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  • Vienne. Contre le terrorisme, le racisme et le sectarisme, la solidarité

    L’attaque terroriste de Vienne exige une réponse déterminée du mouvement ouvrier. Un premier pas significatif serait que la gauche, les antifascistes et les syndicats organisent un rassemblement contre le terrorisme, le racisme, le sectarisme et leurs causes pour envoyer un signal fort d’unité de la classe ouvrière, sans distinction d’origine nationale, de race ou de religion.

    Déclaration du comité exécutif du Sozialistische LinksPartei, section autrichienne d’Alternative Socialiste Internationale (ASI)

    Le choc de l’attaque terroriste de lundi soir dans le centre de Vienne est encore ancré en nous tous. Nos pensées vont aux victimes de ce cruel attentat. Même si l’on ne sait pas encore grand-chose de l’attentat, il est déjà clair que le ou les assassins ont utilisé ces attaques brutales pour tuer des personnes qui voulaient profiter de leur dernière soirée avant le confinement, ainsi que des employés de la restauration et des passants. L’objectif était d’attiser la peur, de diviser et d’intimider.

    Les infirmières, les ambulanciers, les travailleurs sociaux et autres sont tous touchés, des travailleurs qui, en plus du fardeau énorme de la crise du Corona, travaillent maintenant à plein régime pour prendre soin des victimes et de leurs familles. Un représentant du personnel des services médicaux d’urgence de Vienne a déclaré dans la nuit à la station de radiodiffusion Zeit im Bild (ZIB,) : « J’appelle tous mes collègues à se présenter au travail et à se rendre sur leur lieu de travail. J’ai été politiquement inspiré par l’ancien maire Zilk, qui a déclaré : « Je garantis à chaque Viennois une ambulance et un lit d’hôpital ». Maintenant, nous avons le COVID-19 et même cette attaque terroriste en plus, et cette ville a grandi, mais pas le nombre d’ambulances ».

    Le mouvement ouvrier doit maintenant trouver une réponse à cette attaque et aux groupes réactionnaires du fondamentalisme islamique de droite, au danger de l’arsenalisation du racisme par la classe dirigeante et la droite ainsi que fournir un programme contre le terrorisme, le racisme et la division.

    Le danger des forces d’extrême droite et du fondamentalisme islamique

    Il n’est pas encore clair si la principale cible de l’attaque était la synagogue et si le principal motif était l’antisémitisme. Mais nous savons déjà qu’au moins l’un des attaquants était un adepte de « l’État islamique ». Les attentats terroristes de ces dernières semaines en France nous ont montré le danger que l’intégrisme islamique de droite représente pour la classe ouvrière. La haine et la violence qui émanent de ces forces touchent toujours en premier lieu les travailleurs ordinaires et les jeunes qui sont la cible la plus fréquente de ces attentats. C’est aussi parce que les riches et les puissants vivent et profitent de leur temps libre séparés de la population normale.

    En Autriche aussi, des forces réactionnaires ont tenté de passer à l’offensive ces derniers mois. Cet été, lorsque les Loups gris fascistes ont attaqué des activistes de gauche et des syndicalistes kurdes et turcs dans un centre de gauche du 10e arrondissement de Vienne, la Ernst-Kirchweger-Haus (EKH), c’est la gauche et les antifascistes qui ont mené la lutte contre l’attaque. Parralèllement, le parti politique conservateur ÖVP, qui a montré sa sympathie à la suite des événements d’hier, a exigé la fermeture de l’EKH.

    Aujourd’hui encore, seul le mouvement ouvrier peut trouver une réponse efficace à ces attaques à l’échelle internationale. La classe dirigeante peut faire de grands discours et manifester une inquiétude peu sincère, mais en réalité, ce sont leurs gouvernements qui, par leurs politiques, sont en partie responsables de ces attaques. Afin de soi-disant « défendre nos valeurs », la classe dirigeante a déjà restreint précisément ces « valeurs », telles que les droits démocratiques fondamentaux, après le 11 septembre. Il est à craindre que le gouvernement du chancelier Sebastian Kurz, du parti conservateur ÖVP, ait des projets similaires. Comme le montrent les mesures de « lutte contre le terrorisme » en France et dans d’autres pays, le danger émanant des fondamentalistes islamiques de droite ne diminuera pas avec plus de répression et de surveillance. Au contraire, la “guerre contre le terrorisme” menée par les États-Unis, l’état d’urgence en France et l’augmentation des incitations racistes à l’encontre des migrants et des réfugiés n’ont fait qu’aggraver la situation car ils ont contribué à la division de la société. Quiconque veut lutter contre la terreur doit s’attaquer à ses causes profondes.

    L’hypocrisie du gouvernement Kurz et des partis politiques au pouvoir

    Les paroles du chancelier Kurz, du ministre de l’intérieur Nehammer et Cie après cette attaque ressemblent déjà en partie à la rhétorique du gouvernement français, qui a parlé ces derniers jours de “guerre contre l’Islam”. Kurz, en tant que l’un des principaux hommes politiques de la droite populiste de la bourgeoisie en Europe, est en partie responsable de l’exclusion croissante des catégories de migrants et de musulmans de la population en Autriche et en Europe par ses incitations et sa politique racistes.

    Les politiques du gouvernement Kurz ont déjà coûté des milliers de vies en Méditerranée, dans les zones de guerre, dans les centres de détention pour déportation et dans les hôpitaux pendant la Corona. Le racisme, l’exclusion et la haine font toujours le jeu des forces réactionnaires comme l’ISIS. Lors des récentes élections locales à Vienne, le parti conservateur ÖVP, le parti d’extrême droite FPÖ et d’autres partis ont de nouveau fait délibérément campagne pour plus d’expulsions, d’isolement et d’exclusion en alimentant le racisme. En même temps, le gouvernement fédéral coopère avec des régimes réactionnaires comme celui de la Turquie ou de l’Arabie Saoudite et exporte des armes utilisées dans les guerres sanglantes du Moyen-Orient. Et ce gouvernement veut maintenant être considéré comme le défenseur d’une “société libre” contre le fondamentalisme islmaique réactionnaire ? Cette hypocrisie doit être dénoncée !

    Ce qui est particulièrement répugnant, c’est que Kurz & Co sont prêts à tout pour utiliser l’attaque à leurs propres fins. La classe dirigeante autrichienne veut détourner l’attention de sa politique de racisme et d’austérité, particulièrement visible lors de la crise sanitaire, et parle d’« unité nationale » contre l’ « ennemi extérieur ». Nous avons vu ce discours d’« unité nationale » récemment au début de la crise sanitaire. On nous dit que nous sommes tous dans le même bateau, mais notre expérience quotidienne montre combien cela est erroné.

    En ce moment, le mouvement ouvrier et les syndicats ne doivent pas céder à cette pression. Ils doivent critiquer les mesures du gouvernement fédéral : le manque de lits d’hôpitaux, le manque de compensation des coûts de la crise pour la classe ouvrière et les réactions répressives à venir en réponse à cette attaque terroriste. La référence du représentant du personnel des services médicaux d’urgence de Vienne au manque de ressources était non seulement compréhensible, mais aussi nécessaire. Le syndicat ne doit pas accepter que de telles critiques aient été omises dans les rapports ultérieurs.

    Nous devons nous préparer aux tentatives de renfort de la répression et la surveillance de l’État sous le prétexte de la “sécurité intérieure”. Les politiciens qui remercient aujourd’hui les infirmières, les ambulanciers et les autres services d’urgence sont également responsables des conditions de travail désastreuses de ces travailleurs, telles que l’insuffisance des équipements et le manque de financement. Les mêmes personnes qui vont maintenant réclamer et allouer plus d’argent à la police n’ont pas fourni de fonds supplémentaires pour le service de santé au cours des derniers mois et sont donc également responsables de l’augmentation des décès dus au coronavirus.

    Les causes du terrorisme

    Ce sont les guerres, les exportations d’armes et l’agitation des gouvernements européens et américains qui ont fait que le fondamentalisme islamique de droite s’est répandu dans un premier lieu. Les populations qui fuient l’Irak, la Syrie et d’autres pays fuient la terreur et les régimes terroristes qui ont vu le jour aux guerres. Quels que soient les auteurs de ces actes, il est essentiel de quitter le terrain sous la terreur.

    Depuis des années, des groupes tels que Daesh comptent sur la discrimination systématique des migrants et des musulmans en Europe. Le journaliste Karim El-Gawhary l’a clairement indiqué dans un post sur Facebook : « Dans un manifeste publié en 2015 dans le magazine en ligne Dabiq de Daesh, on décrit une dynamique que les islamistes militants veulent exploiter à leurs propres fins. L’idée était relativement simple. Avec chaque attaque islamiste en Europe et en Occident, l’atmosphère anti-islamique grandit. Il en résulte une polarisation et, comme on l’appelait à l’époque, « l’élimination de la zone grise », à mesure que la coexistence entre musulmans et non-musulmans se redéfinit. Avec l’exclusion des musulmans en Occident, il serait plus facile de les pousser dans les bras des militants islamistes et de leur idéologie et ils seraient faciles à recruter. »

    Si le racisme en Autriche augmente suite aux attentats et est délibérément attisé par des aspects de la politique actuelle, alors les auteurs auront atteint leur but. Ils savent très bien que ces attaques sont armées de racisme et que cela joue en leur faveur. La montée du racisme, mais aussi les problèmes sociaux croissants dus à la crise mondiale du système capitaliste font que des forces réactionnaires de différentes sortes peuvent se présenter comme des sauveurs et ainsi recruter pour leurs idéologies. La pauvreté, le chômage, les difficultés sociales et le manque de perspectives ont conduit à une radicalisation de la droite en Autriche, en particulier au sein d’une génération qui est complètement isolée et exclue. Le fondamentalisme islamique est une face de la médaille, l’extrémisme de droite autrichien en est l’autre.

    Il est évident que la grande majorité des musulmans n’ont pas plus à voir avec le terrorisme que la grande majorité des chrétiens ont à voir avec les auteurs des actes à Christchurch (une série d’attaques terroristes d’extrême droite commise le 15 mars 2019 par Brenton Tarrant contre deux mosquées de la ville de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, et qui ont fait 51 morts et 49 blessés). Mais cela en dit long sur le climat raciste qui règne lorsque de nombreux musulmans se sentent obligés de prendre explicitement leurs distances par rapport à de tels actes, ce qui n’est pas souvent le cas des adeptes d’autres religions au nom desquels des actes terroristes sont commis. Le terrorisme d’extrême droite, qu’il soit fasciste ou fondamentaliste islamique, doit être combattu par le mouvement ouvrier. C’est pourquoi une alternative de gauche est nécessaire pour canaliser la colère contre ce système, afin que ces forces réactionnaires n’aient plus de base pour répandre ler haine.

    Ce qu’il faut maintenant, c’est un programme efficace contre le terrorisme, la haine, l’agitation et le racisme : plus d’argent pour le bien-être social, l’emploi, des salaires plus élevés, l’éducation et la santé ; une lutte contre toutes les formes de racisme, de sexisme et de discrimination ; la fin des politiques de guerre et des exportations d’armes des impérialismes européen et américain ; et une offensive de gauche et syndicale pour l’unité de la classe ouvrière.

    Il faut plus d’argent pour les centres de jeunesse et autres établissements de soins similaires, car ils peuvent être des lieux qui brisent l’isolement social des jeunes, en particulier pendant la crise de la Corona. Des milliards sont nécessaires pour investir dans les écoles et les établissements d’enseignement, pour augmenter le personnel, les enseignants et les travailleurs sociaux. Il est urgent d’étendre et de financer entièrement les services d’urgence et le secteur de la santé, et d’augmenter le personnel. Il est inacceptable que ces services soient déjà sollicités au maximum en « temps normal », mais ils ont besoin de ressources suffisantes pour pouvoir garantir des soins sans problème dans les situations de crise. Cesser d’exporter des armes et de coopérer avec les partisans de la terreur fondamentaliste en Turquie, en Arabie Saoudite, etc. Cesser toute coopération militaire avec l’OTAN et avec les autres pays belligérants. Nous avons besoin d’une économie et d’une société qui offre, surtout aux jeunes, un avenir qui vaut véritablement la peine d’être vécu.

    Construire la solidarité

    C’est précisément en ces heures que l’on peut ressentir l’immense solidarité de la classe ouvrière : les deux jeunes hommes qui, au risque de leur propre vie, ont sauvé deux blessés et dont les médias bourgeois ont à peine parlé, peut-être parce qu’ils sont musulmans, les innombrables personnes qui ont offert leur maison comme refuge, les travailleurs des services d’urgence et les bénévoles qui étaient dans un délai très court, et bien d’autres exemples encore.

    Nous avons assisté à des manifestations de solidarité similaires après les attentats terroristes d’extrême droite en Allemagne, aux États-Unis et ailleurs. Par leur engagement, leur sympathie et leur solidarité, les gens ont montré que leur capacité à s’unir doit et est peut être plus forte que la terreur et la haine. Cela doit être notre base. Au lieu d’un deuil national dans le but d’une “solidarité nationale” dans l’intérêt de la classe dirigeante, nous avons besoin d’une réaction décisive du mouvement ouvrier et des syndicats.

    Ce serait un premier pas significatif si la gauche, les antifascistes et les syndicats appelaient à un rassemblement contre le terrorisme, le racisme et le sectarisme et leurs causes. De même, les syndicats pourraient organiser de courtes actions de grève afin d’envoyer un signal fort en faveur de l’unité de la classe ouvrière, indépendamment de l’origine nationale, de la couleur de peau ou de la religion. Un plan d’action syndical permettrait de dénoncer les véritables auteurs et les causes de ces atrocités.

    Le capitalisme traverse sa crise la plus profonde dans le monde entier qui coûte chaque jour des vies. Cette année nous a brutalement montré à tous le vrai visage de ce système putride. Ce système n’a pas d’avenir : il produit des pandémies, de la terreur, de la guerre, de la haine et de la misère. Cette barbarie capitaliste doit être combattue au niveau international avec détermination par nous, la classe ouvrière, et dans la perspective d’une alternative socialiste.

  • L’Autriche après les élections

    En mai 2019, le gouvernement autrichien s’est effondré. Cette coalition qui réunissait l’extrême droite (le FPÖ) et le parti conservateur (ÖVP) n’a pas survécu à un scandale de corruption autour du vice-chancelier de l’époque et dirigeant du FPÖ, Heinz-Christian Strache. Sebastian Kurz, arrivé à la tête de l’ÖVP avant les élections de 2017, a orienté son parti vers le populisme de droite du FPÖ tout en essayant préserver un profil sérieux et favorable aux grandes entreprises.

    Par Sebastian Kugler, Sozialistische LinksPartei (SLP, CIO-Autriche)

    Ces dernières ont forcé Kurz à mettre fin à la coalition ÖVP-FPÖ et à appeler à la tenue d’élections anticipées à l’automne. Il a ensuite perdu un vote de défiance – une première depuis la fondation de la république – ce qui signifiait la mise en place d’un gouvernement technocratique d’”experts”.

    Mais cela n’a pas affaibli Kurz à l’approche des élections anticipées. Les couches les plus bourgeoises des partisans du FPÖ se sont tournées vers l’ÖVP, désormais quasiment aussi raciste que le FPÖ mais plus “sérieux”, tandis qu’il n’y a pas eu d’opposition sérieuse de la part du mouvement syndical et de la gauche. L’ÖVP a donc remporté une victoire décisive. Kurz a remporté 37 % des voix en bénéficiant d’une confortable et historique marge de 15 % sur le deuxième parti.

    Mais cela rend la formation d’un nouveau gouvernement encore plus compliquée. L’aile ouvertement pro-big business du FPÖ, regroupée autour de Norbert Hofer, souhaite poursuivre la coalition et son programme politique pour les super riches même si les pertes électorales du FPÖ s’élèvent à 10%. Mais Hofer a dû céder à la pression d’autres forces au sein de son parti, autour d’Herbert Kickl, qui souhaitent que le parti d’extrême droite se refasse une santé dans l’opposition.

    Kurz a ouvertement défendu la poursuite de la politique du dernier gouvernement. Il regrette toutefois que “le FPÖ ne soit pas à la hauteur”. En ce sens, Kurz fait écho à l’atmosphère qui domine au sein des principales grandes entreprises autrichiennes. Ces dernières se sont félicitées des coupes budgétaires et des attaques brutales contre les droits des travailleurs du dernier gouvernement ainsi que de son offensive idéologique nationaliste.

    Théoriquement, Kurz pourrait entrer en coalition avec le SPÖ “social-démocrate” arrivé en deuxième position. Mais les 22% obtenus par le SPÖ marquent un nouveau plancher historique pour ce parti. Son déclin semble irréversible et une nouvelle crise est à l’œuvre en son sein. Certains de ses membres appellent à une “refondation” et à un “retour aux sources” de la social-démocratie. Mais ces appels manquent d’une base sérieuse prête à agir avec un programme qui défie l’appareil du parti. Il y a de grandes chances que cela ne soit qu’une tempête dans un verre d’eau, comme cela fut le cas lors des dernières crises de cette sorte.

    Le SPÖ serait prêt à entrer au gouvernement, même au prix d’une nouvelle descente aux enfers électorale. Cette force politique est celle qui incarne le plus la “stabilité politique” de l’Etat bourgeois. N’ayant pas de racines historiques au sein d’une faction précise des capitalistes, il se considère comme la représentation politique idéale du capital national dans son ensemble, comme le parti de l’État. Pour le bien de la “stabilité”, il est prêt à se sacrifier, à l’instar de l’Allemagne où le SPD est entré dans une coalition en sachant pertinemment que cela aurait un coût. Mais puisque Kurz a conçu l’ensemble de son projet politique en se différenciant du SPÖ, s’allier à lui pour former un gouvernement ressemblerait à un désaveu.

    La coalition FPÖ-ÖVP est arrivée au pouvoir pour mettre fin à la lenteur des gouvernements traditionnels de l’ÖVP et du SPÖ. La base du pouvoir du SPÖ repose sur un “partenariat social” institutionnalisé entre syndicats et capital. Ce parti s’est avéré être un allié fiable pour la politique d’austérité, pour autant que cette dernière ne sape pas la base matérielle du pouvoir de la direction du SPÖ ni la stabilité politique de l’Etat.

    Cela a mis certaines limites à la rapidité et à l’intensité de l’austérité et a nourri les souhaits d’un gouvernement reposant sur la ” doctrine du choc” pour que l’offensive antisociale passe à un autre niveau. Le dernier gouvernement s’y est employé, en instaurant la journée des 12 heures (il est désormais légal de travailler plus d’heures supplémentaires, jusqu’à 12 heures par jour soit 60 heures par semaine) et en restructurant l’assurance maladie publique dans le but d’”économiser de l’argent” (c’est-à-dire de réduire la prestation de service). Mais il a également démontré son incapacité à garantir la stabilité. Il semble maintenant que le capital préfère affronter la prochaine crise économique avec un gouvernement moins audacieux, mais plus fiable.

    La vague verte

    Le parti vert, après avoir été expulsé du Parlement lors des élections de 2017, a célébré son retour triomphal avec un des meilleurs résultats pour un parti vert en Europe à ce jour. Cependant, ce succès n’est pas tant le fait des Verts que d’un facteur externe : le mouvement mondial pour le climat, qui a suscité une large prise de conscience sur les questions environnementales. Même si la politique concrète du parti – qui était encore représenté dans de nombreuses collectivités locales et régionales – n’est en aucun cas vraiment “verte”, elle a été considérée comme le choix logique de beaucoup de ceux qui ont été influencés ou actifs dans le mouvement. Un facteur était que l’aspiration à une opposition de gauche a été projetée sur le parti “manquant” au Parlement puisque le SPÖ ne prétendait même pas en être une.

    Un gouvernement ÖVP-vert serait favorablement accueilli par différentes couches de la société. Certains pourraient même penser que les Verts pourraient quelque peu “dompter” les conservateurs. Ces illusions pourraient être nourries par la flexibilité de Kurz sur certains terrains. Kurz est un caméléon néolibéral : il a déjà essayé de se faire passer comme un progressiste sur les questions de migration et de genre, puis a complètement changé de position. Un tel gouvernement ne copierait pas la politique hardcore d’austérité ouvertement raciste de son prédécesseur, mais il ne reviendrait pas non plus sur aucune des coupes budgétaires de la dernière période. Bien au contraire.

    Ce gouvernement entrera en fonction dans le cadre d’un capitalisme entré en période de turbulences de plus en plus aiguës. Et il devra servir les intérêts du capital. Compte tenu de la forte dépendance de l’économie autrichienne à l’égard des exportations, tout particulièrement vers l’Allemagne, cela se traduira par une baisse des coûts de production pour rester compétitif sur les marchés internationaux. Parallèlement, la crise à venir va accroître la nécessité d’un certain type d’intervention de l’État. Non pas dans le sens de mesures keynésiennes anticycliques visant à stimuler la consommation, il s’agira plutôt de plans de sauvetage pour les entreprises et de plans de relance pour certaines pans de l’industrie autrichienne hautement spécialisées dans certains domaines afin de leur donner un avantage commercial. Il pourrait même s’agir d’investissements dans les énergies “vertes”, mais pas d’une nature suffisante pour assurer une véritable transition vers les énergies renouvelables.

    Les résultats électoraux ne sont qu’un instantané des développements en cours. Ils n’ont pas reflété la prise de conscience croissante selon laquelle l’establishment politique ne résoudra pas ni la crise climatique, ni la crise sociale. Ces dernières années, nous avons assisté à la renaissance de grèves dans le secteur de la métallurgie et chez les cheminots. Dans le secteur social, des grèves éclatent depuis deux années consécutives, ce qui rend les choses très difficiles à contrôler pour la bureaucratie syndicale. Les infirmières ont commencé à s’organiser de façon indépendante pour arracher de meilleures conditions de travail et mettre leurs dirigeants syndicaux au pied du mur. Des milliers de personnes ont participé aux manifestations hebdomadaires contre le gouvernement précédent au cours de l’année écoulée. 120.000 personnes ont manifesté le même jour contre les 12 heures de travail. C’était à l’époque la plus grande mobilisation que l’Autriche ait connue depuis des décennies, mais ce nombre a été dépassé par les 150.000 manifestants de la 3e journée de grève internationale pour le climat de septembre dernier.

    Nous avons besoin d’une alternative de gauche combative

    Le désir d’un nouveau parti de gauche devient de plus en plus concret, tout particulièrement parmi les activistes. C’est un pas dans la bonne direction et nous nous en félicitons. Mais il ne suffit pas de proclamer la nécessité d’un nouveau parti des travailleurs : nous devons montrer comment une telle force peut être construite. A l’approche de plusieurs élections régionales, les luttes et mouvements mentionnés ci-dessus doivent constituer le point de départ de la gauche pour développer une alternative viable sur le terrain électoral. Cela implique de rompre avec la tradition de vagues alliances électorales de gauche conclues bureaucratiquement dans les coulisses autour du vieux parti communiste KPÖ.

    Si les activistes des divers mouvements de lutte et les groupes politiques qui y ont joué un rôle constructif formaient des alliances pour les prochaines élections, cela pourrait représenter un pas dans la direction d’un nouveau parti des travailleurs, même sans bénéficier d’un grand succès électoral au début. L’intensification des luttes syndicales ainsi que les syndicalistes et délégués syndicaux combattifs qui s’organisent aux côtés de la bureaucratie syndicale, et parfois contre elle, pourraient affaiblir celle-ci et faire place à une nouvelle couche de syndicalistes militants prêts à mettre fin à la mainmise suffocante du SPÖ sur les syndicats.

    Le Sozialistische LinksPartei (section autrichienne du CIO) s’est présenté aux dernières élections dans l’État de Haute-Autriche, non pas en ayant l’illusion de pouvoir entrer au Parlement, mais dans l’objectif d’utiliser le caractère politisé de la période électorale afin de défendre un programme socialiste et de nous renforcer. Avec plusieurs nouveaux membres et un profil plus fort, l’effort sera payant. Dans la rue, sur les lieux de travail et sur les bulletins de vote, le Sozialistische LinksPartei s’impliquera dans les mois à venir pour construire une alternative ouvrière au prochain gouvernement des riches, quel qu’il soit.

  • Autriche : 100.000 manifestants contre l’allongement des journées de travail

    Ce samedi 30 juin, une énorme foule de manifestants s’est réunie à Vienne. La fédération syndicale autrichienne ÖGB avait appelé à manifester contre l’augmentation de la limite légale du temps de travail, un appel suivi par des syndicalistes et des travailleurs de toute l’Autriche. Les premiers rangs du cortège avaient atteint l’arrivée avant même que la majorité des participants n’ait commencé à marcher ! La police n’a initialement parlé que de 25.000 manifestants, mais elle a dû rapidement changer son estimation officielle pour parler de 80.000. Il était toutefois évident que bien plus de monde était présent.

    Par Sonja Grusch, Sozialistische Linkspartei (SLP)

    Le SLP, la section autrichienne du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), a participé à la manifestation avec un contingent dynamique. Nous avons vendu plus de 250 journaux, distribué plus de 2.500 tracts et nos pancartes appelant à la grève ont été chaleureusement accueillies.

    NON au 12 et au 60 !
    La manifestation visait à s’opposer à la volonté du gouvernement autrichien d’étendre à 12 heures par jour et à 60 par semaine la durée maximale autorisée de travail. L’actuelle législation autorise un maximum de 10 heures par jour et de 50 heures par semaine (il existe déjà des exceptions). Le gouvernement – qui réunit le Parti populaire (ÖVP), « modernisé » et encore plus néolibéral, et le Parti de la liberté (FPÖ) d’extrême droite, qui a très ouvertement dévoilé son caractère capitaliste brutal depuis son arrivée au pouvoir – ne ménage pas ses efforts pour satisfaire tous les souhaits des patrons. Cela comprend la réduction des droits des locataires, une ségrégation raciste dans les écoles et des horaires de travail plus « flexibles ».

    Le gouvernement tente de présenter le passage de la durée maximale du travail à 12 heures par jour et à 60 heures par semaine en affirmant que personne ne serait « obligé » de travailler ce nombre d’heures, que tout serait « volontaire » et que cela permettrait aux travailleurs d’avoir des week-ends plus longs. Pour la majorité des gens, il est toutefois absolument évident que quasiment rien n’est « volontaire » dans u emploi, ce sont les patrons qui décident qui travaille et quand. La mesure coûterait également de l’argent aux travailleurs, car la rémunération des heures supplémentaires serait réduite.

    La mobilisation syndicale

    Ce projet « 12/60 » était connu depuis près d’un an, mais le gouvernement a attendu cette année, une fois les élections locales passées. L’annonce d’aller de l’avant avec le « 12/60 » a été publiée quelques heures à peine après la fin du congrès de juin de la fédération syndicale ÖGB. Le gouvernement n’a même pas suivi la procédure parlementaire normale, il a rusé pour éviter les discussions au Parlement et accélérer l’adoption de la mesure. Leur projet était d’adopter la nouvelle loi d’ici le 4 juillet, soit au début de la période des vacances.

    En moins de deux semaines, l’ÖGB a organisé des conférences de délégués syndicaux dans toutes les grandes villes. Dans des centaines d’entreprises, des réunions ont également eu lieu sur le lieu de travail avec la participation de milliers ou de dizaines de milliers de personnes. Dans les entreprises où les membres du SLP travaillent ou sont délégués syndicaux, la question d’une grève comme prochaine étape du mouvement faisait partie de la discussion.

    Entre la manifestation et la mise en œuvre prévue de la législation, un plus grand nombre de réunions sur le lieu de travail ont lieu dans un certain nombre de grandes entreprises. Le lundi 2 juillet, les cheminots et le personnel de certains autres réseaux de transport public ont tenu des réunions de travail, qui étaient des grèves de fait. Graz, la deuxième plus grande ville d’Autriche, n’avait pratiquement pas de transports publics le lundi matin et de nombreux trains ont été retardés ou annulés. L’ÖGB a appelé les bataillons lourds du mouvement ouvrier à participer à cette série de réunions sur le lieu de travail, car certaines des principales industries, comme l’entreprise sidérurgique VOEST, ont également été à l’arrêt.

    La colère de la classe ouvrière contre le « 12/60 » était forte et claire lors de la manifestation, qui a été inondée d’une mer de pancartes et d’affiches. Il ne s’agissait pas seulement de celles préparées par les syndicats, mais aussi de celles faites à la main. Les sondages d’opinion montrent qu’une majorité s’oppose au projet et soutient l’idée de riposter. La classe ouvrière montre quel est son pouvoir. Tout la question est de savoir ce qu’il adviendra par la suite.

    Il faut un plan d’action !

    L’ÖGB a une tradition de “partenariat social”, une tradition de collaboration de classe avec le gouvernement et les employeurs. Souvent, le fait d’être invité à la table de négociation semble plus important que ce qui est négocié aux yeux des dirigeants syndicaux. Mais les différentes organisations de la classe ouvrière sont attaquées par ce gouvernement, qui veut réduire l’influence des organisations de travailleurs dans le secteur de la santé et de la sécurité sociale, ainsi que sur les lieux de travail. Les emplois des bureaucrates syndicaux eux-mêmes sont donc en danger. En même temps, la pression augmente à partir de la base, car la classe ouvrière entend chaque jour la propagande faisant état d’une croissance économique, mais elle n’en ressent rien dans ses poches.

    Dans la période précédant le congrès de l’ÖGB, le SLP a pris l’initiative de former une plate-forme plus large pour un syndicalisme de combat. Elle est intervenue dans le congrès de l’ÖGB. “ÖGB aufrütteln” (‘Réveille-toi, ÖGB’) est soutenue par des délégués et des militants syndicaux. L’initiative est arrivée juste à temps. Un autobus a été loué pour la manifestation et divers délégués syndicaux et activistes ont pris la parole et ont marché ensemble, dont le contingent du SLP. L’appel à la grève s’est fait entendre dans la manifestation et a été favorablement accueilli par beaucoup de collègues.

    Le SLP a publié une déclaration et un tract comprenant une proposition de plan d’action. Nous avons expliqué pourquoi une lutte ne peut être remportée que si les collègues des différents lieux de travail participent activement aux décisions et aux préparatifs. Nous avons plaidé pour le rassemblement des différentes protestations, car le gouvernement n’est pas seulement à l’offensive sur cette question, mais aussi sur d’autres qui suscitent également une riposte.

    Le tract du SLP qui a été distribué lors de nombreuses réunions de délégués syndicaux ainis que lors de la manifestation appelait à la grève et indiquait clairement comment l’organiser, pourquoi nous ne pouvons pas attendre que la mesure soit adoptée au Parlement et pourquoi il est nécessaire de répondre à l’attaque généralisée par une riposte généralisée : une grève générale.

    Nous avons également abordé la question politique. Les militants du SLP ont participé à un certain nombre de réunions de délégués syndicaux. En Haute-Autriche, où il était possible de prendre la parole de l’assemblée, Gerhard Ziegler, membre du SLP et délégué syndical, a déclaré qu’une grève était une absolue nécessité. Le Parti social-démocrate (SPÖ), qui a perdu la plupart de son pouvoir et de son influence au cours de ces dernières décennies, tente de se présenter comme une opposition et fait semblant de « lutter » contre le « 12/60 ». Mais, dans le cadre de ses plans gouvernementaux, le SPÖ avait également défendu une telle approche, quoique d’une manière plus « douce ». Le SPÖ ne fait pas de tentative sérieuse de lutter pour les intérêts de la classe ouvrière – son « combat » est essentiellement une manoeuvre populiste. Son objectif principal est de moderniser l’économie autrichienne afin qu’elle soit en mesure de faire face à la concurrence internationale. C’est essentiellement le même objectif que le chancelier et leader de l’ÖVP, Sebastian Kurz. La question d’une alternative politique doit donc également être soulevée.

    Quelle est la stabilité du gouvernement ?

    Le paradoxe de la situation est que le gouvernement bénéficie encore de bons résultats dans les sondages d’opinion et n’a pas beaucoup perdu depuis son élection en octobre 2017. Cela ne s’explique pas uniquement par sa communication très professionnelle et bien maîtrisée, c’est également en raison de l’absence de toute alternative sérieuse et du sentiment général que ce gouvernement représente quelque chose de nouveau et qu’il semble réellement fonctionner.

    Chaque fois que le gouvernement s’en prend à la classe ouvrière, il instrumentalise la « crise des réfugiés » et fait tout pour dévier l’attention. Cela fonctionne en partie, car les partis traditionnels ont mené une politique raciste durant des années sans qu’aucune réponse ne soit donnée aux questions sociales liées au “problème” des réfugiés. Cela a conduit à une acceptation plus large des politiques racistes.

    Mais ce serait une erreur de dire que ce gouvernement est stable. Des tensions existent concernant la politique internationale, même si le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour les dissimuler. Ces tensions augmenteront non seulement autour des questions européennes, mais aussi au fur et à mesure que le FPÖ subira des pressions croissantes de la part de son électorat.

    Il serait toujours faux de penser que le FPÖ serait le nouveau “parti des travailleurs”, comme l’ont dit certains commentateurs. Mais il est vrai que beaucoup de gens de la classe ouvrière ont voté pour ce parti en croyant (ou en plaçant ses espoirs) dans la propagande du FPÖ au sujet de ses politiques « sociales ». Le vice-chancelier Strache, du FPÖ, qui est très actif sur Facebook, a rapidement appris de la colère de masse contre le « 12/60 » et d’autres mesures rendues publiques. En exerçant la présidence de l’UE, le chancelier Kurz, présenté comme l’étoile montante des forces politiques bourgeoises en Europe, découvrira qu’il ne peut résoudre facilement aucun des problèmes auxquels son gouvernement est confronté.

    Enfin et surtout, la classe ouvrière n’a fait que commencer à bouger. Le gouvernement a dû annoncer des changements à la loi 12/60, mais c’était trop peu, trop tard.

    L’ÖGB a fait beaucoup d’erreurs. La fédération veut que la situation se calme et espère retourner à la table des négociations. Par-dessus tout, l’ÖGB veut contrôler la classe ouvrière. Mais, de l’autre côté, des centaines de milliers de travailleurs sont en colère et aspirent à se battre. Ils ne sont pas prêts à être appelés à protester et à accepter un accord pourri. La situation est très ouverte. Mais ce qui est sûr, c’est que la lutte n’est pas terminée.

  • Le nouveau gouvernement autrichien immédiatement confronté à la résistance

    Le lundi 18 décembre, le troisième gouvernement “noir” (le Parti Populaire conservateur – ÖVP),”bleu” (le Parti de la liberté, d’extrême droite – FPÖ) de la deuxième république autrichienne de l’après 1945, a prêté serment.

    Par Sonja Grusch, SLP (section autrichienne du Comité pour une Internationale Ouvrière) et membre dirigeante du mouvement de 2000 contre le précédent gouvernement ÖVP-FPÖ.

    Les dirigeants de partis Kurz (Parti Populaire) et Strache (Parti de la liberté) ont tiré les leçons du fiasco de la corruption gouvernementale des années 2000. Ils ont tenté de se présenter comme des hommes d’État responsables, dont le gouvernement a six postes ministériels occupés par des femmes et ont tenu compte des souhaits du président de la République, le Vert Van der Bellen. Tout cela ne change toutefois en rien la composition réelle de ce gouvernement. Parmi ses ministres se trouve un grand nombre de prêcheurs de haine issus des fraternités nationalistes pan-germanistes. Le programme du gouvernement déborde de racisme et de préjugés à l’égard des musulmans et des réfugiés (la violence à l’égard des femmes est par exemple abordée dans le programme gouvernemental à proximité du chapitre “migration”).

    Le programme gouvernemental : 180 pages d’attaques enveloppées de belles paroles

    Le gouvernement bleu-noir a l’intention de se débarrasser des conquête sociales obtenues par les travailleurs pendant la période de radicalisation internationale et de mouvements de masse qui a pris place après 1968.

    Le programme gouvernemental parle plusieurs fois de “patrie”, d’”identité” et de “valeurs”. Le christianisme doit avoir plus de place dans l’État et ses concepts moraux doivent être appliqués, par exemple, dans le contexte du droit de la famille et du droit des femmes à l’émancipation. Dans les universités, outre le projet d’introduire des frais de scolarité, l’espace pour les politiques de gauche et socio-critiques doit être réduit. Ce qu’ils appellent la “culture autrichienne” est censé être encouragé et un “degré autrichien” (pourcentage de culture “autrichienne”) dans les médias serait instauré. Nous pouvons supposer que, dans les deux cas, les aspects culturels les plus progressistes et favorables aux travailleurs seront exclus.

    Mais ce sont les projets économiques et sociopolitiques du gouvernement qui sont particulièrement effrayants pour les travailleurs. Le gouvernement veut brider les syndicats. Il veut introduire la journée de travail de douze heures, supprimer la représentation syndicale des jeunes et instaurer un modèle d’allocations de chômage similaire au modèle allemand “Hartz IV”, ce qui signifie que les chômeurs de longue durée ne bénéficieront d’aucune aide financière de l’État. Les changements prévus dans la législation du travail se feront aux dépens des petits salariés.

    Le programme regorge de termes tels que : “débureaucratisation”,”Etat allégé” et “réforme fiscale”. Derrière cette rhétorique se cachent des coupes budgétaires dans les services et les aides aux salariés socialement défavorisés. L’argent ainsi épargné servira à accorder des cadeaux fiscaux aux entreprises.

    Le mot “sanction” revient aussi régulièrement. Contre les parents d’élèves qui abandonnent l’école, contre les migrants prétendument “réticents à s’intégrer” (le nouveau gouvernement déclare parallèlement que l’intégration des réfugiés n’est pas souhaitée) ou contre les élèves trop critiques. Il est par contre question de réarmement et de militarisation.

    Ce ne sont là que quelques-unes des politiques du programme gouvernemental de 180 pages. Si les commentateurs bourgeois se plaignent de son manque d’audace, ils oublient que le nouveau gouvernement entend être prudent dans les quatre premiers mois de 2018, avant la tenue de quatre élections régionales. Le gouvernement régional de Haute-Autriche (au pouvoir depuis 2015) a de même retardé l’introduction de nombreuses mesures pour attendre les élections générales d’octobre 2017. La formulation souvent vague du programme du nouveau gouvernement laisse également beaucoup de place à des attaques brutales contre la classe ouvrière.

    Un gouvernement potentiellement instable

    Ce gouvernement sera confronté à des résistances dans un certain nombre de domaines, y compris le secteur public. Kurz planifie de s’en prendre au secteur public, en ayant habilement laissé Strache en charge du dossier pour tenter de préserver la base du Parti populaire dans ce secteur. Des mesures de centralisation sont également prévues à différents niveaux, ce qui affaiblira les provinces et municipalités fédérales. De nombreux politiciens du Parti populaire sont toutefois présents dans ces structures, des conflits sont donc inévitables. Les manœuvres de Kurz n’empêcheront pas l’opposition de s’exprimer. Sur la page facebook de Strache, une bataille numérique au sujet de la journée de travail de 12 heures a déjà eu lieu, ce qui a donné au FPÖ un avant-goût de l’impopularité que le parti va engendre auprès de sa base électorale avec de telles attaques néolibérales.

    De toute évidence, le fossé est grand entre l’auto-présentation du FPÖ en tant que “parti de la patrie sociale” et la réalité des mesures néolibérales. L’idéologise raciste et misogyne du FPÖ exigera également l’introduction de mesures qui ne sont pas compatibles avec les souhaits des grandes entreprises. Mais Kickl (ministre de l’intérieur, FPÖ) et Strache sont enfin au pouvoir et ils ne voudront pas quitter leurs postes. Même si une crise du type de celle de Knittelfeld en 2002 n’est pas directement à l’agenda, le FPÖ devra faire face à des pressions internes. A l’époque, les conflits au sein du FPÖ avaient conduit à la démission de plusieurs ministres et à de nouvelles élections.

    D’autre part, la situation économique de l’Autriche n’est positive qu’en surface. La croissance économique nationale est fragile et dépend des développements internationaux. La possibilité d’accorder des avantages fiscaux aux grandes entreprises, qui se chiffrent en milliards de dollars, est très limitée. Le capitalisme autrichien, dont certains représentants ont largement participé à l’élaboration du programme économique du gouvernement, attend beaucoup de la réduction des coûts salariaux. Ce “nouveau style” qui emble harmonieux ne durera pas. Kurz, l’espoir de la bourgeoisie, perdra probablement sa crédibilité aussi rapidement que d’autres “nouveaux” dirigeants récents, comme Macron ou Trudeau.

    La résistance augmente

    Le jour de l’investiture du nouveau gouvernement, 6.000 à 10.000 personnes ont manifesté à Vienne. Le samedi précédent, des centaines de manifestants avaient manifesté à Graz, tandis que des centaines de manifestants étaient également dans les rues de Salzbourg le lundi, de même qu’environ 2 000 dans la petite ville d’Innsbruck, dans le Tyrol. Peu de temps avant cela, à plusieurs reprises, entre 2 000 et 4 000 personnes sont descendues dans les rues de Linz pour protester contre le gouvernement régional bleu-noir de Haute-Autriche. Les pancartes et banderoles artisanales caractérisaient ces mobilisations à l’atmosphère combative. De nombreuses jeunes femmes se sont jointes au mouvement. Les projets antisociaux du gouvernement, comme la journée de travail de 12 heures ou les frais de scolarité, ont poussé beaucoup de gens à reprendre le chemin de la rue.

    Dans les médias, ces protestations ont été comparées au “mouvement de résistance” de 2000 avec l’objectif de ridiculiser les protestations actuelles. Mais un millier de jeunes ont participé à une grève écolière à Vienne et des manifestations d’étudiants du supérieur ont également pris place. Dans la rue, il n’y avait pas seulement que “la gauche”. Il y eut aussi les “grand-mères contre le bleu-noir” et d’autres expressions de la mobilisation de la population qui a – à juste titre – peur du nouveau gouvernement et de ses politiques.

    Bien sûr, le “mouvement de résistance” de 2000 ne se répétera pas. Si nous voulons construire aujourd’hui un mouvement de cette échelle, il faut aussi tirer les leçons du passé. Après tout, ce mouvement ne fut pas victorieux, essentiellement parce qu’il s’était limité à des manifestations sans s’orienter vers les syndicalistes et sans soutenir les actions de la classe des travailleurs. Si les “vétérans” de 2000 rejoignent les manifestations d’aujourd’hui, ils doivent apprendre des faiblesses du passé. Il est important que ces manifestations politisent toute une génération. La grande participation des jeunes aux manifestations est un très bon point de départ. Il s’agit maintenant de s’organiser. Beaucoup cherchent comment agir de la meilleure manière. C’est pourquoi il est important de débattre. Il ne s’agit pas seulement de discuter, mais d’élaborer ensemble un plan d’action visant à stopper ce gouvernement et son programme tout en proposant une alternative.

    Lors de la prestation de serment du gouvernement, les syndicats étaient malheureusement invisibles. Sur sa page d’accueil, la fédération syndicale ÖGB déclarait:”L’ÖGB ne participera pas à la manifestation annoncée contre le gouvernement ÖVP-FPÖ. Nous l’évaluerons [le nouveau gouvernement], aussi sérieusement que d’habitude”. Il s’attend à ce que les “partenaires sociaux” (les organisations syndicales et patronales) soient invités et à ce que leurs arguments soient entendus “parce que cela permet d’éviter beaucoup de frictions”. Cette approche est absurde. La direction syndicale veut attendre une invitation, puis (si elle est invitée) expliquer son point de vue. Mais même si une telle réunion est organisée, l’avis des syndicats sera largement ignoré. Et que proposeront alors les dirigeants syndicaux?

    Les objectifs du nouveau gouvernement sont très clairs. Il n’ y a pas de temps à perdre. Les syndicats ont la responsabilité d’informer leurs membres au sujet du programme brutal du gouvernement, par exemple avec des assemblées sur les lieux de travail. Il leur incombe non seulement de participer aux manifestations, mais aussi d’organiser activement la résistance. Si les syndicats ne le font pas, de nombreux membres remettront en question leur affiliation. Nombreux sont déjà ceux qui ne sont pas d’accord. Cela s’exprime pour l’instant surtout sur les réseaux sociaux, mais aussi dans la participation des syndicalistes aux manifestations. Le développement d’un syndicalisme combatif est attendu depuis longtemps.

    Lors des dernières élections, la déception vis-à-vis des sociaux-démocrates de droite a permis au FPÖ d’être le plus grand parti parmi les ouvriers. La participation du FPÖ à une offensive contre les travailleurs et les pauvres offre l’occasion de démasquer ce parti en tant que “faux ami” des travailleurs. Pour cela, il est nécessaire de construire une véritable alternative à la fois contre ce nouveau gouvernement et contre les politiques des anciennes coalitions des sociaux=démocrates et du Parti populaire.

    Le 13 janvier, un appel a été lancé pour une grande manifestation nationale. Le défi est de réunir les différentes couches de travailleurs menacées par le gouvernement. Cela doit être un signal fort: la première étape pour organiser une résistance capable de repousser les mesures. Nous devons contrer la guerre de classes brutale d’en haut avec une résistance déterminée d’en bas.

    Nous ne pouvons compter sur aucun des partis de l’establishment. Van der Bellen, le président de la république membre du parti vert, a ainsi présidé à l’intronisation de ce nouveau gouvernement, sans rien critiquer et sans jouer aucun rôle dans les manifestations.

    Nous devons organiser des comités d’action. Les travailleurs doivent connaître les conséquences des mesures prévues par le gouvernement. Il nous faut mener campagne dans les écoles, les universités, sur les lieux de travail, vers les migrants et les réfugiés, dans les médias, les secteurs culturels, sanitaires, sociaux et éducatifs afin de se réunir autour des forces syndicales. Ce n’est pas le moment de faire l’autruche ou de se retirer dans la vie privée. Il est temps de s’organiser. Ensemble, nous sommes plus forts et nous pouvons construire une alternative politique et sociale à ce gouvernement.

  • Autriche. Solidarité massive avec les réfugiés

    Il y a quelques jours, 71 réfugiés ont été retrouvés morts dans un camion au sud de l'Autriche. Hier, environ 25.000 personnes ont manifesté à Viennes et ailleurs en solidarité avec les réfugiés et pour contester l'Europe-Forteresse. Au même moment, environ 1000 réfugiés sont arrivés en Autriche via la Hongrie pour essayer de traverser le pays afin d'arriver en Allemagne. Spontanément, des centaines de personnes ont accueilli les réfugiés à la gare, en achetant notamment tout ce que contenait le supermarché local afin de leur offrir nourriture, eau, médicaments et jouets pour les enfants. Les cheminots ont organisé un train pour les réfugiés, un grand restaurant a ouvert ses portes et offert des places où dormir à ceux qui étaient trop fatigués pour continuer leur route directement. Des frontières ont été franchies et des lois ont été brisées sous la pression de la solidarité.

    Nos camarades du SLP, Sozialistische LinksPartei (section autrichienne du Comité pour une Internationale Ouvrière et parti-frère du PSL) étaient présents à la manifestation de Viennes avec une délégation combattive qui avait notamment pour slogan : "Que les réfugiés restent, exproprions les riches!"

    L'énorme sentiment de solidarité qui existe parmi la population ordinaire s'est reflété dans l'assistance immédiate qui a été fournie aux réfugiés lors de ces évènements et d'autres. La politique du gouvernement ou la rhétorique raciste de l'extrême droite, notamment, ne font visiblement pas l’unanimité dans la population. Il ne faut pas bien entendu nier l'impact de la politique de division semée par l'extrême droite, mais en organisant concrètement la solidarité avec les réfugiés, une image différente est clairement montrée : celle de l'unité entre les opprimés et de la solidarité avec ceux qui en ont besoin. Il est d'ailleurs à noter qu'alors que le gouvernement ne parvient pas à aider les réfugiés – il ne reste de moyens que pour les banquiers – la population ordinaire refuse de rester inactive face à la catastrophe humanitaire et s'engage dans le soutien des autres être humains.

    Le 3 octobre, une nouvelle grande manifestation est prévue en Autriche. Pour faire de cette manifestation un succès, il faut bien sûr mobiliser parmi les réfugiés mais aussi dans les écoles, particulièrement là où de jeunes réfugiés sont scolarisés, de même que dans les quartiers et sur les lieux de travail. Assurer que la mobilisation soit la plus large possible est d'une aide cruciale pour permettre de limiter l'espace pour la rhétorique de droite.

    A notre avis, il faut insister sur le lien à faire entre la crise des réfugiés et la résistance nécessaire contre le capitalisme, dont le fonctionnement même conduit directement tant à l'austérité qu'au drame qu'endurent les réfugiés.slp01

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  • Grève de la SNCB : Tract de militants syndicaux critiques et combatifs

    Aujourd’hui soir, dès 22 heures, les cheminots entreront en grève pour 24 heures. Nous avons déjà publié sur ce site un tract d’appel à la solidarité des voyageurs avec les travailleurs du rail (voir ici) qui a par exemple été distribué ce matin devant la gare de Liège Guillemins et en cet fin d’après midi devant la gare d’Anvers, entre autres. Nous publions ici un tract qui sera distribué sur les piquets de grève par des syndicalistes critiques et combatifs.

    Tract de Libre Parcours

    Chers collègues,

    Aujourd’hui, nous faisons grève contre le démantèlement du groupe SNCB qui doit préparer à la libéralisation. Si le gouvernement réussit à nous imposer sa volonté, la société holding sera dissoute tandis que la SNCB et Infrabel seront déparés. La SNCB sera aux prises avec la plupart des activités déficitaires et les dettes. Le gouvernement veut provoquer une faillite. L’exemple de la Sabena est encore frais dans nos mémoires, qui a conduit au lancement de SN Air Holding (devenue Brussels Airlines) et TUI Airlines Belgium (maintenant Jetairfly). Certains membres du personnel ont pu retourner au travail en tant que contractuels, mais ils avaient perdu leur ancien statut et leurs nouvelles conditions de salaire et de travail étaient pires. En ce sens, notre statut et nos conditions de travail sont aujourd’hui menacés.

    Le personnel dépendant d’Infrabel peut-il dormir sur ses deux oreilles ? Non. En Grande-Bretagne, tout a été privatisé, y compris le gestionnaire de l’infrastructure. Après de nombreux accidents, il a fallu revenir sur la privatisation de l’infrastructure. Aux Pays-bas, une scission a été opérée en 1998. Au vu de l’exemple britannique, le gestionnaire de réseau Pro-rail est resté public, mais scindé entre Pro Rail et Key Rail, respectivement responsables de l’infrastructure pour les voyageurs et pour les marchandises. En Belgique, en 1995, les cheminots ont perdu leur statut de fonctionnaire. Cela a déjà clairement posé problème aux travailleurs d’Infrabel. Avec la centralisation prévue des cabines de signalisation, 2000 postes statutaires de cadres sont perdus. De plus en plus de projets d’infrastructure sont confiés au privé. Les poseurs de voie statutaires sont en voie de disparition. Infrabel est au régime façon De Wever et doit être amené à sa portion congrue tandis que le secteur se payera la part du lion avec la sous-traitance.

    L’objectif du gouvernement est clair: après les secteurs de l’énergie, de l’aviation, des services postaux, des communications,… c’est au tour du rail de se rendre à l’avidité du secteur privé. Dans de nombreux cas, nous constatons que le secteur privé est alors mieux financé. Le rail britannique coûte à l’Etat 4 fois plus qu’avant la privatisation. Pourtant, le voyageur paie jusqu’à 10 fois plus que partout ailleurs en Europe, et pour un service plus mauvais ! Un premier jugement de la Cour européenne de justice concernant un chemin de fer unifié en Allemagne et en Autriche confirme que le gouvernement nous ment, se cache derrière ‘’l’Europe’’ et ne prend pas la responsabilité de ses propres choix politiques.

    Chaque grève ouvre grand les vannes de la propagande antisyndicale. Nous connaissons bien ceux qui contrôlent les médias. Il ne faut pas les laisser induire qui que ce soit en erreur, nous avons des intérêts identiques à ceux des voyageurs et nous avons besoin d’eux pour notre victoire et pour qu’ils s’engagent dans la lutte pour nos transports en commun. Les tracts de la CSC-Transcom et de la CGSPCheminots du 19 septembre dernier étaient un premier pas dans cette direction. Si nous voulons que les gens nous soutiennent, en dépit de toutes les attaques de la presse, nous devons les informer tout au long de l’année dans un langage compréhensible.

    Pour ceux qui doutent que nous pourrions forcer le gouvernement à laisser tomber cette restructuration, deux exemples récents illustrent que la la lutte paie effectivement. Après les grèves bien suivies de décembre et de janvier, les négociations concernant la réforme des retraites n’ont pas abouti à un accord. Mais un changement de loi est en préparation et rendra plus difficile de remplir les conditions d’âges et de périodes de travail pour avoir accès à la pension. Ensuite, la semaine dernière, les conducteurs du fret ont obtenu ce que beaucoup considéraient comme impossible. Ils ne seront pas remplacés par des contractuels ou mis à disposition et ils peuvent continuer de travailler à leurs conditions actuelles.

    Il est clair que nous n’obtiendront pas la victoire en une seule grève. Il y a un préavis de grève pour les 10 et 11 octobre. Nous avons besoin d’un plan d’action pour augmenter la pression sur le gouvernement. Des réunions d’information ont déjà été organisées au sein du personnel, mais une campagne plus massive et intense est nécessaire si on veut impliquer tout le monde dans l’action. Nous devons également regarder vers les autres luttes et les lier ensemble. Les camionneurs ont annoncé de nouvelles actions. Le gouvernement flamand veut économiser 100 millions d’euros sur les fonctionnaires, ce qui concerne les enseignants, les éclusiers, le personnel de De Lijn,… Les syndicats menacent de mener des actions. Après les élections du 14 octobre, nous serons confrontés à des économies dont personne ne parle dans la campagne. Toutes ces luttes doivent être unifiées.

  • “Nous voulons des emplois, des logements sociaux et des services publics de qualité’’

    Interview de Bart Vandersteene et Anja Deschoemacker

    Ces dernières années, les déficits dans le secteur du logement, de l’enseignement, des soins de santé, de la garde des enfants,… se sont fortement accrus. Les conseils communaux, de différentes manières, ne mènent plus qu’une politique néolibérale qui a plus d’attention pour le city-marketing que pour les besoins de la population. Nous avons discuté avec Bart Vandersteene, tête de liste pour Rood ! à Gand, et avec Anja Deschoemacker, tête de liste de l’alliance Gauches Communes à Saint-Gilles.

    Toute une série de villes voient fleurir des projets de prestige, avec des budgets qui auraient sans doute pu trouver une meilleure affectation. Mais nos centres-villes sont tout de même plus jolis maintenant, non ?

    Bart : L’objectif du city-marketing est en effet de donner l’impression d’une amélioration et, plus particulièrement, de rendre le centre-ville plus attractif. Le centre-ville n’est plus cette zone grise dans laquelle rien ne se passe, toute une série d’événements et d’attractions créent une certaine dynamique. Mais l’objectif n’est pas tellement de nous rendre la vie plus agréable, il est avant tout d’attirer des capitaux privés, entre autres concernant l’immobilier et le tourisme.

    Les loyers et les prix deviennent dès lors complètement inaccessibles pour les simples travailleurs, souvent forcés de déménager en banlieue ou dans une commune proche. Et là, il ne se passe rien. Les prix de l’immobilier dans les centres-villes, à la location ou à l’achat, conduisent à une plus grande dualité entre cette élite pour laquelle la ville est encore accessible et le reste de la population. Ces prix élevés instaurent une pression sur l’ensemble du marché. Sans disposer de grands moyens, il faut actuellement s’endetter très fortement pour pouvoir acheter.

    Les événements organisés sont orientés vers un public fortuné, avec des entrées fort chères ou des tarifs pas croyables pour manger ou boire quelque chose. L’argument que tout cela bénéficie au moins aux classes moyennes ne tient pas la route non plus. Combien de magasins, de restaurants et de cafés reste-t-il aujourd’hui dans la plupart des grandes villes sans faire partie d’un grand groupe ?

    Anja : Les projets de rénovation urbains sont nécessaires. Il suffit de se balader un peu dans la plupart des quartiers de Bruxelles pour se rendre compte que beaucoup de rues et de maisons ont besoin d’une remise à neuf. Mais les projets de prestige ne profitent pas à la population. Au contraire, la rénovation du centre-ville telle qu’elle est appliquée aujourd’hui sert plutôt à chasser des quartiers une partie de la population – sa couche la plus pauvre – afin de faire de la place pour les projets des promoteurs immobiliers. Vu qu’il n’y a plus d’espace pour construire de nouveaux bâtiments, on ne peut attirer une “meilleure population” qu’en forçant la “moins bonne population” à déménager.

    Les problèmes des communes bruxelloises sont bien connus : taux de chômage élevé, grande pauvreté, prix immobiliers exorbitants y compris pour des logements de piètre qualité. La croissance de la population met constamment sous pression le marché et les prix de l’immobilier. Ça fait vingt ans que les communes de la Région bruxelloise font passer d’autres priorités. Le résultat est absurde. D’un côté, on manque de logements à prix accessibles, de l’autre, il y a un énorme vide : 1,2 million de mètres carrés d’espaces de bureaux vides, soit près de 10 % de l’espace total. On compte aussi 12.000 appartements vides de plus de 100 m². Mais le manque de logements décents nous assure des loyers de 800 euros dans un proche avenir. Qu’attendent donc la Région et les communes pour s’attaquer à tous ces espaces vides ?

    Les campagnes pour les communales se limitent généralement à des débats portant sur les pavés qui manquent ou sur le manque de places de parking. Quelle différence peut-on faire au niveau communal ?

    Anja : Le niveau communal n’est pas différent des autres niveaux. Tout dépend des choix politiques, des priorités du budget et de l’endroit où on va chercher l’argent. Les communes ont de très larges compétences, qui incluent d’ailleurs la récolte d’impôts, les investissements publics (en Belgique, les communes sont responsables de 50 % des investissements publics), la création de services à la population,…

    Certains disent que la politique communale n’a rien à voir avec l’idéologie. C’est faux. Les compétences communales sont bien évidemment limitées par les décisions politiques des niveaux supérieurs, mais nous retrouvons à ces niveaux les mêmes partis qu’aux communes. Une commune pourrait très bien prendre la tête de la lutte contre la politique d’austérité, il serait possible de mobiliser la population sur une telle base. Nous n’avons rien à attendre des partis établis ; nous devons construire une opposition active à l’austérité dans les communes comme ailleurs. Là aussi, l’austérité va frapper de plus en plus dans les années à venir.

    Bart : Pour nous, les élections portent sur les besoins les plus urgents et les plus importants de la majorité de la population. L’emploi, le logement, les services publics tels que l’enseignement, l’accueil des enfants… Un conseil communal peut faire une différence à tous ces niveaux.

    Prenez par exemple notre revendication d’un emploi stable et décent pour tous. Une ville ou une commune peut commencer à créer des emplois par ellemême, dans les services publics déjà existants ou de nouveaux services nouvellement créés. Une commune peut mener campagne pour une “ville sans intérim”, en supprimant les contrats précaires des services communaux et en menant campagne contre les emplois temporaires dans le secteur privé. Ce n’est tout de même pas normal qu’à Gand, des grosses entreprises telles que Volvo emploient plus d’intérimaires que de travailleurs sous contrat ! Et on ne parle même pas encore des soustraitants… Les contrats temporaires et intérims ne représentent aucune valeur ajoutée pour la société, ils n’en ont que pour les employeurs qui peuvent ainsi liguer un groupe de travailleurs contre un autre et licencier plus facilement leur personnel.

    Une ville peut aussi jouer un rôle pionnier avec de nouveaux services publics. Les besoins sont nombreux : rien qu’à Gand, il manque 1000 places dans les crèches. Mais on pourrait aussi construire des cafétérias à prix modiques dans les quartiers, afin de pouvoir s’asseoir à une terrasse dans notre propre voisinage sans courir au centre-ville pour boire une bière ou un café à plus de 2 euros. Restos sociaux, centres de réparation de vélos,… les possibilités sont infinies.

    Tout cela est-il réaliste ? Peut-on dépenser plus alors qu’il y aura encore moins de moyens pour les communes dans les années à venir ?

    Bart : Nous partons des besoins, de ce qui est nécessaire à la majorité de la population, et non pas des exigences des élites qui deviennent de plus en plus marginales au sein de ce système. Ceux qui nous disent qu’il n’y a pas de moyens ou qu’une autre politique n’est pas possible “à cause de l’Europe”, sont ces mêmes politiciens qui siègent eux-mêmes à la tête de leur parti ou du gouvernement fédéral ou régional, mais qui n’ont par contre aucun problème à maintenir la déduction des intérêts notionnels. Se réfugier derrière la phrase ‘‘c’est un autre niveau de pouvoir qui est responsable’’ est ridicule. Les mêmes partis siègent à tous les niveaux et appliquent la même politique d’austérité.

    Anja : Il est toujours plus facile d’aller chercher l’argent parmi la majorité de la population avec toutes sortes de taxes communales et d’amendes que de faire contribuer l’élite. Un éboueur ne peut pas déménager dans un paradis fiscal. D’immenses profits sont réalisés dans notre pays, mais les patrons et les grands actionnaires ne vont pas nous livrer cette richesse sur un plateau. Nous devons collectivement prendre le contrôle des richesses existantes. Les secteurs-clés de l’économie (énergie, sidérurgie, finance,…) doivent passer aux mains du public.

    Quand, dans les années ′80, les camarades anglais du PSL sont parvenus au pouvoir à Liverpool, toute la ville a été transformée en un grand chantier. Une grande campagne médiatique a alors été lancée à contre ce conseil communal dominé par les marxistes. Mais un lecteur a alors écrit au journal local : ‘‘Je ne sais pas qui était Léon Trotsky, mais à en juger par le nombre de nouveaux logements qui sont en train d’être construits à Liverpool, il devait certainement être un fameux maçon.’’ Qu’en est il pour notre pays ?

    Bart: “C’est également nécessaire. Rien qu’à Gand, il y a 7.500 personnes sur la liste d’attente des logements sociaux. Cela correspond environ au nombre de logements sociaux promis par tous les partis ces 18 dernières années – partis qui sont parvenus, au cours de la même période, à construire en tout et pour tout 750 logements.

    Nous sommes pour une politique de construction et de rénovation urbaine axée sur les logements sociaux. Cela nécessite de reprendre le secteur du bâtiment entre nos propres mains, afin de rehausser la qualité des édifices, mais également d’assurer la qualité et la sécurité de l’emploi du secteur. Répondre à la demande de logements sociaux réduirait cette liste d’attente, certes, mais instaurerait également une grande pression à la baisse sur les prix de l’immobilier dans le privé.

    La tendance à laquelle nous assistons aujourd’hui est exactement inverse. Quant aux subsides au loyer pour ceux qui ne s’en sortent pas, cela revient à subsidier les loyers élevés qui, grâce à ces subsides, deviennent tout d’un coup accessibles pour les ménages à bas revenu. Un programme massif de construction de logements sociaux aurait l’effet inverse de faire baisser tous les prix. La ville de Vienne, en Autriche, est aujourd’hui le plus grand propriétaire de logements de toute l’Europe, suite à la mise sur pied d’une compagnie publique de construction par les socialistes au pouvoir dans les années ′20.

    Anja : À Liverpool, le conseil communal élu a tenu ses promesses. Ici, les campagnes se suivent avec les mêmes belles promesses, rarement suivies d’effets. L’accord de gouvernement de la Région bruxelloise prévoit de parvenir à 15 % de logements sociaux en ville d’ici 2020, contre 9 à 10 % à l’heure actuelle. Cela signifierait la construction de plus de 34.000 logements sociaux. À Saint-Gilles, avec ses 8,5 % de logements sociaux, il faudrait construire 1717 nouveaux logements d’ici 2020 ; à Ixelles ou Uccle, qui comptent 4 % de logements sociaux, il en faudrait 5000. Les communes sont en fin de mandat, et le conseil régional actuel n’a plus que deux ans jusqu’aux prochaines élections. Au rythme de construction actuel, ces 15 % resteront sur papier, alors que cela ne suffirait même pas. Cet objectif de 34.000 nouveaux logements (alors que la liste d’attente comprend 50.000 personnes) ne prend en compte ni les évolutions de ces huit prochaines années, ni toutes les familles qui ne se sont même pas inscrites sur liste d’attente, en sachant très bien que “ça ne sert à rien”.

    Vous envisagez donc les choses dans un contexte plus global. Mais que dire de tous ces petits problèmes tels que la propreté, les pavés manquants ou les rues défoncées ?

    Anja : Toutes ces rues mal entretenues dans des quartiers populaires dégueulasses ne sont jamais que le revers de la médaille des projets de prestige orientés uniquement vers le city-marketing, vers les attractions touristiques et toutes sortes de projets commerciaux (shopping-centers,…). À d’autres moments, le mauvais état de certains quartiers se voit tout à coup utilisé comme prétexte pour “rénover” ces mêmes quartiers, ce qui signifie bien souvent que les couches les plus pauvres devront céder la place à des ménages à plus hauts revenus. Le conseil communal de Liverpool des années ′80 avait construit des logements sociaux, mais a aussi amélioré les conditions de travail du personnel communal et en a engagé suffisamment que pour s’occuper de la propreté et de l’entretien de l’infrastructure publique.

    Bart : La propreté à Gand ne s’est pas améliorée depuis la privatisation d’Ivago à la fin des années ′90. Les sacs poubelles sont devenus de plus en plus chers et, pour être sûr que les gens n’abandonnent pas leurs déchets dans la rue, on a diminué le nombre de poubelles publiques. On nous a ainsi encouragés à ramener tous nos déchets à la maison, pour utiliser les sacs payants. L’entreprise de collecte de déchets Ivago tire chaque année un revenu de 3,5 millions d’euros rien que de la vente des sacs poubelles jaunes (sans compter tout le reste). Cet argent est en grande partie redistribué en dividendes pour la ville et pour des actionnaires privés, tels que le groupe Suez. Il est possible de revenir à une collecte de déchets gratuite, sans que cela ne coute quoi que ce soit à la collectivité ; seuls les actionnaires privés ont à y perdre. Mais les actionnaires ont-ils vraiment besoin de tirer profit des déchets qu’ils nous ont déjà vendus auparavant ?

    Une collecte gratuite des déchets, une poubelle à chaque coin de rue, un parc à containers dans chaque quartier: voilà comment lutter contre les ordures. Mais cela va à l’encontre de la politique communale libérale, où on ne se soucie que des profits des actionnaires privés tandis que la responsabilité pour les problèmes nés de cette politique est refourguée sur le dos des victimes de cette politique.

    Quelle est l’objectif de la participation électorale de Rood ! à Gand ?

    Bart : Rood ! a l’ambition de former une large force de gauche, nous voulons donc renforcer la gauche grâce à cette campagne. Cela aurait été plus facile si on avait obtenu une initiative unitaire également avec le PTB ; de véritables cartels de gauche pourraient nous donner plus d’élus. Une campagne enthousiaste avec laquelle nous pouvons positionner Rood ! en tant que véritable acteur peut renforcer la possibilité d’aller vers une campagne de gauche unie en 2014 (élections fédérales, régionales et européennes). Dans notre pays aussi, il y a une grande ouverture pour la gauche. Les frontières nationales ne me semblent pas être si étanches au point que nous ne pourrions pas connaitre la même situation qu’avec le SP aux Pays- Bas ou avec Mélenchon en France.

    À Gand, on nous dit qu’après les élections communales, il y aura la coalition la plus à gauche possible, avec le cartel SP.a-Groen. Leur politique ne sera néanmoins pas différente des précédentes. La crise économique va conduire à des plans d’austérité, la politique du city-marketing va continuer à fleurir, mais une couche de plus en plus grande de la population va remettre en question cet emballage certes fort joli, mais vide. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser la droite se présenter comme la seule opposition à cette politique ; il faut construire une forte opposition de gauche qui soit capable d’organiser la résistance. C’est le défi que Rood ! veut relever.

    Et quel est l’objectif de Gauches Communes à Saint-Gilles, Jette, Ixelles et Anderlecht ?

    Anja : Tout comme Rood ! en Flandre, les organisations et individus qui participent à l’alliance Gauches Communes ont surtout l’ambition de renforcer le camp de la gauche. La création d’une formation large, qui prenne réellement en compte les revendications du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux, et qui soit prête à se lancer dans la lutte pour défendre ces intérêts, sera une étape absolument nécessaire afin de rompre l’impasse que représente le capitalisme en crise, de quitter le cercle vicieux qui signifie toujours plus de pauvreté, toujours plus de désespoir pour de plus en plus larges groupes de la société.

    Gauches Communes se présente dans quatre communes bruxelloises, dans l’idée de populariser une formation de gauche large, au fonctionnement démocratique, mais aussi de renforcer les forces de gauche existantes dans ces communes, afin de démarrer l’opposition à la politique d’austérité communale au cours de la période à venir. Une encore plus large collaboration aurait été encore mieux. Mais vu le manque d’enthousiasme et l’attitude attentiste de certains partenaires potentiels, nous n’avions pas la possibilité de patienter plus longtemps. Gauches Communes reste bien entendu ouvert à toute discussion en vue d’une encore plus large collaboration dans le cadre de campagnes contre la politique d’austérité ou d’autres formes de protestation.

  • Kazakhstan : Libération de Natalia Sokolova, l'avocate des grévistes du pétrole !

    Le régime est sous la pression de la campagne internationale

    Le 8 mars, la Cour Suprême du Kazakhstan a pris la décision de ‘requalifier’ les charges criminelles pesant sur Natalia Sokolova, l’avocate des grévistes de l’entreprise pétrolière “KarazhanbasMunai”. En conséquence, la sentence de 6 ans de prison rendue en août 2011 a été annulée. A la place, Natalia Sokolova a été condamnée à 3 ans de conditionnelles, elle sera sous la surveillance de la police pour 2 années supplémentaires et est interdite de participer à des “activités sociales” (c’est-à-dire des activités politiques ou syndicales). Elle a donc été relâchée et a pu retourner chez elle, auprès de son mari.

    Déclaration du Mouvement Socialiste du Kazakhstan

    Le Mouvement Socialiste du Kazakhstan félicite Natalia Sokolova, les travailleurs du Kazakhstan et, plus particulièrement, les travailleurs du secteur pétrolier de Mangystau pour la libération de Natalia Sokolova. Il s’agit là d’une victoire pour la classe ouvrière du Kazakhstan toute entière. Les autorités considéraient la condamnation de Natalia Sokolova comme un avertissement lancé à la population du Kazakhstan, afin de défier quiconque de lutter. Mais au lieu de cela, le régime a dû faire face à une campagne croissante de solidarité internationale, jusqu’au point d’être forcé de la relâcher.

    La campagne internationale de solidarité a impliqué plusieurs syndicats, syndicalistes, organisations de défense des droits de l’Homme, partis de gauche, etc. Un rôle particulièrement important a été joué par le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) et ses différentes sections à travers le monde, qui ont organisé une série de piquet, de protestations et de conférences de presse exigeant, notamment, la libération de Natalia Sokolova. Depuis le Nouvel An, ce travail a été organisé par la Campaign Kazakhstan.

    Ce n’est pas une coïncidence si le Parlement Européen a discuté de la situation au Kazakhstan la semaine suivante. Grâce au travail de la Gauche Unitaire Européenne et, en particulier, de Paul Murphy (député européen du Socialist Party en Irlande et section irlandaise du CIO) ainsi que son équipe, même les factions de droite au Parlement ont soutenu la revendication de la libération de Natalia Sokolova dans leurs résolutions. Ces derniers ignorent généralement la condition des travailleurs et des syndicalistes, qui souffrent sous la poigne de régimes autoritaires, et préfèrent concentrer leur attention sur le cas des politiciens pro-capitalistes et des militants des droits de l’Homme. Mais grâce à la pression continue du bureau de Paul Murphy, cela ne s’est pas produit cette fois-ci. Il était quasiment certain que l’appel à la libération de Natalia Sokolova allait être repris par le Parlement Européen la semaine suivante.

    La visite d’Andrej Hunko au Kazakhstan (un membre du Bundestag allemand et du parti de gauche Die Linke) a également constitué un évènement important. Il soutient la Campaign Kazakhstan. Andrej Hunko a visité le Kazakhstan en tant qu’observateur durant les élections frauduleuses organisées par le régime dans le pays en janvier dernier. Il a utilisé cette opportunité pour visiter Natalia Sokolova en prison, pour lui exprimer sa solidarité et lui assurer qu’il participerait aux efforts visant à mettre le maximum de pression sur le régime.

    Piquets do solidarité

    Dans le monde russophone, la section russe du CIO a été impliquée dans l’organisation de piquets de solidarité dès le début du conflit social dans le pétrole. Plusieurs conférences de presse ont été tenues afin de briser le silence médiatique à propos de la grève et pour assurer que la libération de Natalia Sokolova soit soulevée à chaque fois que cela était possible. Par la suite, ce travail a été renforcé par des piquets tenus à Moscou, Saint Pétersbourg et Kiev avec l’aide d’autres groupes de gauche et d’organisations syndicales.

    En janvier, Natalia a été nominée par le syndicat Zhanartu (affilié au Mouvement Socialiste du Kazakhstan) pour recevoir le prix de l’International Trade Union Congress en tant que “syndicaliste de l’année”. Cette nomination est soutenue par Comité Norvégien Helsinki et par le Bureau International des Droit de l’Homme du Kazakhstan. Cette nomination à elle seule a causé un grand embarras au régime kazakh. Des pressions ont régulièrement été exercées par la sureté d’Etat (KNB) sur Natalia afin qu’elle rejette cette nomination.

    Le rôle joué par le Mouvement Socialiste du Kazakhstan dans le pays n’est pas non plus à négliger. Plusieurs actions et piquets ont été tenus au Kazakhstan, avec souvent à la clé l’arrestation des militants. Zhanna Baitelova, Dmitry Tikhonov et Arman Ozheubaev ont ainsi été détenus en prison durant deux périodes de 15 jours. Des dizaines d’autres activistes ont reçu des amendes pour avoir participé aux actions de protestation. Nos camarades du syndicat Odak ont assuré que l’information concernant ces arrestations et intimidations se répandent dans tout le pays.

    Maintenons la pression sur le régime

    Il est impossible de faire ici une liste complète de toutes les actions qui ont été organisées dans de nombreux pays, en Autriche, en Australie, en Belgique, à Hong Kong, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Irlande, aux USA, en Suède, en France, au Venezuela, au Pakistan et en Pologne. Des supporters en Irlande et en Belgique ont également déployé des banderoles lors de matchs où jouait l’équipe du Kazakhstan. Des piquets ont été tenus devant des grandes entreprises ayant des contrats au Kazakhstan à Londres et à Berlin. Des dizaines de délégations syndicales à travers le monde se sont aussi saisi du sujet.

    Même si Natalia est toujours considérée comme coupable, sa libération est une grande victoire pour le mouvement ouvrier et la campagne internationale de solidarité. Cela démontre que des victoires peuvent être obtenues malgré l’opposition du régime, des patrons et de leurs partisans sur la scène internationale, malgré aussi le silence des médias officiels et la résistance des bureaucrates syndicaux. La pression exercée sur l’Ak-ordy (la résidence présidentielle) a fonctionné. Nous devons maintenant poursuivre cette campagne et maintenir la pression pour la libération des 43 travailleurs du pétrole actuellement détenus pour “incitation au conflit social” et participation à des “réunions syndicales illégales”, pour la libération de Vadim Karamshin, pour le retrait des charges pesant contre les dirigeants de l’opposition Ainur Kurmanov et Esenbek Ukteshbayev, et pour la libération de tous les prisonniers politiques du pays.

  • La lutte internationale peut mettre un terme à la dictature des marchés !

    NON à la dette! NON à l’austérité! NON au chantage!

    En 2012, les marchés et les gouvernements à leur service ont encore plus de misère en stock. Cela signifiera à la fois une aggravation de la crise économique et de la guerre menée contre les vies et l’avenir des travailleurs. Avant tout, il y aura cette tentative d’imposer un nouveau ”pacte financier” mis au point par les politiciens de l’Union Européenne. La nouvelle grève générale de 48h des 10 et 11 février en Grèce a aussi illustré quelles sont les batailles à mener dans cette guerre de classe. Nous, les sections du Comité pour une Internationale Ouvrière de Grèce, Irlande, Portugal, Italie et Espagne, soutenues par les autres sections du CIO comme celle de France et d’Allemagne, avons travaillé à cette déclaration pour répondre à la guerre de classe déclarée contre les travailleurs et les jeunes, une réponse contre le chantage des marchés et de l’UE, une réponse contre le mensonge selon lequel il n’existerait qu’une seule alternative : celle de la lâche capitulation face aux marchés et aux actionnaires.

    Déclaration commune des sections du CIO en Grèce, Espagne, Portugal, Italie et Irlande

    En Europe, récemment devenu l’épicentre de la crise économique, les travailleurs et les jeunes n’ont cessé d’être touchés par la crise. Ils ont face à eux des perspectives toujours plus négatives. Dans la ”périphérie” de l’eurozone – Grèce, Portugal, Espagne, Italie et Irlande – la situation est dominée par un chômage de masse, en particulier pour les jeunes, une récession prolongée et une pauvreté croissante.

    Les politiques d’austérité, nées de la détermination de faire payer la crise aux travailleurs, ne servent qu’à davantage aggraver la crise économique. Les nouveaux gouvernements favorables au marché comme le Parti Populaire en Espagne et les prétendus gouvernements de technocrates imposés par les spéculateurs aux populations de Grèce et d’Italie ont, comme on pouvait s’y attendre, échoué à renverser la vapeur.

    Le processus de contagion est inévitable, avec l’Italie et la Grèce rendues exsangues par les marchés de la dette. Cela s’accompagne d’un élargissement de la crise de la dette, qui risque d’engloutir des pays dit ”centraux” comme l’Allemagne ou l’Autriche. Cette dernière est étroitement reliée à la crise financière dévastatrice à l’oeuvre en Europe de l’Est dans des pays comme la Hongrie ou la Roumanie. Tout cela pointe vers la possibilité d’une tempête financière au cours de laquelle l’Euro ne peut survivre, pas dans sa forme actuelle.

    Ejecté de l’Euro ?

    Avec le retour d’une politique ouvertement coloniale de la part des plus importantes puissances impérialistes, en particulier du capitalisme allemand, nous sommes confrontés à la collaboration jusqu’à présent docile et obéissante de la classe dirigeante nationale. A titre d’exemple, il suffit de penser à la proposition du gouvernement allemand d’abolir le contrôle grec sur le budget pour le remplacer par un commissaire européen mandaté pour surveiller l’économie grecque.

    Une des caractéristiques de la crise actuelle est la volonté des pontes du système de court-circuiter les ”normes” démocratiques, et de donner ainsi à la dictature des banques et des corporations une expression beaucoup plus claire et visible. Les politiciens et gouvernements qui défendent le système capitaliste pourri se limitent à présent au rôle de poupées chargées d’exécuter le diktat des marchés et de la troïka. Le traité intergouvernemental signé lors du dernier sommet européen souligne cette évolution. Ce traité va légalement enteriner la domination des politiques d’austérité.

    Les tentatives désespérées des chefs capitalistes, en particulier en Irlande, d’éviter un referendum sur cette question (celle des politiques d’austérité) montrent une fois de plus leur approche anti-démocratique, qui s’explique elle-même par la volonté du capitalisme à l’échelle mondiale. Toutefois, dans d’autres cas, comme en Grèce sous Papandreou cet automne, on a pu voir comment des gouvernements capitalistes essayaient d’utiliser les référendums pour mettre en place une campagne de chantage et de peur autour de ”l’éventuelle catastrophe” d’un effondrement économique qui suivrait un ”non” lors du référendum.

    Seul la mobilisation de la force des travailleurs et des jeunes, armés d’une alternative politique aux plans catastrophiques du capitalisme, peut changer la donne. Nous supportons pleinement le droit des populations de rejeter par un référendum organisé de manière pleinement démocratique, le paiement de la dette, les coupes sociales, etc. Nous nous joignons aux millions de travailleurs et de jeunes qui demandent d’exprimer leur opinion sur les politiques d’austérité. Au cours des ces échéances, nous défendrons un NON clair et sans ambiguïté.

    Combattons le chantage

    En 2011, on a vu les travailleurs intervenir massivement dans toute une série de pays européens. La Grèce a connu 7 grèves générales (dont deux de 48h) en 2011, auxquelles il faut ajouter les 7 grèves générales de 2010, alors que l’année 2012 a commencé par une nouvelle vague de grèves générales début février, en réaction aux mesures violentes discutées par le gouvernement. Cela illustre l’ampleur de la colère et de la détermination des travailleurs grecs à résister face à cette situation désespérée.

    Le Portugal a connu une grève générale en novembre, et, en Italie, il y a eu plusieurs vagues de grèves et de protestations. Au Portugal, comme en Espagne, on a vu l’explosion du mouvement des Indignés, exprimant une rage contre la dictature des banquiers. L’arrivée des masses dans les rues de Bucarest et d’autres villes a fait tomber le gouvernement roumain cette semaine.

    La réponse de l’establishment fut une campagne de chantage et de peur contre la population, en plus d’une violente répression d’Etat, dans laquelle la sortie de l’euro a été présentée comme une guillotine suspendue au-dessus des travailleurs. Cette campagne a exploité la crainte légitime des travailleurs. En restant dans les limites du système capitaliste, une sortie d’un certain nombre de pays de l’euro provoquerait une période de profonde crise économique pour toute l’eurozone, avec un accroissement du chômage, de la pauvreté et de l’appauvrissement de la population qui toucheraient des millions de travailleurs, avant tout ceux des pays “périphériques comme la Grèce, Irlande, l’Espagne ou l’Italie.

    C’est pourquoi la classe ouvrière et les mouvements sociaux, avec l’aide des partis de gauche de masse, là où ils existent, ont le devoir de développer un programme pour dépasser cette crise qui défie et dépasse le cadre et la logique de la zone euro et de l’actuel système du marché.

    Cela doit commencer par un rejet implacable du paiement de la dette nationale aux marchés des vautours et des Etats, ainsi qu’aux institutions européennes comme la BCE. Ces immenses dettes, volées sur la base de la spéculation capitaliste, d’une gestion criminelle et du népotisme pratiqué par les gouvernements néo-libéraux successifs – parmi lesquels il faut aussi compter les soi-disant partis ”socialistes” en Espagne, en Grèce, au Portugal et ailleurs – se sont démultipliées avec le sauvetage des banques, alors que la population y était opposée. Ces dettes, nous n’en sommes pas responsables.

    Alors que l’argent des travailleurs, comme les fonds de pensions, doit être protégé, il faut en revanche s’opposer résolument au pompage des ressources de la société pour payer ce fardeau criminel. En dehors de la logique malsaine des classes dirigeantes, exécutant les diktats de la Troika, ces ressources pourraient être utilisées pour créer des millions de postes de travail, pour établir un système de providence décent avec un système de santé et d’éducation public, organiser des activités économiques productives à travers de grands programmes d’investissements publics.

    Sur la base de banques et d’un secteur financier nationalisés, tout comme devraient l’être les les secteurs-clés de l’économie, sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs, un plan d’urgence pourrait être développé pour créer massivement des emplois et rétablir les conditions de vie. Nous pourrions alors voir des politiques socialistes authentiques qui commencerait à dépasser les problèmes fondamentaux imposés aux travailleurs et aux chômeurs.

    On nous dit qu’avec de telles mesures, les pays seraient éjectés de la zone euro. Cependant, avec l’offensive actuelle de l’austérité et l’impasse dans laquelle les grands pouvoirs mènent les économies les plus faibles, une telle issue (défaut de paiement et éjection de la zone euro) parait proche de toute façon!

    C’est vrai, sur base de la continuation du capitalisme et restant en dehors de la zone euro, le cauchemar pour les travailleurs continuerait ou même empirerait, puisque la dévaluation sabrerait leurs conditions de vie et leurs épargnes sous les attaques du capitalisme grec, malgré la soi-disant « indépendance » de l’Union Européenne. Mais le moyen d’éviter le désastre économique pour la classe ouvrière n’est pas d’accepter n’importe quelle attaque contre nos droits et conditions, juste pour rester dans la zone euro un peu plus longtemps ! Du point de vue des capitalistes, les alternatives que nous avons maintenant sont: a) rester dans la zone euro, en acceptant la destruction totale de l’aide de l’état ou b) garder l’euro et, faisant face à une isolation économique, un violent déclin et une misère sans précédent.

    Les travailleurs d’Europe ont cependant une troisième solution: elle commence par organiser la défense des conditions de vie et des droits des travailleurs et la rupture avec le système capitaliste.

    Cela devra s’étende à des lutes unifiées de la classe ouvrière internationale, surtout dans les pays les plus affectés par la crise. L’unité dans la lutte des travailleurs de Grèce, du Portugal, d’Irlande, d’Italie et d’Espagne pour renverser les plans de « sauvetage » et l’austérité est un pas en avant crucial et nécessaire pour la construction d’une telle alternative.

    Nous ne partageons pas, bien sûr, la vision nationaliste étriquée de ceux qui disent de simplement quitter l’euro. Les tensions nationales qui ont augmenté au cours de la crise, qui se sont vues en particulier par la propagande anti-Grecs par les représentants du capitalisme en Allemagne, en France, en Autriche et dans d’autres pays, augmentent le danger de division et les sentiments nationalistes. L’extrême-droite menaçante et les forces populistes peuvent jouer sur ces sentiments, et peuvent faire des avancées dangereuses, comme cela s’est vu en Hongrie, en Autriche et ailleurs, compte tenu du vide dans la représentation politique de la classe ouvrière.

    Et bien entendu, nous n’espèrerons jamais des gouvernements au service de la classe dominante qu’ils appliquent la politique que nous défendons. Celle-ci ne peut être accomplie que sur base d’une lutte et de perspectives anticapitalistes internationales et par un gouvernement représentant et servant les intérêts des travailleurs.

    Initialement confronté à l’éjection de la zone euro, un gouvernement des travailleurs pourrait appliquer un programme d’urgence incluant le contrôle étatique sur les importations et les exportations et, pour arrêter la “fuite des capitaux” par les possédants et les multinationales assoiffés de profits, l’imposition de contrôles du capital, sous le contrôle démocratique de représentants élus. Cela devrait être repris et dans les luttes dans tout le continent.

    Sur de telles bases, on pourrait avancer vers l’intégration authentique de l’économie et de la société européenne, à laquelle les politiques des gouvernements au service des patrons et le système capitaliste lui-même ont été un obstacle.

    Cette lutte pourrait gagner rapidement un soutien massif dans toute l’Europe, par un appel aux alliés de la classe ouvrière au Portugal, en Espagne, en Irlande, en Grèce et en Italie, mais aussi dans les économies-clé avancées en Allemagne, en France, au Royaume-Uni etc.

    Les pays éjectés de l’Union Européenne, formant une fédération sur des bases socialistes, pourraient commencer une planification et une coordination démocratiques de l’économie internationalement, dans une lutte pour une Confédération Socialiste des Etats Indépendants des Travailleurs en Europe, sur des bases libres et égales.

    Une alternative internationaliste pour mettre fin à la misère de la crise

    Plusieurs journées d’action internationales organisées au cours de l’année dernière ont donné un aperçu de la force dont peuvent disposer les travailleurs et les jeunes. Le 15 octobre 2011, Le mouvement des Indignés et Occupy ont fait descendre des millions de gens dans la rues dans le monde entier. La Confédération Européenne des Syndicats a organisé différentes actions, dont la dernière est planifiée le 29 février. Elles ont le potentiel de mobiliser, mais des actions symboliques ne sont pas suffisantes. Nous soutenons l’avancée de telles initiatives, vers une première grève générale de 24 heures dans toute l’Europe. Les grèves générales en Grèce, au Portugal, en Espagne, en Irlande et en Italie devraient être coordonnées et simultanées contre les plans de sauvetages et les politiques d’austérité de la Troïka. Ce serait une première démonstration initiale d’unité et de force.

    Cependant, l’attitude des dirigeants de la Confédération Européenne des Syndicats dans leurs pays respectifs a montré que leur intention n’était pas de mener une lutte sérieuse jusqu’au bout contre la crise du capitalisme. Déplorablement, dans beaucoup de pays la classe ouvrière se confronte à la crise avec une direction syndicale indigne de ce nom, qui a systématiquement refusé de mobiliser toute la puissance de la majorité pour résister aux attaques du marché.

    Les travailleurs et les jeunes en Grèce et au Portugal ont donné une indication de comment la pression des masses et l’organisation par en bas sont efficaces à pousser la direction à agir. Le CIO lutte pour une transformation démocratique des syndicats, pour la construction de l’opposition de gauche, pour le remplacement des dirigeants qui penchent à droite par ceux qui ont la volonté de lutter et sont complètement responsables devant les membres du syndicat et contrôlés par elle, payés au salaire moyen de leur base. Les grèves générales de la période à venir devront être contrôlées démocratiquement et construites par en bas, au moyen d’assemblées générales sur les lieux de travail et dans la société, et de comités d’action, pour assurer que les luttes soient victorieuses et ne soient pas vendues par en haut.

    Nous sommes convaincus que, armés de telles organisations et d’une telle politique, on peut lutter pour une véritable alternative et la populariser. Mais une partie essentielle de ce processus est aussi de forger des organisations politiques de masse, contrôlées démocratiquement par les travailleurs, les jeunes et les pauvres, pour construire le soutien et la campagne pour une alternative aux coupes et au capitalisme. Un tel nouveau mouvement de la gauche serait capable de canaliser la colère de ceux qui sont dégoûtés par les institutions politiques vers la construction de forces politiques complètement distinctes de celles qui les ont trahies par le passé.

    Rejoignez le CIO dans la lutte pour amener les travailleurs et les jeunes à combattre dans cette perspective !

    Nous revendiquons :

    • Non à la dictature des 1%! Pour la démocratie réelle maintenant ! Les travailleurs et les chômeurs devraient décider, pas les marchés !
    • Non à l’impasse de l’austérité! Non aux coupes, pour des investissements massifs dans les emplois, le logement, l’éducation et la société ! Non au cauchemar du chômage des jeunes!
    • Pour une solution basée sur la lutte internationale! Pour des grèves générales coordonnées ! Vers une grève de 24 heures Européenne !
    • Pour des syndicats démocratiques et combattifs! Construction de la lutte par en bas par des assemblées et des comités d’action ! Construction de vrais instruments politiques massifs de gauche de la classe ouvrière et des jeunes !
    • Rejet du chantage de la Troïka et des marchés ! Seule une lutte massive peut briser le carcan de l’austérité ! Non aux gouvernements « technocrates » antidémocratiques ! Un referendum pour arrêter les nouveaux plans d’austérité de l’Union Européenne !
    • Pour une Europe des travailleurs! Opposition à l’Union Européenne capitaliste ! Luttons pour une Confédération Socialiste des états libres et indépendants en Europe !

    Socialismo Revolucionario (CIO au Portugal), ControCorrente (partisans du CIO en Italie), Socialist Party (CIO en Irlande), Xekinima (CIO en Grèce), Socialismo Revolucionario (CIO en Espagne)

  • Kazakhstan : En défense des travailleurs du pétrole

    La bureaucratie syndicale et les groupes de ‘gauche’ attaquent la solidarité du CIO avec les grévistes

    Avec une brutalité incroyable, le régime de Nazarbayev, au Kazakhstan, a tenté de briser l’esprit de combativité des travailleurs du pétrole à Zhanaozen et Aktau, en utilisant la troupe, la police, des tirs à balles réelles, des arrestations de masse, l’imposition d’un couvre-feu et jusqu’à la torture. Le régime admet lui-même que 16 personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées en décembre. En réalité, des dizaines de personnes ont été tuées, des centaines d’autres blessées, et beaucoup sont encore ceux qui sont toujours en garde à vue ou qui sont forcés de se cacher pour éviter la persécution de l’État.

    Rob Jones, CIO-Moscou

    La manifestation des travailleurs du pétrole du 16 décembre dernier à Zhanaozen était une action tout à fait non-violente. Les diverses vidéos, y compris celles de la police, montre les travailleurs du pétrole et leurs partisans sur une place centrale, sans la moindre arme, sans même agiter de bâtons. Elles montrent d’ailleurs au contraire que lorsque l’atmosphère a commencé à s’échauffer et que des insultes ont été lancées en direction de la police, des travailleurs plus expérimentés sont directement intervenus pour calmer la situation.

    Au cours de leur longue grève de 7 mois, ces grévistes avaient déjà pu démontrer en de nombreuses reprises quels étaient leur sang-froid et leur retenue. Les représentants qu’ils avaient élus ont été arrêtés et confrontés à une violence des plus brutales. Leur avocate, Natalia Sokolova, a été condamnée à 6 ans de prison. Des travailleurs ont vu leurs logements brûlés tandis qu’un gréviste et la fille d’un autre gréviste ont été lâchement assassinés. Des milliers de travailleurs du pétrole ont été licenciés. Mais malgré toutes ces provocations, ces héroïques travailleurs ont fait tout leur possible pour maintenir les protestations disciplinées et pacifiques.

    Mais leur patron, avec le soutien plein et entier du régime, a toujours refusé de commencer de véritables négociations avec les grévistes. À plusieurs reprises, l’Etat s’est montré préparé à aller vers une confrontation violente, mais cette approche a été refreinée, par crainte de provoquer un conflit plus large encore à travers le pays. Il ne fait aucun doute que la solidarité croissante envers les grévistes, y compris au niveau international, a joué un rôle important.

    La violence et les révolutions de palais – deux faces d’une même médaille

    Mais à l’approche du 16 décembre, soldats et policiers avaient été déployés à l’avance dans la région, avec armes et balles réelles. Mis à part à Astana, la capitale, tout ce qui avait été prévu dans le pays pour célébré le 20e anniversaire de l’indépendance du pays (le 16 décembre) avait été annulé.

    Il semble que l’attaque armée contre la manifestation des travailleurs du pétrole à Zhanaozen faisait partie d’un plan plus vaste organisé par une partie de l’élite dirigeante. Les violences qui ont dégénéré hors de tout contrôle suite à la fusillade perpétrée par la police ont été utilisées comme prétexte pour démettre plusieurs personnalités clés au sein du régime et des structures du pouvoir. Un des beaux-fils de Nazarbayev, Timur Kulibayev, a été démis de sa fonction de président de ‘KazMunaiGaz’ et du fonds national ‘Samruk-Kazyn’. De plus, des rumeurs font état du possible remplacement du chef de la KNB (la police secrète) par des personnes plus fidèles au groupe Massimov-Musin. Tout indique qu’une révolution de palais s’est produite dans les sphères dirigeantes.

    Attaques contre les grévistes

    Pourtant, les travailleurs du pétrole et leurs partisans ne cessent d’être accusés d’être responsables des tragiques évènements du 16 décembre. Ces accusations des porte-paroles du régime, qui prennent différentes formes, sont reprises telles quelles par les médias, la bureaucratie syndicale et même par certains de groupes de ‘‘gauche’’, qui agissent ainsi en apologistes du régime dictatorial de Nazarbayev.

    Le régime prétend que la ‘‘raison majeure de ces troubles de masse réside dans les actions d’un groupe de hooligans qui a profité du conflit de longue date entre les salariés licenciés et la direction de la société ‘Ozenmunaigaz’.’’ (Déclaration émise par l’Ambassade de la République du Kazakhstan en Autriche, 23 décembre 2011)

    L’ambassadeur kazakh aux Etats-Unis, Erlan Idrissov, a affirmé le 21 décembre 2011, que ‘‘la police a essayé de se comporter aussi responsablement que possible afin de protéger la vie des civils (…) A l’origine, sur la place [de Zhanaozen], seul le chef de la police avait une arme (…) Ce n’est que lorsque le vandalisme a commencé et que des menaces ont commencé à peser sur des vies innocentes – après l’incendie de la Akimat [les locaux des autorités locales] – que la police a dû recourir aux moyens nécessaires pour rétablir l’ordre.’’

    Selon une déclaration faite par le Daulbayev Askhat, le Procureur Général de la République du Kazakhstan, le 16 décembre, les perturbations ont été causées quand ‘‘un groupe de hooligans [sur la place] ont commencé à tabasser les civils et à fracasser les voitures garées près de la place." La déclaration se poursuit comme suit : ‘‘En raison des perturbations, le bureau du bourgmestre, un hôtel et le bâtiment de la société Ozenmunaigaz ont été brûlés.’’

    Ces déclarations, en réaction aux protestations qui se sont déroulées dans le monde entier, sont très manifestement destinées à tromper l’opinion internationale sur les sanglants événements qui se sont produits à Zhanaozen. Dans les premières déclarations du Procureur Général, le 16 décembre, il est affirmé que les bâtiments ont été brûlés "en conséquence des troubles’’, mais cette version a été changée deux jours plus tard pour donner l’impression que ces destructions avaient pris place avant l’intervention meurtrière de la police.

    Mais les différentes déclarations officielles du régime suffisent déjà à poser des questions très sérieuses :

    • Si ce qui s’est passé à Zhanaozen n’était qu’une émeute causée par des hooligans, pourquoi les ‘‘moyens habituels’’ de la police (balles en caoutchouc, canons à eau) n’ont-ils pas été utilisés ? Pourquoi directement recourir aux tirs à balles réelles ?
    • Si la police protégeait la population de la place de ces hooligans, pourquoi ont-ils tirés à balles réelles au sein même de la foule qu’elle était censée protéger ?
    • Si l’action de la police n’a constitué qu’une réponse à des émeutes, pourquoi l’ambassadeur du Kazakhstan aux Etats-Unis juge-t-il nécessaire de consacrer une partie importante de sa déclaration à s’en prendre aux grévistes du pétrole ?
    • Si cela n’était tout simplement qu’une émeute, pourquoi le gouvernement a-t-il interdit toute manifestation, réunion publique et grève et a été jusqu’à interdire l’utilisation de photocopieuses, de TV, de radios, de vidéos et de haut-parleurs ? C’est bien étrange, que les hooligans ont d’habitude fort peu tendance à éditer des tracts et à organiser des conférences de presse.

    Les vidéos et les témoins dissent démontrent clairement que l’attaque policière n’avait aucun fondement

    La vérité, c’est que le massacre de Zhanaozen n’était pas une conséquence d’une riposte légitime de la police face à du hooliganisme ou à des émeutes, il s’agissait bel et bien d’une attaque prédéterminées contre les grévistes du pétrole. C’était une nouvelle tentative de briser leur grève. Plusieurs vidéos démontrent que la place, juste avant l’attaque de la police, n’était occupée que par des manifestants pacifiques, sans armes, et que la police ainsi que les soldats, en marche vers la place, tiraient sur la foule de loin. Dans une vidéo particulièrement pénible à regarder – certaines scènes rappelant celles des journées de juillet 1917 à Petrograd (quand l’armée a tiré sur les manifestants et en a tué des centaines sur la perspective Nevsky) – on eut voir les manifestants fuir à travers la place alors qu’on leur tire dans le dos et que les blessés à terre sont brutalement frappés par les voyous aux ordres du régime.

    Ces films sont tellement révélateurs que même le Procureur général du Kazakhstan a été forcé de réagir. Le 27 décembre, il a annoncé qu’une enquête criminelle était lancée au sujet des "décès causés par la police à la suite d’un ordre de tirer pour tuer.’’ Nous n’avons bien entendu aucune confiance envers les possibilités que cette enquête soit honnêtement et sérieusement menée jusqu’à son terme, mais il est plus que révélateur que la responsabilité des agents de police dans ces meurtres soit reconnue d’une certaine manière. Ceci dit, tandis que ces policiers sont menacés de 5 à 10 ans de prison, l’avocate des grévistes du pétrole, Natalia Sokolova, dont le seul tort est d’avoir honnêtement défendu la cause des grévistes, a déjà été condamné à 6 ans de prison.

    Une autre confirmation qu’un ordre de tirer pour tuer a été lancé provient du ministre de l’Intérieur du Kazakhstan, rien de moins, K. Kazymov. Dans une interview réalisée le 16 décembre, il a admis qu’il avait donné l’ordre d’ouvrir le feu sur la foule. Il a essayé de justifier cet ordre en prétendant que les manifestants "étaient armés d’armes automatiques, et nous aussi". Il a confirmé que la police continuerait de tirer des citoyens kazakhs si cela était ‘‘nécessaire’’. Son interview a été publiée sur internet, accompagnée de vidéos montrant la foule courir dans tous les sens face à la police qui tire très visiblement dans le dos de manifestants désarmés et paniqués.

    Nazarbayev dénonce les ‘influences étrangères’ et les ‘criminels’

    A la lumière de tout cela, les déclarations du dictateur Noursoultan Nazarbayev selon lesquelles les troubles auraient été causés par des ‘‘groupes organisés de criminels en liaison avec des forces étrangères’’ sont particulièrement cyniques.

    Pour une bonne partie de la population du Kazakhstan, le plus grand groupe criminel organisé du pays est celui du clan Nazarbayev lui-même, protégé par un bataillon de soldats formé et équipé par les Etats-Unis. Les diverses photos font toujours apparaître des voitures blindées de confection américaines aux postes de contrôle d’Aktau et de Zhanaozen.

    Mais les déclarations de M. Nazarbayev ne sont destinées qu’à détourner l’attention du rôle de la police, du ministre de l’Intérieur, des troupes spéciales et de ceux qui, au sein du cercle présidentiel, ont planifié ce massacre. C’est pour cela qu’il blâme des personnages du régime tels que Mukhtar Ablazov, Rakhat Aliyev et Bulat Abilov.

    Ces oligarques, tous d’anciens membres de la clique dirigeante, vont sans aucun doute tenter d’exploiter l’opposition qui se développe face au régime actuel pour se construire un certain soutien public afin de défendre leurs propres politiques pro-capitalistes. Mais les divers clans sont tous résolument opposés à l’idée que les travailleurs du pétrole puissent avoir leurs propres syndicats indépendants et leur propre parti politique, pour les travailleurs et sous leur contrôle exclusif.

    Les grévistes du pétrole étaient pacifiques et disciplinés

    L’idée selon laquelle les grévistes du pétrole auraient pu être dirigés, contrôlés et manipulés par une quelconque force secrète de l’extérieur est une véritable insulte à leur détermination ainsi qu’à leur discipline. La décision d’organiser la manifestation pacifique du 16 décembre a été prise ouvertement et collectivement, lors d’un meeting de masse sur cette place. Cette décision a ensuite été publiquement annoncée et les travailleurs du pétrole ont eux-mêmes été prévenir les autorités qu’ils avaient l’intention d’organiser une telle manifestation en avertissant qu’il y avait des risques que des provocations soient organisées par des sections des forces spéciales.

    La manière très publique dont les choses ont été organisées a permis à la campagne ‘‘Campaign Kazakhstan’’ et aux sections du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) de planifier une série d’actions de solidarité et de protestation devant les ambassades du Kazakhstan et les sièges d’entreprises aux intérêts commerciaux liés au régime kazakh dans un certain nombre de pays ce jour-là (notamment en Belgique). Le caractère de solidarité a bien entendu largement cédé la place à celui de la protestation lorsque les nouvelles de ce bain de sang sont parvenues aux manifestants devant les ambassades.

    La semaine qui a suivi le massacre, diverses manifestations ont été organisées à travers l’Europe, y compris à Londres, Bruxelles, Vienne, Berlin, Moscou, Stockholm, Dublin, Athènes et ailleurs également, comme à New York, Hong Kong et Tel Aviv. Le député européen Paul Murphy (élu de la section du CIO en République irlandaise, le Socialist Party) a à la rupture de tous pourparlers entre l’Union Européenne et le gouvernement du Kazakhstan, et a aussi écrit une lettre de protestation signée par plus de 40 eurodéputés. Des communiqués de presse ont été émis dans un certain nombre de pays (lire notamment Massacre au Kazakhstan: Quand l’agence Belga se fait complice du régime) et de conférences de presse ont été organisées à Moscou et à Almaty. [Vous pouvez accéder à différents rapports des protestations sur le site socialistworld.net].

    Rompre le blocage de la presse

    La politique de l’Union Européenne, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et des Etats-Unis est directement dictée par les intérêts de ces institutions pour l’exploitation du pétrole et du gaz kazakhs. Elles ont tout d’abord ignoré ou réagi de façon bien équivoque face aux nouvelles du massacre. Dans une certaine mesure, cela s’est reflété dans la politique éditoriale d’une grande partie des médias du monde entier. Les premières heures après le massacre, par exemple, des reporters internationaux basés à Moscou ont refusé de relayé les rapports du bain de sang sans ‘‘confirmation indépendante’’ tout en relayant par contre les déclarations officielles du régime. United Press International, par exemple, a qualifié les grévistes du pétrole de ‘‘voyous’’ à trois reprises dans un article de 150 mots seulement.

    La campagne menée par le CIO et Campaign Kazakhstan a aidé à vaincre les tentatives du régime de dissimuler l’ampleur du massacre. Finalement, le poids écrasant cumulé des témoignages, vidéos et rapports de journalistes ont eu raison de cette attitude complice, et les rapports dans les médias ont commencé à être plus équilibrés.

    ‘‘An injury to one is an injury to all’’ – Ce qui en touche un nous touche tous

    Tout aussi rapidement, des syndicalistes ont réagi face à la crise, mais de façon bien différente. A Anvers, par exemple, la délégation de TOTAL a relayé les rapports en direct du CIO sur le site de leur délégation, de sorte que les travailleurs pouvaient voir par eux-mêmes l’étendue de l’horreur des événements. Bien que le site du CIO au Kazakhstan a immédiatement été bloqué par le régime après la fusillade, le site russe du CIO a continuer à fonctionner, jusqu’à ce qu’arrivent des problèmes dus aux trop grand nombre de visiteurs sur le site, dont de nombreux journalistes de médias du monde entier.

    En Suède, Gruvtolvan, le syndicat de l’industrie minière de Kiruna, a condamné sans équivoque "la violence contre les travailleurs (…) suite à l’attaque de la police et des militaires contre une manifestation dans la ville de Zhanaozen." Ils ont appelé le mouvement syndical suédois à activement soutenir les travailleurs du pétrole du Kazakhstan sous la devise "Une victoire pour les travailleurs, où qu’ils soient, est une victoire pour tous les travailleurs, partout!" Cet appel a été accompagné d’une importante donation pour les grévistes.

    Si une véritable organisation syndicale nationale indépendante existait au Kazakhstan, il y aurait immédiatement eu après le 16 décembre convocation de meetings, d’actions de protestations et de grèves dans tout le pays en riposte au massacre de Zhanaozen.

    Une commission indépendante internationale doit enquêter

    Malheureusement, alors que des militants syndicaux ont réagi partout à travers le monde, certains membres de la bureaucratie syndicale internationale ont adopté l’approche de renvoyer chacun dos à dos. Ainsi, la Confédération syndicale internationale (CSI) a publié une déclaration le 16 décembre, signée Sharan Burrow, secrétaire général, qui déclare : "une situation extrême de tension et de désespoir a provoqué des troubles, la panique et le chaos. La violence doit immédiatement cesser, et toutes les parties doivent reconnaître que la seule façon de résoudre des conflits est le dialogue ouvert et la négociation. Le gouvernement doit immédiatement agir pour commencer ce processus."

    Cette déclaration ignore donc la responsabilité du régime dans ce massacre, une attitude partagée par de nombreuses autres organisations, telles que Human Rights Watch, qui a publié une déclaration le 22 décembre. Dans celle-ci sont détaillés plusieurs cas de graves tortures du fait des forces gouvernementales à Zhanaozen et, ensuite, l’organisation tire la conclusion incroyable que ‘‘les autorités du Kazakhstan doivent mener immédiatement une enquête.’’ Cela n’aboutirait qu’à une enquête ignorant totalement la responsabilité écrasante du ministère de l’Intérieur et qui, dans le meilleur des cas, trouverait quelques boucs émissaires afin de laissait un peu de colère s’échapper.

    Le CIO estime qu’il est nécessaire d’organiser une commission d’enquête internationale, totalement indépendante du gouvernement, des structures étatiques et des intérêts pétroliers et gaziers, afin de faire toute la lumière sur les causes réelles du massacre et sur les véritables responsables de ces horribles évènements.

    La “gauche” et les bureaucrates syndicaux poignardent les grévistes dans le dos

    Mais si la Confédération Syndicale Internationale n’a pas ouvertement condamné le régime de Nazarbayev, elle n’a au moins pas directement attaqué les travailleurs du pétrole. De la façon la plus incroyable qui soit, les 17 et 18 décembre, des déclarations sont apparues sur des sites internet de langue russe contrôlés par des syndicats et des groupes de gauche qui, tout en condamnant la violence, se sont lancés dans des attaques contre les grévistes du pétrole, contre leurs revendications et leurs tactiques, répétant d’ailleurs bien souvent l’argumentation des patrons et du gouvernement.

    Le Mouvement Socialiste Russe [section russe du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, à laquelle est reliée la LCR belge, n’ayant aucun rapport avec le Mouvement Socialiste du Kazakhstan] a contribué à détourner l’attention de la responsabilité du gouvernement Nazarbayev pour ce massacre en répétant grossièrement les mensonges du régime concernant l’implication de l’oligarque Mukhtar Ablyazov. Ce faisant, ils réduisent le rôle de l’autodiscipline et de la conscience politique des travailleurs du pétrole en les réduisant à l’état de simples pions joués par les oligarques kazakhs et en donnant du crédit aux déclarations du dictateur qui blâme les influences étrangères (Ablyazov vit à Londres) pour tous les problèmes rencontrés au Kazakhstan.

    Les attaques les plus importantes proviennent toutefois de l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation (UITA) et de la Confédération du travail de Russie. Même avant les événements du 16 décembre, d’anciens fonctionnaires de l’Union Internationale des travailleurs de l’alimentation à Genève et à Moscou ont travaillé à saper le soutien à la grève. Des pressions ont ainsi été exercées sur Alexei Etmanov, le syndicaliste indépendant le plus connu en Russie, ce qui l’a conduit à revenir sur sa promesse d’organiser des actions de solidarité avec les travailleurs du pétrole par l’intermédiaire du syndicat des travailleurs de l’automobile.

    Le prétexte donné ensuite à ce désistement était que les travailleurs du pétrole avaient été manipulés par des représentants de la ‘‘gauche révolutionnaire’’ – c’est-à-dire par le Comité pour une Internationale Ouvrière. Cela a d’ailleurs été confirmé dans une déclaration de l’UITA le 9 décembre 2011 qui disait: ‘‘Avec pourtant un énorme potentiel d’organisation, dans tout ce temps, les grévistes n’ont jamais mis en place leur propre organisation, tout comme avant ils ne disposent pas de leurs propres représentants et direction élus, avec le droit de représenter les travailleurs dans les négociations avec la direction de la société et les autorités. Cela signifiait que, dès le début, différents groupes politiques ont été en mesure d’utiliser l’énergie sociale et le potentiel du mouvement ouvrier de masse dans leurs propres intérêts. S’exprimant au nom des travailleurs et réécrivant constamment les revendications des travailleurs, ils ont apporté d’énormes préjudices au mouvement, ont fait sortir le conflit du champ de la lutte syndicale et ont réduit au minimum les chances de succès, privant ainsi les habitants de Zhanaozen de leur grève.’’

    Cette déclaration fait écho aux arguments des patrons et du gouvernement et est particulièrement honteuse étant donné que les travailleurs, dès le début, ont élu leurs représentants pour les négociations, ces représentants rencontrant ensuite une répression sévère. Nous avons déjà dit que Natalia Sokolova, l’avocate des grévistes, a été condamnée à 6 ans de prison, Akzhanat Aminov a reçu une peine de deux ans avec sursis, tandis qu’un troisième a vu sa maison brûler !

    Les grévistes du pétrole luttaient pour le droit d’instaurer leurs propres syndicats indépendants

    Il convient de rappeler que la grève de la faim des travailleurs du pétrole a commencé en mai dernier après que les membres du syndicat de Karazhanbasmunai, à Aktau, ont exigé le retour de documents syndicaux de leur ancien président après qu’il ait été démis de ses fonctions par le vote des membres du syndicat. L’ancien leader syndical avait collaboré avec la direction de l’entreprise pour éviter toute véritable négociation portant sur les salaires et les conditions de travail. Il avait été jusqu’à envoyer des gros-bras armés pour qu’ils battent ses adversaires. En Juin, l’UITA avait envoyé toute une série de questions bureaucratiques aux grévistes, dont les réponses ont nécessité 60 pages de documents. Le résultat final a été de déclarer que les travailleurs avaient eu tort de démettre leur ancien dirigeant syndical, comme ils ne pouvaient changer de président qu’une fois tous les 5 ans !

    L’affirmation selon laquelle le CIO a constamment "réécrit" les revendications des travailleurs est absolument ridicule, comme toutes les autres calomnies visant à salir les grévistes. Depuis le début de la grève, le CIO a publié sur ses sites toutes les déclarations produites par les grévistes. Le 1er Juin 2011, après que la police anti-émeute ait attaqué les grévistes de la faim de Zhanaozen, le comité de grève de Zhanaozen avait publié les revendications suivantes:

    • La démission de la direction de la société “KazMunaiGaz” à Aktau;
    • La restauration du statut autonome de la société “OzenMunaiGaz”;
    • L’augmentation de 60% des salaires des médecins et des enseignants de la ville pour compenser la dureté de leur travail dans des conditions écologiques difficiles;
    • Le retour sous statut public, c’est-à-dire la nationalization, des enterprises regroupées dans la société “OzenMunaiGaz” – en particulier TOO “Burylai”, TOO “KazGPZ”, TOO “Kruz”, TOO “Zhondei”.

    En Juillet, des incendies criminels ont eu lieu contre des maisons de militants grévistes, et Zhaksylyk Turbayev a été assassiné quand il est devenu clair qu’il serait élu à la présidence du nouveau syndicat. L’avocate Natalia Sokolova et le militant syndical Akzhanat Aminov ont été arrêtés et ont été confrontés à de graves accusations. Des milliers de grévistes ont été licenciés. Lors de leur rencontre avec le député européen Paul Murphy en juillet dernier, les travailleurs ont défini leurs revendications de la façon suivante:

    • La reconnaissance des droits des travailleurs, notamment leur droit d’élire leurs propres représentants, sans interférence de qui que ce soit ;
    • La libération immédiate de Natalia Sokolova et de Akzhanat Aminov;
    • Le réengagement de tous les travailleurs licenciés aux conditions qui prévalaient avant leur licenciement;
    • L’abandon de toutes les poursuites judiciaires contre les grévistes;
    • Le commencement de véritables négociations avec les représentants élus des travailleurs.

    Les bureaucrates syndicaux soutiennent les briseurs de grève et les éléments diviseurs dans le syndicat

    En réalité, l’UITA et ses ‘‘organisation fraternelle’’ en Russie (KTR) et au Kazakhstan (la ‘‘Confédération des syndicats libres du Kazakhstan’’, CFTUK) tentent depuis le début de faire dévier la grève. Au Kazakhstan, le CFTUK dirigé par Sergei Belkin a depuis longtemps cessé d’exister en tant qu’authentique organisation syndicale. En 2009, Belkin a signé un accord avec le gouvernement destiné à stopper toutes les grèves, les protestations et les manifestations de travailleurs afin de permettre au régime de "maintenir la stabilité’’. En novembre dernier, quand le gouvernement a annoncé qu’il était temps de mener des ‘‘négociations’’ à Zhanaozen, Belkin, totalement absent depuis le début du conflit, est soudain arrivé comme ‘‘expert indépendant’’ pour aider le gouvernement et ses tentatives de briser la grève. La tactique du régime était alors d’essayer par tous les moyens de diviser les grévistes en offrant à certains d’entre eux des emplois dans une nouvelle société, tout en encourageant Belkin pour qu’il mette en place un nouveau syndicat anti-grève dans le cadre de la Confédération syndicale CFTK. Les grévistes, cependant, ont rejeté ces tactiques, insistant pour que tous les travailleurs sans exceptions soient être réintégrés dans leur ancien emploi.

    Hypocritement, l’UITA et le KTR, après avoir soutenu les activités visant à briser la grève et le syndicat anti-grève de Belkin, ont donné des conseils aux travailleurs en leur disant qu’ils devraient : ‘‘décider de suivre le chemin de la construction de leur propre syndicat indépendant, qui peut décider d’une stratégie d’action et proposer leurs revendications à tous niveaux, en s’assurant qu’ils obtiennent, ainsi que leurs familles, les moyens nécessaires pour se défendre et pour mobiliser un soutien international.’’

    Il faut construire de véritables syndicats indépendants

    Depuis le début de la grève, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) a entièrement pris ses responsabilités en soutenant, non seulement en paroles mais aussi en actes, l’appel diffusé à Zhanaozen et à Aktau sous la signature de milliers de travailleurs en novembre (soit avant les ‘‘conseils’’ de l’UITA. Dans cet appel, ils expliquent que : ‘‘notre combat démontre que vaincre l’injustice et l’arbitraire ne peut se faire qu’en unissant nos forces. Dans cette situation difficile et compliquée, le meilleur soutien et moyen d’action sera de créer une organisation syndicale indépendante et de développer des revendications capables d’unir, comme l’augmentation des salaires, l’amélioration des conditions de vie et de travail et la non-ingérence de l’employeur dans le travail du syndicat. En faisant ce travail d’unification des travailleurs, ce syndicat deviendra une solide fondation pour la création d’un syndicat national indépendant au Kazakhstan.’’

    Le CIO estime que si les syndicats tels que l’UITA et le KTR soutiennent véritablement les travailleurs du pétrole, ils devraient alors publiquement retirer tout leur soutien à la Confédération syndicale kazakh CFTK et donner un soutien pratique et moral à ceux qui tentent de construire un authentique syndicat indépendant dans ces circonstances extrêmement difficiles. Mais même si l’UITA et le KTR refusent d’agir de la sorte, le CIO va continuer à soutenir les grévistes et à les aider.

    Le 17 décembre, le Président du KTR, Boris Kravtchenko, a clairement tenté de blâmer le CIO pour les événements de Zhanaozen: ‘‘Nous croyons que la responsabilité de ces événement et du sang versé par les travailleurs du pétrole incombe entièrement aux dirigeants de la République du Kazakhstan. Cependant, cette responsabilité est partagée par les spéculateurs politiques, auto-désigné ‘‘comité’’ et ‘‘internationale’’, qui utilisent la protestation sociale pour leurs propres intérêts, pour réécrire les revendications des manifestants en transformant politiquement celles-ci et qui, par leurs actions provocatrices, poussent les autorités à utiliser des moyens violents.’’

    Ce que Boris Kravtchenko pense exactement du CIO n’est pas très clair. Nous avons soutenu la grève depuis sa création. Nous avons défendu que les employeurs éliminent tous les obstacles pour que des négociations sérieuses puissent commencer. Nous avons soutenu que ces négociations devraient être dirigées de façon transparente par des représentants élus des grévistes. Dès le début, nous avons été engagés dans la construction de la solidarité avec les grévistes et avons aidé à briser le blocus médiatique. Nous avons discuté avec les grévistes de leur intention d’organiser une manifestation pacifique le 16 décembre et avons convenu d’organiser une campagne internationale de solidarité autour de cet évènement.

    Les staliniens surpassent les bureaucrates syndicaux

    Une attaque encore plus vicieuse contre les travailleurs du pétrole a été lancée par le Parti communiste d’Ukraine, qui était resté silencieux sur cette question jusqu’au 4 janvier. Ce parti a finalement brisé son silence dans un article qui accuse Natalia Sokolova d’être un agent du département d’Etat américain et les travailleurs du pétrole d’être responsables de "la tentative des Etats-Unis pour déstabiliser la situation politico-économique." Ils ont continué en disant: ‘‘Les autorités du Kazakhstan ont agi durement, courageusement et de manière adéquate. Ils ont réagi fermement en instaurant l’Etat d’urgence et la police anti-émeute n’y a pas été de main morte contre les combattants bien armés qui se trouvaient derrière les travailleurs du pétrole. Ils ont montré leur courage quand le président, M. Nazarbayev, a visité la ville de Zhanaozen et a personnellement parlé aux habitants. Leur réponse a été adéquate, en agissant avec fermeté et en expliquant à ces messieurs de l’Union Européenne que ce qui se passe à Zhanaozen est une affaire interne au Kazakhstan."

    La “gauche” attaque les grévistes qui revendiquent la nationalisation

    Le 18 décembre, le site internet de gauche "RabKor" publiait un article d’Aleksei Simoyanov de l’Institut de la Mondialisation, à Moscou. Après presque sept mois de silence et à seulement 2 jours du massacre, l’auteur avait décidé de rejoindre le flot des attaques contre les travailleurs du pétrole : "Il est impossible de ne pas parler d’un certain nombre d’erreurs tactiques effectuées par les manifestants au cours de leur campagne. Aussi longtemps que les principaux slogans des manifestants étaient favorables à des meilleurs salaires, au respect des droits des travailleurs et luttaient contre la dégradation des conditions de travail, ils étaient dans une position forte. Dans les limites d’un conflit entre travailleurs et patron, les autorités avaient les mains liées, et toute pression de leur part aurait été purement illégitime. Le problème s’est compliqué quand, sous l’influence du CIO, les travailleurs ont également défendu des revendications politiques, y compris la nationalisation de la compagnie."

    Pourtant, comme cela peut être vérifié avec l’évolution des revendications des grévistes, les travailleurs du pétrole ont défendu la nationalisation de leur entreprise dès le début du litige. Ils n’ont pas eu besoin du CIO pour savoir que tant que ces entreprises restaient aux mains de capitaux privés liés au régime et aux multinationales étrangères, il n’était pas possible d’obtenir un salaire raisonnable. Le seul changement qui a été opéré avec cette revendication au cours de la grève, c’est de généraliser la revendication de la propriété publique à tout le secteur pétrolier, sous le contrôle des travailleurs. Les travailleurs du Kazakhstan ne sont d’ailleurs pas les seuls à tirer ces conclusions. En décembre, par exemple, des dizaines de milliers de syndicalistes ont défilé à Liège, en Belgique, pour exiger la nationalisation du site liégeois d’ArcelorMittal.

    Toutes les grèves sont politiques dans une certaine mesure

    Simoyanov ne fait avec son texte que démontrer sa profonde incompréhension de cette grève. La direction de l’entreprise a refusé de négocier non pas parce que les ouvriers ont soulevé la revendication de la nationalisation, mais parce qu’ils n’étaient pas prêts à mieux payer les travailleurs. La logique de son article est que les travailleurs devraient restreindre leurs luttes à des questions purement économiques et que s’ils vont plus loin, toute la pression contre eux devient ‘‘légitime’’. Suivant cette logique, les syndicats ne devraient pas exiger le limogeage des responsables antisyndicaux ou faire grève afin de faire tomber des régimes autoritaires. Suivant cette logique encore, les syndicalistes d’Europe, de Grèce, du Portugal, d’Italie et d’ailleurs qui sont en lutte par millions contre les politiques d’austérité de leurs gouvernements ne devraient pas exiger la chute de ces gouvernements ? Simoyanov pensent-il aussi que cette revendication est ‘‘illégitime’’ ?

    L’ironie est que ces critiques, en se précipitant contre les grévistes du pétrole, ont oublié de s’en prendre à la direction de l’entreprise, et finissent même au final à la droite du président Nazarbayev qui, à Aktau, a déclaré après le massacre que : ‘‘Le gouvernement, ainsi que le fonds Samruk Kazyna et la société KazMunaiGas, ont échoué à mettre en œuvre mes instructions sur la résolution rapide de ce conflit. Malheureusement, ils se sont montrés incapables de résoudre le problème."

    La caractéristique des critiques de ‘‘gauche’’ des grévistes est la manière dont ils ferment les yeux sur les bureaucrates syndicaux qui collaborent avec les régimes autoritaires ! Boris Kravtchenko est un membre du conseil consultatif du président russe Medvedev, Alexeï Etmanov est un candidat de la liste pro-Kremlin "Russie juste" et Sergei Belkin a signé une entente pour éliminer les grèves avec le régime de Nazarbayev. Ils sont en colère non pas parce que les travailleurs du pétrole ont adopté des revendications politiques – ils ne les critiqueraient pas s’ils rejoignaient le parti présidentiel. Les critiques n’arrivent que lorsque les travailleurs du pétrole déclarent qu’ils ne vont plus soutenir le parti présidentiel et lancent un appel au boycott total des élections législatives de janvier. Plutôt que de rester derrière l’un ou l’autre parti politique pro-régime et leurs conseillers dans les syndicats, les travailleurs du pétrole ont appelé à la création de leur propre, démocratique et indépendant parti des travailleurs, un instrument politique capable de représenter leurs intérêts sans devoir subir l’influence des oligarques.

    Le 16 décembre – début de la fin pour Nazarbayev

    Les événements du 16 décembre 2011 marquent un tournant dans le développement des luttes ouvrières à travers l’ancienne Union soviétique (la CEI, Communauté des Etats Indépendants). Après sept mois de lutte acharnée, les travailleurs du pétrole ont appris de nombreuses leçons. Ils ont démontré qu’ils étaient capables d’adopter une attitude pacifique et disciplinée et de rejeter les provocations destinées à les conduire à la violence. Ils sont allés plus loin que de simples exigences salariales face à un patron qui n’a aucune envie de payer plus, et ont défendu que l’entreprise devait être nationalisée, sous contrôle ouvrier, de sorte que les richesses du pays puissent être utilisées pour le peuple, plutôt que d’enrichir les oligarques et la famille présidentielle. Ils ont démontré qu’ils peuvent unir autour d’eux tous les pauvres et les exploités de la région en défendant de meilleurs salaires pour ceux qui travaillent qui travaillent dans le secteur public. Ils ont appris qu’il y a beaucoup de ‘‘dirigeants’’ et de ‘‘politiciens’’ qui inondent leurs oreilles de promesses d’amitié éternelle en échange de leurs votes, mais qui désertent aux premiers besoins. Ils ont vu que les seuls amis qu’ils ont vraiment, ce sont les travailleurs d’autres villes et d’autres pays, les seuls à avoir exprimé une véritable solidarité.

    Même après les horribles attentats de la police et de l’armée le 16 décembre 2011, et les nombreux morts, blessés et emprisonnés, les travailleurs du pétrole ont préservé leur dignité et leur discipline. Ils continuent à faire appel aux autres travailleurs pour qu’ils s’organisent en une seule fédération syndicale nationale et indépendante et pour construire un parti des travailleurs. Le Comité pour une Internationale Ouvrière et ses sections est fier de rester à leur côté, et de rester entièrement solidaire de leur combat.

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