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Tag: Black Panthers
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Combattre le racisme par la solidarité : l’héritage de Malcolm X et des Black Panthers
Dans le mouvement en cours contre le racisme et la violence policière, les interrogations sont nombreuses. Quelle tactique ? Quel programme ? Sur qui compter ? Heureusement, les révolutionnaires du passé se sont déjà penchés sur ces questions. Revenons sur l’héritage de Malcolm X et des Black Panthers.Par Julien (Bruxelles)
‘‘Il ne peut y avoir de capitalisme sans racisme’’
Dans les années ‘60, Malcolm X disait vivre une « ère de révolutions ». Des mouvements sociaux balayaient la planète entière. Malcolm X prenait le temps de s’informer sur l’actualité et de voyager, en Afrique notamment. Son internationalisme lui permit de s’éloigner du nationalisme noir pour s’orienter vers la solidarité de classe. Là où il y a des pénuries, il y a discrimination. Malcolm X a su tirer la conclusion que le racisme n’est pas un problème de comportement individuel, mais la conséquence d’un système reposant sur l’inégalité économique.
‘‘Nous combattons le racisme par la solidarité’’
Un des problèmes du nationalisme noir, qui se retrouve aussi dans certaines théories actuelles, est qu’il divise les exploités. Le racisme prenant sa source dans le capitalisme, il est nécessaire de construire la révolte en allant chercher la solidarité. C’est à cette conclusion qu’étaient arrivés les Black Panthers qui disaient qu’il fallait ‘‘combattre le racisme par la solidarité’’. Ils ont par exemple mené un travail contre l’homophobie en expliquant que l’homophobie avait la même origine que le racisme – diviser les masses opprimées au profit de la classe dirigeante – et qu’il fallait être solidaires des personnes LGBTQI+ et s’allier au mouvement qui avait éclos après les émeutes de ‘‘Stonewall’’. Huey P Newton expliquait qu’on ne pouvait ‘‘remplacer le racisme anti-noir par du racisme anti-blanc’’. Ils étaient convaincus que les travailleurs blancs n’étaient pas privilégiés par le racisme mais au contraire qu’ils avaient tout intérêt à se battre ensemble pour une autre société.
‘‘Nous combattons le capitalisme par le socialisme’’
Sans plan, tout objectif n’est qu’un souhait. Pour en finir avec le capitalisme, il faut savoir où l’on va. Malcolm X que Martin Luther King, sur la fin de leurs vies, ainsi que les Black Panthers un peu plus tard se sont tournés vers les idées socialistes. Le meurtre ou la répression brutale les a frappés alors qu’ils parvenaient à des conclusions marxistes, ce qui n’est aucunement un hasard.
En se constituant en parti, les Black Panthers sont allés plus loin que Malcolm X et Martin Luther King, grâce à la construction d’un outil pour changer la société. Ce parti avait peu de liens avec le mouvement ouvrier organisé, y compris avec le mouvement ouvrier afro-américain, la force la plus puissante pour lutter contre le capitalisme grâce au recours à l’arme de la grève. Nous entendons honorer leur combat et étudier les leçons de leurs victoires et leurs défaites pour mieux nous organiser et nous battre en faveur d’une société socialiste !
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USA. Une approche socialiste du contrôle des armes à feu

17 personnes ont été tuées lors d’une fusillade dans une école de Floride le 14 février dernier. L’incident est loin d’être unique : il y en a presque un par jour aux États-Unis comprenant plus de quatre décès et/ou blessés à la suite de la fusillade. En 2014, 33.954 décès ont été causés par des armes à feu aux États-Unis, parmi lesquels un grand nombre de suicides. Le problème des fusillades dans les écoles a déjà été discuté il y a des années dans le documentaire ‘‘Bowling for Columbine’’ de Michael Moore, en 2002.
L’élément neuf, c’est la riposte de la jeunesse qui s’organise contre la violence contre la violence et les politiciens financés par l’industrie de l’armement et les lobbys qui l’accompagnent. Le 21 février, des manifestations locales ont eu lieu, suivies par d’autres actions : des manifestations étudiantes sont prévues le 14 mars et une marche nationale contre la violence à l’école à Washington aura lieu le 24 mars. L’effet de la protestation de masse contre Trump n’a clairement pas disparu et établit une tradition de protestation politique de la jeunesse.
L’industrie de l’armement est importante aux États-Unis. On estime à plus de 300 millions le nombre d’armes en circulation dans ce pays pour une population de 320 millions d’habitants. Au cours des dernières années, le secteur a connu une forte croissance : la production a augmenté de 158% en dix ans et le nombre d’emplois dans le secteur a doublé pour atteindre plus de 300.000 emplois.
L’article suivant a été écrit par Tom Crean, qui figure parmi nos camarades de Socialist Alternative. Ce texte avait initialement été rédigé à la suite de la tuerie de l’école de Sandy Hook en décembre 2012, lors de laquelle un jeune homme avait massacré 20 enfants et 6 de leurs maîtresses, après avoir également abattu sa propre mère et avant de se suicider lui-même. Cet article avait été rédigé pour servir de base de discussion pour un débat au sein du Comité exécutif national de Socialist Alternative. Après discussion, le texte a été amendé et publié ensuite en tant que position officielle de l’organisation.
Les politiciens libéraux appellent à plus de restrictions sur le port des armes. Même l’Association nationale des armes à feu (NRA), le tout-puissant lobby des fabricants et vendeurs d’armes (qui regroupe aussi de nombreux « usagers »), a récemment accepté que des limitations soient placées sur la vente des chargeurs de mitrailleuses qui permettent à des meurtriers comme Stephen Paddock, l’auteur de la tuerie de Las Vegas, de transformer un simple fusil en une véritable machine à tuer, capable de projeter plus d’un millier de balles sur une foule en à peine dix minutes.
Si les tueries de masse sont évidemment le genre d’événement qui attire le plus d’attention et suscite le plus d’horreur, ces actes, aussi terribles soient-ils, ne comptent toutefois que pour une infime fraction du nombre de morts par balles aux États-Unis. Un rapport récemment publié révèle en effet que plus de citoyens des États-Unis sont morts victimes des armes à feu dans leur propre pays au cours des 50 dernières années qu’au cours de toutes les guerres auxquelles ont participé les États-Unis partout dans le monde depuis leur indépendance !
La question que nous nous posons est donc de savoir si une telle situation, où la société est virtuellement submergée par le nombre d’armes à feu en circulation, est intéressante pour la classe des travailleurs. Nous voulons également dans cet article expliquer pourquoi nous nous opposons tant au « droit de se défendre par les armes » défendu par la droite qu’aux propositions de restreindre le port d’arme défendues par les libéraux.
Nous devons également remarquer que malgré toutes ces horribles tueries de masse qui tendent à battre des records (celle de Las Vegas était la plus meurtrière tuerie commise par un homme seul de l’histoire des États-Unis et celle de Sutherland Springs était la plus meurtrière perpétrée dans un lieu de culte), on ne voit finalement que peu de gens défendre les restrictions au port d’arme à feu. Un sondage mené en octobre 2017 révélait qu’à peine 64 % de la population était pour plus de restrictions (une hausse d’à peine 3 % sur les dernières années). De plus, très peu de gens soutiennent une interdiction totale et parmi les 64 % de personnes qui se déclarent en faveur de plus de mesures, les avis divergent fortement sur les mesures à prendre ou non.
En fait, quand on regarde l’évolution à long terme, au cours des 20 dernières années par exemple, on se rend compte que la tendance dans l’opinion publique va en sens inverse : selon un sondage réalisé par Gallup, alors que seule 57 % de la population était pour l’interdiction de la vente libre de fusils d’assaut en 1996, cette proportion a diminué à 46 % en 2012 et à 36 % en 2016.
Parmi les mesures de restriction qui sont toutefois soutenues par une grande partie de la population, on peut citer un examen du vécu de la personne (casier judiciaire, etc.) ; la plupart des gens s’accordent aussi à dire que les personnes souffrant de maladies mentales et certaines personnes inscrites sur des listes noires gouvernementales ne devraient pas y avoir accès ; enfin, la majorité de la population convient aussi de la nécessité de mettre en place une base de données des ventes d’armes centralisée au niveau nationale.
Alors que la polarisation politique ne cesse de s’intensifier aux États-Unis, le « droit à une arme » est aujourd’hui devenu un véritable enjeu politique. Il est également clair que les arguments des libéraux, qui se prononcent en faveur de mesures de restriction beaucoup plus strictes pour le port d’arme, échouent à convaincre une grande partie de la population. C’est sans doute malheureux, mais il faut bien reconnaître que l’argument de la NRA, selon lequel « la meilleure manière d’empêcher les criminels et les fous de tuer les simples citoyens, est d’armer les simples citoyens » a clairement eu bien plus de succès parmi toute une couche de la population (un argument d’ailleurs repris par Donald Trump avec sa proposition d’armer les enseignants eux-mêmes, NDT) : ce fait doit absolument être pris en compte par la gauche si elle veut pouvoir formuler une position appropriée quant à la meilleure manière de combattre l’épidémie de violence armée dans notre société.
Quelle position adopter suite aux tueries dans les écoles aux États-Unis ? La restriction du port d’arme est-elle la solution à la violence des armes ?
(article de 2012)
Le meurtre de 20 élèves de CP1 et de 7 adultes à l’école primaire de Newtown, Connecticut, en décembre 2012 par un jeune homme mentalement dérangé a réouvert le débat sur le contrôle des ventes d’armes à feu aux États-Unis. C’est ainsi que l’administration Obama a annoncé en janvier 2013 vouloir mettre en place des mesures qui rendraient obligatoire un examen du vécu pour toute personne désireuse d’acheter une arme, l’interdiction de la vente d’armes de guerre du type armes semi-automatiques, et des restrictions sur les chargeurs de plus de 10 balles. Cette proposition de mesures fort limitées visant à restreindre le port d’arme a été vertement décriée par l’Association nationale des armes à feu (NRA), même si certains sondages indiquent qu’une part croissante de la population serait en faveur de telles mesures.
Néanmoins, les tentatives de renforcer les lois sur le port d’arme au niveau fédéral sont maintenant bel et bien mortes, puisque le projet de loi d’examen du vécu de l’acheteur d’armes n’a pas pu obtenir les 60 voix requises au Sénat pour éviter l’obstruction – quand bien même cela peut sembler étrange dans un pays où cette proposition serait soutenue par près de 90 % de la population. Il faut cependant insister sur le fait que ce vote et l’abandon temporaire de ce projet de loi ne signifient pas que le débat sur le contrôle des armes est terminé. D’autres mesures ont été votées et appliquées au niveau régional, tandis que le débat sera forcément relancé par les prochaines tueries qui surviendront encore à l’avenir puisque cela semble inévitable à l’heure actuelle. Il est également clair qu’une importante fraction de la classe dirigeante désire, – pour des raisons qui lui sont propres –, mettre au pas le syndicat des armes.
En tant qu’organisation marxiste devenant de plus en plus connue au niveau national et international, il est important que nous puissions adopter une position claire au sein de ce débat. Pour ce faire, il nous faut tout d’abord nous pencher sur le contexte historique du « droit à se défendre par les armes » et des mesures de contrôle sur les armes aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Il nous faut analyser les causes complexes qui expliquent l’énorme niveau de violence armée dans la société états-unienne. Nous devons également comprendre les motivations réelles derrière les arguments des deux camps bourgeois qui s’opposent sur cette question – celui qui veut plus d’armes en circulation et celui qui en veut moins. Ce n’est qu’ensuite que nous pourrons envisager des revendications et des solutions socialistes à ce fléau.
L’aspect fondamental de notre questionnement est sans doute de nous poser ces deux questions :
- le fait d’armer une grande partie de la population états-unienne, dans le contexte du 21e siècle et au vu de l’idéologie individualiste réactionnaire qui promeut cet armement, est-il ou non un avantage pour la classe des travailleurs ?
- Comment réagir dans une situation où l’État a de plus en plus de pouvoirs, ce qui représente clairement une menace pour toute couche de la société états-unienne qui déciderait de s’opposer aux dictats de la classe dirigeante ?
Il est évident qu’on ne peut trouver une réponse à ces deux questions hautement complexes en quelques phrases désinvoltes.
Le contexte historique
Selon le Deuxième Amendement de la Constitution des États-Unis, « Une milice bien organisée étant nécessaire pour la sécurité d’un État libre, il ne sera pas contrevenu au droit du peuple à détenir et à porter des armes ». Le contexte de cet amendement, qui date de l’année 1791, était celui de la guerre d’indépendance révolutionnaire que les Treize Colonies qui allaient ensuite former les États-Unis d’Amérique ont menée contre la Grande-Bretagne. À l’époque, les Pères fondateurs des États-Unis étaient convaincus que la lutte contre la Couronne britannique n’était certainement pas terminée – comme l’histoire l’a d’ailleurs prouvé plus tard, lorsque les Britanniques ont pris et incendié la ville de Washington lors de la guerre anglo-américaine de 1812. Il y avait alors une forte opposition à l’idée d’une armée de métier, vu l’expérience historique de l’Europe et la récente expérience de l’armée britannique. Les armées de métier étaient correctement identifiées par les révolutionnaires américains comme autant d’instruments de répression entre les mains des tyrans.
Par conséquent, dans la jeune république américaine, une large couche de la population blanche masculine était armée, principalement pour des raisons militaires. Il n’était évidemment pas question pour la classe dirigeante d’autoriser les Noirs, libres ou esclaves, à porter des armes. De nombreux États exigeaient des propriétaires d’armes qu’ils se fassent inscrire, et interdisaient le port d’armes dissimulées (c’est-à-dire que toute personne portant une arme devait afficher cette arme en permanence en la portant à sa ceinture, on ne pouvait pas la garder cachée dans la poche de sa veste par exemple).
De manière générale donc, le Deuxième Amendement et la Déclaration des droits dont elle fait partie font bel et bien partie intégrante de l’héritage progressiste de la révolution bourgeoise américaine contre le féodalisme britannique. Mais au fur et à mesure du développement du capitalisme, la question du contrôle des armes est devenue inséparable de la lutte de classe du Capital contre le Travail, et notamment du désir de la classe dirigeante de maintenir soumise la population afro-américaine.
Il y a eu, au cours de l’histoire des États-Unis, de nombreux exemples d’horribles massacres de travailleurs en lutte pour leurs droits. En 1914, durant une grève des mineurs dans le Colorado, 21 hommes, femmes et enfants ont été tués à Ludlow par la milice étatique armée de mitrailleuses. En 1937, la police a ouvert le feu à Chicago sur une marche pacifique de travailleurs de l’acier et leurs familles : dix travailleurs ont été tués et 40 blessés – tous par des balles tirées dans leur dos.
D’un autre côté, il y a également eu de nombreux cas de travailleurs qui se sont armés pour organiser leur autodéfense face aux attaques de l’État et/ou des badauds engagés par leurs patrons afin de briser leurs grèves. Dans les années 1880, le mouvement ouvrier de Chicago (Nord), très militant (notamment parce qu’il comptait alors de nombreux membres originaires d’Allemagne où le Parti socialiste était alors très fort et combattif), a été jusqu’à créer une milice ouvrière. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement de quelque chose relégué à un lointain passé. Encore dans les années 1970, certaines grèves de mineurs se sont armées pour organiser leur autodéfense.
De même, pendant le grand mouvement pour les droits civiques des années 1960, l’organisation des Diacres pour la défense et la justice a été formée en Louisiane (Sud) par d’anciens combattants noirs pour protéger les militants des droits civiques contre les attaques des forces étatiques et des associations d’extrême-droite comme le Ku Klux Klan. Cette organisation a été très efficace et a joué un important rôle auxiliaire pour les mouvements de masse qui étaient au cœur de la lutte.
Le parti des Panthères noires (BPP, Black Panther Party) pour l’autodéfense a poursuivi cette tradition, même si son expérience a aussi démontré les conséquences fatales d’une approche d’« ultragauche » sur cette question. Au début, certaines actions menées par les Panthères noires ont bel et bien permis de démasquer au grand jour la véritable nature de la police, ce qui a donné le courage à de nombreuses personnes de se lever pour résister à l’État. Sur le plan politique, les Panthères noires avaient généralement raison d’appeler à une révolution et à l’autodéfense et de s’opposer au pacifisme ; elles ont d’ailleurs mené à bien des actions défensives qui étaient comprises par de plus larges couches (non encore révolutionnaires) de la communauté noire et de la classe des travailleurs comme des actes concrets de résistance contre les attaques violentes des forces racistes.
Cependant, le fait que leurs militants posent en permanence avec leurs armes, même si cela pouvait attirer une minorité de jeunes noirs révolutionnaires, était une grave erreur qui a contribué à isoler les Panthères noires des larges couches de la classe des travailleurs, qui, si elles les considéraient avec sympathie, n’étaient pas prêtes à rejoindre une organisation révolutionnaire explicitement armée. Tout ceci a facilité la tâche à l’État capitaliste qui a pu briser cette organisation en recourant à sa même violence habituelle.
D’importants militants comme Huey Newton et Bobby Seale qui dirigeaient le mouvement ont, bien après, admis s’être trompés. Comme Huey Newton l’écrit dans son livre Le suicide révolutionnaire : « Nous avons bientôt découvert que les armes et les uniformes que nous portions nous mettaient à part de la communauté. Nous étions considérés comme un groupe militaire ad hoc, agissant hors du tissu communautaire, trop radical pour en faire partie. Peut-être que la tactique que nous employions à l’époque était trop extrême ; peut-être que nous mettions trop l’accent sur l’action militaire ».
Même dans une situation ouvertement révolutionnaire, l’enjeu fondamental n’est pas la mobilisation militaire mais bien la mobilisation politique de la classe des travailleurs et de tous les opprimés à partir d’un appel défensif et démocratique de résister afin de vaincre toute tentative de la part de l’élite dirigeante, peu nombreuse malgré ses immenses richesses, de recourir à la violence pour soumettre la majorité. C’est précisément ce qui a été réalisé par les bolchéviks en octobre 1917, lors de la révolution la plus démocratique de l’histoire. Les bolchéviks avaient émis un appel de classe envers les simples soldats de l’armée de l’empereur, neutralisant du même coup les forces de l’ancien État qui ne pouvait plus les employer en tant qu’arme au service de son régime autocratique.
Bien entendu, l’histoire est remplie d’exemples négatifs, lors desquels la classe des travailleurs a manqué d’une direction suffisamment déterminée pour faire face à la menace que posait l’ancien régime, qui a alors pu librement déchaîner sa violence contre-révolutionnaire. Les tentatives d’aventuriers qui ont « pris le pouvoir » de façon prématurée au nom de la « révolution » ont elles aussi mené à des défaites sanglantes pour la population.
La classe dirigeante cherche toujours à décrire ses adversaires comme des gens violents. Les marxistes ont justement la tâche de démontrer à la masse de la population que la principale source de la violence dans la société moderne est le capitalisme et la classe capitaliste dominante. Cela est particulièrement vrai aux États-Unis, où la classe dirigeante a pour habitude d’organiser elle-même toute une série d’interventions impérialistes sanglantes partout dans le monde afin de défendre le règne du profit.
C’est dans ce contexte que nous devons envisager le contrôle sur les armes. Les tentatives de restreindre le port d’arme par la population font partie de l’histoire des États-Unis comme des autres sociétés capitalistes. En Europe, la classe dirigeante a fait de grands efforts pour désarmer les forces révolutionnaires et prolétariennes à la suite des troubles révolutionnaires de 1848, et plus tard pour désarmer la Résistance après la Deuxième Guerre mondiale, alors qu’elle avait vaillamment combattu les nazis pendant que les capitalistes avaient pris la fuite ou collaboraient avec l’occupant.
De manière générale, quels que soient les prétextes employés à ce moment-là, la plupart des tentatives de contrôle des armes ont été au moins en partie motivées par le désir de la classe dirigeante de désarmer ses potentiels adversaires, dont le plus important est la classe des travailleurs. C’est ainsi que la Loi Mulford, votée en Californie en 1967 et dont l’objet était d’interdire le port en public d’une arme à feu chargée, était une réponse directe à l’émergence des Panthères noires. La Loi fédérale de 1968 sur le contrôle des armes était elle aussi en partie motivée par la crainte de voir la population noire prendre les armes, surtout après les troubles de 1967.
Les marxistes se sont toujours opposés à ces tentatives de la classe capitaliste de s’assurer le monopole des armes et de la violence. Nous nous opposons à l’idée selon laquelle l’État seul devrait être armé, en tant qu’arbitre « neutre » entre les classes. En effet, toute l’expérience historique montre encore et encore que les forces armées au service de l’État ne sont pas neutres, mais servent uniquement les intérêts de la classe dirigeante.
La police, toujours au service du peuple. Ou pas. Comment le débat sur le port d’arme a changé de nature
Pendant la plus grande partie du 20e siècle, les mesures visant à contrôler les armes au niveau fédéral avaient le soutien des Démocrates comme des Républicains. Mais après la défaite de l’aile radicale du mouvement des droits civiques, l’effondrement du stalinisme, l’affaiblissement drastique du mouvement ouvrier et de toute véritable menace interne au règne du capitalisme étasunien, la classe dirigeante a commencé à se désintéresser de l’idée de désarmer ses adversaires potentiels.
On a pu voir ce revirement dès la présidence de Ronald Reagan (au pouvoir de 1981 à 1989), avec le développement de la « Nouvelle Droite », pour qui toute restriction au « droit de porter une arme » était une atteinte au Deuxième Amendement. Cela faisait partie d’une évolution plus générale du Parti républicain, qui amorçait alors son tournant vers une approche plus populiste et plus orientée vers la religion.
L’enjeu du port d’arme s’est retrouvé lié au populisme de droite et aux discours de « lutte contre la criminalité » avec des arguments au racisme à peine voilé pour mobiliser certaines couches de la classe des travailleurs et de la classe moyenne blanches. L’objectif des Républicains ce faisant était de se doter d’une base électorale et politique plus large pour pouvoir en même temps rendre plus acceptable leur programme capitaliste néolibéral dont le caractère se faisait de plus en plus agressif.
La NRA a vu ses pouvoirs s’accroitre. Malgré quelques déconvenues comme l’interdiction de la vente de fusils d’assaut entre 1994 et 2004, son influence a continué à s’accroitre. Aux niveaux local et régional, elle a connu toute une série de petites victoires en vue de la suppression des restrictions au « droit » de porter des armes dissimulées. Ainsi, selon David Frum du journal L’Atlantique, « Depuis la tuerie de Newtown, une vingtaine d’États ont étendu le droit de porter des armes à des lieux où elles étaient jusque là interdites : bars, églises, écoles, universités, etc. » Même si nous ne sommes pas d’avis que ce que les Pères fondateurs avaient à l’esprit lorsqu’ils ont rédigé la Déclaration des droits en 1789 représente forcément un argument encore à l’heure actuelle, il nous semble toutefois intéressant de souligner que ces mêmes Pères fondateurs n’auraient jamais autorisé le port d’armes dissimulées dans des bars !
D’où la NRA tire-t-elle donc son importance, quels sont les facteurs à l’origine de cette campagne contre les mesures de contrôle sur les armes à feu ?
Tout d’abord, il est évident que la NRA dispose de moyens conséquents. Il s’agit en effet du syndicat d’une industrie incroyablement profitable, dont les ventes en 2012 ont été estimées par le Washington Post à 12 milliards de dollars (6000 milliards de FCFA), avec près d’un milliard de dollars de profits (500 milliards de FCFA). En 2015, ces ventes s’étaient élevées à 13,5 milliards de dollars, tandis que les profits connaissaient une hausse de 50 %, à 1,5 milliard de dollars. À la suite de la tuerie de Newtown, il a été révélé que Cerberus Capital, une des plus importantes sociétés d’investissement de Wall Street, détenait le Groupe « Liberté », qui est le fabricant du fusil utilisé par le tueur lors de ce massacre, le fusil d’assaut Bushmaster 15 (« Maitre de la brousse »). Les fabricants ne sont pas les seuls à se faire beaucoup d’argent grâce à la vente des armes : le plus grand revendeur d’armes à feu et de munitions aux États-Unis aujourd’hui n’est autre que la chaine de supermarchés Walmart !
Mais la NRA est aussi poussée par une idéologie libertaire de droite qui promeut une version d’individualisme particulièrement réactionnaire. Ce point de vue se combine avec le mythe selon lequel sans un héros, un citoyen armé (et à peau blanche bien entendu), la Constitution risque à tout moment d’être renversée pour être remplacée par une tyrannie.
Certes, il est vrai que l’État a connu un énorme accroissement de ses pouvoirs au cours des dernières années, justifiant le renforcement de son arsenal sécuritaire d’abord par sa soi-disant « guerre contre la drogue », puis par sa soi-disant « guerre contre le terrorisme », violant au passage les clauses du Quatrième Amendement de la Constitution destinées à protéger le citoyen contre toute « fouille ou confiscation déraisonnable ». Ce n’est pas un hasard si les ventes d’armes sont devenues encore plus importantes depuis qu’Obama a pris le pouvoir en 2008, et se sont encore élevées après que le même Obama, suite à la tuerie de Newtown, ait annoncé vouloir faire du contrôle des armes une priorité.
Comme nous l’avons fait remarquer, si le score obtenu par Obama pour sa réélection en 2012 restait élevé, il ne pouvait être considéré comme remarquable. Parmi les électeurs du Parti républicain, une grande partie a été influencée par les fantasmagories de l’extrême-droite, notamment par l’idée selon laquelle Obama serait une sorte de tyran pro-musulman communiste et anti-américain. Il semble que les milices de droite et autres groupes d’extrême-droite connaissent une croissance depuis 2008, même si aucun de ces groupes ne dispose encore d’une audience de masse. Le Tea Party a beaucoup joué dans cette évolution, même si lui-même a subi un revers à partir de 2011.
En réalité, la NRA est elle-même une des plus grandes organisations de droite dans le pays, disposant d’une base de masse : en 2010, elle affirmait avoir 4,3 millions de membres, 5 millions en 2017. Elle sert aujourd’hui à promouvoir les intérêts de l’industrie de l’armement et à mobiliser pour le « droit à porter une arme », cet enjeu étant, tout comme l’immigration et le droit à l’avortement, un de ceux que la classe dirigeante utilise afin de diviser la population et de rallier à sa cause une section de la population à son programme antisocial.
Mais il nous faut être conscients que si de nos jours la NRA et ses soutiens se contentent de promouvoir le droit à porter des armes pour des individus sans véritablement encourager la formation de milices, dans un futur proche, une importante partie de sa base fortement armée et entrainée pourrait facilement être transformée en une force ouvertement contrerévolutionnaire destinée à terroriser les militants de gauche, les travailleurs en lutte, les personnes de couleur, les immigrés, les personnes homosexuelles, etc. en tant que force paramilitaire au service de l’État capitaliste.
La violence armée aux États-Unis aujourd’hui
Il nous faut également nous pencher sur les caractéristiques et causes particulières du niveau extrêmement élevé de violence armée dans la société étasunienne.
On estime à pas moins de 300 millions le nombre d’armes à feu détenues aux États-Unis par des citoyens qui en sont les propriétaires légaux. En 2004, il y a eu dans ce même pays un taux de 5,5 homicides pour 100.000 habitants, un nombre trois fois plus élevé qu’au Canada (1,9 homicides par 100.000 habitants par an) ou six fois plus élevé qu’en Allemagne. Pour ne citer que l’association Occuper la NRA, une branche du mouvement Occuper Wall Street, « Les États-Unis représentent à peine 5 % de la population mondiale, mais détiennent la moitié de l’ensemble des armes à feu en circulation dans le monde, et comptent à eux seuls pour 80 % des décès par balles des 23 pays les plus riches du monde ».
Il faut cependant reconnaître que le taux d’homicides a fortement diminué depuis les années 1990. En 2009, le taux d’homicides était à son niveau le plus bas depuis 1964, la moitié de son niveau des années 1980. Même si nous pouvons nous féliciter de cela, le nombre de morts violentes reste ahurissant : 13.000 tués par balles pour la seule année 2015, sans compter toutes les autres personnes assassinées au couteau, etc. Au Japon, le nombre de personnes tuées par balles la même année était de 1.
Le taux d’homicides a pratiquement doublé de 1965 à 1980. À 1980, il était de 10,2 personnes tuées par 100.000 habitants, avant de diminuer à 7,9 tués par 100.000 habitants en 1984. Il est de nouveau monté dans les années 1991, avec un pic à 9,8 tués par 100.000 habitants en 1991. De 1992 à 2000, le nombre d’homicides avait fortement diminué, mais il est de nouveau en hausse partout dans le pays et ce, de façon particulièrement dramatique dans certaines villes telles que Chicago. Et bien que les taux d’homicides soient aujourd’hui revenus à leur niveau des années 1960, le taux de criminalité violente (qui fait intervenir un grand nombre d’armes) reste à un niveau bien plus élevé que ce qu’il était il y a 50 ans.
Si l’attention des médias se focalise principalement sur des tueries comme celle de l’université Virginia Tech à Aurora, la violence armée reste essentiellement concentrée dans les quartiers pauvres des grandes villes, où la plupart des victimes sont des personnes de couleur et pauvres. L’exemple le plus extrême est sans doute celui de la Nouvelle-Orléans (Sud), où le taux d’homicides en 2004 était de 52 personnes tuées pour 100.000 habitants, soit dix fois la moyenne nationale.
La ville de Chicago a récemment connu une forte hausse de la violence armée. Mais, comme l’a fait remarquer le New York Times, sur plus de 500 personnes tuées en 2012 à Chicago, plus de 400 l’ont été dans seulement la moitié des 23 arrondissements de police de la ville, soit les quartiers Sud et Ouest de la ville.
Les personnes qui s’opposent au contrôle des armes affirment que la forte baisse du taux d’homicides démontre que le taux de violence n’est pas lié au nombre d’armes en circulation ni à la sévérité des réglementations. D’un autre côté, des partisans du contrôle des armes comme l’ancien maire de New York, M. Mike Bloomberg, affirment quant à eux que si le nombre d’homicides dans sa ville a atteint son point le plus bas en 50 ans (334 personnes tuées à New York en 2016, contre 2245 en 1989), cela démontre plutôt l’efficacité d’une force de police devenue beaucoup plus agressive et des mesures prises pour interdire le port d’arme dans les lieux publics.
En réalité, le contrôle des armes est bien plus strict dans la plupart des grands centres villes qu’il ne l’est dans les banlieues et les zones rurales. D’autre part, si la présence policière massive dans les quartiers pauvres a certainement eu un effet, cela s’est fait aux dépens de la population, contrainte de vivre dans des mini-États policiers où la police oppresse systématiquement les jeunes hommes, en parallèle à la construction à l’échelle nationale d’un véritable « archipel du goulag » à l’américaine.
Mais il y a clairement d’autres raisons pour la baisse du taux d’homicide, dont la fin de l’épidémie de crack des années 1980. Un facteur plus récent a été l’amélioration de la médecine d’urgence, qui a grandement amélioré les chances de survie des personnes blessées par balles. À ce propos, nous aimerions citer en long et en large un article du Wall Street Journal en date du 8 décembre 2012, qui démontre bien ce point essentiel : l’épidémie de violence est en réalité toujours aussi endémique dans la société états-unienne : « Le nombre d’homicides aux États-Unis diminue depuis vingt ans, mais le pays est toujours aussi violent.”
Les criminologues qui attribuent la baisse du nombre de meurtres au fait que la police serait plus efficace et la population vieillissante pour dépeindre l’image d’une nation de plus en plus calme oublient souvent cette simple donnée : le nombre de personnes traitées dans les hôpitaux pour blessures par balles s’est accru de 50 % entre 2001 et 2011. Si les importants progrès qu’a connu la médecine ces dernières années n’explique sans doute pas à lui seul la baisse du taux d’homicides, tous les experts s’accordent à dire qu’ils jouent néanmoins un rôle très important.
Les médecins urgentistes chargés de soigner les personnes ayant subi des attaques par balles ou au couteau disent que de plus en plus de gens survivent aujourd’hui à leurs blessures en raison de la création de nombreux nouveaux centres hospitaliers de traumatologie spécialisés dans le traitement des blessures graves, du recours de plus en plus fréquent à des hélicoptères pour amener les patients à l’ho?pital, d’une meilleure formation des secouristes, ainsi que de l’expérience acquise sur les champs de bataille d’Iraq et d’Afghanistan ».
En gros donc, le nombre de blessés par balles continue à augmenter, mais les gens meurent moins facilement de leurs blessures qu’avant. Et la violence est toujours aussi omniprésente.
Pourquoi la société étasunienne est-elle si violente ?
Il est impossible de mettre en évidence un seul facteur qui expliquerait à lui seul le niveau particulièrement élevé de la violence aux États-Unis. Il est clair que le fait que les États-Unis sont le pays le plus inégalitaire de tous les pays capitalistes « développés » doit jouer un rôle majeur. Rappelons au passage que les États-Unis ont un taux de pauvreté plus élevé (17 % en 2002) que les 22 autres pays développés membres de l’OCDE. Le taux d’inégalité contribue en effet directement au sentiment d’aliénation ressenti par la masse de la population. Mais les énormes inégalités des États-Unis sont aussi la conséquence des conditions spécifiques du développement du capitalisme étasunien.
Remarquons d’abord que la société états-unienne a été plongée dans la violence dès sa naissance. Historiquement, les États-Unis ont été un pays de pionniers, où la campagne sanglante destinée à arracher leurs terres aux peuples autochtones et qui a duré jusqu’à la fin du 19e siècle a impliqué l’armement d’une grande partie de la population.
Plus important encore, il y a l’héritage de l’esclavage et la répression violente permanente des communautés afro-américaines, qui perdure encore aujourd’hui. La « guerre contre la drogue » des années 1970 n’était qu’une tentative de plus de criminaliser et d’opprimer la jeunesse noire, considérée par l’État comme la couche la plus radicale de la société, tout en constituant une stratégie électorale et politique pour entretenir le racisme malgré la fin officielle de la ségrégation légale, à la même époque.
C’est ainsi que les États-Unis sont un des pays qui comptent le plus de prisonniers au monde, ce qui est en soi également une importante source de violence, quand des centaines de milliers de consommateurs ou trafiquants de drogues inoffensifs intègrent le monde extrêmement violent de la prison pour un certain nombre d’années, avant d’en ressortir en voyant leurs droits de citoyen fortement diminués et encore plus socialement aliénés qu’ils ne l’étaient avant d’arriver en prison.
Dans certaines localités qui comptent parmi les plus déprimées des États-Unis, on voit une combinaison toxique formée d’une pauvreté systématique, d’une aliénation de masse et d’une féroce répression étatique. La violence en est la conséquence inévitable. Le fait qu’il soit si facile de se procurer une arme contribue-t-il à cette violence ? Cela ne fait aucun doute, mais il ne s’agit pas de la cause fondamentale.
Et même si des petites villes plus aisées comme Newtown connaissent une dynamique sociale fort différente, il reste indéniable que l’anxiété causée par l’incertitude économique et l’aliénation sociale généralisée est omniprésente dans la société états-unienne. Et il semble bien que l’aliénation est encore pire pour les jeunes qui grandissent dans des banlieues résidentielles de villas individuelles qui ne comptent aucun espace de rencontre, parc public, etc. C’est ainsi qu’un auteur d’une étude sur les « fusillades sauvages » aux États-Unis faisait remarquer que « depuis 1970, on n’a connu dans tout le pays qu’un seul cas de fusillade sauvage dans une école située dans un centre-ville » (The Nation, 19 décembre 2012).
Il faut également ajouter la forte déficience de notre système de santé mentale, conséquence inévitable d’un système de soins de santé où tout est laissé au profit tandis que les budgets des services sociaux et des hôpitaux publics sont systématiquement rabotés. Ces facteurs ne font qu’allonger la série des massacres.
L’impérialisme états-unien propage de manière très enthousiaste une violence de masse partout dans le monde par ses interventions armées, ce qui contribue aussi directement à la violence aux États-Unis eux-mêmes. Cette politique guerrière, justifiée par la soi-disant « guerre contre le terrorisme », a directement contribué à la gigantesque expansion de l’appareil d’État. Obama et les autres politiciens capitalistes ont beau appeler à « mettre fin à la violence » aux États-Unis, cela ne les empêche curieusement pas d’envoyer des drones bombarder le monde entier, de commettre des assassinats politiques à gauche à droite et de militariser la police partout dans le pays.
Mais il existe encore d’autres causes indirectes. Comme les marxistes aiment à le répéter, la production culturelle d’un pays tend inévitablement à refléter le point de vue et les valeurs de la classe dominante dans la société. Étant donné que la classe dirigeante a pour habitude de répondre par une violence systématique à toute menace ou ennemi qu’elle croit apercevoir de près ou de loin, nous ne devons pas être surpris de voir cette même tendance à la violence systématique se refléter dans les films, dans les jeux vidéo, et même dans la musique, où partout est idéalisé ce culte des armes et de la mort.
L’état actuel du début sur le contrôle des armes – et notre position
Après des années durant lesquelles les mesures de contrôle, surtout au niveau fédéral, étaient perçues par les libéraux comme impossibles à mettre en œuvre en raison de la puissance de la NRA, le débat est revenu à l’avant-plan à la suite de la tuerie de Newtown. C’est alors qu’Obama a décidé de faire de cet enjeu un des principaux points du programme de son second mandat, en même temps que la réforme de l’immigration, la réforme fiscale et le changement climatique.
Dans les médias capitalistes, le débat sur le contrôle des armes est uniquement représenté par deux camps : d’un côté les principaux cadres du Parti démocrate, les maires des grandes villes et toute une section de la classe capitaliste qui a décidé qu’il est temps de mettre au pas la NRA ; de l’autre, les Républicains de droite, soutenus par la NRA et qui font tout pour résister à toute tentative de renforcer le contrôle sur les armes.
Le point de départ de notre prise de position concernant cet enjeu est notre sympathie avec le désir de la plupart de nos concitoyens de voir un terme à toute cette violence, et notamment la fin des massacres. Nous rejetons totalement l’idée de la NRA selon laquelle la solution à des tueries comme celle de Newtown serait d’avoir un policier armé dans chaque école du pays, et rejetons encore plus l’idée mise en avant par certaines personnalités de droite, dont le président Trump, d’autoriser les enseignants à porter des armes en classe (le Dakota du Sud a déjà appliqué une loi en ce sens !). Leur argument est que « pour stopper les méchants armés, il faut armer les gentils ». Cela ne va faire qu’entrainer encore plus de violence dans la société, et non moins.
Bien que nous soyons fermement convaincus du fait que les travailleurs, les minorités raciales et les opprimés doivent avoir le droit de se défendre contre la violence des patrons, de l’État et des groupes réactionnaires, nous estimons que le niveau actuel de violence par balles aux États-Unis représente en réalité aujourd’hui un véritable obstacle au développement de la lutte sociale. Tout en défendant notre position théorique d’ordre général sur l’État, et sans faire la moindre concession aux libéraux pour qui l’État est un « arbitre neutre », il nous faut examiner cette question de façon concrète, en tenant compte des conditions, du rapport de force et du niveau de conscience actuels.
Peut-on de nos jours affirmer que la large circulation des armes à feu aux États-Unis est un facteur contribuant à renforcer la position de la classe des travailleurs ? La réalité est que non. En fait, la plus grande libéralisation de l’accès aux armes de ces 30 dernières années a coïncidé avec une large offensive de la part de la classe dirigeante contre les droits démocratiques, avec le renforcement des pouvoirs répressifs de l’État. Les principales forces qui s’opposent au contrôle sur les armes sont aussi celles qui propagent une idéologie de droite sexiste, raciste et individualiste qui affaiblit la classe des travailleurs.
De plus, c’est justement la menace posée par toute cette violence, que ce soit le risque quotidien de voir se déclencher une fusillade dans toute une série de localités ou le danger d’une attaque terroriste, qui donne à l’État le prétexte tout prêt pour renforcer ses pouvoirs répressifs. Cela ne veut cependant pas dire que nous devons nous aligner sur la position des libéraux qui prêchent le contrôle sur les armes et pour qui la circulation des armes est le problème fondamental alors qu’il n’en est qu’un facteur aggravant. Notre tâche est d’articuler une position prolétarienne indépendante.
Nous rejetons l’argument de la NRA selon lequel les quelques mesures très limitées proposées par Obama pour restreindre la circulation des armes représentent une atteinte au Deuxième Amendement et au droit à porter une arme. Personne à l’heure actuelle n’a encore sérieusement proposé de tenter de désarmer la population, ne serait-ce qu’en partie. Les seules zones où on voit la police tenter de désarmer la population par la force sont les logements sociaux dans les centres-villes.
Mais il ne suffit pas de s’opposer aux tentatives faites par la NRA pour encourager la paranoïa collective. Il nous faut aussi être clairs sur le fait qu’il existe bel et bien des raisons légitimes pour lesquelles les citoyens désirent porter une arme. Ainsi, dans les zones rurales, les armes sont couramment utilisées pour la chasse, pour combattre les prédateurs et pour les loisirs. Cela ne mène pas à des niveaux insensés de violence. De même, de nombreux habitants des villes et des banlieues désirent porter des armes pour leur protection personnelle. C’est surtout le cas dans les zones où la violence est endémique. Il ne faut par exemple pas être surpris si de nombreuses femmes cherchent à se procurer une arme pour pouvoir se défendre. En tant que socialistes, nous ne sommes pas des pacifistes ; nous ne nous opposons donc pas à ce que de simples citoyens possèdent une arme ou désirent en posséder une.
La question que la plupart des gens se posent et à laquelle ils veulent une question dès aujourd’hui est en réalité celle-ci : « Comment diminuer toute cette violence ? ». Les bourgeois qui nous parlent de contrôle sur les armes n’ont en vrai aucune réponse sérieuse à apporter à cette question. Même si toutes les mesures proposées par l’administration Obama étaient votées au parlement, toute notre histoire indique que l’industrie de l’armement, un cartel extrêmement puissant, trouvera des manières de les contourner. C’est ce qui s’est passé après la soi-disant « interdiction » de la vente des armes d’assaut en 1994.
L’autre raison fondamentale pour laquelle le camp bourgeois du contrôle sur les armes ne parvient pas à trouver une solution à la violence est que, comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, la principale source de toute la violence dans notre société est le capitalisme lui-même, y compris l’État capitaliste.
Des mesures qui seraient réellement destinées à faire baisser le taux de violence incluraient la fin de la « guerre contre la drogue », la décriminalisation de la plupart des drogues (il faut insister ici sur le fait que « décriminaliser » ne veut pas dire « autoriser » ; ce que nous entendons par là est que le problème de la drogue devrait être considéré avant tout comme un problème de santé publique et non comme quelque chose qu’il faut régler par la force), la libération des centaines de milliers de personnes condamnées à la prison pour faits de drogue alors qu’elles sont parfaitement inoffensives, et le démantèlement du système judiciaire criminel, raciste et hypertrophié en vigueur actuellement. Toutes ces mesures feraient beaucoup plus pour réduire le niveau de violence dans la société que toutes les mesures de contrôle sur les armes que l’on peut imaginer.
Nous voulons aussi prendre des mesures sérieuses contre les énormes profits de l’industrie de l’armement en interdisant la vente d’armes par ces entreprises ou par le gouvernement aux régimes de droite du monde entier. Nous voulons aussi la fin des aventures militaires de l’impérialisme états-unien partout dans le monde et une réduction drastique du budget de l’armée et du Pentagone. Les ressources ainsi libérées pourraient être utilisées pour créer des emplois, améliorer le système d’enseignement et le système des soins de santé (y compris pour la santé mentale) et les services sociaux, ce qui contribuerait par la même occasion à réduire le taux de violence dans notre pays comme à l’étranger. Enfin, nous sommes pour l’annulation de la loi Patriote et autres lois qui autorisent l’État à espionner les citoyens et à recourir à une violence accrue à leur encontre, sans que cela ne contribue d’aucune manière à leur sécurité.
Un simple programme de création massive d’emplois, un nouveau salaire minimum de 15 $ de l’heure (8000 FCFA) appliqué au niveau national et d’autres mesures sociales comme une véritable couverture maladie universelle et l’extension des soins de santé mentale peuvent être d’importantes mesures prises en vue d’obtenir une société moins violente et plus saine. Nous défendons toute mesure capable de réduire le taux d’inégalité dans la société états-unienne et destinée à démanteler le racisme institutionnel. Cependant, nous insistons sur le fait que nous ne pourrons jamais obtenir une société véritablement égalitaire et juste tant que nous ne sortons pas du cadre du capitalisme. Car même des réformes très modestes se retrouveront rapidement en contradiction avec les limites de ce système malade et putréfié.
Une fois de plus, nous voulons insister sur le fait que ces mesures que nous proposons seraient bien plus efficaces pour réduire le niveau de violence que n’importe quelle mesure de « contrôle sur les armes », qui révèlera certainement son inefficacité. Toutefois, dans le contexte de notre mission qui est de renforcer la lutte des travailleurs pour leurs droits, nous acceptons de défendre certaines mesures de contrôle sur les armes telle que l’examen du vécu de la personne pour les ventes d’armes, l’interdiction de la vente d’armes de guerre semi-automatiques et la réduction de la taille des chargeurs en vente, dans la mesure où ces mesures pourraient contribuer à diminuer le taux de violence, ne serait-ce que de manière limitée.
Nous avons cependant des réserves quant à la plupart des propositions d’examen du vécu. Par exemple, la proposition d’interdire l’achat d’une arme à toute personne ayant déjà été condamnée signifie dans la pratique exclure une importante portion de la classe des travailleurs noire – et les Blancs seraient à nouveau privilégiés pour l’obtention d’armes. Il faudrait dès lors au moins envisager la mise en place d’une procédure d’appel dans le cadre de cet examen du vécu.
Une fois de plus, à aucun moment nous ne voulons dire que les nombreuses personnes détentrices d’une arme ou désireuses de s’en procurer une n’ont pas une raison légitime et bien fondée pour cela. Cependant, nous ne pensons pas que la situation actuelle soit dans les meilleurs intérêts de la classe des travailleurs. Ce n’est pas toutes les questions auxquelles on peut simplement répondre par « oui » ou par « non ». Notre position recèle des contradictions, nous le reconnaissons, mais nous pensons que cela n’est en définitive que le reflet de la vie sous le capitalisme, un système lui-même rempli de contradictions insurmontables, et que les contradictions de notre position ne sont rien par rapport à celles que nous impose et nous imposera ce système tant que nous vivrons selon ses lois.
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Boston: 40.000 manifestants contre l’Alt-right

Ce samedi 19 août, soit une semaine après les événements de Charlottesville en Virginie, 40.000 personnes se sont réunies et ont manifesté contre une manifestation de l’Alt-right (abréviation de ‘‘droite alternative’’, mouvement regroupant divers courant suprémacistes et d’extrême droite) pour la ‘‘liberté d’expression’’ à Boston. Boston a démontré une leçon cruciale au reste du pays : un mouvement de masse, avec une participation et une unité maximales, peut vaincre le racisme et l’extrême droite. Le ‘‘Rassemblement pour la liberté d’expression’’ de Boston était en préparation depuis plus de deux mois et 25 personnes à peine s’y sont présentées ! La manifestation antiraciste n’a été annoncée que moins d’une semaine avant et, aux dires de la police de Boston, elle a attiré plus de 40.000 personnes ! Le rapport est donc de 1600 pour 1 !Pour vaincre l’extrême droite, nous avons besoin de la participation la plus large possible au mouvement. Cela signifie que les syndicats, les organisations progressistes clés telles que la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People, Association nationale pour la promotion des gens de couleur) et Planned Parenthood (l’un des principaux regroupements de planification familiale aux États-Unis) ou encore des personnalités telles que Bernie Sanders doivent jouer un rôle mobilisateur. Plusieurs syndicats disposaient de contingents à la marche de Boston, parmi lesquels les syndicats d’enseignants Massachusetts Teachers Association, Boston Teachers Union et SEIU 509. Cela représente un grand pas en avant pour le mouvement. D’autres organisations syndicales – comme SEIU 1199 (soins de santé) et Unite Here Local 26 (hôtellerie et services) – ont publié des déclarations de soutien à cette mobilisation. La marche a concrètement été organisée et dirigée par des membres de Black Lives Matter – Cambridge.
Quelques jours avant la tenue de cette manifestation, la section de Socialist Alternative de Boston a proposé à l’International Socialist Organization de former un contingent socialiste au sein du cortège. Après leur accord, les Democratic Socialists of America, Industrial Workers of the World et le Socialist Party – USA ont également rejoint ce contingent. Plus de 1000 personnes s’y sont retrouvées, ce qui est une illustration du soutien croissant pour les idées socialistes qui se développe aux États-Unis.Une grande colère contre les néonazis et Trump
Il était clair que les 40.000 Bostoniens qui ont battu le pavé ne se sont pas contentés de dénoncer les 25 néo-nazis qui se sont réunis. Ils se sont également prononcés contre Trump, le milliardaire raciste qui aide à renforcer l’Alt-right.
Lorsque la manifestation est arrivée aux abords du rassemblement d’extrême droite, une quarantaine de membres de Socialist Alternative ont été discuter avec les autres participants de la nécessité d’utiliser cet événement comme un tremplin pour la construction du mouvement. Ils ont discuté de la manière dont le capitalisme a besoin du racisme pour survivre afin de maintenir divisée la classe ouvrière. Pour défier le racisme le plus efficacement possible, nous devons construire un mouvement qui lie le combat contre le racisme à celui à mener contre le capitalisme. La menace du racisme, ainsi celle issue des suprématistes blancs, est institutionnalisée à Boston du fait des coupes budgétaires dans l’enseignement public et dans les services sociaux suite aux réductions d’impôt et autres cadeaux en faveur des grandes entreprises. La majorité des logements actuellement en construction sont des logements de luxe hors de portée des travailleurs, en particulier des personnes de couleur qui sont représentées de manière disproportionnée dans les emplois à bas salaires.Nous avons distribué 5.000 tracts appelant à une réunion publique sous le titre ‘‘Le socialisme et la lutte contre le racisme et l’extrême droite’’. Nous avons également vendu plus de 100 exemplaires de notre journal ‘‘Socialist Alternative’’ et recueilli plus de 1.000 $ de solidarité financière grâce à la vente de badges et d’affiches !
Pouvons-nous compter sur les politiciens ?
Le maire de Boston, Martin Walsh, s’est tout d’abord publiquement opposé aux suprématistes blancs et a soutenu le soutien à la contre-manifestation. Mais, à la suite d’une conférence de presse la veille de la manifestation, tous les principaux relais de presse de Boston disposaient de journaux ayant pour titre : ‘‘Walsh: Restez à l’écart ce samedi’’. En dépit de cette volte-face, des dizaines de milliers de personnes se sont réunies pour défier l’extrême droite. Et au vu de la participation pathétique au rassemblement de l’Alt-droite (3 des 6 orateurs prévus ont même annulé en raison de la manifestation antiraciste), nous pouvons dire sans aucun doute que c’est la force du mouvement qui a fait reculer l’extrême droite. Si les politiciens et les organisations progressistes veulent être sérieux à ce sujet, ils doivent œuvrer à construire le mouvement et à ne pas s’en éloigner.Boston a montré la voie à suivre pour le reste du pays. Cette mobilisation a montré comment nous pouvons repousser la menace de l’extrême droite et a illustré le type de mouvement dont nous avons besoin contre Trump. Socialist Alternative continuera à faire tout ce qui est en son pouvoir pour construire ce mouvement, tout en défendant la nécessité de faire le lien entre le racisme et le système capitaliste.
Comme le révolutionnaire des Black Panthers Fred Hampton l’a déclaré: ‘‘Nous allons lutter contre le racisme non pas avec le racisme, nous allons nous battre avec la solidarité. Nous n’allons pas combattre le capitalisme avec un capitalisme noir, nous allons le combattre avec le socialisme.’’
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[FILM] I am Not Your Negro
“Je ne peux pas être pessimiste parce que je suis en vie. Être pessimiste signifie que tu dois accepter que la vie humaine est une matière académique, dès lors je suis forcé d’être optimiste. Je suis forcé de croire que nous pouvons survivre à tout ce à quoi nous devons survivre.” – James Baldwin.Comme beaucoup de jeunes, James Baldwin n’a pas attiré mon attention lorsque j’étais à l’école ou à l’université. Quand j’ai découvert Baldwin, il était clair, à la lecture de son premier roman La conversation (Go Tell It On The Mountain) et La Prochaine Fois, le feu (The Fire Next Time) qu’il est un excellent écrivain. Ce n’est qu’au moment où des vidéos YouTube comme le débat entre James Baldwin avec William F. Buckley intitulé “le rêve américain se fait aux dépens du nègre américain” ont commencé à tourner sur Facebook et Twitter que Baldwin a eu un réel impact sur moi. À l’époque de du mouvement Black Lives Matter contre les violences et les meurtres racistes de la police aux Etats Unis, 50 ans plus tard, cet intitulé est toujours pertinent.
Par Ryan Watson, Chicago, Socialist Alternative (partisans du Comité pour une Internationale Ouvrière aux USA)
I’m Not Your Negro (Je ne suis pas votre nègre), nominé aux Oscars 2017 pour le meilleur documentaire, conté par Samuel L. Jackson et réalisé par le haïtien Raoul Peck, est révolutionnaire et inspirant. Le travail cinématographique de Peck comprend Lumumba, un récit biographique du premier Premier ministre démocratiquement élu du Congo, Patrice Lumumba qui revient sur le coup d’Etat belgo-américain et l’assassinat de Lumumba. Le prochain film de Peck s’intitulera Le jeune Karl Marx (il sortira en septembre en Belgique).
I Am Not Your Negro est tiré d’un manuscrit inachevé de 1979 intitulé Remember This House qui relate l’amitié de Baldwin avec des personnages emblématiques, dont Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King Jr. – tous trois assassinés – et leur contribution politique au mouvement afro-américain. Raoul Peck disposait d’un accès total au travail de Baldwin. Il nous offre les fruits de ce qu’il a trouvé tout au long du documentaire.
Le fils d’Harlem
Baldwin est né le 2 août 1924 et a grandi à Harlem, à New York. Il a connu la dure réalité de la pauvreté, du racisme et des violences paternelle, de son beau-père en particulier. I Am Not Your Negro fait un excellent travail en soulignant sa relation avec une enseignante. James Baldwin, produit du système scolaire public de la ville de New York, a très tôt montré des signes précurseurs de curiosité et l’envie de comprendre les choses, ce qui a suscité l’intérêt de son professeur, une jeune femme blanche nommée Orilla Miller. Surnommé “Bill” par le jeune Baldwin, Miller devait avoir un effet profond sur la vie de Baldwin.
Elle a dirigé sa première pièce et a encouragé ses talents. Ils discutaient ensemble de littérature et visitaient des musées ensemble. Miller est même allé jusqu’à demander à son beau-père, David Baldwin, l’autorisation d’emmener James au cinéma. Plus tard, Baldwin lui attribua son manque de radicalisme. Il expliquera que c’était “certainement en partie à cause d’elle, qui est arrivée si tôt dans sa terrifiante vie, qu’il n’a jamais réussi à haïr les blancs”.
Baldwin disait : “Bill Miller était blanche”, mais elle n’était “pas, pour moi, blanche comme Joan Crawford était blanche”. Pas plus qu’elle n’était blanche “de la même manière que les propriétaires terriens et les commerçants, les flics et la plupart de mes professeurs étaient blancs. Elle aussi (…) était traitée comme une négresse, surtout par les flics, et elle n’appréciait pas les propriétaires terriens”. Grâce à elle, Baldwin a appris que “les blancs n’agissent pas comme ils le font parce qu’ils sont blancs”.
Bien qu’il semble que tous les oppresseurs soient blancs, Baldwin s’est rendu compte que tous les blancs n’étaient pas des oppresseurs dans la société américaine. Ses talents d’orateurs ont été mis à profit durant trois à quatre ans à la chaire de l’église en tant que prêcheur junior. Baldwin quittera ensuite l’église pour échapper à la brutalité de son beau-père. Il remet alors en question les principes du christianisme, ce qui deviendra un thème majeur tout au long de ses écrits et de sa critique sociale du capitalisme américain et du racisme.
Baldwin en tant que témoin
Le documentaire mélange les images et le travail de Medgar Evers, Malcolm X, et du Dr Martin Luther King Jr. avec la poésie et l’amour que Baldwin ressentait pour ses amis, aboutissant à une ambiance relaxante. Il relate également le retour de Baldwin aux États-Unis après un séjour en France au début du Mouvement des droits civiques.
Il est facile d’accepter que les trois martyrs assassinés, Medgar, Malcolm et Martin, se soient impliqués dans la lutte d’une manière différente de celle de James Baldwin. Même à ses yeux, quand il compare sa contribution à la leur, il se considère lui-même comme un témoin face à de vrais acteurs. En effet, Baldwin, un homme noir gay dans les années 50-60, a dû mener une lutte pour son acceptation et sa reconnaissance au sein même du Mouvement des droits civiques, caractérisé par une structure autoritaire et un environnement machiste et religieux.
Le narrateur du film, Samuel L. Jackson, prononce les mots de Baldwin avec une mélancolie qui vous hante alors que le documentaire débute dans le Sud profond des États-Unis. Le film commence par la vaillante lutte contre le lynchage et la ségrégation au Mississippi. Medgar Evers, organisateur de la NAACP (en français, association nationale pour la promotion des gens de couleur), était une figure essentielle du mouvement dans le Sud contre les lois Jim Crow (série de règlements racistes promulgués dans le Sud des États-Unis entre 1876 et 1964). Evers est le premier des amis de Baldwin à avoir été assassiné par des racistes en pleine rue, alors que sa femme et ses enfants regardaient avec horreur.
Les combattants les plus connus pour la liberté noire, issus de différents courants de pensée et d’action, respectivement Malcolm X et Dr King, sont également mis en évidence. Le film esquisse les différences entre Malcolm X et Dr King ainsi que leur évolution vers une approche plus commune, presque indiscernable. Bien que la vie de Baldwin n’ait pas fini violemment comme celle de ses trois amis, il a activement cherché à mettre en lumière l’héritage et les idées de Martin et Malcolm pour la nouvelle génération d’activistes, après leurs assassinats. Il a évoqué combien il tenait à Martin, mais a déclaré que les gens ne l’écouteraient plus. Il a compris comment Malcolm était plus attractif pour les jeunes noirs, corroborant leur réalité et leur montrant qu’ils existaient. Il explique bien que Malcolm n’ignorait pas les pauvres, les précaires ou les condamnés. Baldwin n’a pas rejoint la Nation de l’Islam (NOI), parce qu’il ne détestait pas les blancs pas plus qu’il n’acceptait la version afro-américaine de l’islam d’Elijah Muhammad (dirigeant de la Nation de l’Islam). Baldwin n’a pas rejoint le mouvement Black Panthers ou Gay Liberation parce qu’il ne voulait pas être prisonnier de concepts organisationnels ou idéologiques. Baldwin voulait être un penseur indépendant.
La lutte continue
“Non seulement je ne suis pas né pour être un esclave ; mais je ne suis pas non plus né pour espérer devenir l’égal d’un maître d’esclave.” – James Baldwin.
Le documentaire fait un fantastique travail pour mettre en lien la lutte des années ’60 et les conditions auxquelles les travailleurs et les jeunes noirs font actuellement face en raison du capitalisme et du racisme. Le documentaire brille des pensées perspicaces de Baldwin sur la couleur et le pouvoir. Ces idées sont examinées dans le film, un débat qui garde toute sa pertinence aujourd’hui. De nos jours, alors que l’information aux Etats-Unis est essentiellement contrôlée par cinq grandes entreprises, le capitalisme a appris à ne plus jamais permettre à un autre Malcolm ou Martin ou même un Baldwin d’accéder à une telle plate-forme. Les médias traditionnels ont aussi appris à limiter l’émergence de nouveaux mouvements indépendants des partis de Wall Street.
Tout comme le débat vidéo de YouTube sur “le rêve américain se réalise-t-il aux dépens du nègre américain”, ce film demande pourquoi l’Amérique a besoin du nègre? Baldwin évoque ce point (1) : “Il est très choquant de découvrir que le drapeau auquel tu as offert ton allégeance, comme tout un chacun, ne t’a pas offert la sienne. Il est très choquant, vers l’âge de cinq ou six ans, de découvrir que quand tu t’identifiais à Gary Cooper tuant les Indiens, tu étais en fait l’indien. Il est très choquant de découvrir que le pays dans lequel tu es né, dans lequel tu as vécu et auquel tu t’identifies, ne t’a pas laissé la moindre place, à un quelconque niveau de réalité.”
Les jeunes de Ferguson se sont rebellés en 2014 dans une ville où la classe ouvrière noire est criminalisée par la police d’État et discriminée par des politiques dignes des lois Jim Crow. Baldwin, en 1963, soulignait ce point : “Je suis sûr qu’ils n’ont rien contre les nègres, mais ce n’est vraiment pas la question, vous savez.” Baldwin ponctue ce point lors d’une autre interview télévisée : “La question est vraiment une sorte d’apathie et d’ignorance qui est le prix que nous avons payé pour la ségrégation. C’est ce que signifie la ségrégation; vous ne savez pas ce qui se passe de l’autre côté du mur parce que vous ne voulez pas savoir.” Ferguson, Baltimore, Tulsa et la montée du mouvement antiraciste Black Lives Matter ont montré que le système oppressif n’a pas beaucoup changé la réalité pour les travailleurs noirs et les jeunes en 50 ans.
L’importance d’I Am Not Your Negro
Le 1er décembre 2016 marquait le 30e anniversaire de la mort de James Baldwin. I Am Not Your Negro est un hommage et une reconnaissance de la contribution de Baldwin à la lutte pour mettre fin à l’exploitation, au racisme structurel et à la domination des entreprises sur nos vies.
Le film permet à une nouvelle génération de se pencher sur la richesse des mots, des idées et de la voix de Baldwin alors que nous construisons un mouvement des travailleurs de toutes les couleurs de peau pour affronter les attaques de Trump et de Wall Street contre les travailleurs, les pauvres et les gens de couleurs.
(1) http://www.nytimes.com/books/98/03/29/specials/baldwin-dream.html
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1966-2016: L'héritage des Black Panthers
Le Black Panther Party for Self Defense fut fondé à Oakland, en Californie, en 1966. Cet événement était le point culminant de la grande rébellion contre le racisme et la pauvreté qui a balayé les USA dans les années 50 et 60. Hannah Sell (Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au pays de Galles et parti-frère du PSL) revient dans cet article (datant de 2006) sur les leçons à tirer de la montée et de la chute de ce mouvement.
Au plus fort de leur influence, J Edgar Hoover, dirigeant du FBI, a qualifié les Black Panthers de ‘‘menace numéro 1 pour la sécurité des USA’’. 40 ans plus tard, Arnold Schwarzenegger, alors qu’il était gouverneur de Californie, les considérait encore comme une menace. Il a refusé de revenir sur la condamnation à mort de Stanley ‘‘Tookie’’ Williams parce qu’il ne pensait pas qu’il ait changé. Tookie était un membre fondateur du fameux gang Crips ; il a depuis changé son point de vue et a consacré sa vie à décourager les jeunes de rejoindre les gangs. La principale justification de Schwarzenegger pour refuser de croire que Tookie a changé était qu’il a dédicacé son livre à l’héroïque George Jackson, un Black Panther et révolutionnaire qui a été tué par des gardiens de prison en 1971.Mais alors que la classe dominante se rappelle des Black Panthers avec crainte, ces derniers seront vus comme des héros par la nouvelle génération de jeunes qui entre en lutte.
Le racisme et la pauvreté que subissaient les noirs-américains dans les années 50-60 n’ont pas fondamentalement changé aujourd’hui (ce qui a encore été illustré par la révolte de Ferguson, NDLR). Il est vrai qu’il y a maintenant une classe moyenne noire beaucoup plus nombreuse et plus riche qu’à cette époque. Une mince couche a même pénétré l’élite de la société américaine, comme Condoleezza Rice, secrétaire d’Etat sous George Bush, ou le président Obama. La classe dominante américaine a répondu à la révolte des années 50 et 60 par la décision consciente de développer une classe moyenne noire afin de freiner les mouvements futurs en créant une version du ‘‘rêve américain’’ pour les Noirs.
Ce rêve américain reste toutefois un mythe pour la classe ouvrière noire-américaine, encore plus que pour la classe ouvrière blanche. Selon les statistiques officielles, en 2004, 24,7% des noirs étaient catégorisés comme pauvres, contre 8,6% des blancs non-hispaniques. Le chômage est deux fois plus fort chez les noirs que chez les blancs et ils ont deux fois plus de chances de mourir d’une maladie, d’un accident ou d’un meurtre, à toute étape de leur vie. L’ouragan Katrina a révélé la réalité de la vie aux USA au 21e siècle : ce sont les pauvres qui ont été laissés en arrière alors que les digues étaient submergées, et la majorité de ces pauvres étaient noirs.
Dans les années 1960, pour reprendre les mots de George Jackson, ‘‘les hommes noirs nés aux USA et assez chanceux pour dépasser l’âge de 18 ans étaient conditionnés à accepter l’inéluctabilité de la prison.’’ Jackson lui-même a été condamné à une peine de prison ‘‘d’un an à vie’’ (condamnation à un an minimum, mais sans maximum, avec délibérations chaque année pour décider de la sortie où non) pour avoir braqué une station-service. De nos jours, la situation a peu changé pour les jeunes hommes de la classe ouvrière noire. Il y a constamment 11% d’entre eux en prison. Dans la plupart des États, purger une peine de prison signifie perdre définitivement le droit de vote. Dans les faits, le suffrage universel n’existe pas pour les hommes noirs. Dans les années 1960, comme aujourd’hui, le système pénitentiaire brutalisait des millions de jeunes noirs.
Cependant, dans cette période de radicalisation, pour beaucoup, la prison a servi d’université pour les idées révolutionnaires. Jackson expliquait : ‘‘J’ai rencontré Marx, Lénine, Trotsky, Engels et Mao quand je suis entré en prison, et ça m’a indemnisé.’’ Les Panthers, dont beaucoup ont été emprisonnés en raison de leurs activités, ont gagné un énorme soutien dans les prisons américaines.
Le capitalisme américain au 21e siècle a rejeté la classe des travailleurs noire-américaine. L’Histoire des Black Panthers n’est donc pas seulement d’intérêt historique, c’est également une leçon importante pour la nouvelle génération qui entre en lutte, en particulier aux USA, mais aussi dans le monde entier.
Ce n’est pas une coïncidence si le ‘‘mouvement des droits civiques’’ a éclaté dans les années 1950. La seconde guerre mondiale a eu un effet déclencheur. Non seulement des milliers de soldats noirs se sont battus et sont morts au nom de l’impérialisme américain, mais ils ont également été frappés par l’hypocrisie de la propagande de guerre. Ils se trouvaient face à une classe capitaliste qui proclamait qu’ils devaient se battre contre le racisme des nazis, alors que dans leur propre pays un racisme brutal était la norme. De plus, le capitalisme américain entrait dans une période prolongée de prospérité économique. Cela signifiait que de plus en plus de noirs partaient du Sud rural vers les villes, en particulier vers le Nord. En 1940, la moitié de la population noire vivait dans les villes. En 1970, c’étaient les trois quarts.
Devenir partie intégrante de la classe ouvrière – les communautés rurales isolées étant déplacées vers les grands centres urbains – a augmenté leur confiance et leur capacité de lutter. De plus, l’enrichissement et l’augmentation du niveau de vie de la classe moyenne blanche a rendu la pauvreté et la déchéance de la majorité des noirs de plus en plus visible. Finalement, les luttes de libération des masses en Afrique et en Asie, qui sont parvenues à renverser les empires coloniaux, ont constitué une grande source d’inspiration.
Alors que la lutte se développait, elle a changé le point de vue de la plupart de ceux qui y ont pris part. Le Civil Rights Act a été voté en 1965. S’il s’agissait bien d’une concession législative, elle ne changeait pourtant rien à la réalité de la pauvreté et de la brutalité policière. Même Martin Luther King, qui avait d’abord pensé que le rôle du mouvement était d’utiliser des méthodes pacifiques pour mettre la pression sur les Démocrates afin de garantir les droits civiques, a changé son point de vue dans la période qui a précédé son assassinat. Quand King a été brutalement tabassé par la police à Birmingham, en Alabama, en 1963, des émeutes ont éclaté dans tout le pays. Au milieu des décombres, King a déclaré avec justesse que les émeutes étaient « une révolte de classe des sous-privilégiés contre les privilégiés ». En 1967, il a été forcé de conclure : « Nous sommes entrés dans une époque qui doit être une époque de révolution (…) A quoi bon pouvoir entrer dans les cafétérias si on ne peut pas se payer un hamburger ? » Il a particulièrement commencé à défendre la nécessité d’en appeler aux travailleurs blancs et d’organiser la lutte sur une base de classe. Il était en faveur des méthodes de grève lorsqu’il a été assassiné.
Origine et création des Panthers
A la base du mouvement, des discussions prenaient place parmi les militants qui essayaient de trouver les méthodes de lutte les plus efficaces. Les idées pacifistes étaient de plus en plus rejetées, en particulier par la jeune génération. Dans le chaos de ces événements, les idées des Black Panthers se sont développées.A plus d’un titre, le mouvement des Black Panthers était un pas en avant. C’était une rupture avec le pacifisme et l’orientation de l’action vers les Démocrates, un parti du pro-capitaliste. En même temps, les Panthers avaient leurs limites, en particulier ses sous-entendus séparatistes et l’absence de programme clair.
Malcolm X s’était écarté du nationalisme noir du mouvement Black Power et avait tiré des conclusions anticapitalistes à un degré bien plus élevé que d’autres dirigeants, déclarant clairement qu’ « il ne peut y avoir de capitalisme sans racisme ». Malcolm X a été tué en février 1965. Les Black Panthers ont été fondés fin 1966 et considéraient qu’ils reprenaient les choses là où Malcolm X les avaient laissées. Les deux membres fondateurs, Huey P. Newton et Bobby Seale, se sont impliqués dans la lutte à une époque où l’on sentait qu’il n’y avait aucune voie claire pour avancer.
La jeune génération de militants était à la recherche d’idées. Newton et Seale ont commencé leur recherche, comme beaucoup de cette génération, avec les « nationalistes culturels », mais leur ont rapidement trouvé des lacunes. Dès le tout début, leurs désaccords se centraient sur la question de classe. Seale explique dans sa biographie, Seize the Time, comment Newton a commencé à contrer l’idée d’acheter dans des magasins noirs : « Il expliquait souvent que si un chef d’entreprise noir te fait payer le même prix ou plus cher, des prix encore plus élevés que chez les chefs d’entreprises blancs exploiteurs, alors lui non plus n’est rien d’autre qu’un exploiteur ».
Les Panthers rejetaient le séparatisme des nationalistes culturels et ont été fondés avec ce concept magnifique : « Nous ne combattons pas le racisme par le racisme. Nous combattons le racisme par la solidarité. Nous ne combattons pas le capitalisme exploiteur par le capitalisme noir. Nous combattons le capitalisme par le socialisme. Et nous ne combattons pas l’impérialisme par plus d’impérialisme. Nous combattons l’impérialisme par l’internationalisme prolétarien ».
En deux ans, les Panthers se sont propagés comme un feu de prairie, d’une poignée à Oakland, en Californie, à des sections dans toutes les villes les plus importantes des USA, vendant 125.000 exemplaires de leur journal, The Black Panther, par semaine. Ayant gagné un soutien phénoménal au cours des premières années, les Panthers ont décliné tout aussi rapidement, rongés par les scissions. Ils ont fait face à une pression policière énorme. La classe dirigeante était terrifiée par les Panthers et a décidé de les écraser. Il est estimé que le « cadre », ou le noyau, de l’organisation des Black Panthers n’a jamais dépassé les 1000 membres, et pourtant il est arrivé que 300 d’entre eux soient traduits en justice au même moment. 39 Panthers ont été abattus dans la rue ou chez eux par la police. De plus, la police a largement infiltré les Panthers. Cependant, ce n’était pas seulement une répression d’Etat très brutale qui a été responsable de la disparition des Black Panthers, mais aussi son échec à adopter une approche marxiste.
Les dirigeants des Panthers étaient à un niveau supérieur des organisations précédentes, se décrivant comme « marxistes-léninistes ». Les meilleurs des Panthers s’efforçaient héroïquement de trouver la meilleure voie pour gagner la libération des Noirs Américains, et en sont venus à comprendre que c’était lié à la lutte pour le socialisme. Toutefois, ils ont dû faire face à tous les problèmes liés au fait que leur mouvement se développait avant une lutte de masse généralisée de la classe ouvrière américaine. Ils n’ont pas été capables, dans la courte période de leur influence de masse, d’élaborer complètement la stratégie pour parvenir à leurs fins.
Le programme des Panthers
L’influence du stalinisme a engendré énormément de confusion dans le mouvement. Et une responsabilité plus grande qu’il n’y parait en incombe à celles de ces organisations, en particulier le SWP (Socialist Workers Party) américain, qui se disait trotskiste mais qui ne faisaient rien d’autre que suivre le mouvement Black Power, sans rien faire pour développer les vraies idées du Marxisme chez les militants radicaux noirs. En fait, loin d’aider les Panthers à développer leurs méthodes et leur programme, le SWP américain a même critiqué les Panthers parce qu’ils osaient s’opposer au racisme des nationalistes culturels : « Le concept qu’il est possible pour les Noirs d’être racistes est l’un de ceux que le mouvement nationaliste a dû toujours combattre depuis le premier réveil de la conscience noire ».
La plus grande force des Panthers était qu’ils s’acharnaient à défendre une solution aux problèmes des Noirs-américains basée sur la classe plutôt que sur la race. L’attitude du SWP américain contrastait avec celle de Bobby Seale : « Ceux qui veulent obscurcir la lutte avec les différences ethniques sont ceux qui aident à maintenir l’exploitation des masses. Nous avons besoin d’unité pour vaincre la classe des patrons – toute grève le montre. Toute bannière d’organisation de travailleurs déclare : ‘L’union fait la force’ ».
Les Panthers ont été fondés autour d’un programme en dix points : « Ce que nous voulons et ce en quoi nous croyons ». La première revendication est : « Nous voulons la liberté. Nous voulons le pouvoir de déterminer la destinée de la communauté noire. Nous croyons que les Noirs ne seront libres que lorsque nous serons capables de déterminer notre destinée ». La seconde était pour le plein emploi, la troisième pour la fin du vol de la communauté noire par l’homme Blanc, la quatrième pour des logements décents et un système d’éducation « qui expose la vraie nature de cette société américaine décadente ». D’autres revendications incluaient la fin de la brutalité policière, l’exemption des Noirs du service militaire, et « pour tout homme noir traduit en justice, le droit d’être jugé par un jury composé de ses pairs ou de personnes des communautés noires ».
A leur début, ils ont combiné la campagne autour du programme en dix points avec l’organisation de la défense de leur communauté locale contre la brutalité policière. Pendant cette période, la principale activité des Panthers était de « surveiller les porcs », c’est-à-dire, de surveiller l’activité policière pour essayer de s’assurer que les droits civiques des Noirs soient respectés. Quand les membres des Panthers voyaient la police contrôler un conducteur noir, ils s’arrêtaient et observaient l’incident, habituellement les armes à la main. A cette époque, il était légal en Californie de porter les armes dans certaines limites et les Panthers affirmaient leur droit à le faire, citant les articles de lois correspondant. La troisième composante du travail des Panthers était de fournir de la nourriture, des vêtements et des soins médicaux gratuits dans les communautés noires pauvres et ouvrières. Les Panthers ont aussi pris une position claire et positive sur la question des droits des femmes, et la direction a lutté pour assurer que les femmes puissent jouer un rôle complet dans le parti.
Cela montrait que la communauté noire devait avoir ses propres organisations, et l’appartenance aux Panthers n’était ouverte qu’aux Noirs. Cependant, ils soutenaient qu’ils devraient travailler ensemble avec des organisations basées dans d’autres communautés. De fait, un certain nombre d’autres organisations ont été fondées (souvent basées au début autour d’ex-membres de gangs) dans les communautés ouvrières urbaines, qui se sont inspirées des Panthers. Il y avait ainsi une organisation portoricaine basée à New York, les Young Lords, et une organisation blanche, les Young Patriots, à Chicago.
Cependant, ce fut le mouvement de masse contre la guerre du Vietnam qui a montré le plus clairement aux Panthers qu’une partie des Blancs étaient prête à lutter. Comme le formulait Huey P Newton : « Les jeunes révolutionnaires blancs sont montés au créneau pour le retrait des troupes du Vietnam mais aussi de l’Amérique Latine, de la République Dominicaine, des communautés noires ou des colonies noires. Il s’agit donc d’une situation dans laquelle les jeunes révolutionnaires blancs tentent de s’identifier aux peuples des colonies et contre les exploiteurs ».
Les Panthers étaient, en général, inspirés par les luttes contre les empires coloniaux qui prenaient place dans le monde entier. Leur attitude envers le Vietnam était claire. Dans un appel aux soldats noirs, ils ont déclaré : « Il est juste que les Vietnamiens se défendent eux-mêmes, défendent leur pays et luttent pour l’auto-détermination, parce qu’ils ne nous ont JAMAIS opprimés. Ils ne nous ont JAMAIS traités de ‘nègres’. »
La révolte contre la guerre au Vietnam a eu un effet majeur sur la communauté noire. En général, c’était la classe ouvrière qui souffrait le plus de la conscription. Les Panthers qui étaient conscrits montaient des groupes dans l’armée. Ils travaillaient sur un terrain fertile. Un sondage a montré que 45% des soldats noirs au Vietnam auraient été prêts à prendre les armes pour servir la justice chez eux. Le soulèvement contre la guerre du Vietnam a pétrifié la classe dominante américaine. Durant la guerre d’Irak, les USA n’ont pas osé réintroduire la conscription tant la classe dominante et les Américains en général se souviennent du Vietnam et de ses conséquences.
Mais, si les Panthers ont bien accueilli la radicalisation de la jeunesse blanche dans le mouvement anti-guerre, trouver des alliés concrets avec qui travailler s’est révélé plus difficile. Les Panthers se sont présentés aux élections avec le Peace and Freedom Party, qui faisait campagne en premier lieu contre la guerre au Vietnam et l’oppression des communautés noires. En 1967, quand Huey était en prison, les Panthers ont travaillé avec le PFP pour « libérer Huey ».
Cependant, ni le PFP, ni aucune des organisations avec qui les Panthers ont travaillé, n’avaient une base signifiante dans la classe ouvrière. Newton l’a reconnu en expliquant en 1971 : « Notre prise de contact avec les radicaux blancs ne nous a pas donné accès à la communauté blanche, parce qu’ils ne guident pas la communauté blanche ».
Peu de liens avec les travailleurs
La principale orientation des Panthers n’était pas non plus la classe ouvrière noire organisée. Ils organisaient des « comités » avec les syndicats, comme le raconte Bobby Seale, « pour aider à éduquer le reste des membres des syndicats au fait qu’ils peuvent aussi avoir une vie meilleure. Nous voulons que les travailleurs comprennent qu’ils peuvent contrôler les moyens de production, et qu’ils devraient commencer à utiliser leur pouvoir pour contrôler les moyens de production pour servir tout le peuple. »
C’était une conception correcte mais, en réalité, le travail syndical était une toute petite partie de ce que les Panthers faisaient. Ils s’orientaient consciemment en priorité vers les sections de la communauté noire les plus opprimées et touchées par le chômage – qu’ils décrivaient, utilisant l’expression de Marx, comme le « lumpenproletariat ». Il est vrai que ces sections les plus désespérées de la société sont capables de sacrifices incroyables pour la lutte, et comme les Panthers le disaient, qu’il est important de gagner ces sections les plus opprimées à un parti révolutionnaire. C’était le cas en particulier étant donné les conditions sociales horribles dans lesquelles la plupart des Noir-américains étaient obligés de vivre.
L’urbanisation qui a accompagné le boom d’après-guerre a mené à une migration de masse des travailleurs noirs vers les villes industrielles du Nord. Ils arrivaient pour vivre dans des ghettos, dans la pire des pauvretés. Dans beaucoup d’endroits, la majorité était au chômage. Cependant, les travailleurs noirs formaient une partie significative de la force de travail et, en raison de son rôle dans la production, la classe ouvrière industrielle a un rôle-clé à jouer dans la transformation socialiste de la société.
Les travailleurs noirs ont été à l’avant-garde des meilleures traditions de la classe ouvrière américaine. Avant la guerre, beaucoup de Noirs ont été influencés par les grandes luttes syndicales des années ’20 et ’30, en particulier la grande vague de grèves qui a éclaté en 1934, dont des grèves avec occupation et des grèves générales dans des villes (la rébellion des camionneurs à Minneapolis et l’occupation d’Auto Lite à Toledo, Ohio). Les campagnes de masse d’organisation parmi les ouvriers industriels et les travailleurs non-qualifiés ont donné naissance au Congress of Industrial Organisations (CIO), formé en 1936. Les nouveaux syndicats industriels (United Automobile Workers, United Mine Workers, United Steel Workers (métallurgistes), etc) ont immédiatement attiré plus de 500.000 membres noirs, au contraire des vieux syndicats corporatistes comme l’American Federation of Labor. Cette expérience a été utilisée à bon escient pendant la guerre, par exemple pendant la grève de 1941 du syndicat des bagagistes noirs, la Brotherhood of Sleeping Car Porters, qui a forcé le gouvernement à en finir avec la discrimination raciale ouverte dans les usines d’armement fédérales.
Avec une orientation correcte, le potentiel existait indubitablement pour les Panthers de gagner le soutien de parties importantes de la classe ouvrière, dont une couche des travailleurs blancs. Bien sûr, toutes sortes de préjugés racistes existaient parmi une partie des travailleurs blancs (y compris ceux qui étaient syndiqués) et devaient être combattus. Cependant, la fin du redressement d’après-guerre a mené à une montée du chômage et à une intensification du travail pour toutes les couches de la classe ouvrière. Alors que la classe ouvrière noire était la plus combative, pour avoir fait face à des conditions bien pires, la classe ouvrière blanche commençait aussi à se radicaliser.L’absence d’une base parmi la classe ouvrière est un des éléments qui a augmenté la tendance vers un régime autoritaire parmi les Panthers. Elle s’est aussi ajoutée à la tendance, qui avait toujours existé dans une certaine mesure, à essayer de prendre des raccourcis en se substituant aux masses avec des actes courageux, comme les manifestations armées au parlement d’État californien.
C’était l’influence du stalinisme qui était en grande partie responsable de l’échec des Panthers à avoir une orientation consistante envers la classe ouvrière. La direction des Panthers s’est inspirée en particulier des révolutions cubaine et chinoise, toutes deux dirigées par des dirigeants de guérilla petit-bourgeois basés sur la paysannerie, avec une classe ouvrière jouant un rôle passif. De plus, les Panthers, de nouveau en suivant les staliniens et sur base sur leur propre expérience de la brutalité de l’État américain, ont faussement conclu que le fascisme était sur le point d’arriver aux USA. Cela, combiné aux conditions désespérées des Noirs, a créé une impatience irrésistible d’une solution immédiate et s’est ajouté à l’absence d’une stratégie consistante pour gagner patiemment de plus larges sections de la classe ouvrière.
Cependant, le SWP américain porte aussi une responsabilité pour avoir échoué à mettre en avant un programme qui aurait pu gagner les sections les plus avancées de la classe ouvrière américaine. A Cuba, malgré l’absence d’une authentique démocratie ouvrière, le SWP n’était pas du tout critique vis-à-vis du régime. Aux USA, le SWP a pris part aux mouvements anti-guerre et Black Power mais n’a absolument fait aucune tentative pour les mener au-delà de leur niveau de développement existant. L’existence des Black Panthers, malgré leurs limites, montrait en pratique comment la conscience se développe en résultat de la lutte contre les réalités brutales du capitalisme. Le fait qu’il n’existait pas de parti résolument marxiste qui aurait pu offrir une stratégie aux Black Panthers et aux centaines de milliers de personnes qui ont été touchées par ce mouvement reste une tragédie.
Un État noir séparé ?
Une partie de l’explication du triste rôle du SWP américain réside dans l’incompréhension des écrits de Trotsky sur le nationalisme noir datant des années 1930. Trotsky se basait sur l’approche développée par Lénine et les Bolcheviks en ce qui concerne la question nationale et le droit des nations à l’auto-détermination.
Lénine, en particulier, comprenait complètement que pour le succès de la révolution en Russie, il était vital de défendre le droit à l’auto-détermination, jusque et y compris le droit à faire sécession, pour les nombreuses nationalités qui souffraient de l’oppression brutale de la Russie tsariste. C’était seulement sur cette base qu’il était possible de parvenir à lutter pour le maximum d’unité de la classe ouvrière au-delà des divisions nationales et religieuses. Défendre le droit de faire sécession, cependant, ne signifiait pas nécessairement défendre la sécession. En fait, c’est l’approche extrêmement habile et sensible de Lénine qui a permis que, dans la période immédiate après la révolution, la République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie a intégré beaucoup des nationalités opprimées par le Tsarisme, mais sur une base libre et volontaire.
Trotsky avait soulevé des points sur ces questions dans des discussions avec ses partisans américains dans les années 1930, après que le Parti Communiste stalinien ait suggéré l’idée d’un Etat noir séparé aux USA. Les partisans de Trotsky ont d’abord réagi en rejetant cette revendication et en l’opposant à la nécessité de l’unité de classe. Trotsky a mis en avant que, à une certaine étape, face à la répression brutale, la revendication d’un État séparé – c’est à dire, le développement d’une conscience nationale – pourrait émerger parmi de larges couches, et que dans ce cas, les Marxistes devraient soutenir le droit des Noirs-américains à un État.
La méthode d’analyse de Trotsky était correcte. Mais un changement des circonstances a eu comme conséquence que la revendication d’un État séparé au sein du territoire américain n’a pas été avancée. A l’époque où Trotsky écrivait, il y avait une majorité de Noirs dans deux États du Sud, le Mississippi et l’Alabama, et la plupart des Noirs pauvres vivaient dans le Sud. En 1970, trois quart des Noirs vivaient dans les grandes villes, et une majorité dans le Nord. Alors que la conscience des Noirs était, et est toujours, extrêmement forte, il était donc moins probable qu’elle se développe en la demande d’une nation séparée.
Cependant, même si cela avait été la conscience du peuple noir, cela n’aurait pas excusé l’approche du SWP américain. Trotsky mettait en avant le rôle de la classe ouvrière comme seule force capable de gagner la libération nationale en tant que partie de la lutte pour le socialisme. Il expliquait l’importance d’une position indépendante de la classe ouvrière, et qu’il serait une profonde erreur de compter sur les dirigeants bourgeois et petit-bourgeois des mouvements nationalistes. A leur crédit, les Black Panthers se sont approchés bien plus de la compréhension de ces points que les Trotskistes auto-déclarés du SWP américains, qui ont suivi sans aucune critique les idées petite-bourgeoises des nationalistes culturels.
Pertinence en Grande-Bretagne
De nos jours en Grande-Bretagne, la situation à laquelle nous faisons face est très différente de celle qui existait aux USA dans les années 1960. Mais il y a des leçons à en tirer. L’histoire différente de la Grande-Bretagne fait que, d’un côté, il y a un plus haut degré d’intégration dans les communautés ouvrières. La pauvreté aux USA a un élément beaucoup plus « racial » qu’en Grande-Bretagne. Cependant, en général, les travailleurs des minorités ethniques souffrent plus du chômage et de la pauvreté que la classe ouvrière globalement. Par exemple, en 1999, 28% des familles blanches vivaient sous le seuil de pauvreté contre 41% des familles caribéennes et 84% des familles bangladaises. D’un autre côté, la classe dominante britannique n’a jamais réussi à développer une élite noire à la mesure de ce que la classe dirigeante américaine a fait suite aux soulèvements des années 1950 et 1960.
Si toutes les minorités ethniques souffrent du racisme, ce sont les musulmans qui sont les principales cibles du racisme et des préjugés dans la dernière période en Grande-Bretagne. L’histoire des musulmans de Grande-Bretagne a été une histoire de pauvreté et de discriminations. Historiquement, cette discrimination a été seulement l’une des facettes du racisme de la société capitaliste. Sur la dernière décennie, cependant, et en particulier depuis l’horreur du 11 septembre 2001, il n’y a aucun doute que les préjugés antimusulmans et l’islamophobie, ont dramatiquement augmenté. Alors que d’autres formes de racisme subsistent, les musulmans font face aux pires formes de discriminations en Grande-Bretagne aujourd’hui. La participation du gouvernement aux guerres brutales d’assujettissement contre l’Afghanistan et l’Irak, deux pays majoritairement musulmans, avec toute la propagande de dénigrement des peuples de ces deux pays, a encore augmenté l’islamophobie. La politique étrangère du gouvernement a aussi mis les Musulmans britanniques énormément en colère.
S’il y a beaucoup de grandes différences entre les deux situations, une comparaison limitée peut toutefois être faite entre la colère et la radicalisation des musulmans aujourd’hui et la colère des Noirs-américains au début du mouvement des droits civiques. La toile de fond générale est différente. Depuis la chute des régimes staliniens grotesques il y a plus de 10 ans, que les capitalistes faisaient faussement passer pour le socialisme authentique, les idées socialistes ne sont pas encore vues comme une alternative viable par les masses de la classe ouvrière, y compris la plupart des musulmans. D’un point de vue international, il n’existe pas de luttes de masse pour la libération nationale comparables à celles qui existaient dans les années 1950 et 1960 et qui ont inspiré la révolte aux USA. En leur absence, les idées de l’Islam politique de droite, y compris les idées hautement réactionnaires et les méthodes d’organisations terroristes comme Al-Qaïda, ont occupé la place vide. La grande majorité des Musulmans de Grande-Bretagne sont dégoûtés par Al-Qaïda, mais une petite minorité est tellement aliénée qu’elle est prête à soutenir de telles idées réactionnaires.
Cependant, beaucoup de Musulmans ont été touchés par le mouvement anti-guerre qui, à son apogée, a vu 2 millions de personnes de tous groupes ethniques et religieux marcher dans les rues de Londres. Il faut se souvenir que les idées socialistes touchaient une toute petite minorité au début du soulèvement noir-américain mais se sont ensuite fortement répandues lorsque le mouvement a été confronté au capitalisme américain. Il existe aujourd’hui une opportunité de gagner aux idées socialistes les travailleurs et les jeunes musulmans les plus avancés. Sur base des événements, il sera possible de gagner les masses dans le futur. A moyen et long terme, l’absence du stalinisme permettra de gagner plus facilement le soutien aux idées du socialisme authentique. Dans les années 1960, même si le stalinisme constituait un certain pôle d’attraction, il avait aussi un effet fortement déformant sur des idées socialistes adoptées aux USA et ailleurs.
Les idées socialistes
Pourtant, pour gagner des parties de la classe ouvrière au vrai socialisme, il est nécessaire de mettre en avant un vrai programme socialiste. Malheureusement, en Grande-Bretagne, l’organisation socialiste la plus connue dans le mouvement anti-guerre, le Socialist Workers’ Party (sans rapport avec le SWP américain), n’a pas encore adopté cette approche. Par exemple, alors qu’il est à la tête de la coalition Stop the War, le SWP a décidé de ne pas développer les idées socialistes dans cette plate-forme, et a fait en sorte que les autres socialistes ne puissent pas avoir l’occasion de le faire.
Respect, le parti que le SWP a cofondé avec le parlementaire George Galloway, est né du mouvement anti-guerre et a eu certains succès électoraux, en particulier en faisant élire George Galloway comme parlementaire de Bethnal Green and Bow. Cependant, il s’est surtout concentré sur une seule section de la société, la communauté musulmane, qu’il est important de gagner, mais pas au détriment du contact avec le reste de la classe ouvrière. Si Respect continue à se développer dans une direction l’assimilant à un « parti musulman », cela pourrait repousser d’autres parties de la classe ouvrière et même renforcer les idées racistes par inadvertance, tout en renforçant l’idée incorrecte que la communauté musulmane peut gagner sa libération en agissant comme un bloc musulman.
Le SWP pourrait-il tenter d’établir une comparaison avec les Black Panthers pour soutenir cette stratégie erronée ? En dehors des différences sociales et politiques importantes (non des moindres, le fait que les Musulmans représentent 2,8% de la population britannique alors que les Noirs forment 11% de celle des USA), il y a la question cruciale de la direction prise. Les Black Panthers partaient du nationalisme noir pour arriver à une position de classe. Dans le futur, il est possible que les groupes organisés de travailleurs musulmans se développent dans une direction similaire, cherchant peut-être à s’affilier ou à travailler avec un futur parti de la classe ouvrière. Cela représenterait un pas en avant. L’une des raisons pour lesquelles nous défendons le fait que les nouveaux partis de travailleurs disposent de structures fédéralistes est précisément pour permettre aux différents groupes de travailleurs de garder leurs propres organisations tout en travaillant ensemble à construire un parti large.
Cependant, la situation de Respect est très différente. La majorité des militants de Respect sont des socialistes de longue date mais, loin d’utiliser l’opportunité de gagner les Musulmans de la classe ouvrière aux idées socialistes, ils ont baissé leur bannière. Malheureusement, dans leur manque d’approche principielle, il y a une comparaison à faire avec les erreurs de leur homonyme, le SWP américain.
La tragédie des Black Panthers est que, ayant échoué à développer une approche marxiste complète, malgré leurs meilleurs efforts, ils ont rapidement décliné. Les difficultés des Panthers ont mené certains, en particulier autour de Eldridge Cleaver, à se tourner vers l’impasse du terrorisme. De nos jours, en Grande-Bretagne, nous voyons une petite minorité de jeunes musulmans prendre ce chemin erroné. Cependant, sur base de futures défaites, le danger est réel que de plus grands nombres, de toutes origines ethniques, se tournent dans cette direction parce qu’ils ne voient pas d’autres moyens efficaces de lutter. La construction d’une alternative socialiste de masse est la seule voie efficace pour couper ce processus. Les Panthers, malgré leurs limites, nous montrent la détermination de la couche avancée des travailleurs conscients, une fois qu’ils sont engagés dans la lutte, à trouver la route du socialisme authentique. Alors même que Cleaver et d’autres fonçaient tête baissée sur la route du terrorisme, Newton et d’autres ont tenté, même s’ils n’ont pas réussi, de réorienter les Panthers.
Plus tard, Newton a fait cette réflexion au sujet de leurs erreurs : « Nous étions vus comme un groupe militaire ad-hoc, opérant en dehors du tissu communautaire et trop radical pour en faire partie. Nous nous voyions comme l’avant-garde révolutionnaire et n’avions pas complètement compris que seul le peuple peut créer la révolution. C’est pourquoi le peuple ‘n’a pas suivi notre direction en en prenant les armes’. »
Tout comme Newton et Seale sont montés sur les épaules de Malcolm X, les générations futures de travailleurs et de jeunes noirs vont reprendre toutes les grandes forces des Panthers et construire sur ces bases pour créer un parti capable de mener à bien la transformation socialiste de la société.
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L’héritage des Black Panthers : Quelles leçons tirer ?
Le Black Panther Party for Self Defense fut fondé à Oakland, en Californie, en 1966. Cet événement était le point culminant de la grande rébellion contre le racisme et la pauvreté qui a balayé les USA dans les années 50 et 60. Hannah Sell (Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au pays de Galles et parti-frère du PSL) revient dans cet article (datant de 2006) sur les leçons à tirer de la montée et de la chute de ce mouvement.
Au plus fort de leur influence, J Edgar Hoover, dirigeant du FBI, a qualifié les Black Panthers de ‘‘menace numéro 1 pour la sécurité des USA’’. 40 ans plus tard, Arnold Schwarzenegger, alors qu’il était gouverneur de Californie, les considérait encore comme une menace. Il a refusé de revenir sur la condamnation à mort de Stanley ‘‘Tookie’’ Williams parce qu’il ne pensait pas qu’il ait changé. Tookie était un membre fondateur du fameux gang Crips ; il a depuis changé son point de vue et a consacré sa vie à décourager les jeunes de rejoindre les gangs. La principale justification de Schwarzenegger pour refuser de croire que Tookie a changé était qu’il a dédicacé son livre à l’héroïque George Jackson, un Black Panther et révolutionnaire qui a été tué par des gardiens de prison en 1971.Mais alors que la classe dominante se rappelle des Black Panthers avec crainte, ces derniers seront vus comme des héros par la nouvelle génération de jeunes qui entre en lutte.
Le racisme et la pauvreté que subissaient les noirs-américains dans les années 50-60 n’ont pas fondamentalement changé aujourd’hui (ce qui a encore été illustré par la révolte de Ferguson, NDLR). Il est vrai qu’il y a maintenant une classe moyenne noire beaucoup plus nombreuse et plus riche qu’à cette époque. Une mince couche a même pénétré l’élite de la société américaine, comme Condoleezza Rice, secrétaire d’Etat sous George Bush, ou le président Obama. La classe dominante américaine a répondu à la révolte des années 50 et 60 par la décision consciente de développer une classe moyenne noire afin de freiner les mouvements futurs en créant une version du ‘‘rêve américain’’ pour les Noirs.
Ce rêve américain reste toutefois un mythe pour la classe ouvrière noire-américaine, encore plus que pour la classe ouvrière blanche. Selon les statistiques officielles, en 2004, 24,7% des noirs étaient catégorisés comme pauvres, contre 8,6% des blancs non-hispaniques. Le chômage est deux fois plus fort chez les noirs que chez les blancs et ils ont deux fois plus de chances de mourir d’une maladie, d’un accident ou d’un meurtre, à toute étape de leur vie. L’ouragan Katrina a révélé la réalité de la vie aux USA au 21e siècle : ce sont les pauvres qui ont été laissés en arrière alors que les digues étaient submergées, et la majorité de ces pauvres étaient noirs.
Dans les années 1960, pour reprendre les mots de George Jackson, ‘‘les hommes noirs nés aux USA et assez chanceux pour dépasser l’âge de 18 ans étaient conditionnés à accepter l’inéluctabilité de la prison.’’ Jackson lui-même a été condamné à une peine de prison ‘‘d’un an à vie’’ (condamnation à un an minimum, mais sans maximum, avec délibérations chaque année pour décider de la sortie où non) pour avoir braqué une station-service. De nos jours, la situation a peu changé pour les jeunes hommes de la classe ouvrière noire. Il y a constamment 11% d’entre eux en prison. Dans la plupart des États, purger une peine de prison signifie perdre définitivement le droit de vote. Dans les faits, le suffrage universel n’existe pas pour les hommes noirs. Dans les années 1960, comme aujourd’hui, le système pénitentiaire brutalisait des millions de jeunes noirs.
Cependant, dans cette période de radicalisation, pour beaucoup, la prison a servi d’université pour les idées révolutionnaires. Jackson expliquait : ‘‘J’ai rencontré Marx, Lénine, Trotsky, Engels et Mao quand je suis entré en prison, et ça m’a indemnisé.’’ Les Panthers, dont beaucoup ont été emprisonnés en raison de leurs activités, ont gagné un énorme soutien dans les prisons américaines.
Le capitalisme américain au 21e siècle a rejeté la classe des travailleurs noire-américaine. L’Histoire des Black Panthers n’est donc pas seulement d’intérêt historique, c’est également une leçon importante pour la nouvelle génération qui entre en lutte, en particulier aux USA, mais aussi dans le monde entier.
Ce n’est pas une coïncidence si le ‘‘mouvement des droits civiques’’ a éclaté dans les années 1950. La seconde guerre mondiale a eu un effet déclencheur. Non seulement des milliers de soldats noirs se sont battus et sont morts au nom de l’impérialisme américain, mais ils ont également été frappés par l’hypocrisie de la propagande de guerre. Ils se trouvaient face à une classe capitaliste qui proclamait qu’ils devaient se battre contre le racisme des nazis, alors que dans leur propre pays un racisme brutal était la norme. De plus, le capitalisme américain entrait dans une période prolongée de prospérité économique. Cela signifiait que de plus en plus de noirs partaient du Sud rural vers les villes, en particulier vers le Nord. En 1940, la moitié de la population noire vivait dans les villes. En 1970, c’étaient les trois quarts.
Devenir partie intégrante de la classe ouvrière – les communautés rurales isolées étant déplacées vers les grands centres urbains – a augmenté leur confiance et leur capacité de lutter. De plus, l’enrichissement et l’augmentation du niveau de vie de la classe moyenne blanche a rendu la pauvreté et la déchéance de la majorité des noirs de plus en plus visible. Finalement, les luttes de libération des masses en Afrique et en Asie, qui sont parvenues à renverser les empires coloniaux, ont constitué une grande source d’inspiration.
Alors que la lutte se développait, elle a changé le point de vue de la plupart de ceux qui y ont pris part. Le Civil Rights Act a été voté en 1965. S’il s’agissait bien d’une concession législative, elle ne changeait pourtant rien à la réalité de la pauvreté et de la brutalité policière. Même Martin Luther King, qui avait d’abord pensé que le rôle du mouvement était d’utiliser des méthodes pacifiques pour mettre la pression sur les Démocrates afin de garantir les droits civiques, a changé son point de vue dans la période qui a précédé son assassinat. Quand King a été brutalement tabassé par la police à Birmingham, en Alabama, en 1963, des émeutes ont éclaté dans tout le pays. Au milieu des décombres, King a déclaré avec justesse que les émeutes étaient « une révolte de classe des sous-privilégiés contre les privilégiés ». En 1967, il a été forcé de conclure : « Nous sommes entrés dans une époque qui doit être une époque de révolution (…) A quoi bon pouvoir entrer dans les cafétérias si on ne peut pas se payer un hamburger ? » Il a particulièrement commencé à défendre la nécessité d’en appeler aux travailleurs blancs et d’organiser la lutte sur une base de classe. Il était en faveur des méthodes de grève lorsqu’il a été assassiné.
Origine et création des Panthers
A la base du mouvement, des discussions prenaient place parmi les militants qui essayaient de trouver les méthodes de lutte les plus efficaces. Les idées pacifistes étaient de plus en plus rejetées, en particulier par la jeune génération. Dans le chaos de ces événements, les idées des Black Panthers se sont développées.A plus d’un titre, le mouvement des Black Panthers était un pas en avant. C’était une rupture avec le pacifisme et l’orientation de l’action vers les Démocrates, un parti du pro-capitaliste. En même temps, les Panthers avaient leurs limites, en particulier ses sous-entendus séparatistes et l’absence de programme clair.
Malcolm X s’était écarté du nationalisme noir du mouvement Black Power et avait tiré des conclusions anticapitalistes à un degré bien plus élevé que d’autres dirigeants, déclarant clairement qu’ « il ne peut y avoir de capitalisme sans racisme ». Malcolm X a été tué en février 1965. Les Black Panthers ont été fondés fin 1966 et considéraient qu’ils reprenaient les choses là où Malcolm X les avaient laissées. Les deux membres fondateurs, Huey P. Newton et Bobby Seale, se sont impliqués dans la lutte à une époque où l’on sentait qu’il n’y avait aucune voie claire pour avancer.
La jeune génération de militants était à la recherche d’idées. Newton et Seale ont commencé leur recherche, comme beaucoup de cette génération, avec les « nationalistes culturels », mais leur ont rapidement trouvé des lacunes. Dès le tout début, leurs désaccords se centraient sur la question de classe. Seale explique dans sa biographie, Seize the Time, comment Newton a commencé à contrer l’idée d’acheter dans des magasins noirs : « Il expliquait souvent que si un chef d’entreprise noir te fait payer le même prix ou plus cher, des prix encore plus élevés que chez les chefs d’entreprises blancs exploiteurs, alors lui non plus n’est rien d’autre qu’un exploiteur ».
Les Panthers rejetaient le séparatisme des nationalistes culturels et ont été fondés avec ce concept magnifique : « Nous ne combattons pas le racisme par le racisme. Nous combattons le racisme par la solidarité. Nous ne combattons pas le capitalisme exploiteur par le capitalisme noir. Nous combattons le capitalisme par le socialisme. Et nous ne combattons pas l’impérialisme par plus d’impérialisme. Nous combattons l’impérialisme par l’internationalisme prolétarien ».
En deux ans, les Panthers se sont propagés comme un feu de prairie, d’une poignée à Oakland, en Californie, à des sections dans toutes les villes les plus importantes des USA, vendant 125.000 exemplaires de leur journal, The Black Panther, par semaine. Ayant gagné un soutien phénoménal au cours des premières années, les Panthers ont décliné tout aussi rapidement, rongés par les scissions. Ils ont fait face à une pression policière énorme. La classe dirigeante était terrifiée par les Panthers et a décidé de les écraser. Il est estimé que le « cadre », ou le noyau, de l’organisation des Black Panthers n’a jamais dépassé les 1000 membres, et pourtant il est arrivé que 300 d’entre eux soient traduits en justice au même moment. 39 Panthers ont été abattus dans la rue ou chez eux par la police. De plus, la police a largement infiltré les Panthers. Cependant, ce n’était pas seulement une répression d’Etat très brutale qui a été responsable de la disparition des Black Panthers, mais aussi son échec à adopter une approche marxiste.
Les dirigeants des Panthers étaient à un niveau supérieur des organisations précédentes, se décrivant comme « marxistes-léninistes ». Les meilleurs des Panthers s’efforçaient héroïquement de trouver la meilleure voie pour gagner la libération des Noirs Américains, et en sont venus à comprendre que c’était lié à la lutte pour le socialisme. Toutefois, ils ont dû faire face à tous les problèmes liés au fait que leur mouvement se développait avant une lutte de masse généralisée de la classe ouvrière américaine. Ils n’ont pas été capables, dans la courte période de leur influence de masse, d’élaborer complètement la stratégie pour parvenir à leurs fins.
Le programme des Panthers
L’influence du stalinisme a engendré énormément de confusion dans le mouvement. Et une responsabilité plus grande qu’il n’y parait en incombe à celles de ces organisations, en particulier le SWP (Socialist Workers Party) américain, qui se disait trotskiste mais qui ne faisaient rien d’autre que suivre le mouvement Black Power, sans rien faire pour développer les vraies idées du Marxisme chez les militants radicaux noirs. En fait, loin d’aider les Panthers à développer leurs méthodes et leur programme, le SWP américain a même critiqué les Panthers parce qu’ils osaient s’opposer au racisme des nationalistes culturels : « Le concept qu’il est possible pour les Noirs d’être racistes est l’un de ceux que le mouvement nationaliste a dû toujours combattre depuis le premier réveil de la conscience noire ».
La plus grande force des Panthers était qu’ils s’acharnaient à défendre une solution aux problèmes des Noirs-américains basée sur la classe plutôt que sur la race. L’attitude du SWP américain contrastait avec celle de Bobby Seale : « Ceux qui veulent obscurcir la lutte avec les différences ethniques sont ceux qui aident à maintenir l’exploitation des masses. Nous avons besoin d’unité pour vaincre la classe des patrons – toute grève le montre. Toute bannière d’organisation de travailleurs déclare : ‘L’union fait la force’ ».
Les Panthers ont été fondés autour d’un programme en dix points : « Ce que nous voulons et ce en quoi nous croyons ». La première revendication est : « Nous voulons la liberté. Nous voulons le pouvoir de déterminer la destinée de la communauté noire. Nous croyons que les Noirs ne seront libres que lorsque nous serons capables de déterminer notre destinée ». La seconde était pour le plein emploi, la troisième pour la fin du vol de la communauté noire par l’homme Blanc, la quatrième pour des logements décents et un système d’éducation « qui expose la vraie nature de cette société américaine décadente ». D’autres revendications incluaient la fin de la brutalité policière, l’exemption des Noirs du service militaire, et « pour tout homme noir traduit en justice, le droit d’être jugé par un jury composé de ses pairs ou de personnes des communautés noires ».
A leur début, ils ont combiné la campagne autour du programme en dix points avec l’organisation de la défense de leur communauté locale contre la brutalité policière. Pendant cette période, la principale activité des Panthers était de « surveiller les porcs », c’est-à-dire, de surveiller l’activité policière pour essayer de s’assurer que les droits civiques des Noirs soient respectés. Quand les membres des Panthers voyaient la police contrôler un conducteur noir, ils s’arrêtaient et observaient l’incident, habituellement les armes à la main. A cette époque, il était légal en Californie de porter les armes dans certaines limites et les Panthers affirmaient leur droit à le faire, citant les articles de lois correspondant. La troisième composante du travail des Panthers était de fournir de la nourriture, des vêtements et des soins médicaux gratuits dans les communautés noires pauvres et ouvrières. Les Panthers ont aussi pris une position claire et positive sur la question des droits des femmes, et la direction a lutté pour assurer que les femmes puissent jouer un rôle complet dans le parti.
Cela montrait que la communauté noire devait avoir ses propres organisations, et l’appartenance aux Panthers n’était ouverte qu’aux Noirs. Cependant, ils soutenaient qu’ils devraient travailler ensemble avec des organisations basées dans d’autres communautés. De fait, un certain nombre d’autres organisations ont été fondées (souvent basées au début autour d’ex-membres de gangs) dans les communautés ouvrières urbaines, qui se sont inspirées des Panthers. Il y avait ainsi une organisation portoricaine basée à New York, les Young Lords, et une organisation blanche, les Young Patriots, à Chicago.
Cependant, ce fut le mouvement de masse contre la guerre du Vietnam qui a montré le plus clairement aux Panthers qu’une partie des Blancs étaient prête à lutter. Comme le formulait Huey P Newton : « Les jeunes révolutionnaires blancs sont montés au créneau pour le retrait des troupes du Vietnam mais aussi de l’Amérique Latine, de la République Dominicaine, des communautés noires ou des colonies noires. Il s’agit donc d’une situation dans laquelle les jeunes révolutionnaires blancs tentent de s’identifier aux peuples des colonies et contre les exploiteurs ».
Les Panthers étaient, en général, inspirés par les luttes contre les empires coloniaux qui prenaient place dans le monde entier. Leur attitude envers le Vietnam était claire. Dans un appel aux soldats noirs, ils ont déclaré : « Il est juste que les Vietnamiens se défendent eux-mêmes, défendent leur pays et luttent pour l’auto-détermination, parce qu’ils ne nous ont JAMAIS opprimés. Ils ne nous ont JAMAIS traités de ‘nègres’. »
La révolte contre la guerre au Vietnam a eu un effet majeur sur la communauté noire. En général, c’était la classe ouvrière qui souffrait le plus de la conscription. Les Panthers qui étaient conscrits montaient des groupes dans l’armée. Ils travaillaient sur un terrain fertile. Un sondage a montré que 45% des soldats noirs au Vietnam auraient été prêts à prendre les armes pour servir la justice chez eux. Le soulèvement contre la guerre du Vietnam a pétrifié la classe dominante américaine. Durant la guerre d’Irak, les USA n’ont pas osé réintroduire la conscription tant la classe dominante et les Américains en général se souviennent du Vietnam et de ses conséquences.
Mais, si les Panthers ont bien accueilli la radicalisation de la jeunesse blanche dans le mouvement anti-guerre, trouver des alliés concrets avec qui travailler s’est révélé plus difficile. Les Panthers se sont présentés aux élections avec le Peace and Freedom Party, qui faisait campagne en premier lieu contre la guerre au Vietnam et l’oppression des communautés noires. En 1967, quand Huey était en prison, les Panthers ont travaillé avec le PFP pour « libérer Huey ».
Cependant, ni le PFP, ni aucune des organisations avec qui les Panthers ont travaillé, n’avaient une base signifiante dans la classe ouvrière. Newton l’a reconnu en expliquant en 1971 : « Notre prise de contact avec les radicaux blancs ne nous a pas donné accès à la communauté blanche, parce qu’ils ne guident pas la communauté blanche ».
Peu de liens avec les travailleurs
La principale orientation des Panthers n’était pas non plus la classe ouvrière noire organisée. Ils organisaient des « comités » avec les syndicats, comme le raconte Bobby Seale, « pour aider à éduquer le reste des membres des syndicats au fait qu’ils peuvent aussi avoir une vie meilleure. Nous voulons que les travailleurs comprennent qu’ils peuvent contrôler les moyens de production, et qu’ils devraient commencer à utiliser leur pouvoir pour contrôler les moyens de production pour servir tout le peuple. »
C’était une conception correcte mais, en réalité, le travail syndical était une toute petite partie de ce que les Panthers faisaient. Ils s’orientaient consciemment en priorité vers les sections de la communauté noire les plus opprimées et touchées par le chômage – qu’ils décrivaient, utilisant l’expression de Marx, comme le « lumpenproletariat ». Il est vrai que ces sections les plus désespérées de la société sont capables de sacrifices incroyables pour la lutte, et comme les Panthers le disaient, qu’il est important de gagner ces sections les plus opprimées à un parti révolutionnaire. C’était le cas en particulier étant donné les conditions sociales horribles dans lesquelles la plupart des Noir-américains étaient obligés de vivre.
L’urbanisation qui a accompagné le boom d’après-guerre a mené à une migration de masse des travailleurs noirs vers les villes industrielles du Nord. Ils arrivaient pour vivre dans des ghettos, dans la pire des pauvretés. Dans beaucoup d’endroits, la majorité était au chômage. Cependant, les travailleurs noirs formaient une partie significative de la force de travail et, en raison de son rôle dans la production, la classe ouvrière industrielle a un rôle-clé à jouer dans la transformation socialiste de la société.
Les travailleurs noirs ont été à l’avant-garde des meilleures traditions de la classe ouvrière américaine. Avant la guerre, beaucoup de Noirs ont été influencés par les grandes luttes syndicales des années ’20 et ’30, en particulier la grande vague de grèves qui a éclaté en 1934, dont des grèves avec occupation et des grèves générales dans des villes (la rébellion des camionneurs à Minneapolis et l’occupation d’Auto Lite à Toledo, Ohio). Les campagnes de masse d’organisation parmi les ouvriers industriels et les travailleurs non-qualifiés ont donné naissance au Congress of Industrial Organisations (CIO), formé en 1936. Les nouveaux syndicats industriels (United Automobile Workers, United Mine Workers, United Steel Workers (métallurgistes), etc) ont immédiatement attiré plus de 500.000 membres noirs, au contraire des vieux syndicats corporatistes comme l’American Federation of Labor. Cette expérience a été utilisée à bon escient pendant la guerre, par exemple pendant la grève de 1941 du syndicat des bagagistes noirs, la Brotherhood of Sleeping Car Porters, qui a forcé le gouvernement à en finir avec la discrimination raciale ouverte dans les usines d’armement fédérales.
Avec une orientation correcte, le potentiel existait indubitablement pour les Panthers de gagner le soutien de parties importantes de la classe ouvrière, dont une couche des travailleurs blancs. Bien sûr, toutes sortes de préjugés racistes existaient parmi une partie des travailleurs blancs (y compris ceux qui étaient syndiqués) et devaient être combattus. Cependant, la fin du redressement d’après-guerre a mené à une montée du chômage et à une intensification du travail pour toutes les couches de la classe ouvrière. Alors que la classe ouvrière noire était la plus combative, pour avoir fait face à des conditions bien pires, la classe ouvrière blanche commençait aussi à se radicaliser.L’absence d’une base parmi la classe ouvrière est un des éléments qui a augmenté la tendance vers un régime autoritaire parmi les Panthers. Elle s’est aussi ajoutée à la tendance, qui avait toujours existé dans une certaine mesure, à essayer de prendre des raccourcis en se substituant aux masses avec des actes courageux, comme les manifestations armées au parlement d’État californien.
C’était l’influence du stalinisme qui était en grande partie responsable de l’échec des Panthers à avoir une orientation consistante envers la classe ouvrière. La direction des Panthers s’est inspirée en particulier des révolutions cubaine et chinoise, toutes deux dirigées par des dirigeants de guérilla petit-bourgeois basés sur la paysannerie, avec une classe ouvrière jouant un rôle passif. De plus, les Panthers, de nouveau en suivant les staliniens et sur base sur leur propre expérience de la brutalité de l’État américain, ont faussement conclu que le fascisme était sur le point d’arriver aux USA. Cela, combiné aux conditions désespérées des Noirs, a créé une impatience irrésistible d’une solution immédiate et s’est ajouté à l’absence d’une stratégie consistante pour gagner patiemment de plus larges sections de la classe ouvrière.
Cependant, le SWP américain porte aussi une responsabilité pour avoir échoué à mettre en avant un programme qui aurait pu gagner les sections les plus avancées de la classe ouvrière américaine. A Cuba, malgré l’absence d’une authentique démocratie ouvrière, le SWP n’était pas du tout critique vis-à-vis du régime. Aux USA, le SWP a pris part aux mouvements anti-guerre et Black Power mais n’a absolument fait aucune tentative pour les mener au-delà de leur niveau de développement existant. L’existence des Black Panthers, malgré leurs limites, montrait en pratique comment la conscience se développe en résultat de la lutte contre les réalités brutales du capitalisme. Le fait qu’il n’existait pas de parti résolument marxiste qui aurait pu offrir une stratégie aux Black Panthers et aux centaines de milliers de personnes qui ont été touchées par ce mouvement reste une tragédie.
Un État noir séparé ?
Une partie de l’explication du triste rôle du SWP américain réside dans l’incompréhension des écrits de Trotsky sur le nationalisme noir datant des années 1930. Trotsky se basait sur l’approche développée par Lénine et les Bolcheviks en ce qui concerne la question nationale et le droit des nations à l’auto-détermination.
Lénine, en particulier, comprenait complètement que pour le succès de la révolution en Russie, il était vital de défendre le droit à l’auto-détermination, jusque et y compris le droit à faire sécession, pour les nombreuses nationalités qui souffraient de l’oppression brutale de la Russie tsariste. C’était seulement sur cette base qu’il était possible de parvenir à lutter pour le maximum d’unité de la classe ouvrière au-delà des divisions nationales et religieuses. Défendre le droit de faire sécession, cependant, ne signifiait pas nécessairement défendre la sécession. En fait, c’est l’approche extrêmement habile et sensible de Lénine qui a permis que, dans la période immédiate après la révolution, la République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie a intégré beaucoup des nationalités opprimées par le Tsarisme, mais sur une base libre et volontaire.
Trotsky avait soulevé des points sur ces questions dans des discussions avec ses partisans américains dans les années 1930, après que le Parti Communiste stalinien ait suggéré l’idée d’un Etat noir séparé aux USA. Les partisans de Trotsky ont d’abord réagi en rejetant cette revendication et en l’opposant à la nécessité de l’unité de classe. Trotsky a mis en avant que, à une certaine étape, face à la répression brutale, la revendication d’un État séparé – c’est à dire, le développement d’une conscience nationale – pourrait émerger parmi de larges couches, et que dans ce cas, les Marxistes devraient soutenir le droit des Noirs-américains à un État.
La méthode d’analyse de Trotsky était correcte. Mais un changement des circonstances a eu comme conséquence que la revendication d’un État séparé au sein du territoire américain n’a pas été avancée. A l’époque où Trotsky écrivait, il y avait une majorité de Noirs dans deux États du Sud, le Mississippi et l’Alabama, et la plupart des Noirs pauvres vivaient dans le Sud. En 1970, trois quart des Noirs vivaient dans les grandes villes, et une majorité dans le Nord. Alors que la conscience des Noirs était, et est toujours, extrêmement forte, il était donc moins probable qu’elle se développe en la demande d’une nation séparée.
Cependant, même si cela avait été la conscience du peuple noir, cela n’aurait pas excusé l’approche du SWP américain. Trotsky mettait en avant le rôle de la classe ouvrière comme seule force capable de gagner la libération nationale en tant que partie de la lutte pour le socialisme. Il expliquait l’importance d’une position indépendante de la classe ouvrière, et qu’il serait une profonde erreur de compter sur les dirigeants bourgeois et petit-bourgeois des mouvements nationalistes. A leur crédit, les Black Panthers se sont approchés bien plus de la compréhension de ces points que les Trotskistes auto-déclarés du SWP américains, qui ont suivi sans aucune critique les idées petite-bourgeoises des nationalistes culturels.
Pertinence en Grande-Bretagne
De nos jours en Grande-Bretagne, la situation à laquelle nous faisons face est très différente de celle qui existait aux USA dans les années 1960. Mais il y a des leçons à en tirer. L’histoire différente de la Grande-Bretagne fait que, d’un côté, il y a un plus haut degré d’intégration dans les communautés ouvrières. La pauvreté aux USA a un élément beaucoup plus « racial » qu’en Grande-Bretagne. Cependant, en général, les travailleurs des minorités ethniques souffrent plus du chômage et de la pauvreté que la classe ouvrière globalement. Par exemple, en 1999, 28% des familles blanches vivaient sous le seuil de pauvreté contre 41% des familles caribéennes et 84% des familles bangladaises. D’un autre côté, la classe dominante britannique n’a jamais réussi à développer une élite noire à la mesure de ce que la classe dirigeante américaine a fait suite aux soulèvements des années 1950 et 1960.
Si toutes les minorités ethniques souffrent du racisme, ce sont les musulmans qui sont les principales cibles du racisme et des préjugés dans la dernière période en Grande-Bretagne. L’histoire des musulmans de Grande-Bretagne a été une histoire de pauvreté et de discriminations. Historiquement, cette discrimination a été seulement l’une des facettes du racisme de la société capitaliste. Sur la dernière décennie, cependant, et en particulier depuis l’horreur du 11 septembre 2001, il n’y a aucun doute que les préjugés antimusulmans et l’islamophobie, ont dramatiquement augmenté. Alors que d’autres formes de racisme subsistent, les musulmans font face aux pires formes de discriminations en Grande-Bretagne aujourd’hui. La participation du gouvernement aux guerres brutales d’assujettissement contre l’Afghanistan et l’Irak, deux pays majoritairement musulmans, avec toute la propagande de dénigrement des peuples de ces deux pays, a encore augmenté l’islamophobie. La politique étrangère du gouvernement a aussi mis les Musulmans britanniques énormément en colère.
S’il y a beaucoup de grandes différences entre les deux situations, une comparaison limitée peut toutefois être faite entre la colère et la radicalisation des musulmans aujourd’hui et la colère des Noirs-américains au début du mouvement des droits civiques. La toile de fond générale est différente. Depuis la chute des régimes staliniens grotesques il y a plus de 10 ans, que les capitalistes faisaient faussement passer pour le socialisme authentique, les idées socialistes ne sont pas encore vues comme une alternative viable par les masses de la classe ouvrière, y compris la plupart des musulmans. D’un point de vue international, il n’existe pas de luttes de masse pour la libération nationale comparables à celles qui existaient dans les années 1950 et 1960 et qui ont inspiré la révolte aux USA. En leur absence, les idées de l’Islam politique de droite, y compris les idées hautement réactionnaires et les méthodes d’organisations terroristes comme Al-Qaïda, ont occupé la place vide. La grande majorité des Musulmans de Grande-Bretagne sont dégoûtés par Al-Qaïda, mais une petite minorité est tellement aliénée qu’elle est prête à soutenir de telles idées réactionnaires.
Cependant, beaucoup de Musulmans ont été touchés par le mouvement anti-guerre qui, à son apogée, a vu 2 millions de personnes de tous groupes ethniques et religieux marcher dans les rues de Londres. Il faut se souvenir que les idées socialistes touchaient une toute petite minorité au début du soulèvement noir-américain mais se sont ensuite fortement répandues lorsque le mouvement a été confronté au capitalisme américain. Il existe aujourd’hui une opportunité de gagner aux idées socialistes les travailleurs et les jeunes musulmans les plus avancés. Sur base des événements, il sera possible de gagner les masses dans le futur. A moyen et long terme, l’absence du stalinisme permettra de gagner plus facilement le soutien aux idées du socialisme authentique. Dans les années 1960, même si le stalinisme constituait un certain pôle d’attraction, il avait aussi un effet fortement déformant sur des idées socialistes adoptées aux USA et ailleurs.
Les idées socialistes
Pourtant, pour gagner des parties de la classe ouvrière au vrai socialisme, il est nécessaire de mettre en avant un vrai programme socialiste. Malheureusement, en Grande-Bretagne, l’organisation socialiste la plus connue dans le mouvement anti-guerre, le Socialist Workers’ Party (sans rapport avec le SWP américain), n’a pas encore adopté cette approche. Par exemple, alors qu’il est à la tête de la coalition Stop the War, le SWP a décidé de ne pas développer les idées socialistes dans cette plate-forme, et a fait en sorte que les autres socialistes ne puissent pas avoir l’occasion de le faire.
Respect, le parti que le SWP a cofondé avec le parlementaire George Galloway, est né du mouvement anti-guerre et a eu certains succès électoraux, en particulier en faisant élire George Galloway comme parlementaire de Bethnal Green and Bow. Cependant, il s’est surtout concentré sur une seule section de la société, la communauté musulmane, qu’il est important de gagner, mais pas au détriment du contact avec le reste de la classe ouvrière. Si Respect continue à se développer dans une direction l’assimilant à un « parti musulman », cela pourrait repousser d’autres parties de la classe ouvrière et même renforcer les idées racistes par inadvertance, tout en renforçant l’idée incorrecte que la communauté musulmane peut gagner sa libération en agissant comme un bloc musulman.
Le SWP pourrait-il tenter d’établir une comparaison avec les Black Panthers pour soutenir cette stratégie erronée ? En dehors des différences sociales et politiques importantes (non des moindres, le fait que les Musulmans représentent 2,8% de la population britannique alors que les Noirs forment 11% de celle des USA), il y a la question cruciale de la direction prise. Les Black Panthers partaient du nationalisme noir pour arriver à une position de classe. Dans le futur, il est possible que les groupes organisés de travailleurs musulmans se développent dans une direction similaire, cherchant peut-être à s’affilier ou à travailler avec un futur parti de la classe ouvrière. Cela représenterait un pas en avant. L’une des raisons pour lesquelles nous défendons le fait que les nouveaux partis de travailleurs disposent de structures fédéralistes est précisément pour permettre aux différents groupes de travailleurs de garder leurs propres organisations tout en travaillant ensemble à construire un parti large.
Cependant, la situation de Respect est très différente. La majorité des militants de Respect sont des socialistes de longue date mais, loin d’utiliser l’opportunité de gagner les Musulmans de la classe ouvrière aux idées socialistes, ils ont baissé leur bannière. Malheureusement, dans leur manque d’approche principielle, il y a une comparaison à faire avec les erreurs de leur homonyme, le SWP américain.
La tragédie des Black Panthers est que, ayant échoué à développer une approche marxiste complète, malgré leurs meilleurs efforts, ils ont rapidement décliné. Les difficultés des Panthers ont mené certains, en particulier autour de Eldridge Cleaver, à se tourner vers l’impasse du terrorisme. De nos jours, en Grande-Bretagne, nous voyons une petite minorité de jeunes musulmans prendre ce chemin erroné. Cependant, sur base de futures défaites, le danger est réel que de plus grands nombres, de toutes origines ethniques, se tournent dans cette direction parce qu’ils ne voient pas d’autres moyens efficaces de lutter. La construction d’une alternative socialiste de masse est la seule voie efficace pour couper ce processus. Les Panthers, malgré leurs limites, nous montrent la détermination de la couche avancée des travailleurs conscients, une fois qu’ils sont engagés dans la lutte, à trouver la route du socialisme authentique. Alors même que Cleaver et d’autres fonçaient tête baissée sur la route du terrorisme, Newton et d’autres ont tenté, même s’ils n’ont pas réussi, de réorienter les Panthers.
Plus tard, Newton a fait cette réflexion au sujet de leurs erreurs : « Nous étions vus comme un groupe militaire ad-hoc, opérant en dehors du tissu communautaire et trop radical pour en faire partie. Nous nous voyions comme l’avant-garde révolutionnaire et n’avions pas complètement compris que seul le peuple peut créer la révolution. C’est pourquoi le peuple ‘n’a pas suivi notre direction en en prenant les armes’. »
Tout comme Newton et Seale sont montés sur les épaules de Malcolm X, les générations futures de travailleurs et de jeunes noirs vont reprendre toutes les grandes forces des Panthers et construire sur ces bases pour créer un parti capable de mener à bien la transformation socialiste de la société.
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Qui prétend faire du rap sans prendre position ? (1)
Le RAP (Rythms and Poetry) est, avec le break dance, le graff et le djing l’une des 4 disciplines du hip hop. Depuis sa naissance dans les quartiers défavorisés du Bronx au début des années ‘70, le rôle du rappeur a évolué. Historiquement, le fait de parler de rap engagé ou conscient était un pléonasme, aujourd’hui de plus en plus privilégient le rap pour le rap, sans message, festif, divertissant. Le rap aurait-il vendu son âme au profit du profit ? Comment est-on passé de rappeurs politiquement engagés, enracinés dans leurs communautés et nés dans la période post mouvements des droits civiques et Black Power, aux gangsters de studio (héros rêvés de ce système capitaliste, répandant l’appât du gain, le non-respect des femmes et l’ignorance) qui tournent en boucle aujourd’hui à la radio et à la télévision ?
Par Yves (Liège)
L’école de la rue
‘‘[L’art] n’est pas un élément désincarné se nourrissant de lui-même, mais une fonction de l’homme social, indissolublement liée à son milieu et à son mode de vie.’’ (2) L’art est un phénomène social et les artistes ont une responsabilité sociale envers leurs communautés et envers leur art.
Le hip hop est né dans les quartiers Sud du Bronx, à New York ; la décennie suivant l’assassinat de Malcolm X et Martin Luther King Jr, à une époque où J. Edgar Hoover (patron du FBI) s’efforçait à démanteler et détruire les leaders noirs et révolutionnaires qui s’organisaient et commençaient à articuler leurs discours contre le capitalisme et pour le socialisme plutôt que vers le communautarisme et le nationalisme noir (à l’instar des Black Panthers). La guerre impérialiste du Vietnam envoyait des jeunes adultes mourir à des milliers de kilomètres de chez eux, et les gangs et la drogue (crack et héroïne) gangrénaient les ghettos urbains. En plus de ça, la fin de la croissance économique de la période post seconde guerre mondiale et la restructuration massive de l’échec des politiques économiques keynésiennes d’interventionnisme d’Etat en néolibéralisme, la théorie du ruissellement (selon laquelle une réduction fiscale des entreprises bénéficiera aux populations pauvres via des réinvestissements), la désindustrialisation de certaines zones urbaines qui, abandonnées par le gouvernement et fuies par les revenus moyens, se sont ghettoïsées et ethnicisées, les taux de chômages exorbitants (jusqu’à 60% – officiellement – chez les jeunes) et les baisses de salaires dans ces zones urbaines par rapport au reste des USA, finirent de dresser les conditions matérielles qui permirent la naissance du hip hop.
C’est historiquement Afrika Bambaata qui, en transformant le gang Black Spades en Universal Zulu Nation en 1973, utilisa le terme hip hop pour définir un mouvement culturel fondé sur la paix, l’amour et l’unité, réorientant l’énergie des membres de gangs vers quelque chose de positif pour leur communauté.
Sois journaliste de ta propre vie
Le rap a permis aux jeunes de toutes origines ethniques de s’exprimer politiquement, socialement et culturellement, dressant un tableau lyrique de la situation dans leurs quartiers : brutalités policières, discriminations à l’embauche (quand il y a de l’emploi), délabrement de l’enseignement public, absence de considération de leurs élus, etc. Cette génération oubliée, qui peignait sur les trains abandonnés et les murs, se donnant ainsi une visibilité dans l’espace public, qui n’avait pas accès aux instruments de musiques de leurs parents bluesmen et jazzmen, se mit à parler poétiquement et de façon rythmée sur les instruments de leurs parents (djing) ou sur les beats sortant de la bouche de leurs beatboxeurs.
Mais c’est véritablement en 1982, avec ‘‘The message’’, où Grandmaster Flas and the Furious Five décrivaient les conditions de vie dans leur ghetto, que le rap pris une tournure sociale tout en rencontrant un succès commercial. Certains rappeurs des années ’80 (KRS-One) lançaient des appels à organiser et organisaient des mouvements pour l’arrêt de la violence dans les quartiers (Stop the violence movement), pointant du doigt le chemin autodestructeur que suivaient certains jeunes, ils poussaient à l’auto-éducation et à la recherche de connaissances afin de briser ce cercle vicieux.
Le groupe Public Ennemy qui s’est rendu célèbre avec ‘‘Fight the Power’’ a articulé, plus loin que Run-DMC, des idées de changement social et collectif, d’anti-impérialisme et d’identification culturelle. Le but, comme disait Tupac (fils et filleul de Black Panthers) était ‘‘à l’opposé de promouvoir la violence, mais de montrer les détails imagés des conditions de vies des ghettos en espérant qu’il y ait du changement’’, ceci sans se poser en organisateurs politiques. ‘‘Les travailleurs culturels, tels que les artistes hip hop devraient faire plus que de rapper leurs problèmes: ils doivent construire des organisations et récolter les fonds et le pouvoir politique nécessaire pour tenter de les régler sur base et avec l’aide de leurs auditeurs.’’ (3)
De 50cent à 100 millions
Le hip hop est aujourd’hui international, et en 1999 ses fans consommaient l’équivalent de 150 milliards de dollars annuellement en disques, habits, accessoires, etc. Dr. DRE a gagné 110 millions en 2011 rien qu’en prêtant son nom à des casques audio (4)
Le ‘‘telecommunication Act’’ qui a étendu le droit de propriété des radios et télévisions à des entreprises (selon le Congrès américain ‘‘un marché dérégulé servirait mieux les intérêts du public’’), a conduit à l’absorption rapide de petites stations de radio locales par des grandes sociétés. Elles ont ainsi perdu leur rôle communautaire (et des emplois) et certaines ont systématisé l’usage de playlists standardisées.
L’image du rappeur dealer, gangster n’a pu être possible qu’avec les dérégulations néolibérales des marchés qui ont permis depuis 1970 le rachat massif des maisons de disques indépendantes par les 4 sociétés (Sony/ATV, EMI, Universal, Warner) qui se partageaient en 2000 plus de 80% de la distribution mondiale. Elles investissent massivement dans le matraquage radio quand elles ne possèdent tout simplement pas ces radios (ce qui laisse moins d’espace aux artistes indépendants). Elles n’ont aucun intérêt à promouvoir des artistes qui questionnent le système capitaliste. De plus, cette image d’authenticité (street credibility) mise en scène, remplie de stéréotypes raciaux, tend à justifier des politiques tels que les contrôles au faciès et rend la population moins sensible aux taux d’incarcération des minorités.
Aujourd’hui, avec des vecteurs tels qu’Internet, les labels musicaux participatifs, les radios et les maisons de disques perdent de plus en plus leur monopole sur la distribution. On assiste au retour de rappeurs engagés, spirituels, conscients, politiques et surtout à celui d’un public de plus en plus nombreux à les écouter et à les soutenir.
Ils sont très peu à parler véritablement de révolution socialiste (Dead Prez, Immortal Technique) mais de plus en plus d’entre eux dénoncent les pratiques des régimes totalitaires (weld-el 15 en Tunisie, qui a récemment été condamné à 22 mois de prison ferme), poussent à la réflexion et lancent des mouvements de contestation (collectif Y’en a marre au Sénégal). Le rap politique et engagé existe, mais il ne nous est pas présenté aussi facilement que ces nouveaux coons (acteurs ou actrices qui adoptent le portrait stéréotypé des noirs) et il faut malheureusement chercher pour le trouver.
NOTES
1) Calbo « je boxe avec les mots », arsenik,
2) Trotsky “Littérature et révolution”, 1924
3) Marable, “The Politics of Hip Hop.”
4) http://www.dailymail.co.uk/news/article-2199025/Dr-Dre-built-headphones-empire-paid-110million-year.html, http://www.hamptoninstitution.org/capitalismhiphoppartone.html#.UjixYY6_Zc8 How Capitalism Underdeveloped Hip Hop: A People’s History of Political Rap, Derek Ide, http://www.socialistworld.net/doc/1044 The politics of hip hop, Nicki Jonas
Dans le cadre du mouvement Black Lives Matter et de ses répercussions internationales, nous republions ci-dessous une vidéo réalisée en 2014 au sujet de l’héritage du Black Panther Party. Il s’agit d’un discours sous-titré d’un de nos camarades américains de Socialist Alternative.