux-mêmes des plans d’investissement, et réorganisaient l’économie selon une planification générale dépendant des besoins de chacun et de chacune, les moyens pourraient être développés pour procurer un emploi décent et qui plus est, socialement utile, à tout le monde. Aujourd’hui nous sommes minoritaires à mettre en avant un tel programme, mais la logique des événements implique qu’un jour ces propositions pourront être reprises par la majorité.

  • Tunisie : L’assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaïd provoque des protestations de masse dans tout le pays

    L’UGTT et l’opposition appellent à la grève générale

    Le CIO et ses partisans en Tunisie condamnent vigoureusement l’assassinat brutal du dirigeant de gauche Chokri Belaïd. ‘Chokri’ était le principal dirigeant du Parti des ‘Patriotes Démocrates’, disposant d’une forte influence au sein du syndicat l’UGTT, et un porte-parole et une figure de proue de la coalition de gauche du ‘Front Populaire’. Il était un adversaire de longue date à la dictature de Ben Ali, ainsi qu’un avocat ayant défendu de nombreuses victimes de la répression politique, sous l’ancien comme sous le nouveau régime, et fut emprisonné sous Bourguiba et sous Ben Ali.

    Dans la matinée du mercredi 6 février, il a été lâchement assassiné par quatre balles dans la tête, le cou et la poitrine, alors qu’il sortait de son domicile. Chokri Belaïd a par la suite succombé de ses blessures à l’hôpital.

    Cet acte n’est aucunement un incident isolé ; c’est de toute évidence un assassinat politique en règle, organisée par des professionnels, ciblant une figure emblématique de la gauche. Et cela dans un contexte de tensions et de violence politique grandissante, aussi bien de la part des forces de l’Etat que des groupes salafistes ainsi que des milices au service du parti Ennahda au pouvoir.

    Dans des déclarations à la radio la veille de son assassinat, Chokri Belaïd avait signalé des menaces de mort qu’il avait reçues récemment en raison de son positionnement politique. Samedi, il avait même accusé des milices recrutées par le parti Ennahda d’avoir mené une attaque contre une réunion locale des Patriotes Démocrates au Kef, qui avait fait 11 blessés. Le gouvernement dirigé par Ennahda considérait Belaïd comme l’un des instigateurs des ‘troubles sociaux’ dans le pays. En tentant de le faire taire, c’est la révolution, c’est la résistance des travailleurs et de la jeunesse dans son ensemble qui est visée.

    Le CIO n’a jamais caché ses divergences avec l’orientation politique de Chokri Belaïd et des Patriotes Démocrates. Nous voulons néanmoins exprimer notre pleine sympathie avec tous les militants de cette organisation, ainsi que de la gauche et du peuple révolutionnaire tunisien en général, et notre profond ressentiment contre cet assassinat de sang-froid, qui s’ajoute à la liste déjà trop longue des martyrs tunisiens qui ont perdu leur vie pour lutter contre l’injustice et l’oppression, et pour une société meilleure.

    L’écrasante majorité du peuple tunisien rejette cet acte de violence barbare. Immédiatement après l’annonce de la mort de Belaïd, une grande vague de colère résonne déjà dans tout le pays. Peu après, des dizaines de milliers de personnes protestaient déjà à Tunis, au Kef, à Gafsa, Sousse, Sfax, Sidi Bouzid et d’autres villes encore, exigeant des comptes, demandant la chute du gouvernement actuel et une « nouvelle révolution ».

    Des actes de violence, d’émeutes, ainsi que des incendies de bureaux d’Ennahda, ont également été signalés dans quelques endroits. Si nous comprenons la rage et la colère présente, nous pensons aussi que la façon la plus efficace de l’exprimer reste à travers le canal de la mobilisation de masse, organisée, en particulier le recours à la puissance de frappe des travailleurs et de leur puissante centrale syndicale l’UGTT.

    Aussi, la mise sur pied d’organes de défense et de protection, démocratiquement organisées par la population dans les quartiers, pourrait permettre d’éviter les débordements et de faire face à la répression policière, ainsi qu’à la violence prévisible de certaines milices. Des services d’ordre pourraient s’établir en ce sens, travaillant en conjonction avec l’UGTT, l’UDC et d’autres organisations populaires.

    Vers la grève générale ! A bas ce gouvernement pourri et discrédité !

    La meilleure façon d’honorer la mort de Chokri Belaïd est de continuer la révolution, plus déterminés que jamais, pour mettre fin à l’oppression sous toutes ses formes. En définitive, seule la mobilisation de masse des travailleurs peut contrecarrer la spirale de violence actuelle, en imposant une solution au service du plus grand nombre.

    Le fait que le premier ministre d’Ennahda, Hamadi Jebali, ait annoncé la constitution d’un gouvernement de supposés « technocrates apolitiques » ne doit duper personne: il s’agit bien d’une nouvelle manœuvre visant à empêcher les masses de déterminer le gouvernement qu’elles veulent, laissant cette latitude à des technocrates triés sur le volet pour leur servitude à l’égard du système actuel. Et le fait que cette proposition ait été rejetée par son propre parti indique que la crise politique au sommet de l’Etat a atteint son paroxysme. Il est temps d’en finir une fois pour toutes avec ce gouvernement branlant, qui n’a que la violence, le chômage et la misère à offrir !

    Une grève générale a été appelée pour le vendredi 8 par l’UGTT, relayant l’appel fait la veille par plusieurs forces de l’opposition, dont le Front Populaire, le Parti Républicain, Al Massar et Nidaa Tounes, lesquels ont également annoncé la suspension de leur participation à l’Assemblée nationale constituante. La date vise à coïncider avec les funérailles de Belaïd le même jour.

    Le fait que la question de la grève générale soit remise sur le tapis pour la deuxième fois en moins de deux mois, alors que la dernière remonte à 1978, est en soi l’expression de la crise organique que traverse le pays, et de la colère sociale immense qui couve depuis des mois et des mois. Mais deux remarques cruciales s’imposent toutefois à ce sujet.

    La première, c’est que les militants de l’UGTT et les travailleurs en général ne peuvent s’appuyer exclusivement sur les hypothétiques et souvent bien tardifs mots d’ordre venus d’en haut pour déterminer ce qu’il faut faire pour construire la lutte dans les prochains jours. L’expérience du mois de décembre, lorsque la direction nationale de l’UGTT a arbitrairement décrété l’annulation de la grève générale la veille au soir de la date prévue, est encore dans toutes les mémoires.

    D’ailleurs, à titre d’exemple, l’ordre national des avocats et le syndicat des magistrats ont d’ores et déjà publié un communiqué dans lequel ils indiquent qu’ils seront en grève pendant trois jours ; les enseignants de l’université de La Manouba sont déjà en grève, ainsi que le syndicat étudiant, l’UGET, qui a entamé une grève générale étudiante dès aujourd’hui jeudi. La section régionale de l’UGTT à Jendouba a quant à elle décidé d’appeler à une grève générale dans ce gouvernorat le lundi 11 février.

    Sans plus attendre, des assemblées générales devraient être convoquées partout où c’est possible : sur les lieux de travail, mais aussi dans les écoles, sur les facs, dans les quartiers, etc, élisant des comités en leur sein pour prendre la lutte en main à tous les niveaux, afin que le mouvement se structure partout selon la volonté des masses engagées dans la lutte.

    La discussion sur les initiatives à entreprendre et les suites à donner aux actions de grève doit être au maximum portée et contrôlée démocratiquement par la base, et ne pas être seulement le fait d’une poignée de dirigeants syndicaux concluant, à l’abri des regards, des accords sans contrôle populaire, comme cela s’est déjà trop souvent passé.

    Si après la grève générale de vendredi, le gouvernement n’a toujours pas compris qu’il doit quitter la scène, un prolongement des actions de grève dans les jours suivants, couplée à des manifestations de masse, sera nécessaire jusqu’à obtenir satisfaction.

    D’autre part, l’appui de partis comme Nidaa Tounes à la grève générale doit soulever, pour le moins, de sérieuses questions. Le camp d’Essebsi regorge d’individus qui ont du sang de militants de gauche sur les mains, et qui ont mouillé dans cette dictature contre laquelle Chokri Belaïd s’est pourtant battu pendant de nombreuses années.

    Le mouvement ouvrier, l’UGTT et la gauche doivent à tout prix écarter la dichotomie d’un supposé combat du camp « laïc » contre le camp « islamiste », une thèse chère à des partis laïcs mais pro-capitalistes comme Nida Tounes, dont l’objectif n’est en rien de défendre les travailleurs et les couches populaires, mais bien au contraire de mieux servir les intérêts des grosses entreprises, des banquiers et des puissances impérialistes, bien que sous une coloration identitaire différente de celle qu’Ennahda essaie d’imposer aujourd’hui.

    La sœur de Belaïd a d’ailleurs bien fait de souligner que Chokri était de ceux qui étaient « du côté des pauvres, des marginalisés, des opprimés… » contrastant ainsi avec ceux parmi l’establishment politique qui essaient maintenant d’exploiter cyniquement sa mort en réduisant le personnage à un « pourfendeur d’islamistes », rangeant ainsi sous le tapis le fait que Belaïd était aussi un militant de la gauche radicale.

    Dans ce sens, les masses tunisiennes ne peuvent vouloir faire tomber le gouvernement actuel avec comme résultat que ceux qui ont été chassés par la porte il y a deux ans reviennent tranquillement par la fenêtre, en utilisant, de surcroît, le lit de la révolution et la force des travailleurs comme cheval de Troie. Et dans ce sens, nous disons : ni la peste, ni le choléra, ni Jebali ni Essebsi – mais oui à une lutte de masse soutenue, jusqu’à l’imposition d’un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et de la jeunesse, appuyée par les organisations de gauche, syndicales et populaires !

    Dans le contexte actuel, le Front Populaire et ses nombreux militants aux quatre coins du pays pourrait servir de colonne vertébrale pour une campagne de masse ayant comme vision stratégique la constitution d’un tel gouvernement, indépendant des capitalistes, de leurs partis politiques ou de leur technocrates prétendument « apolitiques », et engageant des mesures décisives pour mettre sous la gestion et le contrôle de la collectivité les secteurs-clés de l’économie tunisienne.

    • Pour la poursuite de la révolution jusqu’à la victoire ! Grève générale, jusqu’à la chute du gouvernement !
    • Non à un remodelage gouvernemental derrière le dos des masses ! Pour des élections véritablement démocratiques, et la formation d’un gouvernement composé de représentant(e)s de ceux et celles qui ont vraiment fait la révolution !
    • Pour un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et de la jeunesse ! A bas les exploiteurs capitalistes et les politiciens à leur service !
    • Capitalisme dégage ! Pour une économie socialiste, au service des besoins sociaux, démocratiquement gérée par la population !
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