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  • Égypte : Le gouvernement des Frères musulmans confronté à l'opposition populaire

    Aucune confiance dans l’une ou l’autre faction politique capitaliste ! Pour une lutte de masse pour les revendications des travailleurs !

    En Egypte, le début de l’année 2013 a été marqué par une vague de manifestations populaires de masse contre le président Morsi et son gouvernement des Frères musulmans. Les plus importants soulèvements ont eu lieu non au Caire, mais dans des villes du delta du Nil et le long du canal de Suez. Ces régions ont été négligées pendant des années et donc ont connu une nouvelle vague de luttes contre la misère, la répression étatique et dans certains cas, contre le nouveau régime lui-même. Notre camarade Georg Maier, qui a récemment visité le Caire, analyse ici la crise politique, sociale et économique qui vit en Égypte.

    Par Georg Maier, Sozialistische LinksPartei (SLP, CIO-Autriche)

    Impasse économique

    Le chômage a constamment augmenté au cours de ces derniers mois. Les prix de la plupart des marchandises, surtout des produits de base, ont également augmenté. Le régime tente d’arranger un emprunt de 4,8 milliards de dollars auprès du FMI afin d’accroitre ses réserves en monnaie étrangère, qui s’élèvent aujourd’hui à 13,6 milliards de dollars (comparé à 36 milliards en 2011).

    Le régime a produit une liste de 100 “produits de luxe non-nécessaires” (y compris par exemple, des “luxes” tels que les noix !), sur lesquels il y aura des restrictions à l’importation. On constate avec intérêt que le gaz lacrymogène ne semble par contre pas être un produit de luxe, puisque le gouvernement en a récemment acheté une quantité équivalente à 2,5 millions de dollars auprès d’une entreprise américaine. Tout cela a déclenché des manifestations de mécontentement, même parmi les membres des Frères Musulmans (dont beaucoup de commerçants qui forment la base des Frères musulmans, et qui souffrent en ce moment des restrictions à l’importation), ce qui a encore plus sapé l’autorité du régime aux yeux de beaucoup de personnes.

    Si le FMI accepte cette nouvelle demande d’emprunt, cela sera évidemment avec les conditions du FMI. Celles-ci visent en général la réduction des subsides. On a déjà vu la coupe des subsides des prix du gaz et de certains produits pétroliers, qui ont déclenché des manifestations dans le delta du Nil, accompagnées de barrages routiers et sur les lignes de chemin de fer. On s’attend à ce que l’effet le plus dévastateur de ces coupes soit l’impact sur le prix du pain. Le pain subsidié coûte en ce moment 5 piastres dans la plupart des boulangeries. Or, la rumeur et les discussions mentionnent le fait que le prix pourrait tout d’un coup se rehausser à 25 piastres ! Déjà des gens parlent d’une possible “révolte du pain”, ou, comme certains l’ont appelée, d’une “intifada du pain”. Les médias ont fait état d’émeutes au cours desquelles des supermarchés et des boulangeries auraient été vandalisées.

    L’industrie du tourisme (qui employait naguère à peu près 12 % de la main d’œuvre du pays) est soumise à une très grande pression, et ceux qui autrefois vivaient de la vente de services ou marchandises aux touristes connaissent maintenant beaucoup de difficultés.

    Les Frères musulmans en perte de soutien

    Il y a un sentiment largement répandu selon lequel le parti au pouvoir n’est pas mieux que l’ancien régime Moubarak. Le vieux système de népotisme a été à son tour adopté par les Frères musulmans – suscitant la colère du peuple. Avec le “rattrapage” opéré par les Frères musulmans, des dizaines de milliers de sympathisants des Frères musulmans reçoivent un poste dans la fonction publique, les membres du parti sont promus plus rapidement, et les contrats publics sont attribués de gré à gré à des entreprises appartenant aux membres du parti. Même en zone rurale, où le soutien en faveur des Frères musulmans lors des dernières élections était particulièrement élevé, cela a causé des manifestations massives contre les autorités régionales, y compris l’incendie du QG des Frères musulmans dans plusieurs villes provinciales.

    Par exemple, à Kafr el-Cheik, ville de 150.000 habitants dans le delta du Nil, complètement négligée par le gouvernement central depuis des décennies, le gouverneur a publiquement déclaré ceci : ‘‘Je soutiens la “frère-musulmanisation” du pays, parce que c’est ça, la démocratie.’’ Alors qu’au même moment, le président Morsi et de hauts cadres gouvernementaux du Parti pour la liberté et la justice (le parti des Frères musulmans) nient l’existence de ce rattrapage.

    La situation économique désespérée a causé à Kafr el-Cheik l’immolation d’un jeune chômeur, à qui les autorités avaient conseillé d’aller cirer des chaussures dans la rue ou d’aller demander l’aumône auprès d’une association caritative. Ce suicide a déclenché des manifestations dans cette ville normalement calme et conservatrice, connue uniquement pour être la ville natale de Mohammed Atta, un des terroristes qui ont causé l’attentat du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Des milliers de gens ont marché sur le bureau du gouvernement pour réclamer des droits sociaux et la chute du régime.

    Le président Morsi et les Frères musulmans ne cessent de perdre du soutien. Ils ont été élus sur base de leur promesses de démocratie et de justice sociale, mais ne peuvent ni ne veulent mettre en place la moindre amélioration. Les gens sont de plus en plus scandalisés, et de plus en plus de gens réclament le départ du gouvernement précisément dans ces circonscriptions qui ont voté des candidats Frères musulmans au parlement lors des élections de 2011-2012. Au cours des élections syndicales aussi, les Frères musulmans sont en net recul depuis plusieurs mois. Dans le syndicat des vétérinaires, qui était traditionnellement sous contrôle des Frères musulmans tout au long de l’ère Moubarak, ceux-ci ont été entièrement chassés de la direction du syndicat lors des dernières élections en son sein.

    Une nouvelle vague de révoltes

    La lutte la plus importante de celles qui se déroulent en ce moment à été la révolte à Port-Saïd, ville portuaire à l’extrémité nord du canal de Suez. Durant des semaines, la ville a été quotidiennement ébranlée par des manifestations et a connu de ce fait un état de grève générale virtuel. La police a été battue et contrainte de quitter la ville. À la place, les citoyens ont mis en place une “police populaire”. Lorsque la police est revenue début mars, elle n’a été capable de se réinstaller qu’avec la “protection” de l’armée. Cela reflète le changement de rôle au sein des structures étatiques, et pourrait indiquer un rôle renouvelé et plus actif pour l’armée (voir plus bas).

    La lutte de Port-Saïd est à un très haut niveau de confrontation avec l’État capitaliste et de remise en question de son rôle. Mais il y a aussi certainement des caractéristiques “spéciales” de cette lutte, qui reflètent l’incertitude sur le plan politique et le manque d’une réelle perspective pour la lutte des travailleurs et des masses pauvres. Une revendication centrale, qui représente surtout les intérêts des capitalistes et des commerçants locaux, est la réouverture de la zone franche du port. Il semble que cette revendication ait été reprise par certains jeunes et travailleurs. La deuxième caractéristique “spéciale”, qui vit surtout parmi les jeunes actifs dans la lutte, est la revendication de la libération des martyrs de la répression policière de même que des supporters de l’équipe de foot du al-Masry Club qui ont été condamnés à mort à la suite du massacre de bon nombre de supporters d’al-Ahly. Cette revendication isole du coup le mouvement du Caire, où la plupart des supporters d’al-Ahly demandent au contraire une plus forte condamnation des auteurs. Mais ce sont les forces de sécurité responsables du massacre qui devraient être jugées. Une enquête indépendante et démocratique accomplie par les supporters des deux camps et par les syndicats devrait être organisée afin de déterminer ce qu’il s’est réellement produit ce jour-là. Les véritables criminels sont les cadres du gouvernement qui désiraient prendre leur revanche sur les al-Ahly Ultras pour leur rôle héroïque pendant et depuis la révolution, c’est eux qui devraient répondre à la justice.

    À ces deux revendications, les travailleurs ont ajouté leurs revendications économiques (de meilleurs salaires, etc.). Mais, face à la répression policière et à la mauvaise volonté du régime qui refuse la moindre concession (au moins tant que le mouvement en reste à ce stade), la plus importante revendication développée par le mouvement est celle de la chute du régime et de la fin du règne des Frères musulmans. Le gouvernement a peur que le mouvement ne se répande. Des mouvements similaires sont déjà nés (bien que d’une moindre ampleur) dans d’autres villes du canal et du delta, comme à Suez, à Ismaïlia, à Mansourah, et à el-Mahallah.

    L’appareil d’État

    Toutes ces révoltes et manifestations représentent une réelle menace pour l’élite dirigeante – la nouvelle comme l’ancienne. Il est possible, comme cela est largement discuté parmi la population, que le Conseil suprême des forces armées (CSFA) prenne le pouvoir, comme il l’a fait après la chute de Hosni Moubarak en 2011. De plus en plus de gens, partisans de l’ancien régime, grands commerçants et entrepreneurs, qui aimeraient voir une “main forte” diriger le pays. Il y a des manifestations dans les quartiers riches du Caire pour demander le retour au pouvoir du CSFA.

    L’intervention de l’armée à Port-Saïd, où elle a affirmé ne jouer qu’un rôle “neutre”, sans attaquer directement les manifestants, tout en protégeant les institutions publiques, est censé nous rappeler du rôle qu’a joué le CSFA en février 2011. Confronté à une détermination et à une confiance accrue de la part des manifestations de masse qui se déroulaient à l’époque, le CSAF n’était pas certain que les simples soldats obéissent à l’ordre de tirer, c’est pourquoi l’ordre n’a pas été donné. L’armée n’a pas attaqué les manifestants, mais en même elle s’est assurée que le mouvement n’échappe pas à tout contrôle et ne renverse les fondations mêmes du capitalisme égyptien et de son État.

    Il semble aussi y avoir des fractures au sein de la police. Des milliers de policiers sont en ce moment en grève indéterminée afin d’exiger de ‘‘ne pas se retrouver impliqués dans le conflit politique entre le gouvernement et l’opposition’’, comme l’a déclaré dans les médias un colonel de police, qui a également revendiqué la démission du ministre de l’Intérieur, Mohammed Ibrahim. Cela alors que le gouvernement s’efforce de renforcer la police et sa capacité à disperser les manifestations. Depuis la mi-février, les simples agents de police ont le droit de porter des pistolets et des munitions (auparavant, le port d’armes était réservé aux officiers et à certaines forces spéciales). L’appareil d’État de manière générale fait toutes sortes d’efforts dans le but de pouvoir dans les faits réprimer l’opposition et les révoltes. Le parti d’extrême-droite salafiste Gamaad al-Islamiya est lui aussi en train de mettre en place des “comités de citoyens” (dans les faits, des milices islamistes) afin d’attaquer les manifestations.

    Toutes ces évolutions sont dangereuses pour le mouvement ouvrier et pour la gauche. Confronté à la répression policière, aux miliciens pro-gouvernementaux et aux groupes islamistes de droite, le mouvement ouvrier doit développer une stratégie claire afin de se défendre. On a vu récemment dans les manifestations l’apparition d’un “Black Block” (“Bloc noir”), groupe assez désorganisé de jeunes portants des masques noirs afin de se battre avec la police et les miliciens. Bien qu’un tel développement soit compréhensible, l’existence d’un tel mouvement est utilisée comme prétexte par le gouvernement pour attaquer les manifestants et au final, le Bloc s’est avéré impuissant à protéger les manifestations de manière adéquate.

    Ce qui est nécessaire est la mise en place de comités d’auto-défense organisés démocratiquement, basés dans les quartiers populaires et dans les usines. Il nous faut des structures démocratiques afin de protéger de manière efficace le mouvement ouvrier contre toutes les attaques. Les luttes doivent être articulées en un programme révolutionnaire clair, qui s’en prenne non seulement à l’État bourgeois, mais au système capitaliste dans son ensemble.

    Il faut une organisation indépendante de la classe ouvrière et un programme

    Il y a en ce moment deux grandes fédérations syndicales indépendantes, dont le nombre de membres total s’élève à 2,5 millions de travailleurs. Certains de ces syndicats au sein de ces deux fédérations ont organisé des grèves et des occupations massives et puissantes. Mais lorsque les travailleurs participent aux manifestations contre le régime ou dans les révoltes générales de masse comme à Port-Saïd, où les travailleurs constituent la vaste majorité de la population participante, ils ne le font pas en tant que travailleurs ou en tant que classe, mais en tant que manifestants à titre individuel. Seule la classe ouvrière peut montrer la voie en avant pour la lutte. Ce qu’il manque ici, c’est une voix politique ouvrière qui puisse développer la lutte et combiner les revendications économiques légitimes avec la revendication de la nationalisation des usines, etc. sous contrôle et gestion ouvriers, et développer un véritable programme socialiste révolutionnaire pour la lutte.

    Ce qu’il nous faut est un parti socialiste révolutionnaire pour les travailleurs et pour les jeunes. Un tel parti peut se développer sur base des luttes quotidiennes des travailleurs dans les entreprises comme sur base des révoltes de masse. Les socialistes, les syndicalistes et les militants de groupes locaux doivent s’unir sur une base de lutte commune contre les attaques perpétrées par le gouvernement Morsi, contre les capitalistes qu’il sert et contre le système capitaliste pourri dans son ensemble, et mettre en avant un programme socialiste clair qui satisfasse aux besoins des masses pauvres et qui fasse progresser la lutte pour une Égypte socialiste.

    Tandis que les Frères musulmans perdent leur soutien et que de nouvelles vagues de lutte massives ébranlent le pays, toute une série d’organisations de gauche et socialistes soutiennent toujours les forces de l’opposition laïque libérale telles que le Front de salut national (FSN) dirigé par Mohammed El Baradei, Amr Moussa et Hamdeen Sabbahi. Une telle position, dans la perspective de révoltes et d’insurrections de masse à cause de la situation économique, ne peut être qualifiée que de désastreuse.

    Le FSN, tout comme le Parti pour la liberté et la justice, les salafistes ou le CSFA, ne représente au final qu’une autre faction de la classe dirigeante capitaliste. Le soutien d’une faction capitaliste par la gauche ne fait que rendre la tâche plus ardue pour le développement d’une organisation indépendante de la classe ouvrière et de la jeunesse. Lorsque les socialistes suivent une faction capitaliste, décrite comme étant “progressiste”, c’est un signe de manque de confiance dans la force de la classe ouvrière, et cela fait dévier de son objectif la lutte qui peut être menée et remportée par la classe ouvrière organisée. Tout comme certains socialistes autoproclamés soutenaient jusqu’à récemment les Frères musulmans, le soutien à El Baradei et au FSN ne fera que freiner le développement d’une organisation des travailleurs véritablement socialiste, dont l’Égypte (et les autres pays du monde) a pourtant tellement besoin.

    Afin de rallier la vaste majorité des travailleurs, des jeunes et des masses pauvres, il est nécessaire de rompre avec toute faction de la classe capitaliste et de développer et de discuter des revendications communes de lutte autour desquelles les militants syndicaux et de groupes locaux, les jeunes et les travailleurs puissent s’organiser et lutter.

    • Non aux dictats du FMI ! Non à toute coupe dans les subsides aux denrées de base !
    • Droits démocratiques : droit de manifester, droit d’organiser des syndicats
    • Non au “rattrapage” des Frères musulmans ! Élections et contrôle démocratiques de l’administration et des cadres étatiques
    • Salaire minimum de 1200 livres par mois (86 000 francs CFA/135 €), indexation automatique des salaires en fonction du cout de la vie
    • Programme massif d’investissements public afin d’améliorer l’infrastructure, les soins de santé, l’enseignement, fournir à tous des logements de qualité à cout accessible, et créer des emplois décents
    • Nationalisation de toutes les banques, ex-entreprises étatiques privatisées et grandes entreprises sous contrôle et gestion démocratique par les travailleurs, reliées entre elles pour une planification démocratique de l’économie
    • Appel à tous les travailleurs partout au Moyen-Orient et en Afrique du Nord pour la solidarité en une lutte commune
    • Pour un gouvernement socialiste démocratique en Egypte et une fédération socialiste d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
  • Égypte : Protestations massives contre la tentative de prise de pouvoir de Morsi. Pour une révolution socialiste !

    De grands mouvements de protestation ont eu lieu pour empêcher le président égyptien Morsi de s’attribuer de nouveaux pouvoirs et d’imposer une constitution islamique. Les manifestants ont notamment scandé ‘‘Le peuple veut la chute du régime’’. De grandes manifestations ont aussi eu lieu en faveur du président. La violence brutale a rappelé les méthodes de l’ancien président Moubarak, des casseurs pro-Morsi s’en prenant à des manifestants pacifiques avec l’appui des forces de l’ordre.

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    L’ébauche de constitution a été hâtivement rédigée à l’Assemblée Constituante après une réunion de 15 heures. Morsi a appelé à la tenue d’un référendum le 15 décembre pour approuver cette nouvelle constitution. Sa hâte est une réaction face à l’opposition massive qu’a suscitée sa tentative de prise de pouvoir. Il a à présent renoncé à interdire toute opposition légale à son autorité, mais ce n’est que partie remise jusqu’à la promulgation de sa nouvelle constitution. Après une décision de l’assemblée des juges selon laquelle ces derniers ne superviseraient pas le référendum, le Haute Commission Electorale a déclaré que ce référendum se déroulerait en deux étapes, les 15 et 22 décembre.

    L’ébauche de constitution contient de nombreux articles qui menacent toute future opposition. Elle déclare ‘‘qu’aucun individu ne pourra être insulté’’. L’ancien dictateur Moubarak avait utilisé de telles méthodes pour faire taire ses opposants. Les persécutions criminelles pour ‘‘avoir insulté le président’’ ont d’ailleurs augmenté depuis l’arrivée au pouvoir de Morsi. Des journalistes ont notamment été emprisonnés.

    La nouvelle constitution autorise les citoyens à être jugés en cour martiale pour ‘‘crimes contre les forces armées’’. Les intérêts économiques de l’armée et ses pouvoirs restent d’actualité et hors de portée de tout contrôle démocratique, notamment concernant sa capacité d’établir son propre budget. Les travailleurs des entreprises appartenant à l’armée (qui contrôle directement une grande partie de l’économie égyptienne) pourraient être jugés en cour martiale pour faits de grève ou occupation d’entreprise. Cette loi était déjà en vigueur sous la dictature de Moubarak. Le 9 décembre, Morsi a donné à des officiers de l’armée le droit de procéder à des arrestations, limitant d’autant plus les droits acquis de haute lutte durant la révolte du 25 janvier 2011.

    Les droits accordés aux femmes sont vagues et laissés à la libre interprétation. Mais des femmes et des jeunes filles ont déjà été attaquées en public et se sont vu couper les cheveux de force pour avoir refusé de porter le voile en public !

    La police a acquis le droit de ‘‘conserver la morale publique’’, ce qui ouvre la voie à des restrictions des libertés civiles, dont le droit de rassemblement et la liberté d’expression, tout comme en Iran ou en Arabie Saoudite. Les 8 millions de chrétiens se sentent particulièrement menacés par de tels pouvoirs.

    Des attaques contre les travailleurs et les pauvres

    Cette constitution ouvre la voie à d’autres attaques contre les travailleurs et les pauvres. Le gouvernement a également négocié un prêt de 4,8 milliards de dollars avec le Fonds Monétaire International (FMI). En conséquence de l’accord et du budget d’austérité, les subsides sur le butane et l’électricité ont été réduits. Morsi a aussi annoncé des augmentations des taxes sur de nombreux services publics et divers biens de consommation. Quelques heures après cette annonce, il a toutefois décidé de reporter son plan pour avoir un ‘‘dialogue social’’. Une telle indécision suggère de grands clivages et divisions au sein même du gouvernement et du parti des Frères Musulmans. Les Frères Musulmans ont attaqué l’augmentation des taxes et exigé sa suspension. Ils craignent qu’une riposte de la population leur coûte la victoire lors du référendum. Signe d’un approfondissement de la crise politique, le ministre des finances, Mumtaz al-Said, a déclaré le 11 décembre que le prêt du FMI sera postposé à janvier 2013.

    La premier ministre Hisham Qandeel a déclaré que le gouvernement se devait d’améliorer ‘‘l’environnement des affaires (…) faire de l’Égypte une destination idéale pour les investissements directs venant de l’étranger.’’ L’élite riche qui se trouve à la tête des Frères Musulmans vise à profiter de la privatisation de larges pans des industries publiques.

    Tentative d’étranglement des syndicats indépendants

    Le décret n°97 vise à étrangler les syndicats indépendants qui émergent. Un seul syndicat sera toléré dans une entreprise, ce qui empêche de nouveaux syndicats indépendants de défier la Fédération Syndicale Égyptienne (FSE).

    Les membres exécutifs de la FSE de plus de 60 ans (la majorité) vont être remplacés par de nouveaux membres impsés par le ministre du travail (qui est membre des Frères Musulmans). Avant le 25 janvier 2011, 22 des 24 membres de la FSE étaient membres du Parti National Démocratique de Moubarak. Les Frères Musulmans comptent simplement remplacer les bras droits de Moubarak par les leurs.

    De nombreux partis d’opposition ont constitué le Front du Salut National, emmené par l’ancien dirigeant de la Commission de l’Énergie Atomique des Nations Unies Mohamed El-Baradei, l’ancien candidat aux présidentielles Amr Moussa (également ex-ministre de Moubarak), et Hamdeen Sabbahi, un nassériste de droite.

    Tout en protestant aux côtés du FSN et des autres opposants contre la tentative de prise de pouvoir de Morsi et contre sa constitution antidémocratique, les véritables socialistes doivent garder leur identité propre. Les programme et les précédentes actions d’El-Baradei, Moussa et des autres politiciens capitalistes ne peuvent ne sont en aucun cas une source d’inspiration pour ceux qui luttent contre les partis islamistes. Seule une opposition de classe est de nature à provoquer une rupture entre les masses et l’Islam politique.

    Les véritables socialistes doivent clairement se différencier des libéraux et des nationalistes bourgeois. Morsi manipule les craintes des adeptes des Frères Musulmans en leur faisant croire que l’opposition complote son accession au pouvoir à l’aide des forces pro-Moubarak. La gauche doit répondre aux accusations du régime de Morsi, selon qui les groupes de jeunes révolutionnaires sont des reliques du régime de Moubarak et manifestent aux côtés de hautes figures militaire, judiciaires et de la sécurité, du personnel de Parti National Démocratique et des membres du monde des affaires devenus riches sous Moubarak.

    Les travailleurs ont besoin de leur propre parti, basé sur des syndicats indépendants. Un programme socialiste de changement révolutionnaire de la société peut rassembler les travailleurs, les pauvres et les jeunes. Une constitution socialiste inclurait de véritables droits démocratiques pour tous, ainsi que la disparition de la pauvreté, de l’analphabétisme et du manque de logements, un enseignement et des soins de santé gratuits et de qualité, des pensions pour les personnes âgées et les handicapés, un salaire minimum décent,… Ce sont là des droits fondamentaux qui ne seront pas accordés par des politiciens capitalistes, qu’ils soient islamistes de droite ou membre d’antiques partis libéraux.

  • Egypte : Le candidat aux présidentielles le plus identifié à la révolution remporte 22% des voix

    Le premier tour des élections présidentielles égyptiennes (les 23 et 24 mai dernier) ont placé en tête Mohamed Morsi, le candidat du Parti de la liberté et de la justice (la vitrine politique des Frères Musulmans). Avec ses 25%, il se place un pourcent devant Ahmed Chafik, qui fut le dernier premier ministre du président déchu Hosni Moubarak. La révolution commencée le 25 janvier 2011 fait-elle marche arrière ? Les résultats illustrent au contraire qu’elle peut bien avoir dévié, mais qu’elle ira à nouveau de l’avant. Le gagnant de ces élections est en fait le principal perdant de celles-ci !

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de galles)

    Au Caire, à Alexandrie et dans d’autres villes et villages, des manifestations de masse ont suivi l’annonce des résultats. Des centaines de personnes ont notamment pris d’assaut le QG de campagne de Chafiq au Caire afin d’y mettre le feu. Mais ces manifestations de colère n’auraient pas seulement été dirigées contre Chafik, mais également contre le candidat des Frères Musulmans.

    Les Frères Musulmans (FM) ont obtenu dix millions de voix (soit 47%) à l’occasion des récentes élections législatives tenues il y a quelques mois à peine. Mais cette fois, Morsi n’a pu compter que sur un peu plus de cinq millions de votes (25%). Il était en fait le second choix des Frères Musulmans pour les représenter, puisque leur premier choix, Khairat al-Chater, a été disqualifié pour cause de condamnation sous le régime Moubarak. Al-Chater est l’un des plus riches hommes d’affaires d’Egypte, ce qui constitue en soi une excellente indication de la vision des choses adoptée par la direction des Frères Musulmans et de ce que doivent en attendre les travailleurs et les pauvres.

    Lors des élections législatives, le parti des ultra-conservateurs salafistes, Al-Nour, avait recueilli 24% des voix. Leur candidat, Hazem Abu Ismail, a également été disqualifié pour les présidentielles en raison de la double nationalité américaine de sa mère. Un candidat qui avait fait défection des Frères Musulmans et s’est présenté comme un indépendant en faisant appel aux libéraux laïques, Abdel Moneim Aboul El-Fotouh, a obtenu 18% des voix – beaucoup moins que prévu dans les sondages. Il avait gagné le soutien des salafistes, ce qui lui a probablement fait perdre le soutien d’autres couches qui espéraient de lui qu’il comble le fossé entre les partisans islamistes et laïques de la révolution.

    Un autre candidat avait été mis en avant dans les sondages ; l’ancien secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa, qui a terminé cinquième avec 11% des suffrages. Il était l’un des favoris de l’establishment, avec juste ce qu’il fallait d’opposition pour être en mesure de prétendre soutenir la révolution du 25 janvier. Moussa et Aboul Fotouh étaient considérés comme les deux principaux candidats, jusqu’à un débat télévisé qui semble leur avoir fait perdre du soutien à tous les deux!

    La croissance rapide du candidat de gauche

    Les deux candidats qui ont fait mieux que prévu ont été Chafiq, un vestige de l’ancien régime, et Hamdine Sabahi. Parmi les principaux candidats, Hamdine Sabahi était le plus identifié à la révolution. Il a reçu 22% des suffrages, c’est-à-dire le double de ce que les sondages laissaient prévoir une semaine plus tôt, arrivant même en tête au Caire, à Alexandrie et à Port Saïd. Aux élections législatives de janvier dernier, son parti de la dignité (Karama) n’avait remporté que 6 des 478 sièges. Sabahi a derrière lui plus de 30 ans d’opposition à l’ancien régime de Moubarak, et a été emprisonné pour cela. Son slogan électoral – ‘‘L’un d’entre nous’’ – reflétait cela, ainsi que ses origines familiales modestes.

    Sabahi défendait un programme comprenant l’augmentation du salaire minimum de 700 Livres Egyptiennes (94 euros) à 1200 Livres Egyptiennes (161 euros) par mois, l’instauration d’un salaire maximum, des allocations de chômage pour els jeunes et une subvention minimale de 500 Livres Egyptiennes (67 euros) pour quatre millions de familles pauvres. Il s’est opposé aux mesures d’austérité qui ‘‘ont un effet nocif sur les conditions de vie des citoyens et contribuent à la récession.’’ Il défendait également une forte augmentation de l’utilisation de l’énergie solaire, la création d’une banque d’Etat pour aider les agriculteurs, un enseignement gratuit et l’éradication de l’analphabétisme.

    Toutes ces mesures sont bien entendu les bienvenues, mais le programme de Sabahi pour leur mise en œuvre est basé sur l’idée nassérienne d’une ‘‘économie de développement planifiée, en créant un équilibre entre les trois secteurs économiques – public, privé et coopératif.’’

    Bien que Nasser ait réussi à quelques années à se maintenir en équilibre entre l’Ouest capitaliste et la Russie stalinienne (en savoir plus), l’actuelle domination mondiale du capitalisme signifie qu’il ne peut y avoir d’équilibre entre les secteurs public et privé. Seule la propriété collective de toutes les grandes entreprises, des banques et des grandes propriétés terriennes est capable de poser les bases d’une ‘‘économie de développement planifiée.’’ Cette planification doit de plus être réalisée sous le contrôle démocratique des travailleurs, des petits commerçants et des petits agriculteurs, plutôt que sous les ordres d’une élite bureaucratique de fonctionnaires et de militaires.

    Le soutien du candidat de l’ancien régime

    Chafiq est devenu le candidat qui a reçu le plus de soutien afin de restaurer ‘‘la loi et l’ordre’’ et pour répondre au sentiment sécuritaire de tous ceux qui se sentent menacés par les bouleversements que le pays a connu depuis le 25 janvier 2011. Beaucoup d’entre eux sont de petits commerçants, des négociants et de petits entrepreneurs qui ont perdu leur commerce (notamment dans le tourisme) pendant les troubles. D’autres se sentent fatigués après 16 mois de soulèvements révolutionnaires et contre-révolutionnaires, la classe dirigeante et l’ancien régime semblant encore s’accrocher au pouvoir. Une certaine nostalgie d’un passé apparemment plus calme se développe. Sa campagne a été financée par ce qui reste de l’ancien régime et par les grandes entreprises, qui veulent un président capable de revenir sur les acquis de la révolution.

    La minorité chrétienne semble aussi également très fortement voté pour lui pour des raisons similaires ainsi qu’en raison de leurs craintes concernant l’islamisation de l’État et la menace de persécutions. Cependant, les suffrages combinés des deux principaux candidats islamistes, Morsi et Aboul Fotouh, représentent seulement 43% des votes, chiffre qu’il faut comparer aux 72% obtenus par les Frères Musulmans et Al-Nour lors des élections législatives.

    Le taux de participation pour le premier tour des élections présidentielles était en baisse, et s’est situé à environ 45%, reflétant ainsi l’opinion largement répandue selon laquelle ces élections ne vont pas changer grand-chose dans la vie de la population. Une certaine déception se développe concernant le parlement. Un électeur d’Al-Nour avait déclaré aux élections de janvier : ‘‘Nous attendons beaucoup de ce parlement. Nous attendons qu’ils répondent à nos besoins et soit capable de résoudre les problèmes auxquels le pays est confronté, y compris le chômage et la pénurie de gaz.’’ (Ahram, 23/01/12)

    Les luttes industrielles

    Les deux candidats pour le second tour, Morsi et Chafiq, représentent seulement 49% des voix exprimées au premier tour. La classe ouvrière et la jeunesse radicalisée ne pourront pas voter pour un candidat qui représente les objectifs de la révolution et lutte pour une politique favorable à la classe ouvrière et aux pauvres. Compte tenu de cela, le taux d’abstention pourrait être encore plus élevé au second tour, puisque de nombreux travailleurs et jeunes ne verront aucune raison de voter pour des candidats qui représentent les partis et les forces se dressant sur la voie du changement fondamental, c’est-à-dire un changement social, économique et politique. Les Frères Musulmans pourraient toutefois jouer le rôle de ‘‘moindre mal’’ et ramasser des votes de la classe ouvrière et des jeunes afin d’empêcher l’arrivée au pouvoir de Chafik. D’autres électeurs, en particulier les chrétiens, peuvent voter pour le candidat de l’ère Moubarak par crainte de l’arrivée à la présidence d’une force islamiste. Les vieux amis de Moubarak issu du monde des grandes entreprises feront tout pour que Chafiq l’emporte afin de pouvoir continuer à faire fortune sur la souffrance des pauvres et des travailleurs.

    Quelle que soit le vainqueur, la classe ouvrière et les pauvres auront besoin de se battre pour défendre leurs intérêts contre la classe dirigeante. Une victoire de Morsi conduira à la déception des électeurs des Frères Musulmans, en clarifiant que les dirigeants des Frères ne représentent pas de changement réel pour la vie des masses. Par la suite, cela pourrait conduire à de nouveaux gains électoraux pour le parti salafiste Al-Nour si aucune alternative crédible pour les travailleurs n’est construite.

    Les travailleurs ont déjà une certaine expérience d’une victoire de l’islma politique de droite. Les conducteurs de bus en grève au mois de mars avaient dû aux briseurs de grève de l’armée, tandis que les députés des Frères Musulmans et les députés salafistes avaient ignoré les revendications des grévistes, comme l’avait expliqué l’un d’eux au journal Egypt Independant le 13 mars dernier. ‘‘Ils ne défendent pas nos droits’’, avait-il ajouté.

    Les Frères Musulmans déclarent vouloir construire un gouvernement de coalition avec ‘‘tous les groupes politiques, en particulier les groupes révolutionnaires’’. Un de leurs porte-parole affirme qu’il ‘‘croit en la valeur réelle d’un consensus national.’’

    Chaque groupe révolutionnaire rejoignant une coalition dirigée par les Frères Musulmans pour tenir Chafiq à l’écart sera très vite entaché par la politiques antisociale. Sabahi a eu raison de refuser de participer à ces négociations (même si son parti, Karama, a rejoint le parti des Frères Musulmans au sein de ‘‘L’Alliance démocratique’’ pour quelques mois l’an dernier).

    Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, il est clair que la société égyptienne reste dans un état extrêmement mouvant. Ni la réaction, ni la révolution n’ont été en mesure de stabiliser leur soutien. Si Shafiq devient le nouveau président, il fera face à une opposition généralisée dès ses débuts au pouvoir, en particulier des travailleurs et des jeunes qui ont mené la lutte révolutionnaire. Après près de six mois de campagne électorale, l’attention commence à se tourner vers d’autres moyens pour améliorer les conditions de vie de la population. Plus grèves sont susceptibles d’arriver, et d’ainsi fournir aux nouveaux syndicats indépendants autant d’occasions de montrer que la solidarité et la lutte peuvent remporter des victoires.

    Mais chaque victoire sera systématiquement sous la menace des patrons, y compris le Conseil suprême des forces armées, qui a de grands intérêts économiques. La construction d’un parti politique capable d’unir travailleurs, jeunes et pauvres autour d’un programme d’action destiné à changer la société peut remettre en cause le pouvoir de la classe dirigeante. C’est une des tâches les plus urgentes à l’heure actuelle.

    Un gouvernement des travailleurs et des pauvres basé sur la réalisation d’un programme socialiste de nationalisation des grandes entreprises sous le contrôle démocratique des travailleurs pourrait mettre fin à la dictature du capitalisme et à la pauvreté, la répression et l’insécurité qu’il apporte. La lutte pour la démocratie réelle ne peut pas être distincte de la lutte pour le socialisme.

  • Monde et Europe: Une nouvelle période d’instabilité et de révolutions (1)

    Thèses du bureau européen du CIO

    Début avril, des dirigeants du CIO venus d’Europe, mais aussi du Pakistan et d’Israël, se sont rencontrés pour discuter des développements internationaux, et en Europe en particulier. Les thèses suivantes y ont été discutées et amendées après discussion.

    Il y a à peine trois mois que s’est tenu le Congrès Mondial du CIO, et depuis la situation mondiale a radicalement été modifiée par les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Puis, il y a eu la double catastrophe naturelle du séisme et de l’immense tsunami au Japon. Ces événements ont servi à renforcer l’impression, créée par la crise économique persistante, d’un monde en chaos. Le danger de la fusion des réacteurs nucléaires – et des répercussions que cela pourrait avoir avec la possibilité de retombées radioactives à la Tchernobyl – a aussi eu pour effet de souligner l’irresponsabilité du capitalisme en ce qui concerne l’environnement. La construction de centrales nucléaires sur des lignes de faille sismiques reconnues, avec la fuite de particules radioactives et les dangers de tout un héritage de déchets nucléaires pour les générations futures, a horrifié le monde.

    La révolution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

    Le CIO avait bel et bien prédit les événements du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Dans le dernier document sur les relations mondiales adopté lors du 10ème Congrès du CIO en décembre 2010, nous avions correctement anticipé le fait que le Moyen-Orient était au bord d’une explosion sociale, mettant en avant la possibilité du renversement du régime Moubarak. Nous avions entre autres écrit ceci : ”Un autre “point chaud” pour l’impérialisme est le Moyen-Orient. Il n’y a aucun régime stable dans la région” (paragraphe 54). En particulier, nous avions prédit dans le même document que : ”Bien que le conflit entre les Arabes et les Israéliens est important, ce n’est pas le seul facteur qui doit être pris en considération lorsque nous établissons les perspectives pour cette région. Plus que jamais, la situation économique de ces pays les prépare à de grands mouvements sociaux et politiques. C’est particulièrement le cas pour l’Égypte … des revirements d’une ampleur sismique sont à l’ordre du jour dans ce pays. Le règne de Moubarak, long de 30 ans, approche de sa fin”. (paragraphes 62-63). Ce pronostic a été confirmé par les événements tumultueux qui se déroulent encore en ce moment, et par lesquels la révolution ou l’idée de révolution a bondi d’un pays à l’autre.

    En conséquence de ces mouvements, on a une fois de plus vu venir à l’avant-plan la théorie trotskiste de la Révolution permanente. Toutefois, les idées de Trotsky ne se prêtent pas à une interprétation superficielle et unilatérale de la manière dont le processus de Révolution permanente va se dérouler. Trotsky n’a jamais envisagé un processus linéaire et direct. Les révolutions russes n’ont pas triomphé sans de sérieuses tentatives de contre-révolution. En Tunisie et en Égypte, étant donné la non-préparation des masses et le manque d’organisations indépendantes, couplés au fait que l’appareil sécuritaire militaire du vieux régime n’a pas été complètement démantelé, la contre-révolution allait forcément poser une grave menace à la victoire encore non assurée des masses. L’impact de la révolution était à son tour conditionné au fait que les masses venaient d’émerger de la nuit noire de décennies de dictature, ce qui était également renforcé par le manque de véritables partis ouvriers révolutionnaires, avec des cadres capables de rapidement orienter les masses politiquement. Néanmoins, chaque effort de la contre-révolution n’a fait que provoquer une opposition tenace, et, à chaque fois qu’il semblait hésitant ou endormi, a ressuscité le mouvement de masse contre les restes des vieux régimes et, en Tunisie, a poussé la révolution plus en avant.

    En Égypte, l’occupation du quartier général de la police secrète – après des rumeurs selon lesquelles ses agents tentaient de détruire des fichiers détaillant la torture sous le régime Moubarak et le rôle que l’armée a joué dans celle-ci –, de même qu’un mouvement tout aussi tenace que celui de Tunisie, indiquent qu’une révolution ne peut pas être aussi facilement balayée. Mais l’intervention impérialiste en Libye (la soi-disant “zone d’exclusion aérienne”) fait partie d’une tentative d’intimider les masses révolutionnaires. Elle se fait passer pour un soutien à l’opposition libyenne alors qu’en réalité, elle est partie prenante d’une offensive générale de la réaction dans la région et à l’échelle internationale qui tente de stopper et de compliquer le processus révolutionnaire. Elle est aussi une tentative d’assurance de la part de l’impérialisme occidental afin d’assurer le maintien de son emprise sur les ressources pétrolières de la Libye. Après avoir courtisé Kadhafi, lui avoir fourni des armes, etc., la meilleure manière maintenant, selon les calculs de l’impérialisme, d’accomplir ses objectifs est d’abandonner son ancien “ami” pour s’assurer d’être “du bon côté de l’Histoire” – surtout de l’Histoire économique ! Comme l’ont montré les événements en Égypte, en Tunisie et, plus récemment, au Yémen, ils n’y parviendront pas.

    Le massacre brutal au Yémen n’a servi qu’à renforcer la résolution du mouvement de masse, menant à la plus grande manifestation encore jamais vue contre le régime, et au départ probable de Saleh. La défection du chef du personnel de l’armée, qui est passé au camp de la révolution, a été un moment crucial. Ceci indique que Saleh n’a pas assez de forces sur lesquelles se baser. Mais l’accueil qui a été fait au général par l’opposition yéménite montre la confusion de la conscience – c’est le moins que l’on puisse dire – parmi les rangs de la révolution. Son portrait a été enlevé de la gallerie des méchants contre-révolutionnaires, et replacé parmi les anges !

    L’intervention brutale de l’Arabie saoudite au Bahreïn pour y écraser la révolution est destinée à intimider les masses bahreïnies, de même que les travailleurs et paysans des pays qui ne se sont pas encore engouffrés dans la vague révolutionnaire, afin de les décourager de marcher dans les traces de l’Égypte et de la Tunisie. En interne, dans chaque pays, la contre-révolution attend son heure – forcée maintenant de plier sous le vent révolutionnaire – jusqu’à ce qu’elle puisse utiliser les déceptions engendrés par les résultats de la révolution afin de contre-attaquer. Le référendum sur les amendements constitutionnels des généraux venait seulement d’être terminé en Égypte, que l’armée a annoncé son intention de restreindre et de bannir les manifestations et les grèves. Néanmoins, la tendance dans la prochaine période sera à un approfondissement de la révolution mais, bien sûr, les perspectives varient d’un pays à l’autre.

    De plus, il ne faut pas exclure une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Le déclenchement d’une telle guerre pourrait provenir de la recrudescence de violence entre Palestiniens et Israéliens, avec l’attentat qui a fait sauter un bus à Jérusalem et l’accroissement du conflit à et autour de Gaza. Si une telle guerre survenait, et en particulier si elle venait à se développer en un conflit majeur, elle pourrait impliquer les États arabes ; l’armée égyptienne, par exemple, qui n’est plus maintenant tenue en laisse par le régime servile pro-USA et pro-Israël de Moubarak. Dans la nouvelle situation, la pression de la part des masses arabes pour défendre les Palestiniens sera intense. Ceci sera encore plus le cas si des mouvements de masse comme celui du 15 mars en Cisjordanie continuent à se développer.

    Au moment où ce document était en préparation, la Libye se tenait dans l’œil du cyclone. Pour toutes les raisons que nous avons expliquées – dans les articles sur notre site – la situation en Libye est bien plus compliquée que les processus en Égypte et en Tunisie, étant donné le caractère particulier du régime Kadhafi. Il ne fait aucun doute que le régime Kadhafi est couvert de sang. L’insurrection de Benghazi a tout d’abord vaincu les troupes de Kadhafi – dirigées par ses fils – qui ont alors fui pour se mettre à l’abri à Tripoli. Des comités populaires ont commencé à prendre forme, mais ont malheureusement été dominés – et ceci a été renforcé depuis – par des forces bourgeoises et petites-bourgeoises, dont d’anciens ministres du régime Kadhafi. Notre revidencation qui demandait que ces comités soient fermement ancrés parmi les masses, avec une pleine démocratie ouvrière, et sur base d’un programme clair, aurait pu mener, si nécessaire, à la formation d’une armée révolutionnaire. Celle-ci aurait pu se développer de la même manière que les colonnes de Durutti après l’insurrection contre les fascistes à Barcelone au début de la Guerre civile espagnole en juillet 1936. La simple annonce d’une telle force aurait pu en soi avoir été l’étincelle qui aurait mené à une insurrection victorieuse contre Kadhafi à Tripoli.

    Le caractère tribal de la Libye – renforcé par des divisions régionales, en particulier entre l’Ouest et l’Est – a permis à Kadhafi d’obtenir une certaine marge de manœuvre. Le fait de brandir le drapeau royaliste – le roi Idris provenait de Benghazi et était à la tête de la “tribu” Senoussi qui regroupe un tiers des Libyens – a permis au régime de Kadhafi de dépeindre Benghazi comme étant la base des forces contre-révolutionnaires qui souhaitent renverser le cours de l’Histoire. Cette impression a été renforcée par la décision des dirigeants du mouvement de Benghazi de faire appel à l’assistance de l’impérialisme – avec leur “zone d’exclusion aérienne”. Ceci représentait une volte-face par rapport à la position précédente à Benghazi, qui s’opposait à l’intervention impérialiste en disant : ”Les Libyens peuvent le faire eux-mêmes”.

    Il est difficile de définir exactement de quelle manière la situation va se résoudre. Le soutien pour la zone d’exclusion aérienne va se désintégrer si les résultats ne mènent pas à un renversement rapide de Kadhafi. L’opinion publique aux États-Unis – où il y a une massive majorité de deux tiers en faveur d’un retrait d’Afghanistan – est opposée à toute campagne terrestre. Les forces US et françaises sont incapables d’entamer une offensive au sol efficace. Qui plus est, l’opinion publique, qui semblait initialement en faveur du bombardement de Kadhafi, pourrait se renverser en son contraire si le nombre de pertes venait à s’accroitre. Les États-Unis et le Royaume-Uni sont déjà débordés par le bourbier afghan. En outre, le soutien pour des mesures militaires au Royaume-Uni est extrêmement ténu, avec une crainte largement répandue – y compris parmi la bourgeoisie – que l’action soit limitée et se mue petit à petit en un engagement militaire prolongé.

    L’impérialisme – associé aux forces de Benghazi – espère qu’une pression militaire suffisante mènera à une répétition de ce qui s’est passé au Yémen, avec la défection des généraux de Kadhafi. D’un autre côté, un blocage sur le plan militaire pourrait survenir, et on assisterait à une partition de la Libye dans les faits. Ceci mènerait probablement à des campagnes militaires ou terroristes contre les principales puissances impérialistes qui se sont engagées contre le régime de Kadhafi. Il est fortement improbable que les forces des grands pays arabes – comme l’Égypte – puissent être utilisées pour renverser Kadhafi, étant donné la nature instable et suspicieuse de l’opinion publique dans le monde arabe en ce qui concerne les interventions extérieures dans la région. Même Amr Moussa – le chef de la Ligue arabe – qui a tout d’abord soutenu la zone d’exclusion aérienne, a été forcé de faire marche arrière lorsque, comme c’était inévitable, des civils ont été tués et blessés par les frappes aériennes britanniques, américaines et françaises. En fait, les grandes puissances impérialistes sont déjà divisées – malgré la résolution des Nations-Unies qui a sanctionné leur action – et ces divisions vont s’accroitre si cette guerre venait à se prolonger et à s’intensifier.

    L’Égypte est une arène cruciale où pourrait se décider la bataille épique entre les forces de la révolution et de la contre-révolution. Les chefs de l’armée, en collusion avec l’establishment politique, les Frères musulmans et les restes du NDP (le parti de Moubarak) ont organisé un référendum visant à supprimer certaines des lois répressives du régime Moubarak et à poser la base pour des élections dans les six mois. Les éléments les plus conscients de l’opposition à l’armée ont appelé à un boycott. Mais l’appel au boycott a eu un certain effet ; il n’y a eu que 41% de participation. Toutefois, l’opposition n’a pas eu assez de succès pour faire échouer le référendum ; 77% de ceux qui ont voté se sont déclarés en faveur des amendements. Notre revendication en faveur d’une véritable assemblée constituante révolutionnaire garde donc toute sa force. Ce qui est crucial par contre est la tâche urgente de construire les forces ouvrières indépendantes, en particulier les syndicats, et de poser la base pour un nouveau parti des travailleurs de masse. L’impérialisme – via les dirigeants syndicaux de droite en Europe et aux États-Unis – intervient comme il l’a fait lors de la révolution portugaise afin de dévoyer les nouveaux syndicats dans une direction pro-capitaliste. Au Portugal, ils ont utilisé les dirigeants syndicaux allemands, alliés au SPD, pour construire le Parti socialiste de Mario Soares et son syndicat affilié, l’UGT, pour contribuer à faire dérailler la révolution.

    En Tunisie, ce sont les mêmes tâches fondamentales qui se posent, mais bien entendu la situation n’est pas identique à celle de l’Égypte. La Tunisie a une certaine histoire d’opposition organisée clandestinement contre Ben Ali, rassemblée en particulier autour des syndicats. Il faut ajouter à cela une conscience culturelle et politique relativement élevée, ce qui veut dire que les masses sont bien conscientes que la révolution a été faite par leurs sacrifices, mais qu’elles n’en ont pas encore récolté les fruits. Néanmoins, ce mouvement de la base est parvenu à renverser toute une série de gouvernements. Nos camarades, en Égypte comme en Tunisie, ont accompli des efforts héroïques afin d’atteindre les forces les plus conscientes et de chercher à les attirer à la bannière du CIO. Ce travail doit continuer au cours de la prochaine période.

    Nous pouvons nous attendre à de nouveaux mouvements qui vont affecter quasiment chaque pays de la région. En plus de l’Égypte, de la Tunisie, de la Libye et du Bahreïn, les régimes de Syrie, des États du Golfe – malgré les pots-de-vin massifs octroyés par la monarchie saoudie –, d’Iraq et même d’Iran seront affectés. Il n’y a aucun retour possible ; il est impossible de réétablir les vieux régimes sur les mêmes bases qu’auparavant. Il y a une réelle soif d’idées, et une demande insistante pour des droits démocratiques partout, de même qu’une haine viscérale des régimes despotiques et dictatoriaux. Du côté de la classe ouvrière, il y a une tentative de créer des organisations indépendantes à la fois sur le plan syndical et politique. Pris tout ensemble, ceci revient à une situation favorable pour les idées du marxisme authentique et du trotskisme. Ce ne sera pas facile, étant donné les idéologies rivales du marxisme contre lesquelles nous nous voyons forcés de lutter. Mais pour la première fois, peut-être, depuis la faillite des partis communistes/staliniens à cause de leurs théories “en stades” erronnées, le terrain n’a jamais été aussi fertile pour la croissance des idées marxistes et trotskistes. De même, la situation économique et sociale générale – largement dominée par le scénario économique mondial et par son impact dans la région – signifie qu’il ne peut y avoir aucune réelle stabilité. Après tout, ç’a été la détérioration de la situation économique, manifestée par le chômage en progression constante et en particulier chez les jeunes, qui a été le facteur déclenchant des insurrections en Tunisie et en Égypte, et de tout ce qui a suivi. Ceci souligne l’importance cruciale d’avoir des perspectives économiques, comme le CIO l’a toujours mis en avant. Cependant, si la classe ouvrière ne devait pas parvenir à imposer sa marque sur la situation – via ses propres organisations indépendantes – ce serait alors l’islam politique de droite, largement marginalisé jusqu’ici, qui pourrait croitre à nouveau. Les conflits en Égypte entre coptes et musulmans (délibérément encouragés par l’armée) en sont un avertissement, tout comme les efforts délibérés de divisions entre chiites et sunnites au Bahreïn

    L’économie mondiale

    Le Moyen-Orient exerce également une énorme influence sur l’économie mondiale, en particulier à travers la matière première cruciale qu’est le pétrole. Et les remous colossaux dans la région ont exercé des pressions à la hausse sur le prix du pétrole, qui va maintenant probablement atteindre des records fumants étant donné les complications militaires en Libye, pays producteur de pétrole. En conséquence de cela, la “reprise” économique mondiale vacillante va sans doute être stoppée, si pas repartir en chute libre. L’envolée actuelle des prix du pétrole est la cinquième hausse de cette ampleur depuis 1973, et à chacune de ces hausses, le résultat a été une récession. Certains experts s’attendent à ce que le prix du pétrole brut atteigne les 160$/barril, d’autres s’attendent à plus encore. Un résultat inattendu de tout ceci est le bénéfice qu’en retirent les États producteurs de pétrole : ainsi, chaque hausse de 10$ du prix du barril gonfle le revenu de la Russie de 20 milliards de dollars supplémentaires ; l’Iran et le Venezuela, de même que les pays arabes, vont eux aussi en tirer parti. Certains ont été capables d’utiliser ceci – comme c’est le cas pour l’Arabie saoudite – pour racheter, ou du moins tenter de racheter, l’opposition interne croissante. Le chœur d’analystes capitalistes qui proclamaient que le capitalisme était en passe de complètement se remettre de la crise et parlaient déjà un peu plus tôt dans l’année de “sommets économiques ensoleillés” s’est complètement fourvoyé.

    Des prétentions similaires avaient été faites en 2005, comme quoi le boom continuerait à jamais. Il est vrai que l’index boursier au Royaume-Uni a passé la barre des 6040 points au tournant de l’année. Cependant, suivre cette logique revient à dire que le meilleur endroit où investir aujourd’hui serait la Mongolie ou le Sri Lanka ! Même cette prétention a été sapée par les inondations dévastatrices au Sri Lanka, où un million de gens ont été affectés et 20% de la production de riz détruite.

    Le tourniquet des marchés boursiers mondiaux – ce casino géant – n’ont que peu d’intérêt aujourd’hui pour mesurer la santé économique, ni les perspectives de croissance réelle dans le futur. Ce qui a plus d’intérêt, est l’aveu de l’analyste et historien “libéral” pro-capitaliste Simon Schama : ”Les vies de millions de gens dans notre Amérique hamburguerée ne passent que via les banques et les chèques alimentaires. Soixante-dix pourcent de la population a un ami proche ou un membre de la famille qui a perdu son travail. Nous vivons toujours dans l’Amérique en 3D : désolation, dévastation, destitution”. Et nous parlons ici du moteur du capitalisme mondial !

    La Chine

    La Chine et l’Asie, cependant, semblent toujours aller de l’avant, propulsées par l’immense plan de relance en Chine, dont l’ampleur et les effets avaient été prédits par le CIO. Le plan de relance chinois a permis de tirer de nombreux pays vers le haut, avec un certain effet en Europe. Dans le monde néocolonial, certains pays connaissent un boom des matières premières et, dans une certaine mesure, un marché accru pour leurs exportations. Toutefois, le revers de la croissance chinoise est l’accumulation de bulles à une échelle massive, qui pourrait bien mettre un terme brutal à la croissance chinoise, bien plus vite que ne se l’imaginent les économistes capitalistes. L’ampleur du secteur immobilier en surchauffe se reflète dans les effets dévastateurs sur les habitants des villes, en particulier dans des endroits tels que Pékin. L’inflation est toujours un enjeu extrêmement sensible pour l’État chinois, à cause du rôle historique qu’elle a joué dans la révolution chinoise qui a mené au renversement du Guomindang à la fin des années ’40 et qui a amené Mao au pouvoir. En janvier, l’inflation a atteint le record de 5,1%, ce qui a suscité un grand ”mécontentement par rapport aux hausses de prix qui ont atteint leur niveau le plus élevé depuis le début des statistiques en 1999”, selon un récent sondage de la Banque centrale.

    Ce que cela signifie pour les millions de Chinois qui espéraient en vain pouvoir gravir les échelons de la propriété est montré par les estimations qui indiquent ”combien de temps les citoyens devraient travailler pour pouvoir se payer un appartement de 100m² dans le centre de Pékin, qui vaut en ce moment environ 3 millions de renminbi (450 000$). En supposant qu’il n’y ait aucune catastrophe naturelle, un paysan travaillant un lopin de terre moyen ne pourrait s’offrir un appartement que s’il avait commencé à travailler sous la dynastie Tang (qui s’est terminée en l’an 907) ! Un ouvrier chinois qui aurait gagné un salaire mensuel de 1500 renminbi depuis les guerres de l’opium de la moitié du 19ème siècle et aurait travaillé tous les jours depuis et même les week-ends, disposerait alors maintenant de tout juste de quoi se payer son propre logement aujourd’hui.”

    Au même moment, la croissance économique colossale et incontrôlée de la Chine inflige chaque année pour plus de 1000 milliards de yuan (105 milliards d’euro) en dégâts environnementaux, selon les planificateurs du gouvernement. Le cout des déchets, des fuites, de la détérioration du sol et autres impacts a atteint les 1,3 milliards de yuan en 2008 (140 milliards d’euro). C’est l’équivalent de 3,9% du PIB du pays. La perte du sol et de l’eau ”pose de graves menaces à l’écologie, à la sécurité alimentaire et au contrôle des inondations”, a ainsi déclaré le vice-ministre chinois responsable des ressources en eaux. Les réservoirs sont incapables de satisfaire aux demandes d’une population croissante et de plus en plus développée. Pékin dépend déjà de nappes aquifères non-renouvelables pour pallier au déficit en eau de la ville qui s’accumule. Ce dernier pourrait mener à des contrôles dans la consommation de l’eau, surtout pour les gros utilisateurs tels que les usines. D’un point de vue économique, le développement pêlemêle de la Chine sur une base capitaliste n’est pas vivable, et ceci est encore plus évident dès lors que l’on parle d’environnement.

    La radicalisation aux États-Unis

    En ce qui concerne les États-Unis, ceux-ci laissent filer un déficit budgétaire béant (à tous les niveaux de gouvernement) qui promet un naufrage fiscal. À un moment l’an passé, la vente de bons du Trésor, nécessaire pour le financement continu du déficit, n’a obtenu qu’un faible résultat et a amené la menace d’une crise dans les finances du gouvernement. Toutefois, avec tous ces capitalistes qui possèdent des surplus massifs d’argent sans avoir un seul débouché où l’investir de manière productive – ce qui est en soi une expression de la crise organique du capitalisme – la vente de bons suivantes a, elle, été bien accueillie. L’administration Obama est confrontée à la perspective délicate de devoir chercher à réduire le déficit, ce qui aura un grave impact sur le niveau de vie. Si cette réduction se concentre sur l’armée – ce qu’espère la droite républicaine – cela aggravera énormément la situation sociale et mènera à une grande radicalisation.

    Les événements spectaculaires au Wisconsin mettent en valeur ce qu’il se passe lorsque la droite républicaine se lâche contre la classe ouvrière américaine, qui semblait endormie et passive. Enhardi par le succès du Tea Party lors des élections de mi-mandat pour le Congrès, le gouverneur républicain du Wisconsin a lancé une offensive déclarée sur les droits de négociations des syndicats et sur les conditions des travailleurs. C’est ce qui a provoqué un soulèvement de la classe ouvrière sans précédent aux États-Unis depuis des décennies. L’ironie étant qu’il y a beaucoup de travailleurs qui avaient voté pour les candidats du Tea Party et qui sont devenus eux-mêmes victimes de ces attaques, et ont donc rejoint le mouvement d’opposition. Les travailleurs ont soulevé l’exemple de la révolution égyptienne ! Ils ont eu recours à des arrêts de travail spontanés et ont appelé à la grève générale. Des travailleurs d’autres Etats, comme en Indiana et en Ohio, ont suivi le Wisconsin ; ils ont eux aussi subi les mêmes attaques de la part de gouverneurs républicains inflexibles.

    Tel un coup de tonnerre, le Wisconsin a réveillé le géant endormi de la classe ouvrière américaine, et a ouvert la voie à une opportunité très favorable pour notre section américaine. La question de savoir si cela va ou non mener à un revirement à gauche durable dépend, comme ailleurs, de la création d’un pôle d’attraction à gauche sous la forme d’un nouveau parti ou d’une nouvelle formation politique. La majorité des dirigeants syndicaux tente désespérément de diriger ce mouvement vers un soutien aux Démocrates, bien que parfois seulement en tant que “moindre mal”. C’est la même chose qui se passe en Europe avec nos dirigeants syndicaux qui ont peur et qui sont incapables de mener une lutte industrielle victorieuse contre les programmes d’austérité de la bourgeoisie. Ils cherchent à faire dévier le mouvement sur le plan électoral en renforçant le soutien à la social-démocratie. D’un autre côté, le fait d’attaquer l’énorme budget de la “défense” susciterait encore plus de critiques sur Obama et son administration de la part des Républicains de droite – menés par le Tea Party. Jusqu’à présent, il a fait face à cette offensive de droite par des pas en arrière et des concessions, par exemple sur la taxation des riches. Cette attitude pourrait encourager la droite à forcer Obama à faire encore plus de concessions. D’un autre côté, les attaques sur la classe ouvrière par les Républicains de droite amènent un soutien de “moindre mal” en faveur d’Obama pour les prochaines élections présidentielles en 2012. Il sera maintenant probablement réélu.

    L’Europe et l’économie mondiale

    En Europe, l’effondrement économique de l’Irlande menace de se propager au Portugal et même à l’Espagne, qui selon certains économistes capitalistes est la quatrième plus grande économie d’Europe et “est trop grosse pour être sauvée”. Même l’Italie et le Royaume-Uni ne sont pas totalement immunisés des effets de la crise bancaire européenne – parce que c’est bien d’une telle crise qu’il s’agit – qui a été déclenchée par les événements en Irlande. Le renflouement des banques irlandaises est un signe que c’est maintenant une question, comme l’a dit Samuel Johnson, de “tenir ensemble, ou tenir séparés”. Malgré tout, l’Irlande va sans doute faire défaut sur sa dette – ou la “reporter”, comme on dit dans le langage plus diplomatique des économistes capitalistes – en dépit de tous les efforts des États membres de l’UE et de leurs différents gouvernements nationaux pour renflouer le pays. Le Chancelier de l’Échiquier britannique Osborne a trouvé 7 milliards de livres sterling pour aider l’Irlande – en réalité, pour sauver les banques britanniques qui seraient affectées par un effondrement de l’économie irlandaise – en tant que “bon voisin”. Et pourtant, on ne peut pas dire de lui qu’il agit en “bon Samaritain” pour les pauvres et pour les travailleurs du Royaume-Uni, vu qu’il cherche à leur imposer le plus grand plan d’austérité depuis 80 ans.

    Surtout basée sur les développements de l’économie chinoise, la machinerie et les consructeurs automobiles allemands ont pu rapidement se remettre de la première vague de la crise. Utilisant sa force compétitive, le capitalisme allemand semble être le grand vainqueur de la crise. Mais cette reprise se développe sur une base faible et sera remise en question dans un futur pas si lointain. Malgré cette faiblesse sous-jacente, cela a donné au capitalisme allemand une marge économique qui lui a permis de contribuer à éviter un effondrement économique complet en Europe et aussi – bien que de manière réticente et hésitante – de faire quelques concessions pour sauver l’euro jusqu’ici. Cela n’était pas assez pour sauver l’économie européenne ou pour démarrer un nouveau boom ; cependant, cela aura un impact décisif si de futures éruptions économiques en Allemagne venaient à frapper les développements européens.

    Les destins entrelacés de toutes les économies d’Europe à travers la crise de la dette souveraine montre comment des développements cruciaux à l’échelle internationale façonnent les événements à l’échelle nationale, parfois de manière décisive. L’hypothèse sous-jacente du gouvernement ConDem au Royaume-Uni est que, malgré la brutalité des coupes, au final “Tout sera bien qui finira bien”. Les événements devraient selon eux aller dans leur sens, à cause de l’“inévitable” rebond de l’économie. Le cycle économique “normal” devrait se réaffirmer, disent-ils, une crise étant toujours suivie d’un boom, et ainsi le carrousel continue. Ces espoirs seront anéantis par la marche des événements. Car nous n’avons pas affare ici à un cycle similaire à celui des années 1950 à 75, ni à la phase de croissance plus faible des années ‘2000. Cette crise est totalement inhabituelle de par son caractère, sa profondeur et sa gravité, à la fois pour les dirigeants actuels et pour leurs “administrés”.

    Au mieux, l’économie mondiale va continuer à boitiller de l’avant ; elle ne va pas immédiatement reprendre son niveau d’avant la crise de 2008. Ceci signifie que sur le long terme, le chômage endémique tendra à se consolider, bien qu’avec des hauts et des bas. Des millions de travailleurs ne pourront jamais être réintégrés dans l’industrie. Là où ils trouveront un travail, ce travail sera précaire, temporaire, à l’image de ce que l’on appelle aux États-Unis un job “de survie”. Les travailleurs les prendront dans l’espoir vain de pouvoir de nouveau se hisser à la position qu’ils avaient dans le passé. Mais pendant toute la période prévisible devant nous, l’époque des emplois à plein temps, d’un niveau de vie croissant ou même stagnant est terminée pour la majorité de la population.

    La consommation joue un rôle crucial pour soutenir l’économie capitaliste moderne, en particulier dans les économies les plus avancées. Aux États-Unis pendant le 19ème siècle, près de 20% de l’économie provenait de la consommation. Aujourd’hui, aux États-Unis, celle-ci compte pour 70% du produit total. En Chine, d’un autre côté, la consommation vaut aujourd’hui 38% du PIB – ce qui est relativement beaucoup moins que les 50% sous le régime stalinien de Mao. Toutefois, les programmes d’austérité qui sont devenus la principale politique économique de la majorité des gouvernements bourgeois a pour effet de déprimer l’économie, précisément à cause du rôle crucial que jouent les consommateurs. Et ceci n’est pas compensé par la redirection de l’investissement – du surplus social – dans l’industrie productive, comme c’était la norme dans le passé. La politique dévastatrice de la financialisation du capitalisme mondial est enracinée dans le manque de débouchés profitables pour le capital, essentiellement à partir de la fin des années ’70. C’est quelque chose que le CIO a toujours mis en avant, encore et encore, dans son matériel écrit – une position presque unique parmi les marxistes.

    Les investissements colossaux de capitaux fictifs – via le système de crédits – ont jeté la base pour les bulles qui ont maintenant éclaté. Mais le capitalisme, pris dans son ensemble et à une échelle mondiale, n’a rien appris de cela, et n’applique maintenant aucune nouvelle politique ni dans le vieux continent européen ni aux États-Unis. En fait, nous avons vu une répétition de la même politique que celle des années ‘2000, qui ne fait en réalité que gonfler de nouvelles bulles, même alors que le système lutte déjà pour se libérer des immenses conséquences de sa politique précédente, du surplus de dette. Par conséquent, les investissements dans l’industrie – qui est la réelle force pour créer de la valeur – sont à la traine. En fait, les investissements ont en réalité chuté en termes réels dans l’industrie de transformation. Le Royaume-Uni, par exemple, est passé d’une des nations les plus industrialisées du monde au 19ème siècle, à la cinquième position aujourd’hui. Selon le ministre des finances brésilien, sa nation a dépassé le Royaume-Uni et est devenue la cinquième plus grande économie mondiale, surtout après la croissance de 7,5% en 2010, son plus haut taux depuis 1986.

    La reprise sur les marchés boursiers a été acclamée comme étant le précurseur de la croissance économique, ce qui est complètement faux. En fait, les “experts” en comportement des marchés boursiers sont historiquement du côté des “ours” – des pessimistes qui s’attendent à une Apocalypse financière. Une personne a récemment commenté dans le Guardian britannique que : ”Lorsque les marchés entrent une nouvelle phase de folie, moi je reste là à me gratter la tête d’étonnement. L’idée comme quoi nous sommes revenus à une reprise économique durable est aussi grotesque qu’elle l’était en 2005-07. Mais les investisseurs sont de retour sur la piste de danse, pirouettant droit vers la prochaine et inévitable implosion, au sujet de laquelle ils affirmeront une fois de plus par après qu’elle était imprévisible !”

    Le capitalisme moderne semble incapable d’absorber le “surplus de travail” – un euphémisme pour “chômage de masse” – créé par la suraccumulation reflétée par la crise, à moins de pouvoir obtenir un taux de croissance soutenu d’au moins 3%, et même ainsi, à un taux combiné. Pourtant, même les plus optimistes des économistes bourgeois ne se font aucune illusion sur le fait que le capitalisme – même dans les économies qui semblent être dans une position favorable, comme l’Allemagne par exemple – sera capable d’atteindre un tel taux de croissance dans le futur prévisible. Axel Weber, le président sortant et complètement discrédité de la Bundesbank, disait à Londres récemment que l’Allemagne ne reviendrait pas d’ici la fin de 2011 à un niveau d’avant la crise. ”Il ne s’agit pas d’une success story, mais bien de trois années perdues”. Il a ensuite ajouté pour la forme que : ”La tendance de croissance sur le long terme pour l’économie allemande est de 1%. Nous n’avons pas affaire à un moteur dynamique pour l’économie européenne”.

    Le chômage

    La production de l’économie mondiale est revenue au niveau de 1989 ! Le FMI estime qu’en 2008, l’économie mondiale a perdu la somme colossale de 50 trillions de dollars en actifs dévalués et en termes de perte de production, une somme équivalant à la production totale de biens et services du monde entier pendant une année. La crise a laissé un immense legs débilitant que le capitalisme aura du mal à surmonter, si jamais il y parvient entièrement. La politique quasi-keynésienne d’Obama – avec ses divers plans de relance – a complètement échoué à endiguer le chômage, qui se tient officiellement à 9% de la force de travail (mais est dans les faits sans doute à deux fois ce niveau), et est restée à ce niveau depuis les 20 derniers mois sans discontinuer. Quarante-sept états sur cinquante ont même perdu des emplois depuis les plans de relance d’Obama.

    Il y a dans le monde officiellement plus de 200 millions de gens au chômage, dont 78 millions ont moins de 24 ans. Et ceci est sans doute une énorme sous-évaluation, parce que ces chiffres ne tiennent pas compte du sous-emploi, des emplois partiels, etc. Selon l’Organisation internationale du travail, 1,5 milliards de gens sont en situation d’emploi précaire. En outre, la population mondiale va sans doute s’accroitre d’encore 2 milliards de personnes au cours des 40 prochaines années. En Europe, le chômage des jeunes se trouve en moyenne à 20,2% dans 17 pays de la zone euro, alors qu’il était à 14-15% il y a trois ans. Le chômage des jeunes est monté au niveau effarant de 35% en Grèce et même de 40% en Espagne !

    Étant donné qu’il n’y a que très peu de soutien étatique pour les chômeurs dans ces pays – qui sont alors forcés de compter sur le soutien de leurs famille et amis – il est étonnant que nous n’ayons pas encore aperçu d’expression réelle de l’encore plus grand mécontentement que ces chiffres garantissent. Il est vrai que nous avons vu de grandes et furieuses grèves générales, mais étant donné la condition de la classe ouvrière, surtout dans le sud de l’Europe, nous pouvons nous attendre au cours de la prochaine période à des mouvements de protestation ouvrière qui pourraient déborder les limites de la société “officielle”. Déjà en Grèce, nous voyons que les masses, par pur désespoir – très souvent convaincues qu’elles n’ont aucune chance de succès – se sont néanmoins jetées dans la bataille, comme avec les travailleurs des bus d’Athènes, qui insistaient pour continuer leur lutte contre l’avis de leur direction syndicale, malgré le fait que le décret contre lequel ils se battaient avait déjà été mis en application ; ou avec les 2500 travailleurs (temporaires) de la Ville d’Athènes, qui ont occupé la salle du Conseil communal pour empêcher le nouveau maire PASOK de les licencier afin d’engager de nouveaux travailleurs intérimaires avec encore moins de salaire et encore moins de droits. Ce genre d’actions risque de devenir contagieuse – et pas seulement en Grèce – pour d’autres travailleurs qui vont chercher à les imiter, de même que pour les étudiants qui vont une fois de plus entrer en conflit avec le gouvernement ou avec les autorités éducationnelles.

    Mais la conscience politique est toujours en retard, et parfois de manière chronique, par rapport à la situation économique objective. Le krach de Wall Street en 1929 a stupéfait la classe ouvrière américaine, et il a fallu au moins quelques années pour qu’elle puisse rallier ses forces et résister à l’offensive du capitalisme. Un mouvement offensif n’a réellement commencé, comme nous l’avons fait remarquer à maintes reprises, qu’au moment du début du boom à partir de 1934. Il est hautement improbable, surtout à un niveau global, qu’une telle croissance survienne, au moins dans les pays industriels avancés. Comme le Brésil l’a démontré, il est possible qu’un certain niveau de croissance se réalise dans certains pays et certaines régions, même au beau milieu d’une récession mondiale générale. Il y a une raison spécifique dans le cas du Brésil, comme dans d’autres pays ; cette croissance s’est effectuée portée par la croissance chinoise, la Chine cherchant à mettre la main sur des ressources naturelles afin de maintenir son industrie en état de marche.

  • Tunisie, Égypte,… Quelles perspectives et quel programme pour les masses?

    Lors de la discussion sur les perspectives internationales du Comité National du PSL-LSP qui s’est tenu ce weekend, un bonne part des interventions ont eu trait au processus actuellement à l’oeuvre dans le Moyen-Orient et au Maghreb. Le texte suivant reprend quelques uns des éléments qui ont été mis en avant, mais la discussion a été plus large et comprenait aussi des aspects historiques (Nasser, la crise du canal de Suez, le pan-arabisme,…) ou encore la situation au Yémen et en Algérie, thèmes sur lesquels nous reviendrons.

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    Des mouvements qui ne tombent pas du ciel

    Dans le document du 10e Congrès Mondial du CIO consacré au Moyen Orient et à l’Afrique du Nord, il était dit ”tous les despotes et les régimes autoritaires de la région ont peur de mouvements de révolte de masse. Des mouvements en Iran ou en Egypte sont possibles, qui peuvent alors en inspirer d’autres. Si la classe ouvrière n’en prend pas la direction, ces mouvements peuvent prendre des directions très différentes.”

    Le mouvement en Tunisie a constitué une source d’inspiration pour toute la région: le Yémen, la Syrie, la Jordanie, l’Algérie,… Ces actions ne tombent pas du ciel, elles sont le résultat d’un cocktail explosif fait d’un chômage énorme, d’une très large pauvreté très large (en Égypte, 40% de la population vit avec moins de deux dollars par jour), d’une politique répressive de la part de régimes autoritaires, mais aussi des traditions de lutte dans la région.

    Dans cette région aussi, la crise capitaliste a suivi une politique néolibérale très dure. Entre 2004 et 2009, l’Égypte a attiré 42 milliards de dollars d’investissements extérieurs, investissements obtenus avec la promesse qu’il n’y aurait pas de taxes sur les profits. Une partie du secteur bancaire a été privatisée pour des entreprises d’autres pays et les principaux actionnaires des banques viennent d’Italie ou de Grèce. La Bourse égyptienne, entre 2004 et 2009, s’est développée en étant multipliée par douze.

    La crise s’est développée depuis 2009, avec la chute du prix du pétrole et une diminution des investissements, mais l’Égypte est une des places dans le monde où même avec cela, l’économie a continué à croître. Mais cette poursuite de la croissance économique, la population ne l’a pas plus ressentie qu’avant. Différents mouvements avaient déjà eu lieu ces dernières années et qui exprimaient cela.

    Entre 2004 et 2008, 194 grèves s’étaient développées chaque année en Egypte, surtout dans les centres textiles et à Suez. Entre 1992 et 2010, le gouvernement a mené sa politique de privatisation, et c’est dans cette période que ceux qui ont moins de deux dollars par jour sont passé de 20 à 44%. 66% de la population a moins de 25 ans, le poids de la jeunesse est extraordinaire et, parmi les chômeurs, 90% a moins de 25 ans. Cela illustre encore une fois que le mouvement ne tombe pas du ciel. Entre 2008 et 2010 il y a eu 1600 grèves chaque année, soit trois fois plus que durant la période précédente.

    Différentes multinationales sont présentes en Égypte, comme la multinationale française Lafarge (construction). L’Égypte représente pas moins de 10°% de ses profits. Mais on trouve aussi des entreprises Solvay, Unilever, la Société Générale, Heineken,… En Tunisie, quelques 2.500 multinationales sont présentes, dont plus d’un millier de françaises qui engagent 110.000 travailleurs. Les 146 entreprises belges emploient 20.000 travailleurs.

    Ce mouvement n’est pas uniquement basé sur des revendications démocratiques, c’est aussi une expression de la crise mondiale et du fait que toute une génération de jeunes n’a aucune perspective pour l’avenir. La crise capitaliste a brisé chaque espoir d’un meilleur avenir, cette illusion était présente et a été réduite à néant.

    On peut parler de mouvements révolutionnaires dans la région, avec une majorité de la population participant activement au mouvement dans l’intention de changer le statuquo en leur faveur et pour retirer la gestion de la société hors des mains de l’élite et des classes dirigeantes. Les manifestations sont massives et très populaires, avec beaucoup de travailleurs, des pauvres mais aussi des couches moyennes. Les appels initiaux ont été diffusés par des nouveaux médias, c’est une bonne manière de les utiliser. Mais il serait exagéré de dire que c’est une révolution Facebook. Ainsi, seulement 6% de la population égyptienne est sur Facebook.

    Dans les débats autour de ces évènements, il y a beaucoup de comparaisons avec les mouvements révolutionnaires du passé, comme les Révolutions colorées de la décennie précédente. Des explosions de colère ont ressemblé à cela, mais le mouvement actuel est bien plus profond. La conscience des masses est plus élevée et la conscience des classe est présente, c’est plus difficile à récupérer pour la bourgeoisie. On mentionne aussi la Révolution iranienne de 79, mais il est clair qu’il y a beaucoup de différences avec cela. On parle encore de la chute du stalinisme en 89-91. En fait, toutes les comparaisons ont leurs limites, et chaque révolution a ses propres éléments et sa propre dynamique.

    En Tunisie, le mouvement est rapidement parvenu à une première victoire. D’autres régimes tirent la conclusion que faire des concessions est dangereux, cela peut renforcer le mouvement. Chaque concession de Ben Ali a renforcé la confiance des masses, chaque concession a illustré le pouvoir du mouvement. La fuite de Ben Ali n’a ainsi pas stoppé le mouvement, ni la recomposition du gouvernement, ni la démission des ministres de l’UGTT. Les mobilisations continuent, avec toutefois un caractère différent.

    Différents secteurs connaissent des grèves. On essaye là aussi de stopper les protestations avec des concessions: les éboueurs ont reçu une augmentation de salaire de 60%. Des programmes sociaux ont été introduits par le gouvernement. Le régime tunisien a implosé, et cela a constitué un catalyseur pour le développement du mouvement en Égypte.

    L’Egypte

    L’Égypte diffère de la Tunisie au niveau économique (avec le canal de Suez) et politique. C’est aussi la population la plus grande de la région. L’Égypte est un des piliers les plus importants de l’impérialisme américain. Une de ces facettes est la relation avec Israël, un des alliés les plus farouches de Moubarak à l’heure actuelle. Le régime israélien a appelé Moubarak à utiliser la violence contre le mouvement. Le soucis de la classe dirigeante israélienne, c’est l’impact que cela aurait sur les masses palestiniennes. Il y a le problème du blocus de Gaza, auquel le régime de Moubarak collabore. Cette politique est très impopulaire en Égypte même, et ce qui se passerait avec un changement de régime n’est pas clair.

    Depuis mercredi, il est clair que le mouvement révolutionnaire en Égypte est compliqué. Jusque mardi, c’était plutôt joyeux. Mardi, il y avait plus d’un million de manifestants au Caire. La façon dont les choses s’étaient déroulées en Tunisie avait créé des illusions sur la facilité de renverser un régime. Mais depuis mercredi, le régime a utilisé les forces de la contre-révolution. La base sociale pour cela, c’est le sous-prolétariat du Caire, mais aussi les fonctionnaires du régime qui ont beaucoup à perdre. On peut faire la comparaison avec la manière dont le régime tsariste s’est opposé à la révolution de 1905 en Russie. Le mouvement sera-t-il assez fort pour aller contre le pouvoir? Les manifestations de vendredi ont confirmé que le mouvement est encore en train de croître et n’a pas perdu de ses forces, mais le potentiel n’est pas utilisé: pas de marche vers le palais présidentiel par exemple. C’était le ”jour du départ”, mais peu a été fait pour que Moubarak dégage vraiment.

    Pour arriver à une défaite fondamentale du régime, la classe ouvrière doit intervenir en tant que classe. Comme en Tunisie, il y a des liens très forts entre les directions syndicales et le régime. Tous les dirigeants sont membres du parti de Moubarak. Le régime exerce un contrôle sur la fédération syndicale. C’est vrai, mais dans les dernières luttes, des militants de base se sont opposés aux directions syndicales. Le syndicat des contrôleurs de taxes a même quitté la fédération syndicale pour rejoindre une nouvelle structure syndicale qui défend le salaire minimum, la sécurité sociale,… C’est difficile d’avoir énormément de précisions, mais ce nouveau syndicat est impliqué dans les comités de quartier.

    Le mouvement doit partir à l’offensive pour éviter que le régime et les Etats-Unis n’organisent une transition favorable aux capitalistes. Les revendications sociales doivent être centrales dans le mouvement afin d’également mobiliser les couches les plus passives.

    Les Frères Musulmans ont hésité avant de s’impliquer. Mais en même temps, des rapports disent que parmi ceux qui ont défendu la place du Caire, il y avait beaucoup de Frères Musulmans. Les cadres étaient contre tout soutien au mouvement, ce sont les jeunes qui ont fait pression, ce sont ces jeunes qui, mercredi dernier, participaient à la défense des manifestants contre la contre-révolution. Un scénario ”à l’iranienne” est peu probable, mais il est possible que les Frères remplissent le vide politique. Quelque soit le régime qui succèdera à Moubarak, il ne pourra toutefois pas collaborer avec Israël de la même manière. En Palestine, tant le Hamas que le Fatah sont contre le soutien au mouvement, ils voient les dangers pour leur propre position. Tout changement de régime en Égypte modifie en fait radicalement les choses au niveau du moyen-orient.

    Les Frères Musulmans peuvent jouer un rôle, mais ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui. La direction de Frères dit que leur modèle est plutôt celui de l’AKP d’Erdogan en Turquie et pas le modèle iranien. Ce n’est bien entendu que ce qu’ils disent, mais c’est aussi possible que cela soit une réflexion de ce qu’ils constatent: dans la rue, l’idée d’une société islamiste ne vit pas. Bien entendu, ils savent que s’ils rentrent dans le vide politique existant, ils vont se trouver dans une situation très compliquée, et c’est la raison pour la quelle eux aussi mettent en avant El Baradei pour qu’il négocie avec le régime.

    L’armée tente de gagner du temps pour, avec les USA, sauver l’élite et leur propre position dans la société égyptienne. Mercredi, pour beaucoup de manifestants, c’était clair que l’armée avait laissé l’espace pour ceux qui soutenaient le régime. Le chaos peut aider l’armée et cela peut renforcer parmi la population l’idée d’un appel à l’ordre. Mais l’armée n’est pas quelque chose d’homogène. Il y a eu des fraternisations entre soldats et manifestants en certains endroits. Pour les manifestants, il est crucial d’avoir une approche envers les simples soldats pour les détacher de la hiérarchie.

    Extension internationale

    Un des éléments important dans cette vague de révolte et de révolution, c’est la dispersion internationale. C’est un élément important, mais loin d’être neuf. A l’époque de Nasser, lors de la crise du canal de Suez en 1956, ce dernier avait mis en avant une grève générale dans toute la région, appel qui a joué un grand rôle dans la défaite de l’impérialisme. Mais le nationalisme arabe de Nasser a eu ses limites. Khadafi aujourd’hui est un des derniers représentants de cette époque du nationalisme arabe, qui a eu de grandes répercussions dans la région.

    Le développement de cette situation en Égypte a des incidences ailleurs. En Chine, ils essayent d’étouffer les évènements. Les médias ne parlent que de hooligans qui viennent tout casser au Caire. Le régime craint la propagation des protestations, et d’autres aussi, l’Iran par exemple. Khamenei, l’actuel Guide Suprême, a essayé de félicité le ”mouvement pour la libération musulmane” et, comme le Tea Party aux USA, le régime affirme que le mouvement ne vise qu’à instaurer un régime islamiste. De tels mouvements peuvent se développer dans d’autres régions, et un des éléments clé est le prix de l’alimentation. L’agence alimentaire américaine a publié un rapport sur l’insécurité alimentaire qui disait que les gens ont trois options: se révolter, migrer ou mourir. Il y a une grande possibilité qu’une grande révolte se développe sur ce thème.

    L’impérialisme ébranlé

    Personne n’a vu venir le mouvement en Tunisie. En un mois seulement, Ben Ali a tout perdu. L’énorme vitesse à laquelle le régime a été poussé dans la défensive, la vitesse à laquelle l’armée a été séparée de Ben Ali, la formation rapide des comités qui ont notamment jeté leurs patrons, tout cela est phénoménal. Entretemps, le régime cherche à voir comment canaliser la situation de double pouvoir qui existe. Le problème pour la bourgeoisie et l’impérialisme en Tunisie, c’est qu’ils n’ont pas quelqu’un comme El Baradei ou Amr Moussa, le président de la ligue arabe, qui est égyptien. Les USA continuent à miser sur le premier ministre, mais nous devons voir comment les relations de force vont se développer.

    Blair a parlé de Moubarak comme de quelqu’un de très courageux et une force œuvrant pour le bien et Obama, moins directement toutefois, est sur une position similaire. Pour donner une idée du rôle crucial de l’Égypte pour USA: depuis 1979, le pays reçoit 1,3 milliard de dollars de soutien militaire par an de la part des USA. C’est plus ou moins le même montant que ce que les USA donnent au Pakistan et à Israël. L’armée égyptienne est la 10e au niveau mondial, et elle joue un rôle crucial pour défendre les intérêts de l’impérialisme dans la région.

    L’impérialisme recherche des figures capables de restaurer la stabilité, mais c’est dans la rue que le résultat du mouvement va se jouer.

    Le double pouvoir et le rôle d’une direction révolutionnaire

    On peut conclure que le mouvement a jusqu’ici été très spontané et sans véritable organisation, mais on voit aussi un développement important de l’auto-organisation, comme avec la manière dont la sécurité a été organisée place Tahir, très impressionnante, de même que la façon dont des comités de quartier ont été instaurés en Tunisie ou en Égypte pour défendre les quartiers contre les pillages. Des comité sont lancés dans les entreprises aussi, et tout cela peut être la base pour développer un gouvernement des travailleurs et des petits paysans.

    Un processus révolutionnaire ne se développe pas de façon linéaire. En Tunisie, on assiste à un reflux du mouvement, malgré le développement d’une grève dans les métros à la suite de la victoire obtenue par les éboueurs par exemple. Cela contraste tout de même fortement avec la grève générale contre le régime et les protestations des semaines précédentes.

    Cette période était en fait déterminée par les premiers éléments d’une situation de double pouvoir où les comités de vigilance et les comités de quartier se développaient face au pouvoir du régime. Le danger du vol de la révolution tunisienne avec la complicité des institutions internationales est réel. La direction de l’UGTT soutient le gouvernement de Ghannouchi composé de patrons issus de l’étranger. Il faut réclamer un Congrès Extraordinaire de l’UGTT basé sur l’élection de représentants de la base afin de changer de direction syndicale.

    Mais il manque aussi une direction révolutionnaire. Le danger le plus grand est constitué par cette absence de direction qui laisse l’espace pour des figures bourgeoises. Il y a des mouvements comme dans les syndicats, qui sont importants et qui rendent très très difficile pour le régime de pouvoir revenir à la précédente situation, tant en Egypte qu’en Tunisie. Le résultat du mouvement sera décidé par l’organisation des masses: il faut renforcer les comités de base et les pousser à l’offensive contre le gouvernement.

    Le limogeage des PDG dans les entreprises en Tunisie et les barrages de travailleurs refusant que les anciens directeurs reviennent posent directement cette question: qui prend la direction des usines? Le gouvernement ? Les travailleurs ? D’autres capitalistes ? Nous devons considérer le développement de comités dans les entreprises, les écoles,… comme la base de la future société socialiste. Il ne suffit pas de s’opposer à la politique libérale, aborder la question du contrôle ouvrier est un point crucial dans le développement du mouvement aujourd’hui.

    Il ne suffit pas de réclamer la dissolution du RCD (le parti de ben Ali), la liberté d’expression et syndicale,… Saluer le développement des comités de base est très bien, mais il faut surtout amener la question de la prise du pouvoir par ces comités, les élargir et appeler à une Assemblée Constituante Révolutionnaire sur base de délégués démocratiquement élus dans les comités de base. Contre des mots d’ordre vagues de formation d’un gouvernement intérimaire qui jouisse de la confiance du peuple, il faut pousser la nécessité d’une démocratie des travailleurs basée sur les comités de base et les travailleurs.

    Concernant la police, réclamer une police basée sur la supériorité de la loi et les droits de l’homme est illusoire et totalement insuffisant à l’heure où l’on voit des bandes contre-révolutionnaires attaquer physiquement les locaux syndicaux, les militants,… La défense du mouvement doit être basée sur l’extension des comités, et cela vaut aussi pour la justice, etc. Ces comités doivent aussi être étendus à l’armée pour organiser les soldats qui ont fraternisé avec la révolution. Cela doit être la base pour fractionner l’appareil d’État. La direction de l’armée a lâché Ben Ali, mais ne veut pas que le mouvement aille plus loin.

    Enfin, concernant notre travail militant, nous devons accorder une grande attention aux sensibilités qui existent vis-à-vis de la question nationale. Il n’est pas question de crier à la révolution du ”monde arabe”, la question est beaucoup plus vaste. Les berbères, par exemple, ne sont pas arabes et sont opprimés au Maroc et ailleurs. On trouve également des berbères en Algérie, en Libye, en Tunisie et en Egypte. Ce terme de ”monde arabe” exclut aussi l’Iran, et l’on se rappelle encore des puissants mouvements de 2009.

    On ne peut jamais prédire comment les choses vont se développer, mais ces mouvements confirment la confiance que le Comité pour une Internationale Ouvrière et ses sections, comme le PSL-LSP en Belgique, a toujours eu envers les capacités des masses pour se battre en faveur de leurs conditions de vie. Une fois ces mouvements initiés, cela a conduit à une détermination très profonde. Ces mouvements ont même confirmé les méthodes traditionnelles de la classe ouvrière, même initiés de façon spontanée par les masses.

    Bien entendu, c’est aussi la confirmation gigantesque de la nécessité d’une organisation révolutionnaire capable de garantir que l’énergie d’un tel mouvement soit utilisée pour aller vers une une société orientée vers la satisfaction des intérêts des masses, c’est-à-dire une société où les secteurs clés de l’économie sont retirés de la soif de profit du privé pour être démocratiquement planifiés, une société socialiste.

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