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Tag: Barcelone
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Espagne: Deux millions de travailleurs du secteur public en grève ce 8 juin
Ce 8 juin, presque 2 millions de travailleurs du service public sont partis en grève en opposition au programme d’austérité du gouvernement espagnol du PSOE (l’équivalent espagnol de notre PS, NDLT). A côté d’autres attaques brutales contre les dépenses publiques, la sécurité sociale et les pensions, on trouve une diminution de 5% des salaires des travailleurs des services publics. Cette grève était la première réponse organisée et générale de la classe ouvrière espagnole depuis que le gouvernement a commencé à mettre en avant ses attaques vicieuses.
Danny Byrne, CIO
Le gouvernement Zapatero a ouvertement présentés ses véritables couleurs et s’est prosterné devant les dieux du marché international, des agences de notation et du Fond Monétaire International. Leurs diktats d’austérité ont révélé la peur profonde d’instabilité pour l’économie espagnole et la perspective d’un effondrement de type ‘grec’.
Cette grève a eu un puissant impact, avec des manifestations dans les principales villes de l’Etat espagnol totalisant des centaines de milliers de personnes et avec environ 75% de participation selon les syndicats. A Barcelone, 150.000 manifestants ont pris les rues dans une démonstration militante de colère, d’indignation et de détermination. Les travailleurs du service public ont été rejoints par un grand nombre de jeunes et pensionnés.
Cependant, au lendemain de la grève, malgré ce succès, les regards sont tournés vers les dirigeants des principaux syndicats nationaux (UGT et CC.OO). Le massacre des conditions de vie à cause de la crise du capitalisme espagnol, et ses essais afin de la faire payer aux travailleurs ont causé une profonde colère. La majorité des militants syndicaux ont été clairs quant à la réponse qu’ils estiment nécessaire : une grève générale ! Lors des manifestations de masse qui ont forcé Zapatero à retirer ses plans destinés à augmenter l’âge d’accès à la retraite, en février dernier, cette demande était déjà majoritaire dans le mouvement.
Sur les bannières catalanes – "Pour la grève générale maintenant!"
Actuellement, avec le second tour d’austérité du gouvernement (qui représente les plus grosses attaques contre les travailleurs espagnols depuis la chute du régime franquiste) et le projet gouvernemental d’imposer unilatéralement de profondes réformes du travail (avec des licenciements d’ampleur dans un pays où plus de 20% de la population est déjà au chômage!) et d’attaques contre la classe ouvrière organisée, la pression d’en bas pour une grève générale a finalement trouvé sa voie dans les discours des dirigeants syndicaux. Fernando Toxo, le dirigeant du CC.OO, a annoncé que son syndicat était “déjà en train de se préparer” pour une grève générale.
Le développement d’une grève générale en Espagne, à la suite de la grève réussie du 8 juin, représenterait un moment important pour que le mouvement ouvrier entre en lutte de façon décisive. Cela serait le début d’un puissant mouvement de classe qui ébranlerait les bases du capitalisme espagnol. Le gouvernement Zapatero est d’ores et déjà extrêmement faible, et n’a réussi à faire passer sa dernière tournée d’attaques au Parlement que d’une voix!
Des membres du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) ont participé à ces protestations massives du 8 juin dans plusieurs villes de l’Etat espagnol. Nous y avons défendu un programme et des perspectives clairs pour que le mouvement aille de l’avant, en mettant en avant la nécessité de construire une alternative réellement socialiste face à ces attaques, au chaos et à la crise du capitalisme ainsi qu’à la dictature des marchés financiers internationaux.
Le prochain pas doit être l’organisation immédiate d’une grève générale de 24 heures dans toute l’Espagne. Mais, comme l’a démontré la lutte courageuse des travailleurs et des jeunes en Grèce, une grève générale ne peut en elle-même être suffisante pour forcer le gouvernement à faire marche arrière.
Les gouvernements capitalistes veulent très clairement frapper les travailleurs et les jeunes pour sauver le système de profit et satisfaire leurs véritables maîtres : le marché capitaliste. Un mouvement de masse militant et unifié est nécessaire. C’est dans ce sens que le CIO propose la formation de comités d’actions démocratiquement élus sur les lieux de travail, les universités, les écoles, et dans les différentes communautés, pour organiser une grève générale de 24 heures et discuter et débattre de la meilleure manière d’aller de l’avant pour la lutte ainsi que d’une alternative à la crise et à la misère capitalistes.
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Week-end international d’actions contre la guerre
Déjà avant la guerre, d’innombrables manifestations s’étaient produites. Les premières protestations de quartier ont grandi pour atteindre l’ampleur des manifestations mondiales de 2003 et ont continué jusqu’à aujourd’hui. Ce 18 mars, à Bruxelles, quelques milliers de personnes sont descendues dans la rue, comme bien d’autres sur le globe durant ce même week-end.
Thomas
Mais pourtant, après ces protestations, la guerre et l’occupation continuent. Bush a dédaigneusement ignoré des millions de voix à travers le monde et est bien décidé à aller plus loin dans l’escalade de la guerre. Des milliers d’irakiens – si ce n’est des dizaines de milliers – trouveront encore la mort dans la violence sectaire.
« Pas de troupes supplémentaires pour l’Irak ! », ce slogan a résonné dans les rues ces 17 et 18 mars. Madrid a vu défiler 150.000 manifestants tandis qu’une manifestation similaire avait lieu à Barcelone. Les manifestants ont notamment envahi Washington, Melbourne et Bruxelles. Bien que plus modeste que celle de Madrid, la manifestation de Bruxelles a tout de même rassemblé quelques milliers de personnes.
Les conséquences de la guerre en Irak ne se voient pas seulement là-bas. Les États-Unis comptent déjà plus de vétérans de guerre que durant la guerre du Viêt-Nam. Les médias ont montré que non seulement les hopitaux étaient laissés à l’abandon, mais aussi les soldats eux-mêmes. La population américaine supporte l’essentiel du coût de la guerre sans que cette guerre ne lui profite en quoi que ce soit. Ces cinq dernières années, le règne de Bush a eu pour conséquence une augmentation du taux de pauvreté de 26%.
Lors de la manifestation, nous n’avons pas seulement protesté contre l’occupation de l’Irak, mais également contre une possible intervention en Iran, contre les opérations en Afghanistan, contre l’oppression des Palestiniens,…
C’est vraiment désolant qu’il faille chaque année une manifestation contre la guerre. C’est à chaque fois une de trop. La guerre doit s’arrêter, mais Bush entraîne les États-Unis encore plus loin dans le conflit. La présence de troupes en Irak n’est évidemment pas la seule cause de la croissance du terrorisme. L’Irak, et cela vaut pour beaucoup de pays du Moyen-Orient, souffre de l’absence d’alternatives aux gouvernements à la botte des intérêts étrangers et aux mouvements religieux radicaux.
Un coup d’oeil sur le monde nous permet de voir partout une progression des mouvements de lutte contre la guerre, mais aussi contre la politique néo-libérale à la base du conflit. Si peu de manifestants l’ont explicitement dit, la majorité s’accorde sur la nécessité d’une alternative, une alternative pour l’homme de la rue. Pas seulement pour les Irakiens, ou les Iraniens, mais aussi aux USA et dans le reste du monde.
Lors de la manifestation de Bruxelles, les militants du MAS/LSP ont récolté plus de 500 euros de soutien et ont vendu 134 exemplaires de l’Alternative Socialiste.
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Hongrie 1956 : quand les conseils ouvriers ont fait trembler la bureaucratie soviétique et la bourgeoisie du monde entier
Cédric Gérôme
Ce 23 octobre 2006, cela faisait exactement 50 ans que s’est déclenchée la révolution hongroise de 1956. Cet anniversaire, ainsi que les violentes émeutes qui l’ont accompagné, ont remis la Hongrie et le souvenir de la révolution au centre de l’actualité. L’ensemble de la presse et des politiciens se rejoignent tous pour saluer au passage « la première révolution dirigée contre la tyrannie communiste ». Contre la tyrannie ? Très certainement. Mais de là à faire l’amalgame stalinisme = communisme, il n’y a qu’un pas que la majorité des commentateurs bourgeois franchissent allègrement. Lors de la commémoration du soulèvement de 1956, organisé ce mardi en grande pompe par le gouvernement hongrois, José Manuel Barroso, président de la Commission Européenne, n’hésitait pas à dire que « les Hongrois, par leur sacrifice, ont préparé la réunification de l’Europe ». Les groupes d’extrême-droite hongrois, quant à eux, revendiquent la paternité de la « révolution contre les communistes, qui sont d’ailleurs toujours au pouvoir. » Face à cet amas d’hypocrisie et de confusion idéologique, il ne nous semble pas superflu de revenir sur les événements de ‘56, ses acteurs, son caractère et ses implications…
Hongrie 1956 : quand les conseils ouvriers ont fait trembler la bureaucratie soviétique et la bourgeoisie du monde entier
« Comment les dirigeants pourraient-ils savoir ce qui se passe ? Ils ne se mêlent jamais aux travailleurs et aux gens ordinaires, ils ne les rencontrent pas dans les bus, parce qu’ils ont tous leurs autos, ils ne les rencontrent pas dans les boutiques ou au marché, car ils ont leurs magasins spéciaux, ils ne les rencontrent pas dans les hôpitaux, car ils ont leurs sanas à eux. »
« La honte n’est pas dans le fait de parler de ces magasins de luxe et de ces maisons entourées de barbelés. Elle est dans l’existence même de ces magasins et de ces villas. Supprimons les privilèges et on n’en parlera plus. » (Gyula Hajdu et Judith Mariássy, respectivement militant communiste et journaliste hongrois en 1956)1) La Hongrie au sortir de la guerre
Après la deuxième guerre mondiale, les Partis Communistes et l’URSS avaient acquis une grande autorité suite à la résistance héroïque de la population russe contre l’invasion du pays par l’armée nazie. L’URSS sortit renforcée de la guerre : ayant repoussé l’armée allemande jusqu’aux frontières de l’Elbe, elle avait conquis la moitié d’un continent. La conférence de Yalta en février 1945 consacra cette nouvelle situation : les parties de l’Europe qui avaient été « libérées » par l’Armée Rouge resteraient sous la sphère d’influence russe.
La fin de la seconde guerre mondiale était allée de pair avec une radicalisation des masses et des événements révolutionnaires dans toute une série de pays. En effet, les masses ne voulaient pas seulement en finir avec le fascisme ; elles voulaient aussi extirper la racine sociale et économique qui l’avait fait naître : le capitalisme. Dans la plupart des pays européens, la bourgeoisie devait faire face à des insurrections de masse. Mais s’il y avait bien un point sur lequel les Partis Communistes stalinisés et les capitalistes s’entendaient parfaitement, c’était sur le fait qu’une révolution ouvrière devait être évitée à tout prix. Dans les pays capitalistes, les PC –tout comme les partis sociaux-démocrates- usèrent de leur autorité pour venir en aide aux classes dominantes, en ordonnant aux partisans de rendre les armes et en participant à des gouvernements d’ « union nationale » avec les partis bourgeois (en France, en Italie, et en Belgique notamment). En vérité, il s’agissait bien là d’une contre-révolution, mais sous un visage « démocratique ». En France, pour ne citer qu’un seul exemple, les groupes de résistance, sous l’instruction des dirigeants staliniens, durent rendre leurs armes au prétendu « gouvernement de Libération Nationale ». Maurice Thorez, secrétaire général du PCF de l’époque, déclarait : « Les Milices Patriotiques ont très bien servi dans la lutte contre les nazis. Mais maintenant, la situation a changé. La sécurité publique doit être assurée par la police régulière. Les comités locaux de libération ne peuvent pas se substituer au pouvoir du gouvernement. »
Dans les pays de l’Est (Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne, etc), si l’entrée de l’Armée Rouge avait souvent été perçue comme une libération, la bureaucratie du Kremlin était pourtant déterminée à maintenir la situation sous son contrôle et à empêcher que la classe ouvrière entre en mouvement de manière autonome. Petite anecdote illustrative : en Bulgarie, lorsque la machine militaire nazie s’effondra durant les mois d’automne 1944, les milices ouvrières, à Sofia puis dans d’autres villes, désarmèrent et arrêtèrent les fascistes, élirent des tribunaux populaires, organisèrent des manifestations de masse. Sentant le danger, le Haut Commandement russe ordonna tout de suite à ses troupes stationnées dans le pays : « Faites tout pour revenir à la discipline antérieure. Abolissez les comités et les conseils. Nous ne voulons plus voir un seul drapeau rouge dans la ville. »
Après la guerre, dans des pays comme l’Italie ou l’Allemagne, la bourgeoisie avait sciemment maintenu dans l’appareil d’Etat du personnel politique ou militaire ayant occupé des fonctions importantes sous le fascisme ; les staliniens, quant à eux, firent exactement la même chose à l’Est. A cette époque, gagner les masses à un programme révolutionnaire n’aurait été que trop facile ; mais c’était là précisément ce que la bureaucratie stalinienne voulait éviter à tout prix. Dans les pays occupés par l’Armée Rouge, nombre de communistes et de travailleurs actifs dans la résistance seront liquidés, car jugés peu fiables. Qualifiés pendant la guerre de « braves combattants », ils devenaient à présent des « bandits », des « forces ennemies », voire même des « éléments pro-hitlériens », et étaient soumis en conséquence à la plus sévère répression. Plusieurs milliers d’entre eux seront torturés ou exécutés, pour la simple raison d’avoir voulu contester la toute-puissance de la bureaucratie. Pour mener à bien ce travail peu reluisant, les meilleurs alliés que les staliniens pouvaient trouver étaient…les vermines de l’ancien régime, convertis en « communistes » pour l’occasion. En Roumanie, le vice-Premier ministre du gouvernement nouvellement formé, un certain Tatarescu, avait par exemple dirigé en 1911 la répression contre un soulèvement dans les campagnes qui avait causé la mort de 11.000 paysans. En Bulgarie, le premier ministre, le Colonel Georgiev, et le ministre de la guerre, le Colonel Velchev, avaient tous deux été membres de la Ligue Militaire, une organisation fasciste sponsorisée par Mussolini. En Hongrie enfin, en décembre 1944, un gouvernement de « libération » fut formé ; son premier ministre était Bela Miklos, à savoir le tout premier Hongrois à avoir reçu personnellement des mains d’Hitler la plus grande décoration de l’ordre nazi !
La population hongroise avait connu la défaite d’une première révolution en 1919. Ensuite elle dût subir les conséquences de cette défaite par l’instauration du régime fasciste de l’Amiral Horthy. Celui-ci liquida avec zèle les syndicats, tortura et massacra les communistes et les socialistes par milliers. Pendant la guerre, le pays fut occupé par les troupes nazies, accompagnées d’une nouvelle vague de terreur. Compte tenu de ces antécédents, il est clair que pour la population hongroise, le fait de constater qu’un régime qui portait sur son drapeau les acquis de la révolution russe d’octobre 1917 reconstruise l’appareil d’Etat avec les pires crapules de l’ancien régime n’en était que plus insupportable.
Après la guerre, la Hongrie, comme tous les pays tombés sous l’égide de l’Armée Rouge, s’intégra au modèle économique russe et nationalisa son économie. A la fin de 1949, le processus de nationalisation de tous les principaux secteurs de l’économie hongroise était achevé. Bien évidemment, cela ne se faisait pas à l’initiative ni sous le contrôle des masses ouvrières : dès le début, celles-ci furent placés sous le joug d’une bureaucratie parasitaire calquée sur le modèle de l’URSS, qui disposait en outre d’une des polices secrètes les plus brutales de tout le bloc de l’Est, et s’accaparait, de par ses positions politiques, des privilèges exorbitants : en 1956, le salaire moyen d’un travailleur hongrois était de 1.000 forints par mois. Celui d’un membre de base de l’A.V.O. (=la police politique) était de 3.000 forints, tandis que le salaire d’un officier ou d’un bureaucrate de haut rang pouvait varier entre 9.000 et 16.000 forints par mois.
Sur papier, beaucoup de travailleurs hongrois restaient encore membres du Parti Communiste. Cependant, cela était davantage lié au climat de terreur régnant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti, plutôt qu’à des considérations politiques. Pour preuve, en octobre 1948, l’éditeur principal du « Szabad Nep » -le journal officiel du parti- se plaignait lui-même du fait que seuls 12% des membres du parti lisait le journal. Autre chiffre particulièrement révélateur de la répression politique qui sévissait en Hongrie à cette époque : entre 1948 et 1950, le PC hongrois expulsa de ses rangs pas moins de 483.000 membres !
2) La rupture
Le bureaucratisme stalinien constituait un système de gouvernement et de direction économique de moins en moins adapté aux nécessités de son temps, et de plus en plus en contradiction avec la situation réelle, tant en URSS que dans les pays dits « satellitaires » d’Europe de l’Est. L’annonce de la mort de Staline par le Kremlin en mars 1953 fut perçue comme un signal par les populations ouvrières du bloc de l’Est et ouvrit une période de résistance dans ces pays contre les méthodes de terreur et de despotisme qui devenaient chaque jour plus intolérables. En juin de la même année, les travailleurs de Plzen, un des principaux centres industriels de Tchécoslovaquie, démarrèrent spontanément une manifestation de masse demandant une plus grande participation de leur part aux décisions dans les usines et sur les lieux de travail, la démission du gouvernement ainsi que la tenue d’élections libres. Deux semaines plus tard, le 17 juin 1953, les travailleurs de Berlin-Est se rebellaient à leur tour par des manifestations et des grèves, mouvement qui culminera dans une grève générale se répandant comme une traînée de poudre dans toute l’Allemagne de l’Est. Il sera réprimé sans ménagement par les troupes russes, au prix de 270 morts.
Les dirigeants de l’URSS comme des pays « satellitaires » commençaient à s’inquiéter. Il fallait trouver les moyens de calmer les esprits, les voix de plus en plus nombreuses qui s’élevaient contre le régime d’oppression politique imposé à la population. Effrayée par la possibilité d’explosions plus importantes encore, la bureaucratie décida d’adopter un « cours nouveau » : une certaine relaxation politique consistant en réformes et concessions venues d’en-haut (=initiées par la bureaucratie elle-même) afin d’éviter une révolution d’en-bas (=une révolution politique initiée par la classe ouvrière). Ainsi, en Hongrie, les tribunaux de police spéciaux furent abolis, beaucoup de prisonniers politiques furent libérés, il fut permis de critiquer plus ouvertement la politique du gouvernement. Sur le plan économique, on accorda plus d’importance à la production de biens de consommation et moins à l’industrie lourde. Dans les campagnes, on mit un frein aux méthodes de collectivisation forcée. Cependant, cela ne fit qu’ouvrir l’appétit aux travailleurs et aux paysans ; car ce que ceux-ci désiraient en définitive, c’était chasser pour de bon la clique dirigeante du pouvoir.
Historiquement, l’année 1956 fut incontestablement une année cruciale dans la crise du stalinisme. Car si 1956 fut l’année de la révolution hongroise, cette dernière n’était elle-même qu’une composante d’une crise générale traversée par les régimes staliniens. La révolution de 1956 marquait un point tournant : elle indiquait la fin d’une époque et le début d’une ère nouvelle. Précurseur d’autres mouvements contre la bureaucratie stalinienne, tels que le Printemps de Prague de 1968, elle était la première véritable révolution dirigée contre ceux-là même qui continuaient à se proclamer les héritiers de la révolution russe de 1917. Or, comme Trotsky l’avait expliqué déjà 20ans auparavant, ceux qui se trouvaient au Kremlin n’étaient plus les héritiers de la révolution, mais bien ses fossoyeurs.
Déjà, en février 1956, au 20ème congrès du PC russe, et trois ans après la mort de Staline, Nikita Kroutchev, premier secrétaire du parti, avait lancé une véritable bombe politique dans le mouvement communiste mondial en exposant son fameux « rapport secret », qui détruisait le mythe du « Petit Père des Peuples » et dévoilait publiquement la terreur de masse, les crimes abominables et la répression politique menée méthodiquement par le régime de Staline pendant des années. Auparavant, ne pas avoir la photo de Staline chez soi était considéré comme un acte de défiance au régime. A présent, on transformait en diable celui qui avait été mystifié des années durant comme un dieu vivant ! Les raisons de ce revirement peuvent en être trouvées dans cet extrait d’un article de la « Pravda » -organe de presse du PC russe- : « Le culte de la personnalité est un abcès superficiel sur l’organe parfaitement sain du parti. » Il s’agissait de donner l’illusion que maintenant que le « Petit Père des Peuples » avait trépassé, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais les travailleurs n’étaient pas dupes. En outre, il est difficile de continuer à pratiquer une religion à partir du moment où l’on a détruit son dieu. Car si Kroutchev et ses supporters tendaient à rompre avec les aspects les plus tyranniques du stalinisme, ils étaient bien incapables, de par leur propre position, à s’attaquer à la racine même de cette tyrannie : c’est pourquoi Kroutchev se verra obligé d’écraser dans le sang la révolution hongroise en utilisant les mêmes méthodes que celles qu’il avait dénoncées quelques mois plus tôt.
3) L’explosion
De juin à octobre 1956, un mouvement important des travailleurs polonais oblige la bureaucratie polonaise à faire d’importantes concessions. Des postes dans le parti sont attribués à des anti-staliniens et fin octobre, le poste de 1er secrétaire du parti est attribué à Gomulka, un vieux communiste relativement populaire qui avait été jeté en prison par Staline. Si Gomulka restait un homme de l’appareil, sa nomination à la tête du parti était malgré tout perçue comme une victoire importante. Un responsable haut-placé du régime commente ces événements en affirmant qu’ « il faut voir ces incidents comme un signal alarmant marquant un point de rupture sérieux entre le parti et de larges couches de la classe ouvrière. » Toutefois, en Pologne, la bureaucratie sera capable de maintenir le mouvement sous contrôle. Mais en Hongrie …
En Hongrie, depuis quelques mois, l’agitation s’était accentuée, essentiellement parmi les intellectuels et dans la jeunesse, autour du cercle « Petöfi », formé fin ‘55 par l’organisation officielle des jeunesses communistes (DISZ). Celle-ci prend des positions de plus en plus virulentes par rapport au régime : « Il est temps d’en finir avec cet Etat de gendarmes et de bureaucrates » est le type de déclarations que l’on peut lire dans leurs publications. La « déstalinisation » leur permet à présent d’exprimer au grand jour ce qu’ils pensaient depuis longtemps tout bas.
A partir de septembre et de début octobre, les travailleurs commencent à leur tour à s’activer. En octobre, lorsque les travailleurs et les jeunes apprennent la nouvelle de ce qui s’est passé en Pologne, il se sentent pousser des ailes. Le 21 octobre, les étudiants de l’Université Polytechnique de Budapest tiennent une assemblée, où ils réclament la liberté de la presse, de parole, d’opinion, la suppression du régime du parti unique, l’abolition de la peine de mort, l’abolition des cours obligatoires de « marxisme ». Ils menacent d’appuyer leur programme par des manifestations de rue s’ils n’obtiennent pas satisfaction. Le 22 octobre, le cercle Petöfi lance pour le lendemain le mot d’ordre d’une grande manifestation publique en solidarité avec leurs frères polonais.
L’interdiction initiale de la manifestation, plusieurs fois répétée à la radio, puis la décision soudaine de l’autoriser, produisent un effet de choc. La population tout entière a pu constater les hésitations des dirigeants, et elle voit la décision finale des autorités comme une capitulation devant la force potentielle du mouvement. La manifestation est un succès, rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes. En tête, des jeunes portent d’immenses portraits de Lénine. On peut lire des slogans tels que « nous ne nous arrêterons pas en chemin : liquidons le stalinisme », « indépendance et liberté » etc. Vers 18h, les bureaux et les usines se vident, et les ouvriers et employés qui sortent du boulot rejoignent les étudiants. Le mouvement gagne en ampleur, les transports publics s’arrêtent de fonctionner ; on dénombre bientôt plus de 300.000 manifestants dans les rues de Budapest.
Un groupe de plusieurs centaines de personnes issues de la foule décident de se rendre à la Place où se dresse une statue géante en bronze de Staline et la déboulonnent. Une délégation de 16 personnes se rend à l’immeuble où est localisé le centre de radio de Budapest, afin de tenter de diffuser leur appel sur les ondes. Comme la délégation tarde à sortir de l’immeuble, la foule s’impatiente. C’est dans la confusion générale qu’éclatent les premiers coups de feu dans la foule, tirés par des membres de l’A.V.O. Il y a trois morts. Ensuite, les premiers tanks et camions arrivent en renfort. Cette échauffourée met le feu aux poudres : la révolution hongroise a commencé.
4) La force des travailleurs en action
Les travailleurs commencent à s’armer pour riposter : certains s’emparent d’armes dans les armureries, d’autres se rendent vers les casernes. Comme à Barcelone en 1936, certains soldats leur ouvrent les portes, leur lancent des fusils et des mitraillettes par les fenêtres, ou amènent carrément dans la rue des camions chargés d’armes et de munitions et les distribuent à la population. Beaucoup rejoignent les rangs des manifestants. Dès le 24 au soir, il n’y aura pratiquement plus aucune unité de l’armée hongroise qui obéisse au gouvernement. Seule la police politique combat les insurgés. Des barricades commencent à se dresser ; dans certains quartiers de Budapest, même des enfants apportent leurs jouets pour aider à la construction des barricades.
Les batailles de rue durent toute la nuit. A une heure du matin déjà, la plupart des grosses artères de la ville sont occupés par des travailleurs armés. Vers 8h du matin, le gouvernement hongrois annonce qu’il a fait appel à l’aide militaire russe pour écraser ce qu’il appelle « des petites bandes de contre-révolutionnaires armés qui pillent la ville. » Les bureaucrates du Kremlin et leurs agents de l’appareil hongrois sont décidés à conserver à tout prix le contrôle de la situation, quitte à noyer dans le sang la révolution naissante. Cette décision ne fait que renforcer la détermination des révolutionnaires et radicalise encore davantage le mouvement. Le premier conseil de travailleurs et d’étudiants est formé à Budapest.
Les chars russes commencent à entrer dans la ville dans la matinée du 24 octobre. Au début, certains soldats russes envoyés pour écraser l’insurrection ne savent même pas qu’ils sont en Hongrie : on leur a raconté qu’ils ont été envoyés à Berlin pour « combattre des fascistes allemands appuyés par des troupes occidentales. »
Les combats de rue se prolongent pendant plusieurs jours. Rapidement, les quartiers prolétariens deviennent les bastions de l’insurrection. Un correspondant de « The Observer » explique: « Ce sont les étudiants qui ont commencé l’insurrection, mais, quand elle s’est développée, ils n’avaient ni le nombre ni la capacité de se battre aussi durement que les jeunes ouvriers. ».
Dès l’annonce de l’envoi de troupes russes, la grève générale insurrectionnelle est déclarée ; elle se répand rapidement dans tout le pays. Elle se traduit immédiatement par la constitution de centaines de comités et conseils ouvriers qui s’arrogent le pouvoir. Avant le 1er novembre, dans tout le pays, dans toutes les localités, se sont constitués, par les travailleurs et dans le feu de la grève générale, ces conseils qui assurent le maintien de l’ordre, la lutte contre les troupes russes et contre celles de l’A.V.O. par des milices d’ouvriers et d’étudiants armés ; ils dissolvent les organismes du PC, épurent les administrations qu’ils ont soumises à leur autorité, assurent le ravitaillement de la capitale en lutte.
Un journal aussi réactionnaire que « La Libre Belgique » publiait le lundi 23 octobre l’interview d’un certain Nicolas Bardos, docteur en sciences-économiques, qui a fui la Hongrie en 1956. Celui-ci relate : « A la sortie d’une pause de nuit, je suis tombé dans la rue sur une manifestation où ouvriers et employés étaient accompagnés d’étudiants derrière un drapeau troué. Deux jours plus tard, je me suis rendu compte de la décomposition de l’Etat. Tout s’est arrêté et réorganisé très vite. Des conseils ouvriers se sont mis en place… ». Ces conseils renouent spontanément avec les formes d’organisation caractéristiques de la démocratie ouvrière : ils sont élus par la base, avec des délégués révocables à tout moment et responsables devant leurs mandats. Leurs revendications politiques diffèrent, mais tous comprennent : l’abolition de l’A.V.O., le retrait des troupes russes, la liberté d’expression pour tous les partis politiques, l’indépendance des syndicats, l’amnistie générale pour les insurgés emprisonnés, mais aussi et surtout la gestion par les travailleurs eux-mêmes des entreprises et des usines.
Ce dernier point apporte un démenti flagrant à la version prétendant que cette révolution était dirigée contre le « communisme » en général. Le 2 novembre 1956, un article paraît dans « Le Figaro » affirmant ceci : « Les militants hongrois sont soucieux de restaurer une démocratie à l’occidentale, respectueuse des lois du capitalisme. » Cette affirmation est pourtant contredite par les militants révolutionnaires eux-mêmes. La fédération de la jeunesse proclame fièrement : « Nous ne rendrons pas la terre aux gros propriétaires fonciers ni les usines aux capitalistes » ! Dans le même registre, le Conseil Ouvrier Central de Budapest déclare : « Nous défendrons nos usines et nos terres contre la restauration capitaliste et féodale, et ce jusqu’à la mort s’il le faut. » Certes, dans l’atmosphère générale, des réactionnaires ont pu s’infiltrer et pointer le bout de leur nez. Pas plus. Un seul journal réactionnaire a paru. Il n’a publié qu’un seul numéro, car les ouvriers ont refusé de l’imprimer dès le lendemain. Cela n’a pas empêché les journaux bourgeois en Occident de parler de « floraison de journaux anti-communistes ».
5) Les chars russes
Au fur et à mesure que les soldats russes restent sur place, ils comprennent de mieux en mieux pourquoi on les a envoyés : ils n’ont pas vu de troupes occidentales, ils n’ont pas vu de fascistes ni de contre-révolutionnaires ; ils ont surtout vu tout un peuple dressé, ouvriers, étudiants, soldats. Certains soldats russes doivent être désarmés et renvoyés vers la Russie, du fait qu’ils refusent d’appliquer les ordres. D’autres fraternisent avec les révolutionnaires et rejoignent carrément le camp des insurgés. Dès le second jour de l’insurrection, un correspondant anglais signale que certains équipages de tanks ont arraché de leur drapeau l’emblème soviétique et qu’ils se battent aux côtés des révolutionnaires hongrois « sous le drapeau rouge du communisme ».
L’utilisation de l’armée russe à des fins répressives devient de plus en plus difficile. Après un premier repli stratégique pour s’assurer des troupes plus fraîches et plus sûres, le 4 novembre, le Kremlin lance une seconde intervention, armée de 150.000 hommes et de 6.000 tanks pour en finir avec la révolution. Une bonne partie des nouvelles troupes viennent d’Asie soviétique, dans l’espoir que la barrière linguistique puisse empêcher la fraternisation des soldats avec les révolutionnaires hongrois.
Pendant quatre jours, Budapest est sous le feu des bombardements. Le bilan de la deuxième intervention soviétique à Budapest est lourd : entre 25.000 et 50.000 morts hongrois, et 720 morts du côté des soldats russes. La répression par les troupes de l’A.V.O., qui « nettoient » les rues après le passage des tanks, est extrêmement féroce : des révolutionnaires attrapés dans les combats de rue sont parfois pendus par groupes sur les ponts du Danube ; des pancartes sont accrochées sur leurs cadavres expliquant : « Voilà comment nous traitons les contre-révolutionnaires ». Tout cela se fait bien entendu dans l’indifférence totale des soi-disant « démocraties » occidentales. Le secrétaire d’Etat des USA affirme dans un speech à Washington : « D’un point de vue de la loi internationale sur la violation des traités, je ne pense pas que nous puissions dire que cette intervention est illégale ». Ce positionnement de l’impérialisme américain permet d’apprécier à sa juste valeur l’ «hommage » rendu aux insurgés de ’56 par George W.Bush lors de sa visite en Hongrie en juillet dernier !
Les combats durent pendant huit jours dans tout le pays. Si l’intervention des chars russes leur a assénés un sérieux coup, les travailleurs ne sont pourtant pas encore complètement battus. Une semaine après le déclenchement de la seconde intervention russe, la majorité des conseils ouvriers sont encore debout. Une nouvelle grève générale, assez bien suivie, aura même encore lieu les 11 et 12 décembre ! Pourtant, le répit obtenue par la réaction à travers cette deuxième intervention militaire–nettement plus efficace que la première-, combinée au manque d’un parti ouvrier révolutionnaire avec une stratégie claire visant à destituer la bureaucratie de ses fonctions, permet à la terreur contre-révolutionnaire de déclencher une offensive sans précédent. Le 20 novembre, les derniers foyers de résistance commencent à s’éteindre. Début décembre, le gouvernement lance la police contre les dirigeants des conseils ouvriers ; plus d’une centaine d’entre eux sont arrêtés dans la nuit du 6 décembre. Sous les coups de la répression, les conseils ouvriers nés de la révolution disparaissent les uns après les autres. La révolution hongroise recule.
Le 26 décembre 1956, la force des conseils ouvriers hante encore la bureaucratie. Un ministre hongrois, un certain Gyorgy Marosan, déclare que « si nécessaire, le gouvernement exécutera 10.000 personnes pour prouver que c’est lui le vrai gouvernement, et non plus les conseils ouvriers. »
Le 5 janvier 1957, en visite à Budapest, Kroutchev, rassuré, affirme qu’ « en Hongrie, tout est maintenant rentré dans l’ordre. »
Le 13 janvier de la même année, la radio diffuse une annonce officielle déclarant qu’ « en raison de la persistance d’activités contre –révolutionnaires dans l’industrie, les Tribunaux ont désormais le pouvoir d’imposer la peine de mort à quiconque perpétuera la moindre action contre le gouvernement. » Cela implique le simple fait de prononcer le mot « grève » ou de distribuer un tract.
6) Conclusion
La version que la bourgeoisie présente de ces événements est sans ambiguïté : le peuple hongrois a démontré sa haine du communisme et sa volonté de revenir au bon vieux paradis capitaliste. Pour des raisons quelque peu différentes, la version des staliniens s’en rapproche étrangement : les révolutionnaires sont sans vergogne qualifiés par la bureaucratie de « contre-révolutionnaires », de « fascistes », d’ « agents de la Gestapo ». Dans un cas comme dans l’autre, les insurgés sont présentés comme des éléments pro-capitalistes. Or il n’en est rien : tout le développement de la révolution hongroise dément une telle analyse.
En 1956, le programme qu’exprimaient des millions de travailleurs de Hongrie à travers les résolutions de leurs conseils et comités, reprenait dans les grandes lignes le programme tracé vingt ans plus tôt dans « La révolution trahie » par Trotsky, où celui-ci prônait pour la Russie une révolution politique contre la caste bureaucratique au pouvoir, comme seule issue afin d’empêcher un retour au capitalisme qui renverrait l’Etat ouvrier des décennies en arrière.
Trotsky disait : « L’économie planifiée a besoin de démocratie comme l’homme a besoin d’oxygène pour respirer ». Les travailleurs ne refusaient pas la production socialisée ; ce qu’ils refusaient, c’était que cette dernière se fasse au-dessus de leurs têtes. Ils se battaient pour le véritable socialisme, c’est-à-dire un socialisme démocratique. C’est pour cette raison que la victoire des conseils ouvriers était apparue comme un péril mortel à la bureaucratie de l’URSS. De plus, son exemple était un danger direct pour toute la hiérarchie de bureaucrates de que l’on appelait hypocritement les « démocraties populaires ». Mao, Tito, et tous les autres, sans exception, supportèrent sans hésiter la ligne suivie par Moscou. Le Parti Communiste Chinois alla même jusqu’à reprocher aux Russes de ne pas avoir réagi assez vigoureusement pour écraser la révolution hongroise. Dans les pays occidentaux, les PC estimaient que l’intervention soviétique était inévitable et nécessaire si l’on voulait « sauver le socialisme » : il leur en coûtera des dizaines de milliers de membres, le PC anglais perdant plus du quart de ses effectifs.
Malheureusement, les travailleurs hongrois se sont lancés dans la révolution sans disposer d’une direction révolutionnaire permettant de faire aboutir le mouvement jusqu’à sa conclusion : là était le gage d’une possible victoire. Il est regrettable que certains commentateurs de gauche tirent des conclusions complètement opposées. C’est le cas de Thomas Feixa, journaliste au « Monde Diplomatique », qui écrit : « La grève générale et la création de conseils autonomes opérant sur la base d’une démocratie directe bat en brèche la formule du parti révolutionnaire défendue par Lénine et Trotsky, celle d’une organisation autoritaire et centralisatrice qui réserve les décisions à une élite savante et restreinte. » La contradiction qui est ici posée entre les conseils ouvriers d’un côté, et le parti révolutionnaire de l’autre, n’a pas de sens. Les conseils ouvriers existaient également en Russie : les soviets, qui permettaient précisément que les décisions ne soient pas « réservées à une élite savante et restreinte », mais impliquaient au contraire la masse de la population dans les prises de décision. Que les soviets aient finalement perdu leur substance et furent sapés par la montée d’une bureaucratie totalitaire qui a fini par gangréner tous les rouages de l’appareil d’Etat, c’est une autre histoire que nous n’avons pas l’espace d’aborder ici. Mais une chose est certaine : la victoire des soviets russes a été permise parce qu’ils disposaient d’une direction révolutionnaire à leur tête, représentée par le Parti Bolchévik. Si l’héroïsme des travailleurs hongrois avait pu être complété par l’existence d’un parti tel celui des Bolchéviks en 1917, le dénouement de la révolution hongroise aurait été tout autre, et la face du monde en aurait peut-être été changée.
Andy Anderson, auteur anglais d’un livre appelé « Hungary ‘56 », explique quant à lui : « Les travailleurs hongrois ont instinctivement, spontanément, créé leurs propres organes, embryon de la société qu’ils voulaient, et n’ont pas eu besoin d’une quelconque forme organisationnelle distincte pour les diriger ; c’était ça leur force. » Encore une fois, ce qui constituait la faiblesse principale du mouvement –sa spontanéité- est ici transformée en son contraire, et présentée comme sa force principale. Il est d’ailleurs assez révélateur de constater qu’aucun de ces deux auteurs n’aborde la question de savoir pourquoi la révolution hongroise a échoué. Elle a échoué car il manquait aux travailleurs hongrois la direction capable de coordonner leur action, de construire un soutien solide dans les populations ouvrières des autres pays de l’Est par une stratégie consciente visant à étendre la révolution à l’extérieur et ainsi desserrer l’étau qui pesait sur les révolutionnaires hongrois, de déjouer les pièges de la bureaucratie et, surtout, de balayer définitivement celle-ci du pouvoir. C’est bien à cause de cela que les conseils ouvriers sont restés en Hongrie à l’état d’ « embryons de la nouvelle société » et ne sont jamais devenus des organes de pouvoir effectifs.
Sources :
- « La révolution hongroise des conseils ouvriers », Pierre Broué.
- « Hungary ‘56 », Andy Anderson
- « Le Monde Diplomatique » (octobre 2006)
- « La Libre Belgique » (23 et 24 octobre 2006)
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Théorie. La révolution espagnole 1931-1939
D’emblée, certains se demanderont pourquoi nous parlons de « révolution » espagnole. Et effectivement, lorsque nous parcourons les manuels d’histoire, on évoque le plus souvent ces événements sous le terme de « guerre d’Espagne » ou « guerre civile espagnole ». Il ne s’agit cependant pas d’une simple querelle de termes ; il s’agit d’une déformation consciente de l’idéologie dominante visant à éluder tout le caractère de classe de ce conflit. C’est donc volontairement que nous utilisons le mot « révolution ». Ce mot a le mérite d’éviter tout malentendu et de mieux cerner ces événements dans leurs justes proportions.
Cédric Gérôme
La révolution espagnole est pour nous une expérience historique extrêmement riche en leçons. Il s’agit tout en même temps d’une confirmation éclatante de la théorie de la révolution permanente développée par Trotsky, d’une démonstration pratique, si besoin en est encore, de la faillite des méthodes anarchistes dans la lutte du mouvement ouvrier révolutionnaire, et enfin, d’un exemple de plus du rôle objectivement contre-révolutionnaire qu’a joué le stalinisme dans la lutte des classes.
Trotsky disait que l’héroïsme des travailleurs espagnols était tel qu’il eût été possible d’avoir 10 révolutions victorieuses dans la période 1931-1937. Pour exemple, on a dénombré pas moins de 113 grèves générales et 228 grèves partielles en Espagne rien qu’entre février et juillet ’36 ! Malheureusement, par le manque d’un parti révolutionnaire à même d’amener le mouvement à ses conclusions logiques, la politique du « Front Populaire » prônée par les staliniens va ouvrir la voie à 40 ans de régime fasciste pour la classe ouvrière espagnole. Il est donc plus qu’important d’étudier les leçons de cet épisode de l’histoire pour éviter de reproduire les mêmes erreurs.
L’Espagne: le maillon faible
Dans les années ’30, l’Espagne est un des maillons les plus faibles de la chaîne du capitalisme européen. L’Espagne reste à cette époque un pays arriéré, agricole, où 70% de la population vit dans les campagnes. Dans l’ensemble du pays, la terre appartient essentiellement à la classe des propriétaires fonciers ; 50.000 d’entre eux possèdent la moitié du sol. Le poids de l’Eglise catholique espagnole donne une image assez claire de ce monde rural médiéval : à côté de la masse paysanne qui compte encore 45% d’illettrés, on dénombre plus de 80.000 prêtres, moines ou religieuses, ce qui équivaut au nombre d’élèves des écoles secondaires et dépasse de 2 fois et demi le nombre d’étudiants…Si l’Espagne a connu un « âge d’or », période de floraison et de supériorité sur le reste de l’Europe au 15è-16ème siècle, cette situation s’est transformée en son contraire suite à la perte de ses positions mondiales, celle-ci s’étant achevée au 19ème siècle par la perte des dernières colonies en Amérique du Sud.
Dans le courant du 19ème siècle et durant le 1er tiers du 20ème siècle, on assiste en Espagne à un changement continuel de régimes politiques et à des coups d’état incessants (les « pronunciamentos »), preuve de l’incapacité aussi bien des anciennes que des nouvelles classes dirigeantes de porter la société espagnole en avant. En réalité, la société de l’ancien régime n’avait pas encore fini de se décomposer que déjà la société bourgeoise commençait à ralentir. Trotsky analysait la situation comme suit : « La vie sociale de l’Espagne était condamnée à tourner dans un cercle vicieux tant qu’il n’y avait pas de classe capable de prendre entre ses mains la solution des problèmes révolutionnaires ».
Cependant, la période de la première guerre mondiale et le rôle neutre que va y jouer l’Espagne, vont amener de profonds changements dans l’économie et la structure sociale du pays, créer de nouveaux rapports de force et ouvrir de nouvelles perspectives. Cette période va en effet voir s’amorcer une industrialisation rapide du pays, et son corollaire : l’affirmation du prolétariat en tant que classe indépendante. Les années 1909, 1916, 1917, 1919 seront des années de grandes grèves générales en Espagne, mais dont les défaites successives vont préparer le terrain pour la dictature militaire bonapartiste du Général Primo de Riveira. Il s’agira par là de mettre un terme à l’agitation ouvrière et paysanne, en s’en prenant aux principales conquêtes ouvrières et aux relatives libertés démocratiques qui permettaient, dans une certaine mesure, l’organisation des ouvriers et des paysans.
Cependant, cette dictature n’assure aux classes dominantes qu’un bref répit. L’inflation galopante qui dévore les salaires et le niveau de vie, puis la crise économique de ’29 qui mine profondément la base du régime vont obliger le roi, pour préserver la monarchie, à se débarasser de Primo de Riveira en 1930. Et de la même manière, un an plus tard, les classes possédantes obligeront le roi Alfonso XIII à faire ses bagages et sacrifieront la monarchie dans le but de sauver leur propre peau ;autrement dit, dans le but de ne pas faire courir au pays le risque d’une révolution « rouge »…
La République : portier de la révolution
Le 14 avril 1931, la République est donc proclamée. Il ne s’agit toutefois que d’un changement de façade, du remplacement d’un roi par un président, d’une opération à laquelle ont recours les classes possédantes afin de bénéficier d’un nouveau sursis et de calmer les ardeurs des masses. Mais cela aura l’effet inverse : la proclamation de la République nourrit les aspirations des masses et ouvre un processus révolutionnaire qui s’étendra sur plusieurs années. Pendant toute cette période cependant, le facteur subjectif (la direction du mouvement ouvrier) restera en retard par rapport aux tâches du mouvement : c’est la faiblesse de ce facteur qui conduira le mouvement à sa perte.
L’anarchisme dispose à l’époque d’une influence beaucoup plus importante en Espagne que dans les pays industrialisés d’Europe Occidentale. La CNT (Confédération Nationale du Travail), de tendance anarcho-syndicaliste, rassemble autour d’elle les éléments les plus combatifs du prolétariat espagnol, même si elle n’a aucune perspective et aucun programme à offrir à sa base. En 1918, elle réunit déjà plus d’un million de syndiqués. Cette prépondérance des anarchistes en Espagne s’explique par plusieurs raisons :
– le rôle de premier plan qu’a joué la CNT dans l’organisation de la grève générale insurectionnelle de 1917 <br- le tournant à droite que connaît le PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) après la première Guerre Mondiale, suivant la tendance générale de toute la social-démocratie en Europe. Cela va se marquer fortement en Espagne par le fait que le PSOE et la centrale syndicale qu’il contrôle, l’UGT (Union Générale des Travailleurs) se prononcent en 1923 pour une collaboration avec la dictature militaire. Le secrétaire général de l’UGT, Francisco Largo Caballero, celui que d’aucuns qualifieront par la suite, et à tort, de « Lénine espagnol », sera même conseiller d’Etat sous Primo de Riveira !
– l’inconsistance du Parti Communiste Espagnol, qui sera affaibli tant par la répression systématique qu’il subit sous la dictature que par sa politique sectaire qui l’isole des masses. En effet, à partir de ’24, le PCE subit le même sort que tous les PC, soumis mécaniquement aux ordres et zigzags de la bureaucratie stalinienne en URSS. Pour exemple, lors de la proclamation de la République, le PCE, suivant la ligne ultra-gauche de l’Internationale, reçoit la consigne de lancer le mot d’ordre de : « A bas la République bourgeoise ! Tout le pouvoir aux soviets ! » dans un pays et à une période où il n’existe pas l’ombre d’un soviet ou d’un organisme semblable. Le résultat de cette politique désastreuse est qu’en avril ’31, moment de l’avènement de la République, le PCE ne compte pas plus de 800 membres dans l’ensemble de l’Espagne.Le premier gouvernement républicain est formé d’une coalition entre les Socialistes et les Républicains. Ces derniers sont les principaux représentants politiques de la bourgeoisie et se caractérisent par un programme social extrêmement conservateur. Trotsky expliquait : « Les républicains espagnols voient leur idéal dans la France réactionnaire d’aujourd’hui, mais ils ne sont nullement disposés à emprunter la voie des Jacobins français, et ils n’en sont même pas capables : leur peur devant les masses est bien plus forte que leur maigre velléité de changement. » Et de fait, cette coalition républicano-socialiste, à cause de la crise mondiale du capitalisme, est bien incapable de tenir ses promesses et de réaliser les tâches élémentaires, bourgeoises, qui se posent au pays : la réforme agraire, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et la résolution de la question nationale. Celle-ci est particulièrement aigüe en Espagne, dans la mesure où, l’unification nationale n’étant pas arrivée à son terme, deux régions –bastions de l’industrie-, la Catalogne et le Pays Basque, manifestent de sérieuses tendances séparatistes. Cela rajoute un élément explosif au contexte de crise générale que traverse la société espagnole.
L’impuissance du nouveau gouvernement face aux problèmes historiques du pays alimente les contradictions sociales et les divergences au sein du mouvement ouvrier. Celui-ci s’engage dans une série de grèves qui sont réprimées sans ménagement. Parallèlement, la paysannerie s’engage dans des tentatives de saisir la terre, mais là aussi , la seule réponse du gouvernement est d’envoyer les troupes. La CNT, à la tête de laquelle domine le courant aventuriste, putschiste et anti-politique de la FAI ( Fédération Anarchiste Ibérique), s’engage quant à elle dans une série d’insurrections locales, éphémères et désorganisées qui sont violemment réprimées dans le sang. Quant au PC, il continue d’appliquer mécaniquement les analyses et les mots d’ordre élaborées dans le cadre de la politique dite « de la 3ème période », caractérisée par son sectarisme et son refus de l’unité ouvrière.
La définition de la social-démocratie comme « social-fasciste », qui aboutira en Allemagne à la victoire sans combat des bandes hitlériennes, est appliquée à la situation espagnole. Mais ici, les staliniens vont encore plus loin : ils étendent cette définition aux anarchistes, désormais qualifiés d’ « anarcho-fascistes » ! Il est évident que cette politique contribue davantage à les isoler.
Pendant ce temps, les communistes oppositionnels s’efforcent de promouvoir une autre politique. Sous l’impulsion d’Andrès Nin, ancien cadre de la CNT et ami personnel de Trotsky, ainsi que d’autres militants trotskistes, l’opposition de Gauche, appelée « Izquierda Comunista » (=Gauche Communiste) est créée officiellement en Espagne en 1932. A peu près à la même période se crée également le Bloc Ouvrier et Paysan, dirigé par d’anciens membres du PCE, et dont le principal dirigeant, Joacquin Maurin, ne cache pas ses tendances boukhariniennes. Ce parti refuse de prendre position entre trotskistes et staliniens, et adopte une ligne très opportuniste sur la question nationale, se déclarant « séparatiste » en Catalogne et soutenant, sans distinction, tous les mouvements indépendantistes catalans.
Le fascisme : la réaction bourgeoise en marche
Les élections d’octobre ’33 donnent l’avantage à la droite, qui profite de la faillite de la coalition socialiste-républicaine des 2 années précédentes. Pour ce nouveau gouvernement, il ne s’agit plus simplement d’une alternance de pouvoir, mais d’un début de contre-attaque contre le mouvement ouvrier, pour laquelle d’autres moyens qu’électoraux seront employés si nécessaire. Le nouveau gouvernement, présidé par un certain Lerroux, donne d’exorbitantes subventions au clergé, diminue les crédits de l’école publique, engage massivement dans la police et l’armée. Les groupes d’extrême-droite descendent dans la rue avec la protection ouverte des autorités ; les fascistes commencent à attaquer locaux et journaux ouvriers.
Mais la victoire de la droite n’est pas la seule conséquence de la politique de collaboration de classes des socialistes. Dans les rangs du PSOE, et plus particulièrement de la Jeunesse Socialiste, se dessine un courant qui remet radicalement en question la défense de la démocratie bourgeoise et l’optique réformiste de la direction. Ce développement aura d’importantes répercussions par la suite…
Après plusieurs hésitations, le gouvernement Lerroux décide d’intégrer dans son cabinet 3 membres de la CEDA, parti catholique d’extrême-droite. La CEDA est sans cesse menacée d’être débordée sur sa droite, soit par sa propre organisation de jeunesse , la Juventud de Accion Popular (J.A.P.) que dirige Ramon Serrano Suner, beau-frère de Franco, admirateur d’Hitler et de Mussolini, grand pourfendeur de « juifs, franc-maçons et marxistes », soit par la Phalange, au programme et aux méthodes typiquement fascistes, que dirige José Antonio Primo de Riveira, fils du dictateur et agent du gouvernement fasciste italien.
L’épisode de la « Commune Asturienne »
La nouvelle composition du gouvernement, comprenant 3 ministres d’extrême-droite, est considérée comme une déclaration de guerre par le mouvement ouvrier. Elle provoque sa réaction immédiate ; les travailleurs espagnols sont en effet bien décidés à ne pas subir le même sort que leurs camarades allemands et autrichiens, qui viennent de succomber sous la botte du régime nazi. L’UGT lance le mot d’ordre de grève générale, tandis que la CNT, sur le plan national, ne bouge pas. Finalement, 3 foyers insurrectionnels se déclarent : Barcelone, Valence et les Asturies. A Barcelone et à Valence, le gouvernement rétablit facilement son autorité, du fait que la CNT s’est positionné contre la grève et a ainsi brisé le front unique.
Dans les Asturies en revanche, la CNT rejoint la lutte, ce qui donne à celle-ci un autre impact. Dans tous les villages miniers se constituent des comités locaux qui prennent le pouvoir. Etant sûr de tenir le reste de l’Espagne, le gouvernement central emploie les grands moyens et écrase dans le sang ce que l’on appellera la «Commune Asturienne ». La répression est féroce : plus de 3000 travailleurs tués, 7000 blessés et plus de 40.000 emprisonnés. L’instigateur de cette répression n’est autre que Francisco Franco.
Création du POUM et entrée en scène des staliniens
Après cet épisode, on assiste à des reclassements rapides au sein du mouvement ouvrier. Trotsky préconise l’entrée de la Gauche Communiste dans le PSOE afin d’opérer la jonction avec l’aile gauche des Jeunesses Socialistes en train de se radicaliser. Nin, comme la majorité des dirigeants de la GC, refuse le conseil de Trotsky, rompt avec celui-ci et s’oriente vers une fusion avec le Bloc Ouvrier et Paysan. Cette fusion aboutira à la création du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) en 1935, qui compte alors quelques 8000 militants et une base ouvrière réelle, surtout en Catalogne, mais qui ne dispose pas d’un caractère national. C’est là une lourde responsabilité et une grave erreur qu’ont pris sur eux les dirigeants de l’Opposition de Gauche, laissant sans perspectives cette jeunesse socialiste qui se cherche et qui, comme le disait Trotsky, « en arrivait spontanément aux idées de la 4ème Internationale ».
Car dans le même temps, l’Internationale Communiste stalinienne opère un tournant radical à 180° et adopte une ligne complètement nouvelle lors de son 7ème congrès, préconisant la politique du Front Populaire, à savoir une coalition programmatique avec les républicains bourgeois. Rompant ainsi son isolement et jouant sur le prestige de la révolution russe dans cette période de troubles révolutionnaires, le PCE va ainsi réussir à attirer vers lui l’aile gauche du Parti Socialiste. Cela aboutit, en avril ’36, à la fusion entre la minuscule Jeunesse Communiste et la puissante organisation de la Jeunesse Socialiste, donnant naissance à la JSU (Jeunesse Socialiste Unifiée) qui constitue dès lors le levier principal de l’influence stalinienne en Espagne. En Catalogne, le PCE et le PSE fusionne carrément pour former le PSUC (Parti Socialiste Unifié de Catalogne) qui adhère, dès sa fondation, à la 3ème Internationale. De plus, le « tournant politique » de 1935 et les circonstances particulières de la guerre civile redonnent au communisme un visage attractif auquel cèderont, au moins dans un premiers temps, bien des libertaires endurcis.
Le Front Populaire : une combinaison politique pour tromper les travailleurs
A l’approche de nouvelles élections, alors que la polarisation de classes est à son plus haut niveau et que le danger fasciste se fait de plus en plus menaçant, un pacte d’alliance électorale – le futur Front Populaire- est signé entre les Républicains, le Parti Socialiste, le Parti Communiste, l’Esquerra catalane (parti nationaliste bourgeois) …et le POUM. Le programme du Front Populaire mentionnait pourtant explicitement le refus de la nationalisation des terres et des banques, le refus du contrôle ouvrier, l’adhésion à la Société des Nations,…bref, un programme qui, en toute logique compte tenu de ses principaux signataires, ne dépassait pas le cadre de la société bourgeoise. Les socialistes le qualifient d’ailleurs sans ambages de « démocratique bourgeois ».
Le Front Populaire, présenté comme une alliance nécessaire avec la soi-disante bourgeoisie « progressiste » pour constituer le front le plus large contre le fascisme, va en réalité servir à freiner l’action révolutionnaire des masses et donner un sérieux coup de pouce à la victoire du fascisme. Le rôle du Front Populaire est clairement exprimé par cette déclaration du Secrétaire Général du PC de l’époque, José Diaz : « Nous voulons juste nous battre pour une révolution démocratique avec un contenu social. Il n’est pas question de dictature du prolétariat ou de socialisme mais juste d’une lutte de la démocratie contre le fascisme ».
En réalité, la prétendue bourgeoisie « progressiste » n’existait que dans la tête des staliniens. La bourgeoisie industrielle de Catalogne avait été le plus fervent soutien à la dictature militaire de Primo de Riveira. La bourgeoisie espagnole était une bourgeoisie largement dépendante des capitaux étrangers, et entretenant des liens étroits avec l’aristocratie et les propriétaires terriens. Pour exemple, l’Eglise était simultanément le plus gros propriétaire de terres et le plus gros capitaliste du pays ! Difficile dans ces conditions d’admettre que « la bourgeoisie était dynamique et très intéressée par un changement politique. » (1). Pour tout dire, la bourgeoisie espagnole avait très bien compris que le fascisme était le seul et ultime rempart contre la montée du mouvement ouvrier. C’est pourquoi, déjà à cette époque, elle s’était rangée comme un seul homme derrière Franco…De la même manière que la montée révolutionnaire ne pouvait être véritablement vaincue que par la réaction fasciste, le fascisme ne pouvait être combattu que par la voie de la lutte révolutionnaire. Opposer un barrage légal au fascisme ne pouvait donc servir qu’à endormir les masses et à paralyser leur action ; en d’autres termes, à sauver la bourgeoisie.
Dès la victoire du Front Populaire en février ’36, la classe ouvrière va montrer dans la pratique sa détermination à aller plus loin que le programme plus que modéré de celui-ci ; autrement dit, à éclater les cadres trop étroits du succès remporté aux urnes. Sans attendre le décret d’amnistie, les travailleurs espagnols ouvrent les portes des prisons et libèrent les milliers de prisonniers de la Commune Asturienne. Des défilés monstres et des grèves éclatent dans tout le pays, pour la réintégration immédiate des ouvriers licenciés, le paiement d’arriérés de salaires aux travailleurs emprisonnés, contre la discipline du travail, pour l’augmentation des salaires et de meilleures conditions de travail. Les cheminots exigent la nationalisation des chemins de fer. A la campagne, les occupations de terre se multiplient, les fermiers refusent de payer leurs fermages. Le gouvernement de Front Populaire, lui, multiplie les appels au calme, demande aux travailleurs de « rester raisonnables afin de ne pas faire le jeu du fascisme », et reste passif, incapable d’apporter la moindre réforme digne de ce nom dans l’intérêt des ouvriers et des paysans.
De plus, même si deux généraux suspects de conspiration sont éloignés de la capitale (Franco est nommé aux Canaries, Goded aux Baléares), le gouvernement fait preuve d’une grande tolérance vis-à-vis des éléments fascistes présents dans l’armée et l’appareil d’état. « Quelles sont les mesures drastiques qui ont été prises contre les provocateurs fascistes et contre les criminels ? Aucune.», reconnaît après coup Jiminez Asua, député socialiste à Madrid en ‘36. Le contraire eût d’ailleurs été étonnant. S’attaquer aux officiers fascistes de l’armée signifiait s’attaquer à la machine d’état sur laquelle se reposait la classe dominante, avec laquelle les représentants du Front Populaire n’étaient nullement prêts à rompre.
La contre-révolution déclenche la révolution
Mais alors que le gouvernement se porte garant de la fidélité des officiers à la république, le coup d’état des Généraux se prépare dans les hautes sphères de l’armée, tandis que Hitler et Mussolini fournissent argent et armes aux fascistes espagnols. Le coup d’état militaire éclate dans la nuit du 16 au 17 juillet 1936. Le chef du gouvernement prononce alors cette phrase célèbre, nouveau témoignage de toute la détermination du Front Populaire à combattre le fascisme : « Ils se soulèvent. Très bien. Et bien moi, je vais me coucher. »
Contre toute évidence, le gouvernement nie la gravité de la situation, et refuse de distribuer des armes à la population, qui envahit par milliers les rues des grandes villes pour les réclamer. Il est clair que les politiciens bourgeois au gouvernement craignaient mille fois plus une classe ouvrière armée qu’une Espagne fasciste.
Dès lors, la classe ouvrière prend l’offensive et commence à organiser la lutte armée. Dans la plupart des grandes villes, le peuple assiège les casernes, érige des barricades dans les rues, occupe les points stratégiques. On raconte que dans certaines régions, la population laborieuse se lançait à l’assaut des bastions franquistes avec des armes de fortune tels que des canifs, couteaux de cuisine, fusils de chasse, pieds de chaise, dynamite trouvée sur les chantiers, poêles, fourches,…bref, avec tout ce qu’elle pouvait trouver, et parfois même à mains nues ! La situation est très bien décrite par Pierre Broué (2) : « Chaque fois que les organisations ouvrières se laissent paralyser par le souci de respecter la légalité républicaine, chaque fois que leurs dirigeants se contentent de la parole donnée par les officiers, ces derniers l’emportent…par contre, ces mêmes officiers sont mis en échec chaque fois que les travailleurs ont eu le temps de s’armer, chaque fois qu’ils se sont immédiatement attaqués à la destruction de l’armée en tant que telle, indépendamment des prises de position de ses chefs, ou de l’attitude des pouvoirs publics légitimes ». Bien souvent, les travailleurs peuvent compter sur le soutien ou dumoins la sympathie d’une frange importante des soldats. C’est le cas dans la marine de guerre où la quasi-totalité des officiers sont gagnés au soulèvement, mais où les marins, sous l’impulsion de militants ouvriers, se sont organisés clandestinement en « conseils de marins ». Ces derniers se mutinent ; certains, en pleine mer, exécutent les officiers qui résistent, s’emparent de tous les navires de guerre et portent ainsi au soulèvement des généraux un coup très sérieux. « Au soir du 20 juillet, sauf quelques exceptions, la situation est clarifiée. Ou bien les militaires ont vaincu, et les organisations ouvrières et paysannes sont interdites, leurs militants emprisonnés et abattus, la population laborieuse soumise à la plus féroce des terreurs blanches. Ou bien le soulèvement militaire a échoué, et les autorités de l’Etat républicain ont été balayées par les ouvriers qui ont mené le combat sous la direction de leurs organisations regroupées dans des « comités » qui s’attribuent, avec le consentement et l’appui des travailleurs en armes, tout le pouvoir. » (3)
La lutte armée ne représente effectivement qu’un aspect de ce vaste mouvement d’ensemble initié par la classe ouvrière : en réalité, la contre-révolution avait déclenché la révolution. Le putsch des chefs militaires ne réussit qu’à accélérer le processus de transformation de la société déjà commencé dans les faits. L’Espagne se couvre de comités ouvriers qui entreprennent la remise en marche de la production et la direction des affaires courantes. Pour exemple, à Barcelone, les travailleurs, dès les premiers jours, prennent en main les transports en commun, le gaz, l’électricité, le téléphone, la presse, les spectacles, les hôtels, les restaurants , et la plupart des grosses entreprises industrielles. Le même processus apparaît dans les campagnes : les paysans non plus n’avaient pas l’intention d’attendre en vain que le gouvernement légifère. Entre février et juillet ’36, la prétendue « réforme agraire » initiée par le Front Populaire avait fourni de la terre à 190.000 paysans…sur 8 millions ! (moins d’un sur 40). A ce rythme, il eût fallu plus d’un siècle pour donner de la terre à tout le monde…C’est pourquoi, rapidement, les villageois se débarassent de leurs conseils municipaux et s’empressent de s’administrer eux-mêmes. Se met alors en place un profond mouvement de collectivisation de la terre, jamais vu dans l’histoire. En Aragon, les ¾ de la terre sont collectivisés.
Grâce à cette furia et à cette combativité populaire exemplaire, non seulement l’échec de l’insurrection militaire est consommé en quelques jours, mais en outre, les masses détiennent pratiquement le pouvoir entre les mains. La situation qui se crée en Espagne n’est en effet rien d’autre qu’une situation de double-pouvoir. Lorsque les autorités se remettent de leur stupeur, elles s’aperçoivent tout simplement qu’elles n’existent plus. L’Etat, la police, l’armée, l’administration, semblent avoir perdu leur raison d’être. Le gouvernement est suspendu dans les airs et n’existe plus que par la tolérance de la direction des différents partis ouvriers. Fin juillet, les masses contrôlent 2/3 du pays. Elles exercent le pouvoir, mais celui-ci n’est pas organisé ni centralisé. Les « comités » (ou « conseils », « juntes », ou « soviets », qu’importe le nom), organes d’auto-administration de toutes les couches de la population laborieuse, et élus par celle-ci, auraient dû être élargis à chaque entreprise, chaque lieu de travail, chaque district, en y incluant la population paysanne ainsi que les milices ouvrières. Ces comités auraient dû être reliés via des délégués dans le but de former des comités locaux, régionaux, et national. Cela aurait constitué les bases d’un nouveau régime, jetant définitivement par-dessus bord le vieux gouvernement impuissant et passif : la dictature du prolétariat, Etat de type nouveau reposant sur la représentation directe des travailleurs et rompant une fois pour toute avec la « légalité bourgeoise ». Les masses voulaient abattre le capitalisme, tentaient d’imposer une politique révolutionnaire à leurs dirigeants qui étaient trop aveugles, trop malhonnêtes, trop peureux ou trop sceptiques que pour appréhender la situation correctement. Ceux-ci seront les principaux obstacles sur la voie d’une prise de pouvoir effective : la révolution va s’arrêter à mi-chemin.
Le mouvement ouvrier : analyses
Anarchistes et anarco-syndicalistes refusent d’engager une lutte pour un pouvoir dont ils ne sauraient que faire vu qu’il serait contraire à leur principe. Ils affirmeront par la suite qu’ils auraient pu prendre le pouvoir mais qu’ils ne l’ont pas fait, non parce qu’ils ne le pouvaient pas mais parce qu’ils ne le voulaient pas. Cela n’empêchera pourtant pas les anarchistes d’accepter finalement des portefeuilles dans les 2 gouvernements : celui de la Généralité de Catalogne d’abord, celui de Madrid ensuite ! Autrement dit, de collaborer à un gouvernement bourgeois et qui plus est, à un moment où sa base dans le rapport de force a disparu…On cerne ici toute la faillite de la théorie anarchiste, prise au piège de ses propres contradictions : n’ayant pas d’alternative et de stratégie pour contrer la politique de la classe dominante, les anarchistes font la politique A LA PLACE de la classe dominante. En renonçant à exercer la dictature du prolétariat, ils acceptent dans les faits à exercer la dictature…de la bourgeoisie. Comme le disait Trotsky, renoncer à la conquête du pouvoir, c’est le laisser dans les mains de ceux qui le détiennent, c’est-à-dire aux exploiteurs.
Le POUM était quant à lui l’organisation la plus honnête et la plus à gauche en Espagne. Mais bien qu’ils se dénommaient marxistes, les dirigeants du POUM resteront à la traîne des anarchistes pendant tout le conflit, et les suivront jusqu’à entrer dans le gouvernement de Catalogne avec eux. Au moment où l’heure a sonné de préparer la prise du pouvoir par les masses, Andrès Nin affirme que la dictature du prolétariat existe déjà en Espagne. Ensuite, alors que les dirigeants bourgeois profitent de la passivité des organisations ouvrières pour restaurer l’appareil d’Etat bourgeois, celui-ci devient ministre de la Justice en Catalogne. En couvrant ainsi l’aile gauche du Front Populaire, le POUM préparera la voie à sa propre destruction. Pourtant, le POUM avait d’énormes possibilités. Il était passé d’un parti de 1000-1500 membres à plus de 30.000 membres en 6 semaines. Selon certaines sources, il aurait atteint jusqu’à 60.000 membres. Proportionnellement, il était donc numériquement plus fort que le Parti Bolchévik au début de la révolution russe. Malheureusement, oscillant entre le réformisme et la révolution, le POUM commettra toute une série d’erreurs qui lui seront fatales : au lieu de faire un travail dans la CNT, syndicat le plus puissant d’Espagne, les poumistes créeront leurs propres syndicats, laissant ainsi les travailleurs de la CNT dans les mains d’une direction aveugle et minée par la bureaucratie. Au lieu de faire un travail dans l’armée, ils créeront leurs propres milices. Cherchant ainsi des raccourcis dans la lutte des classes, ils isoleront l’avant-garde de la classe et laisseront les masses sans direction.
Quant aux staliniens, il n’est sans doute pas exagéré de dire qu’ils constitueront l’avant-garde de la contre-révolution espagnole. Pendant tout le conflit, les staliniens nageront complètement à contre-courant de la dynamique révolutionnaire, allant jusqu’à nier le fait qu’une révolution prenait place en Espagne. Il est clair que le but poursuivi à l’époque par Staline dans ce pays n’était pas la victoire de la révolution, mais seulement l’assurance de se constituer de bons alliés contre l’Allemagne nazie pour la 2ème guerre mondiale qui s’annonçait. Staline ne voulait à aucun prix du triomphe d’une révolution sociale en Espagne, parce qu’elle eût exproprié les capitaux investis par l’Angleterre, alliée présumée de l’URSS dans la « ronde des démocraties » contre Hitler. D’ailleurs, les staliniens ne le cachent pas. Dans un livre écrit par Santiago Carillo, président du PCE dans les années ’70, on peut lire : « Il est clair qu’à l’époque, la bourgeoisie européenne n’aurait pas toléré qu’un petit pays comme l’Espagne puisse victorieusement porter une révolution socialiste. A cette époque, nous ne parlions pas de révolution socialiste et nous critiquions même ceux qui le faisaient, car nous voulions neutraliser les forces bourgeoises des démocraties européennes. » Ce qu’on ne précise pas dans ce passage -très instructif, au demeurant-, c’est que les staliniens ne se contentaient pas de « critiquer » ceux qui parlaient d’une révolution socialiste, mais les arrêtaient, les emprisonnaient, les torturaient dans des prisons spéciales du GPU, les assassinaient…En outre, on a beaucoup de mal à croire que les classes dominantes anglaise et française étaient assez dupes pour ne pas se rendre compte qu’une révolution était en train de menacer leurs intérêts capitalistes en Espagne, et cela du simple fait que les staliniens refusaient d’en parler !
Pour les staliniens, la lutte n’était pas entre révolution et contre-révolution mais entre démocratie et fascisme, ce qui rendait nécessaire le maintien du Front Populaire et de l’alliance avec les républicains bourgeois, le respect des institutions légales, de la démocratie parlementaire et du gouvernement. Le journal « L’Humanité » (journal du PCF) du 3 août 1936 affirmait : « Le peuple espagnol ne se bat pour l’établissement de la dictature du prolétariat mais pour un seul but : la défense de la loi et de l’ordre républicain dans le respect de la propriété. » Un argument souvent utilisé par les staliniens pour justifier la politique du Front Populaire est que celui-ci visait à « avancer un programme plus modéré capable d’attirer la petite-bourgeoisie vers le mouvement ouvrier ». S’il entendait cela, Lénine se retournerait dans sa tombe ! L’histoire du bolchévisme est l’histoire d’une guerre sans relâche contre de telles notions. Le moyen de gagner les couches moyennes à la cause du mouvement ouvrier n’est pas de lier les mains de ce dernier aux politiciens bourgeois, mais bien au contraire de faire tout pour les démasquer , de faire tout pour montrer l’incapacité de la bourgeoisie et de son système politique à résoudre la crise, de faire tout pour démontrer dans l’action que la seule issue se trouve du côté des travailleurs. En Russie en 1917, c’est cette politique de classe intransigeante qui a permis de gagner la confiance de la paysannerie et a ainsi assuré le succès de la révolution. La petite-bourgeoisie, de par sa position intermédiaire dans la société, a tendance, dans la lutte des classes, à se ranger du côté du « cheval gagnant », c’est-à-dire du côté de la classe qui se montrera la plus résolue et la plus à même de gagner la bataille. En Espagne en 1936, la politique de Front Populaire a seulement réussi à pousser la paysannerie et la petite-bourgeoisie des villes dans l’indifférence, voire dans les bras de la réaction fasciste.
La réaction « démocratique »
Dans ces conditions, les premiers succès des milices restent sans lendemain. Une machine de guerre moderne entre en action, la situation se renverse : les fascistes reprennent du terrain et procèdent à des massacres féroces. En septembre ’36, tous les comités sont dissous et remplacés par des conseils municipaux à l’image du gouvernement. Le corps des magistrats est remis en fonction, les milices placées sous le contrôle du Ministère de l’Intérieur. Les conseils de soldats qui avaient vu le jour pendant la révolution sont supprimés, les grades, les galons et l’ancien code de Justice Militaire sont remis en vigueur.
Le gouvernement, selon sa propre expression, « légalise les conquêtes révolutionnaires », ce qui constitue en réalité un moyen d’empêcher leur extension. Le coup d’arrêt porté à la révolution coïncide avec l’arrivée de l’aide matérielle russe (chars, tanks, avions…et police politique), qui s’était jusqu’ici engagée dans un pacte de « non-intervention », et l’entrée en scène, à l’initiative et sous le contrôle des différents partis communistes du monde, des « Brigades Internationales », formées de volontaires de tous pays venus combattre le fascisme.
La contre-révolution stalinienne, la défaite et son prix
La « réaction démocratique » fait ensuite place à la contre-révolution stalinienne dans toute sa cruauté, mettant la touche finale à l’étranglement de la révolution. L’Espagne devient un laboratoire pour la prochaine guerre mondiale où Staline va pouvoir démontrer aux puissances occidentales qu’il est un allié solide capable d’arrêter une révolution. Le mot d’ordre principal du PC est qu’il faut « d’abord gagner la guerre », et remettre à plus tard les questions sociales. Ce qu’il faisait mine de ne pas comprendre est qu’on ne pouvait gagner la guerre sans gagner la révolution. Il n’y avait évidemment pas de solution intermédiaire, à partir du moment où l’on admet la structure de classe de la société.
Les staliniens vont exceller dans un travail consistant concrètement à aider le fascisme à triompher. En novembre ’36, le consul général d’URSS à Barcelone dénonce le journal du POUM « vendu au fascisme international ». La presse stalinienne se déchaîne contre les révolutionnaires, le POUM est dissout et tous ses dirigeants sont arrêtés. Andrès Nin et de nombreux militants trotskistes sont exécutés par la police politique ;on les accuse d’être « des fascistes déguisés qui emploient un langage révolutionnaire pour semer la confusion » (4).
Le décret de collectivisation en Catalogne est suspendu, les propriétaires récupèrent les terres et les usines. Fin ’37, les premiers conseillers russes seront rappelés : la plupart seront à leur tour exécutés en URSS. Les envois d’armes diminuent rapidement. L’Espagne devient le théâtre d’une guerre classique où un camp se trouve en situation d’infériorité militaire et technique. Le calvaire durera jusqu’en ’39 ; il se terminera par de nombreux supplices et exécutions et par la victoire définitive de Franco.
Conclusion
Il s’est présenté en Espagne une situation révolutionnaire exceptionnellement favorable. Malheureusement, il n’y avait pas un parti révolutionnaire avec une direction capable de faire une analyse correcte de la situation, d’en tirer les conclusions nécessaires et de mener fermement les travailleurs à la prise du pouvoir. Trotsky disait que pour la solution victorieuse des tâches révolutionnaires qui se posaient à l’Espagne, il fallait trois conditions : un parti, encore un parti…et toujours un parti. Cette même conclusion peut être tirée de nombreux mouvements révolutionnaires qui jalonnent l’histoire du capitalisme. C’est pourquoi nous pensons que les leçons à tirer de cette expérience sont d’une importance cruciale et conservent toute leur actualité.
(1) extrait d’une interview de Santiago Carillo, président du PCE dans les années ’70
(2) voir Pierre Broué, « La Révolution et la Guerre d’Espagne » (p.87-88)
(3) voir Pierre Broué, « La Révolution Espagnole 1931-1939 » (p.70)
(4) José Diaz, discours du 9 mai 1937, « Tres Anos de Lucha » (pp.350-366) -
Bas les pattes de nos prépensions!
Si le gouvernement ne tombe pas, il faut s’attendre à une déclaration gouvernementale de Verhofstadt avec comme point central une attaque contre les prépensions. La presse nous serine depuis des mois «qu’on ne pourra plus payer les pensions à l’avenir». En 2000 il y avait 16.8% de plus de 65 ans en Belgique. En 2050 on estime qu’il représenteront 26.5% de le population. A partir de 2001, le baby-boom d’après-guerre prendra sa pension.
Peter Delsing
La Commission d’Études sur le Vieillissement estime que d’ici 2030 le coût du vieillissement de la population atteindra 3.4% du Produit intérieur brut (PIB). Si le coût des soins de santé augmenteront de 4,5% l’an jusque 2030 (le rythme actuel) ils représenteront 6,7% du PIB.
La Commission d’Études parlementaire ajoute qu’en tenant compte d’une croissance moyenne de la productivité de 1,75% l’an jusqu’une 2030 (donc une croissance de productivité moyenne de 1,75% par travailleur). Avec une telle augmentation de la productivité il faudrait une croissance économique moyenne de 2,5% pour que le taux d’emploi passe de 61,5% à 68,5% en 2030.
Toute l’argumentation économique du gouvernement sur «le coût du vieillissement» repose sur du vent. Depuis les années 70 la croissance économique moyenne a baissé toutes les décennies sous l’effet de la surcapacité des forces productives. De 2001 à 2003 la croissance économique a été de 0,8% (1). Depuis 2002 nous sommes encore dans une période de prétendue «relance» économique. Croire que, dans le cadre du capitalisme, la croissance économique moyenne sera de 2,5% l’an jusque 2030 est un leurre.Il est plus vraisemblable que le capitalisme entrera assez rapidement dans un nouveau cycle de crise économique, avec la possibilité de conséquences semblables au crash de Wall Street de 1929. Qui d’ailleurs peut garantir que le capitalisme existera encore en Belgique en 2020?
Les prévisions de la Commission d’Etudes et du gouvernement sous-estiment considérablement le «problème» du vieillissement, si on voit cela dans le cadre du capitalisme. Le ministre du Budget Vande Lanotte a une autre conception de la croissance budgétaire et du vieillissement. Il déclare «Cela marche! Ne vous en faites-pas!»(2).
Le coût du «vieillissement» est-il tenable financièrement? Au cours des 24 dernières années la Sécurité sociale n’a été en déficit qu’à 7 reprises: en 1980, de 1991 à 1993, en 1995, 1996 et 2003 (3). Et ce, malgré le pillage organisé des caisses de sécurité – et qui se chiffre annuellement en milliards d’euros – par la baisse des charges sociales.
Du début 2000 à la fin 2003, le surplus de la Sécurité sociale a été de 3 milliards d’euros (environ 1,3% du PIB). Où est passé l’argent? Et où est passé l’argent des cotisations pour les pensions versé dans les années 60 et 70? Pourquoi les gouvernement successifs ont-ils puisé dans les caisse de Sécurité sociale pour rembourser aux banques la dette publique au lieu de garantir le futur des générations à venir?
C’est une question de choix politique. Aux cours des vingt dernières années les gouvernements bourgeois ont puisé dans les caisses de pension pour remplir les coffres des capitalistes. Les 2/3 des pensionnés touchent une pension mensuelle inférieure à 1.000 euros. 39% perçoivent moins 750 euros par mois! Frank Vandenbroucke (SP.a) reconnaît lui-même que 22% des plus de 65 ans vivaient dans la pauvreté en 1998 (4). Aujourd’hui les pensions «élevées» des hautes fonctionnaires sont en outre de plus en plus remises en question.
Les travailleurs ne doivent pas se laisser diviser: les 10% les plus riches de la population disposent de la moitié du patrimoine dans notre pays. C’est là qu’il faut chercher les «profiteurs». Les gouvernements successifs ont rendu les riches plus riches et ont appauvri la majorité de la population.
Les prépensions dans le collimateur
Le gouvernement veut mettre un terme au système des prépensions. Il veut couper dans les dépenses pour les prépensions (aussi pour les patrons) et garder les cotisations de sécurité sociales au même niveau. Afin d’augmenter le taux d’activité le gouvernement veut faire payer les travailleurs en imposant plus de flexibilité et des cadences de travail plus intenses. Le gouvernement et les patrons veulent nous faire cotiser aux fonds de pensions privés (assurances groupes et pensions individuelles) afin de garantir nos futures pensions. Il veulent ainsi briser la solidarité structurelle.
Au sommet européen de Barcelone de mars 2002, la directive a été lancée de placer les fonds de pensions en bourse. Que va-t-il se passer au prochain crash boursier? L’épargne individuelle pour la pension n’est un système valable que pour une petite minorité qui doit encore prendre garde à ne pas être touchée par le chômage croissant.
La ministre fédéral de l’Emploi Freya Van den Bossche (SP.a) a lancé une série d’idées pour miner le système des prépensions. Elle veut le limiter pour les entreprises «qui n’investissent pas assez pour la formation». Les travailleurs âgés victimes de restructurations seront-ils privés de prépensions parce leur patron n’a pas été prévoyant? C’est une façon de raboter les salaires et les traitements de fin de carrière qui sont en général plus élevés. Van den Bossche souhaite une extension du chômage partiel et plus de réglementation des fins de carrière à temps partiel. En bref: le gouvernement veut plus de flexibilité et une baisse des salaires, ou encore un retour au chômage au moyen de restructurations.
Les organisations syndicales doivent s’opposer à la politique antisociale du gouvernement. Nous devons faire le choix politique que la bourgeoisie n’ose pas faire: pour une redistribution de la richesse produite au service de toute la population. La lutte ne pourra aboutir que dans le cadre d’une société socialiste.
(1) Rapport annuel de la Banque nationale, 2003.
(2) De Morgen, 11/9/2004.
(3) Rapport annuel de la Banque nationale, 1995 et 2003.
(4) Le Vieillissement et la politique gouvernementale en Belgique, site internet de Vandenbroucke (2004).