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  • Nigeria, un pays saigné à blanc et c’est le peuple qui paie.

    Rapport de la commission consacrée au Nigeria lors de l’école d’été du CIO

    Voici le rapport de la Commission sur le Nigeria qui s’est tenue lors de l’école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) qui a eu lieu du 21 au 26 juillet dernier à Louvain. L’introduction a la discussion a été réalisée par Kola Ibrahim, permanent du secrétariat du DSM (Democratic Socialist Movement, section du CIO au Nigeria) de la province d’Osun et responsable du travail étudiant, qui nous a fait part de la situation sociale et économique dans laquelle se trouve ce pays d’Afrique de l’ouest et ses 170 millions d’habitants.

    Par Yves (Liège)

    Partout dans le pays les gens éduqués ou non parlent de révolution, des mouvements indépendants se lancent spontanément, il y a plus de 12 grèves générales annuellement depuis quelques années, mais bien qu’une volonté de changement est clairement présente dans la conscience collective, les directions syndicales du Congrès des syndicats TUC (Trades Union Congress – qui regroupe principalement les cadres) et du Congrès du travail du Nigéria NLC (Nigeria Labour Congress – le syndicat principal des ouvriers et employés) démobilisent quand ils n’arrêtent pas purement et simplement les mouvements sociaux.

    Les inégalités économiques s’accentuent malgré 13 ans de gouvernement civil (principalement le PDP – Parti démocratique populaire) après plus de 30 ans de gestion militaire. Dans ce contexte, les camarades du DSM s’attèlent au lancement d’une plateforme politique : le ‘‘Socialist Party of Nigeria (SPN)’’, une alternative socialiste face à la corruption, aux politiques capitalistes anti-pauvres et néolibérales ; un parti des travailleurs, de pauvres et de jeunes prêt à redistribuer équitablement les richesses du pays pour le bénéfice de la majorité.

    Une pauvreté endémique en pleine abondance de ressources naturelles et humaines

    Le Nigéria est le 6ème pays exportateur de pétrole brut au monde, et le premier du continent africain, mais faute de raffineries, il exporte son pétrole brut pour importer son carburant. L’exportation de pétrole brut et de gaz participe à hauteur de 80% aux revenus du gouvernement. L’industrie minière y est encore balbutiante malgré des ressources en fer, zinc, étain, or, pierre à chaux et marbre car les investissements miniers sont principalement absorbés par le secteur des hydrocarbures. Malgré une croissance de plus de 7% en moyenne du PIB depuis plusieurs années (le Produit Intérieur Brut était de 262 milliards de dollars en 2012 selon les données de la Banque Mondiale), et d’énormes revenus dus à l’exportation du pétrole et du gaz, le Nigéria présente un déficit budgétaire dû à la corruption (139ème sur 176 pays en 2012 d’après Transparency International) et des problèmes de gouvernance endémiques et chroniques.

    Bien qu’au Nigéria certains pasteurs soient millionnaires en dollars, et que le pays abrite de nombreux millionnaires (hommes d’affaires mais surtout hommes d’Etat) et milliardaires (dont Aliko Dangote magnat du ciment devenu 25e fortune mondiale dépassant ainsi Mittal), le rêve Nigérian, lorsqu’on ouvre les yeux, c’est plus de 70% de la population (54% en 2004) qui vit sous le seuil de pauvreté (1) et plus de 40% des jeunes sans emploi qui vivent de débrouillardise quotidienne. Encore une fois, le schéma capitaliste se répète, ces chiffres sont l’illustration de la main mise d’ 1% de la population qui contrôle 80% des richesses du pays, ceci vient s’ajouter à la corruption endémique du gouvernement qui – toutes fonctions administratives confondues – absorbe 30% du budget de l’Etat. Les législateurs nigérians sans aucun scrupule se payent mieux que Barack Obama, les sénateurs touchent 720.000 $ contre 400.000 $ l’année pour le président US. Non content de se payer grassement, les brigands du gouvernement détournent allègrement les bénéfices dus aux revenus du pétrole. En effet, le secteur des hydrocarbures perd en moyenne 30 milliards $ par an avec la complicité des multinationales et de courtiers indépendants, le tout ajouté aux opérations de sabotage de groupuscules de plus en plus violents (Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger). Il faut dire que les mouvements non-violents des années ‘90 se sont fait réprimés dans la violence et beaucoup de leurs activistes ont soit été assassinés soit emprisonnés (Ken Saro-Wiwa du Mouvement pour la survie du peuple Ogoni -MOSOP-par exemple).

    Le Nigéria est le pays le plus peuplé d’Afrique, alors que sa population s’élevait à 55 millions d’habitants en 1970, elle est aujourd’hui estimée à un peu plus de 170 millions de vies humaines dont 2/3 ont moins de 25ans. D’ici 2050 le Nigéria devrait être le 3ème pays le plus peuplé au monde. Un potentiel énorme en termes de mouvements de masses qui vont certainement continuer à se produire.

    Le gouvernement de Good Luck Jonathan, comme les gouvernements précédents, pratique un clientélisme dans la «redistribution» des revenus du pétrole. Le président Goodluck est un chrétien du sud (les régions pétrolifères) et les membres de son gouvernement font prioritairement manger leurs proches, le taux de pauvreté atteint 80% dans certains Etats du nord du Nigeria. Cette politique de ‘‘diviser pour mieux régner’’ aggrave le problème de la question nationale qui n’a jamais été résolu.

    Mais il ne faut pas se mentir, la pauvreté est aussi très présente dans le sud, le peu de revenus qui y parvient est détourné par les dirigeants locaux et le reste sert à y corrompre les activistes, les militants et les membres de la société civile. Le nord a peur de ne plus avoir accès au fédéral et l’entourage du président fait tout pour garder le pouvoir. Pour s’accrocher à leur pouvoir, ils corrompent ceux qu’ils peuvent (et sécurisent ainsi leurs intérêts) et combattent les autres (opposants, objecteurs de conscience, activistes) sans distinction, ce qui accentue la crise nationale.

    En plus de la confession et de la provenance géographique, vient s’ajouter une mosaïque ethnique des plus complexes, avec plus de 374 ethnies présentes, dont 3 (Igbo, Yoruba, Hausa) représentent 58% de la population (2). Cette situation est héritée du processus non démocratique par lequel les différentes ethnies ont été soumises au joug de l’impérialisme britannique en 1914 avec la fusion des provinces du nord, du sud, et de la colonie de Lagos en une colonie du Nigéria. L’indépendance de 1960 a simplement remplacé l’impérialisme britannique par une minorité dirigeante capitaliste de Nigérians qui, de génération en génération, a aggravé les conditions de vie et l’exploitation de la vaste majorité des Nigérians.

    La guerre du Biafra de 1967 à 1970 a failli conduire à la scission du pays, d’ailleurs il y a 8 ans, une étude de l’ONU envisageait une balkanisation du Nigéria. Le pays n’en est peut être pas encore à ce stade, mais les crises répétées, la mauvaise gestion et les contradictions du pouvoir menacent effectivement l’existence du Nigéria. Le DSM est avant tout pour une unité de la classe ouvrière, mais soutient le droit de chaque ethnie à l’autodétermination, jusqu’à la sécession si elle a été voulue par référendum et soumise à un vote démocratique direct.

    Le secteur agricole est le premier employeur du pays avec près de 70% de la population qui en dépendent. Malgré une énorme superficie de terres fertiles souvent sous-exploitées, cette proportion tant à baisser avec un exode rural sans précédent (Lagos est passé de 300.000 habitants en 1950 à 15 millions aujourd’hui) et la prolifération de méga-fermes qui, contrairement aux petits paysans qui ont toujours des méthodes de récolte primitives, bénéficient de subsides de l’Etat. Pourtant, l’Etat n’a pas atteint l’indépendance alimentaire pourtant possible avec des investissements cohérents. Pour l’instant, le Nigéria importe pour 200 millions $ de nourriture américaine par an. Le ministère fédéral de l’agriculture et du développement rural a récemment proposé de distribuer plus de 10 millions de téléphones portables à des petits fermiers pour une valeur d’à peu près 20 € chacun (3). Encore une fois, cette initiative semble être un moyen de siphonner les fonds publics. Les agriculteurs ont prioritairement besoins de fonds, pas de téléphones, d’investissements dans le réseau routier, de puits de forages pour une meilleure irrigation, de services médicaux de bases pour eux et leurs familles qui sont leur main d’œuvre principale.

    Pour rester dans le secteur de la téléphonie mobile, l’explosion du nombre de numéros de téléphones ces 11 dernières années (10 millions par an) est en fait une croissance superficielle du secteur de la communication. En réalité, seuls 30 millions de personnes sur 170 ont accès au téléphone. La défectuosité du réseau fait que ceux qui ont les moyens d’avoir un numéro en ont généralement 3 ou 4 pour être joignables. Il faut ajouter que cette ‘‘success story’’ nigériane ne profite qu’à 1% de la population active qui travaille dans le secteur des télécoms. Les 50 milliards $ engrangés par le secteur ces 10 dernières années ne participent pas à la croissance mais plutôt à une extraction ou plus précisément une exportation d’une partie des revenus des Nigérians.

    En plus de l’éducation et de la santé, qui ensemble n’égalent pas la part du PIB dédiée au remboursement de la dette (30%), l’électricité est un autre de ces secteurs qui a et qui continue de manquer cruellement d’investissements malgré les belles promesses de Goodluck et 24 milliards $ censés avoir été investis durant l’ère Obasanjo dans l’amélioration de l’approvisionnement en électricité…

    Pour exemple, l’Afrique du Sud, qui en nombre d’habitants équivaut à un tiers de la population nigériane, produit un peu plus de 40.000 mégawatts d’électricité annuellement et ce n’est même pas assez pour toute la population dont la majorité de toutes façons ne peut pas se permettre l’accès au réseau. Le Nigéria, lui, produit annuellement 4000 mégawatts d’électricité dont 1000 ne peuvent pas être distribués à cause de ‘‘lignes électriques qui sont restées faibles depuis des années’’ d’après les termes du président Jonathan en déplacement au Pakistan. Le Nigéria se retrouve avec 30% de sa population ayant possiblement accès à l’électricité mais sans garantie de livraison, ceux qui le peuvent n’ont donc d’autre choix que d’acheter un générateur… Pour régler le problème, la stratégie du gouvernement a été une augmentation de 100% des tarifs d’électricité pour rendre le secteur attractif aux investissements privés, suivi de la revente des plans de productions à 10% de leurs valeurs d’investissements. (4) Inutile de préciser que le problème est toujours plus que présent, et que même la capitale vie dans le noir.

    ’‘Ne trahissez pas la lutte !’’ (5)

    En janvier 2012, le gouvernement Jonathan a décidé d’implémenter 4 mois à l’avance l’arrêt des subventions sur l’essence, pensant profiter du réveillon du nouvel an, pour faire monter le prix du pétrole du jour au lendemain de 30 à 66 cents. Dès le lendemain, le Nigéria a montré que les mouvements révolutionnaires observés en Tunisie et en Egypte n’étaient pas uniquement l’apanage du Maghreb ou du Moyen Orient. L’augmentation des prix de l’essence resserrant le nœud autour de la corde déjà au cou de nombreux Nigérians a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la colère qui a abreuvé les Nigérians en soif de changement.

    La chute des revenus des Nigérians, l’extrême pauvreté généralisée, les transports en commun éventrés, le délabrement du système de santé, l’éducation abandonnée, sont autant de facteurs qui ont ouvert la boîte de pandore. Mais c’est surtout l’écart de richesse de plus en plus grandissant entre les 1% des plus riches, généralement des politiciens devenus millionnaires du jour au lendemain grâce aux revenus du pétrole qui devraient servir à améliorer les conditions de vie de la population, et cette même population exsangue, qui ont poussé les masses dans la rue dès le 2janvier 2012.

    Pendant sept jours les jeunes et les masses désorganisées étaient dans la rue, mais c’est le 9 janvier, avec l’entrée en jeu de la classe ouvrière organisée et le mot d’ordre de grève générale indéfinie – qui en plus de poser la question du pouvoir est l’équivalent d’une insurrection -, que la donne a complètement changé.

    Le mouvement est parti de quelques dizaines de milliers de manifestants par ville à plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues par manifestation (1 million rien qu’à Lagos), celles-ci se sont rapidement étendue à plus de 10 Etats et ont rassemblées plus de 40 millions de personnes nationalement. Malgré seulement 10% de travailleurs syndiqués, c’est le pays tout entier qui était en suspend, l’activité économique était à l’arrêt, mais surtout, le régime (et même l’opposition) ainsi que le système capitaliste faisaient face à un vrai risque d’effondrement. Même Boko Haram (islamistes fondamentaux du nord qui ont fait plus de 3000 morts ces 4 dernières années) était isolé et a préféré faire profil bas pendant toute la durée des manifestations, voyant clairement qu’avec la montée de la lutte des classes, l’action de masse collective était préférée par tous et ne laissait aucune place au actions terroristes individuelles. Comme en Egypte, on a vu des groupes de manifestants chrétiens, débout, protégeant les musulmans pendant leurs prières. Les divisions ethniques, géographiques, linguistiques ont elles aussi disparues pour laisser place à une conscience de classe.

    Avec la propagation du mouvement, les travailleurs et les masses ont réalisé qu’il fallait plus de détermination pour vaincre le régime. Des slogans tels que ‘‘Jonathan doit partir !’’, ‘‘we want good gouvernance not Goodluck’’ étaient scandés en cœur, les masses avertissaient les dirigeants syndicaux de ‘‘ne pas trahir le combat !’’ La classe dirigeante, dos au mur, a fait ce qu’elle fait dans ce genre de situation, elle a brandit la menace d’une répression à grande échelle menée par l’armée. C’était sans compter que beaucoup de policiers et de membres de l’armée (généralement les moins gradés) montraient de la sympathie au mouvement, allant jusqu’à applaudir certaines manifestation.

    Néanmoins, les dirigeants syndicaux (TUC et NLC) ont pris cette menace de répression comme excuse pour mettre fin à la grève générale le 16 janvier, unilatéralement bien évidemment, renforçant ainsi le régime et diminuant la confiance des travailleurs en leur capacité de combattre face à l’oppression.

    Il y a eu au total 20 morts et 600 blessés sur l’ensemble des manifestations, ce qui est ‘‘moyen’’ selon les standards de répression nigérians. Malgré cela, certaines manifestations ont continué ici et là, mais il manquait une alternative politique crédible et combattive vers laquelle les mouvements toujours combattifs auraient pu se tourner.

    Alors que la grève aurait pu mener à un changement de régime et pourquoi pas de système si la direction avait été courageuse, le but du NLC et du TUC était avant tout de récupérer le mouvement, ils ne s’attendaient pas à être dépassés par son ampleur ni à la tournure qu’il a pris. Alors que celui-ci commençait à remettre globalement le système en question, les directions syndicales ont préféré simplement jouer la carte de la frayeur afin d’avoir des concessions rapides du pouvoir. Au final, la grève aura simplement mené à une remise en place partielle des subventions sur l’essence, ramenant le prix à 45 euro cents par litre, après être monté de 30cents initialement à 66ç/L le 1er janvier 2012.

    Face à la menace d’utiliser la répression, une direction syndicale plus combative aurait dû lancer un appel de classe aux militaires et aux policiers aussi concernés par les problèmes des manifestants.

    Et pour être plus productif encore, il aurait fallu former des comités démocratiques de défense (armés si nécessaire) pour protéger et défendre les rassemblements et les manifestants.

    Encore mieux, avec une direction audacieuse, la menace du régime d’utiliser la répression aurait pu permettre au mouvement et aux travailleurs de passer à l’offensive et de fermer la production de pétrole, prendre le contrôle des transports aériens, maritimes, routiers ainsi que des services et des échanges de biens. Cela aurait complètement changé le rapport de force en faveur du mouvement et isolé le gouvernement.

    Une direction téméraire aurait permis d’enfin mettre sur la table la possibilité d’une transformation profonde du Nigéria, de le retirer des mains des capitalistes locaux et étrangers qui pillent le pays depuis des décennies, et de se diriger vers un gouvernement socialiste de pauvres, de jeunes et de travailleurs afin que les ressources du pays soient utilisées dans l’intérêt de tous et non d’une poignée de kleptocrates.

    Mais c’était sans compter que le TUC et le NLC attendent de pouvoir manger leur part du gâteau, ils n’ont pas d’idée d’alternative à apporter au capitalisme, d’où leur approche contre productive lors des évènements de 2012, et leurs positions pro-capitalistes en général.

    Grève générale de 48h pour la mise en œuvre effective du salaire minimum

    En mars 2011, quelques jours avant les élections présidentielles, le Président Goodluck Jonathan a ratifié la loi garantissant le salaire minimum à 18.000 Niaras (83,5 €), une mesure clairement électoraliste pour pousser les travailleurs à voter pour son parti, le PDP (le Parti démocratique populaire). Un fifrelin à côté des revenus du pétrole et surtout encore plus quand on voit ce que gagne un sénateur indemnités comprises : 720.000 $/ans. 3 ans auparavant, le NLC avait demandé à ce que le salaire minimum soit de 58.000 Niara (269 €), le syndicat s’est finalement contenté d’accepter sans revendications la baisse de celui-ci à 18.000 Niaras malgré le fait qu’avec l’inflation (13% l’an passé et jusqu’à 50% pour certains biens de consommation), les augmentations du prix de l’électricité, des frais scolaires etc. ça n’est clairement pas suffisant.

    Cependant, 2 ans après, les gouverneurs des Etats s’abritent derrière un soi-disant manque de financement de l’Etat fédéral pour ne pas payer ce salaire minimum. Pire encore, récemment, le Sénat (Chambre haute de l’assemblée nationale) a voté l’exclusion de la loi sur le salaire minimum de la ‘‘liste législative exclusive (Exclusive Legislative List)’’, permettant ainsi à chaque Etat de déterminer ce qu’il veut (le gouverneur dira ‘‘ce qu’il peut’’) payer aux travailleurs. Encore plus, ça empêcherait dans le futur toute lutte sur le plan national pour une augmentation du salaire minimum, celui-ci étant devenu une compétence des Etats. L’insensibilité du Sénat veut que les sénateurs se soient octroyés une pension à vie le jour-même où ils ont voté le retrait de la loi sur le salaire minimum de la Liste Exclusive de la Constitution. Certains gouverneurs se targueront certainement de payer le salaire minimum, après l’avoir baissé dans leur législation évidemment… L’argument derrière ce retrait, est la volonté d’un ‘‘véritable fédéralisme’’ qui n’est pas mis en avant lorsqu’il s’agit de payer les gouverneurs dont le salaire est déterminé par une agence fédérale au niveau national. Heureusement pour l’instant il y a un statu quo car la chambre des représentants (chambre basse de l’assemblée nationale) a voté contre le retrait de la loi sur le salaire minimum de la List Exclusive Legislative.

    Alors que cette attaque du Sénat sonne comme un coup de semonce au TUC et au NLC pour défendre résolument les droits et conditions de vies des travailleurs, encore une fois, la direction du NLC et du TUC ne fait rien pour mobiliser les travailleurs et rien non plus pour expliquer pourquoi la loi doit rester sous la Liste Exclusive de la Constitution. Dans les Etats où les travailleurs ont combattu ardemment pour l’implémentation effective du salaire minimum, les directions du NLC et TUC ont fermé les yeux (et les oreilles, et la bouche). Au lieu de lancer un appel à la grève générale, les travailleurs sont abandonnés aux désidérata de leurs gouverneurs. La seule grève annoncée par les directions syndicales nationale a été annulée le 20 juillet 2011 alors que la détermination des travailleurs avait atteint son paroxysme. Pire, Abdul Wahed Omar, président du NLC, a avoué que dans certains Etats, les directions syndicales négociaient à la baisse le salaire minimum si les gouverneurs de ceux ci arrivaient à prouver leur inhabilité à payer les 83€ (6). Certaines entreprises privées refusent tout simplement de payer le salaire minimum sans aucune justification si ce n’est celle du profit maximum pour l’entreprise et les actionnaires. Encore une fois les directions syndicales ne font rien. Au mieux, celle-ci se lamentent et se contentent de lancer des menaces dénuées de tout contenu.

    C’est ce manque de combativité du NLC et du TUC qui implicitement donne carte blanche aux législateurs pour sabrer encore plus les acquis des travailleurs.

    Le Parti Socialiste du Nigeria (SPN) appelle le Congrès du travail du Nigéria (NLC) et le Congrès des syndicats (TUC) à commencer dès à présent une mobilisation pour une grève générale nationale de 48 heures ainsi qu’à organiser un mouvement de masses pour s’opposer à cette décision du Sénat de retirer la loi sur le salaire minimum de la liste Exclusive qui va à l’encontre des droits des travailleurs, et aussi de commencer sans plus attendre la lutte pour une mise en œuvre complète et effective du salaire minimum de 83€ à tous les niveaux.

    Les directions syndicales doivent aussi aller dans les entreprises privées qui refusent de payer le salaire minimum avec un plan d’action et des meetings pour sensibiliser puis mobiliser les travailleurs pour des piquets de grèves et des manifestations massives en cas de refus de paiement. Les droits sont rarement donnés, ils sont arrachés !

    ‘‘L’éducation est un droit ! Le changement de système est notre but !!!’’

    L’investissement du gouvernement dans l’éducation au Nigeria ne représente que 8% de la part du PIB alors que celui-ci devrait atteindre 26% d’ici 2020 pour rejoindre les normes internationales, mais encore une fois rien n’est fait.

    Comme dans beaucoup de pays du monde, les étudiants ont du mal à payer leurs frais d’inscription à l’université, donc beaucoup n’y mettent jamais les pieds. Par exemple, le minerval de l’université d’Etat de Lagos (LASU) est passé de 120 € à 1.500 €. Ceux qui y ont accès et qui parviennent à payer leurs études jusqu’à la fin de leur parcours académique se retrouvent presque systématiquement au chômage (quelques centaines sur 10.000 trouvent un emploi). Et même ceux qui travaillent n’ont pas la garantie d’avoir un salaire qui leur permettra de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille par la suite.

    Les hommes d’affaires et propriétaires terriens du Sénat et de la Chambre des représentants font ce qu’ils font le mieux, ils privatisent et commercialisent l’éducation. Bien que la plupart des membres de l’assemblée nationale ont été formés à l’école publique, leurs enfants allant dans des écoles privées (99%), l’éducation publique est abandonnée à son sort.

    Plutôt que de rénover les bâtiments, certains sont détruits prétextant de nouvelles constructions qui souvent ne voient jamais le jour. Il s’agit là encore de chantiers de détournements de fonds publics. Le trop faible investissement dans l’éducation (infrastructures et programmes de cours), l’irresponsabilité de la classe dirigeante pousse depuis des années les étudiants et les professeurs à manifester, malheureusement souvent passivement, leur mécontentement.

    Un peu partout dans le pays, le NUT (National Union of Teachers) est en grève passive/casanière (sit-at-home strike) depuis le 1er juin dans les Etats où l’indemnité particulière des professeurs (TPA – Teacher’s Peculiar Allowance) n’est pas effectivement payée. La direction de l’ASUU (Academic Staff Union of Universities – Syndicat du personnel académique des universités) a lancé une action de grève indéfinie car le gouvernement rechigne à mettre en place les accords de 2009 pris avec le syndicat concernant le financement (et la rénovation) d’infrastructures, de locaux, et des programmes de cours académiques ainsi que l’augmentation de leurs salaires. Deux des syndicats du polytechnique (secteur des sciences et des technologies, génie civil) sont en grève depuis 3 mois, il s’agit de l’ASUP (Academic Staff Union of Polytechnics – syndicat dupersonnel académique du polytechnique) et du SSANIP (Senior Staff Association of Nigeria Polytechnics – association du personnel senior des polytechniques du Nigeria). Ils ont mis en suspend leur grève après 78 jours avec menace de la reprendre si le gouvernement ne montrait pas concrètement qu’il s’attelait à répondre à leurs demandes. Cette grève a d’ailleurs surpris le gouvernement qui ne s’attendait pas à voir les élèves de polytechnique soutenir leurs professeurs. (7)

    Nos camarades du DSM (Mouvement démocratique socialiste) ont lancé le ERC (Education Rights Campaign – Campagne pour les droits à l’éducation) en 2004 afin de pourvoir une plateforme qui soutient le droit à une éducation gratuite (via un financement adéquat), efficace et gérée démocratiquement.

    C’est par le biais d’affichages massifs, de distributions de tracts, de rassemblements, de conférences et de meetings qu’ils mènent campagne contre l’augmentation brutale des frais scolaires et la médiocrité des conditions d’étude et de logement.

    Ils sont contre la victimisation des étudiants activistes et l’interdiction des syndicats étudiants dans certaines universités, quand ils ne sont pas récupérés ou infiltrés par des agents du gouvernement. Il supportent les travailleurs de l’enseignement dans leurs demandes pour de meilleures paies et conditions de travail, et ils mènent campagne pour que les étudiants puissent construire leurs syndicats comme des organismes de lutte, démocratiques, basés sur la masse, avec une direction courageuse et révocable à tout instant.

    L’association nationale des étudiants du Nigéria, le NANS, est l’organe qui est censé représenté les étudiants au niveau national. Mais celui-ci est pro establishment, corrompu et la plupart de ses dirigeants ne sont mêmes pas des étudiants. Dans certaines zones des motions de censures contre le président ont d’ailleurs été votés. Souvent contre productif lors de mouvements de grèves, le syndicalisme au NANS est monétisé et politisé. Localement, les syndicats d’étudiants ont généralement à leur tête des personnes inexpérimentées ou pro capitalistes. Et d’autres syndicats d’étudiants sont tous simplement interdits par certaines directions scolaires.

    Il faut une lutte commune du corps professoral et estudiantin afin d’éviter que l’un ne soit contreproductif ou se plaigne de l’autre et il est nécessaire qu’une prise de conscience globale des professeurs et des étudiants qu’une avancée pour l’un est une avancée pour l’autre émerge.

    Il ne faut pas des grèves passives où les professeurs et étudiants restent chez eux, mais des manifestations où ils sont actifs et marchent côte-à-côte ; pour ça, il faut des meetings, des distributions de tracts des conférences afin de conscientiser les plus larges couches possibles d’étudiants de professeurs mais aussi de la population (les parents d’élèves notamment).

    C’est pourquoi le Parti Socialiste du Nigéria lance un appel à la direction du NLC et du TUC pour une mobilisation en vue d’une grève générale de 48h et des mouvements de masses qui réuniraient les pauvres, les jeunes au chômage, les étudiants, et les travailleurs afin de transformer le Nigéria.

    Les étudiants sont les travailleurs de demain, il est donc indispensable que les principaux syndicats de travailleurs se joignent à la lutte pour le sauvetage de l’éducation nigériane et par la même occasion face pression sur le gouvernement pour l’implémentation effective du salaire minimum et la fin des violences policières (certains étudiants qui manifestaient contre les mesures d’austérités prises par les gestionnaires de l’éducation se sont fait tuer lors de manifestations). (8)

    Le Parti Socialiste du Nigeria, l’alternative socialiste qui se construit : ‘‘Un parti pour les millions (pauvres, jeunes et travailleurs ndlr) et non pour les pillards millionnaires’’

    Pour paraphraser Mark Twain : ‘‘Les chiffres et les faits montreraient probablement qu’il n’existe pas de classe criminelle Nigériane distincte à part l’assemblée nationale.’’ (9) La population en a marre de voir ses richesses pillées par les kleptocrates au pouvoir en collaboration avec les multinationales présentent sur le terrain. Non content de siphonner les ressources naturelles, le pouvoir en place vampirise son peuple en augmentant tour à tour, le prix de l’électricité, les frais d’inscriptions, l’essence tout en attaquant le droit des travailleurs à un salaire décent et des étudiants à des syndicats démocratiques.

    En plus de ces problèmes économiques dont on ne parle que trop peu dans nos médias occidentaux, le Nigéria est devenu tristement célèbres ces dernières années par les attentats répétés de Boko Haram dans le nord du pays.

    Le problème de Boko Haram est à mettre en lien avec la question nationale non résolue depuis l’indépendance. Alors que la gauche petite-bourgeoise esquive la question nationale, nos camarades du DSM plaident pour une conférence de souveraineté nationale avec une majorité de représentants élus de travailleurs pour parler de la question nationale ainsi que des problèmes économiques, afin de décider de la marche à suivre, car ceux ci doivent être réglés pour pouvoir régler, entres autres, le problème de Boko Haram.

    L’Islamisme fondamental qui a fait 3600 morts depuis 2009 selon Human Rights Watch, est le résultat de l’échec de la prise en main sérieuse de la question nationale par les gouvernements successifs, de l’état délabré de l’économie nigériane, du manque d’investissement dans l’éducation, de la pauvreté abjecte de certaines région, de l’abandon de certaines régions par l’administration qui n’est là que pour s’enrichir, en somme de la mauvaise gouvernance qui définit la classe dirigeante nigériane depuis son indépendance.

    Boko Haram se présente comme une réponse à la politique dirigeante, d’ailleurs, ce groupuscule est le plus enraciné au nord dans les provinces les plus pauvres et s’est développé le plus facilement après une catastrophe naturelle ignorée par l’Etat. Ce groupe terroriste n’est pas une création récente mais est une entité qui s’est développée graduellement par effet boule de neige jusqu’à devenir ce qu’il est aujourd’hui. Boko Haram, qui signifie littéralement ‘‘la société occidentale est diabolique’’, reflète rien que dans son nom une haine de tout ce que représente l’occident, cette haine est alimentée par le Big Business de la capitale et la richesse exubérante des dirigeants. Le gouvernement, utilise Boko Haram comme alibi pour augmenter la militarisation du pays (la loi martiale est déjà effective dans 2 Etats sur 3) et ainsi harceler et intimider toute personne ou groupe qui serait critique envers le gouvernement. On voit comment les attaques contre les droits démocratiques de la population vont de pair avec la protection des intérêts capitalistes de la classe dirigeante. (10)

    Le TUC et le NLC ont échoué à la construction d’un authentique parti démocratiquement géré par les travailleurs, les masses et les pauvres, et dévoué à la répartition équitable des ressources humaines et naturelles pour le bénéfice de tous. Le Parti Travailliste (Labour Party), créé par le NLC et dont nos camarades du DSM ont aidé à la construction dans les années ‘90 avant de s’en faire exclure, est aujourd’hui une autre de ces factions politiques qui se dit ‘‘l’alliée des travailleurs’’ tout en dinant à la table du grand capital, protégeant ses intérêts et se désolidarisant du peuple lorsque les politiques anti pauvres s’acharnent sur la population. L’organisation interne du parti n’a plus rien de démocratique non plus. Pour qu’un aspirant ait une chance de se faire élire à un poste, il doit mettre la main à la poche et payer les leaders du parti jusqu’à plusieurs centaines de milliers de Niaras (jusqu’à 5000€) afin de pouvoir concourir pour le poste.

    En 2003, nos camarades se sont présentés avec un programme socialiste en tant que candidats du Parti de la Conscience Nationale (NCP) qu’ils ont permis de transformer en un véritable parti politique alors qu’il n’était qu’une conscience, un mouvement de protestation balbutiant. Ils ont obtenu d’impressionnants résultats, 2ème avec plus de 77.000 voix officiellement dans le district sénatorial ouest de Lagos, malgré des preuves de bourrages d’urnes, d’achats de voix, et autres fraudes électorales. On a fait les meilleurs scores du NCP à l’échelle nationale sur base d’un programme résolument socialiste. Malheureusement, l’histoire a fait que nos camarades ont dû quitter ce parti après le virage à droite de sa direction et de son programme. Nos camarades ont néanmoins pu recruter des éléments désabusés du parti qui aujourd’hui jouent un rôle de cadre important dans le DSM. (11)

    Le Mouvement Socialiste Démocratique (DSM) n’est pas officiellement reconnu comme un parti politique au Nigéria. Pour ce faire, il faut que les membres du Comité National Executif viennent de 24 des 36 Etats du pays, il faut avoir son quartier général à Abuja (ce qui coûte 5000€), et payer 5000€ en plus uniquement pour enregistrement du parti (contre 25€ en Afrique du Sud).

    En plus des difficultés financières, la répression à l’encontre de nos camarades est grandissante. Lors des rassemblements du 1er mai, 15 de nos camarades se sont fait arrêtés pour avoir distribué des tracts du SPN et vendu leur journal (Socialist Democraty), leur matériel politique a bien entendu été détruit. Il a fallu que les camarades se mobilisent internationalement et localement pour faire pression sur les autorités locales pour que nos camarades aient finalement été libérés.

    L’Implosion et les conflits internes du parti travailliste et des autres partis « de gauche » en plus de leur soutien tacite aux politiques d’austérité du gouvernement, envoient des messages contradictoires aux électeurs et à leurs membres qui ne savent plus vers qui se tourner. Sans alternative sérieuse, certains envisagent même parfois l’armée, en cas de crise prolongée, comme solution salvatrice malgré les 3 décennies de juntes militaires au pouvoir qui n’ont pas amélioré la situation du pays et les problèmes ethniques qui s’y retrouvent comme dans le reste du pays.

    C’est pour toutes ces raisons que l’activité politique principale de cette dernière année de nos camarades du DSM a été la construction d’un parti plus large, le SPN.

    La seule façon de régler la question nationale, de mettre fin à la corruption des élites dirigeantes, d’avoir des salaires décents, de pousser les investissements massifs dans la santé, les transport, les infrastructures, l’éducation et d’arrêter leurs démembrement et privatisations ; la seule voie pour mettre fin à la misère dans laquelle vie la grande majorité de la population Nigériane malgré l’extraordinaire abondance de ressources humaines et naturelles, est de mettre en place un système socialiste ou le propriété des secteurs clés de l’économie est collective et sous la gestion démocratique des travailleurs eux-mêmes. C’est à cela que s’attèlent nos camarades du DSM avec la construction du SPN, avec le soutien moral, physique et financier des autres sections du Comité pour une Internationale Ouvrière qui militent pour donner corps à un véritable socialisme partout dans le monde.


    Notes :

    (1) http://www.bloomberg.com/news/2011-01-18/nigeria-s-poverty-ratio-rises-to-70-of-population-trust-says.html

    (2) http://www.unrisd.org/80256B3C005BCCF9/search/C6A23857BA3934CCC12572CE0024BB9E?OpenDocument&language=fr

    (3) http://www.punchng.com/news/we-need-funds-not-phones-farmers-tell-fg/

    (4) http://www.reuters.com/article/2013/06/03/nigeria-electricity-privatisation-idUSL5N0EF27H20130603

    (5) « Socialist Democracy » March/April 2013 (et 2012) p.7, Nigeria’s general strike/mass protest against fuel price hike, Vital lessons for the working class and youth, by H.T. Soweto,

    (6) http://www.socialistnigeria.org/page.php?article=2195

    (7) http://www.socialistnigeria.org/page.php?article=2192

    (8) http://www.socialistnigeria.org/page.php?article=2188

    (9) It could probably be shown by facts and figures that there is no distinctly native American criminal class except Congress. – Pudd’nhead Wilson’s New Calendar

    (10) http://pmnewsnigeria.com/2013/08/14/how-boko-haram-was-created-arogundade/

    (11) Marx is back, CWI Summer School 2013 Monday 22nd July Daily bulletin, building in Nigeria, for a party that truly represents working class people.

  • Tunisie: le calme avant la tempête? De nouvelles confrontations à l'horizon

    Quatre lycéens morts dans un accident de la circulation sur la route de l’école, fauchés à la fleur de l’âge, entassés qu’ils étaient à l’arrière d’un vieux pick-up arpentant une route non goudronnée dans un état lamentable: un fait divers, tragique, passant presqu’inaperçu, illustrant pourtant la réalité amère que continue à vivre tant de Tunisiens après la révolution. 

    Par un reporter du CIO à Tunis

    Les investissements dans l’entretien des routes, les transports publics et autres infrastructures de base sont négligés depuis de nombreuses années, en particulier dans les régions marginalisées de l’intérieur du pays. Sans compter la pratique courante de hauts fonctionnaires corrompus empochant au passage une partie des maigres fonds publics alloués au développement des régions. 

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    Pour en savoir plus

    • Achever le processus révolutionnaire : après la chute de Ben Ali, la chute du capitalisme !
    • Tunisie : Non au gouvernement Larayedh! Grève générale, jusqu’à la chute du régime! Le pouvoir aux travailleurs, aux masses pauvres et à la jeunesse ! Tract distribué lors du Forum Social Mondial
    • Tunisie: Non à Larayedh, ministre de la chevrotine! A bas Ennahdha! Pour la chute du système!
    • Tunisie : La grève générale fait trembler le pays et précipite la crise politique au sommet de l’Etat – Le fouet de la contre-révolution provoque une nouvelle étape dans la lutte de masse
    • Tunisie : L’assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaïd provoque des protestations de masse dans tout le pays

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    Les hautes sphères de la société tunisienne continuent d’être gangrénées par le népotisme, les privilèges, les passe-droits et la corruption. La vie de la majorité des Tunisiens, quant à elle, s’empire de jour en jour. L’explosion des prix (le taux d’inflation réel actuel est estimé à 10% par certains économistes) continue de rogner le pouvoir d’achat des travailleurs et des pauvres, tandis qu’elle permet d’engraisser la poignée d’hommes d’affaires qui contrôlent l’essentiel des circuits de distribution. 

    Déliquescence sociale

    Comme corolaire à la crise que connaît le pays, les symptômes de désintégration sociale et les actes de désespoir individuel se multiplient. En atteste par exemple la banalisation, dans le paysage tunisien, des immolations par le feu, dont la Tunisie est en passe de battre le record mondial absolu, "rivalisant" seulement avec le Tibet sur ce macabre sujet. 

    Se nourrissant du désespoir et de l’aliénation sociale, des prédicateurs obscurantistes multiplient les appels et les recrues pour mener le "jihad" en Syrie, ciblant dans les quartiers populaires les proies faciles que représentent ces milliers de jeunes désœuvrés et sans perspectives, enrichissant au passage quelques "marchands de la mort" organisateurs et profiteurs de ce trafic morbide.

    Les potions du FMI s’invitent une nouvelle fois en Tunisie 

    Bien loin de prendre des mesures pour rendre la vie des masses plus supportables, le gouvernement remanié de la "Troïka" concocte de nouveaux plans antisociaux, sous les recommandations du Fonds Monétaire International, de la Banque Mondiale et l’œil bienveillant des grandes puissances impérialistes. 

    Un accord de principe vient d’être conclu entre le gouvernement et le FMI, suite à des négociations (tenues secrètes pendant plusieurs semaines…bienvenue en Tunisie "démocratique"). Cet accord a pour but d’octroyer un prêt "de précaution" de 1.7 milliards de dollars à la Tunisie. Un prêt destiné à assurer la viabilité du paiement des dépenses courantes, parmi lesquelles le remboursement de la dette déjà existante, héritée de la dictature de Ben Ali, constitue le premier pilier : un montant qui, soit dit en passant, représente trois fois le budget de la santé et cinq fois celui de l’emploi. Et cela alors que les hôpitaux sont étranglés par le manque de moyens et de personnel et que le chômage continue sa course folle vers des sommets inégalés.

    L’idée qu’un tel prêt va aider à "soutenir la croissance tunisienne", tel que clamé officiellement, est une vaste supercherie. Le long héritage des politiques du FMI dans la région et les exemples plus récents des pays d’Europe du Sud sont là pour nous montrer où nous mène cette logique de l’endettement et des conditions "douloureuses" qui s’y rattachent: vers une dépendance encore accrue à l’égard du capital international, un étouffement de la croissance, et surtout, un désert social pour la masse de la population.

    Les conditions attachées à ce prêt vont être en effet, comme partout, des armes de destruction massive contre les travailleurs et les masses pauvres. Au menu: augmentation du prix des produits de base via une réforme du système de subventions publiques, nouvelle baisse de charges pour les entreprises, privatisations en cascade, modération salariale, gel des embauches, …. C’est sans doute ce que la présidente du FMI, Christine Lagarde, décrit cyniquement comme étant « de bonnes nouvelles » pour la Tunisie. 

    L’augmentation des prix des carburants décidée en février n’a été qu’un hors-d’œuvre de ce vaste plan d’attaques en préparation. Entre autres, le ministère des Finances s’est penché avec le FMI sur l’élaboration d’une étude approfondie sur l’ensemble du système des subventions publiques en Tunisie, visant à des "réformes structurelles" dans ce domaine. S’attaquant aux maigres filets qui permettent à des milliers de Tunisiens de tenir encore la tête hors de l’eau, de telles réformes sont une véritable bombe à retardement sociale.

    De nouvelles explosions sociales se préparent

    Surtout que pendant ce temps, les ministres et députés mènent allègrement leurs trains de vie faste, à mille lieux des préoccupations du plus grand nombre. Comble de l’ironie, certains ont même voulu faire passer une augmentation de leurs salaires et indemnités -avec effet rétroactif- pendant qu’on s’apprête une nouvelle fois à demander aux travailleurs et aux pauvres de se serrer la ceinture. Alors que les nombreux chômeurs et chômeuses qui s’accumulent dans le pays ne bénéficient d’aucune indemnité de subsistance, la vice-présidente de l’Assemblée Nationale Constituante, Maherzia Laabidi, du parti Ennahda, s’octroie un salaire de pas moins de 39.000 dinars (près de 20.000 euros)! 

    Tout cela ne fait que jeter de l’huile sur les braises encore chaudes de la colère populaire. Il s’en faut de peu de choses pour que ces dernières s’enflamment à nouveau. D’ailleurs, elles n’ont jamais été complètement éteintes. En témoigne les chiffres procurés par le Ministère des Affaires Sociales, qui parle de 126 grèves ayant pris place durant le premier trimestre de l’année 2013, un chiffre en hausse de 14% par rapport à la même période l’an dernier. 

    La fin du mois d’avril a vu une nouvelle poussée de grèves en cascade: grève nationale des magistrats les 17 et 18 avril, grève générale à Sidi Thabet (gouvernorat de l’Ariana, Nord-Ouest de Tunis) le 20 avril, grève des agents de douane le 22, grève de l’enseignement de base le 24, grève générale régionale à Zaghouan (Nord Est) le 26, grève des boulangers les 29 et 30. Et le mois de mai démarre déjà sur les chapeaux de roue, avec une grève des transporteurs de carburant les 2, 3 et 4 mai.

    Si ces grèves sont pour la plupart déclenchées sur des questions liées au statut, aux heures de travail ou aux salaires (y compris pour exiger l’application de gains obtenues lors de grèves précédentes), le mépris profond du pouvoir en place est bien là en toile de fond, et la frontière entre grèves économiques et celles plus politiques de la contestation du pouvoir en place est souvent très vite franchie.

    Les instituteurs, dont la grève visant à protester contre leurs mauvaises conditions de travail a été suivie à plus de 90%, n’ont pas hésité par exemple à donner à leur combat une dimension franchement politique. A Tunis, devant le siège de la centrale syndicale Place Mohamed Ali, les instituteurs grévistes criaient «Oui, on y laissera nos vies, mais Ennahdha finira par être déraciné de notre terre» ; ils ont ensuite rejoint, à la fin de leur rassemblement, la manifestation hebdomadaire organisée par la coalition de gauche du Front Populaire, organisée tous les mercredis à l’avenue Bourguiba pour demander aux autorités: «Qui a tué Chokri Belaïd?».

    Discrédit profond du pouvoir en place

    Le pouvoir est profondément discrédité et impopulaire. Les défaites écrasantes subies par les Nahdaouis aussi bien lors des élections des représentants des étudiants dans les conseils de faculté des universités en mars dernier (l’UGET, le syndicat étudiant de gauche, a décroché 250 sièges contre 34 en faveur du syndicat islamiste de l’UGTE, proche du pouvoir) que lors des élections de l’Association des Jeunes Avocats, ne sont que deux exemples récents et symptomatiques d’un climat qui se développe plus largement dans toute la société.

    Face à la colère bouillonnante et à l’érosion du pouvoir en place, ce dernier n’a pratiquement que l’arme de la répression pour tenter d’imposer le silence et la mise au pas de ceux et celles qui luttent. Agressions en hausse contre les journalistes, menaces de mort à l’encontre des opposants politiques et des syndicalistes,…La troisième mouture de la constitution, rendue publique récemment, met directement en cause le droit de grève et vise clairement à la compression des libertés syndicales.

    A côté de cela, on assiste à une multiplication des procès politiques, ciblant en premier lieu les jeunes révolutionnaires. C’est toute une génération engagée, qui était aux premières loges du soulèvement contre le régime de Ben Ali, qui se trouve maintenant sur le banc des accusés. Deux jeunes tagueurs de Gabès (sur la côte Est) risquaient ainsi jusqu’à cinq ans de prison pour avoir peint sur des murs : "Le pauvre est un mort-vivant en Tunisie" et "le peuple veut des droits pour les pauvres". Ils n’ont finalement écopé que de 100 dinars d’amende, suite entre autres à la furie populaire que leur incrimination a suscitée. Les habitants de la région d’Ajim, sur l’île de Djerba, avaient quant à eux observé une grève générale le 22 avril dernier en signe de protestation contre les jugements prononcés dans l’affaire dite de "la jeunesse d’Ajim" : 10 jeunes originaires de la région avaient en effett été condamnés à 10 ans de prison ferme pour incendie de la maison d’un fonctionnaire de police lors des événements révolutionnaires qui ont suivi la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011.

    Importation du terrorisme jihadiste en Tunisie ?

    Beaucoup de Tunisiens ont été choqués par la découverte de camps d’entrainement jihadistes dans la zone montagneuse de Chaambi, dans le gouvernorat de Kasserine (près de la frontière algérienne) et par les explosions de mines anti-personnel posés par ces terroristes, qui ont fait plusieurs blessés parmi des agents de l’armée et de la Garde Nationale, dont certains ont perdu des membres.

    Cela ne peut pourtant surprendre. Bien que le rôle d’Ennahda dans ces événements n’est pas clair à cette heure, le pouvoir actuel en porte une responsabilité évidente quoiqu’il en soit : la prolifération du salafisme jihadiste a pignon sur rue et a bénéficié d’un climat d’impunité, quand ce n’est pas de la complicité directe, par ceux-là mêmes qui dirigent le pays depuis plus d’un an et demi.

    Dans le tract que le CIO avait distribué au récent Forum Social Mondial à Tunis, nous avions mis en garde contre les risques d’éléments de déstabilisation et de violence devenant plus prégnant en Tunisie en cas de stagnation du processus révolutionnaire :

    « La misère grandissante dans les quartiers pauvres nourrit le terreau à partir duquel les salafistes et jihadistes embrigadent, surtout parmi des jeunes qui n’ont plus rien à perdre. Les couches de la population pauvre les plus désespérées, si elles ne voient pas d’issue du côté du mouvement syndical et de la gauche, pourraient devenir la proie de ces démagogues réactionnaires. La seule façon dont la classe ouvrière et la jeunesse révolutionnaire peuvent gagner à elles la masse des laissés-pour-compte est de créer un mouvement national puissant capable de lutter pour les revendications de tous les opprimés. Cela implique de lier la nécessaire lutte pour la défense et l’élargissement de tous les droits démocratiques avec le combat sur des problèmes tels que l’emploi, le logement, la vie chère,…Dans le cas contraire, l’érosion du pouvoir nahdaoui pourrait partiellement profiter aux salafistes et à leur surenchère, lesquels pourraient gagner de nouveaux secteurs de la population pauvre, des exclus et des marginalisés à leur cause et les mobiliser contre la révolution. Le pays pourrait glisser dans une spirale de violence dont les masses paieraient le premier prix. »

    Bien sûr, la classe ouvrière et la jeunesse révolutionnaire n’ont pas jusqu’à présent subi de défaites d‘importance majeure ; elles disposent encore de réserves de force insoupçonnables, et ont goûté à l’expérience d’avoir renversé une dictature il y a de cela pas si longtemps. La réponse magnifique des masses tunisiennes à l’assassinat de l’opposant de gauche Chokri Belaïd a donné un aperçu des difficultés auxquelles la classe dirigeante sera confrontée si elle veut passer à des méthodes plus brutales de répression. Pour les mêmes raisons, la descente du pays dans une situation de guerre civile ouverte, à l’instar de ce qui s’est passé en Algérie dans les années 1990, n’est pas immédiatement posée. Cela étant dit, il serait dangereusement illusoire de minimiser les conséquences potentielles qu’aurait une défaite de la révolution sur le long terme.

    La classe ouvrière et ses organisations

    A la base dans la société, la volonté de lutter est manifeste, s’exprimant quotidiennement de mille et une façons. Les conditions objectives qui ont initié la révolution, les problèmes sous-jacents -et s’aggravant- de la pauvreté et de la répression, préparent clairement le terrain pour de nouveaux soulèvements. Par ailleurs, l’existence d’une puissante centrale syndicale et d’organisations de gauche dont l’implantation n’est pas négligeable est un atout puissant pour la poursuite de la révolution. Encore faut-il que celles-ci soient utilisées à bon escient.

    La centrale syndicale, l’UGTT, et le Front Populaire sont les organisations les plus représentatives des couches de la population tunisienne qui ont fait la révolution, et qui partagent un commun intérêt à poursuivre celle-ci jusqu’au bout. Cependant, le potentiel que ces forces représentent est loin d’être mis à profit comme il pourrait l’être.

    La bureaucratie nationale du syndicat bloque de facto la perspective d’une confrontation décidée avec le pouvoir en place, et laisse les régions, les localités et les secteurs se battre chacun dans leurs coins. Les appels futiles au "dialogue national", encore réitérés par le secrétaire général Hassine Abassi lors du premier mai, se substituent à l’organisation, vitale et urgente, d’une lutte unifiée à l’échelle du pays visant à la chute de la Troïka au pouvoir et à la poursuite ferme et décidée des mobilisations révolutionnaires jusqu’à la victoire.

    Le Front Populaire représente un vecteur potentiellement vital de reconstruction d’une représentation politique pour la révolution, la classe ouvrière et les opprimés. Mais une certaine amertume légitime est cependant perceptible parmi beaucoup de ses sympathisants et de militants de base, face au manque d’initiatives d’ampleur prises par sa direction, et à l’absence de mots d’ordre clair à la suite du succès de la grève générale du 8 février. Entre l’optique résolument révolutionnaire encouragée par beaucoup des militants, et le choix de la « transition démocratique » et des formules réformistes et institutionnelles respectant les règles posés par l’Etat capitaliste en place, -orientation encouragée par une partie importante de la direction-, le Front navigue à vue. 

    Tel que le CIO l’a mis en garde à plus d’une reprise, si le Front Populaire ne se dote pas urgemment d’un plan d’action stratégique audacieux, axé sur des réponses socialistes claires, résolument orienté vers la lutte des masses laborieuses et ce jusqu’à la mise en place d’un gouvernement qui représentent directement ces dernières, l’élan qui a été construit autour du Front pourrait être perdu.

    Le danger d’une certaine édulcoration politique (à savoir d’une évolution vers la droite et vers la recherche de compromis avec des forces non ouvrières), pourrait pointer le bout de son nez remonter à la surface d’une manière plus explicite. En particulier, il est vital que le Front maintienne une indépendance totale à l’égard de toutes les forces pro-capitalistes qui prônent « l’union sacrée » contre les islamistes afin de mieux dévier l’attention de la guerre de classe à l’œuvre dans le pays. L’histoire de toute la région est parsemée de défaites révolutionnaires catastrophiques du fait que la gauche s’est fourvoyée dans des alliances dangereuses avec des forces nationales bourgeoises. Il s’agit d’en dégager toutes les leçons nécessaires.

    Le ralliement au Front Populaire du mouvement « El Chaâb », par exemple, n’est pas forcément de bonne augure. Les déclarations de son secrétaire général, annonçant récemment que le Front Populaire représente « l’espoir de voir réaliser un jour les objectifs de la révolution à savoir : la justice, la démocratie et la productivité » ( !) représentent une sérieuse entorse à ce pourquoi se battent l’immense majorité des militants, syndicalistes, jeunes, chômeurs, qui sont aujourd’hui membres ou sympathisants du Front.

    Plus que jamais, le Front Populaire a besoin de se doter d’un programme révolutionnaire clair et offensif. Un programme qui:

    1) Lutte pour les pleins droits démocratiques, pour le droit de manifester, de se rassembler et de faire grève, pour la fin immédiate de l’état d’urgence, pour l’arrêt de tout procès politique et de la brutalité policière.

    2) Engage clairement les mobilisations dans la perspective d’une lutte soutenue visant à dégager pour le bon le pouvoir en place. Cela pourrait commencer par un appel à une nouvelle grève générale, soutenue par de solides mobilisations à l’échelle de tout le pays. Non pas une grève générale d’un jour sans aucun lendemain comme ce fut le cas pour la grève du 8 février, mais une grève générale comme point de départ d’un combat déterminé, prolongé et sans répit, déployant toute la force du mouvement ouvrier organisé jusqu’à la chute du gouvernement actuel (ainsi que de son Assemblée Constituante pourrie et non représentative).

    3) En appelle à la mise en œuvre de mesures économiques radicales telles que :

    • l’occupation des sites qui menacent de fermeture, de licenciements ou de délocalisation, ainsi que leur expropriation et leur nationalisation sous le contrôle démocratique des salariés ;
    • le refus intégral et inconditionnel du paiement de la dette, et la préparation d’un vaste travail d’agitation et de mobilisation pour engager la contre-attaque face aux plans de misère concoctés par le FMI et le gouvernement ;
    • l’introduction de l’indexation automatique des revenus à l’évolution des prix, et l’ouverture immédiate des livres de compte de toutes les grandes compagnies de distribution ;
    • la nationalisation, sous contrôle de la collectivité, des banques et des grandes industries, et l’introduction d’un monopole d’Etat sur le commerce extérieur ;
    • la mise en place d’un vaste programme d’investissement public dans des projets d’infrastructure (routes, centres hospitaliers, éclairage public, zones vertes, complexes pour les jeunes,…) pour fournir de l’emploi aux centaines de milliers de chômeurs et en finir avec la marginalisation des régions ;
    • la division du travail disponible entre tous et toutes, au travers de l’introduction de la semaine de 38h/semaine sans perte de salaires, dans tous les secteurs d’activité.

    4) Encourage, partout où c’est possible, l’élection de structures d’organisation révolutionnaires, à l’échelle des quartiers, des villages, des lieux de travail et d’étude, sous la forme de comités d’action composées de délégués élus et combatifs, afin de coordonner la lutte des masses à chaque niveau. Des organes collectifs d’auto-défense doivent aussi urgemment être mis sur pied, pour contrer les violences des milices ainsi que la répression de la machine d’Etat. Cela doit être combiné à des appels de solidarité de classe en direction des couches inférieures des forces de l’Etat, en particulier vers les soldats conscrits.

    5) Popularise dès à présent la perspective d’un gouvernement révolutionnaire composé de véritables représentants des acteurs-clés de la révolution : des travailleurs, de la jeunesse révolutionnaire, des chômeurs, des paysans pauvres. L’appel à un « Congrès de Salut» initié par le Front populaire, compris de cette façon, prendrait alors tout son sens: un Congrès révolutionnaire, composé de délégués élus provenant directement des forces vives de la révolution aux quatre coins du pays, érigeant son propre pouvoir, capable de contester directement le régime existant et tous ses appendices.

    En fin de compte, la viabilité d’un tel pouvoir dépendra de la réalisation d’un programme qui puisse rassembler le soutien de la majorité de la population, en Tunisie comme internationalement. Seule une économie planifiée, socialiste et démocratique, peut permettre cet objectif. C’est un tel programme que les sympathisants du CIO en Tunisie, actifs au sein de la Ligue de Gauche Ouvrière (LGO), elle-même composante du Front Populaire, continueront à défendre dans les présentes et futures mobilisations.

  • “L’austérité ne fonctionne pas” : la bataille bat son plein entre économistes

    Que veulent les ‘nouveaux keynésiens’ ?

    Depuis plusieurs mois déjà, on entend de plus en plus de voix d’économistes critiquer les politiques d’austérité des gouvernements des Etats membres de l’Union européenne, allant jusqu’à créer une bataille entre économistes. Que disent réellement les différents économistes et, surtout, qu’en retenir pour les travailleurs et les jeunes ?

    Par Stéphane Delcros

    Beaucoup d’économistes restent bornés dans leur défense des politiques d’assainissements drastiques. Geert Noels (Econopolis) considère par exemple que l’austérité reste indispensable après des années de surendettement, de surinvestissement et de surconsommation : “Ou bien on corrige, ou bien on continue mais après les problèmes seront encore plus importants”.(1)

    Mais les économistes d’institutions financières tels que Belfius, Petercam, KBC et ING sont récemment sortis dans les médias avec un mot d’ordre: “Ne détruisons pas l’économie par l’austérité”. Ils accusent les institutions européennes d’être doctrinaires et fétichistes des normes budgétaires à court terme, faisant ainsi écho à certains économistes, comme Paul De Grauwe (KU Leuven et London School of Economics) et Joseph Stiglitz (prix Nobel 2001 et ancien vice-président de la Banque mondiale). Un rapport du FMI a même récemment reconnu que l’austérité est plus destructrice de croissance et d’emplois que prévu.

    “Mieux vaut des mesures structurelles”

    La plupart de ces économistes font partie du courant de pensée économique appelé le ‘nouveau keynésianisme’. Le keynésianisme était la politique économique dominante dans la période de reconstruction d’après-guerre (interventions massives de l’Etat dans l’économie, dépenses sociales élevées et tentatives de contrôler l’économie nationale). Sous la pression du mouvement des travailleurs, cette politique avait permis la réalisation de certaines réformes socio-économiques comme la sécurité sociale.

    Impossible évidemment d’en revenir aujourd’hui à de telles politiques, ce fût seulement possible grâce à la croissance d’après-guerre, désormais morte et enterrée avec la crise des années ’70. Mais certains veulent essayer de brider un peu mieux le libre marché par une accentuation des politiques fiscales et/ou monétaires en augmentant les dépenses publiques pour relancer la demande, et donc l’emploi et les salaires, quitte à accepter pour un temps l’augmentation des dettes publiques.

    Tout comme John Keynes, qui avait explicitement dit qu’il voulait préserver le capitalisme de la révolution, les nouveaux keynésiens n’ont pas pour objectif d’en finir avec l’économie de marché, mais croient pouvoir trouver les moyens d’en améliorer le fonctionnement. Il s’agit pour le moment de relancer la machine économique sans tenir compte de la réduction du déficit budgétaire afin d’assurer une sauvegarde du système économique. Dans un deuxième temps, il s’agira de voir où des assainissements seront nécessaires pour, à terme, pouvoir rembourser la dette. On voit déjà venir le débat sur l’indexation des salaires et évidemment, sur les pensions. D’ailleurs, “le véritable défi pour les finances publiques belges se situe dès lors à plus long terme, notamment au niveau du vieillissement de la population et des coûts qu’il entraînera.”(2) Merci à Bart Van Craeynest (Petercam) pour cet éclaircissement.

    De Grauwe, Stiglitz, Krugman & Co ne sont pas des économistes ‘de gauche’, ils remettent moins en question l’austérité elle-même que son rythme. “Mieux vaut des mesures structurelles” est leur mot d’ordre. Frank Lerman (Belfius) : “Il vaut mieux étaler les économies à réaliser sur un plus long terme.” Paul De Grauwe parle lui aussi en ces termes : “Dans les pays du Sud qui ont effectivement des problèmes, il faut évidemment se tenir à une certaine austérité. Mais il faut aussi pouvoir donner davantage de temps à ces pays pour qu’ils redressent la barre.”(3) Des politiques keynésiennes – ou allants dans ce sens – se heurteront vite aux limites du système capitaliste.

    Orienter la production vers la satisfaction des besoins de tous

    Ce dont nous avons besoin, c’est d’un programme massif d’investissements et de travaux publics. Pas pour relancer puis stabiliser l’économie de marché, en assurant le profit des capitalistes, mais pour assurer la satisfaction des besoins de la majorité de la population. Cette politique doit s’accompagner de la nationalisation des secteurs-clés de l’économie (finance, énergie, sidérurgie, transport, télécommunications,…) sous la gestion et le contrôle démocratique des travailleurs et de la collectivité, dans le cadre d’une planification économique démocratiquement organisée.

    Nous appelons un tel type de société une société socialiste démocratique. Tout autre projet de société, gardant la propriété privée des moyens de production comme prérequis, aura toujours pour objectif premier la défense des portefeuilles d’une petite élite.


    Notes

    1. RTBF.be, 19 novembre 2012.
    2. MoneyStore.be, 18 mars 2013
    3. Le Soir, 15 mars2013.
  • 10 ans après le début de la guerre en Irak

    La moisson impérialiste de la mort et la destruction

    Il y a dix ans de cela, sous la dénomination, la coalition dirigée par les États-Unis attaquait l’Irak. Malgré une énorme opposition publique, symbolisée par dix millions de manifestants anti-guerre à travers le monde le 15 et 16 février 2003, la campagne ‘‘choc et effroi’’ de bombardement débuta le 20 mars suivie, quelques heures plus tard, de l’invasion territoriale.

    Par Niall Mulholland, Socialist Party (CIO Angleterre et Pays de Galles)

    L’énorme force militaire envahissait une population qui avait souffert de 35 ans de dictature sous Saddam Hussein, de la guerre du Golfe de 1991, et de 13 ans de sanctions cruelles des Nations Unies, qui ont détruit l’économie irakienne, réduit des millions de gens à la pauvreté et couté de un demi-million à un million de vies irakiennes.

    [box type=”shadow” align=”alignright” width=”100″]

    ‘‘Ravager, massacrer, usurper sous de faux noms, ils appellent cela l’empire ; et, où ils ont fait un désert, ils disent qu’ils ont donné la paix.’’ Caius Cornelius Tacitus (Tacite, 56-117), historien romain.

    La fiction des armes de destruction massive

    La guerre de 2003 fut « justifiée » par un torrent de propagande et de mensonges émanant de Washington et de Downing Street, relayé par la complicité de l’appareil médiatique de droite.

    Le président Bush accusait alors le dictateur irakien, Saddam Hussein, de tenter d’acquérir de l’uranium pour développer des « armes de destruction massive ». Le secrétaire d’État américain, Colin Powell, annonça aux Nations Unies que l’Irak se munissait de capacité d’armes biologiques. Tony Blair, le premier ministre anglais du Labour Party, proclama que les armes de destruction massive irakiennes pouvaient être prêtes à être utilisées « dans les 45 minutes ». Saddam fut aussi accusé de soutien à Al-Qaida.

    Tout ceci n’était que mensonges. Très vite après l’invasion, les forces occupantes ne purent apporter les preuves d’existence des armes de destruction massive de Saddam ou des liens entre l’ancien régime de Saddam et le « terrorisme ». En fait, ce fut l’occupation qui causa le ressentiment qui permit à la terreur d’Al-Qaida de s’installer en Irak.

    A la veille du 10ème anniversaire de la guerre, l’ancien premier ministre déclarait encore à la BBC : « Quand vous me demandez si je pense aux pertes de vie depuis 2003, bien sûr. Je serais inhumain de ne pas le faire, mais pensez à ce qui serait arrivé si on avait laissé Saddam en place. »

    Les commentaires habituels de Blair ne s’attachent pas à l’énorme coût humain de la guerre. Selon plusieurs études ; de 2003 à 2011, de 150.000 à 400.000 irakiens ont violemment perdu la vie. The Lancet, journal médical réputé, a estimé un chiffre encore plus gros de 600.000 morts violentes entre 2003 et 2006 seulement. Ajouté à cela, il y a des milliers d’irakiens qui sont toujours portés disparus et des milliers d’américains, d’anglais et d’autres soldats de la coalition militaire qui ont péris ou ont été sévèrement blessés.

    La moisson de la mort en Irak a laissé 2 millions de veuves qui doivent, seules, rapporter le pain dans leur foyer et 4 à 5 millions d’orphelins (dont 600.000 qui vivent dans les rues). La guerre a poussé 4 millions de personnes à fuir, dont 1 million vers la Syrie. 1,3 millions d’irakiens ont dû fuir ailleurs en Irak. Depuis 2008, de ceux-ci, seule 1 personne sur 8 de a pu rentrer chez elle.

    L’aventure irakienne de Bush et Blair a également eu un énorme coût pour l’économie américaine. Selon l’économiste Joseph Stiglitz, ancien chef de la Banque Mondiale, cela a prélevé 3 trillions de dollars hors de l’économie américaine. Alors qu’il y a toujours des fonds pour mener des guerres à l’étranger pour le compte des profits et des intérêts commerciaux, les travailleurs anglais et américains voient leur niveau de vie tomber dramatiquement.

    Les justifications de Blair continuent

    Les interviews de Blair n’arrivent pas à lui faire avouer les véritables raisons de l’invasion. A la place de la guerre d’agression impérialiste, c’est « l’intervention humaniste » et les tentatives de Blair et de Bush d’exporter la démocratie libérale de type occidentale au Moyen Orient qui est présentée.

    Les classes dirigeantes internationales étaient divisées quant à l’Irak. Les pouvoirs mondiaux et régionaux étaient craintifs quant aux conséquences de l’invasion et aux gains que les États-Unis allaient se faire sur leur dos. Les néo-conservateurs de Bush ont tout de même poussé à la guerre.

    Les impérialismes américain et britannique, qui avaient précédemment soutenu Saddam, ne sont pas partis en guerre pour arrêter l’oppression, introduire des droits démocratiques ou améliorer les niveaux de vie.

    Pendant des décennies, le régime sadique de Saddam a tué et terrorisé les irakiens tout en profitant du soutien occidental. Après le renversement d’un autre despote favori des occidentaux, le Shah d’Iran, l’occident encouragea Saddam à envahir son voisin. Des millions de personnes périrent ou souffrirent de terribles blessures à la suite de cette guerre qui dura 8 années.

    Mais Saddam, en envahissant le Koweït voisin en 1991, est allé à l’encontre des intérêts des impérialistes occidentaux. Le potentiel qu’avait Saddam de contrôler l’approvisionnement vital en pétrole a terrifié les pouvoirs occidentaux qui ont très rapidement constitué une force militaire massive.

    Lors de la première guerre du Golfe, la coalition menée par les États-Unis a vite repris le petit État riche en pétrole mais fut arrêtée aux frontières irakiennes. Peu d’intérêt fut porté à l’opposition à Saddam en 1991. Les forces militaires occidentales croisèrent les bras alors qu’un soulèvement des chiites et des kurdes fut brutalement réprimé par le dictateur.

    Exploitant cyniquement l’attaque terroriste atroce d’Al-Qaida du 11 septembre 2001, la Maison Blanche et Downing Street ont avidement sauté sur l’opportunité d’une intervention militaire directe pour renverser Saddam et pour imposer un régime docile pro-occidental.

    S’emparer du contrôle des réserves abondantes de pétrole irakien, estimé à 9% du total mondial, était un objectif clé pour l’impérialisme américain, en tant qu’intérêts géostratégiques vitaux dans le Moyen-Orient.

    Peut-être était-ce pour éviter que ces véritables intentions ne deviennent de notoriété publique que le Cabinet a insisté pour que le rapport Chilcot publié tardivement ne contienne aucune preuve évidente qui pourrait révéler de quoi discutaient Bush et Blair avant l’invasion.

    Appui aux dictateurs

    Avant la première guerre du Golfe et les années de sanction, le taux d’alphabétisation en Irak dépassait les 90%. 92% des irakiens avaient accès à l’eau potable et 93% bénéficiaient de soins de santé gratuits.

    En 2011, après l’occupation impérialiste, 78% des adultes sont instruits et 50% de la population vit dans des bidonvilles (17% en 2000).

    Plus d’un million d’irakiens sont exilés à travers l’Irak. Près de la moitié des 400.000 réfugiés dans la capitale (personnes déplacées victimes de la terreur sectaire) vivent dans la misère des bidonvilles.

    Selon la Banque Mondiale, un quart des familles irakiennes vit sous le seuil de pauvreté. Moins de 40% des adultes disposent d’un emploi. Des millions de personnes manquent d’électricité, d’eau potable et d’autres services essentiels.
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    Bush et Blair n’ont pas été confrontés à la justice pour leurs crimes de guerre irakiens. La Cour pénale internationale, tout comme les Nations Unies, est dominée par les intérêts des Etats-Nations les plus puissants. Seuls les anciens despotes et les seigneurs de guerre des Balkans et d’Afrique, qui s’étaient confrontés à l’impérialisme, ont été poussés devant la Cour à La Haye.

    Parmi toutes ses justifications pour ses massacres de guerre, Blair a demandé « Si nous n’avions pas retiré Saddam du pouvoir, pensez juste, par exemple, ce qui serait arrivé si les révolutions arabes s’étaient poursuivies à l’heure actuelle et que Saddam, qui est probablement 20 fois pire qu’Assad en Syrie, essayait d’écraser un soulèvement en Irak ?

    Il est incontestable que Saddam était un tyran brutal et que son régime a massacré de nombreuses personnes dont des communistes et des syndicalistes. Mais l’ancien premier ministre n’a aucun problème avec les dictateurs en-soi. Les associés de Tony Blair conseillent aujourd’hui le despote du Kazakhstan, Nazarbayev, le boucher des travailleurs du pétrole en grève. Et l’Irak « libérée » de Blair est actuellement dirigée par le Premier Ministre Nouri al-Maliki, que même le journal de droite The Economist accuse de « tendances dictatoriales ».

    L’invasion de 2003 a considérablement augmenté parmi les arabes le sentiment d’humiliation et d’injustice vis-à-vis de l’impérialisme. Cela a été un facteur important qui a conduit aux révolutions de 2011 contre les dictateurs soutenus par l’occident dans le Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Tout comme cela a semé la colère contre l’absence de droits démocratiques, le chômage de masse et la pauvreté dans ces sociétés.

    Le « Printemps arabe » ne justifie pas du tout l’aventure néocoloniale de Blair mais confirme en fait nos positions dans le déroulement de la guerre en Irak : que le renversement du tyrannique Saddam était la tâche de la classe ouvrière irakienne par un mouvement de masse unifié.

    Fin 2010 et début 2011, le renversement des proches alliés de l’occident, Ben Ali et Moubarak – qui étaient des dictateurs soi-disant « imprenables » tout comme Saddam – a montré que c’est aussi une voie d’action possible pour les masses irakiennes.

    « Résoudre le conflit israélo-palestinien ? »

    John Prescott, Vice-Premier ministre du Royaume-Uni (Labour) en 2003, aujourd’hui Lord Prescott, a admis récemment à la BBC que l’invasion de l’Irak en 2003 « ne pouvait être justifiée ». Il a déclaré avoir soutenu l’invasion parce qu’il croyait que George Bush avait un plan pour résoudre le conflit israélo-palestinien.

    Bush et Blair ont proclamé que la défaite de Saddam Hussein pouvait être une impulsion pour un nouveau plan pour la paix en Israël et en Palestine. Mais comme nous l’avions prévu en 2003, l’oppression des palestiniens allait continuer sans relâche après l’invasion irakienne. Pour ses propres intérêts impérialistes géostratégiques, les États-Unis continuent de soutenir Israël, son plus proche allié dans la région, pendant que l’indépendance et l’auto-détermination palestiniennes sont plus éloignées que jamais.

    Dans une interview accordée à l’édition nocturne de la BBC, Blair a consenti que « la vie quotidienne en Irak aujourd’hui n’est pas ce qu’il souhaitait qu’elle soit » quand il a mené son invasion dix ans plus tôt. Il poursuivait en disant qu’il y avait des « améliorations significatives » mais que « c’était loin d’être ce que ça devait être ».

    C’est un euphémisme ! Nous nous sommes résolument opposé à l’intervention impérialiste en 2003 et prédisions très justement que cela mènerait à l’oppression et au chaos – ouvrant les portes à une conflit sectaire – et que l’impérialisme serait englué dans un long conflit.

    La politique impérialiste de dé-Baasification du régime de Saddam largement basé sur les sunnites et la dislocation de l’armée irakienne, a entraîné des purges sectaires des sunnites. Cela a enflammé la résistance de ceux-ci.

    L’occupation coloniale brutale, incluant la torture et l’abus systématique des civils dans les prisons comme celle d’Abu Ghraib, le siège de la ville de Falloujah et le massacre de combattants de la résistance et de beaucoup de civils dans des villes comme Haditha et Balad, ont provoqué une opposition de masse croissante – non exclusivement sunnite – contre l’occupation menée par les États-Unis. Le sentiment anti-guerre a grandi aux États-Unis, en Angleterre et partout dans le monde.

    En dépit de son impressionnante machine militaire et de son trésor de guerre, la coalition fut incapable d’écraser la résistance et a recouru à la technique de « diviser pour mieux régner ». Ils ont soutenu les chiites contre les sunnites, créant une orgie de sang.

    Conséquences

    En 2004, selon des enquêtes du Guardian et de la section arabe de la BBC, l’administration Bush s’est tournée vers « l’option salvadorienne » – nommée ainsi suite au rôle joué par les États-Unis dans la gestion des escadrons de la mort d’extrême droite au Salvador dans les années ‘80. Les milices chiites ont été armées et financées par les États-Unis. Des centaines de milliers d’irakiens ont été tués et des millions exilés par la suite. Les sunnites furent les grands perdants de la guerre civile sectaire.

    Une constitution imposée par les États-Unis a institutionnalisé les divisions sectaires et ethniques. Les élections en 2005 ont vu les partis chiites remporter la majorité au parlement et le poste de premier ministre.

    Une classe dirigeante corrompue et réactionnaire et des partis politiques sectaires se battent pour les ressources naturelles irakiennes pendant que la majorité de la population vit dans la pauvreté. Bien que l’Irak dispose de 100 milliards de dollars annuels en revenus pétroliers, très peu de cet argent est alloué à la population. L’Irak est le 8ème pays le plus corrompu au monde selon Transparency International.

    La Capitale Bagdad, qui héberge un cinquième des 33 millions d’irakiens, est toujours une ville en guerre, divisée par les postes de contrôle militaires et en proie aux attentats sectaires. Bagdad et le centre du pays souffrent quotidiennement de bombardements, d’assassinats et d’enlèvements.

    L’héritage de Bush et de Blair comprend un quintuplement des malformations congénitales et une multiplication par quatre du taux de cancer dans et autour de Falloujah. Ce sont des conséquences de l’utilisation par les forces de la coalition de munitions radioactives appauvries en uranium.

    Les politiciens occidentaux aiment différencier Bagdad à la paix relative qui règne dans la région kurde riche en pétrole et dans les provinces majoritairement chiites. Mais ce n’est qu’illusion.

    Les chiites dans le sud sont relativement protégés car une communauté domine largement. Le chômage y est cependant élevé et la plupart des chiites vivent encore dans une pauvreté effroyable.

    Les Kurdes

    Des tensions entre les Kurdes, les Arabes et d’autres minorités sont toujours présentes dans le gouvernement régional kurde semi-indépendant. Au grand dam du gouvernement central de Bagdad, le régime kurde a conclu 50 accords pétroliers et gaziers avec des compagnies étrangères et exporte directement du pétrole en Turquie.

    Après des décennies d’oppression brutale, beaucoup de Kurdes espèrent pouvoir obtenir une véritable auto-détermination. Mais le gouvernement régional kurde est entouré d’états qui ont une longue histoire dans l’oppression kurde. Les dirigeants réactionnaires kurdes se sont alliés aux États-Unis et à la Turquie, qui fut l’un des pires auteurs de leur oppression.

    Un élément indicateur du conflit grandissant autour du pétrole et des territoires entre le gouvernement régional turc et le régime central irakien est l’affrontement entre les combattants peshmerga kurdes et les troupes irakiennes.

    Le retrait de Saddam n’a pas transformé le monde en « un lieu sûr » comme l’avaient promis Bush et Blair. Dans les faits, le monde est devenu encore plus violent et instable. Saddam ne possédait pas d’armes de destruction massive mais, après l’invasion de 2003, les « Etats voyous », comme la Corée du Nord, ont conclu que le seul moyen d’arrêter les attaques menées par les États-Unis contre eux était d’acquérir ces armes.

    Malgré la déroute de l’impérialisme en Irak, les États-Unis et la Grande-Bretagne continuent de mener des conflits partout dans le monde pour servir leurs intérêts vitaux. Tentant de maintenir une distance avec la guerre de Blair, Ed Miliband a déclaré que la guerre en Irak avait été une erreur mais il continue à soutenir les troupes britanniques en Afghanistan et ne plaide pas pour la fin des frappes de drones américains.

    La guerre de 2003 et l’occupation ont eu des conséquences à long terme pour la région. Installer des forces occidentales en Irak visait à isoler et à encercler davantage l’Iran. Mais Téhéran a compris qu’elle avait une influence sur le gouvernement irakien dominé par les chiites et « l’arc chiites » a été renforcé.

    En partie pour contrer l’Iran, les États réactionnaires du Golf et l’impérialisme occidental sont intervenu en Syrie, exploitant l’opposition sunnite à Assad. Le conflit syrien se répercute au Liban et en Irak, ou un « Printemps sunnite » a vu des manifestions d’opposition de masse dans les zones sunnites.

    Révolution

    La majorité des irakiens ne veulent pas être replongés dans les horreurs de la guerre civile. Mais pour empêcher d’autres conflits, pour en finir avec l’interférence impérialiste et pour se débarrasser des élites dirigeantes réactionnaires et corrompues, les travailleurs ont besoin d’une alternative.

    L’Irak avait une gauche forte jusqu’à ce qu’elle soit écrasée par la CIA dans les années ‘60 et par le régime de Saddam par la suite.

    La plus importante leçon de cette tragédie et des horreurs de la dernière décennie est la nécessité pour les travailleurs d’avoir un parti de classe indépendant pour lutter pour leurs intérêts. Un tel parti revendiquerait la nationalisation des richesses pétrolières, sous la propriété publique démocratique au bénéfice de la population.

    Comme les révolutions de 2011 en Égypte et en Tunisie l’ont montré, des luttes de masse peuvent se développer contre les tyrans et, malgré les limites du mouvement, peuvent les démettre du pouvoir. Mais pour parvenir à un véritablement changement de société, les travailleurs ont besoin d’un programme socialiste dans chaque pays, régionalement et internationalement.

  • Inde : Grève générale de 48 heures. Quelle voie à suivre pour les travailleurs ?

    Ces 20 et 21 février, une grève générale a secoué l’Inde, avec des dizaines de millions de travailleurs en grève. Le texte ci-dessous est une déclaration de la section indienne du Comité pour une Internationale Ouvrière, New Socialist Alternative. Cette monumentale action de grève avait été appelée par les principales organisations syndicales du pays contre la politique d’austérité du gouvernement indien. Les accords très favorables aux multinationales conclus par le gouvernement menacent les conditions de vie de plus d’un milliard de personnes !

    Notre classe est sans équivoque opposée aux réformes néolibérales instaurées de façon brutale de 1991 à aujourd’hui. Depuis lors, il y a eu 14 grèves générales contre ces ‘‘réformes’’ synonymes de pauvreté et de pénurie croissantes pour la vaste majorité des travailleurs de ce pays. Le régime en place, qui dépend très clairement des multinationales, ne ménage pas ses efforts pour démanteler chaque brique de l’État Providence que prévoit la Constitution indienne.

    C’est un défi !

    La dernière grève générale, le 28 février 2012, a vu la participation de plus de 10 millions de travailleurs à travers l’Inde, aurait dû pousser les autorités à battre en retraite. Mais au lieu de cela, sur ces 12 derniers mois, nous avons assisté à un défilé de législations et de décrets tous plus pro-capitalistes les uns que les autres. Les différentes assemblées d’État nous accablent d’une intolérable austérité économique.

    Parallèlement, chaque denrée de base et chaque service – du thé jusqu’au textile, de l’enseignement au transport – ont connu une montée exponentielle de leurs prix semaines après semaines, comme ce fut le cas au cours de ces deux dernières décennies. L’inflation est devenue un véritable cancer économique qui ne connait aucun remède. Pourtant, alors que le pouvoir d’achat diminue pour la majorité de la population, le nombre de milliardaires en dollars s’accroit de plus de plus en Inde.

    Le Parti du Congrès au pouvoir, dans ses efforts serviles visant à apaiser ses riches donateurs impérialistes ainsi que les institutions financières telles que le FMI et la Banque Mondiale, attaque l’existence et le niveau de vie des travailleurs et des opprimés de toutes les façons possibles et imaginables. Les accords d’investissements directs de l’étranger vont entraîner le licenciement de 40 millions de travailleurs. Ils seront plongés dans la pauvreté.

    Ou est l’opposition ?

    Il est grand temps que les soi-disant partis d’opposition soient appelés par leur vrai nom : ils ne sont pas différents de l’agressif et néolibéral Parti du Congrès. Il n’y a pas un seul parti traditionnel qui s’oppose aux mesures néolibérales.

    Serait-il possible que le BJP et Modi, Akhilesh Yadav du Parti Samajavadi, Mayavathi et Mamata s’opposent véritablement aux grandes entreprises ? Est-ce que le parti DMK corrompu et le malhonnête AIADMK, qui ont la prétention d’être ‘‘pro-pauvres’’, se déclareront opposés aux mesures capitalistes ?

    Nous avons vu comment ces partis essentiellement capitalistes se sont comportés, dans le dossier des centrales nucléaires par exemple. Ils scandaient les mêmes slogans que les riches, et leur politique n’a été rien d’autre que la destruction de la vie des pauvres.

    La classe dirigeante et leurs représentants politiques dans les différents partis bourgeois et petits-bourgeois parlent encore sans vergogne le langage de la croissance, du PIB et du développement alors que 836 millions d’Indiens continuent de gagner la somme dérisoire de 20 roupies par jour ! Le pouvoir en place camoufle les faits de l’autre Inde, celle dont on ne veut pas parler, celle qui est noyée dans la malnutrition, la misère, la maladie et la pauvreté.

    Le fait est que la croissance économique de la dernière décennie a profité aux multinationales, aux entreprises indiennes et aux couches les plus hautes de la société indienne. Elle n’a pas profité à la classe ouvrière indienne, d’aucune manière que ce soit. La libéralisation de l’économie au cours de ces deux dernières décennies n’a amélioré aucun indicateur social, pas même le secteur agricole marqué par une faible croissance et une extension du nombre de suicides de paysans (250.000 au cours des 15 dernières années). L’Inde comprend plus de pauvres que l’Afrique subsaharienne. Toute cette histoire de la croissance de l’Inde s’est basée sur l’exploitation de la population et des pauvres.

    Le communautarisme croissant, les atrocités de caste commis sur les Daliths et les minorités religieuses, la perpétuation d’actes honteux de violence envers les femmes à travers le pays,… tout cela ne sont que les symptômes de l’échec total du capitalisme en Inde. La classe capitaliste liée aux vestiges du féodalisme est incapable de résoudre les problèmes fondamentaux de ce vaste pays.

    Cette grève générale de 48 heures arrive au moment où le capitalisme mondial connait sa pire phase dans l’histoire récente. Les soi-disant ‘‘success story’’ du capitalisme tombent en poussière. D’Amérique en Europe, en passant par le Moyen-Orient et l’Asie, l’autorité des classes dirigeantes est de plus en plus défiée par les travailleurs.

    Les évènements tumultueux en Tunisie, en Grèce et en Afrique du Sud témoignent de la force collective des travailleurs et forgent une voie à suivre pour la création d’alternatives formidables qui mettront à mal le capitalisme et le remplaceront par le socialisme démocratique.

    Tout en soutenant les revendications syndicales qui comprennent ‘‘l’arrêt de la montée des prix, l’arrêt des violations des droits du travail, l’autorisation des syndicats dans les lieux de travail, les primes, les gratifications et des fonds de solidarité pour tous les travailleurs,…’’, New Socialist Alternative (section du CIO en Inde) appelle les travailleurs à participer à cette grève de 48 heures :

    • contre le système capitaliste et sa faillite totale
    • contre les salaires de misère alloués à la vaste majorité des travailleurs
    • contre le chômage et la privatisation qui détruisent les emplois et les services
    • pour la renationalisation de toutes les entreprises privatisées et de tout les services publics.
    • pour un système qui permet d’assurer à chacun des soins de santé, un bon enseignement et des logements
    • pour la fin des atrocités commises contre les Daliths et les Adivasis et contre la montée du communautarisme
    • contre la violence sexuelle
    • contre le pillage des richesses par les multinationales
    • contre les centrales nucléaires de Kudankulam, Jaithapur et d’autres lieux.

    La classe ouvrière indienne, au côté d’autres couches opprimées, est la seule force progressiste qui peut s’opposer au capitalisme et ainsi mettre fin à ce système oppresseur.

  • Intervention au Mali : Impérialisme ou "guerre humanitaire" ?

    Face aux terribles méthodes réactionnaires des djihadistes qui ont pris le pouvoir au Nord du Mali, aux côtés du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), l’intervention militaire française (qui reçoit entre autres l’appui logistique de l’armée belge) s’est présentée comme une aide extérieure – à la demande des Maliens "eux-mêmes" – pour défendre la ‘’démocratie’’ et les ‘’droits de l’homme’’. Il est certains que les terribles méthodes des groupes djihadistes réactionnaires révulsent à juste titre. Doit-on pour autant soutenir cette intervention ? Quelles solutions sont réellement capables de pacifier la région ?

    Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition de février de Lutte Socialiste

    • Sahel : Non à la guerre au Mali ! L’intervention impérialiste va approfondir la crise et l’instabilité

    Une situation sociale désastreuse

    Malgré ses grandes ressources naturelles (le Mali est le troisième producteur d’or d’Afrique), ce pays est aujourd’hui l’un des plus pauvres au monde. En 2011, il s’est classé 175e sur les 187 pays pris en compte par l’Indice de développement humain du Programme des Nations Unies. Le taux de mortalité infantile est faramineux, de même que la malnutrition, l’analphabétisme… ce à quoi s’ajoute aussi la pratique largement répandue de l’excision.

    Toute la région au Nord du ‘’Mali vert’’ connait une situation plus dramatique encore. Cette région a toujours été défavorisée en termes d’investissements et d’infrastructures, tant durant la période de la colonisation française qu’après l’indépendance (en 1960), et plus particulièrement encore sous la dictature du général Moussa Traoré (à partir de 1968). De plus, les pluies se tarissent en raison du réchauffement climatique, une catastrophe pour tous les peuples de la région qui dépendent quasi uniquement de l’élevage et de fermes. Cette situation globale liée à la chute du tourisme (en conséquence de la crise et de l’augmentation des violences) a laissé des villes comme Tombouctou totalement sans ressources à l’exception de l’aide humanitaire limitée – et souvent intéressée – venue de l’occident et d’ailleurs (notamment, précédemment, de la Libye de Kadhafi).

    Il n’est pas exagéré de dire que les zones désertiques du Nord constituent un véritable océan de misère, de colère et de désespoir. Voilà le terreau pourri sur lequel ont pu proliférer mafias de trafiquants de drogue, milices armées, combattants de type Al-Qaïda, kidnappeurs, etc.

    La responsabilité du régime de Bamako

    Les problèmes dans le Nord du Mali sont connus de longue date. Les révoltes y ont été nombreuses, particulièrement en 1990. Ce fut d’ailleurs l’un des facteurs (mais ni le seul, ni le plus important) qui a conduit à la chute de la dictature de Traoré en 1991. Il a fallu attendre 1996 pour que les différents groupes touaregs brûlent symboliquement leurs armes en échange de promesses d’investissements destinés à améliorer les terribles conditions de vie en vigueur dans cette région. Mais ils ont largement été trahis, et ne furent pas seuls dans ce cas.

    La dictature de Traoré s’est effondrée à la suite d’une véritable révolte des masses, avec une mobilisation extraordinaire de la jeunesse (qui a connu de régulières explosions de colère depuis 1977), des femmes et de la base de l’Union Nationale des Travailleurs du Mali (UNTM). Grèves générales et manifestations de masse ont déferlé sur le pays pour réclamer la fin de la dictature, mais aussi plus de justice sociale.

    Faute de prolongement politique résolu à s’en prendre aux racines du système, un vide a été laissé pour qu’une aile de la hiérarchie militaire opère un coup d’État afin d’assurer une ‘’transition démocratique’’ avant tout destinée à préserver la structure de l’État et le système d’exploitation tout en sacrifiant le dictateur (gracié en 2002). Malgré tout, le régime présidentiel autoritaire a eu du mal à être installé, et les protestations de masse se sont poursuivies (notamment en 1993).

    Le régime a continué à se plier en quatre pour servir les intérêts de l’impérialisme, essentiellement français, et s’est soumis de bonne grâce aux diktats du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale en appliquant un politique néolibéral sauvage qui a détruit les services publics existants. Ce fut plus particulièrement le cas dans les années 2000, sous le règne d’Amadou Toumani Touré, le putschiste de 1991 élu à la présidence en 2002.

    Socialisme ou barbarie

    Ni en Afghanistan, ni en Irak, ni ailleurs, la guerre n’a été la solution pour instaurer la démocratie, mais, par contre, la ‘’lutte pour la démocratie’’ a systématiquement servi à masquer la défense des intérêts impérialistes. Dans le cas du Mali, il s’agit de s’assurer le contrôle des ressources de la région, au Mali, mais aussi au Niger voisin. La France puise plus d’un tiers de l’uranium nécessaire à ses centrales nucléaires au Niger. Elle vient d’ailleurs de décider d’envoyer ses troupes spéciales pour protéger l’uranium du géant français du nucléaire, Areva (c’est la première fois que les forces spéciales servent de milice pour une entreprise privée). La ‘’Françafrique’’ existe toujours bel et bien, comme l’avait encore illustré l’Opération Licorne en Côté d’Ivoire, pays lui aussi voisin du Mali. Si une grande partie de la population peut aujourd’hui favorablement accueillir les troupes étrangères face au danger du djihadisme réactionnaire, la réalité du ‘’Malifrance’’ ne va pas être bien longtemps masquée. Aujourd’hui, de nombreux rapports font déjà état de crimes de guerre des deux côtés du conflit, tandis que les troubles se sont étendus jusqu’en Algérie, où les braises du sanglant conflit interne des années 90’ n’ont jamais été éteintes.

    Seul un mouvement organisé sur une base de classe et résolu à livrer aux masses le contrôle des ressources du pays est apte à résoudre les divers problèmes entre ethnies (Touaregs, Bambaras, Dogons, Bozos…), en éliminant la division fratricide que peut entraîner la lutte pour la survie en désespoir de perspectives communes.

    Les travailleurs et les pauvres du Mali jouissent d’une longue tradition de lutte, un tel mot d’ordre n’a rien d’un fantasme.

  • Perspectives mondiales : ‘‘L’ère de l’austérité’’ prépare des convulsions sociales sismiques

    Nous vivons une des périodes les plus dramatiques de l’Histoire

    Les travailleurs grecs, suivis par les portugais et les espagnols, sont à l’avant-garde du mouvement contre cette interminable austérité. Plus personne ne peut aujourd’hui affirmer que la classe ouvrière reste passive face aux attaques du système capitaliste malade et pourrissant. Sa résistance s’est exprimée par une série de grèves générales épiques, mais elle a encore à créer un parti de masse ainsi qu’une direction dignes d’elle pour cette bataille entre travail et capital qui va dominer le début du 21ème siècle. La tâche du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), grâce à la clarté théorique de ses idées liée à un programme orienté vers l’action, est d’aider à créer cette nouvelle direction, une direction capable d’assurer la victoire de la classe ouvrière.

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    Ce texte est un résumé du projet de document sur les perspectives mondiales discuté lors de la dernière réunion du Comité Exécutif International (CEI) du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) qui a eu lieu en décembre. Le document final est disponible, en anglais, sur le lien suivant.
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    Le caractère instable des relations mondiales (qui peuvent entraîner l’éclatement d’un conflit dans de nombreux endroits du monde et à n’importe quel moment) s’est illustré lors des récents affrontements entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza. Ils se sont limités à un échange de roquettes et de missiles et un accord de cessez-le-feu a été atteint, mais la guerre pourrait reprendre et un assaut d’Israël sur la Bande de Gaza n’est pas à exclure. En retour, des troubles auraient lieu dans le Moyen-Orient.

    D’autre part, une ou plusieurs guerres régionales sont toujours de l’ordre du possible. La Syrie représente un véritable baril de poudre avec le régime de Bachar el-Assad assiégé et menacé d’être renversé, mais avec une opposition divisée sur des lignes sectaires. Les véritables socialistes ne peuvent soutenir ni Assad ni l’opposition, mais doivent s’orienter vers les masses que nous pouvons atteindre avec une voie clairement indépendante basée sur un programme et des perspectives de classe.

    Certaines minorités du pays recherchent encore la protection d’Assad par craintes des conséquences d’une victoire de l’opposition, laquelle bénéficie clairement d’un soutien prédominant de la part de la majorité sunnite de la population, avec une influence grandissante significative d’organisations du type d’Al-Qaïda. De plus, l’intervention de la Turquie contre le régime a augmenté la tension entre les deux pays. Des affrontements armés pourraient avoir lieu entre eux, ce qui pourrait devenir hors de contrôle. Une intervention de l’Iran dominé par les chiites pour soutenir les chiites en Syrie n’est pas non plus à exclure. Pareillement, le conflit pourrait déborder au Liban avec l’éclatement de conflits sectaires. Cela en retour pourrait conduire Israël à saisir l’opportunité de lancer des attaques aériennes contre les supposées infrastructures nucléaires iraniennes, avec sans doute en riposte des salves de missiles et de roquettes de la part de l’Iran et du Hezbollah contre les villes et infrastructures israéliennes.

    Au cours du récent conflit, le régime israélien et la population, plus largement, ont été pris de court par la capacité des roquettes du Hamas de frapper au cœur même de Tel Aviv. Le CIO s’oppose aux prétendues ‘‘frappes chirurgicales’’ d’Israël (qui ne sont en rien chirurgicales) qui ont tué au moins 160 Palestiniens. Mais nous ne soutenons pas pour autant les méthodes du Hamas, qui a lancé des roquettes à l’aveugle contre les villes les plus peuplées d’Israël. Cela a uniquement servi à jeter la population d’Israël dans les bras de Netanyahou, dont les actions punitives seraient soutenues par 85% de la population tandis que 35% soutiendraient maintenant une invasion de Gaza, opération qui verrait des centaines et des milliers de Palestiniens tués ou mutilés, de même que des Israéliens. Le peuple palestinien a le droit de résister aux méthodes terroristes de l’Etat Israélien, mais cette tâche peut être mieux accomplie par des mouvements de masse dans but de faire séparer la classe ouvrière d’Israël du régime vicieux de Netanyahou. En cas d’invasion de Gaza ou d’un autre territoire occupé, le peuple palestinien a tous les droits de résister, avec des armes si nécessaire, contre les envahisseurs.

    Les mineurs sud-africains montrent la voie

    Nonobstant l’influence des facteurs géopolitiques comme les guerres sur le cours des évènements (ce qui peut, sous certaines circonstances, sérieusement altérer nos perspectives), les principales caractéristiques de la situation présente sont l’approfondissement de la crise du capitalisme mondiale et la réponse combattive des la classe ouvrière et des pauvres.

    Cela est symbolisé par le magnifique réveil de la classe ouvrière sud-africaine à la suite des mineurs. Ces grèves héroïques, à l’instar des révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ont inspiré la classe ouvrière des pays industriels avancés. Un élément ‘‘d’Afrique du Sud’’ pourrait lui aussi être exporté en Europe avec un mouvement similaire au sein des syndicats afin de renverser les dirigeants qui refusent d’organiser la classe ouvrière pour sérieusement résister aux attaques du capitalisme.

    A la suite des mineurs, d’autres pans de la classe ouvrière d’Afrique du Sud sont eux aussi entrés en action dans cette grève qui est en ce moment la plus grande et la plus sanglante au monde.

    Cette lutte a également été caractérisé par un haut degré de conscience de la classe ouvrière (un héritage qui a su être préservé après les révolutions avortées des années 1980, avant la fin du régime de l’apartheid). Cela s’exprime par l’aspiration à la construction de nouveaux syndicats combattifs pour les mineurs afin de remplacer le syndicat officiel des mineurs, complètement corrompu, le NUM. Confrontés à l’ANC tout aussi corrompue, les mineurs (avec l’aide du Democratic Socialist Movement, le DSM, section du CIO en Afrique du Sud) ont lancé un appel pour un nouveau parti de masse des travailleurs. Cela ne peut que renforcer les revendications du même type portant sur la question de la représentation indépendante de la classe ouvrière dans tous les pays (c’est-à-dire la majorité) où la masse des travailleurs n’a pas de parti, pas même un capable de les représenter ne fut-ce que partiellement.

    Même le magazine The Economist, la voix du grand capital, a déclaré : ‘‘le meilleur espoir pour le pays dans les années à venir est une scission réelle dans l’ANC entre la gauche populiste et la droite afin d’offrir un vrai choix aux électeurs.’’ C’est surprenant, sinon incroyable, au premier abord. Aucun journal capitaliste ne propose cela pour la Grande Bretagne ! Mais ce qui alarme The Economist, c’est que face au discrédit de l’ANC (un fossé de la taille du Grand Canyon existe à présent entre les seigneurs, chefs et rois de l’ANC et la classe ouvrière), les masses appauvries ont commencé à se tourner brusquement vers la gauche, vers les véritables militants pour le socialisme, les membres du DSM. Ils vont donc remuer ciel et terre pour essayer d’empêcher les masses d’aller dans notre direction, même si cela signifie de mettre en place une alternative ‘‘populiste’’ pour bloquer le développement d’un vrai parti de masse des travailleurs.

    Les élections américaines

    Le plus important évènement de cette période, au moins dans l’Ouest capitaliste, a été la réélection d’Obama aux USA. Il a été le premier président à être réélu depuis 1945 avec un taux de chômage supérieur à 7,5% dans le pays. Certains stratèges du capital (ou certains imaginant l’être) ont tiré des conclusions complètement fausses hors du résultat de cette élection. Ils affirment que la principale raison pour laquelle Obama a été élu, c’est que le peuple américain blâmait Bush, l’ancien président, pour les catastrophes économiques actuelles. Cela a sans doute été un facteur, certes, mais ce n’était ni le seul, ni le plus décisif. Une grande polarisation a pris place dans la société américaine avec les électeurs d’Obama (malgré leur déception face à son bilan) se rendant massivement au bureau de vote pour empêcher le candidat des 0,01% des riches et des plutocrates, Romney, de remporter les élections.

    Il y avait une réelle peur de ce que signifierait une victoire de Romney, qui aurait fait tourner à l’envers la roue de l’histoire, briser les aides sociales et les réformes limitées dans la santé, etc. Cela a fait accroître la participation électorale qui, même si elle n’était pas aussi élevée qu’en 2008, était néanmoins d’un niveau historique. Le vote populaire a été serré, Obama l’emportant par 50,8% contre 47,5%. Mais il est crucial que la majorité des femmes l’aient soutenu, avec une majorité encore plus forte concernant les jeunes femmes. Il a aussi gagné 80% du vote des minorités (Latinos et Afro-Américains), bien sûr, et des sections significatives de travailleurs syndiqués (dans l’automobile par exemple) ont milité pour lui et l’ont soutenu. Dans cette élection, ce n’était pas seulement une question de victoire du ‘‘moindre mal’’ pour Obama pour ‘‘arranger l’économie’’. Bien sûr, il ne sera pas capable de le faire, à cause du caractère de la crise économique.

    Le magnifique résultat de la candidate de Socialist Alternative aux élections de la chambre des représentants de l’Etat de Washington (un splendide 28% des suffrages) a été un triomphe non seulement pour nos camarades Américains mais pour l’ensemble du CIO.

    C’était la confirmation du fait que présenter des candidats des travailleurs indépendants peut conduire au succès, et à un nouveau parti de masse des travailleurs. De plus, cela s’est produit au cœur même de la plus grande puissance capitaliste au monde. Cette élection est un avant-goût de ce à quoi nous pouvons nous attendre ailleurs dans la prochaine période, en particulier en Afrique du Sud et en Europe, et cela montre le potentiel qui existe dialectiquement aux USA pour les idées et le programme du socialisme.

    L’héritage des trahisons social-démocrates et staliniennes n’existe pas aux USA, ce qui en fait un terrain encore plus favorable pour les vraies idées du socialisme en comparaison de nombreux endroits d’Europe et d’ailleurs à ce stade. De notre point de vue, il en va de même pour la victoire d’Obama. Son deuxième mandat pourrait préparer la voie à la création d’un troisième parti, mais d’un parti de la classe ouvrière cette fois, socialiste, radical et populaire. Bien sûr, toutes les perspectives sont conditionnées par la façon dont l’économie se développera aux USA et dans le monde entier.

    L’économie mondiale fait face à une série de crises

    L’économie américaine (l’une des seules à ré-atteindre le niveau de production d’avant 2008) a ralenti pour atteindre son rythme le plus faible depuis 2009, avec une croissance de moins de 2% alors que, simultanément, toutes les plus grandes économies mondiales ont perdu de la vitesse. Si les Républicains refusent un accord avec Obama, si les USA échouent face à la falaise fiscale, cela pourrait presque automatiquement plonger l’économie mondiale (fondamentalement stagnante) dans une nouvelle dépression encore plus profonde. Les intérêts des capitalistes devraient logiquement forcer les Républicains à chercher un accord avec Obama. Mais le système politique des USA, conçu à l’origine pour une population prédominée par les petits fermiers au XVIIIème siècle, est maintenant complètement dysfonctionnel, de même que le Parti Républicain.

    En 2009, lors de l’un de ses discours parmi les plus révélateurs devant les banquiers américains, Obama a déclaré : ‘‘Mon administration est tout ce qu’il y a entre vous et les fourches.’’ Mais lors des élections, cela ne lui a pas pour autant apporté le soutien de la bourgeoisie américaine dans son ensemble, qui a en général préféré Romney. Cela tend à montrer qu’une classe ne reconnait pas toujours ce qui est dans son meilleur intérêt ! Ce sont les stratèges et les penseurs de la classe dominante, parfois en opposition avec ceux qu’ils sont sensés représenter, qui sont préparés à défendre les meilleurs intérêts des capitalistes et à planifier le chemin à suivre. Aujourd’hui, le problème pour eux est que les différentes routes qui mènent toutes le capitalisme à la ruine.

    Leur perte de confiance est visible dans leur refus d’investir ainsi que dans les avertissements des institutions sacrées du capitalisme : le FMI, la Banque Mondiale, etc. Leurs perspectives de sortie rapide hors de la crise actuelle ont toutes été balayées. Dorénavant, ils sont plongés dans un pessimisme total. Le premier ministre britannique David Cameron et le Gouverneur de la Bank of England ont averti que la crise peut durer encore une décennie, et c’est le même son de cloche au FMI. Le thème des ‘‘banques zombies’’, d’abord employé au Japon, est à présent utilisé pour décrire non seulement les banques mais aussi les économies de l’Amérique, de l’Europe et du Japon. Comme dans le cas du Japon, les économistes bourgeois prédisent une ‘‘décennie perdue’’ pour certains pays et pour l’ensemble de l’Europe. Ils comparent cela à la dépression de 1873 à 1896, au moins en ce qui concerne l’Europe. Martin Wolf, du Financial Times, réfléchit ainsi : ‘‘l’âge de la croissance illimitée est-il terminé ?’’ en citant beaucoup une nouvelle étude ‘‘La Croissance Economique des USA Est-Elle Terminée ? L’Innovation Hésitante Confronte Les Six Vents Contraires’’. (NBER Working Paper no 18315)

    Cela a posé la question essentielle du rôle de l’innovation dans le développement du capitalisme, et en particulier dans l’amélioration de la productivité au travail. Les auteurs de l’étude mentionnée ci-dessus ont conclu qu’il y avait eu ‘‘trois révolutions industrielles’’ depuis 1750 qui ont été cruciales pour le développement du capitalisme.

    La première s’est située entre 1750 et 1830, a vu la création des machines à vapeur, du filage du coton, des chemins de fer, etc. La deuxième était la plus importante des trois avec ses trois inventions principales : l’électricité, le moteur à combustion interne et l’eau courante avec la plomberie, dans une période relativement courte, de 1870 à 1900. Ces deux révolutions ont pris à peu près 100 ans pour que leurs effets se répandent complètement dans l’économie. Après 1970, l’augmentation de la productivité a nettement ralenti, pour un certain nombre de raisons. La révolution informatique et internet (décrits par les auteurs comme la révolution industrielle n°3) ont atteint leur apogée à l’ère d’internet, fin des années 1990. Selon cette étude, son principal impact sur l’économie s’est altéré au cours des 8 dernières années. Les chercheurs en concluent que, depuis les années 2000, l’invention a largement été concentrées dans les appareils de loisir et de communication qui sont plus petits, plus smart et ont plus de capacités, mais ne changent pas fondamentalement la productivité du travail ou le niveau de vie de la même manière que la lumière électrique, les voitures à moteur et la plomberie. Cela ne veut pas dire que la science et la technique n’ont pas le potentiel de considérablement rehausser la productivité, mais le problème est posé par l’état actuel du capitalisme en déclin, incapable de développer pleinement le potentiel de ses forces productives. La baisse tendancielle du taux de profit (et les baisses réelles de rentabilité) décourage les capitalistes d’adopter des innovations qui pourraient développer les forces productives.

    Il y a ensuite le problème de la ‘‘demande’’ qui en retour a conduit à ‘‘une grève de l’investissement’’, avec un minimum de 2000 milliards de dollars de ‘‘capital au chômage’’ dans la trésorerie des entreprises américaines. Et le problème du surendettement par-dessus tout. Styajit Das, du Financial Times, admoneste la bourgeoisie américaine qui ‘‘parait incapable d’accepter la vérité : la perspective d’une croissance économique faible ou nulle pour une longue période. (…) Le maintien de la croissance nécessite toujours plus d’emprunts. En 2008, aux USA, 4 ou 5 dollars de dettes étaient nécessaires pour créer 1 dollar de croissance, contre 1 ou 2 dollars dans les années 1950. A présent, la Chine a besoin de 6 ou 8 dollars de crédit pour générer 1 dollar de croissance, une augmentation de 1 à 2 dollars par rapport à il y a 15 ou 20 ans.’’

    Le capitalisme ne fait pas face à une crise, mais à une série de crises. Ses partisans essaient de faire accepter à la classe ouvrière la perspective d’une croissance faible, voire de pas de croissance du tout, et ainsi qu’elle soit plus encline à accepter de voir ses conditions de vie se réduire drastiquement, comme en Grèce. Nous devons contrer cela par notre programme et en mettant en avant les possibilités illimitées (évidentes même aujourd’hui) qui sont présentes pour autant que la société soit organisée de façon rationnelle et planifiée, c’est-à-dire grâce à l’instauration du socialisme.

    L’insoluble crise de l’Europe

    La crise économique en Europe est la crise la plus sérieuse à laquelle fait face le système capitaliste. Cette crise parait insoluble avec la politique d’austérité qui ne fonctionne clairement pas, l’éclatement de conflits et la mise en garde du FMI contre ‘‘l’austérité excessive’’ appliquée par les gouvernements nationaux en Europe avec la bénédiction des autorités de l’UE et de la Banque Centrale Européenne (BCE). La BCE a d’un côté cherché à implanter, comme l’US Federal Reserve et la Bank of England, une forme de keynesianisme par l’achat d’obligations d’Etat ainsi qu’en accordant des prêts meilleurs marché à certaines banques et pays. Mais de l’autre, ces mêmes autorités (la ‘‘Troïka’’) ont été l’instrument des politiques d’austérité. Pourtant le FMI critique ‘‘l’effet multiplicateur’’ négatif qui s’opère quand une austérité drastique est appliquée (coupes dans les dépenses d’Etat, pertes d’emplois, etc.) car cela réduit les revenus de l’Etat. La BCE et les gouvernements nationaux rétorquent avec l’argument de ‘‘l’absolue nécessité’’ de faire des coupes dans les dépenses d’Etat, accompagnées de toutes les autres mesures d’austérité, de privatisation, etc. Mais en dépit de toutes les attentes, l’austérité a eu pour effet d’éteindre les braises économiques qui subsistaient encore durant la crise.

    Il est vrai que les politiques keynésiennes ont échoué à générer la croissance. Dans la situation actuelle, cela revient à ‘‘pousser un objet avec une corde’’. Cela a conduit les nouveaux keynésiens, comme l’ancien monétariste thatchérien Samuel Brittan, à faire pression pour des mesures plus audacieuses ; il défend ce qui revient à une ‘‘chasse au trésor’’ géante, dans une tentative désespérée de faire bouger l’économie. Il suggère, en plaisantant seulement à moitié, d’enterrer des montagnes de cash, et que les aventuriers qui les découvriraient aillent les dépenser ! Il n’y a pas d’indication que cela se produise, cependant. Les largesses qui ont été distribuées jusqu’ici ont été utilisées pour payer les dettes, pas pour augmenter les dépenses. C’est une indication du désespoir de la classe dominante pour une amélioration, à ce stade. Le keynésianisme a été partiellement essayé et a échoué, mais cela ne signifie pas que, face à une explosion révolutionnaire, les capitalistes ne vont pas recourir à des mesures keynésiennes de grande ampleur. Des concessions peuvent être accordées, et par la suite les capitalistes vont tenter de les reprendre par le biais de l’inflation.

    Même à présent, les autorités européennes tentent d’éviter que la Grèce soit en défaut de paiement en suggérant que plus de temps lui soit donné pour payer. Cela ne va pas empêcher les attaques sauvages contre la classe ouvrière grecque, qui sont appliquées sans état d’âme par l’UE. Cela ne va pas non plus résoudre les problèmes de base de la Grèce, qui vont encore s’accumuler avec la dette colossale. Un défaut de la Grèce est donc toujours probable, ce qui aura d’énormes répercussions dans toute l’Europe, dont en Allemagne, lourdement endettée envers les banques d’autres pays. Il est même possible que l’Allemagne elle-même prenne l’initiative de quitter la zone euro, telle est l’opposition politique intérieure contre la politique de renflouement. Même la proposition de donner à la Grèce plus de temps pour payer ses dettes rencontre une opposition de la part des capitalistes allemands parce que cela signifierait d’effacer une petite partie de leur dette. Il est possible que, en ce qui concerne l’Espagne et certains autres pays, ‘‘la canette soit envoyée plus loin’’. Mais, en fait, la canette va devenir trop grosse pour pouvoir être envoyée au loin ! Par conséquent, une rupture de la zone euro reste en jeu.

    Même les Chinois sont alarmés par la tournure des événements en Europe. Un haut fonctionnaire Chinois, Ji Liqun, assis au sommet d’un fond souverain d’Etat de plus de 350 milliards d’euros, a averti que le public européen est à un ‘‘point de rupture’’. Auparavant, il avait argumenté que les Européens devraient travailler plus, mais il reconnait maintenant que la profondeur de la colère publique pourrait conduire à un ‘‘rejet complet’’ des programmes d’austérité. ‘‘Le fait que le public descende dans les rues et recoure à la violence montre que la tolérance du public en général a atteint ses limites’’, a-t-il commenté. ‘‘Les syndicats sont maintenant impliqués dans des protestations organisées, des manifestations et des grèves. Ca sent les années ‘30.’’ Ses préoccupations inexprimées sont que l’exemple de la classe ouvrière européenne puisse faire des vagues en Chine. Il craint d’autre part pour la sûreté des investissements chinois en Europe.

    La Grèce est la clé de la situation

    En ce moment, l’Europe est la clé de la situation mondiale : c’est là que la lutte des classes est la plus aigüe, c’est là que se trouvent les plus grandes opportunités pour une percée de la gauche et des forces révolutionnaires. Mais s’il en est ainsi, la Grèce est en conséquence la clé de la situation en Europe, suivie de près par l’Espagne et le Portugal dans la chaine des maillons faibles de l’Europe capitaliste. Comme Trotsky le disait de l’Espagne dans les années ‘30, non pas une mais 3 ou 4 révolutions auraient été possibles si les travailleurs grecs avaient une direction prévoyante et un parti de masse à sa tête. Le jour de la dernière grève générale, un programmeur informatique grec a commenté dans le journal britannique The Guardian : ‘‘Personnellement, je suis épaté qu’il n’y ait pas encore eu de révolution.’’ La télévision britannique a aussi commenté que seulement 3% de la population soutient effectivement les mesures d’austérité du gouvernement et de la Troïka. Avec tous les tourments que les Grecs sont forcés d’endurer, à la fin du programme d’austérité actuel, la dette de la Grèce sera encore de 192% du PIB ! En d’autres termes, il n’y a absolument aucune chance que cette dette soit payée. L’austérité sans fin est cependant l’avenir que le capitalisme a décrété pour le peuple grec.

    Toutes les conditions pour la révolution ne sont pas seulement mures, mais pourries. 19 jours de grève générale (parmi lesquelles quatre de 48h et le reste, de 24h) témoignent des réserves colossales d’énergie dont disposent les travailleurs grecs et de leur capacité à résister. Cependant, ils en ont conclu que, malgré une lutte magnifique, la Troïka et les capitalistes grecs n’ont pas encore capitulé. Il est donc nécessaire de se tourner vers le front politique, vers l’idée d’un gouvernement de gauche capable de montrer la voie pour sortir de la crise. Ce processus a trouvé place malgré le fait que les masses soient sceptiques vis-à-vis de Syriza et de sa direction. Des sections significatives des masses sont prêtes à soutenir Syriza, qui reçoit actuellement 30% de soutien dans certains sondages, mais ils ne sont pas prêts à rejoindre ses rangs et à s’engager activement. Il y a une part de cet élément dans beaucoup de pays. La forte déception consécutive à l’échec des partis ouvriers a entraîné un scepticisme extrême envers ceux-ci, même ceux qui sont formellement de gauche. La volonté est bien présente de soutenir les formations et partis de gauche aux élections, mais pas de leur donner du temps et de l’énergie en s’engageant dans leurs rangs et en les construisant. Les travailleurs ont été déçus dans le passé et craignent d’être à nouveau laissés tomber. Bien sûr, cet état d’esprit peut et va être modifié une fois qu’ils auront vu ces partis véritablement accomplir ce qu’ils ont promis. Cependant, au lieu d’aller vers la gauche, les partis de gauche en général – et Syriza en particulier – ont eu tendance à aller vers la droite, en baissant leur programme et en ouvrant même leurs portes à d’ex-dirigeants de la social-démocratie (comme le Pasok en Grèce) qui ont ouvertement joué un rôle de briseurs de grève dans la dernière période.

    Dans les circonstances de la Grèce, les tactiques souples employées par nos camarades grecs – tout en restant fermes sur le programme – répondent aux besoins de cette situation très complexe. Nous devons avoir l’œil non seulement sur les forces de gauche à l’intérieur de Syriza, mais aussi sur les forces importantes qui se situent à l’extérieur et qui, dans certains cas, ont revu leurs positions politiques. Nous ne pouvons pas dire à quel moment le gouvernement actuel va s’effondrer (car il va surement s’effondrer), avec la probable arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche emmené par Syriza. Mais nous devons être préparés à une telle éventualité, dans le but de pousser ce gouvernement vers la gauche, tout en aidant à créer des comités démocratiques populaires qui peuvent en même temps soutenir le gouvernement contre la droite mais aussi faire pression pour la prise de mesures en défense de la classe ouvrière. Il n’est pas impossible qu’une nouvelle force semi-massive significative émerge des tactiques dans lesquelles nous nous sommes à présent engagés.

    Cela implique non seulement une concentration sur les développements dans la gauche et dans les partis des travailleurs mais aussi contre les dangers de l’extrême-droite, et en particulier celui de la montée du parti fasciste Aube Dorée, dont le soutien est récemment monté jusqu’à 14% dans les sondages, mais qui est maintenant descendu autour des 10%. Une des raisons de cette diminution est la formation de comités de masse antifascistes, que nous avons aidé à initier et dans lesquels nous avons attiré des travailleurs, des jeunes et des réfugiés. Ce travail est d’une importance exceptionnelle et pourrait être le modèle pour le genre de situation à laquelle la classe ouvrière peut être confrontée dans beaucoup d’autres pays à l’avenir.

    Si la classe ouvrière et la gauche échouent à mener à bien une révolution socialiste, l’Histoire témoigne qu’ils devront en payer de lourdes conséquences. Les tensions sociales qui existent en Grèce ne peuvent être contenues pour toujours dans le cadre de la ‘‘démocratie’’. Il y a déjà une guerre civile voilée, avec plus de 90% de la population opposée aux ‘‘un pour cent’’ et cela peut exploser en un conflit dans le futur. Quelques éléments d’extrême-droite en Grèce ont discuté de l’idée d’une dictature, mais ce n’est pas immédiatement à l’agenda. Tout mouvement prématuré qui paraitrait imiter le coup d’état militaire de 1967 pourrait provoquer une grève générale totale, comme en Allemagne en 1920 avec le Putsch de Kapp, et entraîner une situation révolutionnaire. De plus, un coup d’Etat ne serait pas acceptable en ce moment pour l’impérialisme, la ‘‘communauté internationale’’, dans cette ère de ‘‘démocratie et de résolution des conflits’’.

    Dans un premier temps, les capitalistes vont plus probablement recourir à une forme de bonapartisme parlementaire, comme le gouvernement Monti en Italie, mais en plus autoritaire. La position économique et sociale risquée de la Grèce va demander un gouvernement plus ferme et plus à droite qu’en Italie, avec le pouvoir de renverser le parlement ‘‘en cas d’urgence’’. Si cela ne fonctionne pas, et qu’une série de gouvernements de caractère similaire est incapable de forcer l’impasse sociale, et si la classe ouvrière, faute d’un parti révolutionnaire conséquent, échoue à prendre le pouvoir, alors les capitalistes grecs pourraient passer à une dictature ouverte.

    Nous devons avertir la classe ouvrière que nous avons encore du temps en Grèce, mais nous devons utiliser ce temps pour préparer une force capable d’accomplir un changement socialiste de société. Le 14 novembre dernier, la réponse dans toute l’Europe a illustré que les luttes de la classe ouvrière sont liées entre elles. Si les travailleurs grecs brisaient les chaines du capitalisme et en appelaient aux travailleurs de l’Europe de l’Ouest, ou au moins aux travailleurs du Sud de l’Europe, il y aurait une énorme réponse pour un appel pour une confédération socialiste – qui impliquerait probablement l’Espagne, le Portugal et peut-être l’Irlande dans un premier temps, sinon l’Italie.

    La Chine à la croisée des chemins

    Comme le montre le fait que la première visite d’Obama après sa victoire électorale était en Asie, l’impérialisme américain a identifié ce continent comme une région-clé (plus importante que l’Europe, par exemple, stratégiquement et économiquement). Il s’agissait en partie de réaffirmer l’enjeu économique de l’impérialisme américain mais aussi à avertir la Chine de l’importance des intérêts stratégiques militaires des USA. Cela paraissait nécessaire à cause de la réaffirmation militaire de la Chine, qui a été révélée récemment dans les clashs de la marine chinoise avec le Japon à propos d’îles inhabitées contestées. Le Japon commence à construire ses forces militaires, seulement pour sa ‘‘défense’’ bien sûr ! Cela signifie que l’Asie va devenir un nouveau dangereux théâtre de conflits militaires, avec la montée du nationalisme et la possibilité de conflits déclarés, où les diverses puissances seront préparées à se confronter les unes aux autres, avec les armes si nécessaire, afin de renforcer leur influence, leur pouvoir et leurs enjeux économiques.

    La Chine est le colosse de l’Asie, la deuxième puissance au monde après les USA. La façon dont elle se développe va avoir un effet énorme, peut-être décisif, sur la région et le monde. Et la Chine est certainement à la croisée des chemins, comme son élite dirigeante le comprend bien. Comme beaucoup de groupes dirigeants dans l’Histoire, elle sent les tensions contradictoires monter d’en bas et est incertaine concernant la façon de les gérer. Les érudits Chinois décrivent la situation actuelle du pays à The Economist comme ‘‘instable à la base, découragée dans les couches moyenne, hors de contrôle en haut.’’ En d’autres termes, en ce moment, les ingrédients pour une révolution fermentent en Chine. Le temps des taux de croissance spectaculaires de l’ordre de 12% est révolu. La Chine est aujourd’hui telle une voiture embourbée dans la neige : les roues tournent mais le véhicule n’avance pas. La croissance s’est probablement contractée entre 5 et 7%. Le régime revendique une certaine ‘‘reprise’’ mais ne s’attend pas au retour d’une croissance à deux chiffres. Cela va automatiquement affecter les perspectives pour l’économie mondiale. Un taux de croissance de plus de 10% n’était possible que par l’injection de ressources, qui est monté jusqu’à 50% du PIB investi dans l’industrie, ce qui est énorme et sans précédent. Cela a en retour généré du mécontentement et du ressentiment contre la croissance des inégalités et la dégradation de l’environnement ainsi que contre l’accaparation illégale des terres collectives par des fonctionnaires avides.

    Cela et les conditions de surexploitations dans les usines ont généré une opposition énorme parmi les masses avec 180.000 manifestations publiques en 2010 (et ce chiffre a augmenté depuis), en comparaison à l’estimation officielle de 40.000 en 2002. Le retrait du ‘‘bol de riz en fer’’ (la sécurité sociale) et les attaques contre la santé et l’éducation ont ajouté au mécontentement. Cela a forcé la direction à réintroduire un minimum de couverture-santé. La direction chinoise est hantée par la gestion de ce volcan et par la voie économique à adopter. Le village de Wukan s’est soulevé il y a un an et a été victorieux après des batailles avec la police pour réclamer des terres qui leur avaient été volées par la bureaucratie locale. Ceci était symptomatique de ce qui se passe sous la surface en Chine : une révolte souterraine qui peut éclater à n’importe quel moment. A cette occasion, les fonctionnaires locaux ont battu en retraite mais d’un autre côté, les manifestants n’ont pas donné suite à leur mouvement. Il semble que cet incident et beaucoup d’autres sont ‘‘de petits soulèvements qui ne cessent de bouillonner à travers toute la Chine.’’ (Financial Times)

    Beaucoup de protagonistes pensent naïvement que si seulement les seigneurs de Pékin connaissaient l’échelle de la corruption, ils interviendraient pour y mettre fin. Quelque chose de similaire se produisait en Russie sous le stalinisme. Au départ, les masses tendaient à absoudre Staline de toute responsabilité dans la corruption, pour laquelle il n’aurait pas été ‘‘au courant’’. Cela était considéré comme étant le crime de la bureaucratie locale et non pas de Staline lui-même. Mais l’arrestation de Bo Xilai et le procès de sa femme ont aidé à dissiper ces illusions dans la Chine actuelle. Il a été accusé d’avoir abusé de sa position pour amasser une fortune, acceptant d’énormes pots-de-vin tout en permettant la promotion de ses amis à de hauts postes. Bo, membre du sommet de l’élite (un prince rouge, fils d’un dirigeant de la révolution chinoise) est accusé de complicité de meurtre, de corruption passive et de corruption à grande échelle. Cela pose naturellement la question de la manière dont il a pu s’en sortir si longtemps.

    En réalité, ce ne sont pas ces crimes (bien qu’ils soient probablement vrais) qui ont conduit à son arrestation et à son procès imminent. Il représentait un certain danger pour l’élite et faisait campagne pour un poste au plus élevé en évoquant, élément très dangereux pour l’élite, certaines expressions radicales du maoïsme associées à la Révolution Culturelle. En faisant cela, il aurait pu inconsciemment libérer des forces qu’il n’aurait pas été capable de contrôler, qui auraient pu aller plus loin et exiger des actions contre les injustices du régime. Qui sait comment cela se serait terminé ?

    Le régime chinois est en crise. Il est assez visiblement divisé sur les prochaines étapes à accomplir (en particulier sur la question économique). Un prince rouge l’a exprimé brutalement au Financial Times : ‘‘La meilleure époque de la Chine est révolue et le système entier a besoin d’être remanié.’’ Les commentateurs bourgeois de journaux comme The Economist, le Financial Times, le New York Times, etc., ont récemment recouru à la terminologie qu’utilise le CIO, en décrivant la Chine comme ‘‘un capitalisme d’Etat’’. Ils n’ajoutent pas la clause que nous y ajoutons, ‘‘un capitalisme d’Etat avec des caractéristiques uniques’’. Cela est nécessaire pour différencier notre analyse de la position rudimentaire du Socialist Workers Party et d’autres, qui décrivent inexactement les économies planifiées du passé de cette façon. Le sens de la marche de la Chine est clair. Par le passé, le secteur capitaliste a augmenté au détriment des entreprises d’Etat. Mais récemment, et en particulier depuis le plan de relance de 2008, il y a eu une certaine recentralisation et le pouvoir économique a tendu à être plus concentré dans le secteur d’Etat, à tel point que maintenant les entreprises d’Etat pèsent maintenant 75% du PIB total. D’un autre côté, selon The Economist : ‘‘Les experts ne s’accordent pas à dire si l’Etat représente la moitié ou un tiers de la production chinoise, mais sont d’accord pour dire que cette part est plus basse qu’elle l’était il y a deux décennies. Depuis des années, depuis la fin des années 1990, les entreprises d’Etat paraissent battre en retraite. Leur nombre a décliné (à environ 114000 en 2010, une centaine d’entre elles étant des champions nationaux contrôlés centralement), et leur part dans l’emploi a chuté. Mais à présent, même alors que le nombre de compagnies privées a augmenté, la retraite de l’Etat a ralenti et, dans certaines industries, s’est inversées.’’

    Il est clair qu’une discussion féroce a lieu derrière les portes fermées de l’élite. Les ‘‘réformateurs’’ sont en faveur d’un programme déterminé de démantèlement du secteur d’Etat pour se tourner de plus en plus vers le ‘‘marché’’. Ils proposent de lever les dernières barrières à l’entrée et l’action du capital étranger. Selon la rumeur, le nouveau ‘‘dirigeant’’ Xi Jinping, malgré la rituelle rhétorique du ‘‘socialisme avec des caractéristiques chinoises’’ soutient ces réformateurs. D’un autre côté, ceux qui ont proposé l’ouverture, dans l’économie mais aussi avec des réformes ‘‘démocratiques’’ limitées, paraissent mis à l’écart. Des études ont été réalisées sur la façon dont d’anciennes dictatures comme la Corée du Sud aurait réussi une ‘‘transition froide vers la démocratie’’. Elles ont eu lieu quand l’expansion économique ne s’était pas épuisée et même alors, il s’agissait d’un contexte de mouvement de masses. La ‘‘transition’’ proposée en Chine prend place au milieu d’une crise économique massive. Il paraitrait que les dirigeants chinois étudient avidement le rôle de Gorbatchev en Russie. Il avait d’abord l’intention de ‘‘réformer’’ le système et a fini par présider son démantèlement. Dans la Chine actuelle, des réformes importantes d’en haut provoqueront une révolution d’en bas. On ne peut pas exclure qu’une période ‘‘démocratie’’ très faible (avec le pouvoir encore aux mains des anciennes forces, comme aujourd’hui en Egypte avec l’armée et les frères musulmans au pouvoir) pourrait se développer après un soulèvement révolutionnaire en Chine. Mais cela ne serait qu’un prélude à l’ouverture des vannes à un des plus grands mouvements de masse dans l’Histoire.

    Conclusions

    En quatre ou cinq ans de crise économique mondiale dévastatrice, nous pouvons conclure qu’il y a des perspectives très favorables pour la croissance du marxisme, avec toutefois certaines réserves compte tenu du fait que la conscience (la vision large de la classe ouvrière) doit encore rejoindre la situation objective, qui peut encore être décrite comme prérévolutionnaire, surtout à l’échelle mondiale.

    Les forces productives n’avancent plus, mais stagnent et déclinent. Cela a été accompagné d’une certaine désintégration sociale de certaines sections de la classe ouvrière et des pauvres. En même temps, de nouvelles couches de la classe ouvrière se créent ainsi que de parties de la classe moyenne (prolétarisées) et sont forcées d’adopter les méthodes traditionnelles de la classe ouvrière avec les grèves et les organisations syndicales. Le pouvoir potentiel de la classe ouvrière reste intact, même entravé et affaibli par les directions syndicales droitières ainsi que par la social-démocratie et les partis ‘‘communistes’’.

    Le CIO n’a pas encore fait de percée décisive dans un pays ou un continent. Cependant, nous avons maintenu notre position globale en termes de membres et, surtout, nous avons augmenté notre influence dans le mouvement ouvrier. Beaucoup de travailleurs sympathisent et regardent de notre côté, ils peuvent nous rejoindre sur base des événements et de notre militantisme. Nous devons faire face à la situation en formant et préparant nos sympathisants pour le prochaine période tumultueuse, dans laquelle de grande opportunité se présenteront de renforcer les organisations et partis du CIO et l’Internationale dans son ensemble.

  • Tandis que coût de la vie s’envole, les patrons chargent l’index

    Ces derniers mois, les patrons, les partis traditionnels et les médias dominants n’ont pas tari d’idées pour ‘‘réformer’’ le mécanisme de l’index, le mécanisme d’adaptation automatique des salaires à la hausse des prix. Ces diverses propositions ont pour objectif de créer un climat défavorable aux travailleurs dans le cadre des négociations entre syndicats et patrons portant, entre autres, sur nos salaires pour les deux prochaines années. Avec l’indexation et l’adaptation partielle des salaires aux prix, les travailleurs peuvent encore sauvegarder une partie de leur niveau de vie. Mais pour les grandes entreprises, cette protection est de trop dans une situation d’insécurité économique et de crise de l’euro.

    Par Peter Delsing

    Les propositions patronales visent à vider l’index de sa substance, alors que cet outil pour les travailleurs est déjà considérablement affaibli. Syndicats, le journal de la FGTB, a calculé que le prix des produits compris dans le panier qui sert à calculer l’index a augmenté de 15,66% entre 2005 et 2010. Cela ne tient pas compte de l’augmentation des prix de l’essence qui, depuis l’introduction de l’index-santé, n’est plus compris dans l’index, au contraire du gaz et de l’électricité. Et heureusement ! Mais l’essence, c’est quand même important pour les ménages belges : depuis début septembre, les prix battent les records. Certains à droite veulent aller plus loin et retirer tous les prix de l’énergie, donc également le gaz et l’électricité.

    Hausse des prix, instabilité, crise et nature chaotique du système

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    500 millions de livres de profits grâce à la spéculation alimentaire

    Ces deux dernières années, la banque britannique Barclays a réalisé un profit de 500 millions de livres (626 millions d’euros) grâce à la spéculation sur l’alimentation. Goldman Sachs, Morgan Stanley et Barclays forment le trio de tête de la spéculation alimentaire. Alors que, chez les gens normaux, on apprend aux enfants en bas âge à ne pas jouer avec la nourriture, les choses sont différentes pour les grands banquiers. Eux, ils jouent avec des stocks astronomiques de nourriture, poussent les prix vers le haut et réalisent de gigantesque profits en condamnant des millions de personnes à la faim.

    Les grandes banques parient sur les prix alimentaires et font de la nourriture un produit financier. La faim et la pauvreté deviennent ainsi des ‘opportunités d’affaires’. Un système peut-il être plus cynique que ça ? En 2010, Barclays a réalisé un profit de 340 millions d’euros grâce à la spéculation alimentaire, contre ‘seulement’ 189 millions en 2011, une diminution expliquée par la diminution du prix du maïs et du soja. Les prix élevés de 2010 étaient de très bonnes affaires. Depuis 2000, les institutions financières ont misé plus de 200 milliards de dollars sur le marché des “ressources agricoles”.

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    Les hausses des prix se font sentir sur plusieurs domaines. En 2011, en Belgique, l’inflation était de 3,49%, et elle sera probablement autour des 3% pour l’année 2012. Dans une période de crise, certains prix ont tendance à augmenter – à cause de pénuries consécutives à la nature non-planifiée de la production capitaliste ou à cause des quasi-monopoles tels qu’Electrabel. Mais d’autres prix ont aussi tendance à diminuer quand l’économie entre dans une récession sévère. Lors de l’année de crise 2009, l’économie belge s’est contractée de -2,7% et les prix n’ont augmenté que de 0,26% cette année-là, un chiffre historiquement faible.

    Mais aujourd’hui, alors que nous entrons dans une nouvelle phase de récession, la tendance reste à l’augmentation des prix. Le prix des logements n’a ainsi commencé que très récemment à diminuer en Belgique (-2% durant le premier trimestre de 2012 comparé au dernier trimestre de 2011). Mais d’après l’OCDE et le magazine ‘The Economist’, les prix des logements belges restent surévalués de 50% à 56%. Cette bulle n’a pu grandir qu’à cause du refus des gouvernements successifs de mener une politique sociale d’investissements dans la construction de logements sociaux abordables et convenables.

    En plus, le coût réel du logement est consciemment sous-estimé dans le calcul de l’index. Le loyer d’une maison ne compte par exemple que pour 6,23% du budget d’un ménage d’après le nouveau panier de l’index instauré en 2004. Pour beaucoup de familles, la réalité est pourtant plus proche des 25 à 30% (voire plus).

    La hausse des prix de l’énergie – électricité et gaz – a été stimulée par la politique irresponsable de libéralisation et par la cupidité d’entreprises comme Electrabel et GDF-Suez. Le gaz et l’électricité doivent être protégés de la soif de profits, cela doit être un service à la collectivité placé sous le contrôle démocratique de celle-ci. Quant à la hausse du prix de l’essence, elle résulte de la spéculation boursière et de l’instabilité provoquée au Moyen-Orient par le capitalisme sénile. L’ensemble du secteur de l’énergie doit être planifié de façon démocratique en fonction des besoins de la population et dans le respect de l’environnement.

    Depuis 2007, les marchés alimentaires ont connu deux chocs qui ont fait augmenter les prix de plus de 50% (Wired, 6 mars 2012). Dans les pays occidentaux, cela a entraîné des prix plus élevés dans les supermarchés et une grande pression sur le budget familial mais dans le monde néocolonial, il a été question de véritables famines.

    Les conditions météorologiques plus extrêmes, dans ce système capitaliste incapable de gérer la crise écologique, ont conduit à de plus fréquentes sécheresses. Cela a par exemple eu un impact sur les récoltes de maïs aux Etats-Unis et en Russie, avec en conséquence des pénuries et une hausse des prix. L’utilisation de certaines céréales pour des biocarburants a aussi contribué à ce processus. Plus fondamentalement, la situation résulte d’un système non planifié où seul domine le profit à court terme, sans prendre en considération l’homme ou l’environnement. Les hausses de prix alimentaires sont aussi stimulées par la spéculation des fonds d’investissements privés et des banques d’investissements (Goldman Sachs, Barclays,…) Le ‘soutien aux banques’ et à leurs profits ont ainsi volé le pain de la bouche de 115 millions de personnes à travers le monde néocolonial depuis 2008 (chiffre de la Banque Mondiale).

    Pas touche à l’index !

    Les propositions des patrons et de leurs politiciens pour réformer l’index sont diverses et variées. On parle notamment d’indexer uniquement le salaire net, après imposition, ce qui mine notre sécurité sociale (nos pensions, nos soins de santé, nos allocations,…). On parle aussi de n’adapter que les salaires les plus bas. Mais l’index n’est pas un instrument de redistribution des richesses, seulement un instrument d’adaptation des salaires à la hausse des prix.

    Les salaires des grands managers doivent être limités par une taxe plus élevée sur les hauts revenus, ou – pourquoi pas – en introduisant une différence maximale entre les grands salaires et les autres, sur base d’une décision politique impulsée par le mouvement syndical puisqu’on ne peut s’en remettre à l’Etat capitaliste. La Fédération des Entreprises Belges (FEB) a aussi émis l’idée de négocier sur base de l’estimation d’un taux d’inflation sur deux années, ce qui revient à être dépendants de la décision arbitraire du patronat ou de ce que ce patronat essaie de vendre aux directions syndicales tous les deux ans lors de l’Accord Interprofessionnel. Bien sûr, Karel Van Eetvelt (de la fédération patronale Unizo) n’a pas pu s’empêcher d’aller plus loin : si on ne peut pas toucher à l’index, il faut laisser les travailleurs bosser deux heures de plus par semaine, sans la moindre adaptation du salaire !

    Les travailleurs et leurs familles doivent lutter pour la restauration complète de l’index afin que les adaptations des salaires et des allocations représentent réellement l’augmentation du coût de la vie rencontrée ces 30 dernières années. Chaque bricolage de l’index doit être rejeté. Les patrons et les politiciens établis veulent essentiellement que le pouvoir d’achat et le niveau de vie des travailleurs et de leurs familles se détériore plus vite que dans les pays voisins (la ‘‘compétitivité’’). Obtenir des salaires décents et disposer d’une bonne sécurité sociale, cela se heurte au capitalisme et à sa crise sans issue. Les richesses sont pourtant suffisantes dans la société : entre 1970 et 2011, la croissance économique moyenne fut de l’ordre de 2,3%, bien que ce rythme diminue. Le capitalisme assure que cette richesse soit répartie de manière sans cesse plus inégale. Les travailleurs et les jeunes doivent s’opposer à ce système. Lutter pour la défense de droits sociaux fondamentaux comme l’index, cela signifie lutter pour une autre société, une société socialiste.

  • Alimentation : Qu’est ce qu’on s’en fout de vos profits !

    ‘‘Excusez-moi Monsieur, mais je voudrais un peu plus de nourriture’’. Il n’y a pas que les orphelins des romans de Dickens qui doivent se battre pour un produit de base : la nourriture. Des milliards d’êtres humains à travers le monde souffrent soit de malnutrition, soit d’obésité. Même dans les pays capitalistes dits ‘‘développés’’, leur système basé sur les profits semble incapable d’offrir un régime alimentaire équilibré à la population. Iain Dalton, de notre parti-frère en Angleterre et au Pays de Galles le Socialist Party, observe ici les effets du capitalisme sur la nourriture et développe l’intérêt de réponses réellement socialistes.

    L’envolée des prix des denrées alimentaires

    Plus de 18 millions de personnes dans la région du Sahel en Afrique de l’Ouest sont actuellement en danger de mort car les récoltes ont été très mauvaises et les prix des denrées alimentaires n’ont cessé d’augmenter. En 2011, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture rapportait que les prix alimentaires mondiaux étaient à leur plus haut niveau depuis le début des recensements en 1990.

    En 2010, la Banque Mondiale estimait qu’environ un milliard d’êtres humains sur les sept milliards que comptent la population mondiale souffraient de malnutrition. Chaque année, six millions d’enfants à travers le monde meurent de malnutrition avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans.

    En Grande-Bretagne, les mesures d’austérité sont combinées à une augmentation des prix. En 2011, un chiffre record de 129.000 personnes ont eu recours aux banques alimentaires. Cela démontre que de plus en plus de gens sont obligés de faire le choix entre manger ou se chauffer. Selon les chiffres du gouvernement, les prix des denrées alimentaires au Royaume Uni ont enregistré une hausse de 26% entre 2007 et 2011.

    La sécheresse aux Etats-Unis

    Un des facteurs qui explique l’explosion des prix en cette période, c’est la sécheresse qui sévit actuellement aux Etats-Unis. Dans un rapport qui fait plus penser à la situation de l’Afrique subsaharienne qu’à celle des Etats-Unis, le journal britannique The Guardian rapportait: ‘‘Certaines tiges arrivent à hauteur du menton, mais ne produisent pas d’épis de maïs. D’autres sont aussi épaisses que des ananas. Et le soja qui devrait atteindre la hauteur du genou frôle à peine le tibia.’’ Environ un tiers du territoire des Etats-Unis est désormais officiellement considéré comme une zone sinistrée. En juillet, le Centre national de données climatiques (NCDC) a découvert que 55% du territoire des Etats-Unis était frappé par une sécheresse d’un niveau moyen à extrême selon les zones. De plus, des feux sauvages se sont déclarés dans l’Utah et au Colorado.

    Le gouvernement des Etats-Unis estime qu’un tiers des récoltes de maïs et de soja est en mauvais état, mais les travailleurs sur le terrain pensent que les dégâts sont bien pires. Un fermier a déclaré dans une interview à The Guardian : ‘‘Techniquement, certains aliments ne vaudront même pas la peine d’être récoltés car ils ne pourront pas être vendus au prix de la production.’’

    Le 23 juillet dernier, le prix du maïs avait atteint le prix de $8 (=6,30€) le boisseau, alors qu’en 2006, son prix était de $2 (=1,50€). Cela aura un effet dévastateur sur les prix du lait et de la viande car le maïs est utilisé dans l’alimentation d’une grande partie des animaux. Certains fermiers ont même été contraints de nourrir leur bétail avec certains types de confiseries bons marché.

    Le bétail est abattu car les fermiers américains ne peuvent plus se permettre les prix élevés de leur nourriture. Les refuges pour chevaux ont dû accueillir de nouveaux animaux et une baisse de 70% a été enregistrée dans la vente de tracteurs et autres machines agricoles dans certaines parties du Mid-Ouest.

    La situation actuelle aux Etats-Unis est comparable à la pire sécheresse que la région de la Mer Noire en Russie ait connue en 130 ans et qui avait eu pour conséquence une escalade des prix du blé. Vu que le changement climatique conduit à de plus en plus d’évènements climatiques extrêmes tels que des sécheresses, des tsunamis et des inondations, les effets dévastateurs sur la production alimentaire s’en feront ressentir.

    Avec 40% du maïs américain utilisé dans la production de l’éthanol, le débat sur la question des biocarburants fait rage. Certains Etats ont rapporté que beaucoup d’usines d’éthanol et de bio-diesel sont en train de réduire leur production ou de fermer temporairement. D’innombrables sommets ont démontré que les politiciens qui ne défendent que les grandes entreprises sont incapables de prendre des mesures nécessaires contre les puissants lobbys de l’énergie.

    Spéculation

    Il y a d’autres facteurs qui influencent les prix des denrées alimentaires. Lorsque les banques sont entrées en crise en 2007-2008, une vague de spéculation a déferlé sur les matières premières futures, dont des aliments comme le sucre et le bétail. Leurs valeurs totales sont passées de moins de $2 milliards (=1,5 milliard d’euros) en 2004 à $9 milliards (= 7 milliard d’euros) en 2007. Les grandes Institutions qui achètent et retiennent des biens sur de longues périodes de temps ont commencé à investir dans la bulle spéculative des matières premières, ce qui a non seulement fait augmenter les prix mais a aussi coupé les provisions, principalement dans les économies en développement.

    Les spéculateurs ont de nouveau fait face à la dernière crise en date en pariant massivement sur les prix alimentaires. Leur attitude face à l’augmentation des prix est très bien résumée par un des gérants de fonds: ‘‘c’est comme si on avait ouvert un énorme robinet à argent’’ (Bloomberg 23 juillet)

    Le journal The Economist a récemment déclaré à brûle-pourpoint: ‘‘les prix élevés sur la nourriture ne pèsent pas seulement sur les revenus des pauvres, mais ils mènent aussi à plus d’agitations politiques à travers les monde.’’

    En 2008, des émeutes de la faim ont explosé en Afrique de l’Ouest, en Haïti, au Maroc, au Bangladesh et aux Philippines. Après la grève générale du pain qui a eu lieu dans la ville de Malhalla, en Egypte, l’armée a reçu l’ordre de cuire et de distribuer du pain subventionné afin d’empêcher de futures protestations.

    Alors que la Tunisie et l’Egypte étaient en plein milieu d’une période révolutionnaire au début de l’année 2011, sous l’impulsion notamment de l’essor des prix des denrées alimentaires, l’Algérie achetait plus de 800 000 tonnes de blé et l’Indonésie 800 000 tonnes de riz. Les deux élites au pouvoir essayaient ainsi d’empêcher que la révolution ne s’étendent jusqu’à leurs frontières.

    Néanmoins, cette option de conjurer les soulèvements a ses limites. Et on observe que de nombreux pays ont sévèrement réduit leurs réserves de grains ne les jugeant pas nécessaires.

    Pourtant, les menaces auxquelles la production alimentaire fait face sont bien réelles, notamment celle du changement climatique. Mais la plus sérieuse, c’est la manière dont la nourriture est produite. Tant que l’industrie alimentaire sera contrôlée par des compagnies privées qui privilégient les profits et que les spéculateurs contrôleront les prix, des millions d’êtres humains continueront de mourir de faim ou de souffrir de malnutrition. En Occident, la sous-alimentation dans les familles pauvres s’aggrave pendant que des millions d’autres familles doivent faire face à d’autres types de problèmes de santé, tel que l’obésité. La raison de tout ces maux, c’est une nourriture malsaine et fortement traité mais rentable!

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière et ses sections à travers le monde, dont le Parti Socialiste de Lutte en Belgique, revendiquent que la production alimentaire, de même que les autres secteurs clés de l’économie, soient nationalisés sous le contrôle démocratique des travailleurs afin d’être intégrés dans une planification démocratique de la production. Une fois rayée la soif de profits du capitalisme, il est tout à fait possible d’éradiquer la faim dans le monde.

    Nos revendications:

    • Mise en place de comités populaires, avec les syndicats et les groupes de consommateurs, afin de surveiller les prix et de mesurer la réelle augmentation du prix de la vie pour les travailleurs.
    • Transparence des comptes des grandes entreprises qui dominent l’industrie alimentaire et l’économie, afin de déterminer leurs coûts réels, leurs profits, les salaires et bonus des cadres, etc.
    • Augmentation immédiate du salaire minimum afin qu’il atteigne £8 (=10€) de l’heure, et des augmentations régulières afin de couvrir la hausse des prix. Une augmentation substantielle des pensions et autres acquis sociaux afin que ceux-ci reflètent le coût réel de la vie. Des investissements massifs dans un programme de création d’emplois.
    • Nationalisation des plus grandes compagnies agricoles, de gros, de détail et de distribution, ainsi que des banques et des institutions financières. Des compensations ne seraient octroyées que sur base de besoins prouvés.
    • Investissements massifs dans la recherche et le développement de ressources d’énergies renouvelables alternatives sures, ainsi que le développement de techniques qui mettraient un terme aux techniques agricoles néfastes à l’environnement et à la santé de la population.
    • Planifier la production et la distribution agricole afin d’offrir de la nourriture réellement nutritive pour tous de façon durable plutôt qu’en préconisant les profits à court terme d’une minorité au sommet.
  • Grèce : Dictature des marchés ou démocratie des travailleurs

    La vie des masses était déjà devenue plus qu’infernale depuis la signature du premier mémorandum en mai 2010 qui conditionnait l’octroi d’un prêt de 110 milliards d’euros à toute une batterie de mesures antisociales (privatisations, baisse des salaires,…). Ce mois de février, le second mémorandum (pour une somme de 130 milliards d’euros) a été voté au Parlement grec, dans un bâtiment littéralement assiégé, protégé par une véritable armée de policiers ayant face à elle une marée humaine de plus de 500.000 manifestants en colère. Ce dimanche-là clôturait une semaine qui avait connu une grève générale de 24 heures le mardi suivie d’une autre de 48 heures les vendredi et samedi.

    Par Nicolas Croes

    Une misère généralisée

    Les mesures contenues dans ce second mémorandum sont largement dénoncées comme un remède pire que le mal luimême. Selon le syndicat grec GSEE, il y avait 2 millions de Grecs sous le seuil de pauvreté en 2008, il y en a désormais plus de trois millions, sur une population de 11 millions d’habitants à peine. La situation quotidienne des masses grecques est devenue catastrophique sous les coups répétés des précédentes mesures dictées par la Troïka (Union Européenne, Banque Centrale Européenne, Fonds Monétaire International). Le taux de chômage dépasse maintenant les 20% (et approche des 50% pour les jeunes) tandis que les salaires de ceux qui ont un emploi sont au ras du sol. Dans le secteur public, les fonctionnaires ont subi une perte d’environ 30 % de leurs revenus, les retraités, une baisse de 20 % de leur pension et dans le secteur privé, on observe une perte moyenne de 15 % de revenus. Tout cela alors que le coût de la vie est quasiment identique à celui rencontré dans une ville comme Bruxelles !

    Dans les pages du Soir, Sonia Mitralia du mouvement ‘‘Contre La Dette’’ a expliqué que : ‘‘80 % de la population grecque est en détresse. La classe moyenne tend à disparaître tout bonnement pour la première fois. Les politiques d’austérité font des attaques sur tous les fronts: hausses d’impôts, coupes de salaires et des retraites, hausse de la TVA à 23%… Ce sont toutes ces attaques réunies qui abaissent le revenu.’’ (Le Soir du 7 février 2012) On parle désormais ouvertement d’une crise humanitaire, avec notamment une explosion du nombre de sans-abris. ‘‘Avant, on faisait des missions humanitaires en Afrique. Désormais, on se concentre sur la Grèce. Et la situation ne va pas s’améliorer. Le temps passe tous les jours, on voit de plus en plus de Grecs dans le besoin. Ils sont de plus en plus nombreux dans la rue’’ a déclaré à La Libre Christina Samartzi, de Médecins du Monde (MdM). Elle explique encore que ‘‘les enfants souffrent de malnutrition. Leurs mères n’ont parfois même plus d’argent pour acheter du lait.’’ (La Libre du 22 février 2012) Certains parents, trop pauvres pour subvenir aux besoins de leurs enfants, préfèrent même les abandonner dans les centres d’action sociale, où ils auront plus de chances d’avoir une alimentation régulière. Dans les écoles, il est devenu banal de voir des enfants s’évanouir faute d’avoir suffisamment reçu de quoi manger chez eux.

    Des secteurs vitaux de la société ont subi des coupes budgétaires absolument horribles, à l’instar des soins de santé dont le budget a été coupé de 40% en 2011 comparé à 2010. Le nombre de lits dans les hôpitaux a déjà été diminué de plus de 30% dans le pays. L’Etat compte sur la solidarité familiale, importante dans la société grecque, pour pallier aux manques. ‘‘Ce n’est pas la solidarité familiale qui doit pallier aux vaccinations des enfants, ou trouver des médicaments pour soigner un cancer ou pour les gens qui ont besoin de dialyse pour les reins!’’ s’est, à juste titre, emportée Sonia Mitralia face au journaliste du Soir. Et cet hiver, d’innombrables foyers ont renoncé à se chauffer car le prix du mazout a doublé en moins d’un an. En bref, le quotidien de millions de personnes s’organise sous la contrainte de ce terrible choix : manger, se chauffer, se soigner ou payer ses factures ?

    S’évader ou riposter

    Dans pareille situation de crise, comme face à n’importe quel danger, il n’y a que deux solutions : la lutte ou la fuite. La Grèce est ainsi confrontée à une grande émigration, plus particulièrement de jeunes diplômés. Selon la Banque Mondiale, plus de 10% des Grecs vivaient à l’étranger en 2010 (contre 2,8% des Français par exemple). D’autres s’évadent de leur vie sans perspective de manières bien plus tragiques, par le suicide ou la drogue. Le gouvernement grec a dévoilé en juin de l’an dernier que le taux de suicide avait augmenté de 40 % au premier semestre 2011 comparé aux six premiers mois de 2010. A titre de comparaison, une étude de l’université de Cambridge menée par un sociologue parlait d’une augmentation de 17% du taux de suicide entre 2007 et 2009. Cette étude prenait notamment l’exemple du propriétaire d’un petit magasin récemment retrouvé pendu sous un pont avec une lettre où il avait inscrit: ‘‘ne cherchez pas d’autres raisons. La crise économique m’a conduit à ça.’’ Actuellement, un Grec sur deux pense à se suicider.

    La consommation de drogues est, elle aussi, en pleine expansion, du fait de l’impact de la crise et de l’absence de perspectives sur les mentalités de chacun, mais aussi en conséquence de la quasi-disparition du budget de prévention à la toxicomanie (un tiers des centres de prévention et de désintoxication a été fermé) et des réductions du budget des soins de santé. Face à ce problème de plus en plus important, la Grèce a dépénalisé fin de l’année dernière la consommation et la possession ‘‘en petites quantités’’ de toutes les drogues. Suite à cela, les prix ont augmenté (la dose d’héro passant de 3 à 20 euros) et des drogues bon marché ont inondé les rues, à l’image de la ‘‘sisa’’, essentiellement composée de liquide de batterie et de détergent. Apparue il y a 18 mois, on connait déjà suffisamment ses effets dévastateurs pour dire qu’on y survit pas plus d’un an. Tanos Panopoulos, chef de mission à l’Organisation anti-drogue affirme que ‘‘dans les rues, 99% des héroïnomanes consomment la sisa.’’

    Canaliser l’énergie et la combativité des masses

    Mais la résistance se développe aussi. En 2 ans, le pays a connu une quinzaine de journées de grèves générales, y compris 3 grèves générales de 48 heures. La colère est immense dans tout le pays, les grèves, piquets de grève et manifestations sont innombrables. Les mobilisations du dimanche 12 février étaient les plus massives depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Tous les jours, il y a de nouvelles manifestations, de nouveaux piquets de grève. Petit à petit, la compréhension de l’importance de l’organisation s’est imposée.

    Hélas, dans ce processus, il a manqué au mouvement une direction combative et audacieuse. Les directions syndicales n’ont par exemple pas pleinement joué le rôle qui aurait dû être le leur dans l’organisation de la résistance des masses. Les syndicats n’ont pour la plupart pas osé s’en prendre de front au PASOK (le parti social-démocrate) tout d’abord seul au pouvoir sous Papandréou puis, depuis le mois de novembre, en coalition avec la Nouvelle-démocratie (droite) et le Laos (extrême-droite, qui a quitté le gouvernement en février) sous Papadémos. Il n’y a pas qu’en Belgique que les liens entretenus entre les sommets syndicaux et les partis de l’establishment soi-disant ‘‘de gauche’’ constituent un grand problème…

    Quant au PAME, le syndicat lié au Parti Communiste grec (KKE), sa rhétorique radicale masquait une absence de plan de lutte clair et offensif et dans les faits, il s’est limité à un appel à voter pour le KKE. Tout au long de ces deux dernières années, les directions syndicales n’ont en définitive appelé à des actions que parce qu’elles y étaient contraintes sous la pression des masses, mais elles se sont succédées sans que la prochaine étape de la lutte ne soit bien claire et sans qu’un plan d’action et une stratégie ne soient élaborés pour mieux canaliser la colère et la combativité des masses vers la réalisation d’un programme politique alternatif.

    D’autre part, les deux grands partis de la gauche radicale (le KKE et Syriza, une coalition de la gauche radicale) ont eux aussi manqué de mots d’ordres clairs tant sur le plan syndical, en ne voulant pas se confronter aux dirigeants syndicaux qu’au niveau politique, en refusant durant longtemps de mener campagne pour le refus du paiement de la dette ou encore la nationalisation du secteur financier. Pourtant, la radicalisation à l’oeuvre dans la société grecque est telle que ces deux revendications disposent d’un soutien majoritaire dans la population !

    Les travailleurs de la base et la population au sens plus large se sont donc retrouvés désemparés. La colère s’est donc également exprimée par d’autres canaux, comme avec le mouvement des Indignés grecs, qui a eu une base réellement massive dans la jeunesse grecque (mouvement que le KKE qualifiait de ‘‘petitbourgeois’’ en refusant de s’y impliquer), ou avec le mouvement pour le non-paiement (des péages autoroutiers, des transports publics,…). Mais la colère est aussi devenue frustration, ce qui a ouvert la voie à la violence dont ont tant parlé les médias grecs et internationaux. Faute de savoir comment poursuivre et accentuer la lutte, de nombreuses personnes, beaucoup de jeunes mais pas seulement, ont perdu patience. Cela a offert un terreau fertile aux théories basées sur la casse et l’action directe violente défendues notamment par une partie du courant anarchiste et favorisées par l’activité d’agents provocateurs. Mais en première instance, la responsabilité de cette violence est à trouver dans l’absence d’un plan de combat audacieux pour le mouvement. Il semble que tant les directions syndicales que celles des grands partis de gauche ne savent pas que faire des possibilités ouvertes par cette situation.

    Les élections d’avril et la question du pouvoir

    Car les possibilités sont nombreuses et historiques. Le gouvernement a annoncé le 13 février la tenue d’élections en avril et les données issues des sondages sont tout bonnement extraordinaires (les données qui suivent sont issues d’une enquête réalisée en février par l’institut Public Issue). Lors des dernières élections de 2009, le PASOK (équivalent local du PS) avait obtenu 43,9% contre… 8% aujourd’hui. La Nouvelle Démocratie obtient quant à elle environ 31% (contre 33% en 2009). A gauche, le KKE est crédité de 12,5% (contre 7,5% en 2009) et Syriza de 12% (4,6% en 2009). Si l’on rajoute à ces données celles de Dimar (une scission modérée d’une des composantes de Syriza actuellement créditée de 18%), cela donne à la gauche de la social-démocratie et des verts le chiffre de 42,5%. Comme le système électoral grec accorde un bonus de 40 sièges supplémentaires au plus grand groupe parlementaire, la gauche radicale a le potentiel de constituer le gouvernement qui suivra aux élections d’avril ! Ces partis ont d’ores et déjà déclaré qu’ils ne comptaient pas respecter toutes ces mesures d’austérité, ce qui a fait dire au ministre allemand des finances qu’il faudrait postposer ces élections, parce que les gens risquent de ne pas voter comme il faut… En bref, c’est soit l’argent, soit la démocratie. Hélas, les principaux partis de gauche, le KKE et SYRIZA, refusent de mettre en avant un programme d’orientation socialiste et de collaborer ensemble pour les prochaines élections.

    Nos camarades grecs de Xekinima aident ces organisations à collaborer ensemble pour les prochaines élections, mais ne se limitent pas à la question électorale. Ils appellent à l’organisation d’un mouvement de grève générale illimitée et à des manifestations massives pour faire tomber le gouvernement le plus vite possible. D’autre part, ils appellent à l’extension du mouvement d’occupation d’entreprises qui se développe actuellement aux autres entreprises, aux universités et aux écoles, mais aussi aux divers quartiers des villes et villages afin de créer des points de rassemblement pour les divers mouvements de résistance, des endroits où discuter de l’organisation de la lutte mais qui peuvent constituer l’embryon de la nouvelle société à construire. Nos camarades ont proposé à tous les groupes de la gauche de se réunir pour prendre des initiatives dans cette direction.

    Tout comme nos camarades l’avaient défendu dans le cadre des occupations de places des Indignés, Xekinima appelle à l’élection démocratique de représentants aux cours d’assemblées générales dans tous les districts afin de coordonner ces assemblées aux niveaux local et national pour poser les bases d’un gouvernement des travailleurs.


    Quel programme contre celui de la troïka ?

    La politique de la troïka a déjà poussé l’économie grecque à se contracter de 15% au cours des dernières années. Le nouveau plan vise à réduire la dette publique grecque à 120 % du PIB d’ici à huit années, et n’est absolument pas crédible. La troïka prévoyait une récession de – 3 % pour 2011, la réalité fut de – 6 %. Pour 2012, la troïka parle de – 2 %, mais diverses prédictions parlent de – 4 %, voire même de – 7 %. Plus fondamentalement, faire payer la crise à la population sape les bases mêmes de l’économie, c’est comme scier la branche sur laquelle on est assis.

    Le dilemme est le suivant : ne pas faire payer les dettes aux travailleurs et à leurs familles et s’en prendre aux capitalistes déclencherait une grève du capital (fermetures d’entreprises, fuite de capitaux hors du pays, chute des investissements,…). Et faire appel à la ‘‘planche à billets’’ en imprimant de l’argent entraînerait une inflation gigantesque.

    Contre le programme d’austérité de la troïka, la seule politique capable de sortir la population de la crise est un programme socialiste basé sur le refus de payer la dette et sur la nationalisation du secteur financier ainsi que des secteurs clés de la société pour les placer sous le contrôle démocratique de la collectivité. Les assemblées de quartiers, d’entreprises,… constitueraient des endroits idéaux pour que les masses soient démocratiquement impliquées dans la production de richesses et leur utilisation. Ainsi, un réel programme de défense de l’emploi, de construction de logements sociaux, de gratuité des soins de santé et de l’enseignement,… pourrait être développé et concrétisé. La situation actuelle de la Grèce rend la réalisation de ce programme des plus urgentes. Cela constituerait aussi une impulsion monumentale aux luttes partout en Europe et dans le monde, et poserait le premier pas vers un monde débarrassé de l’exploitation capitaliste : un monde socialiste démocratique.

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