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Venezuela : Chavez l'emporte face a la droite, mais il faut de réelles politiques socialistes
Ils étaient des milliers à affluer vers Miraflores, le palais présidentiel à Caracas, le dimanche 7 octobre au soir afin de célébrer la victoire d’Hugo Chavez à l’élection présidentielle. Certaines scènes rappelaient fortement la défaite du coup d’État de la droite en 2002, avec des soldats de la garde présidentielle brandissant des drapeaux du haut du toit du palais présidentiel tandis que d’autres soldats rejoignaient les travailleurs, les jeunes, les chômeurs et tous ceux qui s’étaient rendus au centre-ville pour célébrer la défaite du candidat de la droite, Henrique Capriles.
Tony saunois, Caracas.
La victoire de Chávez, sa cinquième victoire électorale depuis 1998, a infligé une défaite à l’aile droite du Venezuela et est saluée par le Comité pour une Internationale Ouvrière et sa section vénézuélienne, Socialismo Revolucionario, ainsi que par les travailleurs et les véritables socialistes à l’échelle internationale. Une victoire de l’aile droite aurait abouti à une attaque contre la classe ouvrière vénézuélienne, aurait directement signifié de revenir sur le programme de réformes progressistes et aurait initié une politique offensive de la part de la classe dirigeante nationale et internationale destinée à célébrer une nouvelle défaite du ”socialisme”. La participation massive à ces élections (plus de 80% contre 75% en 2006, soit la participation plus élevée depuis des décennies) reflète la polarisation politique et de classe qui continue de se développer dans la société vénézuélienne.
Au moment où plus de 98% des votes avaient été dépouillés, Chávez en avait gagné 8.133.952 (55,25%), contre 6.498.527 (44,14%), pour Capriles, le riche homme d’affaires. Chávez l’a emporté dans pas moins de 20 des 24 États du Venezuela. S’il termine ce mandat de six ans, Chavez sera à la fin au pouvoir depuis deux pleines décennies. Il deviendra alors le Président le plus longtemps en exercice au Venezuela depuis Juan Vicente Gomez (au pouvoir de 1908 à 1935!) Mais au contraire de la dictature de Gomez, Chávez a été élu avec le soutien des masses. Les politiciens capitalistes et les dirigeants des anciens partis ouvriers en Europe et ailleurs doivent regarder avec envie ces victoires électorales successives et la capacité de Chavez à mobiliser des millions de partisans. Aucun autre leader politique de ces dernières élections n’a en effet eu la possibilité d’attirer des millions de personnes lors de ses meetings électoraux ou encore d’être accueilli par des foules si importantes venant célébrer sa victoire.
Le caractère populiste de la campagne de la droite
Cette campagne électorale a été présentée au Venezuela comme étant "historique" et devant déterminer l’avenir du pays au travers d’un choix entre ”deux modèles distincts”. Toutefois, l’argumentation de Chávez au cours de la campagne électorale n’a pas reflété l’existence d’un tel choix et n’a pas défendu un clair programme socialiste destiné à rompre avec le capitalisme. Il n’a pas non plus préconisé cette solution dans son discours face à la foule qui l’acclamait à Miraflores.
La campagne électorale a reflété des aspects importants et de nouvelles caractéristiques de la lutte qui s’est déroulée au Venezuela au cours de ces quatorze dernières années, suite à la première victoire de Chávez.
L’une des caractéristiques les plus importantes de cette élection était le caractère de la campagne de la droite. Les politiques appliquées et les luttes qui se sont déroulées au cours de ces quatorze dernières années ont laissé derrières elles un puissant soutien en faveur de politiques sociales radicales et, dans une certaine mesure, en faveur de l’idée générale de ”socialisme”, maintenant profondément ancrée au sein de la conscience politique populaire.
Compte tenu de la radicalisation de la conscience politique de gauche actuellement dominante dans la société vénézuélienne, Capriles a été contraint de présenter son programme de droite de façon populiste, en masquant son agenda de néolibéral. Cela constitue un changement significatif dans la stratégie de l’aile droite.
La propagande et les discours de Capriles ont tenté de répondre à la détresse des pauvres et promis de défendre l’Etat-providence. Il a fait valoir qu’il ne démantèlerai pas toutes les ”missions” (le programme de réforme mis en place par Chavez en matière de santé et d’éducation). Il a appelé à la défense des syndicats ”indépendants” et a essayé de gagner le soutien des travailleurs du secteur public en promettant de mettre fin à la participation obligatoire à des rassemblements et à des manifestations Pro-Chávez (une source majeure de mécontentement). Capriles a énergiquement sillonné le pays en essayant de se présenter comme une nouvelle figure ”radicale” en opposition à l’ancienne figure "fatiguée" de Chavez afin de gagner le vote des jeunes. Il a d’ailleurs réussi à obtenir un certain succès dans ce domaine.
Le véritable programme de la droite était bien caché au fond de son matériel, avec des plaidoyer pour une moindre intervention de l’Etat et un rôle accru de l’investissement privé dans l’économie. Lors du coup d’Etat manqué de la droite en 2002, Capriles joué un rôle dans l’attaque de l’ambassade cubaine par la droite. Si la droite l’avait remporté dans ces élections, un gouvernement Capriles aurait tenté de faire reculer les programmes de réformes de Chávez et d’introduire plus de mesures néo-libérales.
Ces modifications dans la propagande de la droite sont le reflet de l’équilibre réel des forces politiques à ce stade. Capriles a été contraint de freiner l’extrême-droite. Amplifier les forces de l’extrême-droite ou soutenir explicitement les politiques néo-libérales ne se serait traduit que par une plus grande défaite pour Capriles.
Un sérieux avertissement
Malgré la victoire bienvenue de Chávez, ces élections représentent également un avertissement à partir duquel d’importantes leçons doivent être tirées pour éviter une possible future victoire de la droite. Tandis que le pourcentage de votes en faveur de Chavez a diminué de 7,6% par rapport à la dernière élection en 2006, Capriles a augmenté la part de la droite de 7,2%. Sur base d’une plus grande participation aux élections, Chávez a pu augmenter son score de voix en chiffres absolus de 824.872, mais Capriles a augmenté le vote de la droite de 2.206.061! Cela représente un sérieux avertissement. A l’exception du référendum sur la réforme constitutionnelle de 2007, ce fut le plus faible pourcentage obtenu par Chavez lors d’une élection.
La droite n’a d’accroître son soutien électoral à chaque élection, ce qui reflète une lente mais bien réelle contre-révolution rampante. Mais le soutien aux politiques radicales de gauche reste dominante à ce stade et les masses, y compris certaines sections qui cette fois ont voté pour la droite, sont opposées à toute tentative de revenir à l’ordre ancien qui existait avant Chávez au pouvoir.
Cependant, le fait est qu’il n’y a pas de rupture avec le capitalisme ni de véritable programme socialiste basé sur le contrôle et la gestion démocratique des secteurs clés de l’économie par la classe ouvrière et tous ceux qui sont exploités par le capitalisme. Cette situation permet à la droite d’exploiter le mécontentement et la frustration qui découlent de la détérioration des conditions sociales, de la corruption et de l’inefficacité qui accompagne la croissance de la bureaucratie chaviste ainsi que l’approche bureaucratique de bas en haut du gouvernement.
Le plus grand pourcentage de votes jamais obtenu à ce jour par Chávez a été atteint lors des élections de 2006. A l’époque, Chavez avait pu compter sur un soutien électoral de 62%. De manière significative, cette campagne a également été la plus radicale de Chavez, avec la question du ”socialisme” dominant le débat et véritablement placée au premier plan de la campagne. Cette époque était marquée par le développement révolutionnaire qui a suivi la tentative de coup d’Etat de la droite et le lock-out patronal de 2002-03. Toutefois, depuis cette victoire, plutôt que d’avoir avancé dans la mise en place d’un programme visant à rompre avec le capitalisme et à mettre en place un véritable système de contrôle et de gestion démocratique des travailleurs, le processus révolutionnaire est au point mort et est sur la défensive.
Le gouvernement a de plus en plus collaboré avec la classe dominante et a cherché à parvenir à un accord avec elle, d’où sa politique de ”réconciliation nationale” et les accords passés avec la fédération patronale. Ceci, avec l’émergence de ceux qui se sont enrichis sur le dos du mouvement Chaviste – la ”boli-bourgeoisie” – conduit inévitablement à un mécontentement croissant ainsi qu’à des protestations contre le gouvernement.
Réformes et désespoir dans les quartiers les plus pauvres
La réponse du gouvernement face à la crise économique mondiale du capitalisme qui a débuté en 2007 n’a pas été de faire avancer un programme de rupture avec le capitalisme, mais de se déplacer dans la direction opposée et de chercher à l’apaiser en se déplaçant vers la droite. Depuis, des concessions fiscales accrues ont été données aux multinationales. La compagnie pétrolière nationale PDVSA, qui a financé le programme de réforme des ”missions”, a aussi réduit son budget pour ces dernières de près de 30%.
La répression contre les grévistes de toutes sortes a également été accrue au cours de ces dernières années. Les travailleurs du secteur public sont soumis à la loi de sécurité et de défense de la Nation qui permet l’interdiction des grèves et même de simples protestations dans le secteur public. La police d’Etat dans la ville de Barcelona a ainsi tué deux dirigeants ouvriers à l’usine automobile Mitsubishi. Le gouverneur de cet Etat est un chaviste. Des travailleurs de Toyota ont subi le même sort.
Malgré les populaires politiques de réforme que sont les ”missions”, qui ont aidé des millions de gens pour leur santé ou encore leur enseignement, les conditions sociales dans les ”barrios” (les quartiers) plus pauvres restent catastrophiques et montrent peu de signes d’amélioration. Celles-ci ont été le terreau d’une hausse spectaculaire de la criminalité, de la violence et des enlèvements visant à soutirer de l’argent aux familles des victimes. Le Venezuela possède l’un des taux les plus élevés de meurtre dans le monde : le chiffre officiel du gouvernement fait état de 19.000 décès en 2011. Ce n’est très certainement là qu’une sous-estimation de l’ampleur du phénomène.
Le Venezuela est actuellement l’un des pays les plus violents au monde. Dans un district majoritairement riche près de Caracas, El Hatillo, 70 enlèvements ont eu lieu jusqu’à présent cette année! L’expérience des membres du Comité pour une Internationale Ouvrière est typique. Un membre du CIO vivant dans un ”barrio” est arrivé lors d’une réunion le jour précédent l’élection pour parler de l’assassinat de son beau-frère qui s’était déroulé la veille. Un autre a expliqué qu’on avait tiré sur son propriétaire. D’autres parlent de collègues de travail qui ont été enlevés. Un autre encore a parlé d’un incident lors d’un retrait d’argent auprès d’une banque pour le travail, il a été volé cinq minutes plus tard par des jeunes armés sur une moto, un texto avait été envoyé par un employé de la banque pour les avertir du retrait, l’employé ayant touché une partie du butin par la suite. De telles attaques mettent la vie des pauvres et de la classe moyenne dans un état d’anxiété et de peur quasi permanent.
La situation du logement reste désespérée en particulier dans les quartiers les plus pauvres. Le gouvernement, dans la période qui a précédé l’élection, a lancé un programme de logement de manière précipitées, et il prétend avoir construit plus de 200.000 nouveaux logements. Beaucoup de gens mettent en question ces chiffres. Beaucoup de ceux qui ont vu leurs cabanes emportées par de fortes pluies en 2010 restent dans des refuges. Là, les conditions de vie peuvent être si mauvaises que même des massacres des occupants ont eu lieu par d’autres occupants ou par les cartels de la drogue qui opèrent dans les barrios. Pourtant, ce qui est en cours de construction ce sont en réalités de nouveaux ghettos: des appartements minuscules dans des blocs sans facilités, construits sur n’importe quelle parcelle de terre vide ou expropriée. Une de ces nouvelle construction est isolée avec une seule route pour y aller et en sortir, avec au moins une heure de marche pour parvenir au métro le plus proche.
La corruption, le manque de planification et de contrôle démocratique ainsi que les méthodes techniques de construction inadéquates ont souvent conduit à ce que des fissures apparaissent dans les blocs avant même qu’ils ne soient occupés!
Ces conditions sont le terreau potentiel pour le développement de bandes armées de jeunes poussés aux vols avec violence ou aux enlèvements dans le seul but de survivre. Ils sont aussi un terreau de mécontentement sur lequel la droite peut s’appuyer, ce qui pourrait conduire à la démoralisation et l’apathie envers le gouvernement.
Référence minimale au socialisme
La campagne de Chávez au cours de cette élection était plus à droite que la campagne menée en 2006. C’était alors peu de temps après que Chavez ait proposé le lancement du PSUV (Parti Socialiste Unifié du Venezuela) en tant que ”parti révolutionnaire”. Chávez faisait à ce moment-là référence à Trotsky, à la révolution permanente et au programme de transition. Il parlait de la construction d’une ”cinquième internationale” des ”partis de gauche”. Mais cette fois ci, dans cette élection, rien de tout cela n’était évident. La référence au socialisme était minime, et quasiment inaudible jusqu’à la dernière semaine de la campagne. Le principal slogan de Chavez était ”Chávez au cœur de la patrie”. Il a pris un caractère très nationaliste avec des promesses de développer la ”patrie”. L’élection a été hautement personnalisée dans les deux camps. Alors que les principales avenues de Caracas étaient pleines lors de la manifestation de clôture, il était manifeste que les pancartes mettaient en vedette Chavez et la ”patrie” sans autre contenu politique. Les bannières du PSUV ou des syndicats étaient absentes. Beaucoup de travailleurs portaient des chemises des entreprises pour lesquelles ils travaillaient et, souvent, ils expliquaient qu’ils étaient là parce qu’ils y avaient été ”obligés” par leurs employeurs.
Alors que nombreux sont ceux qui se sont ralliés avec enthousiasme à Chávez comme étant leur seul espoir et par crainte de la droite, certains ont tout simplement été mobilisés autour de slogans pour ”Hugo Chávez et la patrie”, sans autre contenu.
Ces caractéristiques reflètent l’absence d’une force politique indépendante organisée des travailleurs et des pauvres, comme le CIO l’a déjà commenté dans des articles précédents. Ceci, et l’ approche bureaucratique de ha ut en bas du gouvernement, a sérieusement affaibli le mouvement dès sa première période, ce contre quoi le CIO a constamment mis en garde. Cette approche du haut en bas a de nouveau été remarquée durant la campagne électorale. À deux reprises, lorsque Chavez a parlé à des réunions de masse dans le pays, certains scandant "Chávez oui, mais pas…", se référant aux candidats chavistes imposés pour les prochaines élections régionales, en décembre. Chávez a répondu en disant que si les candidats imposés sont rejetés alors ils doivent aussi rejeter Chávez!
L’absence d’un mouvement ouvrier démocratique et indépendant est l’une des plus grandes faiblesses et un des plus grands dangers de la situation présente. Il a déjà permis à l’aile droite de réaliser des gains et des avancées. Si la classe ouvrière, les jeunes et les pauvres ne construisent pas une force indépendante démocratique organisée, la menace de la droite et l’avance de la contre-révolution se développera. Il n’est pas exclu que l’aile droite obtiennent des gains lors des élections régionales du mois de décembre compte tenu des pourritures que sont certains des candidats chavistes.
Malheureusement, suite à sa victoire, le président Chávez, en parlant à ses partisans, n’a donné aucune indication afin de prendre des mesures pour renverser le capitalisme. Il a offert le dialogue à l’opposition. "Nous sommes tous des frères de la patrie”, a-t-il tonné après avoir prié l’opposition d’accepter le résultat. Il a parlé de construire un Venezuela uni. Des deux côtés on a insisté sur ce même point vers la fin de la campagne. Comme à la clôture du scrutin, il y avait un barrage de propagande télévisée des deux côtés appelant à la paix, l’unité et la réconciliation. Chávez, comme Capriles ont appelé au ”calme” et à la ”tranquillité”, évidemment par crainte que la polarisation ne puisse entraîner des affrontements et une sorte d’explosion sociale.
Une ”économie mixte” ou une rupture anticapitaliste ?
Quand Chavez a salué la foule après sa victoire, il a fait deux références au socialisme. Cependant, elles ont été noyées dans les déclarations que sont les "Viva Bolivar! Viva La Patria! Viva Venezuela!" Pendant la campagne, il a fait valoir que le ”socialisme” de l’Union soviétique a échoué et qu’un nouveau type de système est nécessaire au 21ème siècle. Mais ce n’était pas là un rejet de la mascarade de socialisme qu’a constitué l’ancien régime stalinien totalitaire, ce n’était pas une déclaration destinée à favoriser l’instauration d’un programme favorable à la démocratie ouvrière. Les politiques de Chávez illustrent le fait que ce qu’il entend par ce ”nouveau type de système” est une ”économie mixte” combinant le capitalisme avec des interventions de l’État et des réformes. Les réformes que le Comité pour une Internationale Ouvrière ont soutenues sont maintenant repoussées vers l’arrière et démantelées. Elles ne pouvaient être maintenues et renforcées que sur base d’une rupture avec le capitalisme et de l’introduction d’une planification socialiste et démocratique de l’économie.
Capriles est clairement en train d’attendre son heure et a maintenant l’intention de consolider sa base dans l’après campagne électorale. Chávez est préparé à poursuivre ses politiques de conciliation et de travail avec les sections de la classe dominante qui sont prêtes à collaborer avec lui. Une telle politique va de plus en plus pousser son gouvernement a entrer en confrontation avec les travailleurs et les pauvres. Le mécontentement social va augmenter. Il est urgent qu’un mouvement ouvrier socialiste, démocratique et indépendant se construise avec un programme de rupture anticapitaliste. Si cela n’est pas fait, alors, face à la désintégration sociale et à l’aliénation, la menace de la droite ne peut que se développer.
L’approfondissement de la crise économique capitaliste mondiale aura un lourd impact sur le Venezuela. Une baisse significative du prix du pétrole, principal produit d’exportation du Venezuela, d’une valeur de 60 milliards de dollars l’an dernier, peut menacer de saper les politiques de Chávez. On ne peux pas exclure que Chávez pourrait être repoussé vers la gauche et introduire des mesures plus radicales qui empiètent sur le capitalisme. Toutefois, cela est loin d’être certain et elles ne représenteraient pas en elles-même une transformation socialiste. Pour rompre avec le capitalisme et construire une véritable alternative socialiste démocratique, il est encore nécessaire et urgent de construire un mouvement ouvrier socialiste indépendant, démocratique et politiquement conscient.
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Venezuela. La révolution en danger
La défaite d’Hugo Chávez lors du référendum de décembre marque un point tournant du processus révolutionnaire vénézuelien. Le fort taux d’abstention indique une frustration grandissante quant à la lenteur des changements. Dans le même temps, l’opposition de droite a été fortement encouragée par sa victoire. Tony Saunois analyse la situation présente.
Le 2 décembre 2007, Hugo Chávez, président du Venezuela, a malheureusement encaissé sa première défaite électorale depuis sa montée au pouvoir en 1998.
Donner de plus grands pouvoirs au président, autorisant ainsi Chávez à se présenter pour plus de deux mandats, établir ‘le pouvoir populaire’, décrire le Venezuela comme un ‘Etat socialiste bolivarien’, réduire la semaine de travail de 44h à 36h, voilà quelques-uns des 69 amendements proposés pour changer la constitution datant de 1999. Ces amendements ont été rejetés par 50,7 % contre 49,2% des électeurs, et avec un fort taux d’abstention (44%).
Le rejet de ces propositions pose d’importantes questions quant au futur de la révolution et aux dangers faces auxquels se trouvent maintenant la classe ouvrière et les masses. Cela illustre clairement la nécessité pour tous les socialistes, au Venezuela et internationalement, d’analyser la conjoncture actuelle de la lutte contre le capitalisme et les grands propriétaires, ainsi que les tâches que doivent assumer les militants dans le mouvement.
La défaite du référendum représente un pas en arrière pour la classe ouvrière et a aidé à renforcer l’opposition de droite pro-capitaliste. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) et ses membres au Venezuela appelaient à voter OUI au référendum. Et cela en dépit des importantes limitations de ces propositions, comme celles qui tendaient à augmenter les pouvoirs centraux de la présidence, qui permettait ainsi à la droite de dépeindre le régime comme ‘dictatorial’. Mais malgré ces faiblesses, cela aurait été une erreur de donner comme consigne l’abstention ou le boycott, comme certains sur la gauche ont pu le faire, comme par exemple le dirigeant syndical Orlando Chirino. En effet, la victoire du non a eu comme effet de laisser ceux qui appelèrent au boycott plus isolés des activistes, rendant ainsi encore plus difficile de formuler des critiques des imperfections et manquements du gouvernement.
C’est une sérieuse défaite, bien qu’elle ne soit pas décisive. Mais il est aujourd’hui urgent de tirer les leçons de cet épisode si l’on veut pouvoir éviter d’autres défaites -qui risquent de s’avérer plus sérieuses- et faire avancer le processus révolutionnaire.
Comme nous l’avons commenté à l’époque, l’arrivée de Chávez au pouvoir représentait le commencement de changements importants dans la situation internationale. L’élection de Chávez a signifié un rejet décisif des politiques néolibérales qui ont dominé les années 90 suite à la chute des dictatures bureaucratiques et des économies planifiées dans l’ancienne Union Soviétique et l’Europe de l’Est. Son gouvernement n’était en effet pas prêt à capituler face aux exigences de l’impérialisme en appliquant des politiques néolibérales.
Initialement, Chávez ne parlait pas de socialisme mais se limitait à l’idée d’une ‘révolution bolivarienne’. Son régime populiste et nationaliste en est venu rapidement à appliquer des réformes radicales qui sont entrés en conflit avec l’impérialisme US et l’oligarchie dirigeante qui dirigeait le Venezuela depuis des décennies. Ces derniers ont organisé une série de tentatives pour renverser son régime. Chacune de celles-ci – une tentative de coup en 2002, un lock-out patronal en 2002-03, un référendum en 2004 pour essayer de démettre Chávez – a échoué grâce au mouvement spontané des masses soutenant Chávez.
Ces conflits opposants les masses et la classe dirigeante ont provoqué à chaque fois une radicalisation politique. Cela s’est reflété par exemple lorsque Chávez déclara que la ‘révolution’ n’était pas seulement ‘bolivarienne’ mais aussi ‘socialiste’. Il déclara aussi que le Venezuela s’était embarqué sur la route de la construction du ‘socialisme du 21ème siècle’. Après sa victoire électorale de décembre 2006, il est allé plus loin en annonçant son soutien au programme de transition et au concept de révolution permanente développés par Léon Trotsky.
Compte tenu du contexte d’offensive idéologique dirigée par la classe dirigeante et de ses représentants au sein des anciens partis ouvriers de masse contre le socialisme, ces développements représentaient et représentent toujours des pas en avant importants. Ils ont été reçus de manière très enthousiaste par une nouvelle génération de travailleurs et de jeunes qui observaient le Venezuela et Cuba – plus récemment, la Bolivie, avec l’élection d’Evo Morales, et maintenant l’Equateur – comme des contrepoids radicaux de gauche face à Bush, Blair et le capitalisme néolibéral.
Pendant que dans d’autres pays, l’application de politiques néo-libérales entraînait des plans d’austérité et des attaques sur les conditions de vie des travailleurs, le gouvernement de Chávez a introduit une série de réformes populaires, que nous soutenions, comme expliqué dans différents autres articles et dossiers (www.socialistworld.net). Elles ont été financées par le haut prix du pétrole sur le marché mondial et la croissance économique, qui a particulièrement été bénéfique pour la classe moyenne.
Pauvreté et aliénation
Quoiqu’il en soit, de nombreux problèmes sociaux persistent, avec un taux de pauvreté qui reste élevé. La frustration qui découle de l’incapacité à résoudre ces problèmes, couplée à la colère par rapport à l’augmentation de la corruption et aux méthodes bureaucratiques ont créé le terreau pour la défaite du référendum. Le taux de chômage est officiellement de presque 10%. L’insuffisance de nourriture, une inflation au dessus des 20 % et l’énorme crise du logement ne peuvent pas être résolus tant que le système capitaliste survit. Le manque de plus de 2,7 millions de maisons, avec environ 1,3 millions d’habitations ressemblant plus à des petites cabanes qu’à des véritables logements, illustre à quel point la situation reste désespérée pour des millions de personnes.
La pauvreté et l’aliénation dans la société se reflètent par le haut taux de criminalité, et plus spécifiquement de meurtres, qui touche essentiellement les grandes villes. En 2000, le ‘taux de meurtres’ s’élevait à 33,2 pour 100.000 comparé à 1,1 au Japon ou encore 5,51 pour les Etats-Unis. Depuis, la situation s’est encore aggravée et aujourd’hui, la capitale Caracas est plus violente que Rio.
En novembre 2007, onze meurtres par jour étaient signalés à Caracas. Environ 1000 personnes ont été kidnappées en 2006 pour ensuite exiger des rançons. La criminalité est aujourd’hui un grand sujet de controverse et le gouvernement est considéré comme avoir été incapable de le résoudre. Certains pourraient argumenter qu’il n’est pas correct de blâmer Chávez concernant ce haut taux de criminalité. Mais le crime existera toujours dans des sociétés qui sont touchées par la pauvreté et le malaise social. En dernière instance, cela ne peut se résoudre qu’en se débarrassant définitivement du capitalisme et des conditions sociales qu’il engendre.
La question de la criminalité est une question cruciale, et il est important pour le mouvement ouvrier de la prendre en compte d’une manière pratique. La police, faisant parti de la machine d’Etat capitaliste, est criblée par la corruption. Les communautés locales doivent s’organiser pour se défendre des attaques criminelles violentes et des gangs. Une des plus grosses faiblesses du mouvement est l’absence d’un mouvement indépendant conscient et organisé de la classe ouvrière et des pauvres. Si un tel mouvement existait, la construction de conseils élus démocratiquement dans les communautés locales pourrait être liée à la formation de comités de défense. Ceux-ci pourraient alors prendre des mesures pour se débarrasser des gangs criminels et offrir une véritable alternative pour tous les jeunes désorientés qui sont attirés par ces bandes.
En finir avec le capitalisme
Les problèmes socio-économiques qui continuent à empoisonner le Venezuela proviennent de la continuation du capitalisme. Les discours de Chávez et la propagande pour un « socialisme du 21ème siècle » ne sont pas un programme qu’on peut appliquer.
Le haut taux de pauvreté, la bureaucratisation et la corruption croissantes, au sein du gouvernement, des directions syndicales et même des organisations sociales et locales, ont exacerbé la colère, la frustration et la déception parmi de larges couches de travailleurs et de pauvres, et particulièrement dans les zones urbaines. Tout cela, ajouté à l’incapacité à faire avancer le processus révolutionnaire, a plongé la situation dans une certaine impasse. La déception est sans doute moins forte dans les zones rurales qui ont pu bénéficier d’un grand nombre de réformes, mais l’ambiance est largement retombée dans les villes.
La cause plus profonde de tout cela provient de l’incapacité à rompre définitivement avec le capitalisme et à établir un gouvernement des ouvriers et des paysans, basé sur une économie socialiste planifiée démocratiquement. Un grand nombre de personnes ont dû se dire que ne pas voter ne représentait pas une menace contre-révolutionnaire immédiate. Cependant, si on ne sort pas de cette impasse, les forces contre-révolutionnaires vont croître et finalement se débarrasser du régime de Chávez.
De nouveaux dangers menacent Chávez et son régime. Puisque les réformes ont largement été financées par un prix du pétrole sans cesse croissant, cette situation peut se retourner par les symptômes d’une crise mondiale. Cela pourrait provoquer une chute des revenus tirés du pétrole, et donc un recul dans les réformes.
Entre ‘74 et ‘79, le régime nationaliste et populiste de centre-gauche de Carlos Andrés Perez avait introduit des réformes sociales significatives qui furent financées par la hausse du prix du pétrole. En ‘79, le baril de pétrole avait atteint les 80$. Peu après, ces réformes devinrent infinançables car une crise faisant chuter le prix du baril à 38$ frappa le Venezuela dans les années ‘80. Le taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté explosa de 17% en 1980 à 65% en 1996. C’est un avertissement clair à Chavéz et à la classe ouvrière sur ce qui risque d’arriver si le capitalisme n’est pas remplacé par une économie socialiste démocratiquement planifiée.
Malheureusement, certains dans la gauche socialiste n’ont envisagé ce problème que pour le traiter de sectaire ou d’inutilement détaillé. Mais maintenant, confronté à ce brusque retour de manivelle du référendum, ils prennent conscience un peu tard des dangers et commencent à s’en faire l’écho. Cela s’illustre par le fait que la Tendance Marxiste Internationale (IMT), qui avait cherché à agir comme conseiller bénévole d’Hugo Chávez, a critiqué, suite à la défaite du référendum, une dangereuse « illusion, qui existe parmi la direction et les masses elles-mêmes, que la révolution serait une espèce de marche triomphale qui pourrait éviter tous les obstacles ». (Alan Woods, La révolution vénézuélienne à la croisée des chemins, 11 janvier)
Cependant, le groupe vénézuélien de la IMT semble avoir été victime de ce danger précisément, sous-estimant les dangers auxquels doivent faire face les masses et la possibilité de contre-attaque de la part et d’engranger des succès de la part de la contre-révolution. Deux jours avant le référendum, un article publié sur le site de IMT prédisait : « Et nous ne doutons pas que la décision de la majorité sera en faveur du OUI… La victoire du OUI le deux décembre est le premier pas dans ce sens. »
L’avertissement du référendum
Les conséquences de l’incapacité à en finir avec le capitalisme commencent à éroder l’enthousiasme pour Chávez et son régime. Il faut souligner que 44% se sont abstenus lors du référendum et le nombre de personnes ayant voté « oui » est de trois millions inférieur au nombre d’électeurs de Chávez lors des élections présidentielles de décembre 2006. Le nombre de votant pour le oui était même inférieur d’un million au nombre d’adhérents revendiqué par le parti récemment lancé Partido Unificado Socialista de Venezuela (PSUV).
De plus, le NON a triomphé dans les 9 états les plus peuplés des 23 et dans 13 des villes les plus grandes, y-compris Caracas. Le OUI a triomphé dans les 14 états les plus ruraux et les moins peuplés. Dans la capitale, des anciens bastions chavistes, comme Petare, Caricuao et Catia ont enregistré un vote substantiel pour le NON et un haut taux d’abstention. Mais surtout, la droite a pu engranger 300.000 votes de plus que lors de la dernière élection présidentielle.
Les signaux d’alerte auraient pu être vus lors de la dernière campagne présidentielle en décembre 2006. En dépit du fait que Chávez ait gagné avec une claire majorité, la droite, l’opposition pro-capitaliste, a commencé à se fédérer autour de Manuel Rosales et en est ressortie renforcée. La campagne électorale a été marquée par de plus gros meetings de la droite et un niveau de participation plus faible de la part des supporters de Chavez. Les masses se rallieront derrière Chávez lorsque la menace d’une défaite apparaîtra comme un scénario sérieux.
Le faible niveau d’activité et de participation dans la campagne électorale illustre une croissance du sentiment de colère et de frustration face à l’incapacité à pousser le processus révolutionnaire en avant. Malgré l’enthousiasme immense qui a résulté des réformes dans la santé, l’enseignement et dans l’approvisionnement de nourriture, la continuation du capitalisme a provoqué un taux de chômage élevé, des pénuries de nourriture, une inflation croissante, une crise massive du logement et une bureaucratisation et une corruption en hausse. En plus de ces problèmes sociaux, il faut souligner l’explosion du nombre de crimes, et spécialement de crimes violents, qui a commencé à mener à la frustration, et même à la désillusion parmi certaines parties des supporters de Chávez.
Ces questions ont permis à l’opposition de droite de ramener des tranches entières de la classe moyenne sous sa bannière. La menace d’une victoire de la droite aux élections présidentielles avait provoqué un renforcement du soutien à Chávez. Mais cette fois cette menace directe n’a pas été vue par les masses dans le référendum pour changer la constitution. Bien qu’il reste une véritable marge de manœuvre à Chávez et qu’il gagnerait probablement les élections si elles devaient se tenir aujourd’hui, cette défaite est un sérieux avertissement des processus qui commencent à se mettre en place.
Résurgence de la droite
Les effets des problèmes socio-économiques ont été renforcés à cause de quelques erreurs commises par Chávez et dont l’opposition a su jouer, utilisant la peur des gens et plus spécifiquement de la classe moyenne. Ils ont accusé Chávez de bâtir une « dictature déguisée ». Le CIO a averti que la décision de refuser à RCTV sa licence (une station radio-télévisuelle de droite pro opposition) permettrait à l’opposition de se réunifier et de se réorganiser. Nous écrivions : Malheureusement, le refus de renouvellement de la licence de RCTV, à cause de son timing et de la manière dont il a été fait, est une erreur tactique du gouvernement de Chávez dont l’opposition pourra jouer ». (RCTV et la question des médias, 20 juillet 2007) Cette question est devenue un point central autour duquel l’opposition de droite a été capable de mobiliser et de redynamiser ses forces. De larges manifestations ont été lancées avec le soutien de couches d’étudiants de la classe moyenne autrefois inactives.
Ces inquiétudes se trouvèrent renforcées par certains des amendements proposés à la constitution de 1999, qui servaient à renforcer le pouvoir de la présidence sans contrepoids démocratique et comprenaient de forts éléments bonapartistes. La limite du nombre de fois qu’un candidat pouvait être élu allait être effacée et le mandat présidentiel allait être prolongé de 6 à 7 ans – comme c’était le cas en France durant la cinquième république de Charles de Gaulle. Un état ouvrier démocratique ne peut être assimilé à un régime bonapartiste. Dans un véritable état ouvrier démocratique, al question de savoir formellement qui est président et pour combien de temps serait immatérielle. Cependant, le Venezuela n’est pas une démocratie ouvrière et cette question a été perçue par certaines couches de la société comme une attaque sur les droits démocratiques et a été utilisée comme une arme par l’opposition.
Le président, et non le parlement, devait aussi obtenir le pouvoir de nommer tous les officiers de l’armée. Il devait aussi obtenir le pouvoir de désigner de nouvelles zones géographico-politiques, comme des municipalités fédérales, et de nommer les différentes autorités censées les administrer. Il n’existait pas de définition du niveau de pouvoir de ces nouvelles autorités et districts territoriaux. D’autres propositions telles que la suppression du « droit à l’information » dans le cadre d’une déclaration d’état d’urgence par le président. Les socialistes défendent le droit pour le gouvernement Chávez de prendre toutes les mesures nécessaires à l’empêchement de toute tentative de prise de pouvoir par la droite, à travers un autre coup d’état par exemple. Mais ce ne sont pas des questions constitutionnelles, en les traitant comme telles le gouvernement offre à la droite le bâton pour lui taper dessus. Alors que l’opposition dynamisait ses supporters de la classe moyenne, des pans des supporters traditionnels de Chávez se retrouvaient désorientés dans la campagne.
Tout cela s’est retrouvé encore renforcé par une colère montante contre la bureaucratie et son approche « par le haut », par l’absence d’un véritable système démocratique ouvrier et d’une participation consciente et active des masses à la lutte. Les supporters de Chávez n’étaient pas prêts à aller de l’avant, ni à soutenir le NON, ils se sont pourtant tenus à l’écart des bureaux de vote. Selon des rapports de nos membres au Venezuela, beaucoup le regrettent aujourd’hui.
Une des tâches auxquelles sont confrontés les masses et les marxistes dans n’importe quelle révolution est de parvenir à gagner le soutien des couches moyennes dans la société (étudiants, petits commerçants,…) qui sont aussi exploitées socialement et économiquement par le capitalisme. Le mouvement révolutionnaire socialiste a besoin de les convaincre de qui sont leurs véritables ennemis et qu’ils n’ont rien à craindre du socialisme. Au contraire, une société socialiste peut leur offrir une solution à leurs problèmes et développer leurs talents et leurs capacités. Malheureusement, l’attitude adoptée par Chávez a donné l’arme qu’il fallait à la droite pour les récupérer.
Les marxistes ne considèrent pas vulgairement la classe moyenne et tous ceux qui ont voté NON comme une masse réactionnaire homogène. Cette approche erronée a été amplifiée par le IMT immédiatement après le référendum. Woods a simplement dénoncé « les petits commerçants, les étudiants « gosses pourris des riches », les employés gouvernementaux, pleins de ressentiment face aux avancées de la « plèbe », les pensionnés nostalgiques « des bons vieux jours » de la quatrième république… Ces éléments apparaissent comme une force formidable en termes électoraux, mais dans la lutte des classes, leur poids est pratiquement nul ». (La défaite du référendum – Qu’est-ce que cela signifie ? 3 décembre 2007)
Ce revirement a revigoré l’opposition et montre clairement la menace croissante de la contre-révolution. D’un autre côté, on n’en est pas encore au point d’une défaite décisive pour le mouvement. La droite pourrait regretter cette tactique, car elle pourrait provoquer une réaction des masses et pousser le mouvement plus à gauche. Il reste encore du temps pour tirer les leçons nécessaires, ce qui permettra de renverser le capitalisme et de définitivement en fini avec lui.
Mais il existe une nouvelle urgence, une course contre le temps : la contre-révolution essayera de capitaliser sur la situation d’impasse actuelle. Un brusque changement dans la situation économique et une chute du prix du pétrole pourrait accélérer ces développements et donner l’opportunité à la droite de se renforcer et de préparer le terrain pour une défaite plus décisive de Chávez et des masses.
Il est urgent de tirer le bilan des luttes des travailleurs, des jeunes et des masses des différentes étapes traversées par la lutte depuis la venue au pouvoir de Chávez. A cela, il faudra ajouter les leçons cruciales de la classe ouvrière internationale pour aider les travailleurs et les jeunes à tirer les conclusions nécessaires pour s’assurer la défaite définitive de la contre-révolution et pour s’assurer que la transformation socialiste et démocratique de la société puisse continuer.
Le pouvoir économique
Tout en clamant son soutien pour la construction du ‘socialisme du 21ème siècle’, en pratique, Chávez a essayé de construire une économie et un Etat parallèles, côte-à-côte avec les monopoles et la machine d’Etat existants. Bien que Chávez ait augmenté l’intervention de l’Etat dans l’économie, il n’a nationalisé ni les grandes banques ni les monopoles, qui demeurent dans les mains du privé. Jusqu’à présent, il a limité les nationalisations à l’aciérie Venepal, ainsi qu’aux compagnies de télécommunication et d’électricité, CANTV et EDC.
Malgré les attaques hystériques contre Chávez de la part de l’impérialisme américain, suite à la croissance économique dans le secteur privé, ce dernier compte à présent pour une plus grande part dans l’économie que ce n’était le cas avant l’arrivée au pouvoir de Chávez.
Malgré les menaces verbales de Chávez de nationaliser les banques, il ne l’a pas fait. Basés sur une croissance du crédit qui a surtout bénéficiée aux classes moyennes, les résultats des banques vénézueliennes ont de quoi rendre jaloux l’ensemble du monde bancaire. Les profits réalisés dans le secteur bancaire ont crû de 33% en 2006. Les retours sur investissement ont dépassé de 33% la norme internationale.
Les supermarchés d’Etat ‘Mercal’, tout en vendant de la nourriture bon marché pour les pauvres, sont dans une logique de compétition avec les grosses chaînes de magasins et de supermarchés d’alimentation. Même si sous certaines conditions –dans le cas d’une situation de double pouvoir par exemple- des éléments d’économie parallèle peuvent être utiles et permettre de réaliser quelques progrès, une telle situation ne peut jamais durer indéfiniment.
Pour les marxistes, une situation de double pouvoir peut émerger lorsque la classe dominante n’a plus le contrôle de l’économie ou de l’Etat, du fait que son pouvoir est contesté par un mouvement révolutionnaire parmi la classe des travailleurs. Tout en concurrençant la classe dirigeante, devenue incapable de diriger la société, la classe ouvrière n’a cependant pas encore pris le pouvoir entre ses mains et imposé une défaite décisive aux capitalistes. Cette situation se conclut toujours soit par la prise du pouvoir par les travailleurs, soit par le rétablissement du contrôle de la classe dirigeante.
Les capitalistes se battront jusqu’au bout afin d’empêcher le secteur étatique d’assumer un rôle de plus en plus important dans ce qu’ils considèrent comme leur chasse gardée, et ne tolèreront jamais de se voir retirer les leviers de leurs pouvoirs économique et politique. Si c’est nécessaire, ils recourront même à la dictature militaire brutale afin d’empêcher un tel mouvement de se développer. Pourtant, procéder à une incursion graduelle de l’Etat dans l’économie capitaliste est exactement ce que Chávez a essayé de faire. Parallèlement, il a laissé le pouvoir économique décisif dans les mains des capitalistes, qui l’ont utilisé par exemple pour imposer des pénuries de café, de riz, de haricots et d’autres aliments de base, comme riposte face aux prix des produits contrôlés par l’Etat.
Ces pénuries ont joué un rôle important dans la campagne que l’opposition a mené en vue du référendum. Dans un sondage réalisé en novembre 2007, 75% des Vénézueliens pensaient que les pénuries de nourriture étaient volontairement suscitées par le patronat afin de saboter l’action du gouvernement. Cependant, dans un sondage entrepris dans la semaine précédant le référendum, une majorité accusait l’inefficacité et la corruption du gouvernement.
Il est impossible d’assagir un tigre en retirant une à une chacune de ses griffes. De la même manière, il est impossible de retirer les capitalistes du contrôle de l’économie en grapillant graduellement un secteur après l’autre. Dans les faits, Chávez n’a même pas été jusque là. L’économie du Venezuela est hautement monopolisée. Cinq grosses familles oligarchiques – Cisnero, Mendoza, Caprile, Boulton et Phelps – ainsi que quelques grandes banques, contrôlent les secteurs décisifs de l’économie, à l’exception du pétrole. Aucun de ces conglomérats n’a été touché par Chávez.
Le fait de ne pas avoir nationalisé ces monopoles laisse à la classe dominante le contrôle de l’économie. Résultat : durant le récent boom économique, qui avait notamment vu une augmentation des dépenses de l’Etat en faveur de différents programmes publics, des profits gigantesques ont été réalisés. Dans le même temps, les capitalistes ont eu tout le loisir d’organiser le sabotage économique afin de miner l’action du gouvernement.
Les signes d’un ralentissement
L’ensemble de ces facteurs se sont reflétés dans le référendum. Pourtant, au lieu de réaliser que cette défaite reflète la frustration, la déception et une certaine impasse dans la situation actuelle, ce sont au contraire les masses qui sont accusées d’un ‘manque de compréhension’. Dans son émission télévisuelle hebdomadaire, ‘Alo Presidente’ du 6 janvier, Chávez affirme reconnaître que la population, ainsi que l’appareil d’Etat, ne sont pas “preparés pour faire face à ce qu’impliquait la réforme constitutionnelle, à savoir un renforcement du socialisme”. Plus menaçant, il déclara qu’ils (les habitants de Caracas et d’autres villes) “…ont une dette envers moi. Je l’ai noté dans mon agenda. Nous allons voir s’ils me paieront cette dette ou pas”. (Spanish daily paper, ABC, 9 décembre 2007)
Cette méthode d’analyses des reculs et des défaites fait écho à celle qu’utilisaient les dirigeants des partis communistes et socialistes réformistes lors de mouvements révolutionnaires historiques, tels que le Chili en 1970-73 ou la révolution espagnole dans les années ’30. Ces derniers justifiaient leur inaptitude à rompre de manière décisive avec le capitalisme en prétextant que les masses n’étaient ‘pas prêtes’ et que cela allait ‘provoquer’ la réaction.
Ayant dans un premier temps accusé le manque de compréhension des masses pour la défaite, Chávez a finalement conclu qu’il n’avait pas d’autre choix que de ‘ralentir la marche des événements’: “L’avant-garde ne peut pas se séparer des masses. Sa place est avec les masses! Je veux rester avec vous, et pour cette raison, je dois ralentir le rythme.” (6 janvier)
Les marxistes n’adoptent pas une approche sectaire vis-à-vis des masses, et ne peuvent ignorer le niveau de conscience et de compréhension politique existant. Cela aurait pour résultat d’avancer des slogans et des initiatives politiques qui ne seraient pas compris, et couperaient les révolutionnaires des larges masses. Les marxistes s’engagent activement dans le dialogue politique, dans l’échange des idées et des expériences, et mettent en avant des slogans et des revendications qui peuvent aider les masses à avancer dans leur lutte, et à tirer les bonnes conclusions sur le type de programme, de tâches et de méthodes nécessaires pour aboutir au socialisme.
Mais utiliser cela comme un argument pour ‘ralentir la marche de la révolution’ est quelque chose de tout à fait différent. Ce ‘ralentissement’ inclut un remaniement ministériel en janvier. Il s’agit surtout de redistribuer les portefeuilles ministériels parmi les ministres actuels. Un élément significatif, cependant, est le fait que l’ex-vice-président, Jorge Rodriguez, a été délogé et remplacé par l’ancien ministre du logement, Ramón Carrizales. La nomination de Rodriguez il y a un an avait été annoncée à l’époque comme un tournant à gauche dans la ‘route vers le socialisme’.
Il est probable que le ralentissement du rythme des réformes débute par un relâchement des contrôles sur les prix que le gouvernement avait précédemment introduits. En les desserrant, le gouvernement espère pacifier ses relations avec les producteurs et distributeurs du secteur de l’alimentation, qui avaient réagi en créant des pénuries dans la distribution. Il s’agissait de purs actes de sabotage, auxquels le gouvernement s’était montré incapable de réagir en nationalisant ces compagnies.
Derrière ce ‘ralentissement’, Chávez tente d’établir un ‘consensus national’ et d’apaiser les capitalistes. Dans l’émission ‘Alo Presidente’, Chávez argumentait : “Nous devons procéder à des améliorations dans le cadre de nos alliances stratégiques. Nous ne pouvons pas nous laisser dérouter par des tendances extrémistes. Nous ne sommes pas des extrémistes et ne pouvons l’être. Non ! Nous devons rechercher des alliances avec les classes moyennes, y compris avec la bourgeoisie nationale. Nous ne pouvons cautionner des thèses qui ont échoué dans le monde entier, comme l’élimination de la propriété privée. Ce ne sont pas nos thèses.”
En d’autres termes, ayant essuyé une défaite lors du référendum, Chávez en conclut qu’un accord doit être recherché avec la classe dominante. Les socialistes ne prônent pas l’élimination de toute la propriété privée, comme par exemple la nationalisation de tous les petits magasins ou la réquisition des maisons des particuliers. Néanmoins, il est nécessaire de nationaliser les monopoles et les banques qui dominent l’économie, et d’introduire une démocratie ouvrière dans le cas où une planification socialiste prend forme. Chávez a également annoncé l’amnistie pour certains personnages impliqués dans l’organisation du coup d’état de 2002, et ce afin “d’envoyer au pays un signal clair comme quoi nous pouvons vivre ensemble malgré nos différences”.
Il n’y a pas de troisième voie
Chávez revient en fait à la position qu’il défendait avant qu’il n’embrasse l’idée du socialisme, celle d’une ‘troisième voie’. Cette thèse s’appuie sur la vision erronée comme quoi il serait possible, en travaillant main dans la main avec l’aile ‘progressiste’ de la classe capitaliste, d’en finir avec la pauvreté et la corruption, et de développer une forme de ‘capitalisme plus humain’. Cette idée fait écho à la ‘théorie des deux stades’ avancée dans le passé par les staliniens et certains socialistes réformistes. Ces derniers prétendaient que, dans les pays semi-coloniaux, avant qu’il ne soit possible de renverser le capitalisme, il était nécessaire de développer l’industrie et l’économie en collaboration avec les capitalistes ‘progressistes’, postposant ainsi la question du socialisme aux calendes grecques.
De telles idées ont mené à la défaite du mouvement ouvrier durant la guerre civile espagnole, ou encore au Chili en 1973, et n’ont jamais abouti à la moindre victoire. A l’époque contemporaine, la classe dominante des pays semi-coloniaux est liée à l’impérialisme et est incapable de développer la société. Cette tâche retombe sur les épaules du mouvement ouvrier, aidé des autres classes exploitées par le capitalisme, et fait partie intégrante de la transformation socialiste de la société.
Ce n’est pas la première fois que Chávez tente d’apaiser les classes dominantes. Il s’agit en réalité d’une répétition de ce qu’il avait mis en avant suite à la défaite du coup d’état entrepris en 2002 par la réaction. Il demanda alors au peuple de rentrer chez lui, appelant à l’unité nationale et à la construction d’un ‘consensus national’.
Même le IMT a été obligé de reconnaître le caractère erroné d’une telle politique : “‘Aidé’ par ses conseillers réformistes, le président a tiré certaines mauvaises conclusions du référendum”. (Woods, La révolution vénézuelienne à la croisée des chemins, 11 janvier) Mais il est évident que Chávez porte une part importante de responsabilité également.
Woods déclare que “Chavez a bien compris le fait que la révolution a besoin de franchir ce saut qualitatif”. (Rencontre avec Hugo Chávez, Avril 2004) Encore une fois, dans La nationalisation de Venepal : qu’est-ce que cela signifie? Woods assure ses lecteurs que “Le président Hugo Chávez a révélé constamment un instinct révolutionnaire infaillible”. (21 janvier 2005) Pourtant, aucune de ces caractéristiques n’est perceptible dans les ‘mauvaises conclusions’ tirées par Chávez.
Chávez, parlant lors du congrès d’ouverture du PSUV nouvellement formé, fut forcé de reconnaître que le gouvernement restait paralysé par ‘l’inefficacité, la bureaucratie et la corruption’. Il insista également sur la nécessité de résoudre les “problèmes persistants tels que le crime, les pénuries alimentaires et l’inflation.”. “Pourquoi le lait a-t-il disparu? Pourquoi est-ce que la sécurité reste un tel problème…Pourquoi n’avons-nous pas été capables de limiter la corruption (sans parler de l’éradiquer)?”
Ces questions sont d’une importance cruciale. Malheureusement, la réponse de Chávez se limite à l’affirmation selon laquelle l’année 2008 sera l’année des ‘trois R’ : ‘révision, rectification et relance’. Pourtant les problèmes qu’il identifie ne se résoudront pas en ‘ralentissant la révolution’…
La conscience de classe se développe
Quelques jours plus tard, Chávez semblait repartir vers la gauche. Dans ‘Alo Presidente’ du 20 janvier, se référant aux pénuries alimentaires, il brandit la menace de la nationalisation de la terre et des banques. Ce n’est pas la première fois qu’il menace les banques ou d’autres secteurs de nationalisation, et rien ne nous certifie que ces menaces vont être mises à exécution. Ce n’est pas un hasard si ces menaces ont été faites pendant le congrès du PSUV; elles seront utilisées pour tenter de couper l’herbe sous le pied de certains activistes qui critiquent le tournant à droite de Chávez. En même temps, cela illustre que son régime peut toujours balancer vers la gauche et adopter des mesures de gauche plus radicales, y compris la nationalisation.
La bureaucratie et la corruption sont des problèmes cruciaux auquel le mouvement fait face aujourd’hui au Vénézuela. Pourtant, sans un système de démocratie et de contrôle ouvriers, un véritable bataille contre ces problèmes est irréalisable. Cela reflète une des principales faiblesses du mouvement. Accomplir une révolution socialiste demande l’organisation consciente et indépendante du mouvement ouvrier, soutenu par la jeunesse, les couches pauvres des villes, les sections radicalisées de la classe moyenne et par tous ceux qui sont opprimés par le capitalisme. Du fait de sa conscience de classe collective, qui se développe et s’affermit grâce au rôle qu’elle joue dans la production, la classe ouvrière a besoin de jouer ce rôle dirigeant décisif.
Jusqu’à présent, cela n’est pas reflété d’une manière pleinement consciente et organisée au Venezuela. Sans ce contrôle conscient et constant de la base, le développement de méthodes bureaucratiques monte inévitablement à la surface, et cela dans n’importe quel mouvement ouvrier ou révolutionnaire. Depuis le début, Chávez et les dirigeants du mouvement ont adopté une approche unilatérale, du sommet vers la base. Le régime s’est contenté du support des masses – et les a lancés dans la lutte lorsque la menace de la contre-révolution était clairement posée – mais les masses n’ont pas consciemment pris la direction du mouvement.
La fondation du PSUV peut offrir une importante opportunité de construire un nouveau parti de masse pour la classe ouvrière; un tel parti, doté d’un programme révolutionnaire socialiste, peut devenir une arme importante afin de faire avancer le processus révolutionnaire. Au moment où nous écrivons ces lignes se tient le premier congrès du parti, auquel participent 1.600 délégués (et qui est prévu de durer jusqu’à deux mois!) Le PSUV revendique plus de cinq millions de personnes inscrites pour rejoindre le parti, bien qu’il ne soit pas clair si ce sont des gens désirant réellement construire un parti socialiste, ou plutôt des gens enregistrés par les organisateurs locaux à partir du registre des électeurs. Si le PSUV se veut être un instrument pour porter une révolution victorieuse, alors il aura besoin de membres actifs, et pleinement impliqués dans les débats et les prises de décision; un tel parti ne peut se limiter à une addition de tous les partis pro-Chávez déjà existants. Le droit de se constituer en tendances, et de permettre le débat démocratique seront des éléments essentiels pour faire de ce parti une arme efficace pour la classe ouvrière, et pas un instrument docile au service de la politique du gouvernement.
Malheureusement, le PSUV a été formé du sommet, Chávez nommant un comité comprenant deux anciens généraux chargés de le mettre sur pied. En janvier, Jorge Rodriquez fut nommé responsable de la ‘coordination générale du PSUV’. Le CIO soutient le combat pour un PSUV pleinement démocratique avec un programme révolutionnaire socialiste.
La démocratisation des syndicats et la construction de comités démocratiquement élus sur les lieux de travail, afin d’établir un système de contrôle ouvrier, font partie des tâches les plus urgentes. De tels comités doivent être également mis sur pied dans les quartiers ainsi que dans l’armée. Structurés et coordonnés au niveau local, régional et national, ces comités pourraient constituer la base d’un gouvernement ouvrier et paysan. A travers la nationalisation des cinq banques et conglomérats familiaux, un plan démocratique et socialiste de l’économie pourrait ainsi être mis sur pied.
Cela ouvrirait la possibilité de forger des liens avec le mouvement des masses en Bolivie et, accompagné de la construction d’une démocratie ouvrière à Cuba, pourrait permettre le développement d’une fédération socialiste démocratique de ces différents pays. Cette perspective pourrait à son tour constituer un tremplin pour stimuler la révolution socialiste à travers l’ensemble du continent latino-américain. Une telle voie demeure la meilleure garantie afin d’assurer la défaite de la réaction qui, comme le récent référendum l’a illustré, peut reprendre du poil de la bête tant que le capitalisme ne sera pas renversé.
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Venezuela. Chavez a perdu le référendum sur les réformes constitutionnelles.
Au Venezuela, le référendum constitutionnel auquel avait appelé Hugo Chavez ce 2 décembre s’est malheureusement et tragiquement soldé par une défaite. Pour la première fois en neuf années, Chavez a perdu une élection. L’opposition de droite tentera de s’approprier cette victoire, qui va l’encourager et la renforcer. Cette défaite pour Chavez est un avertissement concernant la menace de la contre-révolution.
Karl Debbaut, Comité pour une Internationale Ouvrière, Londres
Le résultat est que 50.7% des participants ont voté « Non » aux changements proposés, tandis que 49.2% y étaient favorables. Le taux d’abstention a été de 44%. Par rapport aux dernières élections, les présidentielles de décembre 2006, Chavez a perdu 3 millions de voix en convainquant 4 millions de personnes du « Oui ». Il s’agit là d’un nombre de voix inférieur aux 5 millions d’adhérents revendiqué par le PSUV (Parti Socialiste Unifié du Venezela) créé cette année pour rassembler l’ensemble des partis politiques membres de la majorité présidentielle ! La droite, par contre, a gagné 300.000 voix en comparaison de l’élection de décembre 2007.
Contradictions
Ce résultat est un recul pour le gouvernement vénézuélien et son projet de « socialisme du 21ème siècle ». Chavez a proposé 69 changements à la Constitution adoptée lors du référendum de 1999. Les changements les plus importants proposés étaient la suppression de la limite concernant la réélection du président, l’instauration de la journée de 6 heures et la reconnaissance des conseils ouvriers et des conseils communaux. La nouvelle Constitution aurait également renommé le Venezuela comme « République Socialiste Bolivarienne ». La raison fondamentale de cette défaite réside dans les contradictions et les faiblesses du programme et des méthodes du gouvernement et de la direction du mouvement. En dépit des importantes réformes progressistes dont ont bénéficié les sections les plus pauvres de la société, le capitalisme subsiste avec des problèmes sociaux désespérés et une bureaucratie grandissante.
La situation sociale au Venezuela fourmille de contradictions. L’économie vénézuélienne est en plein boom, mais ce sont principalement l’élite dirigeante et la classe moyenne qui en profitent. En même temps, le gouvernement, tout en introduisant des réformes sociales qui ont bénéficié aux couches les plus pauvres, n’a pas pu réduire significativement la pauvreté ou le crime. Le fossé entre riches et pauvres persiste et la situation dans les régions les plus pauvres de Caracas s’est même détériorée. En 2006, Caracas était victime de 5 meurtres par jour. En novembre passé, ce taux était passé en moyenne à 11 meurtres par jour, majoritairement dans les quartiers pauvres. Tandis que les riche et la classe moyenne peut s’offrir le dernier cri de la technologie et manger dans les restaurants les plus fins, la plupart des gens souffre de la pénurie de nourriture causée par les grands producteurs et distributeurs de nourriture.
Les récents sondages d’opinion ont indiqué que 75% de la population a eu à souffrir de cette pénurie. Il arrive fréquemment que le lait, le riz, les haricots et d’autres produits alimentaires de base soient indisponibles dans les supermarchés soutenus par l’Etat. Le gouvernement a été incapable de résoudre ce problème. Il n’a pas pris des mesures pour exproprier ceux qui sabotent l’économie et le plan de production de nourriture. Au lieu de cela, il a augmenté la dépendance du Venezuelas des importations, ce qui a affecté l’opinion publique. Le mois dernier, un sondage a révélé que 75% des Vénézuéliens pense que la pénurie de denrées alimentaires est due aux employeurs, qui essayent de cette façon de saboter le gouvernement. La semaine dernière, avant le référendum, le même sondage a établi que la plupart des Vénézuéliens critique le manque d’efficacité et la corruption du gouvernement. La frustration et la colère contre les conditions sociales et la bureaucratie gouvernementale croissante s’est notamment exprimée par une faible participation au référendum de la part des couches les plus pauvres de la population. La mobilisation et la participation des riches et de la classe moyenne des districts de l’est de Caracas a par contre été conséquente.
L’économie vénézuélienne est dominée par cinq grandes familles oligarchiques (Cisnero, Mendoza, Caprile, Boulton, et Phelps) qui contrôlent notamment la production de nourriture. Il ne peut y avoir aucune solution durable à la crise créée par capitalisme aussi longtemps que ces familles resteront aux commandes de l’économie. Un gouvernement socialiste nationaliserait leurs industries sous le contrôle des travailleurs. Mais jusqu’ici, le gouvernement ne s’est pas préparé à le faire. L’opposition pro-impérialiste cherchera à utiliser le résultat du référendum pour déstabiliser plus encore le Venezuela et pour revenir sur les réformes en faveur des pauvres du gouvernement Chavez et sur l’idée de socialisme. Cela n’aura pas seulement un effet au Venezuela, mais également très probablement sur les gouvernements réformistes de Bolivie et d’Equateur. Cuba a averti la semaine dernière qu’une défaite de Chavez dans le référendum pourrait avoir des répercussions sur l’île. Selon le journal espagnol El Pais, Cuba reçoit 7 milliards de dollars d’aide de la part du Venezuela.
Opposition renforcée et crise politique pour les partis pro-Chavez
Après les élections présidentielles de décembre 2006, le gouvernement Chavez a opéré un tournant vers la gauche, en renforçant le message du socialisme et en nationalisant la compagnie de télécommunication CANTV et la compagnie d’électricité « Electricidad De Caracas ». Chavez a également parlé de Trotsky et de sa théorie de la « révolution permanente ». Nous avons applaudi à ces étapes, mais avons précisé que pour que ces nationalisations aient réellement un effet, il était nécessaire de placer les secteurs principaux de l’économie sous le contrôle des travailleurs et de commencer à établir démocratiquement un plan de production. Cela ne s’est pas produit.
Au contraire, le processus de décision « du haut vers le bas » et l’approche administrative et bureaucratique continue de caractériser l’administration Chavez. Les nationalisations et l’introduction de la cogestion dans quelques usines sont un exemple de cette approche. Alors que les travailleurs ont pu pour la première fois donner leur avis sur la manière dont leur entreprise est dirigée, le gouvernement a tenter de garder le contrôle de ce processus en nommant la majorité des directeurs. A chaque fois qu’un conflit s’est développé entre des syndicalistes indépendants de l’UNT et des ministres du gouvernement ou la bureaucratie, le gouvernement a imposé sa volonté. Chavez a menacé ces syndicalistes en disant qu’il n’était pas en faveur de l’indépendance des syndicats et qu’ils devraient tous rejoindre le nouveau parti, le PSUV.
Chavez a déclaré à plusieurs reprises que le PSUV doit être construit comme une organisation démocratique, c’est-à-dire construit et contrôlé par la base. Cependant, il a continué à insister sur le fait que les partis de la coalition pro-Chavez devraient se dissoudre et rejoindre le PSUV. Les partis qui ont refusé de se plier à ce mot d’ordre ont été isolés et parfois qualifiés de pro-opposition, même quand ce n’était clairement pas le cas, comme avec le Parti Communiste du Venezuela. Maintenant que des sections locales ont été installées et que les délégués ont été élus pour la conférence de fondation, il est clair que cette conférence sera contrôlée du dessus par les politiciens venus des autres partis pro-Chavez.
Cette approche de haut en bas est un avantage pour l’opposition, qui affirme que Chavez veut installer un régime de parti unique suivant le modèle cubain. Ces accusations ont commencé à recevoir un écho plus large en raison de la bureaucratisation et de la corruption de l’entourage de Chavez et des craintes de l’imposition d’une « dictature rampante ».
D’autres actions, comme le retrait de la licence de RCTV (une station de télévision pro-opposition qui avait notamment joué un rôle lors du coup d’Etat contre Chavez en 2002), ont également été des éléments sur lesquels l’opposition a pu jouer en lui permettant d’augmenter les craintes de la classe moyenne et d’autres personnes envers la menace d’atteintes à la démocratie et aux droits démocratiques. « L’affaire RCTV » a été une opportunité utilisée par l’opposition pour se regrouper et se réorganiser. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (parti révolutionnaire international auquel le MAS/LSP est affilié, NDLR) avait averti de ce danger dans un article « RCTV et la question des médias » en juillet 2007.
Et maintenant?
Le résultat du référendum est un coup pour le gouvernement Chavez. Ce n’est toutefois pas une défaite décisive et cela ne signifie pas que l’opposition pro-USA va pouvoir prendre les commandes du pays ou renverser immédiatement le gouvernement. Mais les conséquences peuvent être que Chavez va se déplacer vers la droite en renforçant la contre-révolution. Mais si la droite tente d’aller à l’offensive, cela pourrait provoquer une confrontation durant laquelle les masses pourraient conduire le mouvement encore plus loin vers la gauche.
La défaite lors de ce référendum va renforcer et encourager la droite contre-révolutionnaire, c’est un avertissement sérieux à la classe ouvrière et aux masses. Des mesures d’urgence doivent être prises. Une campagne décisive contre la bureaucratie doit être lancée. Le syndicat doit prendre la direction en établissant des comités démocratiquement élus dans les lieux de travail et les quartiers pour mettre en avant les revendications des travailleurs et appuyer la campagne contre la bureaucratie. Ces comités pourraient commencer à organiser une force contre les institutions d’Etat corrompues en établissant un véritable système de contrôle des travailleurs dans les entreprises. La classe ouvrière doit pousser ses propres exigences de manière indépendante et établir ses propres organisations capables de défendre les travailleurs et les réformes du gouvernement.
Il ne peut y avoir aucun socialisme sans nationalisation des secteurs-clés de l’économie et sans que l’économie ne soit sous le contrôle direct des travailleurs. Il ne peut y avoir aucun socialisme sans démocratie des travailleurs. Ce récent recul subi par Chavez illustre que c’est à la classe ouvrière et à ses organisations de jouer le rôle central dans la lutte pour défaire la réaction et instaurer le socialisme.
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Vénézuela. Où est la voie vers le socialisme?
Au Vénézuela, chaque coin de rue est témoin de discussions enthousiastes sur la manière d’avancer vers le socialisme. Parmi les masses vénézuéliennes, une haine formidable contre le néolibéralisme et à l’impérialisme mène à la recherche d’alternatives. Chavez vient de se dire « trotskiste » et partisan de la théorie de la révolution permanente. Il appelle cependant dans la foulée les capitalistes vénézuéliens à soutenir la révolution…
Luc Janssens
Marge pour les concessions
Lors de sa prestation de serment après sa réélection en décembre dernier, Chavez ne s’est pas seulement déclaré trotskiste. Il a également annoncé la possibilité de nationaliser des secteurs-clés de l’économie, dont la plus grande société d’électricité privée, Electricidad de Caracas, et l’entreprise de télécommunication CANTV. Il a aussi avancé la nécessité de la création d’un « parti socialiste unifié du Vénézuela”, afin de réunir les forces de la révolution.
Grâce aux prix élevés atteints par le pétrole ces dernières années, Chavez a disposé d’une marge de manoeuvre pour introduire des réformes progressistes comme les programmes d’aide aux plus pauvres, entre autres dans l’enseignement, les soins de santé et l’alimentation. Cependant, 25 % de la population vit toujours avec moins d’un dollar par jour, tandis que les 10 % les plus riches représentent 50 % du revenu national.
C’est la pression des masses vénézuéliennes qui a forcé Chavez à introduire cette série de mesures. Il parle régulièrement de la nationalisation des secteurs-clés, mais les paroles sont plus radicales que les actes. De même, dans le secteur pétrolier, si 84 % des bénéfices allaient avant au secteur privé, celui-ci en conserve encore toujours actuellement 70%. Les contrats pour les multinationales sont plus sévères, mais elles continuent à empocher la majeure partie des bénéfices au détriment de la collectivité.
La base veut aller plus loin
L’entreprise de télécom CANTV figure en haut de la liste des entreprises à exproprier et à nationaliser. Depuis plusieurs mois, une lutte très énergique se développe dans cette entreprise où les travailleurs exigent la nationalisation sous contrôle ouvrier. Des luttes similaires se déroulent ailleurs.
L’enthousiasme pour les réformes de Chavez est très grand parmi de larges couches de la société. Mais il existe également une méfiance face à la bureaucratie qui domine le mouvement « chaviste » et qui s’enrichit sur base de la corruption. C’est sur base de ce constat que Chavez avait déclaré qu’il fallait un Parti Socialiste Unifié (PSUV) qui puisse être construit d’en bas avec des structures démocratiques. Mais les discussions semblent plutôt se restreindre à une couche supérieure sans la participation active des masses.
Parti Socialiste Unifié?
Chavez a mis sur pied un comité visant à promouvoir ce parti parmi les travailleurs et dans les quartiers les plus pauvres. Mais trois des petits partis pro-Chavez ont refusé de se dissoudre au sein du PSUV, ce qui a été un premier camouflet pour Chavez. Parmi les forces plus importantes, à côté des deux partis plus à droite au sein du camp de Chavez, le parti communiste ( PCV) a, lui aussi, décidé de ne pas se dissoudre au sein du PSUV. La possibilité qu’une participation active de la base et une vie démocratique se développent dans le nouveau parti est encore incertaine.
Rompre avec le capitalisme
Les concessions du gouvernement vénézuélien aux plus pauvres sont des mesures importantes qui montrent le chemin à suivre. Mais afin de sauvegarder ces mesures progressistes, il faudra une rupture avec le capitalisme. Sinon, l’espace sera laissé au développement de la contre-révolution.
Chavez et son régime « bolivarien » soulèvent des espoirs gigantesques, pas seulement au Venezuela d’ailleurs, mais pour l’ensemble du continent sud-américain et à travers le monde. Lors de sa récente tournée en Amérique Latine, Bush s’est partout heurté aux protestations tandis que Chavez a pu jouir d’une adhésion toujours plus importante dans sa tournée, entre autres lors de sa visite en Argentine.
Les masses connaissent la différence entre Bush, le guerrier impérialiste, et Chavez qui a introduit une série de mesures pour les travailleurs et le peuple. La bourgeoisie, en revanche, a peur de l’exemple vénézuélien et de la radicalisation qui peut pousser le régime encore plus loin. L’élite vénézuélienne, avec le soutien de l’impérialisme américain, essaiera d’annuler les réformes et de rétablir son contrôle total sur la société.
Plusieurs fois déjà, les masses vénézuéliennes se sont révoltées contre la bourgeoisie, notamment durant le coup d’Etat soutenu par les Etats-Unis. Mais si une rupture avec le capitalisme ne survient pas, il y aura de nouvelles tentatives pour rétablir la situation antérieure.
Face à cela, la participation active et massive des travailleurs et des pauvres au débat politique est un élément crucial. Les masses auront besoin de leurs propres organes, mais aussi d’un programme politique qui permette l’accomplissement du processus révolutionnaire avec la destruction du capitalisme et la construction d’une société socialiste. C’est ce que défend Socialismo Revolutionario, notre organisation-soeur au Vénézuela.
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Vénézuela : « Si il n’y a pas encore eu de révolution, on l’aperçoit cependant à l’horizon ».
Interview de Johan Alexander Rivas Vasquez, membre de "Socialismo Revolucionario", la section vénézuelienne du Comité pour une Internationale Ouvrière auquel est affilié le MAS/LSP. Il est le porte-parole du syndicat SIRTRASALUD à l’hôpital "El Agodonal", le plus grand hôpital de Caracas (capitale du Vénézuela).
AS : Quels effets a eu l’élection de Hugo Chavez au poste de président pour la population pauvre ?
JARV : Les projets du gouvernement, les "missions", ont rendu possible l’accès à l’enseignement et à l’assistance médicale à un tas de personnes pauvres ou de conditions modeste. Un programe d’étude a permi à des millions de personnes d’apprendre à lire et à écrire. Dans ce secteur, il a apporté beaucoup : bien plus de jeunes finissent l’école avec un diplôme et les privatisations dans le secteur educatif ont été stoppées.
Mais dans d’autre secteurs aussi, son apport peut se sentir. Par exemple, depuis la "grève des entrepreneurs" contre Chavez en 2002 (qui a eu comme conscéquence une augmentation des prix alimentaires et la pénurie de certains aliments), l’Etat subventionne des supermarchés alternatifs qui sont beaucoup moins cher. Mais malgré ces améliorations, la pauvreté persiste encore, comme au "Petare" à Caracas, qui est le deuxième plus grand bidonville d’Amérique Latine.
AS : Dans son serment, Chavez a parlé de la mise en place du socialisme au Vénézuela et de nationalisations. Comment vois-tu ça?
JARV : Chavez est très fortement en conflit avec les riches, les capitalistes. Les supermarchés alternatifs que j’ai déjà mentioné sont aussi une réponse au fait que le marché alimentaire est aux mains de trois familles ulrapuissantes.L’opposition de droite est faible pour l’instant, mais elle va à nouveau tenter de faire tomber Chavez.
En ce qui concerne les nationalisations, nous devons attendre de voir si Chavez va mettre en pratique ses promesses, notamment pour l’entreprise de communication mobile CANDV, qui a été précédemment privatisée.
Chavez a déjà annoncé plusieurs fois la nationalisation de cette entreprise, mais n’a rien fait jusqu’à présent. Au Vénézuela cependant, l’idée du socialisme est fort présente et on parle d’un "pocessus de développement révolutionnaire". Quelque chose est en mouvement dans la societé. Si pour l’instant une révolution pour accéder à un autre système n’a pas eu lieu, on l’aperçoit cependant à l’horizon.
AS : Dans ses dernières déclarations, Chavez parle même de la formation d’un "parti de la révolution".
JARV : En fait, les partis du parlement qui supportent Chavez et qui forment le gouvernement se sont montrés favorables à intégrer ce nouveau parti. L’avenir nous montrera si ce nouveau parti sera seulement un rassemblement des partis gouvernementaux dans un bloc plus homogène et plus structuré ou si des militants du mouvement y entreront.
AS : Et sur les lieux de travail ?
JARV : A l’hôpital où je travaille, nous sommes actifs dans le SIRTRASALUD, qui s’est uni à la nouvelle fédération syndicale UNT. Dans beaucoup d’entreprises, les ouvriers s’activent, créent des groupes syndicaux et se battent pour leurs droits.
Souvent, ils doivent lutter contre l’appareil de la bureaucratie. Un exemple : dans l’entreprise pharmaceutique Russel, quelques collègues ont fondé un syndicat et ont été licenciés. Peu après, Rusel fut fermée. Ce sont surtout de jeunes travailleurs qui s’organisent : dans la plupart des groupes syndicaux, les membres du conseil dirigeant ont entre 20 et 40 ans.
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Venezuela, un an après le référendum. Quels dangers menacent la révolution maintenant?
Il y a un peu plus d’un an, le 15 août, le référendum visant l’éjection du président vénézuélien Chavez fut un échec retentissent grâce à la mobilisation des masses vénézuéliennes, particulièrement dans les villes-ghetto, à travers les « unités de combat » électorales et d’autres organisations de la révolution « Bolivarienne ». Cette défaite a ouvert une nouvelle phase dans le processus révolutionnaire. Mais comme Christine Thomas l’explique : même si les forces de l’opposition ont été sévèrement affaiblies, la menace de la contre-révolution subsiste.
Christine Thomas
L’élection de Chavez en temps que président en 1998 a représenté un rejet massif de la part des pauvres, des travailleurs et de certaines parties de la classe moyenne de la politique néo-libérale vicieuse orchestrée par l’establishment corrompu de la « quatrième république ». Son populisme anti-impérialiste/anti-néolibéral a radicalisé les couches les plus pauvres de la société vénézuélienne. Ils ont vu en Chavez un leader politique qui les représentait et qui parlait pour eux, plutôt que ces riches oligarques qui dilapidaient les richesses pétrolières : les laissant sombrer plus profondément dans la pauvreté. Sa victoire a créé l’espoir que leurs besoins désespérés d’emplois décents, de soins de santé, d’enseignement et de logements trouveraient enfin une solution. La classe dirigeante vénézuélienne et l’impérialisme américain, de l’autre côté, craignent que les masses déchaînées et radicalisées puissent exiger des mesures plus radicales, se mettent en mouvement dans une direction qui menacerait leurs intérêts. L’impérialisme américain, en particulier, craint l’instabilité dans un pays qui lui fournit 15% de ses besoins en pétrole. Le référendum de l’an dernier était la troisième tentative majeure par la classe dirigeante vénézuélienne, soutenue par l’impérialisme américain, pour éjecter Chavez et écraser toute menace potentielle que le mouvement pourrait poser au Venezuela et partout ailleurs en Amérique latine. Mais toutes les tentatives contre-révolutionnaires (le putsch du 11 avril 2002, le lock-out patronal de deux mois, la tentative de sabotage économique à la fin de la même année et enfin le référendum) ont été bloquées par l’action de masse des pauvres et des travailleurs qui se sont d’avantage radicalisés et dont les espoirs se sont largement développés.
Dans la période post-référendum, le rapport de force a temporairement glissé en faveur des masses. Les forces de l’opposition (l’élite financière, les partis politiques et leader syndicaux corrompus, l’église catholique, etc.) sont sorties de ces défaites divisées et démoralisées. Chavez, lui-même, a cherché initialement un arrangement avec l’opposition en leur demandant de travailler avec lui à la reconstruction du pays. Mais sous la pression des travailleurs et des pauvres, il s’est d’avantage radicalisé décrivant la révolution bolivarienne pour la première fois comme « socialiste », amorçant une réforme agraire et parachevant les premières nationalisations du régime. Au même moment, il a durci sa rhétorique anti-impérialiste, anti-US et ses actions dans la région.
Ce tournant à gauche a alarmé la classe capitaliste vénézuélienne et l’impérialisme américain. Ils craignent que les masses, voyant leurs espoirs croître, puissent pousser Chavez dans une direction encore plus radicale, minant leur contrôle économique. Puisque jusqu’à présent, les timides tentatives du régime Chavez avaient laissé ce contrôle largement intact. L’administration américaine a récemment attaqué Chavez au vitriol en l’accusant de soutenir le terrorisme en Colombie et de fomenter des révoltes en Bolivie, en Equateur et partout en Amérique Latine. La secrétaire d’Etat américaine, Condoleeza Rice a décrit Chavez comme « une menace majeure pour la région entière ». Les relations économiques croissantes avec Cuba de Chavez, dans lesquelles le Venezuela fournit de l’essence à bas prix en retour de médecins cubains etc, ont effectivement brisé l’embargo américain de l’île, lançant une bouée de sauvetage économique tellement nécessaire depuis la chute de l’Union Soviétique qui était son principal appui économique. Chavez est également vu comme un obstacle dans la stratégie américaine qui vise à faire de la Colombie une base de défense des intérêts US en Amérique Latine. Plus important : Chavez a cherché des marchés internationaux alternatifs pour l’essence vénézuélienne, signant des contrats avec la Russie, la Chine, l’Iran autant que d’autres pays latino-américain. Il a menacé d’exercer des représailles contre n’importe quelle agression US en coupant l’approvisionnement en pétrole et au cours de la conférence internationale de la jeunesse à Caracas au mois d’août, il a déclaré que le marché nord américain n’était pas vital pour le Venezuela. Bien qu’une bonne partie de cette rhétorique soit anti-impérialiste, confrontée à une situation déjà instable en Irak et au Moyen-Orient, l’impérialisme américain veut s’assurer que son approvisionnement en pétrole du Venezuela n’est pas menacé. Mais la marge de manœuvre de l’impérialisme US est actuellement limitée. Une combinaison de la faiblesse de l’opposition et des revenus énormes du pétrole à la disposition de Chavez pour financer les réformes sociales profitables aux pauvres (sa principale base sociale) signifie que la situation entre les forces en présence est dans une impasse et que cette situation pourrait être maintenue pour un moment.
Une invasion directe du Venezuela, comme en Irak, est hors de propos pour le moment. L’Irak a montré les limites de l’hégémonie américaine. Même si la capacité militaire américaine n’était pas déjà dépassée, une invasion du Venezuela serait extrêmement risquée, déclenchant une vague de résistance qui pourrait embraser l’ensemble des Amériques. L’impérialisme américain a donc été forcé à poursuivre dans une approche moins directe, reposant sur un travail dans l’opposition vénézuélienne et dans les forces réactionnaires en Colombie. En décembre de l’an dernier, les forces colombiennes en conjonction avec des sections des forces de sécurité vénézuéliennes sont intervenues directement au Venezuela pour kidnapper un leader de la guérilla FARC, donnant une indication claire de la manière dont ils pouvaient être utilisés pour créer la peur et l’instabilité à l’intérieur du pays. Il n’y a aucun doute sur le fait que certaines parties de l’administration américaine soutiennent l’appel du chrétien fondamentaliste de droite Pat Robertson à l’assassinat ou au kidnapping de Chavez pour amener un « changement de régime » au Venezuela (de telles actions ne peuvent être totalement écartées). Mais chaque mouvement réactionnaire a jusqu’ici donné une impulsion de gauche au processus révolutionnaire et chaque action prématurée pourrait pousser les masses dans une direction encore plus radicale.
Les parties les plus sérieuses et réfléchies de l’opposition ont donc tiré la conclusion que, après avoir été vaincus à chaque étape par le soutien à Chavez dans la masse de pauvres radicalisés, pour le moment ils n’ont d’autre choix que d’apprendre à « coexister » avec lui. Avec l’équilibre actuel des forces, chaque étape ouvertement contre-révolutionnaire dans le court terme, après celles qui ont été déjà tentées, risque d’accroître la radicalisation du mouvement et de provoquer des mesures qui pourraient menacer d’avantage leur contrôle de l’économie et l’appareil d’état. « Nous devons mordre la poussière de la défaite », a dit le gouverneur de l’état de Zulia quelques jours après le référendum. « Les deux Venezuela doivent se réconcilier, le Venezuela ne peut continuer dans le conflit », a déclaré le patron de Fedecamaras (principale organisation patronale).
En dépit de l’adoption d’un ton anti-Chavez moins strident, l’administration US semble poursuivre une stratégie à long terme d’épuisement du processus révolutionnaire et préparer un rapport de force qui leur serait plus favorable, avant de lancer des actions de plus grande ampleur contre Chavez.
Mais malgré cela, sans un mouvement décisif de la classe ouvrière et des pauvres vers une cassure avec le capitalisme et d’établissement d’un état ouvrier démocratique, la contre-révolution réussira par un moyen ou un autre à se ré-affermir. Cela pourrait venir sous une forme extra-parlementaire, un futur putsch victorieux, comme c’est arrivé au Chili en 1973, ou une contre-révolution électorale « démocratique » comme au Nicaragua en 1990. Cette victoire sous n’importe quelle forme signifierait un désastre pour les masses vénézuéliennes. La classe ouvrière vénézuélienne et les pauvres sont confrontés à une tâche urgente, utiliser ce « temps de respiration » pour construire un parti révolutionnaire qui peut fournir un programme qui pousserait le gouvernement en avant et complèterait la révolution socialiste.
Electoralement, les forces de l’opposition au Venezuela ont été complètement divisées entre une partie qui défendait l’abstention et l’autre qui contestait les élections. Où ils sont restés, ils ont subit défaites sur défaites. Après les élections d’octobre de l’an dernier, ils ne contrôlent plus que deux des 23 états que compte le pays et ont de plus perdu le contrôle de Caracas, la capitale. Aux élections locales et municipales, qui se sont tenues le 7 août de cette année, ils ont obtenu moins de 20% des sièges.
Le principal quotidien vénézuélien, détenu par des opposants de droite qui ont soutenu unanimement les forces de la réaction à chaque étape, a publié des articles commémorant l’anniversaire du référendum. Ils se sont concentrés sur ce qu’ils considèrent comme le besoin désespéré pour l’opposition « démoralisée, désorientée, manquant de direction » (El Nacional) de s’unir pour fournir une alternative électorale crédible aux « chavistas ». Avec les élections parlementaires attendues pour la fin de l’année et les élections présidentielles en décembre 2006, l’opposition se prépare à de futures défaites électorales.
Chavez lui-même caracole à 70% d’approbation dans les sondages (l’un des taux les plus hauts de sa présidence). Durant le festival international de la jeunesse, il a parlé confidentiellement de rester en politique jusqu’en 2030 ! Sa confiance a été boostée par les victoires électorales et par le prix élevé du pétrole sur le marché mondial. Le pétrole représente 85% des exportations vénézuéliennes, un quart du PIB et plus de la moitié des revenus du gouvernement. En 2004, les exportations de pétrole ont généré un revenu de 29$ milliards, pour 22$ milliards en 2001 et la somme semble fortement augmenter cette année. Cette énorme aubaine réalisée par le pétrole a permis à Chavez de maintenir et d’accroître les dépenses des « misiones », les programmes de réformes sociales de bien-être qui ont été démarrées en 2003 et largement orientées vers les plus pauvres. Les avantages de ces réformes sont clairement visibles dans les rues des zones les plus pauvres de Caracas. Une superbe nouvelle clinique ou un supermarché d’état Mercal (Mercado de Alimentacion) qui vend de la nourriture de base subsidiée qui se distinguent facilement des immeubles et des infrastructures en ruine des « barrios », les bidonvilles vérolés de pauvreté situés à deux pas de zones d’opulence comme Altamira où vit l’élite.
Selon les chiffres du gouvernement, 300.000 Vénézuéliens ont surmonté l’analphabétisme (9% des plus de dix ans), deux millions vont à l’école primaire, secondaire et supérieure, et 17 millions ont maintenant accès aux soins de santé de première nécessité grâce aux « misiones ».
Malgré ces améliorations sociales visibles, une pauvreté noire pourrit encore la vie de millions de Vénézuéliens. 60% des ménages étaient pauvres en 2004, pour 54% en 1999. Même si l’état contrôle les prix de la nourriture de base, l’inflation grimpe à 15-20% et qu’un Vénézuélien sur deux ne dispose pas d’un logement adéquat. Selon un sondage d’opinion récent, le chômage est le problème principal dans la société. Il y a eu des améliorations dans les boulots, à travers des initiatives comme « Vuelvan Caras » , le plan d’état de création d’emplois, principalement dans les coopératives et dans les petites entreprises. Mais 14% de la population reste toujours sans emploi et des millions de personnes sont toujours confrontées à l’insécurité et à l’exploitation dans le secteur informel (comme les vendeurs de rue, les chauffeurs de taxi, etc.).
Si cela est la situation de la majorité des travailleurs et des pauvres au Venezuela alors que le prix du pétrole est à un niveau si élevé, il est clair que les espoirs des masses ne pourront se concrétiser dans le cadre du capitalisme. Le magazine britannique de droite The Economist résume clairement la situation lorsqu’il écrit : « quand les revenus du pétrole chuteront, tombera dans un enfer de récession et d’inflation »(25 août 2005).
C’est ce qui est arrivé au Nicaragua. Après la révolution de 1979 qui avait éjecté le dictateur détesté Somoza, les Sandinistes avaient le contrôle de l’appareil d’état. Ils ont nationalisé jusqu’à 40% de l’économie, mais le reste est resté dans les mains de la classe capitaliste qui a utilisé son contrôle économique pour saboter l’économie. Combiné avec la guerre des contras, subventionnée par l’impérialisme US, l’économie plongea dans une crise avec une inflation qui explosa jusqu’à 3600% et un niveau de vie qui périclita de 90% !
A cause de la démoralisation des masses due à la crise économique, la droite vainquit les Sandinistes aux élections présidentielles de 1990 et poursuivit depuis lors une politique néo-libérale vicieuse à l’encontre des travailleurs et des pauvres nicaraguayens. Si la classe ouvrière au Venezuela n’exproprie pas les monopoles restés dans les mains des capitaliste vénézuéliens et étrangers, si elle n’applique pas une planification de la production sous contrôle démocratique, la crise économique et l’incapacité à satisfaire les besoins des masses mèneront à la démoralisation et à la démobilisation du mouvement, balisant la route pour une victoire de la réaction. Cela serait alors utilisé pour ouvrir une nouvelle ère de répression brutale, en vue de recouvrir un contrôle total de l’économie et de l’état, avec bien sûr une atomisation des organisations et des droits de la classe ouvrière.
Le haut taux d’abstention (70%) dans les élections locales et régionales du mois d’août représente un avertissement pour le futur. Il est vrai qu’historiquement le taux de participation aux élections locales vues comme en dehors des préoccupations de la plupart des Vénézuéliens a toujours été bas. Une partie de l’opposition appelait également les gens à ne pas voter. Malgré cela, le niveau d’abstention dans les zones pro-Chavez était très élevé alors qu’il avait lui-même souligné l’importance, pour ses partisans, de se mobiliser en masse. Bien que le taux de participation soit susceptible d’être beaucoup plus haut dans des élections parlementaires et présidentielles, des signes de mécontentement commencent à arriver à l’encontre des troupes du mouvement bolivarien. Des activistes étaient mécontents du remplacement bureaucratique de candidats de base par des candidats inconnus des gens des communautés locales. Lors des élections d’octobre de l’an dernier pour le mayorat et le gouvernement d’état, des candidats dissidents se sont présentés contre les candidats officiellement chavistes. Dans les élections locales, des partis pro-Chavez perçus comme plus « radicaux » comme le Parti Communiste Vénézuélien et le mouvement Tupamaros ont augmenté leur nombre de votes dans certaines régions. Le mécontentement, où il existe, ne vise pas principalement Chavez, qui bénéficie encore d’une autorité et d’un soutient immense dans les masses, mais plutôt la bureaucratie qui l’entoure, perçue comme une cassure avec les réformes radicales que ce soit à travers l’inefficacité, la corruption ou le sabotage conscient. Une femme qui protestait contre les actions d’un leader dans l’état de Anzoategui a résumé le sentiment d’une couche d’activistes lorsqu’elle a dit : « Président, ouvrez les yeux… beaucoup de ceux à vos côtés sont en train de vous décevoir. Ecoutez la voix du peuple »(El Nacional).
La direction du mouvement bolivarien est extrêmement hétérogène. Pour parler franchement, une aile est plus en contact avec les masses et reflète l’atmosphère qui y règne, il y a donc une pression pour qu’elle continue les réformes radicales. L’autre aile, réformiste et pro-capitaliste, dont certains membres ont des contacts avec les forces de l’opposition, essaye à chaque étape de retenir le mouvement et de l’empêcher d’aller dans une direction plus radicale. Ces divisions se sont aiguisées depuis la défaite du référendum. Chavez lui-même a balancé entre ces différentes forces de la société. Sa prise de position la plus récente à « gauche » a été une réponse à la demande d’actions plus radicales de la part des masses. Il a signé un décret nationalisant VENEPAL (l’entreprise de papier en faillite), par exemple, après que les travailleurs aient lancé une lutte déterminée en conjonction avec la communauté locale en occupant l’usine et en demandant sa nationalisation. Depuis janvier, Chavez a qualifié la révolution bolivarienne de socialiste, ceci représentant un développement significatif. La question du socialisme commence à s’ancrer dans la conscience d’une partie des étudiants, des travailleurs et des pauvres. Dans un récent sondage organisé par l’ « Instituto Venezolano de Analisis de Datos », 47,8 % des personnes interrogées déclaraient qu’elles préfèreraient un gouvernement socialiste alors que seulement 22,7% opteraient pour un gouvernement capitaliste.
Mais Chavez n’a pas une idée claire sur ce qu’ il veut dire par socialisme ni sur la manière d’y arriver. Il parle vaguement de « socialisme au 21ème siècle » qui serait un ‘nouveau type’ de socialisme et il a aussi appelé à son peuple à se débarrasser des vieux préjugés concernant la signification du socialisme. On pourrait interpréter cela comme un rejet du stalinisme. Mais en même temps, Chavez est en train de renforcer ses liens économiques et diplomatiques avec Fidel Castro à Cuba. Il complimente le merveilleux service de santé cubain, dont beaucoup de vénézuéliens sont en train de profiter grâce aux docteurs cubains travaillant au Venezuela, grâce à la formation de docteurs vénézuéliens et aux patients qui sont envoyés à Cuba pour des opérations. Mais en fait Chavez n’est pas critique du tout sur la nature bureaucratique du régime cubain et sur l’absence de véritable démocratie ouvrière.
Chavez pourrait-il devenir un « second Castro » comme le craingnent une partie de la classe dirigeante vénézuélienne et l’impérialisme américain ? Théoriquement une telle perspective ne pourrait pas être complètement exclue. Arrivé au pouvoir en 1959, Castro n’a pas décidé consciemment de nationaliser l’économie cubaine mais il a pris cette direction en réaction au blocus US et à la pression des masses cubaines. Mais vu que la classe ouvrière n’était pas consciemment à la tête de la révolution, le résultat fut la création d’un état ouvrier déformé, où le capitalisme et le féodalisme ont été éliminés mais où la société était toujours contrôlée du sommet vers le bas par une caste bureaucratique. Le contexte international actuel, après la chute de l’ Union Soviétique, est très différent du temps de la révolution cubaine quand Cuba était soutenu matériellement par la bureaucratie soviétique et ce pour des raisons stratégiques. Quoiqu’il en soit, il n’est pas inconcevable que les masses du Venezuela puissent spontanément prendre possession des usines et de la terre, forçant ainsi Chavez à nationaliser de larges pans de l’économie. Mais un tel régime serait extrêmement instable.
La révolution serait très certainement vaincue à un certain moment par les forces de la réaction sauf si la classe ouvrière est consciente du rôle qu’elle a à jouer, non seulement en expropriant la classe capitaliste, mais aussi en formant des comités élus démocratiquement qui pourraient faire tourner l’industrie, mettre en place un plan démocratique de production et créer les bases pour un Etat ouvrier dont le programme serait capable d’élargir la révolution à l’Amérique latine et internationalement. C’est pourquoi la lutte pour une véritable ‘politique étrangère’ internationale de la classe ouvrière est si importante aujourd’hui ; soutenant, par exemple, des liens économiques avec Cuba mais utilisant cela pour encourager une réelle démocratie ouvrière au sein du pays et pour étendre la révolution internationalement comme le seul réel moyen de défendre ces acquis qui ont déjà été obtenus.
La réaction de Chavez à de futurs évènements aura bien sûr un gros impact sur la façon dont les développements se déroulent, particulièrement dans une situation de ralentissement économique. Pour le moment il est en train de répondre d’une façon limitée à la radicalisation des masses et il pourrait aller plus loin dans cette direction. Malheureusement, il y a de nombreux exemples de dirigeants honnêtes qui malgré leur bonnes intentions, une fois confrontés avec la ‘logique’ du marché capitaliste qui se sont mis à réprimer les ‘demandes excessives’ des travailleurs.
Dans une situation où d’autres options sont trop risquées, une partie de la classe capitaliste du Venezuela s’appuie sur le mouvement de l’aile pro-capitaliste pour freiner les réformes radicales et pour être potentiellement capable de reprendre les acquis de la classe ouvrière et des masses pauvres. Ils préparent ainsi la voie pour une défaite du processus révolutionnaire et pour la victoire de la contre-révolution.
Il est vrai qu’ils n’ont pas la même autorité au sein de la classe ouvrière et des masses pauvres qu’avaient les sandinistes au Nicaragua après la révolution de 1979 ou qu’avaient les partis socialistes et communistes au Portugal en ’75. Quoiqu’il en soit, si la classe ouvrière n’achève pas complètement la révolution au Venezuela et que la démoralisation s’installe, cette aile pourrait jouer un rôle important en freinant le mouvement et posant les bases pour le triomphe de la réaction capitaliste. Leur façon de définir le socialisme est relativement claire – une économie « mixte » où quelques compagnies d’états et coopératives existent mais dans laquelle les leviers économiques principaux restent dans les mains de la classe capitaliste du Venezuela et étrangère. Chavez parlait récemment d’enquêter sur l’éventuelle expropriation de 136 à1149 entreprises. Mais en réalité toutes ses compagnies étaient en faillite, fermées ou en passe de le devenir. Le ministre de l’industrie a éclairci cette position en déclarant que la nationalisation ne prendrait place que dans des « cas extrêmes », qu’il n’y aurait pas de « vagues d’expropriations » et que les firmes capitalistes ainsi que la « production sociale » pouvaient coexister. De même, la redistribution de 13 000 hectares de terres appartenant au Lord Vesty marquait un pas en avant dans la réforme agraire alors qu’auparavant, seule la terre appartenant à l’Etat avait été redistribuée aux pauvres des campagnes. Mais à ce stade, le gouvernement n’envisage de distribuer que de la « terre non fertile ».
Quoiqu’il en soit, 158 paysans ont été tués depuis 2000 quand la loi sur la terre a été votée, démontrant que même face à des réformes limitées, les grands propriétaires terriens résisteront brutalement, aidés dans certains cas par les paramilitaires de droite Colombiens.
Utilisant un langage révolutionnaire, les coopératives sont présentées comme l’embryon de la société socialiste. 79000 coopératives ont été créées les 6 dernières années, majoritairement dans le secteur des services et de l’agriculture. Elles ont eu un certain effet dans la réduction du chômage, qui ne pourra être que temporaire. Ces coopératives sont toujours complètement dans le marché capitaliste avec des compagnies privées et seront dévastées par la crise économique. Beaucoup de ces coopératives en réalité fonctionnent comme des compagnies privées, exploitant la force de travail et dénigrant les droits des travailleurs. Il y a de nombreux exemples d’employeurs privés qui « déguisent » leur entreprise en coopérative afin de recevoir des subsides de l’Etat. En même temps, Chavez encourage « le co-management » des industries d’Etat ainsi que des industries privées. « Ceci est la révolution. Ceci est le socialisme », voilà ce qu’il déclara récemment quand il fit crédit à des taux d’intérêt bas à des patrons de petites entreprises privées qui acceptaient d’introduire des représentant des travailleurs dans les conseils d’administration de leur compagnie.
Une fois de plus, le ministre de l’industrie utilise clairement cette cogestion, ou participation ouvrière, comme une collaboration de classes pour tromper les travailleurs, augmenter l’exploitation et booster les profits de la classe capitaliste, comme cela a été fait dans des pays comme l’Allemagne. Il déclara : « Il y a une interprétation faussée de ce que signifie la cogestion ». « L’idée est de faire participer les travailleurs à la gestion de l’entreprise, non pas de leur en laisser le contrôle, mais plutôt d’aider à éviter des tensions et des contradictions inutiles. » (El Nacional).
Chavez, ne voulant pas se confronter à l’économie capitaliste et au pouvoir d’Etat, met en application des contrôles partiels et essaie d’éviter les structures économiques existantes et l’appareil d’Etat. Donc par exemple, en plus des coopératives, il a créé une compagnie aérienne d’Etat, une compagnie de téléphone d’Etat, une station télé d’Etat, et des supermarchés d’Etat vendant des produits basiques jusqu’à 30 % moins chers que dans le secteur privé. Tout ça avec l’intention de rivaliser avec les monopoles privés.
Ces mesures partielles comme les contrôles des prix sur les aliments de base et les contrôles sur les échanges, servent à rendre la bourgeoisie furieuse, et à augmenter leur détermination à éviter les futurs empiètements sur leur pouvoir économique et sur l’état.
En même temps, en laissant les grandes entreprises monopolistiques, les banques et les institutions financières, les journaux, etc… dans les mains du privé, il est impossible de planifier démocratiquement l’économie afin d’assouvir les besoins des masses. De plus, la classe dirigeante reste capable de saboter l’économie et de miner le mouvement. Il y a eu une certaine réorganisation du personnel au sommet de l’armée, de la justice, du collège électoral et d’autres institutions d’Etat, mais , sans des élections et le droit de révocation de tous ceux qui ont une position dans l’appareil d’Etat, ainsi que l’existence d’un parti socialiste de masse contrôlant constamment l’Etat, de nouveaux points de soutien à la réaction capitaliste peuvent être générés, même au sein de ceux qui soutiennent Chavez aujourd’hui.
La classe capitaliste fera clairement tout ce qu’elle peut pour abattre toutes les mesures qui ont été introduites à la demande des masses. Ils utilisent les médias et font pression sur l’aile pro-capitaliste du gouvernement de Chavez pour poursuivre des politiques sociales et économiques plus « réalistes », afin de conquérir les 4 millions de personnes qui ont voté contre Chavez lors du référendum pour sa révocation et afin de ne pas effrayer les investisseurs étrangers. Chavez a lui même encouragé des joint ventures entre du capital étranger et la compagnie pétrolière d’Etat PDVSA. En fait, les multinationales comptent déjà pour plus ou moins 50 % de la production pétrolière au Venezuela, pendant que la production de la PDVSA a, elle, diminué de moitié depuis l’ élection de Chavez, en ’98. Il est vrai que même un Etat ouvrier sain pourrait être forcé de signer des accords économiques et de commerce avec des pays capitalistes ou des compagnies étrangères si la propagation de la révolution internationale était temporairement retardée. Mais cela serait fait sur base d’un plan démocratique de production, d’un monopole d’Etat des exportations et d’une politique consciente d’élargissement de la révolution en appelant la classe ouvrière internationalement.
Maintenant, en partant d’une politique de préservation du capitalisme, des accords sur des investissements étrangers et sur les commerces seront utilisés pour miner et faire dérailler la révolution. Il y eut un nouvel avertissement quand Chavez a récemment accepté un accord commercial de vente d’armes avec le gouvernement espagnol, le ministre des affaires étrangères de celui-ci, défendant l’accord en réponse aux critiques US en expliquant « le rôle que l’Espagne pourrait jouer au Venezuela pour la satisfaction de Washington, en mettant un frein aux rêves de Chavez d’étendre sa révolution bolivarienne à d’autres pays dans la région » (El Pais, 9 Mai).
La classe ouvrière, du fait de son rôle dans le processus de production et de son pouvoir collectif potentiel, est la clef capable de mener à bien la révolution socialiste au Venezuela et de vaincre les forces de la réaction. Mais, bien que la classe ouvrière ait été impliquée dans le mouvement de masse dans les moments les plus cruciaux, elle n’a été qu’un élément parmi d’autres. La classe ouvrière n’a pas été consciente de son propre pouvoir ou de la responsabilité qu’elle a de diriger les masses pour transformer la société. A différents moments, Chavez a encouragé la participation des masses mais cela avec des limites strictes. Et sans un programme clair pour faire avancer le processus révolutionnaire, le mouvement risque de stagner et de se démobiliser. Chavez n’a pas encouragé, en particulier, l’indépendance d’action des travailleurs. Pendant, par exemple, une récente grève des travailleurs du métro de Caracas, un conseiller de Chavez a demandé que les grèves soient interdites dans le secteur public et Chavez lui même a menacé d’envoyer la garde nationale contre les grévistes. La tâche principale d’un parti révolutionnaire au Venezuela n’est pas de conseiller Chavez sur la façon de diriger la révolution mais de renforcer et d’étendre les organisations de la classe ouvrière ainsi que de mettre en avant des revendications qui augmenteront la confiance des travailleurs dans leur capacité à changer la société ainsi qu’en augmentant leur compréhension de ce qui est nécessaire à chaque étape d’un processus révolutionnaire. Cela devrait inclure une explication sur la façon dont la classe dirigeante utilisera la cogestion pour défendre ses propres intérêts et sur la nécessité de construire et de renforcer les comités de travailleurs qui seuls pourraient être capables de mettre en application un contrôle réel et une gestion ouvrière des lieux de travail comme un pas en avant vers une planification démocratique de toute l’économie. Des éléments de contrôle ouvrier existent déjà sur certains lieux de travail. Dans la compagnie d’Etat de production d’aluminium ALCASA, par exemple, les travailleurs élisent ceux qui gèrent l’entreprise, ceux-ci ne reçoivent que l’équivalent de leur salaire précédent (comme ouvrier) et peuvent être révoqués. Un récent meeting national des travailleurs, convoqué pour discuter de la cogestion et du contrôle ouvrier a accepté : « d’inclure dans les propositions pour une cogestion révolutionnaire que la compagnie doit être la propriété de l’Etat, sans distribution des actions aux travailleurs, et que chaque profit doit être réparti selon les besoins de la société à travers des conseils de planification socialiste. Ces conseils de planification socialiste doivent être compris comme les organes qui mettent en application les décisions des citoyens réunis en assemblée ». Un véritable programme socialiste révolutionnaire devrait appeler à une démocratisation des organisations de la révolution bolivarienne, à la formation et à l’extension de comités d’entreprises démocratiques et de lier ceux-ci aux comités élus dans les quartiers, dans les forces armées, et ce au niveau local et national.
En plus de tout ça, des forces de défense ouvrière doivent être formées pour défendre le mouvement contre la réaction. Chavez a reconnu la nécessité de défendre la révolution contre l’agression impérialiste et il a doublé les réserves de l’armée, mis sur pied « des unités de défense populaire » sur les lieux de travail et dans les campagnes. Mais tout cela sera sous son propre commandement et non sous le contrôle démocratique des organisations de la classe ouvrière et des masses pauvres. La solidarité des travailleurs dans le reste de l’Amérique latine et internationalement est aussi un moyen vital de défense. De son point de vue, Chavez est un internationaliste. En imitant son héros, Simon Bolivar, il se voit lui même comme le dirigeant de l’alliance anti-impérialiste en Amérique latine et il utilise le pétrole et les revenus du pétrole pour promouvoir ses objectifs. On voit de récentes initiatives comme par exemple le lancement de Télésur, une compagnie de télé continentale, ainsi que Pétrosur et Pétrocaribe, qui sont des accords avec différents pays d’Amérique Latine et des Caraïbes autour de l’exportation, de l’exploitation et du raffinage du pétrole. Il a aussi utilisé l’argent du pétrole pour racheter la dette de l’Argentine et de l’Equateur en « solidarité » contre les marchés financiers internationaux. Mais Chavez s’est orienté principalement en direction de dirigeants qui appliquent une politique néo-libérale, plutôt que d’en appeler à la classe ouvrières et aux masses pauvres. Le président brésilien Lula, par exemple, a appliqué des politiques d’attaques contre la classe ouvrière et son parti est mêlé à un sérieux scandale de corruption.
De plus, durant une récente visite, Chavez a félicité Lula et a interprété ce scandale de corruption comme une « conspiration de droite ».
Chavez est accusé par l’impérialisme d’exporter la révolution à d’autres pays d’Amérique Latine. Mais quand des travailleurs du secteur pétrolier sont partis en grève dans deux Etats d’Amazonie en Equateur en août dernier, demandant que plus de ressources soient investies dans les communautés locales et qu’une compagnie pétrolière US soit virée du pays, Chavez a effectivement joué le rôle de casser la grève, prêtant du pétrole au gouvernement équatorien pour compenser la « perturbation » que les grévistes ont entraînés sur les réserves. En opposition à tout cela, après le passage de l’ouragan Katrina, on a perçu comment une véritable politique internationale de solidarité parmi la classe ouvrière pourrait être menée. Comme Chavez, un gouvernement ouvrier démocratique aurait immédiatement offert de l’aide tout en exposant comment le capitalisme place les profits avant les vies des plus pauvres dans la société, et comment l’impérialisme US est totalement incapable de répondre aux besoins des travailleurs américains en temps de crise ainsi que dans des temps « d’accalmie ». En même temps, il aurait créé des liens avec la classe ouvrière et les organisations des communautés aux Etats Unis pour promouvoir le contrôle démocratique de la distribution de l’aide dans les régions affectées, renforçant ainsi la confiance et la conscience de la classe ouvrière américaine.
L’Amérique Latine est un continent en révolte. La victoire d’une révolution socialiste démocratique au Venezuela aurait un impact électrique sur la classe ouvrière et sur les masses pauvres de la région et cela aux Etats-Unis même. La classe ouvrière vénézuélienne est maintenant face au défi de construire et de renforcer leurs organisations, ceci incluant la création d’un parti révolutionnaire de masse avec un programme qui sera capable d’assurer la victoire de la révolution dans sa lutte contre la contre-révolution.