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  • États-Unis : Après la tragédie de Boston : non au racisme et à la répression !

    A Boston (1), un horrible attentat a été perpétré lundi contre le Marathon. Ce genre d’acte ne devrait jamais se produire où que ce soit dans le monde. On a vu d’innombrables actions de solidarité, comme lorsque les gens ont accouru vers le lieu de l’explosion afin de secourir les centaines de personnes qui ont été prises dans le souffle de destruction. Les participants au Marathon ont dû courir trois kilomètres de plus pour aller faire des dons de sang, et de très nombreux Bostoniens ont ouvert leur porte aux personnes sinistrées.

    Article par Bryan Koulouris, membre à Boston de Socialist Alternative, section américaine du CIO

    Des messages de solidarité ont été envoyés à Boston par les habitants de Kaboul en Afghanistan et de Bagdad en Iraq et même de l’équipe de base-ball de New York, le Yankee Stadium. Mais au même moment, les compagnies de soins de santé demandent d’énormes sommes d’argent pour effectuer les opérations chirurgicales nécessaires et les victimes se voient contraintes de demander des dons à d’autres citoyens, tandis que les milliardaires tirent d’immenses bénéfices de ce drame.

    Une des trois personnes tuées par l’explosion était un enfant de huit ans, Martin Richard, qui résidait dans le quartier populaire de Dorchester. La photo du petit Martin, portant un dessin qu’il avait fait pour réclamer la paix dans le monde après le meurtre raciste de Trayvon Martin, a fait le tour du monde et est devenu une des principales images associées à cette tragédie. Malheureusement, la mort de Martin Richard a été immédiatement suivie d’actes racistes.

    Dès le lundi, un étudiant originaire d’Arabie saoudite a été attaqué dans le quartier près de la ligne d’arrivée du Marathon pour son “comportement suspect” et pour son “odeur d’explosif” alors qu’elle s’enfuyait du lieu de l’explosion. Toute la première journée d’enquête a été perdue à cause de l’attention excessive qui a été accordée à cette fausse piste, du fait des préjugés racistes des enquêteurs.

    Les médias, et en particulier la chaine d’informations CNN, ont tout fait pour provoquer un sentiment islamophobe et anti-immigrant, en publiant la photo du Saoudien et en diffusant en continu de faux rapports de suspects et d’arrestations. Un de ces rapports faisait par exemple état d’un suspect “au teint basané”. Le même jour, la police de Boston était en train d’arrêter et de fouiller des jeunes latinos et afro-américains, dans une ambiance très militaire.

    Guerre, violence, terrorisme

    En tant que socialistes, nous condamnons absolument cette attaque terroriste. Quel que soit la motivation de ceux qui en sont à l’origine, de tels actes sont totalement réactionnaires. Les premières victimes en sont les simples travailleurs. Les méthodes des terroristes, telles que ce que nous avons vu à Boston, donnent un prétexte tout trouvé aux forces de droite pour renforcer le sentiment raciste et nationaliste dans la société. Cela a pour seul résultat un affaiblissement de la classe ouvrière, et dessert uniquement les intérêts des capitalistes.

    Les médias ont beaucoup fait état de ce que les auteurs de l’attaque étaient sans doute motivés par une idéologie terroriste islamiste de droite, en particulier vu les doléances du peuple tchétchène à majorité musulmane envers l’oppression brutale de leur pays par la Russie.

    Quand bien même de telles allégations seraient fondées, les attaques perpétrées à Boston ne parviendront pas le moins du monde à affaiblir l’impérialisme américain ou l’oppression des peuples tchétchène, irakiens, afghan, palestinien ou arabe par les puissances impérialistes. En fait, la véritable conséquence de tout cela est l’effet inverse, c’est-à-dire l’affaiblissement de la lutte du peuple tchétchène et de l’ensemble des peuples opprimés et le renforcement du pouvoir de l’État américain, en donnant un prétexte à la classe dirigeante américaine et internationale pour piétiner les droits de l’homme.

    Bien que nous nous opposons entièrement au terrorisme et à l’islam politique de droite, les travailleurs et les socialistes ne peuvent en aucun cas soutenir les méthodes racistes de l’appareil policier du capitalisme américain ni sa politique impérialiste à l’étranger perpétrée au nom de la “lutte contre le terrorisme”. L’élite au pouvoir tente en effet d’exploiter de manière cynique la juste colère de la population contre le terrorisme.

    Plutôt qu’une chasse aux sorcières racistes, nous devons forger l’unité de tous les peuples opprimés, de tous les travailleurs et de tous les jeunes du monde entier, afin de pouvoir nous attaquer à la racine du problème. Dans la même semaine au cours de laquelle s’est produite la tragédie de Boston, quatorze personnes ont perdu la vie et des centaines de personnes ont été grièvement blessées dans une usine d’engrais au Texas. Les conditions de travail dans cette usine violaient quotidiennement les normes de sécurité. Au même moment, vingt-deux vétérans de l’armée américaine se suicident tous les jours.

    Les travailleurs doivent s’unir contre la domination capitaliste afin d’obtenir dans les faits la sécurité au travail, le suivi psychologique des personnes en détresse et des soins de santé gratuits et de qualité. Cette lutte est capable de tous nous unir au-delà des frontières raciales, ethniques ou religieuses. Une telle approche d’unité des travailleurs peut former un puissant contre-poids à la violence religieuse et ethnique non seulement aux États-Unis, mais dans le monde entier.

    Les héros du Marathon

    Tout le monde connait à présent Carlos Arredondo, via d’innombrables images et récits médiatiques sur cet “homme au chapeau de cow-boy”. Carlos a accouru vers le site de l’explosion pour aider à évacuer les blessés vers les ambulances et le personnel médical. Son action a sans aucun doute permis de sauver des dizaines de vie. Une des personnes secourues par Carlos a été le premier témoin à donner à la police une description du “suspect n°” qui a été abattu lors d’une fusillade jeudi.

    Carlos est un immigré et un militant citoyen affligé par la perte de son fils Scott, tué en Iraq où il s’était engagé en tant que soldat. Lorsque le mouvement anti-guerre a connu son apogée, Carlos était présent à chaque manifestation. Carlos et sa compagne, Melida, étaient aussi présents sur le site de l’incident du Marathon.

    Parmi les héros oubliés de l’incident de Boston, figurent le personnel de l’Association des infirmier(e)s du Massachusetts (Massachusetts’ Nurses Association, MNA), un syndicat qui se bat tous les jours pour garantir les effectifs du personnel afin d’accorder des soins de qualité aux patients, face aux entreprises hospitalières privées dont le but est de “réduire les couts”. Les infirmier(e)s de la MNA ont soigné les victimes de l’attentat et poursuivront leur campagne de maintien des effectifs.

    Seamus Whelan, militant de la MNA et membre de Socialist Alternative, par ailleurs candidat aux élections pour la mairie de Boston, a déclaré que : « Après cette horrible attentat qui n’a causé que terreur et tragédie, nous voyons clairement la nécessité de soins de santé gratuits, garantis et de qualité. Le personnel médical, afin d’accorder un meilleur traitement aux patients, se trouveront à l’avant-garde de la lutte contre le plan d’Obama de coupes dans le budget de la sécurité sociale, de Medicare et de Medicaid ».

    Le débat sur l’immigration

    Les politiciens capitalistes qui se trouvent dans l’antichambre du pouvoir ont prévu d’entamer un débat sur l’immigration plus tard cette année. La récente tragédie est maintenant instrumentalisée par les médias de droite afin de renforcer le sentiment anti-immigration. Cela pourrait gâter le débat et le pousser vers la droite.

    Les jeunes qui ont été accusés d’avoir commis cet acte horrible sont des immigrés qui ont passé la plupart de leur vie aux États-Unis. Il est insensé d’attaquer l’ensemble des immigrés ou des musulmans pour cette unique raison. Depuis, on a déjà vu une femme musulmane se faire attaquer dans le quartier populaire de Malden. Contrairement à la propagande médiatique, la vérité est que la plupart des attentats et meurtres de masse qui ont été perpétrés et qui continuent à être perpétrés aux États-Unis l’ont en fait été par des hommes blancs non-musulmans.

    Toute attaque sur les droits civiques des travailleurs immigrés serait en fait une attaque sur l’ensemble de nos droits, puisque cela renforcerait le bras de la réaction contre les travailleurs et contre les jeunes. Toute loi soi-disant “anti-terroriste” qui prétend viser les “terroristes” ou les immigrés est en fait une attaque anti-démocratique déguisée qui sera ensuite utilisée contre les militants qui se battent contre le pouvoir des multinationales, comme on l’a vu ces dernières années, quand le FBI et la police ont étendu le champ des compétences anti-terroristes qui leur ont été octroyées après le 11 septembre 2001 pour pouvoir réprimer tous les militants du mouvement Occupy, les militants anti-guerre et les militants syndicaux.

    Socialist Alternative est en faveur de la naturalisation immédiate et complète de l’ensemble des travailleurs sans-papiers. Cela est bien loin de la pseudo-“réforme de l’immigration” proposée par Obama, dont le but n’est que de fournir aux grands patrons une main-d’œuvre bon marché et constamment menacée de déportation, tout en créant un processus long, cher et humiliant que les sans-papiers doivent accomplir afin de se faire naturaliser, tout en niant tout statut légal à la minorité de ceux qui sont aujourd’hui sans-papiers.

    La naturalisation des travailleurs immigrés renforcerait leur confiance dans leur capacité à lutter pour de meilleurs salaires et de meilleures allocations sociales. Cela renforcerait l’ensemble des travailleurs à la table des négociations et dans les luttes contre les coupes budgétaires. Les immigrés ont toujours contribué à construire les syndicats aux États-Unis, et ils continueront à le faire.

    Arrestation à domicile de masse, réjouissances

    Vendredi, près d’un million de résidents du Grand Boston ont reçu l’ordre de rester chez eux et de ne pas quitter leur domicile. On nous a dit que cela aiderait les enquêteurs à localiser le suspect, un jeune homme âgé de 19 ans, alors en fuite. Les rues étaient complètement abandonnées, Boston a été transformée en un tableau de film d’apocalypse.

    Le suspect a été attrapé peu après que cet ordre ait été levé, parce qu’un résident de Watertown, le faubourg où s’est déroulée la fusillade, a découvert le suspect sur son bateau en sortant de chez lui.

    Il y a alors eu une grande explosion de joie, tout le monde était réconforté en se disant que le cauchemar était terminé. Cependant, les effets de ces événements vont se faire sentir encore longtemps. La classe dirigeante a maintenant une occasion de faire passer de nouvelles lois “anti-terroristes” qui accroitront le pouvoir répressif de l’État et de continuer à diffuser une propagande de droite raciste, anti-islam et anti-immigration.

    Toutefois, la conscience de la population n’est pas la même que celle qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001, où on avait vu naitre un soutien massif à la guerre et aux attaques sur les droits démocratiques. Lorsque Socialist Alternative a dressé son stand dans la rue à Boston samedi, c-à-d un jour après l’ordre de rester à la maison, nous n’avons pas été confrontés à la moindre hostilité. Sur nos pancartes, il était écrit : « Défendons les droits démocratiques », « Non aux attaques contre les immigrés ».

    La plupart des gens sont épuisés par toutes ces émotions et cherchent des réponses. À la base de tout se trouve le système capitaliste qui crée l’aliénation, la guerre, la pauvreté, et le sentiment d’impuissance qui mène à de tels actes détestables. Seule la puissance de la solidarité des travailleurs peut surmonter ces calamités et le système qui les engendre.


    (1) Pour bien comprendre : située au nord-est des États-Unis, Boston est une ville de 5 millions d’habitants, la dixième plus grande ville des États-Unis. Capitale de l’état de Massachusetts, elle est aussi une des plus vieilles villes du pays, fondée par la première vague de colons britanniques en 1630. Aujourd’hui, elle est un important centre historique, économique et culturel. Le Marathon de Boston est quant à lui une véritable institution : il se déroule chaque année depuis 1897, avec en moyenne 20 000 participants et 500 000 spectateurs.

  • Syrie : Le massacre de Houla augmente la crainte d’une véritable guerre civile

    Le meurtre de 108 personnes près de la ville syrienne de Houla a interpelé et choqué dans le monde entier. Le meurtre de 49 enfants, dont beaucoup ont été tués à bout portant, est particulièrement odieux. Les tensions sectaires alimentées par cet acte barbare font planer la terrible menace d’un glissement vers un conflit plus large et d’une véritable guerre civile. Comme toujours, les travailleurs et les pauvres en souffriront le plus. En lutte contre le régime brutal de Bachar El Assad, la classe ouvrière doit s’opposer au sectarisme et à l’intervention impérialiste

    Niall Mulholland, Comité pour une Internationale Ouvrière

    Depuis 15 mois maintenant, des manifestations massives ont lieu dans beaucoup d’endroits de Syrie contre le règne dictatorial de la famille Assad, qui dure depuis plus de 40 ans. A l’origine, ces protestations se sont déroulées dans le cadre des révolutions au Moyen Orient et en Afrique du Nord. Mais en l’absence d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière dirigeant la lutte et avec de plus en plus d’intervention dans la région de la part de régimes réactionnaires tels que ceux du Qatar et d’Arabie Saoudite ainsi que l’ingérence impérialiste, le conflit syrien a de plus en plus adopté un caractère de guerre civile teinté de sectarisme.

    Les puissances occidentales, en particulier les USA, la Grande Bretagne et la France, ont été rapides à condamner les atrocités de Houla. Elles ont fait reporter tout le poids de la faute sur le régime syrien du président Bachar el-Assad, qui décline de son côté toute responsabilité. Il est certain que beaucoup de témoins et de survivants accusent les forces armées syriennes et les gangs de Shabiha (qui peut se traduire par ‘‘bandits’’), qui massacrent et enlèvent régulièrement les opposants. Les investigateurs de l’ONU ont dit qu’il y a des indices que les Shabiha aient accompli au moins une partie de la tuerie des 25 et 26 mai.

    Les accusations des puissances impérialistes sont toutefois profondément hypocrites et écœurantes. Des centaines de milliers de civils ont perdu la vie en Irak comme en Afghanistan du fait de l’invasion occidentale et de l’occupation. Dans le cadre de leur quête de pouvoir, d’influence et de contrôle des ressources, des attaques aériennes impérialistes de drones ont quotidiennement lieu au Pakistan, en Somalie et au Yémen. Le lendemain du massacre de Houla, une attaque de l’OTAN dans l’est de l’Afghanistan a déchiqueté les 8 membres d’une famille.

    Les puissances occidentales justifient l’utilisation de la force militaire en déclarant attaquer des cibles ‘‘terroristes’’, ce qui est une rhétorique similaire à celle de la dictature de Bachar el-Assad. Dans les deux cas, ces attaques au hasard, approuvées par l’Etat, équivalent à des exécutions sommaires et à de potentiels crimes de guerre.

    Environ 15.000 personnes sont mortes en Syrie, majoritairement des mains de l’armée Syrienne et des forces pro-Assad, depuis l’insurrection de mars 2011. Mais sous le mandat d’Obama, plus de 500 civils ont été tués par des attaques aériennes dans le seul Pakistan, dont 175 enfants.<p

    A couteaux tirés

    Les USA, appuyant l’opposition syrienne, et la Russie, soutenant le régime d’Assad, sont de plus en plus à couteaux tirés à mesure qu’empire la situation du pays. Cela se traduit par des conflits au Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la manière de traiter la dossier syrien.

    La Russie et la Chine ont voté contre les résolutions anti-Assad soutenues par les USA, la Grande Bretagne et la France. Malgré cette rhétorique, les positions des USA et de la Russie n’ont rien à voir avec la situation critique du peuple Syrien. Elles sont liées aux intérêts de leurs classes dominantes respectives et à celles de leurs plus proches alliés.

    Les USA, la Grande Bretagne et la France ont clairement affirmé qu’ils veulent la fin du régime d’Assad. Depuis longtemps, ils le considèrent comme un obstacle à leurs intérêts impérialistes dans la région. Ils veulent à sa place un gouvernement docile et pro-occidental. Suite aux révolutions de l’année dernière qui ont renversé deux alliés cruciaux de l’occident dans la région – Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte – les puissances impérialistes sont déterminées à s’assurer que la révolte populaire en Syrie ne dépasse pas des barrières de ‘‘l’acceptables’’ (c’est-à-dire vers une position d’indépendance de classe) et qu’elle reste à l’avantage des impérialistes.

    Les USA instrumentalisent l’échec du ‘‘plan de paix’’ de Kofi Annan (émissaire conjoint de l’Organisation des Nations unies et la Ligue arabe sur la crise en Syrie ) pour menacer d’entrer en action ‘‘en dehors du plan Annan’’ et de l’autorité du Conseil de Sécurité des Nations Unies, avec le soutien des plus proches alliés dans le conflit Syrien ; la Grande Bretagne et la France. Cela rappelle l’infâme coalition militaire menée par George Bush et Tony Blair qui a envahi l’Irak en toute illégalité.

    D’un autre côté, la Russie considère le régime d’Assad comme un allié crucial dans la région, un allié qui lui offre un accès à un port de Méditerranée. Le ministre russe des affaires étrangères a ainsi indiqué qu’il pourrait être préparé à mettre en œuvre ce qu’il appelle la ‘‘solution Yéménite’’, c’est-à-dire qu’Assad soit renversé alors que la plupart de la structure de son régime resterait en place. Cette solution est calquée sur un plan de la Ligue Arabe au Yémen, où le président Ali Abdullah Saleh a perdu le pouvoir en février 2012, après des mois de manifestations massives.

    Le Kremlin est cependant fermement opposé à toute intervention militaire occidentale, en particulier après l’expérience amère du conflit libyen l’an dernier. La Russie soutenait une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU basée sur la constitution d’une zone d’exclusion aérienne, une ‘‘no-fly-zone’’. Mais les puissances occidentales ont utilisé cette résolution pour permettre une intervention armée de l’OTAN en Lybie, déviant la révolution de sa trajectoire, renversant le régime du Colonel Kadhafi et, selon leurs propres termes, installant un régime pro-occidental.

    L’OTAN

    Bachar el-Assad ne semble pas prêt de perdre le pouvoir ou d’être placé devant le risque imminent d’un coup d’Etat. Alors que la Syrie est frappée par des sanctions économiques, une part significatrice de la population dont beaucoup d’hommes d’affaires sunnites, n’ont pas encore catégoriquement rompu leurs liens avec le régime. Damas parie aussi sur le fait que l’Ouest serait incapable de mener une intervention militaire directe du type libyen.

    Le ministre des affaire étrangères britannique, William Hague, a récemment menacé qu’aucune option ne puisse être écartée dans le traitement de Bachar el-Assad, laissant entendre la possibilité d’une action militaire occidentale. Mais l’attaque de l’OTAN contre la Lybie l’an dernier ne peut pas tout simplement être répétée en Syrie, un pays qui possède une population beaucoup plus élevée et dont les forces d’Etat sont, selon les experts militaires, plus puissantes, mieux entrainées et mieux équipées.

    Assad a à sa disposition une armée de 250.000 personnes, en plus de 300.000 réservistes actifs. L’an dernier, l’OTAN a été capable d’envoyer des milliers de missions aériennes et de missiles sur la Lybie sans rencontrer de réelle résistance. Mais la Syrie possède plus de 80 avions de chasse, 240 batteries anti-aériennes et plus de 4000 missiles sol-air dans leur système de défense aérien. Les stratèges militaires occidentaux admettent qu’une invasion du pays demanderait un effort monumental. Leurs troupes seraient irréductiblement embourbées dans de larges zones urbaines hostiles.

    Quant aux diverses propositions visant à aider la population et à affaiblir le régime Syrien sans offensive militaire directe (‘‘corridor humanitaire’’, ‘‘zone d’exclusion aérienne’’,…), elles exigent tout de même des opérations militaires offensives.

    Chaque ère protégée devraient très certainement être sécurisés avec des troupes au sol, qu’il faudrait ensuite défendre contre des attaques, ce qui exigerait l’envoi de forces aériennes. Les stratèges britanniques de la défense admettent qu’une action militaire quelconque contre la Syrie ‘‘conduirait presqu’inévitablement à une guerre civile encore plus aigüe et sanglante.’’

    De plus, la composition complexe de la Syrie (une majorité sunnite avec des minorités chrétienne, alaouite, druze, chiite, kurde et autres) entraîne le risque de voir l’intervention militaire occidentale déclencher une véritable explosion dans la région, sur bases de divisions ethniques et sectaires.

    Même sans une intervention occidentale directe, la Syrie continue de glisser vers une guerre civile ‘‘à la libanaise’’. L’implication directe des régimes locaux de droite et des puissances mondiales qui soutiennent soit l’opposition, soit le régime, encourage cela.

    Les puissances sunnites réactionnaires de la région, avec à leur tête l’Arabie Saoudite et le Qatar, utilisent la crise syrienne pour appuyer leur position contre les régimes chiites. Avec le soutien des USA et d’Israël, les régimes sunnites s’opposent à l’Iran, le plus important allié de la Syrie dans la région.

    Il apparait que la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les autres Etats du Golfe, chacun suivant son plan, acheminent des fonds et des armes à l’opposition Syrienne, avec le soutien tacite des USA. Une base de passage à la frontière existe même depuis la Turquie. Les forces d’opposition armée disent avoir tué 80 soldats syriens le weekend du début du mois de juin. En même temps, un commandant en chef des Gardiens de la Révolution en Iran a récemment admis que les forces iraniennes opèrent dans le pays pour soutenir Assad.

    Patrick Cockburn, le journaliste vétéran du Moyen-Orient, a écrit que les rebelles armés ‘‘pourraient probablement commencer une campagne de bombardement et d’assassinats sélectifs sur Damas’’ (Independent, dimanche 03/06/12). Le régime d’Assad riposterait en ayant recours à des ‘‘sanctions collectives’’ encore plus sauvages. Damas serait ‘‘ victime de la même sorte de haine, de peur et de destruction qui ont ébranlé Beyrouth, Bagdad et Belfast au cours de ces 50 dernières années.’’

    Le sectarisme s’approfondit. La minorité chrétienne craint de subir le même sort que les chrétiens d’Irak, ‘‘ethniquement purgés’’ après l’invasion américaine de 2003. Le régime d’Assad exploite et alimente cette peur pour se garder une base de soutien dans la minorité chrétienne, ainsi que chez les Alaouites, les Druzes et les Kurdes. Les USA, la Grande Bretagne, la France et l’Arabie Saoudite et leurs alliés sunnites dans la région ont utilisé sans scrupules la carte du sectarisme pour défendre un changement de régime à Damas et pour leur campagne contre l’Iran et ses alliés. Tout cela a des conséquences potentiellement très dangereuses pour les peuples des Etats frontaliers et dans toute la région.

    Le conflit Syrien s’est déjà déployé au Liban frontalier, où le régime d’Assad a le soutien du Hezbollah, qui fait partie de la coalition gouvernementale. Le conflit entre les sunnites et les alaouites pro-Assad dans la ville de Tripoli au Nord du Liban a fait 15 morts en un weekend. Ces dernières semaines, le conflit s’est dangereusement exporté à Beyrouth, faisant craindre la ré-irruption d’un conflit sectaire généralisé au Liban.

    La classe ouvrière de Syrie et de la région doit fermement rejeter toute forme de sectarisme et toute intervention ou interférence impérialiste.

    Intervention

    L’insurrection de mars 2011 en Syrie a commencé par un mouvement authentiquement populaire contre la police d’Etat d’Assad, l’érosion des aides sociales, les degrés élevés de pauvreté et de chômages et le règne de l’élite riche et corrompue.

    En l’absence d’un mouvement ouvrier fort et unifié avec un programme de classe indépendant, les courageuses manifestations massives semblent avoir été occultées et dépassées par des groupes d’oppositions armés et hargneux. Alors que beaucoup de Syriens restent engagés pour un changement révolutionnaire et résistent à la provocation sectaire, de plus en plus de dirigeants de ces forces sont influencés par les régimes réactionnaires de la région et par l’impérialisme.

    Les combattants islamistes de la province irakienne d’Anbar, de Lybie et d’ailleurs ont rejoint l’opposition armée libyenne. Une attaque à la voiture piégée à Damas qui a tué un nombre de personnes record en mai dernier est largement reproché aux combattants de l’opposition liés à Al-Qaeda.

    Le Conseil National Syrien (CNS), un groupe d’opposition exilé, demande une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies autorisant l’usage de la force contre Assad, ce qui paverait la voie à une intervention armée, à l’instar de la Lybie.

    Alors qu’une grande partie du peuple libyen est dans une situation désespérée et que certains peuvent sincèrement espérer une intervention militaire extérieure, les évènements en Lybie illustrent que l’implication de l’OTAN ne conduit ni à la paix, ni à la stabilité. Le nombre de morts a connu une percée après que l’OTAN ait commencé ses attaques aériennes sur la Lybie, se multipliant par 10 ou 15 selon les estimations. Le pays, ruiné par la guerre, est maintenant dominé par des centaines de milices en concurrence qui dirigeants des fiefs.

    Environ 150 personnes sont mortes dans un conflit tribal dans le sud de la Lybie en mars, et le weekend dernier, une milice a temporairement pris le contrôle du principal aéroport du pays. La supposée administration centrale du pays (le Conseil National de Transition, non-élu et imposé par l’Occident) a sa propre milice, le Conseil Suprême de Sécurité, fort de 70.000 hommes. Les dirigeants de l’opposition bourgeoise et pro-impérialiste en Syrie cherchent sans doute à être mis au pouvoir d’une manière similaire par le pouvoir militaire occidental.

    Révolutions

    Cependant, la menace d’une intervention impérialiste en Syrie et l’implication de plus en plus forte des régimes réactionnaires Saoudiens et Qataris n’ont aucune raison de soutenir le régime d’Assad. Pour les socialistes, l’alternative a été clairement montrée lors des révolutions de l’année dernière en Tunisie et en Egypte, ainsi qu’aux débuts de la révolte syrienne en 2011.

    Elles ont illustré que c’est le mouvement massif et unifié des la classe ouvrière et des jeunes qui est capable de renverser les despotes et leurs régimes pour engager la lutte pour un changement réel aux niveaux politique et social. La reprise du mouvement révolutionnaire en Egypte, suite à l’issue injuste du procès de Moubarak et de ses sbires, souligne que ce n’est que par un approfondissement de l’action de masse du fait de la classe ouvrière et des jeunes qu’il peut y avoir un véritable changement.

    Les travailleurs de Syrie, quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse, ont le droit de se défendre eux-mêmes contre la machine d’Etat d’Assad et contre toutes les milices sectaires. Les véritables socialistes, basés sur les traditions du marxisme révolutionnaire, appellent à la constitution immédiate de comités de défense indépendants, démocratiquement élus et contrôlés par les travailleurs, pour défendre les manifestations, les quartiers et les lieux de travail.

    Cela doit être lié à une nouvelle initiative de la classe ouvrière en Syrie, construisant des comités d’action dans toutes les communautés et les lieux de travail, en tant que base pour un mouvement indépendant des travailleurs.

    L’une de ses tâches serait d’enquêter indépendamment sur les responsables de la tuerie de Houla et de tous les autres massacres et assassinats sectaires. Cela montrerait aussi le rôle du régime d’Assad et de ses milices, ainsi que celui des puissances voisines et impérialistes.

    Comme partout, les Nations Unies sont incapables, à cause de leur asservissement aux principales puissances mondiales, d’empêcher les atrocités contre les civils ou de résoudre les conflits armés dans l’intérêt de la classe ouvrière.

    Suite au massacre de Houla, les grèves de ‘‘deuil’’ ont éclaté dans certains endroits de la Syrie. Les manifestations contre Assad continuent dans certaines villes, dont à Damas. Il est crucial que de telles manifestations prennent un caractère anti-sectaire et pro-classe ouvrière. Un mouvement de la classe ouvrière en Syrie développerait les manifestations de travailleurs, les occupations de lieux de travail et les grèves, dont des grèves générales, pour rompre avec le sectarisme et lutter pour le renversement du régime d’Assad. Un appel de classe aux soldats pauvres du rang à s’organiser contre leurs généraux, à se syndiquer et à rejoindre les manifestants, pourrait diviser les forces d’Etat meurtrières et les neutraliser.

    Les travailleurs syriens de toutes religions et ethnies ont besoin d’un parti qui leur est propre, avec une politique socialiste indépendante. Un tel parti avec un soutien massif peut résister avec succès au sectarisme et aux politiques empoisonnées du diviser pour mieux régner d’Assad, des régimes sunnites et chiites de la région et de l’impérialisme hypocrite.

    Un programme socialiste – appelant à un contrôle et une gestion démocratiques de l’économie par les travailleurs pour transformer les conditions de vie, créer des emplois avec des salaires décents et une éducation, la santé et les logements gratuits et de qualités – inspirerait les travailleurs et les jeunes à rejoindre le camp de la révolution.

    Sous un drapeau authentiquement socialiste, en opposition aux forces prétendument ‘‘socialistes’’ qui soutiennent le régime dictatorial de Bachar el-Assad, la révolte populaire contre le régime syrien appellerait les travailleurs de la région à étendre la révolution.

    En liant ensemble les mouvements révolutionnaires qui ont lieu en Syrie, en Tunisie, en Egypte et ailleurs en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, sur base d’un programme d’orientation socialiste, où les secteurs clés de l’économie seraient aux mains des masses, la classe ouvrière pourrait dégager les tyrans et porter de puissants coups au capitalisme pourri et à l’ingérence impérialiste. Cela pourrait se transformer en une lutte pour une confédération socialiste volontaire et équitable du Moyen-Orient, dans laquelle les droits de toutes les minorités seraient garantis.

  • Égypte : Nasser et le nationalisme arabe

    Des millions d’Égyptiens ont renversé Moubarak, le président tant haï. Maintenant, les travailleurs et les jeunes sont en train de discuter de ce qu’il faudrait faire ensuite. Les idées mises en avant par Nasser il y a 50 ans sont en train d’être réexaminées. Dans cet article, David Johnson revient sur l’histoire du régime de Nasser, et sur les leçons qui peuvent en être tirées pour la révolution qui a lieu aujourd’hui.

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Les jeunes manifestants de la place Tahrir n’avaient jamais connu que la vie sous Hosni Moubarak, qui a régné pendant 30 ans. Leurs aînés se souviennent par contre de ses prédecesseurs – Gamal Abdel Nasser et Anouar el-Sadate. Certains des travailleurs les plus âgés parlent toujours de la période Nasser, pendant les années ’50 et ’60, comme étant celle du “socialisme” – le parti établi par Nasser s’appelait en effet l’Union socialiste arabe (USA).

    Au cours des années ’70, Sadate a promu le libre marché capitaliste, allant jusqu’à changer le nom de l’UAS en Parti démocratique national – qui a été le parti au pouvoir jusqu’à l’éjection de Moubarak.

    Pendant le 19ème siècle, l’Égypte faisait partie de l’empire turc ottoman, mais en 1882, au cours d’une rébellion nationaliste, l’impérialisme britannique y a envoyé sa flotte et une armée d’occupation. La classe dirigeante britannique désirait protéger le canal de Suez et la route commerciale vers son empire des Indes, de même que ses investissements dans le coton, le principal produit d’exportation de l’Égypte. Le commerce du coton s’est accru pendant les vingt années qui ont suivi, enrichissant ainsi toute une couche de propriétaires terriens. C’est ainsi qu’en 1913, 13 000 propriétaires possédaient près de la moitié de toutes les terres cultivées, tandis qu’un million et demi de paysans n’en avaient que le tiers. Pendant la Première Guerre mondiale, les prix du coton ont fortement grimpé, de sorte que les riches propriétaires ont pu planter encore plus, augmenter leurs immenses profits, mais causant par là des pénuries de nourriture, et la hausse des prix pour les pauvres. De nos jours, l’agriculture égyptienne est également de plus en plus orientée vers des cultures non-vivrières d’exportation.

    Toute une série de financiers et d’hommes d’affaires ont émergé de cette couche de riches propriétaires terriens, grâce au profit obtenu par la production de marchandises qui ne pouvaient plus être importées, à cause de la guerre. L’industrie locale s’est rapidement développée, de sorte que la classe ouvrière s’est agrandie en termes de taille, mais aussi de militance, rejointe par tous les travailleurs employés dans les chemins de fer et dans les ports, secteurs florissants grâce à l’économie de guerre. Les classes capitaliste et ouvrière égyptienne en plein essor se sont alors toutes deux heurtées à un obstacle face à leurs propres intérêts : l’occupation de longue date par l’impérialisme britannique.

    Les capitalistes et les propriétaires terriens désiraient l’indépendance du Royaume-Uni afin de pouvoir consolider leurs intérêts politiques et économiques – mais ils craignaient un mouvement des travailleurs et des campagnes. Des postes gouvernementaux leur accorderaient le prestige et le pouvoir de récompenser leurs relations avec des contrats et des postes. Le plus grand des partis indépendantistes était le Wafd (la Délégation). Quarante pourcent de ses membres étaient des propriétaires terriens, les autres étaient des banquiers, des industriels et des hauts fonctionnaires.

    Les travailleurs désiraient l’indépendance afin de mettre un terme à l’exploitation et à leurs souffrances, qui s’étaient grandement accrues au cours de la guerre. En 1919, une vague de grèves massive et des manifestations ont forcé le gouvernement britannique à accepter des négociations pour l’indépendance. Trois ans plus tard, après des troubles persistans accompagnés de larges grèves, la Déclaration britannique annonçait la création d’un État égyptien “indépendant”, tout en maintenant un veto sur la politique étrangère, en protégeant les intérêts économiques britanniques et en maintenant une garnison britannique le long du canal de Suez.

    Révolution permanente

    Le sultan ottoman a été nommé roi. L’Éypte est ensuite passée par une phase d’instabilité gouvernementale, au cours de laquelle les gouvernements tombaient aussi rapidement qu’ils étaient mis en place – de 1922 à 1952, la durée de vie moyenne des gouvernements était moins d’un an. Les mêmes ministres (dont 60% étaient des propriétaires terriens) se relayaient aux différents postes. Les capitalistes égyptiens étaient incapables et d’ailleurs peu désireux d’accomplir les tâches d’une révolution capitaliste (ou “bourgeoise”) : le rejet de la domination étrangère, la suppression du pouvoir des seigneurs féodaux, le développement d’une économie capitaliste moderne. Les capitalistes, les banquiers et les propriétaires terriens étaient liés les uns aux autres. Tous craignaient la petite mais potentiellement puissante classe ouvrière plus qu’ils ne craignaient l’impérialisme britannique. En 1923, le premier gouvernement du Wafd avait d’ailleurs mis en place des lois visant à réprimer les partis de gauche et à bannir de nombreuses grèves.

    Seule la classe ouvrière, attirant à elle les masses des paysans pauvres, aurait pu accomplir les tâches de la révolution bourgeoise. C’est là l’essence de la théorie de la révolution permanente, développée par Trotsky dans le cadre de la Russie du début du 20ème siècle. Un gouvernement révolutinnaire ouvrier ne s’arrêterait cependant pas à la création des conditions d’un développement harmonieux du capitalisme, mais irait encore plus loin, en nationalisant l’industrie, les banques, et les terres, jetant les bases pour un plan de production socialiste. Un appel aux travailleurs des pays plus avancés sur le plan économique à suivre leur exemple aurait alors pour effet de propager la révolution socialiste partout à travers le monde, et fournirait aussi les ressources matérielles nécessaires au développement des pays pauvres.

    La révolution russe a brillamment confirmé cette théorie. Toutefois, les révolutions qui ont été déclenchées partout en Europe après celle-ci ne sont pas parvenues à produire d’autres États ouvriers. Les dirigeants du mouvement ouvrier soit ne sont pas parvenus à saisir l’occasion de prendre le pouvoir, soit, plus tard, sous l’influence de la bureaucratie stalinienne qui s’est développée dans l’Union soviétique dégénérescente, ont fait dérailler les mouvements révolutionnaires. Néanmoins, les privilèges de de la bureaucratie stalinienne dépendaient de l’économie étatique soviétique – un retour au capitalisme aurait signifié la perte de leur pouvoir. Les avantages de la planification étatique ont résulté en une rapide croissance économique, bien qu’à un cout bien plus élevé que si la démocratie ouvrière des premiers jours de la révolution avait survécu.

    Le Parti communiste égyptien a été fondé en 1922, mais était essentiellement basé parmi les minorités ethniques et religieuses. Il a suivi la ligne politique désastreuse prônée par Staline, et n’est jamais parvenu à devenir une force de masse. Au lieu de ça, la déception face aux maigres résultats fournis par l’indépendance ont mené à la croissance de l’association des Frères musulmans, fondée en 1928.

    La crise qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a contraint l’armée britannique à ordonner au roi Farouk de former un gouvernement Wafd, tandis que les tanks britanniques devant son palais garantissaient qu’il comprenne bien le message. Cette action a encore une fois révélé à quel point au final le pouvoir demeurait entre les mains de l’impérialisme. Elle a aussi révélé la faiblesse et l’hypocrisie de la classe dirigeante égyptienne, y compris du Wafd, qui vingt ants auparavant militait pour l’indépendance. Une période de stagnation et de conflit entre le roi et le gouvernement s’en est suivie, chacun tentant de placer ses propres partisans aux postes de pouvoir.

    Bien que l’économie du pays s’était accruee entre 1922 et 1952, le niveau de vie de la plupart des gens avait chuté. Le fossé entre les riches et les pauvres s’accroissait. Il était courant de prester des journées de 15 heures, et les usines employaient encore des enfants âgés de moins de dix ans. En 1950, seuls 30% des enfants recevait une éducation secondaire. Il y avait en 1952 deux millions de travailleurs dans l’industrie, soit un dixième de la force de travail. Des grèves de plus en plus larges, voire générales, ont eu lieu après la guerre, avec des manifestations d’étudiants et autres. Les partis et les journaux de gauche étaient interdits, et les militants arrêtés.

    La prise du pouvoir par les Officiers libres

    En 1947, la résolution des Nations-Unies qui divisait la Palestine en deux, préparant la formation d’Israël, a alimenté la colère, qui s’est accrue après la défaite de l’armée égyptienne au cours de la guerre de 1948. En 1949, treize officiers désaffectés ont commencé à se réunir en secret. Ils étaient tous âgés de 28 à 35 ans, fils de petits propriétairs terriens ou de fonctionnaires gouvernementaux. Nasser est devenu président de ce Mouvement des officiers libres. Sadate en était un des membres fondateurs.

    Le Mouvement a graduellement commencé à gagner en influence auprès des autres officiers. Lorsque, le 20 juillet 1952, un autre gouvernement faible a démissionné après seulement 18 jours, les Officiers libres sont entrés en action. Au cours de la nuit du 22 au 23 juillet, les troupes ont pris le contrôle de tous les bâtiments, routes et ponts stratégiques du Caire. Le roi corrompu s’est vu ordonner de prendre l’exil. C’est Sadate qui a annoncé la prise du pouvoir à la radio. Nasser est devenu vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur, puis premier ministre et président en 1954.

    Les Officiers libres représentaient la frustration de la classe moyenne par rapport à l’échec complet des politiciens capitalistes à développer la société. Contrairement à la faible classe propriétaire-capitaliste, l’armée était une force puissante et organisée. Les officiers désiraient le pouvoir politique, et se sont opposés à toute action indépendante de la part de la classe ouvrière. En janvier 1953, tous les partis politiques furent dissous. Tout comme les autres régimes du “tiers-monde” de cette période, l’armée égyptienne a joué un rôle “bonapartiste”, liguant les différentes classes sociales et groupements politiques les uns contre les autres afin de maintenir un équilibre. La presse, les conseils communaux et l’Ordre des avocats ont été purgés. En 1954, l’association des Frères musulmans a été bannie, ses dirigeants arrêtés et exilés en Arabie saoudite, de laquelle ils allaient revenir bien plus tard, après avoir adopté la version la plus extrême de l’islam wahhabite.

    Le programme du nouveau gouvernement parlait de nationalisme et de justice sociale. Ses objectifs étaient la destruction de l’impérialisme, l’éradication du féodalisme et la fin des monopoles. Toutefois, il n’y avait pas une politique économique claire, l’économie étant censée continuer sur base de la propriété privée. « Nous ne sommes pas socialistes. Je pense que notre économie ne peut prospérer que sur base de la libre entreprise », disait ainsi Gamal Salim, un des chefs des Officiers libres.

    Néanmoins, la plupart des capitalistes étaient pris de panique et beaucoup d’entre eux ont décidé d’émigrer. Les investissements dans le secteur privé ont fortement chuté, forçant le régime à aller dans une nouvelle direction. Une des premières mesures a été la réforme agraire, qui limitait la taille des possessions terriennes à 80 hectares. L’infime minorité de très gros propriétaires qui avaient dominé les précédents gouvernements a ainsi perdu la base économique de son pouvoir. Quinze pourcent des terres cultivées a été transféré à des paysans sans terre. Des coopératives ont été créées pour fournir des crédits à bas taux d’intérêt, des graines et des engrais. Mais plus de la moitié de la population rurale pauvre demeurait sans terre, les principaux gagnants étant les petits propriétaires.

    La crise du canal de Suez

    Deux superpuissances mondiales avaient émergé à la suite de la Seconde Guerre mondiale : les États-Unis et l’URSS. Elles essayaient toutes deux d’étendre leur sphère d’influence, ce qui les faisait entrer en conflit l’une avec l’autre dans de nombreuses régions du monde. Puisque leur arsenal nucléaire les menaçait toutes deux de “destruction mutuelle assurée”, les conflits prenaient la forme de guerres par agent interposé entre leurs régimes vassaux. Les gouvernements dits “non-alignés”, comme le régime de Nasser, tentaient de maintenir un équilibre entre ces deux superpuissances.

    En 1955, Nasser a indiqué un revirement de sa position en commandant des armes à l’URSS. Ceci pourrait avoir été un outil de pression afin d’obtenir plus d’armes de la part des USA. Il avait confié à l’ambassadeur américain qu’il préférait toujours une aide militaire américaine. Le pacte de Bagdad, signé en 1955 par le gouvernement britannique, avait aussi mis Nasser en colère. Ce traité crucial confirmait le maintien des intérêts de l’impérialisme en Iran, en Iraq et ailleurs au Moyen-Orient. Nasser s’était aussi attiré les foudres du gouvernement français en refusant d’appeler à la fin de l’insurrection en Algérie contre l’occupation française. Les mouvements indépendantistes se propageaient alors comme un feu de brousse à travers toutes les vieilles colonies européennes.

    Le gouvernement égyptien était au même moment en train de négocier des emprunts internationaux pour pouvoir construire le barrage d’Assouan – un immense projet qui allait grandement accroitre la superficie des terres cultivables et générer l’électricité nécessaire à l’industrialisation du pays. Les États-Unis et le Royaume-Uni avaient offert d’avancer l’argent pour couvrir un cinquième du cout, espérant que cela leur permettrait de se payer une influence auprès du régime. Toutefois, après le contrat d’armes en provenance de l’URSS, les États-Unis ont annulé leur offre en juillet 1956.

    Nasser a répondu à cela en annonçant la nationalisation du canal de Suez. La proclamation a été faite lors d’un meeting de masse à Alexandrie, où il expliquait que les revenus tirés du canal permettraient de financer le barrage. Un témoin a décrit la manière dont « Les gens sont devenus fous d’excitation ». À l’époque, l’exploitation du canal revenait à une compagnie française dont le principal actionnaire était le gouvernement britannique (la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, aujourd’hui connue sous les noms de “GDF Suez” , NDT).

    Ces deux gouvernements s’associèrent en secret avec le gouvernement israélien pour lancer une invasion de l’Égypte en octobre 1956. Cette invasion s’est révélée désastreuse pour le Royaume-Uni et pour la France, qui sont parvenues à atteindre leurs objectifs militaires, mais en suscitant une énorme opposition internationale. Les masses arabes partout au Moyen-Orient soutenaient le régime Nasser. Au Royaume-Uni, il y avait une opposition de masse. Le gouvernement américain voyait ses intérêts régionaux menacés, et exigeait la fin de l’invasion, allant jusqu’à imposer des sanctions économiques contre le Royaume-Uni. Ces trois gouvernements se sont vus forcés à une retraite humiliante. Au même moment, des tanks soviétiques parcouraient la Hongrie pour y réprimer la révolution politique qui y était en cours.

    Contrôle étatique de l’économie

    Nasser est sorti du conflit avec la réputation d’un dirigeant qui osait défier l’impérialisme – au contraire de tous les pseudo-nationalistes bourgeois qu’il avait remplacé. Il a immédiatement nationalisé les banques et entreprises françaises et britanniques. Deux mois plus tard, le reste du secteur bancaire et des compagnies d’assurance était nationalisé.

    Après l’échec du secteur privé à investir entre 1952 et 1956, la plupart de l’industrie, des entreprises commerciales et des autres services ont été nationalisés. Puis on est passé au contrôle étatique sur le commerce avec l’étranger, à la taxation progressive et à la confiscation de la propriété des 600 plus riches familles du pays. L’investissement d’État a renforcé l’industrie, dont la part dans le PIB est passée de 10% en 1952, à 20% en 1962. Le barrage d’Assouan a été terminé en 1968, triplant la production d’électricité.

    Entre 1952 et 1967, les salairs reéls ont augmenté de 44%, sans compter les subsides sur l’alimentation, la réduction du temps de travail, et la sécurité sociale. L’enseignement primaire est devenu gratuit en 1956, de même que l’enseignement secondaire en 1962, lorsque l’on garantissait à tous les diplômés un emploi dans le secteur public. Le nombre d’étudiants s’est accru de 8% par an entre 1952 et 1970. Le nombre d’employés d’État est passé de 350 000 en 1952 à 1,2 million en 1970, puis 1,9 millions en 1978.

    Ces mesures reflétaient l’équilibre des forces au niveau mondial ainsi qu’en Égypte. Le monde connaissait alors une période sans précédent de croissance écononique quasi ininterrompue et d’une ampleur jamais vue auparavant. Après la débacle de Suez, l’impérialisme était incapable d’intervenir en Égypte. La Russie stalinienne soutenait ce régime qui ressemblait tant au sien.

    En 1957, le contrôle étatique a transformé les syndicats en une de ses institutions ; les dirigeants syndicaux étaient grassement rémunérés pour empêcher toute organisation ou lutte ouvrière indépendante. Aucun élément de contrôle ouvrier ou de démocratie ouvrière n’était autorisé, sans lesquels le socialisme authentique ne peut exister. L’opposition était brutalement réprimée, y compris le Parti communiste. Les petits-bourgeois qu’étaient les Officiers libres trouvaient très attirante l’absence de droits démocratiques qui leur accordait un pouvoir sans conteste.

    Malgré le fait que le régime se décrivait comme étant du “socialisme arabe”, le capitalisme survivait en Égypte, bien que sous une forme déformée. Le capitalisme égyptien avait été trop faible pour se développer sans une intervention étatique massive. Sadate et Moubarak ont plus tard lancé des privatisations sans pour autant changer la nature de l’État – les secteurs clés de l’économie étant alors repris par des chefs de l’état-major et par des proches de Moubarak.

    Le nationalisme arabe

    En 1919, le Royaume-Uni, la France et la Turquie avaient redessiné entre eux la carte du Moyen-Orient, reflétant leurs propres intérêts impérialistes. L’appel au “pan-arabisme” qui embrassait l’ensemble de la région était en partie une réaction à ces États créés de manière artificielle, et aussi face au terrible héritage laissé par l’exploitation capitaliste. Nasser a utilisé le nouveaux média de cette période, la radio, pour obtenir une audience de masse à travers l’ensemble du Moyen-Orient. La Voix des Arabes, une station radio basée au Caire, lancée en 1953, surmontait les frontières nationales et l’analphabétisme, diffusant les idées du nationalisme arabe directement par-dessus la tête des autres gouvernements.

    En 1957, la Syrie traversait une profonde crise politique ; sa classe capitaliste était faible et incapable de gérer le pays. Les deux partis les plus influents étaient le Baas (Renaissance) et le Parti communiste (PC). Le PC, comme tous les autres partis staliniens, ne proposait ni un programme d’action indépendante de la classe ouvrière ni le socialisme. Ces deux partis espéraient pouvoir récupérer une partie de la popularité de Nasser, et l’ont approché avec des plans visant à unifier les deux pays. Les chefs de l’état-major syrien étaient eux aussi en faveur de ce plan. Parmi les conditions de Nasser pour l’unification, se trouvaient le démantèlement de tous les partis politiques, à part un parti unique contrôlé par l’État.

    C’est ainsi qu’a été fondée la République arabe unie (RAU), en 1958, renforçant encore plus la réputation de Nasser à travers l’ensemble du monde arabe. L’impact de cette union a mené la même année à la révolution en Iraq, et a presque causé la chute des gouvernements au Liban et en Jordanie.

    Cependant, aucun autre État n’a rejoint la RAU, et la Syrie a fini par la quitter après trois ans. Le programme de réforme agraire avait mis en colère les propriétaires terriens syriens, tandis que les capitalistes syriens refusaient les nationalisations. Les politiciens et les officiers militaires étaient mécontents de leur exclusion du pouvoir. La classe ouvrière, les ouvriers agricoles et les paysans n’avaient pas le droit de former leurs propres organisations et n’avaient aucun contrôle démocratique sur l’État.

    Un véritable État ouvrier aurait obtenu un soutien de masse grâce à la hausse du niveau de vie, à des programmes en faveur de l’éducation et d’une sécurité sociale. Une fédération d’États socialistes démocratiques aurait pu devenir un exemple éclatant pour l’ensemble du monde arabe. Mais un régime bureaucratique sans droits démocratiques et qui ne rompait pas pleinement avec le capitalisme était incapabe de surmonter les contradictions de l’État-nation. Chaque classe dirigeante mettait ses propres intérêts égoïstes avant tout.

    Après l’échec de la RAU, Nasser s’est encore plus tourné en direction de l’Union soviétique, avec encore plus de nationalisations. En 1962, une charte nationale définissait les objectifs de la révolution : “Liberté, socialisme, unité arabe”. Le parti officiel d’État a été renommé “Union socialiste arabe”, dont une partie allait en 1976 devenir le Parti national démocratique, qui allait constituer la base des régimes de Sadate et de Moubarak. (En novembre dernier, toute une série d’hommes d’affaires ont payé d’immenses sommes pour pouvoir devenir candidats du PND aux élections à la soi-disant assemblée populaire, sachant que le fait d’être élu les aiderait à obtenir des contrats gouvernementaux).

    Nasser soutenait la révolution algérien contre le régime colonial français, puis a soutenu en 1962 le renversement de la famille royale yéménite. Près de la moitié de l’armée égyptienne a été envoyée pour se battre au Yémen, où elle a subi de lourdes pertes pendant les cinq années suivantes. Sans un appel de classe envers les travailleurs et les pauvres, lié à un programme socialiste incluant la redistribution des terres et des droits démocratiques, les troupes égyptiennes se sont retrouvées embourbées dans une sanglante guerre civile.

    Cette intervention a été suivie en 1967 par la guerre de Six Jours contre Israël qui s’est soldée par une lourde défaite militaire, vu l’ampleur des pertes subies par les forces armées égyptiennes lors de leur intervention prolongée au Yémen. Pendant les tous premiers jours de cette guerre, le gouvernement égyptien a maintenu toute une série d’histoires concernant ses prouesses militaires, même alors que l’ensemble sa force aérienne avait été détruite et que son armée avait subi d’importants dommages.

    Nasser a assumé la pleine responsabilité de ses actes et a démissionné. Mais une manifestation de masse au Caire a demandé qu’il reste. Pendant 17 heures, les gens ont refusé de quitter les rues, jusqu’à ce qu’il retire sa démission. Toutefois, il n’a jamais pu regagner l’autorité dont il jouissait auparavant auprès des masses arabes. Des émeutes d’étudiants ont éclaté en 1968, en guise de protestation contre les responsables de la défaite militaire, mais reflétant aussi un mécontentement plus profond.

    Néamoins, lorsque Nasser est décédé en 1970, on estime à dix millions le nombre de gens qui sont descendus dans les rues pour assister à son enterrement. L’héritage de Nasser persiste, avec la nostalgie des années d’anti-impérialisme, de hausse du niveau de vie et d’amélioration de l’éducation.

    Le nassérisme de nos jours

    À l’époque, l’idée du socialisme bénéficiait d’un soutien large parmi les travailleurs, les pauvres et les jeunes partout dans le monde. Malgré le fait qu’il utilisait le mot “socialisme”, Nasser jouait en fait sur la rivalité entre l’impérialisme occidental et les États ouvriers déformés staliniens. Sans l’implication de la classe ouvrière, accompagnée des pauvres ruraux et urbains, le socialisme authentique ne peut être construit. Au lieu de ça, la voie était pavée pour les contre-réformes de Sadate et de Moubarak, basées sur le fait de donner un plus grand rôle au marché capitaliste.

    La population égyptienne est plus de deux fois plus grande qu’elle ne l’était dans les années ’60. La classe ouvrière est beaucoup plus grande, incluant de nombreuses personnes qui travaillent dans des usines géantes employant des milliers de personnes. La plupart vivent maintenant dans des villes. Il y a aujourd’hui une base bien plus forte qu’il y a un demi-siècle pour la fondation d’un socialisme démocratique dirigé par la classe ouvrière, et soutenu par les pauvres ruraux et urbains.

    La situation internationale en 2011 est complètement différente. L’Union soviétique a disparu, laissant la place à un monde dominé par une seule superpuissance. Mais les États-Unis et le capitalisme mondial ne sont plus dans la situation de pleine croissance longue de 25 ans qu’ils ont connue dans les années ’50 et ’60. Bien au contraire, ils se trouvent au beau milieu de la pire crise financière qu’ils aient connue depuis les 80 dernières années. Il n’y a aucune possibilité pour le développement rapide d’un nouveau gouvernement égyptien capable de fournir des emplois et de rehausser le niveau de vie, s’il demeure dans le cadre du capitalisme.

    L’idée de pan-arabisme a elle aussi changé. Bien qu’un fort sentiment de solidarité ait poussé la vague révolutionnaire partie de Tunisie à se propager à travers l’ensemble de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, les pays qui ont été formés de manière artificielle par les impérialistes européens il y a maintenant près d’un siècle ont depuis développé chacun leur propre identité nationale. Les manifestants brandissent leurs drapeaux nationaux, symbolisant leur désir de récupérer leur État qui se trouve entre les mains de dictateurs corrompus. Plutôt qu’un État arabe unifié tel que Nasser a tenté de le bâtir, une fédération démocratique d’États socialistes recevrait maintenant un large soutien à travers l’ensemble de la région. Mais l’idée du socialisme est aujourd’hui moins populaire, en conséquence de l’effondrement du stalinisme et de toutes ses retombées. La tâche des socialistes est de rebâtir ce soutien en le liant à un programme qui réponde à l’ensemble des problèmes auxquels sont aujourd’hui confrontés les travailleurs, les pauvres et les jeunes.

  • WikiLeaks : l’empire américain dévoilé

    Ce mardi 7 décembre, Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, actuellement l’organisation fauteuse de troubles n°1, a été arrêté après s’être rendu à la police londonienne. C’était là la dernière attaque contre cette organisation, parmi toute une série d’autres. Le site internet de WikiLeaks a subi des attaques sur sa liberté d’accès, des entreprises comme Amazon ou PayPal ont interrompus tous leurs services rendus à WikiLeaks tandis que des institutions financières comme MasterCard et Visa ont gelé ses comptes. Bradley Manning, un des fauteurs de troubles de WikiLeaks, a été arrêté en mai et est maintenant confronté à la cour martiale et jusqu’à 52 de prison.

    George Martin Fell Brown et Brandon Madsen, Socialist Alternative (CIO-États-Unis)

    WikiLeaks a été lancé en 2007 et fournit des méthodes sécurisées et anonymes à tout individu qui désire révéler des informations sensibles aux journalistes, généralement sous forme de documents originaux. Ce mois de juillet, nous avons vu la publication massive et sans précédent de plus de 90.000 rapports d’incidents et d’espionnage au sujet de la guerre d’Afghanistan de 2004 à 2009. Et, le 23 octobre, a suivi la publication de près de 400.000 documents américains classifiés se référant à la guerre en Irak.

    Au total, c’est près de 500.000 documents, auxquels il faut rajouter les plus de 250.000 câbles diplomatiques américains, qui sont en train d’être publiés en ce moment. Cette “mégafuite” dépeint une image bien sombre de l’armée américaine qui, en plus de sa malhonnêteté violente, est aussi embourbée dans une crise sanglante et insoluble. Mais plutôt que de faire face à ces problèmes de manière franche, le gouvernement américain a tourné son attention vers des attaques contre WikiLeaks afin d’éviter d’autres situations embarrassantes.

    Certains politiciens va-t-en-guerre tels que Peter King et Mitch McConnell ont accusé WikiLeaks de manière fort hypocrite en disant que l’organisation met en danger les troupes américaines en révélant des secrets gouvernementaux ! Mais c’est bel et bien, et avant tout, leur soutien aux guerres impérialistes en Irak et en Afghanistan qui est la cause de toutes ces années de carnage dans ces deux pays. C’est l’administration Bush qui a lancé toutes ces fausses accusations sur la prétendue présence d’armes de destruction massives en Irak, entrainant par là des centaines de milliers de morts. Si WikiLeaks avait existé à l’époque, alors tous ces mensonges auraient été révélés au grand jour et d’innombrables vies auraient été sauvées.

    Délits sexuels et “espionnage”

    Le tout dernier rebondissement dans cette affaire a été l’arrestation de Julian Assange pour la soi-disant charge de délits sexuels qu’il aurait commis en aout 2010 en Suède. Assange affirme que ce conflit provient du fait que ces rapports sexuels ont été consentis, mais non protégés. Toutefois, la justice l’accuse d’avoir eu un rapport non protégé avec une femme qui était endormie. Il a été libéré sous caution, mais reste maintenu sous surveillance à Londres et est menacé d’extradition vers la Suède.

    Ce sont là de graves accusations, qui ne doivent pas être prises à la légère. S’il y a la moindre véracité derrière elles, il faut mener une enquête. Cependant, la manière dont l’enquête a été menée jusqu’ici ôte beaucoup de crédibilité à l’affaire… Peu de temps après que l’enquête ait commencé, le procureur général, Eva Finné, a fait annuler les accusations et retirer le mandat d’arrêt, avec pour commentaire : «Je ne pense pas qu’il y ait de raison de le soupçonner d’avoir commis un crime» (Dagens Nyheter, 03/11/10). Toutefois, l’enquête a été rouverte après l’intervention de Claes Borgström, un politicien suédois haut placé.

    De même, il n’a pas encore été condamné pour un quelconque crime, et la Suède ne l’a jusqu’à présent convoqué que pour l’interroger au sujet de cette affaire. Néanmoins, l’Organisation internationale de la police criminelle (Interpol) a émis une ‘‘notice rouge’’ contre lui, sous laquelle il a été arrêté. Interpol n’a jamais, au grand jamais, montré le moindre intérêt dans une quelconque affaire de violence envers les femmes. En considérant le nombre d’actes de violence sexuelles qui se passent chaque seconde dans le monde (dont très peu sont effectivement suivis par la police), il y a beaucoup de raisons de soupçonner Interpol d’être en train d’utiliser cette affaire en tant que prétexte pour lancer une chasse à l’homme. Tout ceci suggère que les gouvernements britannique et suédois, sous pression des États-Unis, sont plus intéressés dans le lancement d’un procès pour hérésie contre Assange et WikiLeaks que dans l’avènement d’une nouvelle politique de lutte contre la violence faite aux femmes.

    C’est très certainement le cas pour le gouvernement américain, qui tente d’obtenir l’extradition d’Assange vers les États-Unis pour y répondre des chefs d’espionnage liés aux révélations faites par WikiLeaks. La sénatrice Diane Feinstein (Démocrate, Californie) a émis le souhait qu’Assange soit condamné selon les termes de l’Espionage Act de 1917. Il s’agit d’une loi très floue qui a été instituée sous le président Woodrow Wilson dans le but de réprimer l’opposition à la Première Guerre mondiale. Cette loi a connu son “heure de gloire” avec l’arrestation en 1918 du militant socialiste Eugene Debs, pour avoir fait un discours anti-guerre qui aurait pu “gêner le recrutement”.

    Feinstein exige également une peine de dix ans de prison pour chaque fuite, ce qui reviendrait à une peine totale de 2.500.000 ans de prison. Erie Holder, le procureur général d’Obama, a dit que les cadres américains étaient en train de mener une «enquête très sérieuse et active, qui est de nature criminelle» autour des fuites de WikiLeaks (New York Times du 08/12/10). Les sénateurs Joe Liberman (Démocrate indépendant, Connecticut), Scott Brown (Républicain, Massachusetts) et John Ensign (Républicain, Nevada), ont introduit une loi qui rendrait criminel tout média qui publierait des documents de WikiLeaks.

    Ces mesures représentent une grave attaque à la liberté d’expression et d’information. Il faut résolument s’y opposer. Quelles que soient les motivations derrière les accusations de délits sexuels en Suède, il est honteux que le gouvernement américain soit prêt à utiliser de telles charges en tant que levier pour attaquer la liberté d’information.

    Morts de civils et torture

    L’hystérie des gouvernements américains et du monde entier dans leurs attaques sur Julian Assange et sur WikiLeaks révèle une grave hypocrisie si on considère les révélations contenues dans les fuites elles-mêmes. Malheureusement, le gouvernement et les médias américains ont été capables d’utiliser les accusations suédoises afin de détourner l’attention des crimes bien réels et bien documentés qui ont été commis en Irak et en Afghanistan.

    Une chose qui saute aux yeux presqu’instantanément est le fait que le gouvernement américain a menti du début à la fin en affirmant que les morts de civils en Irak étaient maintenues au strict minimum, et qu’ils ne savent en réalité même pas combien de civils ont été tués. Les documents estiment qu’entre 2004 et 2009, des centaines de morts violentes de civils ont été enregistrées en Afghanistan, et plus de 66.000 en Irak, mais celles-ci n’ont jamais été publiquement révélées. Il ne fait aucun doute que ces statistiques ne représentent qu’une fraction du nombre de civils qui ont réellement été tués, mais même si on se réfère au système de comptage de l’armée américaine, ce nombre équivaut à trois fois le nombre de morts “ennemies” au cours de la même période (soit 23.984).

    Ceci ne devrait guère surprendre qui que ce soit, après avoir visionné la vidéo “Meurtre collatéral” également publiée par WikiLeaks un peu plus tôt dans l’année, qui montrait un groupe d’Irakiens et ce qui s’est avéré être deux journalistes de l’agence Reuters se faire bombarder sans aucun scrupule par des hélicoptères Apache américains dans les rues de Bagdad le 12 juillet 2007. Ils sont tous décédés. Cette vidéo a été suivie par une autre, montrant le meurtre d’un groupe d’hommes désarmés, tandis que leurs enfants trainaient d’autres blessés hors de portée. Quelles que soient les intentions des soldats impliqués, ces actes constituent clairement une violation des règles d’engagement, étant donné qu’aucun des individus pris pour cible n’avait affiché le moindre comportement hostile.

    Comme Glenn Greenwald l’a fait remarqué à ce moment-là, «Il y a un véritable danger que des incidents du type de ce massacre en Irak soient exposés d’une manière fragmentaire et inhabituelle : c’est à dire, la tendance de parler de cela comme étant s’il s’agissait d’une aberration. Ce n’en est pas une. C’est en fait le contraire : cela fait partie de la procédure standard que nous suivons lors de toute guerre, invasion ou occupation.» (Salon.com, 06/04/10)

    Cette position est soutenue à la fois par de nouvelles preuves et par la vidéo elle-même, dans laquelle les soldats dans l’hélicoptère reçoivent la permission d’ouvrir le feu avant même qu’ils n’aient rapporté quoi que ce soit qui puisse indiquer que les personnes bombardées représentaient une quelconque menace immédiate.

    De même, le scandale des actes de torture dans la prison d’Abu Ghraib en 2004 était un autre cas que l’armée a tenté de décrire comme un acte perpétré par “quelques individus pourris”. Il semble que des actes de torture aussi malsains que ceux-ci ou pire encore ont pu se poursuivre en Irak sous la supervision de l’armée américaine, tant qu’ils étaient effectués par les autorités ou par les forces de sécurité irakiennes. Un ordre fragmentaire (ou “frago” – un ordre qui altère un ordre existant) a bien clarifié le fait que les cas d’“abus d’Irakiens par des Irakiens” ne nécessitait “aucune enquête plus approfondie”. Les incidents d’actes de torture auxquels il est fait allusion dans les documents incluent l’électrocution, des foreuses électriques, et de temps à autre l’exécution de détenus. (bbc.co.uk 23/10/10)

    La réaction des autorités

    Le contrecoup politique qui a suivi ces fuites a été profond : l’ensemble de l’establishment politique a condamné en vrac toutes les fuites et a menacé de répliquer lourdement par des procès contre toutes les personnes impliquées. Certains conservateurs aux États-Unis ont été encore plus loin, comme le commentateur de Fox News qui a appelé à ce que l’éditeur en chef de WikiLeaks Julian Assange soit traité comme un “prisonnier de guerre”. Christian Whiton, un ancien cadre du département d’État, a déclaré que l’ensemble du personnel de WikiLeaks doit être classifié en tant que “combattants ennemis”, et a vigoureusement défendu le fait que des “actions non-judiciaires” soient utilisées contre eux. Un éditorial du Washington Times a dit que le gouvernement américain devrait ‘‘mener la guerre contre la présence sur internet de WikiLeaks’’, et d’autres déclarations similaires sont apparues sur le site de l’American Enterprise Institute (AEI). (The Independent, 27/10/10)

    Le soldat de première classe Bradley E. Manning, âgé de 22 ans – et qui est déjà accusé en tant que premier suspect dans le cadre de la publication de la vidéo “Meurtre collatéral” de même que de la vidéo d’un autre raid aérien et de la dernière fuite des 250.000 câbles diplomatiques américains – a lui aussi été classifié comme étant une “personne d’intérêt” en ce qui concerne les carnets de la guerre d’Afghanistan. Rien que sur la base des chefs d’accusation retenus contre lui, il pourrait être condamné à 52 ans de prison !

    Tandis que ces attaques contre les responsables des fuites sont en cours, l’administration Obama a en même temps tenté de dénigrer la portée de ces documents, utilisant l’argument éhonté selon lequel ceux-ci ne couvrent que la période qui a précédé la nouvelle offensive, alors que selon eux, la guerre se déroule à présent fort bien. Elle a aussi reçu une petite couverture de la part du Times de Londres, qui a résumé toute l’affaire en disant que «Après tout, les documents ne contredisent pas les rapports officiels de la guerre». Un peu plus récemment, Obama, dans une déclaration commune avec le Président mexicain Felipe Calderón, a condamné «les actes déplorables perpétrés par WikiLeaks» concernant les nouvelles fuites au sujet de la guerre contre la drogue. (New York Times, 11/12/10)

    Les efforts frénétiques réalisés pour contenir ces fuites et leur portée vont à l’encontre de toutes les promesses de “transparence” de l’administration Obama. La vérité est plutôt que le gouvernement se base sur le secret en tant qu’outil crucial avec lequel revigorer le soutien en faveur de la guerre, et c’est pourquoi il est tellement prompt à poursuivre les personnes responsables de la fuite de ces documents.

    D’ailleurs, cela aussi est confirmé par des documents en provenance de l’armée américaine et de la CIA qui ont été publiés précédemment par WikiLeaks, et qui mentionnent la nécessité de détruire WikiLeaks et comment susciter artificiellement un soutien en faveur de la guerre d’Afghanistan en France et en Allemagne. Ces documents comportent des chapitres aux titres tels que “L’apathie du public permet aux dirigeants d’ignorer les électeurs”. Dans un autre document de cette série, intitulé “Pourquoi compter uniquement sur l’apathie pourrait ne pas être suffisant”, la CIA esquisse d’autres stratégies cruciales pour assurer le soutien à la guerre, tels que l’utilisation de femmes afghanes pour faire des déclarations pro-guerre, afin de jouer sur la sympathie des français envers les réfugiés afghans. Elle souligne aussi l’utilité de Barack Obama en tant que belle gueule pour la guerre, et comme étant quelqu’un à qui la plupart des populations européennes à accorderont plus facilement leur confiance. (Glenn Greenwald, Salon.com 27/03/10)

    Poursuivre les taupes responsables de la diffusion de ces documents n’a rien à voir avec la protection de la population, comme de nombreux membres de l’establishment voudraient le faire croire, mais à plutôt tout à voir avec le “management de la perception” (encore une belle formule de la CIA). Pour le reste d’entre nous, ces taupes devraient être considérées comme des héros, prêts à risquer leur vie pour pouvoir livrer au public ces informations cruciales. Ces documents peuvent et doivent être diffusés aussi largement que possible afin d’exposer la brutalité et la futilité des guerres, et devraient constituer un incitant pour renouveler les efforts d’organisation dans le but d’y mettre un terme immédiatement.

    Action de protestation contre la censure de WikiLeaks par le gouvernement au siège d’Amazon.com

    Ce lundi 13 décembre, la cour du siège de Amazon.com a été inondée par une cacophonie de sifflets et de chants, tandis que 50 personnes protestaient contre la censure de WikiLeaks par le gouvernement américain. Malgré l’averse glaciale, les militants ont envoyé un message clair et sans équivoque à Amazon.com, comme quoi leur décision de censurer WikiLeaks en supprimant son site de leurs serveurs ne se fera pas sans bruit.

    Sous la pression du gouvernement américain, Amazon.com a été la première parmi toute une série d’entreprises qui sont en train de restreindre notre droit de connaitre ce que le gouvernement est en train de faire, en bloquant l’accès au site de WikiLeaks, et donc aux câbles diplomatiques américains, et en refusant de transmettre les dons comme pour PayPal, Mastercard ou Visa.

    Ceci est une attaque flagrante de notre liberté d’information, de presse et de parole – qui sont des éléments cruciaux et fondamentaux de la démocratie. Ceci représente une tentative de faire taire l’opposition croissante aux guerres impopulaires en Iraq et en Afghanistan, alors que de nombreux câbles révèlent un effort concerté de la part de l’administration Bush comme de celle d’Obama de tromper le peuple américain et le monde afin de pouvoir mener leurs guerres au Moyen-Orient.

    L’action, soutenue par Socialist Alternative, a obtenu un soutien large parmi les organisations militantes et la population. La liste des signataires inclut la Coalition de la communauté arabe américaine de l’état de Washington, les Vétérans d’Irak contre la guerre (section de Fort Lewis), les Vétérans pour la paix (chapitres 92 et 111), le Green Party du comté de Skagit, le Centre Whatcom pour la paix et la justice, le collectif Seattle uni contre la répression du FBI, Coffee Strong (une association de vétérans), les Femmes radicales, et le Parti socialiste pour la Liberté

    De concert avec les millions de personnes outragées par cette offensive inacceptable contre nos droits démocratiques, et tirant son inspiration des centaines de manifestants à Brisbane en Australie et au Royaume-Uni contre la censure de WikiLeaks, de même que des millions dans toute l’Europe qui ont décidé d’entrer en résistance contre les coupes budgétaires brutales dans les programmes sociaux, nous étions remplis d’indignation et avons scandé «Liberté de parole – sous l’attaque, que faisons-nous ? Levons-nous, ripostons !» Malheureusement, les médias de masse, malgré leurs belles promesses, n’ont pas daigné envoyer le moindre reporter, laissant aux travailleurs et aux jeunes la tâche de s’opposer au rôle perfide qui est joué par le gouvernement américain et par les corporations, et de défendre nos droits à la liberté de presse et de parole.

  • 5 ans de guerre pour le pétrole et le prestige

    Après cinq années de guerre en Irak, plus aucun doute ne subsiste sur le véritable motif de la guerre : le pétrole. Comme tout semble déjà avoir été dit, est-il encore nécessaire de débattre de cette guerre ?

    Thomas

    Oui car, malgré les images atroces vues à la télévision, malgré les documentaires accusateurs, malgré le courant continu de rapports qui décrivent la barbarie qui règne là-bas, tout n’a pas encore été dit. Car cette guerre n’est pas simplement une guerre pour le pétrole.

    Des Etats ne mènent pas des guerres pareilles uniquement pour des matières premières bon marché. Acheter le pétrole de Saddam aurait coûté moins cher que les centaines de milliards qui ont été injectés dans la guerre. Pourquoi alors cette guerre-ci a-t-elle pris une telle ampleur et est-elle si différente de la première guerre du Golfe ? Le problème se trouve dans les forces centrifuges qui secouent le capitalisme aujourd’hui.

    Guerre froide…

    En 1945, l’Union Soviétique avait émergé nettement plus forte que prévu de la Deuxième Guerre Mondiale. Elle avait une armée gigantesque et a pu relativement rapidement participer à la course aux armes nucléaires. Si l’Occident avait réagi de façon dispersée, il aurait été affaibli face à l’Union Soviétique. La guerre froide a permis de souder les Etats capitalistes autour des USA.

    La crise économique qui a commencé à se développer dès la fin des années ’60 a partiellement desserré ces liens. La chute du Mur en 1989 a alors offert l’opportunité aux USA de se profiler à nouveau comme l’unique superpuissance au monde. Mener une guerre rapide et réussie dans une région stratégique comme le Moyen-Orient était alors apparu comme la meilleure manière de le faire savoir au monde. Pénétrer à Bagdad au cours de la première Guerre du Golfe (1991) était inutile, les dirigeants américains ne voulaient pas de colonie mais seulement faire savoir qui était le plus fort.

    L’implosion de l’Union soviétique a fait disparaître l’ennemi extérieur. Les forces centrifuges ont alors repris force dans le camp occidental. Désormais, les USA, l’Union Européenne, le Japon, la Chine et la Russie luttent durement pour les matières premières et les marchés.

    La situation a été rendue plus tendue encore avec la montée des inquiétudes économiques. Les USA ont bien l’économie la plus forte mais elle repose sur une énorme montagne de dettes. Leur croissance économique est de plus en plus dépendante de leurs relations avec la Chine. La perspective de difficultés économiques et politiques à venir a été en 2003 la principale raison de la deuxième Guerre du Golfe et de la décision des USA de renverser Saddam et d’occuper l’Irak. Cette fois, l’idée que l’Irak leur fournirait à bon marché le pétrole dont ils avaient tellement besoin l’a emporté.

    Mais le prix à payer est énorme. La guerre, qui dure depuis 5 ans, a déjà coûté aux USA près de 3.000 milliards de dollars (selon l’étude du Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz). 700.000 Irakiens sont morts (pour 4.000 du côté américain), 2 millions de personnes ont fui le pays et en Irak même, il y a aussi 2 millions de réfugiés ayant fui leur région d’origine. La division religieuse et ethnique a balayé les discours sur la « démocratie » et la « stabilité ».

    Face à cela, il n’y a rien à attendre d’une victoire électorale des Démocrates, un parti qui ne s’est jamais distancié de l’impérialisme et dont les candidats veulent maintenir à l’avenir au moins 100.000 hommes en Irak. Le seul moyen pour en finir avec cette barbarie, c’est de construire, en Irak comme aux USA, une force qui remette vraiment en cause l’impérialisme et sa politique de guerre et de pillage.


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  • L’impérialisme américain : affaibli et impopulaire, mais quelle est l’alternative ?

    L’impérialisme américain s’embourbe dans les problèmes. La guerre contre le terrorisme en Afghanistan et en Irak a provoqué plus d’instabilité et de terrorisme. D’autres alliés, comme le Pakistan, sont également touchés par ces convulsions. Aux USA, le moteur économique commence à capoter et on parle de récession. Ce dossier se propose de brosser l’état des lieux de l’impérialisme américain.

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    Vers une récession dure? Quelques citations

    “Si, en plus, le protectionnisme freine l’arrivage de marchandises bon marché venant d’Asie, nous entrerons bientôt dans une situation de récession économique combinée à une inflation galopante de 5 à 8 % (voire plus), bref à une stagflation. Une telle situation est à l’ordre du jour, mais le calendrier exact est difficile a estimer. Cela peut se produire à tout moment comme cela peut également être reporté. Mais plus ce sera postposé, plus la crise frappera durement, tout comme la désintoxication est plus dure si l’intoxication a été longue. L’effet sur la lutte de classe est difficile à juger. La période précédente de stagflation a provoqué une vague révolutionnaire qui a menacé l’existence du système. Les réserves construites pendant la période d’après- guerre et l’autorité qu’avaient les partis sociaux-démocrates et « communistes » (là où ils avaient une base de masse) ont finalement pu freiner ce mouvement. Mais il suffit de se rappeler les acquis de Mai ’68 – le mouvement de démocratisation de l’enseignement qui n’est toujours pas entièrement détruit – ou la Révolution des Oeillets au Portugal et les diverses révolutions dans les anciennes colonies pour en mesurer l’impact.” (“Stagflation: syndrôme d’une maladie chronique” Alternative Socialiste no 126, novembre 2007, à relire sur les sites socialisme.be ou marxisme.org)

    “Les USA n’ont connu que deux récessions ces 25 dernières années qui étaient l’une et l’autre une récession brève et douce. Il y a lieu de penser que la prochaine crise, lorsqu’elle viendra, sera plus grave.” (Wall Street Journal)

    “Le marché immobilier américain a connu la crise la plus grave depuis les années septante, avec des baisses de prix de 8% en moyenne depuis le pic de 2005, mais de 40% dans les régions les plus touchées. Le marché part de l’idée que la baisse pourrait continuer jusqu’à 30%. Cela augure de la direction que l’économie américaine pourrait prendre. Avec un taux de chômage record depuis deux ans (5% en décembre) et qui pourrait atteindre les 7% selon certaines estimations, le consommateur américain (qui a longtemps été considéré comme le moteur de la croissance mondiale) pourrait jeter le gant. La consommation des ménages a chuté de 0,4% en décembre. Les ‘experts’ en discutent encore, mais six Américains sur dix jugent que le pays est déjà en récession.” (The Economist du 12 janvier 2008)
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    La guerre contre le terrorisme n’est pas une grande réussite. Dès le début de la guerre en Irak en 2003, nous avons publié une brochure écrite par Peter Delsing qui expliquait les tenants et les aboutissants de cette “guerre pour le pétrole”. Cinq ans après, nous avons interrogé Peter sur la situation actuelle de la guerre.

    Trente mille soldats supplémentaires ont été envoyés sur place, l’impérialisme américain a-t-il réussi à stabiliser l’Irak après cette augmentation des troupes? Quelle est la situation en Irak même?

    “L’invasion en 2003 faisait partie des projets de l’aile néoconservatrice des Républicains. Ces projets existaient depuis longtemps et visaient au remodelage du Moyen-Orient. Les attentats du 11/09 ont fourni le prétexte rêvé à leur mise en oeuvre. Cette guerre devait permettre à Bush et Cie de rétablir leur emprise sur cette région vitale et pétrolifère et aussi de soutenir leur allié local : Israël. Les régimes en Irak et en Iran étaient une cause permanente d’exaspération pour les Etats-Unis. Bush n’aurait jamais envahi l’Irak s’il n’y avait pas eu de pétrole sous son sol. Mais Bush s’est fourvoyé sur la possibilité d’y établir un régime à sa botte.”

    “Le gouvernement de Maliki en Irak est assis sur un cimetière social. Chaque jour, des centaines d’adultes et d’enfants meurent des conséquences de l’occupation : le terrorisme, la violence, la misère, le grand banditisme, etc. En réalité, une guerre civile intercommunautaire y fait rage, entre chiites et sunnites ou entre Arabes et Kurdes. L’eau potable, l’électricité et même l’essence font défaut. L’augmentation des troupes a eu pour effet de militariser quasi complètement la ville de Bagdad et n’a fait que déplacer la violence ailleurs. Par exemple, les attentats terroristes se sont récemment multipliés au Kurdistan.

    “Ces divisions communautaires que les Américains ont institutionnalisées ne peuvent mener qu’à des conflits de plus en plus aïgus pour la répartition des maigres ressources encore disponibles. La seule alternative viable serait une lutte commune des masses laborieuses et pauvres pour assurer leur propre sécurité et la défense des besoins de base. Cette lutte devrait être liée au respect du droit à l’autodétermination des différentes composantes de l’Irak et enfin à la lutte pour la transformation socialiste de la société.”

    Quels sont les effets de cette politique impérialiste sur le reste du Moyen-Orient?

    “Parlons d’abord de l’autre aventure impérialiste, celle d’Afghanistan. Un politicien britannique a récemment déclaré qu’on sous-estimait la position délicate du gouvernement de Karzaï. Fin janvier, les USA ont déplacé 2.200 marines vers l’Afghanistan, car la menace d’une offensive des Talibans se précisait dans le sud du pays. Lors du Forum Economique Mondial à Davos, Karzaï a même mis en garde contre “un embrasement du terrorisme” dans la région. Une telle instabilité – que renforcerait encore un possible effondrement de la société au Pakistan – montre bien l’impossibilité de développer ces pays dans le cadre du capitalisme et de l’impérialisme. Les conditions sociales y sont déjà telles qu’une récession mondiale pourrait donner le coup de grâce à plusieurs régimes instables.”

    “Au Moyen-Orient, comme dans les pays du Golfe, il existe une élite riche qui nage littéralement dans les profits pétroliers. De l’autre côté, il y a une population souvent jeune, mais désorientée par la décadence capitaliste. La politique de Bush et de ses marionnettes locales a joué en faveur du fondamentalisme islamique, au Liban avec l’ascension du Hezbollah, à Gaza avec celle du Hamas. La soi-disant initiative de paix de Bush à Annapolis, en novembre de l’année passée, a donné plus de moyens au Fatah en Cisjordanie. Mais Israël continue à y construire des logements pour les colons.”

    “En janvier, Bush a aussi fait une tournée dans sept pays arabes. Pour contrecarrer l’influence de l’Iran, il a vendu à l’Arabie Saoudite des bombes à guidage pour une valeur de 123 millions de dollars. Il en a aussi livré gratuitement 10.000 à Israël. D’autres contrats sont prévus pour une valeur totale de 20 milliards de dollars. La région devient une poudrière et l’exemple pakistanais n’a pas servi de leçon.”

    Quels seront les effets d’une récession aux USA sur la position de l’impérialisme?

    “Le prix du baril de pétrole a chuté légèrement depuis son pic de 10 dollars, mais il oscille toujours à un niveau élevé, entre 85 et 90 dollars. La crise financière actuelle – qui se traduira bientôt par des licenciements de masse, par des fermetures d’entreprises et par de nouvelles attaques sur les salaires et la sécurité sociale – se caractérise par l’éclatement des bulles artificielles qui maintenaient à flot le capitalisme en crise.

    “Dans les années 80, dans le sillage de Reagan et de Thatcher, les gouvernements ont relancer les profits en sapant le pouvoir d’achat des salariés et des allocataires sociaux. Ils ont cependant préféré recourir provisoirement à l’emprunt public plutôt que de lancer une offensive encore plus dure contre la classe ouvrière. Dans le cas de Reagan, il s’agissait d’investir dans l’appareil militaire.”

    “Au cours des dix dernières années, et surtout depuis la récession en 2001 aux USA, les dirigeants capitalistes ont essayé de différer une crise encore plus profonde en laissant enfler une bulle de crédits à bon marché. C’était le seul moyen pour que la population continue à consommer malgré des revenus qui ne progressaient plus ou même baissaient. C’est ainsi que les salariés se sont mis à dépenser leurs revenus futurs.”

    “La bulle du marché immobilier est en train d’éclater aux USA. A l’heure actuelle, les prix n’y ont diminué “que” de 8%. Mais avec quelles conséquences ! Cela a cependant suffi pour que la Bourse américaine recule sérieusement, entraînant derrière elle toutes les Bourses à travers le monde. En Inde, la bourse a chuté de 11% en une journée. Les analystes n’en estiment pas moins que la chute des prix pourrait atteindre les 30%. La bulle d’autres formes de crédits aux USA pourrait produire des effets comparables.

    “La bulle du ‘dollar fort’ est déjà en train d’éclater depuis un moment. Si elle devait éclater pour de bon, les exportations européennes auraient du mal à se maintenir et l’économie mondiale pourrait encaisser des chocs plus importants encore. “En outre, on ignore encore l’ampleur de la diffusion des ‘créances douteuses’ qui ont été converties en paquets d’actions. Un géant bancaire américain comme Citigroup a fait ses plus grosses pertes depuis 196 ans ! Un sentiment d’inquiétude, et même de panique, commence à s’installer parmi les dirigeants capitalistes. Il suffit de voir l’intervention énergique de la Federal Reserve (Banque Centrale Américaine) qui a réduit d’un coup ses taux de 0,75%. Les Américains sont endettés jusqu’au cou, mais Bernanke (le président de la FED) les incite à continuer dans cette voie.

    “Les remèdes des rebouteux néolibéraux fonctionnent de moins en moins. La classe ouvrière américaine sera appelée à jouer un rôle important dans la construction de nouveaux partis pour les pauvres, les salariés et leurs familles, dans le feu de la lutte pour une autre société, une société socialiste.”

  • Accuser l’impérialisme. “La Grande Guerre pour la Civilisation : La Conquête du Moyen-Orient”

    Qui donc porte la responsabilité de la catastrophe au Moyen-Orient ? Dans ce livre, le journaliste Robert Fisk tente de retracer tous les événements qui se sont déroulés dans cette région au cours des 30 dernières années.

    Revue par Per-Ake Westerlund.

    Fisk a connu plus d’aventures que la plupart des héros de films. Parmi les gens qu’il a interviewés en tant que reporter figurent l’Ayatollah Khomeini et Oussama ben Laden, l’un pour le Times, l’autre pour The Independant. Il se trouvait en Iran pendant et après la révolution de 1979. Il a visité plusieurs fois la ligne de front des deux côtés pendant la guerre entre l’Iran et l’Iraq, en 1980-88. Il a accompagné les troupes russes dans les années 80’s jusqu’en Afghanistan, et y a été battu par une foule en colère après les bombardements américains de 2001. Il est arrivé à Bagdad par le dernier avion juste avant que Bush ne lance ses premiers missiles en mars 2003.

    Fisk est toujours volontaire pour prendre des risques afin de se faire sa propre opinion sur ce qui se passe réellement. Il a de plus en plus défié la majorité des médias, par sa critique de la guerre d’Iraq et de l’oppression des Palestiniens par l’Etat d’Israël. Par conséquent, ce qu’il écrit vaut toujours la peine d’être lu, et c’est encore plus le cas pour ce livre, qui comprend plus de 1000 pages sur l’histoire récente du Moyen-Orient. Si le point de départ est la propre expérience de l’auteur, le thème n’en est pas moins la responsabilité des puissances occidentales dans la guerre, la souffrance et la dictature dans cette partie du monde. Une de ses conclusions est que « historiquement, il n’y a jamais eu d’implication de l’Occident dans le monde arabe sans que s’ensuive une trahison ».

    Fisk écrit que le 11 septembre n’est pas la raison de ce livre, mais plutôt une tentative d’expliquer l’enchaînement des événements qui a mené aux fameux attentats. Comment Oussama ben Laden a-t-il pu remporter tous les sondages de popularité ? D’où vient-il ? La réponse se trouve dans l’histoire. Tout au long du 20ème siècle, les puissances occidentales ont démarré des guerres, occupé des pays, et renversé des régimes au Moyen-Orient, encore et encore. Selon Fisk, tout Arabe raisonnable serait d’accord de dire que les attentats du 11 septembre sont un crime, mais demanderait aussi pourquoi le même mot n’est pas employé lorsqu’on parle des 17 500 civils tués par l’invasion du Liban par Israël en 1982. Alors que les régimes du Moyen-Orient – l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, la Palestine actuelle de Mahmoud Abbas – sont en excellents termes avec les Etats-Unis, ben Laden et d’autres islamistes ont rappelé aux masses toutes les guerres contre les musulmans dirigées par les USA et Israël. Avec l’échec sur le plan international des partis communistes staliniens et du mouvement social-démocrate à montrer la voie à suivre pour la lutte, c’est la religion qui est apparue comme un facteur politique. C’est le même facteur qui a également été utilisé par des régimes qui se prétendaient comme étant des musulmans authentiques – parmi lesquels le régime de Saddam Hussein des dernières années n’était pas des moindres.

    A la suite du 11 septembre, George Walker Bush, avec le soutien des « dirigeants mondiaux », a décidé de bombarder ce pays déjà dévasté qu’était l’Afghanistan. Lorsque ce pays a été envahi par l’Union Soviétique en 1980, cela était le début d’une guerre qui allait durer 16 ans, avec plus d’un million de morts et six millions de réfugiés. Le régime stalinien déclinant de Moscou fut forcé à une retraite en 1988, après une longue guerre contre les « saints guerriers » moudjahiddines, que le président Reagan saluait en tant que « combattants de la liberté ». Parmi eux se trouvait un contingent saoudite, mené par le milliardaire ben Laden, financé et encadré par la CIA, la monarchie saoudite, et le Pakistan. A partir de 1988, le pays sombra dans la guerre civile entre différentes troupes de moudjahiddines, avant la prise du pouvoir par les Talibans en 1966. Les Talibans étaient des enfants de réfugiés afghans vivant dans la misère, élevés dans des écoles islamistes de droite au Pakistan, et armés par les services secrets pakistanais. Les Talibans prirent rapidement le contrôle du pays et établirent un régime islamiste fortement réactionnaire, notoire pour sa répression des femmes, son interdiction de la musique, etc. Oussama ben Laden, en conflit avec les Saoudites et les Américains après la première guerre d’Iraq en 1991, fut accueilli par les Talibans avec tous les honneurs.

    Malgré le caractère du régime taliban, Fisk avait prévenu à quoi allaient mener les bombardements de Bush Jr. L’Alliance du Nord, les troupes au sol alliées de Bush, était elle aussi constituée d’assassins islamistes de droite – bien qu’opposés aux Talibans. Le nouveau président, Hamid Karzai, est un ancien employé d’Unocal, une compagnie pétrolière américaine qui essayait d’obtenir un contrat avec les Talibans au sujet d’un pipeline reliant l’Asie Centrale au Pakistan. Les avertissements de Fisk s’avérèrent rapidement fondés, de sorte qu’aujourd’hui la population locale se retrouve de nouveau piégée dans une guerre entre les troupes menées par les Etats-Unis d’une part, et les nouvelles forces des Talibans de l’autre.

    Fisk nous fournit également un important récit des développements en Iran depuis1953, lorsque le Premier Ministre élu, Mohammad Mossadegh, fut renversé après qu’il ait nationalisé les installations de la Compagnie Pétrolière Anglo-iranienne (aujourd’hui devenue British Petroleum – BP). Dans les années 1980’s, Fisk a interviewé un des agents britanniques qui, avec la CIA, avait dirigé le coup d’Etat et installé le régime du Shah et de sa répugnante police secrète, la SAVAK. Le Shah devint un allié de confiance pour l’impérialisme américain en tant que fournisseur de pétrole et soutien militaire. A la base, cependant, le nationalisme iranien et la haine des Etats-Unis n’en furent que renforcés.

    La situation finit par exploser lors de la révolution de 1979. Fisk cite Edward Mortimer, un de ses amis reporters, qui avait décrit ce mouvement en tant que « révolution la plus authentique de l’histoire mondiale depuis 1917 ». La principale faiblesse de Fisk est qu’il ne comprend pas le rôle de la classe salariée, bien qu’il insiste sur le fait que « les pauvres des villes » furent la principale force de la révolution. Les slogans et les espoirs des travailleurs et des organisations de gauche pour une « démocratie populaire » entrèrent bientôt en conflit avec les intentions des islamistes et des mollahs. La classe salariée dans le nord de l’Iran avait confisqué la propriété capitaliste, tandis que le régime de Khomeini, basé sur des couches urbaines plus riches, était contre toute forme d’expropriation. Pendant une longue période, la gauche pouvait se rallier un large soutien. Fisk décrit la manière dont un demi-million d’étudiants manifestèrent avec le Fedayin, alors illégal, en novembre 1979. Khomeini dut agir petit à petit pour écraser la gauche et les organisations de la classe salariée. Il exploita au maximum le conflit avec l’impérialisme américain, conduisant les partis communistes pro-Moscou, comme le Tudeh, à soutenir Khomeini jusqu’à ce qu’ils soient démantelés de force en 1983. Même alors, le régime au pouvoir en Russie ne voyait aucun problème à fournir des armes à Téhéran. Des purges massives furent menées pendant la guerre contre l’Iraq, parfois sur base d’informations « anti-communistes » fournies par l’Occident. Au cours de l’année 1983, 60 personnes par jour ont été exécutées, parmi eux de nombreux jeunes.

    Lorsque la machine militaire de Saddam attaqua l’Iran en 1980, le sentiment dans les médias et chez les « experts » était que l’Iraq remporterait une victoire rapide. Mais les troupes se retrouvèrent rapidement bloquées sitôt passée la frontière, et l’armée iraqienne commença à envoyer des missiles sur les villes iraniennes, y compris des armes chimiques. Fisk donne des rapports détaillés et émouvants en provenance du front, décrivant les horreurs qui s’y passent et interviewant des enfants soldats, enrôlés pour devenir des martyrs.

    Les puissances occidentales ne remirent à aucun moment en cause leur confiance en Saddam – c’est en 1983 que Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la défense aux Etats-Unis, comme en 2003, rendit sa fameuse visite à Saddam – même si certains d’entre eux vendirent des armes à chacun des deux camps tout au long du conflit qui dura huit ans et coûta plus d’un million de vies. Plus de 60 officiers américains opéraient en tant que « conseillers militaires » auprès de Saddam, lequel bénéficiait également des données satellites de Washington. L’Arabie Saoudite paya plus de 25 milliards de dollars pour financer les frais de guerre de Bagdad. Le Koweït et l’Egypte furent eux aussi des mécènes enthousiastes. Même lors de l’Anfal, la terrible guerre que Saddam mena contre les Kurdes en Iraq du Nord, personne en Occident ne protesta. Rien qu’à Halabja, 5000 Kurdes furent tués par des armes chimiques les 17 et 18 mars 1988.

    La marine américaine était mobilisée dans le Golfe Persique, afin de menacer l’Iran. Un missile américain fut tiré sur un avion civil iranien qui transportait des passagers civils. L’hypocrisie américaine, cependant, fut révélée à tous lors de l’affaire Iran-Contra, en 1986. Les USA avaient vendu 200 missiles en secret à l’Iran dans l’espoir de pouvoir récupérer des otages américains qui avaient été capturés au Liban par des groupes liés à l’Iran. L’argent obtenu par la vente des armes fut ensuite envoyé aux troupes réactionnaires des Contra, au Nicaragua.

    Lorsque Saddam Hussein envahit le Koweït en 1990, il avait rendu visite à l’ambassadeur américain à Bagdad qui lui avait donné l’impression que Washington n’allait pas réagir. Il était toujours l’agent de l’Occident. En juin 1990, le gouvernement britannique avait encore approuvé la vente de nouvel équipement chimique à l’Iraq. Le Koweït avait fait partie de la même province de l’Empire Ottoman que l’Iraq jusqu’en 1889, et avait failli être à nouveau rattaché à l’Iraq en 1958, ce qui avait été empêché par les troupes britanniques.

    Mais l’enjeu ici était le pétrole, et les intérêts des autres alliés des Américains. Le régime saoudite invita les troupes américaines dans le plus important des pays islamiques, ce qui eut plus tard d’importantes répercussions. L’escalade qui mena à la guerre se forma sous l’illusion d’une alliance avec le drapeau des Nations-Unies, mais dans la pratique ce fut la plus grosse intervention américaine depuis la retraite humiliante du Vietnam. Mais cette fois-ci, la guerre démarra par un bombardement massif, qui dura 40 jours et 40 nuits, avec 80 000 tonnes d’explosifs, plus que pendant toute la seconde guerre mondiale. Parmi les cibles se trouvaient des ponts, des centrales électriques, et des hôpitaux. Les troupes de Saddam devaient se contenter de rations de survie, et fuirent de panique au moment où l’offensive au sol fut lancée. Entre 100 000 et 200 000 iraqiens furent massacrés par les attaques des avions, tanks et troupes américains.

    George Bush père appela alors à une grande insurrection contre Saddam, mais laissa les rébellions kurdes et chiites se faire réprimer ddans le sang. Fisk cite un officier américian disant "mieux vaut le Saddam que nous connaissons" que n’importe quel autre régime dont on serait moins certain. Plus de gens moururent lors de l’étouffement des émeutes qu’au cours de la guerre en elle-même, et deux millions de Kurdes devinrent des réfugiés.

    Les mêmes Etats arabes qui, quelques années plus tôt, avaient financé la guerre de Saddam en Iran, payèrent également la nouvelle facture, de 84 milliards de dollars. Et dans les deux années qui suivirent, les Etats-Unis vendirent des armes d’une valeur de 28 milliards de dollars à tous les pays de la région.

    Contre cet Iraq à l’infrastructure détruite et à la population appauvrie, les Nations Unies décidèrent d’appliquer toutes sortes de sanctions, qui conduisirent à ce que « 4500 enfants meurent chaque jour », selon Dannis Halliday, représsentant de l’Unicef en octobre 1996. Robert Fisk raconte la manière dont les enfants, victimes de munitions à l’uranium appauvri, souffrent de cancers – un mal dont souffrent également beaucoup de soldats américains. En plein milieu de la crise humanitaire, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne poursuivirent leurs raids de bombardements aériens, notamment le jour du Nouvel An 1999.

    Après le 11 septembre et les attaques sur l’Afghanistan, il était clair que Bush, Rumsfeld et leurs conseillers néoconservateurs visaient l’Iraq. Fisk énumère chacun des arguments qu’ils inventèrent pour se justifier, des « armes de destruction massive » aux « connections » avec al-Qaïda. De plus, George W Bush promettait « la démocratie pour tout le monde musulman », un objectif pour lequel il ne consulta que très peu ses amis d’Arabie Saoudite, d’Egypte et du Pakistan. L’appareil de propagande exigea alors que le soutien de l’Occident à Saddam soit oublié. La « guerre contre la terreur », à ce stade, signifiait aussi le soutien à Israël et à la guerre que la Russie menait en Tchétchénie. Les critiques de Fisk firent en sorte qu’il fut montré du doigt en tant que partisan du régime de Saddam.

    Cette guerre, que Fisk suivit à partir de Bagdad, signifiait encore plus de bombardements que 12 ans plus tôt. Fisk contraste les missiles dirigés par ordinateur aux hôpitaux sans ordinateurs qu’il visita. Les Etats-Unis lâchaient également des bombes à fragmentation contre les civils, ce qu’Israël a aussi fait par deux fois au Liban.

    Fisk demeura à Bagdad après sa « libération », le 9 avril 2003, lorsque le pillage de masse fut entamé. Les troupes américains ne protégeaient que le pétrole et les bâtiments du Ministère de l’Intérieur. A Bagdad, des documents vieux de plusieurs millénaires furent détruits lorsque les généraux américains pénétrèrent dans les palais de Saddam. Les Américains agirent comme le font tous les occupants, écrit Fisk. Les manifestants furent abattus ; Bremer, le consul américain pendant la première année, interdit le journal du dirigeant chiite Moqtada al-Sadr ; des soldats américains paniqués fouillèrent des maisons. Avec les prisons d’Abu Ghraïb et de Guantánamo, les Etats-Unis ont également copié les méthodes de torture chères à Saddam, allant jusqu’à réemployer le même médecin-en-chef. Les USA « quitteront le pays. Mais ils ne peuvent pas quitter le pays… », est le résumé que Fisk nous donne de la crise de l’impérialisme en Iraq, une description qui est toujours exacte aujourd’hui.

    Le livre de Robert Fisk contient beaucoup d’action, mais aussi de nombreux sujets d”analyse intéressants. Il écrit au sujet du génocide arménien de 1915 ; de la guerre de libération et de la guerre civile des années 90’s en Algérie ; de la crise de Suez en 1956. Il suit à la trace les producteurs du missile Hellfire utilisé par un hélicoptère Apache israélien qui tua des civils dans une ambulance au Liban. Il dit que le coût d’une année de recherche sur la maladie de Parkinson (qui emporta sa mère) est équivalent à cinq minutes de la dépense mondiale d’armes dans le monde. Il analyse la Jordanie et la Syrie ; il écrit au sujet de son père, qui était un soldat dans la première Guerre Mondiale. Ses critiques massives et bien fondées, toutefois, ne deviennent jamais des critiques du système, du capitalisme ni de l’impérialisme. A chaque fois qu’il parle des attaques militaires britanniques ou américaines, il dit « nous ».

    Les travailleurs et les socialistes eu Moyen-Orient et partout dans le monde doivent tirer les conclusions nécessaires de l’histoire de la région et des événements qui s’y déroulent actuellement. La classe salariée, alliée aux pauvres des villes et aux paysans, a besoin d’un parti révolutionnaire et socialiste, capable d’unifier la classe dans la lutte contre le capitalisme, l’impérialisme et la dictature, au-delà des différences religieuses et ethniques.

  • Plus que des Rois et des Reines… La vision marxiste de l’Histoire

    Naomi Byron

    On nous fait croire que le capitalisme est la meilleure manière d’organiser la société, que le socialisme est impossible. On nous fait croire que l’Histoire est faite par des personnalités remarquables comme les rois, les reines et les politiciens, et que les travailleurs n’ont pas le pouvoir de changer la société.

    Certains veulent même nous faire croire qu’il n’existe aucun moyen de comprendre comment se développe la société : les adeptes du post-modernisme, une théorie qui a gagné en popularité dans les années ‘90, affirment qu’il n’y a pas de lois générales qui gouvernent le développement de la société. Ce texte démontre que rien de tout cela n’est vrai.

    Pourquoi étudier l’Histoire ?

    Le capitalisme, le système sous lequel nous vivons aujourd’hui, est inégal et antidémocratique. Pourquoi ? Parce que le capitalisme est une société de classes basée sur l’exploitation de la classe des travailleurs (la majorité de la population) par la classe des capitalistes (une petite minorité de la population) qui possède et contrôle les industries et les institutions financières et qui domine les gouvernements et les institutions politiques.

    On nous fait croire que le capitalisme est la meilleure manière d’organiser la société, que le socialisme est impossible. On nous fait croire que l’Histoire est faite par des personnalités remarquables comme les rois, les reines et les politiciens, et que les travailleurs n’ont pas le pouvoir de changer la société.

    Certains veulent même nous faire croire qu’il n’existe aucun moyen de comprendre comment se développe la société : les adeptes du post-modernisme, une théorie qui a gagné en popularité dans les années ‘90, croient qu’il n’y a pas de lois générales qui gouvernent le développement de la société.

    Rien de tout cela n’est vrai. La théorie du matérialisme historique, développée par Marx et Engels, apporte un cadre d’analyse de la société humaine et des lois de son développement. Cette théorie explique que les sociétés de classes n’ont pas toujours existé, que les premières sociétés humaines n’étaient pas divisées en classes et qu’elles étaient basées sur la coopération et non sur l’exploitation.

    Ce texte a pour but de montrer comment les dirigeants d’aujourd’hui essayent de faire accepter à la population l’idée qu’il n’y a aucune alternative au capitalisme, mais aussi comment la réalité de la vie force la population à chercher une alternative et à expliquer les batailles d’idée que cela engendre. Plus important encore, elle explique les raisons pour lesquelles nous, la classe des travailleurs, avons le pouvoir de renverser le système capitaliste, tous ensemble, et de créer une société qui abolisse l’exploitation de classe, une société qui combine la démocratie, l’égalité et la liberté existant dans les premières sociétés avec les avantages des développements économiques, scientifiques et technologiques modernes : une société socialiste.

    1. La société humaine est basée sur des forces matérielles

    Matérialisme contre idéalisme

    Marx et Engels ont élaboré leur étude de la manière dont se développe la société humaine à travers une lutte acharnée contre les philosophes « idéalistes ».

    Beaucoup de gens pensent que le socialisme est « idéaliste », que c’est une bonne idée mais que c’est irréalisable (ce que Marx et Engels appelait l’« utopisme »). Au contraire, les idées du socialisme et du marxisme sont réalistes et très praticables car elles sont basées sur l’analyse du monde réel et de son fonctionnement.

    Contrairement à la manière dont la plupart des gens comprennent ce mot aujourd’hui, l’« idéalisme » désignait à l’origine un courant de la pensée philosophique. Les idéalistes pensaient que les idées viennent en premier et que la réalité matérielle arrive à l’existence en résultat de ces idées. Un idéaliste (en philosophie) dirait que les changements dans la réalité matérielle sont provoqués par les idées et non par des forces matérielles et que les idées ont une existence indépendante – et même sans relation – avec la réalité matérielle.

    Tout en reconnaissant que les idées jouent un rôle important dans le changement social, les marxistes sont matérialistes (ici aussi dans le sens philosophique du terme). Pour un matérialiste, la société humaine et l’histoire est modelée par des forces économiques et sociales matérielles – des choses et des processus bien réels – et les idées sont le reflet de cette réalité matérielle dans la conscience humaine.

    Les marxistes pensent que la société humaine est basée sur des forces matérielles. En d’autres mots, pour que n’importe quelle société humaine puisse exister, les humains doivent produire les biens de première nécessité qui leur permettent de survivre : la nourriture, un abri, de l’eau,… Ce sont des éléments matériels sans lesquelles nous mourrions. Mais la manière dont nous interagissons pour produire ces biens indispensables – qui sont les gens qui ont le contrôle sur les produits issus du travail et comment utilisent-ils ceux-ci ? – détermine le type de société dans laquelle nous vivons.

    Au commencement : l’évolution

    Sans certains facteurs physiques, la société humaine telle que nous la connaissons ne se serait jamais développée : le vaste cerveau humain, l’appareil phonatoire (la langue, le palais, les dents, les cordes vocales) et les pouces opposables.

    Le développement et la croissance du cerveau et de l’appareil phonatoire sont apparus à cause de la manière dont les humains ont évolué en interaction avec leur environnement. Les premiers humains étaient moins bien adaptés à leur environnement que beaucoup d’espèces. Ils ont compensé ce handicap en travaillant ensemble dans de larges groupes et en développant des outils.

    La croissance de la taille physique du cerveau humain (qui est beaucoup plus grand que celui de n’importe quel autre animal quand on les compare en tenant compte des poids de leurs corps respectifs), est à la fois le résultat du développement de l’intelligence humaine (provoqué par le besoin de coopérer et de fabriquer des outils) et la cause d’une nouvelle croissance. Avec une plus grande quantité de cerveau disponible à l’utilisation, les premiers humains ont eu plus de potentiel pour développer encore plus leur intelligence.

    Le fait d’avoir des pouces opposables nous permet de tenir, de fabriquer et d’utiliser des outils. Sans la belle habileté de manipulation que ceux-ci rendent possible, les premiers humains n’auraient pas été capables de développer et d’utiliser les outils sophistiqués qui leur ont permis de survivre et de prospérer dans un environnement changeant.

    Sans la large gamme de sons que l’appareil phonatoire nous permet de produire, les sociétés primitives n’auraient jamais pu développer les langages complexes qui ont permis de communiquer des idées et de coopérer sur une large échelle.

    En résumé, le développement de nouvelles capacités de faire face à la lutte pour la survie a provoqué des changements physiques. A leur tour, ces changements physiques ont ouvert de nouvelles possibilités pour le développement du langage, de la fabrication d’outils et des capacités mentales (comme la pensée abstraite). Et ces deux processus ont continué de se développer et de se renforcer l’un l’autre.

    Les sociétés de chasseurs-cueilleurs / le communisme primitif

    On nous a enseigné que les sociétés de classes ont toujours existé, que l’exploitation de classe est un aspect naturel et inévitable de la société humaine. Mais ce n’est pas vrai.

    Les premières sociétés humaines étaient des sociétés sans classe basées sur la coopération et le consensus et ne connaissant pas l’exploitation ou l’oppression systématique d’un quelconque groupe sur un autre.

    Ce type de société, habituellement appelée société de chasseurs-cueilleurs, n’a pas été un bref interlude dans l’exploitation et l’oppression que nous connaissons dans les sociétés de classe. Cela a été la seule façon dont les sociétés ont été organisée pendant plus de 100.000 ans, jusqu’à ce que des sociétés de classes commencent à se développer il y a environ 10.000 ans. Même aujourd’hui, il existe encore quelques régions dans le monde où des sociétés de chasseurs-cueilleurs existent encore (quoique ce ne sera peut-être plus le cas pour longtemps, car elles sont toutes sous la pression d’une absorption dans l’économie capitaliste mondiale). Pourquoi les sociétés de chasseurs-cueilleurs fonctionnaient-elles si différemment de la société actuelle ? La réponse tient à la manière dont la production des biens indispensables était organisée.

    Pour tenter de subvenir à leurs besoins, ces groupes combinaient, d’une part, la chasse d’animaux sauvages et la récupération de charognes et, d’autre part, la cueillette de plantes sauvages. Ils étaient à la merci de leur environnement et ne pouvaient stocker de grosses quantités de nourriture sur le long terme, en particulier parce qu’ils voyageaient généralement sur de longues distances à la recherche de nourriture, et ce pendant parfois plusieurs saisons.

    Chacun était intégré à la production des biens de première nécessité (nourriture, abri,…) car autrement tout le monde serait mort de faim. Il n’existait aucun espace dans lequel une élite aurait pu se développer en organisant l’exploitation du travail des autres.

    Il y avait souvent des différences dans le travail que faisaient les gens. Par exemple, dans beaucoup de sociétés de chasseurs-cueilleurs, les femmes semblent avoir consacré plus de temps à la garde des enfants tandis que les hommes se consacraient plus à la chasse, bien que cette division élémentaire du travail était très flexible et n’existait pas partout.

    Cependant, ces différences, là où elles existaient, étaient dues à des raisons pratiques et ne menaient à aucun jugement de valeur sur le statut de chaque type de travail ou des gens qui l’accomplissaient (comme c’est le cas aujourd’hui). C’est seulement quand la société s’est divisée en classes que la garde des enfants et les autres travaux associés aux femmes ont perdu leur valeur et que l’oppression systématique de la femme a commencé.

    Les sociétés de chasseurs-cueilleurs avaient tendance à vivre en petits groupes (la taille de ceux-ci dépendant des ressources dont ils disposaient) qui étaient liés à d’autres petits groupes vivant dans la même région. Les études sur les sociétés de chasseurs-cueilleurs réalisées au siècle dernier montrent que, dans de nombreux cas, celles-ci avaient développé des systèmes complexes de partage des ressources au sein des groupes et entre ceux-ci pour avoir une sorte d’assurance contre les famines et les conflits.

    Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, si un groupe se porte bien, il est dans son intérêt à long terme de partager les fruits de ses succès avec d’autres groupes. S’il dispose d’un surplus de nourriture qu’il ne peut pas manger ou conserver, il en donne une partie à d’autres groupes, sachant que les autres feraient pareil s’ils se retrouvaient dans la même situation.

    Ceci représente non seulement une aide pour ces groupes quand la nourriture se fait rare, mais aussi un moyen de réduire les conflits entre eux. Quand chacun dépend de chacun, il est dans l’intérêt de tous d’éviter les conflits.

    Marx et Engels ont décrit ces sociétés de chasseurs-cueilleurs sous le nom de « communisme primitif » parce que la manière dont les biens essentiels étaient produits et distribués dans ces sociétés – leur « mode de production » – produisait en retour une méthode démocratique et coopérative de prise de décision. La citation ci-dessous décrit comment ce processus se déroulait entre des groupes de Boshimans parlant la langue G/wi dans la réserve du Kalahari central du Bostwana à fin des années ‘50 et au début des années ‘60: « Le consensus est atteint au terme d’un processus d’examen des divers scénarios d’action possibles conduisant au rejet de tous sauf un. C’est un processus d’élimination successive de propositions jusqu’à ce qu’il n’en subsiste plus qu’une qui ne rencontre plus d’opposition significative. Celle-ci est alors adoptée par le groupe. Le fait que ce soit le groupe dans son ensemble qui décide est à la fois nécessaire et suffisant pour légitimer ce qui est décidé et pour rendre la décision contraignante pour tous ceux qu’elle concerne ou qu’elle affecte. » (Political process in G/wi bands by George Silberbauer (extrait de Politics and history in band societies, edited by Eleanor Leacock and Richard Lee, published by Cambridge University Press, 1982))

    On nous dit souvent que l’égoïsme, la brutalité et la guerre que nous voyons dans le monde aujourd’hui font partie de la nature humaine, que les humains ne sont pas conçus pour coopérer et vivre en égaux. Mais l’existence de sociétés de « communisme primitif » partout dans le monde pendant une période de temps aussi longue prouve que ce n’est pas le cas.

    La nature humaine a des possibilités quasi-illimitées. La vie dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs n’était certainement pas parfaite. Il devait y avoir des privations et des désaccords entre individus. Mais la manière dont ces sociétés étaient organisées aidait à mettre en évidence les aspects les plus coopératifs et les plus positifs de la nature humaine tout en rejetant au second plan des aspects plus négatifs comme l’égoïsme et la cupidité. Tout comme la société de chasseurs-cueilleurs l’a fait hier, une société socialiste serait capable demain de faire ressortir le meilleur dans la nature humaine

    La révolution néolithique…

    Il y a à peu près 10.000 ans, deux découvertes ont commencé à révolutionner la façon dont les sociétés humaines s’organisaient : la culture de plantes (l’agriculture) et la domestication d’animaux.

    Ces deux innovations, connues sous le nom de révolution néolithique, ont, pour la toute première fois, permis aux humains d’exercer un certain contrôle sur leur environnement. La productivité du travail a augmenté considérablement : les humains n’avaient plus besoin de se déplacer pour trouver de la nourriture aux différents moments de l’année, ils pouvaient cultiver et stocker leurs propres réserves de nourriture. De ce fait, ils n’étaient plus entièrement dépendants des conditions naturelles.

    Ces changements ont mené à l’établissement de campements plus permanents, où les réserves de nourriture pouvaient être stockées et où on pouvait à la fois s’occuper des cultures et des animaux et les défendre contre des attaques. La quantité de nourriture disponible a augmenté considérablement, en même temps que la population humaine dans les sociétés néolithiques se développait rapidement.

    Pour la première fois, la société humaine était capable de produire un surplus permanent (c’est-à-dire une quantité de nourriture et de biens dépassant ce qui est nécessaire à la survie), ce qui a permis à une partie de la société d’être délivrée du travail quotidien qui consiste à produire les biens de base, sans mettre en péril la survie du groupe.

    Une partie de la société a ainsi pu se consacrer bien davantage à des tâches spécifiques et spécialisées, qui allaient de la pratique de rituels dont on pensait qu’ils apportaient de la nourriture et de la chance au groupe, jusqu’à la fabrication d’outils et au développement de nouvelles techniques comme la fonte du métal et la cuisson de la poterie.

    Tout ceci a conduit à des méthodes plus productives d’utilisation du travail humain, comme par exemple l’utilisation d’outils en métal dans l’agriculture.

    A mesure qu’augmentait la productivité du travail et que se complexifiaient certaines sociétés, une couche d’administrateurs s’est développée. Le premier système d’écriture connu dans le monde, par exemple, a été développé par les Sumériens peu avant 3.000 avant JC.

    Le développement de la société sumérienne, qui a émergé entre les fleuves Tigre et Euphrate, non loin de l’actuelle ville de Bagdad, s’est fait sur base de l’irrigation. La création par les habitants de systèmes de canaux pour acheminer l’eau de pluie et l’eau des fleuves vers les champs ou les cultures a eu pour effet d’augmenter massivement le rendement des cultures. Mais, tant pour organiser le travail de creusage des canaux d’irrigation nécessaire à l’entretien d’une population nombreuse et en expansion que pour assurer une distribution efficace de l’eau, la société sumérienne avait besoin d’administrateurs.

    La première écriture sumérienne a pris la forme de symboles, gravés dans des tablettes d’argile pour enregistrer de simples transactions (par exemple un nombre de moutons ou une quantité de céréales). Mais, en quelques centaines d’années, à mesure que les tâches des administrateurs se développaient et se complexifiaient, ces symboles primitifs ont été transformés en un système d’écriture reconnue et comprise par tous les administrateurs sumériens (les compétences de lecture et d’écriture étaient un privilège jalousement gardé).

    …et la naissance de la société de classe

    Les « spécialistes » et les administrateurs qui ont été libérés du travail de production de biens de première nécessité ont joué un rôle extrêmement progressif dans la mesure où ils ont contribué à développer les forces productives.

    Cependant, beaucoup de ces « spécialistes » et de leurs descendants se sont peu à peu accrochés à leurs positions en s’appuyant sur l’accumulation de richesses réalisée, le statut privilégié et la tradition.

    Dans beaucoup de régions, ils ont commencé à devenir une élite dirigeante, une nouvelle classe avec des intérêts différents de ceux des autres dans la société. Ils ont essayé d’établir des lois afin de protéger leur position privilégiée. Parmi ces nouvelles élites, celles qui ont le mieux réussi ont créé des groupes spécialisés de serviteurs/guerriers qu’elles payaient pour renforcer leur domination au sein de la société ainsi que pour protéger celle-ci d’attaques de l’extérieur.

    Tout cela ne s’est pas passé sans résistance. Il semble que, dans certains groupes, les tentatives d’une classe dirigeante émergente pour consolider son pouvoir ont été bloquées et qu’une organisation collective à été réétablie. Cependant ces groupes tendaient à être plus faibles que les sociétés dirigées par une classe dominante où les forces productives avaient été davantage développées. En conséquence, à moins qu’ils soient géographiquement isolées d’autres sociétés plus développées, les groupes de chasseurs-cueilleurs dirigés collectivement ont généralement été absorbées par celles-ci, le plus souvent suite à des défaites lors de guerres et à leur réduction en esclavage.

    Le développement de la société humaine est basé sur le développement des forces productives

    Le développement d’outils, de machines ou de techniques qui accroissent la productivité du travail humain – comme la charrue tirée par un cheval, l’irrigation ou la production industrielle – accroissent également :

    – la taille de la population qu’une société peut supporter,

    – la spécialisation ou la division du travail qui est possible au sein de la société.

    Il a existé beaucoup de manières différentes d’organiser la production dans la société, ce qui a conduit à beaucoup de formes différentes de sociétés de classe. Voici quelques exemples de trois des types de sociétés de classes les mieux connus – l’esclavagisme, le féodalisme et le capitalisme – qui montrent comment la manière dont la production est organisée a modelé chaque société.

    L’esclavagisme : les anciennes sociétés esclavagistes – comme l’Egypte, la Grèce et la Rome antiques – étaient basées sur l’exploitation du travail d’esclaves à une échelle de masse. De grandes villes où vivaient de riches propriétaires étaient entretenues par d’énormes quantités d’esclaves (essentiellement capturés lors des guerres) qui travaillaient la terre et produisaient la plupart des biens – comme les huiles, le vin, les poteries et les bijoux – qui rendaient les sociétés esclavagistes si riches.

    Le féodalisme : les sociétés européennes du Moyen-Age reposaient sur une économie à base paysanne dans laquelle les paysans contrôlaient ce qu’ils produisaient sur leur « propre » lopin de terre mais étaient obligés de donner une partie des fruits de leur labeur au seigneur féodal qui possédait ou contrôlait la terre sur laquelle ils vivaient. Ce surplus accaparé par le seigneur pouvait prendre des formes très diverses : le paysan travaillait un certain nombre de jours sur les terres du seigneur, ou donnait à celui-ci une certaine proportion de la production de l’année ou encore lui payait une rente en argent.

    L’aristocratie de propriétaires terriens était la classe dirigeante sous le féodalisme. Bien que l’Etat était souvent organisé autour de la royauté, la famille royale provenait généralement de l’aristocratie et défendait ses intérêts.

    Le capitalisme : le système économique qui domine le monde aujourd’hui est basé sur la propriété privée des moyens de production (l’industrie manufacturière, les matières premières, les diverses ressources nécessaires à l’industrie et, aujourd’hui, même les graines nécessaires à la production de nourriture !) et l’exploitation du travail de la classe des travailleurs salariés.

    Ces travailleurs, qui ne possèdent ni terre ni richesse substantielle transmise par héritage, ne disposent par eux-mêmes d’aucun moyen de subsistance et sont donc forcés de vendre leur force de travail pour survivre. Les capitalistes achètent celle-ci ; ensuite ils récupèrent leur argent et réalisent des profits en vendant des biens essentiels et d’autres produits à la classe des travailleurs et aux autres classes de la société.

    La lutte des idées dans la société reflète la lutte des classes

    Les idées ne sont en aucune manière neutres ou « au-dessus » de la société. Dans une société de classe, les idées de la classe dirigeante dominent à cause de la domination économique, politique et légale de cette classe (ou, en d’autres termes, de la somme d’argent, de pouvoir et de contrainte dont elle dispose).

    L’idéologie (le système d’idées) de toute classe dirigeante reflète ses intérêts matériels. Par exemple, les monarchies féodales de nombreux pays à travers le monde ont défendu leur pouvoir et leurs privilèges en faisant appel aux idées et aux institutions religieuses. En Angleterre et en France, l’Eglise a soutenu le « droit divin » de la monarchie féodale à diriger, en affirmant que les hommes et femmes ordinaires n’avaient pas le droit de remettre en question un monarque qui avait été choisi par Dieu.

    Des idées qui sont considérées comme « de bon sens » sont souvent en réalité le produit d’un type particulier de société de classe. Au 4e siècle avant notre ère, le philosophe Platon défendait l’idée que ce qui se passait dans la nature était déterminé par les idées et pas par des forces matérielles. Il croyait en conséquence que les expériences pratiques n’étaient pas indispensables pour développer une compréhension de la manière dont fonctionne les processus naturels : ceux-ci pouvaient être déchiffrés par la pensée.

    Sa vision était conditionnée par le type de société dans lequel il vivait, la Grèce antique, qui était une société esclavagiste dans laquelle le travail physique était considéré comme avilissant et inutile pour l’élite. Il a fallu bien plus d’un millier d’années pour que les conceptions erronées de Platon soient abandonnées et pour que l’importance des méthodes scientifiques de mesure et d’expérimentation soit reconnue.

    Bien que les idées de la classe dirigeante soient dominantes, elles sont constamment remises en cause par d’autres idées. Cette lutte d’idées reflète la lutte entre les classes sociales dans la société. L’opposition à l’idéologie dominante de la classe dirigeante est le reflet des intérêts matériels des autres classes.

    Gouvernement, système légal et idéologie

    Le gouvernement, le système légal et l’idéologie de n’importe quelle société sont appelés la « superstructure ». Celle-ci se développe sur la base économique de la société. La forme que prend la superstructure dans une société est déterminée avant tout par les rapports économiques sur lesquels est basée cette société.

    Cependant, cela ne signifie pas que le système économique détermine tout dans une société. Les traditions locales et la manière dont la société s’est développée jusque là influencent aussi le système politique et légal. Par exemple, beaucoup de sociétés capitalistes ont encore une monarchie qui est en réalité une institution féodale et pré-capitaliste. Les républiques et les monarchies, les démocraties parlementaires, les dictatures militaires et les régimes fascistes sont autant de systèmes de gouvernement utilisés par la classe capitaliste.

    Dans l’Europe d’aujourd’hui, les lois sont essentiellement faites et mises en œuvre par des représentants de la classe dirigeante capitaliste. D’autres classes, comme la classe des travailleurs et les classes moyennes, font bien entendu aussi entendre leur voix, mais la manière dont est constitué le système légal protège les intérêts de la classe dirigeante. Ainsi de nombreux délits contre la propriété privée (comme les vols, les cambriolages,…) sont considérés comme des délits plus sérieux que ceux contre les personnes (les agressions, les coups et blessures, les viols et même les meurtres dans certains cas).

    Cela conduit à des situations étranges, comme en Grande-Bretagne où la majorité des femmes emprisonnées le sont pour des « crimes » liés à la pauvreté comme des vols de nourriture ou l’incapacité de payer des amendes, tandis que les compagnies privées qui gèrent les chemins de fer ne sont pas poursuivies lorsque des gens meurent dans des accidents de train provoqués par une chasse au profit passant avant la sécurité.

    Dans le monde global dominé par les monopoles où nous vivons aujourd’hui, il est légal pour une société multinationale de breveter des plantes existantes, comme les variétés de riz qui ont été cultivées depuis des centaines d’années, et de faire payer les agriculteurs partout dans le monde pour avoir le « droit » de cultiver ces plantes.

    L’idéologie change lorsque les conditions matérielles changent

    Les affirmations suivantes expriment des idées qui sont largement répandues chez nous aujourd’hui. La comparaison avec des idées qui étaient largement répandues à la fin du 19e siècle est frappante.

    Aujourd’hui : Les hommes sont plus forts que les femmes. La cupidité fait partie de la nature humaine; une société égalitaire ne peut donc pas exister. Le racisme existera toujours.

    Au 19e siècle : Les hommes sont supérieurs aux femmes tant du point de vue physique que du point de vue intellectuel. Les Blancs sont supérieurs aux Noirs. La Belgique aide les Congolais en leur apportant la civilisation.

    Ces deux séries d’affirmations reflètent l’idéologie de la classe dirigeante qui affirme que la division et la cupidité sont naturelles et nécessaires. Mais les changements dans les conditions matérielles du capitalisme pendant les cent dernières années ont obligé les commentateurs à modifier la manière dont ils expriment leur idéologie.

    A la fin du 19e siècle, les femmes étaient considérées sur le plan légal comme étant la propriété de leur mari ou pères et n’avaient aucun droit en matière de succession, de vote ou d’études universitaires.

    En 1884-1885, les puissances européennes se sont rencontrées lors d’une conférence à Berlin pour se partager l’Afrique. A la fin du 19e siècle, grâce à leur puissance économique et navale, la Grande-Bretagne dirigeait un Empire qui couvrait un tiers de la surface de la planète. La France possédait, elle aussi, un vaste empire colonial et la Belgique elle-même s’était appropriée en Afrique des colonies qui représentaient cent fois sa propre superficie. Ces empires fournissaient des matières premières et des minerais pour l’industrie de la « mère-patrie » et un énorme marché pour l’industrie de celle-ci. La classe dirigeante essayait de justifier son colonialisme (qui dans beaucoup de cas prenait avant tout la forme d’une occupation militaire) en diffusant des idées ouvertement racistes dans toutes les couches de la société.

    Au cours du 20e siècle, des mouvements de masse pour l’indépendance brisèrent les empires coloniaux et la Grande-Bretagne (sans parler de la France et de la Belgique) fut remplacée par les Etats-Unis en tant que puissance économique mondiale dominante.

    En même temps, les luttes pour les droits des femmes combinées au besoin croissant d’ouvrières dans l’industrie ainsi qu’à la confiance et au pouvoir que leur nouvelle position sur le marché de l’emploi leur donnaient, ont permis aux femmes d’acquérir beaucoup de droits qu’elles n’avaient pas au 19e siècle.

    Ce sont ces changements matériels qui ont obligé les commentateurs capitalistes à adapter la façon dont ils présentent leur idéologie.

    Le pouvoir des idées vient des forces matérielles qu’elles représentent

    Marx et Engels n’ont pas inventé l’idée de socialisme : elle existait déjà depuis longtemps. Des mouvements comme les Diggers, qui avaient lutté pour mettre fin à la propriété privée de la terre durant la Guerre civile anglaise au 17e siècle, avaient mis en avant des idées socialistes de base bien avant eux. Cependant, les premiers mouvements socialistes étaient avant tout utopiques : ils mettaient en avant l’idée d’une société meilleure mais sans avoir une véritable compréhension de comment on pouvait y arriver.

    La contribution de Marx et d’Engels a été de montrer que les idées socialistes ont une base scientifique et objective et de les mettre en contexte en expliquant comment la société humaine s’était développée. Ils ont été capable de développer une idéologie approfondie pour le socialisme : le marxisme.

    La puissance des idées socialistes et marxistes provient du fait qu’elles reflètent et expliquent avec précision les conditions matérielles que la classe des travailleurs connaît sous le capitalisme :

    • L’aliénation, l’exploitation et l’oppression de la classe des travailleurs
    • La nature collective du travail de la classe des travailleurs
    • La contradiction entre l’énorme pouvoir productif du capitalisme et son incapacité à développer les forces productives pour le bien de tous ou à fournir suffisamment de biens de première nécessité pour satisfaire les besoins de chacun ( comme on le voit aujourd’hui dans le fossé entre les riches et les pauvres, qui a atteint un niveau historique).

    Tant que ces conditions matérielles existent, les gens seront obligés de chercher une alternative socialiste. Pourtant, la popularité du socialisme ne sera pas suffisante pour liquider le capitalisme et le remplacer par une forme socialiste d’organisation de la société.

    2. Changer le cours de l’Histoire

    Le changement révolutionnaire – Comment se développe la société

    Au fil du temps, les contradictions inscrites dans les structures économiques, politiques et légales de chaque société de classe s’aiguisent. Elles finissent par devenir un blocage pesant sur les forces productives (la productivité du travail humain) freinant leur développement. La vieille classe dirigeante essaie désespérément de bloquer tout changement afin de défendre son pouvoir et ses privilèges.

    Dans cette situation, la seule voie qui permette à la société d’aller de l’avant est d’écarter cette vieille classe dirigeante du pouvoir et d’installer à sa place une nouvelle organisation de la société. Cela signifie une révolution.

    En Angleterre et en France, la classe capitaliste a conquis le pouvoir politique par une révolution – même si elle préfère parfois qu’on n’en parle pas trop ! La Guerre Civile anglaise au milieu du 17e siècle – où les parlementaires emmenés par Cromwell affrontèrent les monarchistes sur le champ de bataille – tout comme la Révolution française à la fin du 18e siècle – où les insurrections urbaines se combinèrent avec des affrontements militaires entre la République naissante et la noblesse exilée – furent de véritables guerres entre deux classes en opposition frontale – l’aristocratie féodale et la monarchie contre la classe capitaliste montante – qui mobilisaient toutes deux leurs partisans.

    Le système féodal en Europe occidentale avait en réalité commencé à atteindre ses limites de développement beaucoup plus tôt. Les améliorations apportées aux méthodes agricoles ainsi que le défrichement de forêts destiné à fournir davantage de terres pour l’agriculture avaient énormément amélioré la productivité agricole mais ne pouvaient guère aller au-delà dans un système féodal reposant sur de petites parcelles paysannes.

    L’épidémie de peste noire au milieu du 14e siècle provoqua la mort de près de 40% de la population européenne. La raréfaction de la main d’œuvre qui en découla dans les campagnes finit par donner à la paysannerie plus de pouvoir dans leur lutte permanente avec les seigneurs féodaux qui furent obligés de leur concéder de meilleures conditions de travail et des loyers moins élevés pour les terres qu’ils occupaient. Les pauvres sans terre – qui étaient obligés de travailler pour d’autres afin de survivre – purent obtenir de meilleurs salaires tant à la campagne que dans les villes.

    Pendant que la classe féodale déclinait, l’embryon d’une nouvelle classe commençait à se former dans les villes et les bourgs. Encouragés par la croissance du commerce sur une longue distance, artisans et marchands se réunissaient à l’occasion des marchés dans les villes pour vendre leurs produits. Les artisans trouvèrent aussi localement des acheteurs pour leurs productions, particulièrement parmi les seigneurs féodaux et les paysans les plus fortunés.

    Les villes ayant acquis dans la plus grande partie de l’Europe occidentale une relative liberté les mettant à l’abri du contrôle direct des seigneurs féodaux, les artisans et les riches marchands y formèrent bientôt des guildes et des corporations pour protéger leurs intérêts.

    Ces processus – la croissance de la production de biens à vendre sur les marchés et la crise grandissante du pouvoir féodal à la campagne – se renforcèrent mutuellement. Les guildes et les corporations commencèrent à introduire les rapports capitalistes en employant une armée de plus en plus grande de travailleurs salariés.

    Mais le pouvoir économique de cette classe capitaliste embryonnaire avait beau continuer à croître, le gouvernement et le système légal défendaient toujours les intérêts de l’aristocratie féodale. En Angleterre, la lutte pour le pouvoir politique entre la noblesse et la bourgeoisie capitaliste montante fut réglée par une guerre civile. Les bourgeois entraînèrent derrière eux dans leur lutte les sections les plus opprimées de la population. Ils renversèrent la monarchie, installèrent comme autorité politique suprême un parlement (dominé à ce moment par les représentants de la nouvelle classe capitaliste) et établirent un système légal qui défendait leurs intérêts de classe. Néanmoins, des revers dans la lutte obligèrent ensuite la bourgeoisie à passer un compromis partiel avec l’aristocratie, impliquant notamment la restauration de la monarchie, mais sans que sa domination économique soit remise en cause.

    Moins d’un siècle et demi plus tard, la bourgeoisie française, économiquement et idéologiquement plus solide, fut capable de garder le contrôle d’un processus révolutionnaire tumultueux et d’imposer après quelques années un système politique qui écartait définitivement la noblesse du pouvoir.

    Cependant, les sociétés humaines ne se développent pas en ligne droite – en sautant d’un type de société à un autre et en progressant constamment. La société peut aussi reculer.

    Que se passe-t-il quand les révolutions échouent?

    Malheureusement, les révolutions contre l’ordre existant ne réussissent pas toujours. Si des révolutions contre un mode de production dépassé et sa classe dirigeante échouent encore et encore, le système déclinant continuera à sombrer et le niveau de développement de la société peut être rejeté en arrière pour des centaines d’années.

    Les anciennes sociétés esclavagistes de l’Egypte, de la Grèce et de Rome ont été très loin dans le développement de la science, de la technologie et de la littérature. Cet essor culturel était rendu possible parce que ces sociétés étaient basées sur l’exploitation d’immenses armées d’esclaves. A un moment, ces empires puissants ont commencé à être confrontés aux limites de l’esclavagisme (et dans le cas de l’Empire Romain, aux limites d’une expansion territoriale constante).

    Un exemple montrant comment les limites de l’esclavagisme ont freiné la société est le fait que les progrès scientifiques et les inventions produites par la société esclavagiste n’ont pas toujours été utilisées pour augmenter l’efficacité du travail humain. Ainsi, les anciens Egyptiens avaient compris tous les principes nécessaires à la construction de la machine à vapeur tandis que les Romains avaient inventé la roue hydraulique.

    Cependant, aucune de ces inventions n’a été utilisée de façon systématique ou généralisée ; elles n’ont été utilisées que pour produire des jouets pour amuser les riches et les puissants. Ceci s’explique par le fait que le système économique de l’esclavagisme, où le travail de l’esclave coûtait trois fois rien et était facile à se procurer, n’incitait pas à répandre une nouvelle technologie qui aurait pu amener à un développement considérable de la productivité du travail humain et faire avancer fortement la société.

    Au lieu d’être renversées et remplacées par une forme de société plus progressive, les anciennes économies esclavagistes ont commencé à se désagréger jusqu’à ce que, divisées et affaiblies, elles soient conquises par des envahisseurs étrangers. L’effondrement de l’Empire Romain a provoqué un recul important dans une grande partie de l’Europe Occidentale, un recul qui allait durer des siècles avant que celle-ci puisse se développer à nouveau.

    Le capitalisme

    Les réalisations du capitalisme, en termes de développement des forces productives, sont immenses. La mécanisation du processus de production, l’électrification, le développement des chemins de fer, un réseau routier étendu et des véhicules motorisés, l’invention d’ordinateurs et le développement d’une communication virtuellement instantanée aux quatre coins du monde ont transformé le commerce et permis la production de biens et de richesses en des quantités auparavant inimaginables.

    Mais ces avancées ont eu un lourd prix. L’expansion du travail salarié et du « libre marché » ont permis une exploitation encore plus intensive de la classe des travailleurs. Les capitalistes possèdent et contrôlent les outils, les usines et les matières premières (les moyens de production). Les travailleurs eux, n’ayant pas de terres ou de source de revenus indépendante, sont donc obligés de vendre leur travail aux capitalistes pour survivre.

    Les capitalistes, qui sont en compétition les uns avec les autres, essayent de comprimer les salaires de leur main-d’œuvre afin d’augmenter leurs profits. La menace du chômage – et des demandeurs d’emploi qui seraient prêts à travailler pour un salaire plus bas – est utilisée comme un bâton afin de les faire accepter aux travailleurs des conditions de travail et des salaires plus mauvais.

    Dans les premiers temps du capitalisme (c’est-à-dire au début de la révolution industrielle en Angleterre), les conditions de vie et de travail des masses étaient pires que celles qu’avait connue la majorité de la population sous le féodalisme. C’est seulement avec le développement de la lutte des classes, et notamment la création des syndicats, que les travailleurs et les chômeurs ont commencé à améliorer leur situation.

    Les énormes richesses et la puissance qu’elles rendent possibles ont été monopolisés par la classe capitaliste et utilisées pour faire encore plus d’argent en exploitant le travail de la classe des travailleurs. Les premiers pays capitalistes (comme l’Angleterre, la France et la Belgique) ont utilisé leur puissance économique et militaire pour créer des empires en s’emparant d’immenses territoires à l’étranger où les ressources naturelles et le travail de la population indigène ont été exploités impitoyablement pour maximaliser les richesses, le pouvoir et le prestige de la classe dirigeante impériale.

    La classe des travailleurs – « fossoyeurs » du capitalisme

    Marx et Engels ont montré que le capitalisme n’était que la forme la plus récente d’une société d’exploitation de classes. Ils ont aussi expliqué qu’en se développant, le capitalisme semait aussi les graines de sa propre destruction. Le rôle central que la classe des travailleurs en pleine expansion a joué dans le processus de production a ainsi produit une classe qui non seulement peut mettre en cause le rôle des capitalistes, mais qui est aussi capable de créer une société nouvelle et plus progressiste.

    D’un point de vue historique, la réalisation la plus importante du capitalisme a été de développer les forces productives jusqu’à un niveau où une société socialiste est possible. Sans les bases matérielles pour éradiquer la faim, la pauvreté et l’analphabétisme partout dans le monde, une société socialiste est impossible.

    Le capitalisme a réalisé cette base matérielle. Comme le disent les Nations Unies : « On estime que le coût supplémentaire pour réaliser et maintenir l’accès universel à l’éducation de base pour tous, les soins de santé de base pour tous, les soins de santé en matière de gynécologie et d’obstétrique pour toutes les femmes, une alimentation appropriée pour tous et l’accès à l’eau potable et à des installations sanitaires pour tous, est grosso modo de 40 milliards de dollars par an… Ceci représente moins de 4 % de l’ensemble de la fortune des 225 personnes les plus riches. » (Rapport du Développement Humain des Nations Unies, 1997).

    Pourtant, sous le capitalisme, même cette redistribution relativement mineure ne verra jamais le jour. La propriété privée de l’industrie, des transports et des communications freine les forces productives. L’économie moderne mondialisée essaie continuellement de dépasser les limites du capitalisme, comme les frontières nationales ou l’incapacité dans laquelle se trouvent les travailleurs de racheter les produits qu’ils ont produit parce qu’ils ne sont pas payés à la valeur réelle de leur travail. Mais régulièrement, ces limites plongent le système dans des crises.

    La nature parasitaire du capitalisme moderne se révèle à travers le développement massif de la spéculation financière, en opposition à l’investissement dans l’industrie. Les systèmes de communications incroyables qui ont été développés pourraient permettre à une société socialiste de planifier démocratiquement une économie moderne de façon détaillée afin de faire face aux besoins de la population. Mais sous le système capitaliste, ces systèmes de communications sont monopolisés par les plus grandes multinationales qui s’en servent pour s’assurer qu’ils pressent chaque goutte de profit tant de leurs travailleurs que des consommateurs.

    Le rôle des individus dans l’Histoire

    Une révolution n’est pas quelque chose qu’un individu ou une organisation peut faire apparaître d’un coup de baguette magique. C’est un processus qui se développe lorsque les contradictions à l’intérieur d’une société de classes ont atteint un seuil critique : lorsque les masses, qui sentent qu’elles ne peuvent plus supporter plus longtemps leur oppression se soulèvent pour défier la domination de la classe dirigeante alors au pouvoir. (Pour en savoir plus sur ce qui se passe lors d’une révolution, un autre texte se trouvera bientôt sur ce site : Changer le Monde – Le rôle d’un parti révolutionnaire )

    Les marxistes rejettent l’idée, défendue par des historiens du courant dominant, que des individus dotés de fortes personnalités sont à eux seuls responsables des avancées de l’Histoire. Attribuer des événements historiques majeurs aux ambitions ou aux fortes convictions personnelles d’un individu donne une vision mystifiante l’Histoire au lieu d’aider à l’expliquer. Cependant, tandis que nous sommes convaincus, en tant que marxistes, que les révolutions sont faites par les masses, nous comprenons aussi que dans un mouvement de masse ou une révolution – et en particulier à certains moments critiques – l’intervention de certains individus peut faire la différence entre la réussite ou l’échec du mouvement.

    Néanmoins, ceci ne veut pas dire que des individus peuvent, de quelle que manière que ce soit, remplacer des mouvements de masse ou une implication de masse dans une révolution. Des gens qui peuvent aider à orienter des mouvements de masse dans la bonne direction ne tombent pas tout cuits du ciel. Ils sont formés et préparés par la période économique et politique dans laquelle ils ont vécu, et particulièrement par les luttes de classes et les mouvements de masse auxquels ils ont participé. De cette façon, l’expérience et les leçons des mouvements du passé sont absorbées et assimilées par ces individus et réintroduites par ceux-ci dans le mouvement afin d’en assurer le succès.

    La différence entre la révolution socialiste et toutes les autres révolutions antérieures

    Une révolution socialiste doit être menée par la classe des travailleurs. Les révolutions contre les formes précédentes de sociétés de classes ont chaque fois été menées par une classe minoritaire qui exploitait la colère des masses dans sa lutte pour conquérir le pouvoir politique pour elle-même (par exemple les révolutions capitalistes contre la classe dirigeante féodale).

    Aujourd’hui, dans beaucoup de pays, la classe des travailleurs représente la majorité de la population. Afin de se libérer elle-même de l’oppression et de l’exploitation, la classe des travailleurs doit abolir complètement la société de classes. La révolution socialiste est la première révolution dans l’histoire de l’humanité qui a le pouvoir de mettre un terme à l’exploitation de classe. C’est aussi la première révolution qui est menée par une classe qui est devenue entièrement consciente du rôle historique qu’elle doit affronter.

    Cette conscience n’existe pas encore à l’heure actuelle. L’expérience que les gens ont du système capitaliste les pousse vers des conclusions socialistes de façon différente et à des moments différents. Encourager le développement d’une conscience de classe et d’idées socialistes est l’une des tâches d’un parti révolutionnaire, qui peut rassembler différents secteurs de la classe des travailleurs et de la classe moyenne radicalisée en les unissant dans un combat commun.

    La fin de la société de classes

    Une société socialiste abolirait les classes sociales, permettant à la gestion collective et vraiment démocratique de la société de réapparaître pour la première fois dans l’Histoire depuis les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Mais ceci se ferait sur une base matérielle beaucoup plus élevée : au lieu de vivre à un niveau de subsistance quotidienne, en étant entièrement dépendant de l’environnement local, la société serait basée sur des forces productives qui sont à même de procurer plus qu’assez pour satisfaire les besoin de chacun.

    Dans la période de transition entre le capitalisme et le socialisme, c’est-à-dire après une révolution socialiste réussie, l’Etat sera dirigé par la classe des travailleurs (et aussi par la paysannerie pauvre et les masses de sans-terre dans les nombreux pays où ils existent). Mais même cette forme d’Etat – bien qu’il s’agirait d’un Etat basé sur la démocratie des travailleurs plutôt que sur l’exploitation de classe – finira par disparaître lorsque le socialisme, puis une véritable société communiste seront réalisés.

    La base matérielle de l’Etat est la suppression d’une classe (en l’occurrence les capitalistes) par une autre (en l’occurrence les travailleurs, soutenus par d’autres classes opprimées comme la paysannerie et les pauvres sans-terre). A mesure que se développe une société sans classe, disparaît peu à peu la base matérielle pour toute organisation étatique se dressant au-dessus de la population. Les tâches nécessaires que l’Etat accomplit dans une société de classes – la planification, l’administration,… – seront organisées et exécutées par la population dans son ensemble selon ses propres décisions démocratiques.

    « Socialisme ou barbarie »

    Si une révolution échoue à renverser le capitalisme, les conséquences peuvent être gravissimes. Le fascisme et la dictature sont des « solutions » auxquelles la classe capitaliste a souvent recours pour « maintenir l’ordre » après une révolution qui a échoué. Mais si, sur le long terme, aucune révolution ne réussit à établir une société socialiste, même ces perspectives horribles se révèleraient insignifiantes comparées à la désintégration du capitalisme au niveau mondial.

    Car, tout au long de l’Histoire, le potentiel de destruction de l’humanité s’est accru en même temps que se développaient les forces productives. Au fur et à mesure que de nouvelles formes de sociétés de classes émergeaient, l’exploitation des classes opprimées en leur sein s’est intensifiée. L’augmentation de la productivité et de la technologie ont permis à la fois une exploitation et un contrôle des masses de plus en plus complet et la mise en œuvre d’armes de destruction massive de plus en plus puissantes et épouvantables.

    Les armes nucléaires détenues par des gouvernements partout dans le monde pourraient détruire des centaines de fois la planète. La destruction de l’environnement par l’industrie capitaliste va de pair avec la propriété privée et le profit. Comme le système capitaliste titube de crise en crise, l’instabilité croissante qu’il crée augmente le nombre de guerres et de conflits et épuise les ressources naturelles avec de moins en moins de considération pour les générations futures.

    A moins qu’une série de révolutions socialistes de par le monde réussisse à mettre fin au capitalisme, la désintégration d’une société disposant d’une telle force de destruction terrifiante pourrait être un désastre sans précédent dans l’histoire de l’humanité.

    Une société socialiste ne libérerait pas seulement les forces productives des limites du capitalisme, elle ne libérerait pas seulement les humains de l’esclavage salarié et de l’aliénation par le travail sous le capitalisme : elle assurerait aussi que la production et la technologie soient utilisées à des fins constructives et pas à des fins destructives.


    Quelques définitions en bref

    • Réalité matérielle : les choses et les processus dans le monde réel qui peuvent être touchés ou mesurés
    • Mode de production : la manière dont est organisée la production des produits de première nécessité et des autres biens
    • Forces productives : la productivité du travail humain (la quantité de biens produite par une quantité fixée de travail humain) qui est développée et augmentée à l’aide de la technologies, des connaissances scientifiques et des manières plus efficaces d’organiser le travail humain
    • Idéologie : système d’idées
    • Progressiste : qui contribue à faire progresser la société en aidant au développement des forces productives

    Terminologie

    Note de l’auteur : Marx et Engels ont classifié les premiers types de sociétés de classes en barbarie et la montée des anciens empires esclavagistes d’Egypte, de Grèce et de Rome en civilisation. Aujourd’hui, ces termes semblent démodés et teintés par leur association avec l’idéologie de l’impérialisme. J’ai donc utilisé dans cette brochure des termes plus spécifiques qui sont apparus dans les études modernes, respectivement société néolithique et société esclavagiste.

    Note du traducteur :Des passages du texte ont été réécrits pour remplacer des exemples typiquement britanniques par des exemples de valeur plus générale. D’autre part, à la place du terme de classe ouvrière, qui semble réduire la classe aux seuls ouvriers, j’ai préféré employer le terme de classe des travailleurs qui permet d’inclure de manière plus large le grand nombre de salariés (ouvriers, employés, fonctionnaires, enseignants,…) qui sont aujourd’hui victimes de l’exploitation dans le cadre du capitalisme moderne.

    Liste de lecture

    • L’idéologie allemande (première partie) – Marx et Engels
    • Le Manifeste du Parti Communiste – Marx et Engels
    • De la préhistoire à l’Histoire – Gordon Childe
    • L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat – Engels
  • Irak: une résistance ouvrière s’organise

    L’AFFRONTEMENT DANS la ville sainte de Najaf entre le nouveau gouvernement intérimaire installé par les Américains et l’Armée du Mahdi, le mouvement du chef chiite intégriste Moqtadr Al Sadr, a fini par déboucher sur un accord provisoire qui soulage le gouvernement. Mais la situation de celui-ci reste toujours aussi délicate.

    Jean Peltier

    Les forces d’occupation ne contrôlent que de petites enclaves fortifiées et des points de passage stratégiques. Les attaques quotidiennes contre les pipelines perturbent gravement les exportations de pétrole. La reconstruction annoncée est un fiasco: le Congrès US a voté un crédit de 18 milliards de $ pour reconstruire l’Irak mais jusqu’ici seuls 600 millions ont été débloqués et ils ont essentiellement servis à tenter d’accroître la sécurité.

    La grande majorité des Irakiens veulent la fin de l’occupation américaine et n’accordent aucun crédit au nouveau premier ministre Allawi. Mais, face au pouvoir, la résistance est loin d’être homogène. Une première branche, établie dans la zone à dominante sunnite, est dirigée par d’anciens dignitaires et militaires du régime baathiste de Saddam Hussein. Une partie d’entre eux ne seraient sans doute pas opposés à chercher un accord avec Allawi. Ce qui inquiète fortement les dirigeants religieux de la majorité chiite qui craignent de se retrouver demain exclus du pouvoir comme ils l’étaient sous Saddam. Toutefois, si Moqtadr El Sadr jouit d’un grand prestige parmi la population des quartiers pauvres, il reste assez isolé parmi les responsables chiites dans sa stratégie d’affrontement ouverte avec les Américains. Mais d’autres chefs religieux pourraient basculer eux aussi dans l’opposition ouverte si Allawi tente de reconstruire un pouvoir autoritaire basé sur les sunnites.

    Loin de l’attention des médias se développe pourtant depuis un an une autre résistance qui a, elle, pour objectif premier de défendre les intérêts des travailleurs, des chômeurs et des femmes. Après deux guerres et dix ans d’embargo, l’industrie tourne au ralenti, les salaires sont très bas et souvent impayés, le chômage est massif, la sécurité sociale réduite à néant.

    Les autorités d’occupation n’ont rien fait pour améliorer cette situation et encore moins pour permettre aux travailleurs de s’organiser. Au contraire, elles ont commencé par durcir les lois antisyndicales instaurées en 1987 par le régime de Saddam Hussein! En septembre dernier, elles ont réduit les salaires payées aux travailleurs des services publics et supprimé les aides pour l’alimentation et le logement. Lorsqu’en octobre, elles ont tenté d’étendre ces mesures aux travailleurs du pétrole, ceux-ci ont créé un nouveau syndicat et sont partis en grève. Sous la menace de bloquer la production et de rejoindre la résistance armée, les travailleurs de la Southern Oil Company ont obtenu le retrait des mesures. Depuis lors, des grèves ont éclaté dans les ports et les stations électriques où, là aussi, les autorités ont dû faire marche arrière.

    Des dizaines de syndicats indépendants se sont formés non seulement dans le sud du pays mais aussi à Bagdad et les villes du centre et même au Kurdistan et une partie s’est regroupée récemment dans une Fédération des Syndicats et des Conseils Ouvriers d’Irak. Parallèlement, d’autres mouvements se sont formés. L’Union des Chômeurs a organisé des manifestations et des occupations de bâtiments publics pour exiger le paiement d’allocations et la création d’emplois et affirme organiser plus de 100.000 chômeurs. L’Union des Familles sans Toit réclame un programme de reconstruction rapide de logements. L’Organisation pour la Liberté des Femmes lutte contre la sharia (la loi islamique qui impose notamment un statut de soumission à la femme) que les religieux appliquent brutalement dans les zones qu’ils contrôlent mais que le gouvernement veut aussi généraliser.

    Toutes ces organisations, qui luttent à la fois contre l’occupation américaine et son gouvernement fantoche et pour défendre les droits des travailleurs et des femmes et refusent de s’aligner derrière les diverses milices saddamistes et intégristes, représentent le meilleur espoir pour le peuple irakien. C’est à elles que doit aller notre solidarité active.

  • Les Irakiens découvrent la “démocratie”

    TORTURES ET HUMILIATIONS

    Nous étions des millions l’an dernier à faire entendre notre voix contre cette guerre impérialiste, des millions à clamer haut et fort que les raisons qui ont poussé les armées de la coalition en Irak étaient toutes autres que la défense des droits de l’homme et l’instauration de la démocratie. Mais, malgré Guantanamo, il restait des sceptiques.

    Nicolas Croes

    Si tous n’allèrent pas jusqu’à cautionner entièrement l’intervention, la plupart admettaient volontiers que le peuple irakien allait enfin être libéré, et que le mal, somme toute, ne serait que passager.

    Beaucoup enchaînèrent en se moquant des extrémistes qui liaient la guerre au capitalisme. L’absence des fameuses armes de destruction massive avait cependant diminué leur nombre. Puis, l’on s’aperçut que les infrastructures pétrolières bénéficiaient de privilèges honteux compte tenu des conditions de vie de la population. Ils furent encore plus isolés quand il devint évident que la population ne voulait pas des marines US, ni d’une autre armée étrangère. En reste t-il encore aujourd’hui après la publication des photos de détenus ?

    Devant la résistance qui s’organise, à Bagdad comme ailleurs, les Américains crurent bon d’utiliser une vieille pratique de la CIA : la torture, tant physique que psychologique. C’est en effet avec l’approbation du secrétaire d’Etat à la défense Donald Rumsfeld que les prisonniers ont dû subir de tels sévices. Histoire de les préparer aux interrogatoires, l’avancée du processus de démocratisation étant à ce prix… La coalition s’est enfoncée dans un bourbier sans nom, c’est maintenant clair pour tout le monde et les Etats-Unis sont de plus en plus isolés pour y faire face.

    L’Irak plonge de jour en jour dans le chaos, et les exportations de pétrole s’en ressentent: elles s’élèvent approximativement à 2 millions de barils par jour, contre 3 millions avant le conflit. Tout cela tombe à un très mauvais moment puisque la Chine est de plus en plus demandeuse et que l’OPEP a décidé d’augmenter les prix. De plus, la reprise de l’économie américaine est fragile, et le soutient à Baby Bush diminue sans cesse, or les élections sont proches.

    Il ne faut cependant pas espérer une autre situation avec John Kerry. Il reste, lui aussi, à la botte des multinationales américaines, et a d’ores et déjà annoncé son refus de retirer les troupes d’Irak. Que cela soit en Irak où aux USA, il n’y a aucun espoir de mieux-être pour la majorité de la population sous le capitalisme.Ensemble, nous devons lutter contre ce système pourri qui n’engendre, à quelques riches exceptions près, que la misère et la guerre.

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