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  • “Les Veines ouvertes de l’Amérique latine”

    Ce livre écrit par l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, paru en 1971, est rapidement devenu un classique. En dépit de ses cinquante ans, ce récit détaillé et compact de l’histoire coloniale de l’Amérique latine est toujours d’actualité.

    Par Natalia Medina Rättvisepartiet Socialisterna (ASI-Suède)

    L’ouvrage revient sur cinq siècles d’exploitation exceptionnelle. D’abord l’or, l’argent et les diamants, puis le sucre, le cacao, le coton, le caoutchouc, les fruits et finalement le pétrole. Afin d’extraire ces richesses, les peuples indigènes ont été exploités dans un travail cruel au fond des mines et, lorsqu’ils n’ont plus suffi, les esclaves du continent africain ont été envoyés dans les plantations.

    Il existe une grande différence entre l’histoire de l’Amérique du Nord et celle de l’Amérique latine. Les colonisateurs d’Amérique du Nord sont venus construire une nouvelle vie, bien que sur des terres volées, et se sont ensuite libérés de la couronne britannique. Les colonisateurs d’Amérique latine ont au contraire vidé le continent de ses richesses. Galeano explique les choses ainsi : « Car le nord de l’Amérique n’avait ni or ni argent, ni civilisations indiennes avec des concentrations denses de personnes déjà organisées pour le travail… »

    Alors que l’Amérique du Nord se remplissait d’ouvriers et de paysans devenus obsolètes en Europe, les capitalistes d’Amérique latine disposaient d’une réserve de main-d’œuvre énorme et bon marché sous la forme des peuples indigènes et des esclaves. L’exploitation des richesses de l’Amérique latine était synonyme d’emplois, de développement et de prospérité en Europe et en Amérique du Nord, mais pas pour les peuples d’Amérique latine ni pour les victimes de la traite des esclaves. « L’exploitation des conquérants européens a entraîné non seulement un génocide, mais aussi de nombreux génocides parallèles au cours desquels des civilisations entières ont été anéanties. » En plus de conduire à l’anéantissement horrible et systématique d’êtres humains, cette exploitation a également entraîné une destruction culturelle et scientifique ainsi qu’un désastre écologique.

    En même temps, le succès de chaque matière première était de courte durée. Bientôt, un autre continent produisait les mêmes biens moins chers, plus rapidement et plus efficacement, et l’effondrement devint vite un fait. L’Amérique du Nord a repris la production de coton et le Ghana celle de cacao. Parallèlement, toutes les tentatives d’industrie nationale étaient contrecarrées par les marchandises importées. « Des agents commerciaux de Manchester, Glasgow et Liverpool visitèrent l’Argentine et copièrent les ponchos de Santiagan et Córdoban et les articles en cuir de Corrientes, ainsi que les étriers en bois locaux. Les ponchos argentins coûtent sept pesos, ceux des Yorkshire trois. L’industrie textile la plus avancée du monde l’emportait au galop sur les produits des métiers à tisser indigènes, et il en était de même pour les bottes, les éperons, les grilles de fer, les brides et même les clous. »

    Le Paraguay s’est toutefois distingué. Au milieu de l’Amérique du Sud, sans côtes, voici un pays avec ses propres industries sans profiteurs étrangers. Un État fort au lieu d’une bourgeoisie fantoche a posé les bases d’une économie qui a connu un certain développement et une certaine forme de prospérité au lieu d’un libre-échange défavorable avec l’Europe ou les États-Unis. Mais l’exemple n’a pas été de longue durée. Au cours d’une guerre de six ans menée sur trois fronts, le Paraguay a été écrasé à la fin des années 1800 avec l’aide de capitaux venus d’Angleterre. Plus de 60 % de la population y a trouvé la mort et le pays a été laissé en ruines. Aujourd’hui encore, le Paraguay est un pays pauvre caractérisé par l’inégalité, l’instabilité et la corruption.

    Un pays qui base toute son économie sur l’exportation de matières premières sans industries ni raffinage est très sensible aux caprices du marché. Nous l’avons encore constaté en 2016 lorsque les prix des matières premières ont chuté et que des pays comme l’Argentine, le Brésil et le Venezuela ont plongé avec eux. Dans « Les veines ouvertes de l’Amérique latine », Galeano décrit en détail comment le continent reste un producteur de matières premières et n’obtient jamais la plus grande part du gâteau : « Avec le pétrole, comme avec le café ou la viande, les pays riches profitent davantage du travail de consommation que les pays pauvres du travail de production. »

    La hausse du prix du café entraîne une augmentation des profits, mais pas des salaires. La baisse des prix du café réduit les revenus des travailleurs d’un seul coup dévastateur. Les exportations ont été de pair avec la faim. Les enfants mangeaient la terre pour éviter l’anémie, tandis que les bénéfices quittaient librement le continent. Au Salvador, un quart de la population est décédé à cause de carences en vitamines, tandis qu’une poignée de capitalistes faisaient fortune grâce aux exportations de café.

    Le livre de Galeano est rempli d’exemples déchirants, mais il ne tombe jamais dans le sentimentalisme. Il y a un paradoxe ridicule dans le fait que les régions les plus fertiles et les plus riches sont celles qui ont été plongées dans une pauvreté et une famine abyssales. Des terres qui pouvaient nourrir un si grand nombre de personnes ont été vidées de leur substance en y plantant la nouvelle denrée recherchée pour donner naissance à d’immenses monocultures.

    Il n’y a plus eu de place pour la production alimentaire. Il a fallu importer des aliments d’autres endroits moins fertiles pour maximiser les profits à court terme. En novembre de cette année, l’ONU a averti que le nombre de personnes souffrant de la faim en Amérique latine a augmenté de 30 % depuis 2019. Environ 9 % de la population d’Amérique latine et des Caraïbes souffre de la faim, rapporte la chaîne Al Jazeera.

    En plus de la violence directe, du travail forcé et de la famine, les infections virales, importée par les colonisateurs, ont tué de larges pans des peuples indigènes. La pandémie de coronavirus a démontré que, même ces dernières années, les peuples indigènes sont toujours marginalisés en Amérique latine. Nombre d’entre eux travaillent comme femmes de ménage, nounous, concierges, etc. dans les maisons des familles aisées des grandes villes.

    Lorsque la pandémie a frappé de plein fouet, nombre d’entre eux se sont retrouvés sans travail et ont dû retourner dans leurs villages d’origine en emportant l’infection avec eux. Dans des endroits isolés, avec une population vieillissante et de longues distances pour accéder aux hôpitaux et aux médecins, le virus s’est rapidement propagé. L’isolement, qui aurait pu être une aide pour échapper à la pandémie est devenu une condamnation à mort. Le taux de mortalité parmi les personnes ayant reçu le covid-19 chez les peuples indigènes du Brésil est de 9,1 % ; le chiffre correspondant pour le reste de la population est de 5,2 %.

    En même temps, la pandémie a créé une instabilité économique supplémentaire dans la région. L’Amérique latine est l’une des régions les plus inégalitaires du monde. Et ce sont les peuples indigènes et les descendants d’esclaves qui sont de loin les plus mal lotis.

    Si l’exploitation et la colonisation sont ancrées dans les 500 dernières années de l’histoire de l’Amérique latine, il en va de même pour la résistance, comme le montre brillamment Galeano dans son livre. La première grande révolte d’esclaves a eu lieu dès 1522, lorsque les esclaves se sont soulevés contre le fils de Christophe Colomb, Diego Colomb. Cette première révolte fut loin d’être la seule.

    Dans les années 1600, les esclaves qui se sont échappés ont construit leur propre société, Palmares, sur la côte est du Brésil. A Palmares, la faim n’existait pas. On y pratiquait diverses cultures qui permettaient à la communauté d’environ 10.000 personnes de rester autosuffisante, contrairement aux régions où l’on cultivait la canne à sucre.

    Dans plusieurs de ces révoltes, la redistribution des terres était l’une des réformes les plus importantes à l’ordre du jour. La vision d’Artiga d’une Amérique latine unie où les peuples indigènes retrouveraient leur droit à la terre est peut-être la plus ancienne. On y trouve les graines d’un rêve d’une société complètement différente. Une vie sans oppression ni violence, où les richesses sont distribuées équitablement. La lutte de dix ans menée au Mexique en 1910-20 par des paysans indigènes sous la direction d’Emiliano Zapata fut porteuse de leçons d’organisation : nationalisation, expropriation des terres, conseils populaires, juges et policiers élus.
    C’est une histoire brutale que décrit Galeano. La résistance a été noyée dans le sang par des exécutions, la persécution et la torture. La contre-révolution est généralement bien plus sanglante que la révolution, et les capitalistes, qui, même dans les cas ordinaires, n’ont aucun problème à bâtir leur richesse sur des cadavres, n’ont pas hésité à recourir aux armes quand leur pouvoir fut menacé en Amérique latine.

    En 1968, juste avant les Jeux olympiques, le mouvement étudiant en plein essor de Tlatelolco, au Mexique, a manifesté contre la pauvreté et la faim. Les militaires et les paramilitaires ont ouvert le feu sur la manifestation. Lorsqu’il a écrit « Les veines ouvertes de l’Amérique latine », Galeano ne savait pas que les Etats-Unis et la CIA avaient été impliqués dans le massacre de Tlatelolco.

    La violence continue d’être présente dans toute l’Amérique latine. Au Mexique, les proches des 43 étudiants disparus il y a 7 ans recherchent toujours leurs corps. À Rio de Janeiro, au Brésil, près de 60 fusillades ayant fait trois morts ou plus ont été signalées en 2021. La majorité de ces fusillades ont eu lieu lors d’interventions policières qui s’apparentent davantage à de pures exécutions.

    L’histoire n’est pas terminée. Les veines sont encore ouvertes. Aujourd’hui, le nouvel engouement pour les avocats assèche l’eau potable du Chili, les plantations de quinoa épuisent les sols en Bolivie et l’utilisation intensive de pesticides pour les bananes tue prématurément les travailleurs des plantations au Nicaragua. Pendant ce temps, le poumon du monde, l’Amazonie, est ravagée pour faire place au soja, et ainsi la dévastation continue.

    Mais la résistance est bien vivante. Au Brésil, au Paraguay et en Bolivie, les peuples indigènes luttent contre la déforestation et les produits toxiques. Il faudrait rendre compte de 50 autres années d’exploitation, d’impérialisme et de mouvements de lutte, les 50 dernières. Lorsque ce livre a été écrit, le mouvement ouvrier était en plein essor. On était optimiste et on croyait en l’avenir. C’était avant le coup d’Etat d’Augusto Pinochet et l’arrivée au pouvoir des dictatures militaires soutenues par les États-Unis en Amérique du Sud. Le souffle de la gauche est arrivé et est reparti. Des tentatives réformistes visant à abolir, étape par étape, le pouvoir du capital et des propriétaires terriens ont été faites et contrecarrées.

    Eduardo Galeano a vécu la chute de la dictature en Uruguay et aussi la victoire de la gauche. Mais il n’a pas vu comment la droite est revenue aux affaires et comment l’État-providence qui a existé pendant une courte période et qui a donné à la classe ouvrière un répit dont elle avait tant besoin est en train de s’effondrer.

    Le bras de fer entre la classe supérieure capitaliste et les travailleurs prend constamment de nouvelles formes. Les États-Unis continuent d’utiliser l’Amérique latine comme terrain de jeu, sur lequel intervient également la Chine aujourd’hui. Tout a changé, rien n’a changé. Le livre reste une importante contribution historique à l’histoire coloniale de l’Amérique latine et, aujourd’hui, il aurait besoin d’une suite, voire de deux.

    A l’époque de la rédaction de ce livre, l’Union soviétique et un bloc stalinien existaient encore comme contrepoids rival de l’impérialisme américain. Les dictatures militaires en Uruguay, au Chili et en Argentine n’avaient pas encore écrasé le mouvement ouvrier, qui était en plein essor au début des années ‘70. La fleur pourrie du néolibéralisme n’avait pas encore éclos au Chili, ni les énormes manifestations qui ont eu lieu en 2019 en riposte aux politiques néolibérales.

    Si ce livre avait été écrit aujourd’hui, les énormes migrations qui ont lieu actuellement d’Amérique latine et des Caraïbes vers les États-Unis auraient eu leur propre chapitre. Un autre chapitre aurait été consacré à la vague de mobilisations féministes pour le droit à l’avortement et contre la violence à l’égard des femmes qui a déferlé sur l’Amérique latine, et qui a également gagné d’autres continents.

    Beaucoup de choses se sont passées depuis 1971, mais l’exploitation de la nature et des peuples d’Amérique latine persiste. Tout comme la résistance sociale. Ce n’est que lorsque la classe ouvrière quittera l’arène du parlementarisme et du réformisme et s’unira au-delà des frontières nationales pour renverser les esclavagistes que les veines pourront véritablement conduire le sang au cœur et nourrir toute l’Amérique latine.

  • L’Amérique latine plongée dans la crise du coronavirus

    “Avec des corps abandonnés sur les trottoirs, affalés dans des fauteuils roulants, tassés dans des cercueils en carton et empilés par centaines dans les morgues, il est clair que l’Équateur a été dévasté par le coronavirus”. New York Times 24/4/2020

    Par Alan Rivas, Socialist Alternative, États-Unis

    Le début de la pandémie COVID-19 va infliger d’immenses souffrances et un grand nombre de morts à la classe ouvrière et aux pauvres de toute l’Amérique latine. La région souffre de la pandémie – qui en est encore à ses débuts et qui devrait s’aggraver dans les pays clés – parallèlement à une situation économique difficile, caractérisée par la faiblesse des prix des matières premières, une fuite massive des capitaux, un endettement record, le krach du marché pétrolier et l’effondrement du tourisme. Le COVID-19 appauvrit des millions de travailleurs de la région et fait chuter leurs conditions de vie dans l’abîme.

    Le Financial Times et les stratèges du capitalisme international sont contraints de brosser un tableau réaliste et sombre de la catastrophe humaine et du cauchemar qui se déroule. Le FMI a prédit en avril que le PIB du continent chuterait de 5,2% cette année, ce qui est pire que l’Afrique subsaharienne, le Moyen-Orient ou l’Asie du Sud.

    La Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) prévoit que le taux de pauvreté en Amérique latine et dans les Caraïbes atteindra 34,7 % d’ici la fin de l’année, son plus haut niveau depuis 2007. L’extrême pauvreté devrait augmenter de 16 millions pour atteindre 83 millions (Financial Times). Ce sont certainement des estimations basses, car l’Amérique latine est déjà la région du monde la plus inégale en termes de revenus et, pour plusieurs pays, la forte augmentation de la pauvreté attendue fait suite à sept années de crise économique.

    Avant même que le coronavirus ne se propage en Amérique latine et dans les Caraïbes, le capitalisme était déjà mal en point dans la région. Avec la faiblesse des prix des matières premières et un endettement massif, la croissance économique était anémique, avec une moyenne annuelle de 0,7 % seulement au cours des six dernières années.

    “La crise sociale qui a explosé l’année dernière est un signe de l’énorme inégalité qui continue de submerger notre région. Cette crise pourrait exacerber ces problèmes”, avertit Alicia Barcena, directrice de la CEPALC. Cette nouvelle crise survient quelques mois seulement après une vague de manifestations de rue explosives dans toute la région à cause des mesures d’austérité, des inégalités et des l’insuffisance des systèmes de santé, de protection sociale et d’éducation. Ces mouvements ont secoué les régimes au pouvoir, du Chili à Puerto Rico et Haïti, en passant par la Bolivie, l’Équateur et la Colombie.

    L’impact réel de la nouvelle crise est difficile à évaluer pleinement : Près de la moitié des travailleurs d’Amérique latine travaillent dans l’économie informelle, avec des emplois précaires et des salaires au jour le jour ; il n’existe aucune trace écrite de leurs revenus, ni même du fait qu’ils travaillent.

    Gravement préoccupées par les implications sociales et politiques de la crise, certaines des plus grandes économies ont annoncé la mise en place de nouveaux programmes d’aide ou l’élargissement de programmes existants pour les catégories les plus pauvres de leur population. Mais les aides à court terme qui remplacent une infime partie des revenus perdus sont nettement insuffisantes pour une énorme partie de la population qui doit faire face aux effets combinés du marasme économique et des quarantaines.

    “Il ne s’agit pas seulement de compenser la perte de revenus”, a déclaré Nora Lustig, professeur d’économie latino-américaine à l’université de Tulane, dans une interview au Miami Herald, en rappelant les conditions de vie horribles et le manque d’infrastructures dans les bidonvilles tentaculaires, les favelas : “Les pauvres sont plus exposés aux infections et aux taux de mortalité élevés. Comment les gens peuvent-ils se laver les mains efficacement dans les bidonvilles ?

    Désastre au Brésil et en Équateur

    L’Équateur, avec le Brésil, a été le plus durement touché par le coronavirus, avec des milliers de morts, connaissant l’une des pires épidémies au monde et rivalisant avec les taux astronomiques de l’Espagne ou de l’Italie.

    Le New York Times a rapporté les effets choquants de l’épidémie et suggéré que le nombre de décès dus au COVID-19 en Équateur est 15 fois plus élevé que le chiffre officiel, en montrant les dommages que le virus peut causer dans les pays frappés par la pauvreté et le sous-financement des systèmes de soins de santé. Les équipes médicales ont documenté des centaines de cadavres retirés des résidences et des morgues surpeuplées des hôpitaux de Guayaquil. Dans certaines zones, des corps ont été abandonnés dans la rue ou à l’entrée des cimetières. Le système de santé s’est totalement effondré, le personnel hospitalier ayant été infecté, ce qui a entraîné une pénurie massive de personnel.

    Le désastre auquel est confronté le peuple équatorien est le résultat direct de la négligence criminelle de la classe dirigeante et du gouvernement Moreno. Ils ont imposé des coupes massives dans le financement des soins de santé – dans le cadre des mesures d’austérité exigées par le FMI et les banques internationales. Il a été rapporté qu’à la fin du mois de mars, au moment où se déroulait l’une des pires contagions au monde, Moreno a effectué un paiement de 320 millions de dollars pour le remboursement des dettes internationales, ce qui est de fait un acte criminel.

    Au Brésil, le régime de droite de Jair Bolsonaro est entré dans une période de crise, faisant campagne contre la quarantaine et votant des lois pour rouvrir l’économie, ignorant le potentiel d’un désastre encore plus grand.

    Fin avril, on dénombrait officiellement plus de 5 000 morts. Les agences sanitaires alarmées avertissent que le nombre réel est 12 fois plus élevé, avec des centaines de milliers de personnes infectées. Les chiffres augmentent plus rapidement qu’en Espagne au même stade de l’infection, selon l’observatoire COVID-19. Comme en Équateur, la pandémie conduit un système de santé déjà affaibli vers un effondrement total. Les plus lourdes pertes se situent dans les zones urbaines denses des États industriels de São Paulo, Rio Grande do Sul et Minas Gerais, déjà dévastés par la profonde crise économique qui a débuté en 2017. Selon la Banque mondiale, l’économie brésilienne devrait encore se contracter de 4,4 % en 2020.

    L’économie : “De morne à calamiteuse”

    Peu encline aux exagérations, la Banque mondiale décrit la situation de la région comme allant de ” morne à calamiteuse”. Les prévisions pour le Venezuela – le plus grand producteur de pétrole de la région, confronté à un effondrement du prix du pétrole et à des sanctions inhumaines de la part du régime impérialiste américain – font état d’un effondrement économique de 18 % supplémentaires cette année. Selon les projets de la CEPALC, l’Argentine et l’Équateur, tous deux accablés par une dette énorme envers l’impérialisme international, devraient voir leur économie se contracter de 6,5 %.

    Lorsque le coronavirus a frappé, Haïti se remettait encore des troubles politiques de l’année dernière : les protestations contre le régime corrompu de Jovenel Moise se poursuivaient, avec des dizaines de morts et des centaines de blessés et des entreprises fermées pendant des semaines. Depuis le mois de mars, le pays est en état de confinement et l’Agence des Nations Unies prévoit maintenant que la nation la plus pauvre de l’hémisphère connaîtra un nouvel effondrement économique de 3,1 %.

    Début avril, les ministres des finances du G20 – les plus grandes économies du monde – ont convenu de mettre fin au recouvrement des dettes des pays les plus pauvres et les moins avancés d’ici à la fin de l’année. Cette décision devrait permettre de libérer quelque 20 milliards de dollars qui, autrement, seraient consacrés au remboursement de la dette.

    Par ailleurs, le Fonds Monétaire International a commencé à offrir des prêts d’urgence à des taux inférieurs à ceux du marché, ce qui pourrait permettre à certains pays de renforcer leurs services de santé ou de proposer des programmes d’aide pour maintenir les travailleurs en activité. Mais dans la grande majorité des pays, cela ne fait qu’accumuler une dette supplémentaire envers les financiers internationaux, en plus des montagnes d’obligations insoutenables déjà existantes.

    Les données de la Banque Mondiale montrent que la dette extérieure des pays à faible et moyen revenu a doublé entre 2000 et 2018. Même avant la pandémie, des pays comme l’Argentine étaient confrontés à des crises économiques structurelles, largement liées à leur dette extérieure. En octobre 2019, le FMI a averti que plusieurs pays étaient effectivement en défaut de paiement ou couraient un risque élevé de ne pas honorer leurs dettes massives.

    La pandémie a maintenant exacerbé une crise économique qui se développait déjà dans le monde entier et en particulier en Amérique Centrale et du Sud, déclenchée par une chute des prix des matières premières et des exportations. Selon Bloomberg News, les prix des principales matières premières d’exportation avaient chuté de 27 % en 2020.

    Afin de continuer à payer leurs dettes extérieures, les gouvernements d’Amérique du Sud ont imposé de sévères politiques d’austérité et de privatisation ainsi que des coupes drastiques dans les soins de santé, l’éducation et les services publics, réduisant les salaires et les pensions à l’extrême. Selon un récent rapport de CADTM International, les pays les plus endettés consacrent 7,8 % de leur PIB au service de la dette extérieure et seulement 1,8 % aux soins de santé publics.

    De nouvelles explosions sociales à l’horizon

    La crise économique imminente due au COVID-19 aura de graves implications politiques et entraînera de nouvelles explosions sociales. Le désespoir, l’incertitude, la colère et l’absence d’alternative claire offerte par le mouvement ouvrier créent un cocktail toxique aux conséquences imprévisibles.

    Dans des pays comme Haïti, la Colombie, le Venezuela et la Bolivie, des émeutes ont déjà failli éclater, souvent à l’encontre des mesures de sécurité. Au Salvador et au Honduras, la pauvreté et le bouleversement menacent de dégénérer en chaos alors que des gangs criminels défient les régimes corrompus au pouvoir.

    Il est de plus en plus évident que le capitalisme latino-américain se dirige vers l’abîme. La classe capitaliste et ses représentants politiques vont essayer de décharger la crise de leur système et leurs politiques criminelles sur le dos de la classe ouvrière et des pauvres de la région.

    Ce qui inquiète les élites dirigeantes d’Amérique latine, c’est le souvenir récent des mois d’octobre et novembre 2019 où une vague de révoltes a explosé et menacé de se propager comme un feu de forêt dans la région. (Voir l’article d’Andre Ferrari de novembre 2018)

    Les mouvements ont éclaté en Équateur avec une quasi-insurrection des travailleurs et des indigènes contre les mesures d’austérité imposées. Le Chili a suivi avec une révolte de masse héroïque des travailleurs et des jeunes contre le gouvernement de Piñera et le système capitaliste. En novembre, la classe ouvrière colombienne s’est mise en mouvement avec une grève générale massive. Cette grève faisait suite au magnifique mouvement de la classe ouvrière portoricaine qui a fait tomber le régime de Rossello et à la révolte en Haïti contre le régime corrompu de Jovenel Moise.

    Bien que ces mouvements se soient calmés, ils couvent sous la surface et menacent d’éclater à nouveau.

    En Argentine, le nouveau gouvernement d’Alberto Fernandez a adopté des mesures précoces contre le COVID-19, notamment l’éloignement social obligatoire, la fermeture provisoire des écoles et a apparemment réussi à réduire la courbe de contagion. Cela a accru la popularité de Fernández. Mais 40% de la population argentine vit dans la pauvreté ou “l’extrême pauvreté” en raison de l’austérité, de la crise et de la dette extérieure. La classe dirigeante est confrontée à une radicalisation croissante qui a vu cinq grèves générales contre le précédent gouvernement Macri et un énorme mouvement de femmes pour l’égalité et pour le droit à l’avortement. La question de la dette va également revenir avec le FMI qui exige des paiements et l’imposition de nouvelles mesures d’austérité et de privatisation.

    En réalité, les ressources existent pour faire face à la crise à laquelle sont confrontées les masses en Amérique latine, sans doute l’une des régions les plus riches du monde. Mettre un terme au pillage du continent et exproprier les immenses richesses des classes capitalistes est désormais une question de vie ou de mort pour des millions de personnes. Cela permettrait d’affecter des ressources au financement de services de soins de santé d’urgence, d’installations de dépistage, des quarantaines, du personnel médical et des équipements nécessaires. Le pillage de la région par les multinationales et les banques ainsi que par les classes capitalistes dirigeantes nationales doit cesser.

    Alors que la région a un besoin urgent d’investissements massifs pour s’attaquer de front à la crise combinée de la pandémie et de l’effondrement économique, une fuite de capitaux colossale a lieu, avec des milliards de dollars fuyant vers les principaux centres impérialistes. Il ne s’agit pas d’une “erreur”. Il s’agit d’un exemple de la manière dont l’ensemble du système fonctionne. Il illustre l’échec du “marché libre” et du capitalisme à faire face à l’urgence actuelle.

    Comme dans le cas de la catastrophe environnementale évitée, cette pandémie illustre la nécessité d’une révision radicale de la manière dont la société humaine est gérée. Ce qu’il faut, c’est une économie socialiste démocratique fondée sur la propriété publique des principaux moyens de production et planifiée démocratiquement pour satisfaire les besoins de la grande majorité, par opposition aux intérêts d’un petit nombre.

  • Révolution et contre-révolution en Amérique Latine

    Mexique. La joie s’empare des partisans d’AMLO à l’annonce de sa victoire et de celle de son parti, Morena.

    Nous observons deux tendances qui parcourent l’Amérique latine : le processus révolutionnaire et le contre-révolutionnaire. L’oligarchie latino-américaine et l’impérialisme américain ont obtenu des victoires politiques et ont essayé de freiner le processus révolutionnaire. C’est la raison pour laquelle la victoire de la gauche dans les élections mexicaines du 1er juillet 2018 représente un événement de signification historique.

    Rapport de la commission consacrée à l’Amérique latine lors de l’édition 2018 de l’école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière qui s’est tenue en juillet à Barcelone. Par Marisa (Bruxelles)

    Le Mexique est la deuxième puissance économique et le deuxième pays le plus peuplé de l’Amérique latine après le Brésil. Il détient également une large frontière avec les États Unis. Après 89 années de gouvernements de droite, Andrés Manuel López Obrador (surnommé AMLO) et son parti le MORENA (le Mouvement de régénération nationale) ont remporté 53% des voix aux élections fédérales mexicaines du 1er juillet dernier qui comprenaient notamment l’élection du président et des membres des deux chambres du Congrès. Le fait qu’un pays d’une telle importance rejoigne le processus révolutionnaire qui parcourt le continent depuis de décennies est une excellente nouvelle pour tous les opprimés. Cette victoire reflète un profond virage à gauche dans la société. Elle n’aurait pas été possible sans l’impulsion des luttes des travailleurs, des jeunes, des femmes, des paysans et des populations autochtones.

    Même si la plupart des luttes qui ont précédé les élections du premier juillet n’ont pas victorieusement abouti, elles ont été décisives. La lutte des enseignants, un des secteurs le plus combatifs, a subi une défaite partielle avec la réforme de l’enseignement et toute la lumière n’a pas encore été faite dans l’affaire des enlèvements d’Iguala (qui désignent la disparition de 43 étudiants d’Ayotzinapa alors qu’ils se rendaient manifester contre le gouvernement en 2014). Mais il existe des défaites qui peuvent malgré tout servir à progresser. L’ensemble de l’Amérique latine a célébré la victoire d’AMLO. Maintenant, Trump est confronté à un problème majeur, puisque le Mexique est un pays qui a beaucoup d’influence sur les États Unis. L’objectif de construire un mur à la frontière n’est pas seulement d’arrêter l’immigration, mais aussi de freiner le processus révolutionnaire.

    Malgré la souffrance des masses au Venezuela, la victoire de Macri en Argentine et le coup contre Dilma au Brésil, la classe des travailleurs n’a pas subi une défaite insurmontable. Les masses ont continué leur offensive contre les gouvernements d’Argentine et du Brésil. Macri a remporté les élections avec très peu de marge en décembre du 2015 et, depuis, son gouvernement a été confronté à 3 grèves générales. En outre, de grandes mobilisations ont pris place en Honduras contre la fraude électorale, comprenant la création de comités d’auto-défense, ainsi qu’au Chili au sujet de la sécurité sociale et des pensions.

    Le gouvernement d’Uribe en Colombie a toujours représenté le rempart de l’impérialisme contre la révolution vénézuélienne. Au cours des dernières élections présidentielles, la droite a remporté le deuxième tour avec 54%, mais le candidat de gauche Gustavo Petro avait obtenu 41,7%. Ce résultat est historique pour la gauche. Le sentiment général des travailleurs n’a pas été le défaitisme mais plutôt l’idée qu’ils sont sur la bonne voie. Il faut également souligner le soulèvement contre le régime autoritaire de Daniel Ortega au Nicaragua. Le mouvement sandiniste contre la dictature de Somoza a tellement dégénéré qu’aujourd’hui Ortega est devenu le nouveau Somoza. Malgré une répression brutale, la détermination du mouvement social est impressionnante. La localité de Masaya, endroit emblématique de la résistance sandiniste contre Somoza, est devenue l’une des enclaves du soulèvement contre Ortega. La défense populaire y a été organisée avec des barricades.

    De larges mouvements de lutte contre les féminicides et en faveur de l’émancipation des femmes ont également eu lieu, entre autres en Argentine et au Chili.

    Il est intéressant d’analyser la relation entre le cycle politique et le cycle économique. Entre 2003 et 2008, on parlait de boom économique en Amérique latine et l’idée d’un « capitalisme à visage humain » disposait d’une certaine marge. Le Brésil, c’était le « B » de BRICS (acronyme anglais pour désigner un groupe de cinq grandes « économies émergentes » qui se réunissent depuis 2011 en sommets annuels : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, en anglais Brazil, Russia, India, China, South Africa). Grâce à la croissance économique de cette période, le taux de pauvreté a été réduit de 20 points dans l’ensemble de l’Amérique latine. Aujourd’hui, ces années dorées sont finies. Après une chute brutale en 2014, on compte à nouveau les sans-emplois par millions. La dette externe augmente de façon exponentielle et les monnaies nationales s’affaiblissent.

    La classe dominante latino-américaine a profité du boom économique, mais cette croissance a été couplée à une désindustrialisation dans la majorité de pays. L’affaiblissement de la base industrielle de ces pays rend leur production très dépendante des matières premières. Malgré une certaine récupération de la valeur du pétrole l’année dernière, la situation continue de reculer. Les investissements étrangers entre 2011 et 2017 ont diminué du 20% à cause de la crise de surproduction de l’économie mondiale.

    C’est dans ce contexte de crise que les programmes réformistes pour un capitalisme plus humain ont échoué. La faillite de Kirchner en Argentine, de Lula au Brésil et également du chavisme au Venezuela ont ouvert la porte à la droite. Cela ne signifie néanmoins pas qu’il y a eu lieu un virage idéologique. Parmi ceux qui ont voté à droite, beaucoup répondent qu’ils sont opposés aux privatisations et favorables à plus d’interventions de l’Etat. Le vote à droite a plutôt été un vote de protestation contre les gouvernements de gauche réformiste.

    La bourgeoisie est incapable de donner un coup définitif au mouvement social en utilisant des dictatures militaires à l’image de celles du passé. Au Brésil, la classe dominante se trouve dans une impasse. Le soutien à Temer a touché fond, sa côté de popularité est de 3%, et il n’y a pas encore un candidat présidentiel viable. Au milieu de cette crise, le gouvernement et la classe dominante utilisent la militarisation comme méthode pour appliquer leurs mesures autoritaires. L’assassinat de la militante du Parti socialisme et liberté (PSOL) Marielle Franco à Rio de Janeiro en mars dernier fait partie de l’atmosphère répressive répandue par le gouvernement. L’extrême droite est à l’offensive : pour la première fois depuis les années ’90, des groupes néo-fascistes attaquent les gens qui portent des slogans de gauche dans les villes.

    La croissance de l’extrême droite est un danger pour les travailleurs et tous les opprimés qui ne doit pas être sous-estimé. C’est un reflet de la polarisation qui se développe dans la société. L’opposition à ces attaques est liée au refus du programme néo-libéral. En fait, après la crise politique et sociale, le soutien aux idées de la gauche radicale a augmenté. La formation du PSOL en 2004 a constitué un important pas en avant. Un des défis auquel le PSOL sera confronté est de renforcer sa base parmi les travailleurs et les pauvres, chose qu’il n’a pas réussi à faire jusqu’au présent. Les prochaines élections présidentielles sont une nouvelle opportunité pour la gauche radicale et socialiste afin qu’elle en sorte renforcée. Pour ce faire, il est important de tirer les leçons de l’expérience des précédents gouvernements du Parti des Travailleurs, dont l’histoire est un avertissement de ce qui peut survenir dès lors qu’il n’y a pas de rupture avec les fondements du capitalisme.

    La classe de travailleurs continue de lutter, soit avec des grèves, via des élections ou à travers les syndicats quand cela est possible. Elle dispose de la force, mais pas d’une direction politique claire. Le Mexique ouvre un nouveau chapitre historique dans un contexte de remontée de la lutte de classes. Si le gouvernement d’AMLO ne fait pas un tournant à gauche très vite, la situation va se détériorer. Il n’y a pas de moyens économiques pour faire des manœuvres et il faut tirer les leçons de l’échec de la révolution au Venezuela. En fait, le désastre au Venezuela est un avertissement de ce qui pourrait arriver en Europe si des forces de gauche arrivent au pouvoir sans prendre ensuite des mesures de type socialiste (telles que la nationalisation des secteurs-clés de l’économie).

    Le gouvernement d’AMLO sera soumis à de nombreuses pressions, pas seulement de la part de la bourgeoisie mexicaine, également de la part des trafiquants de drogue qui font déjà partie de la dite bourgeoisie. Trump pourrait retirer l’ALÉNA, l’accord de libre-échange nord-américain, pour instaurer une pression additionnelle. Mais un mouvement social fort de la base pourrait se développer, chose qui aurait un grand impact dans tout le continent. L’idée de la révolution est très importante au Mexique, en raison de la conception révolutionnaire de sa propre histoire. Des opportunités se présentent au Brésil, au Chili et au Mexique, où les respectives sections du Comité pour une Internationale Ouvrière peuvent faire d’importants pas en avant avec leur intervention active dans les événements.

  • [DOSSIER] Nouveau tournant en Amérique latine – La fin de la vague de gauche?

    castro_obamaLa poignée de main historique entre Barack Obama et Raúl Castro, les troubles au Venezuela, le recul sur toute une série de réformes en Bolivie ainsi que la crise au Brésil sont autant de symboles du nouveau tournant en vigueur en Amérique latine. Les nombreux espoirs en termes de réformes radicales au Venezuela, en Bolivie et en Équateur ont laissé place à la désillusion.

    Résumé d’un dossier de Tony Saunois

    La fin de la croissance économique

    Hugo Chávez au Venezuela, Evo Morales en Bolivie,… avaient promis une transition vers le socialisme, mais ces discours n’ont pas été concrétisés par des mesures de véritable rupture anticapitalistes, raison pour laquelle leurs réformes sont à présent menacées. Dans les pays au gouvernement de centre-gauche comme le Brésil, la corruption est toujours aussi endémique, provoquant des crises politiques en sus des problèmes économiques.

    Pendant plus de dix ans, le continent a connu une croissance économique rapide qui a encouragé les gouvernements de centre-gauche à mettre en place une série de réformes. Mais même après cette période de croissance, des millions de personnes restent dans la pauvreté. Pétrole, gaz, cuivre, soja et autres matières premières présentes en quantité en Amérique latine ont trouvé d’importants débouchés sur le marché chinois, raison derrière cette croissance. Mais le ralentissement de l’économie chinoise se fait à présent ressentir sur les exportations de matières premières, avec également un impact sur leurs prix.

    La dépendance de l’Amérique latine vis-à-vis des exportations de matières premières a conduit à une rapide désindustrialisation. Les matières premières comptent aujourd’hui pour 60 % des exportations brésiliennes. Au Venezuela, le pétrole constitue 96 % des exportations.

    Conséquences politiques

    La crise a frappé alors que des gouvernements de gauche ou de centre-gauche existent dans plusieurs pays du continent. D’où une grande confusion. Certains parlent d’un virage à droite de la région et il est certain que le mécontentement a ouvert une brèche qu’instrumentalisent diverses forces de droite traditionnelle afin de se construire un plus grand soutien. Il s’agit cependant bien plus de l’expression de l’absence d’une véritable alternative socialiste.

    Le Brésil a connu une vague de grèves ce début de l’année (fonctionnaires, enseignants, ouvriers de l’automobile, métallurgistes,…). Dans l’État du Paraná, la fonction publique est partie en grève à durée indéterminée, contraignant le gouvernement régional à annuler ses plans d’austérité. Les ouvriers de Volkswagen et de General Motors ont obtenu des victoires partielles contre des licenciements.

    Les immenses scandales de corruption au Brésil (qui impliquent également des cadres du Parti des travailleurs de l’actuelle présidente Dilma Rousseff) ont fait exploser la méfiance envers tout le système politique. La droite joue sur ces évènements et exige la démission de Rousseff. Le PT a répondu en tentant de mobiliser sa propre base, mais beaucoup de militants ne sont plus prêts à s’impliquer. Heureusement, il y a également eu des actions revendiquant des réformes sociales, qui critiquaient tant le gouvernement que la droite. La marche du 15 avril à São Paulo a ainsi réuni 30.000 personnes à l’initiative du Parti pour le socialisme et la liberté (PSoL) et du Mouvement des travailleurs sans toit (MTST), soutenue par le syndicat de lutte CSP-Conlutas (Centrale syndicale et populaire) et même (après hésitations) par le syndicat officiel, la Centrale unique des travailleurs (CUT). Cette marche a été suivie d’autres dans le pays. La direction syndicale subit en ce moment une forte pression de la base qui exige une grève générale nationale de 24 heures.

    C’est l’Argentine qui illustre le mieux le fait que la gauche véritable peut se renforcer dans le cadre de la lutte contre la politique d’un gouvernement de centre-gauche qui refuse de rompre avec la logique du capitalisme. La croissance électorale du Front de gauche des travailleurs (FIT), une alliance de différents partis trotskistes, contredit cette idée d’un virage à droite du contenu. Le succès de cette alliance dépendra à présent de sa capacité à se consolider après son succès initial et à attirer des syndicalistes pour construire un nouveau parti large des travailleurs.

    Le régime du Venezuela sous pression

    La catastrophe économique au Venezuela a été approfondie par la chute du prix du pétrole. L’économie vénézuélienne va reculer de 5 % cette année (la récession était de -4 % l’an dernier). Un tiers des denrées de base (viandes, médicaments, vêtements) ne sont plus disponibles nulle part. Dans la rue, des gens annoncent vouloir échanger du papier toilette contre du savon, etc. Le Venezuela connait actuellement un des plus forts taux d’inflation au monde : environ 70 %.

    Cela sape le soutien au gouvernement. Ces problèmes résultent de la spéculation et des efforts des capitalistes pour déstabiliser le pays mais aussi de l’approche bureaucratique suivie par le régime chaviste. Les réformes de Chávez sont remises en question. Le système des soins de santé est en crise : sur 45.000 lits dans les hôpitaux publics, seuls 16.000 peuvent être utilisés en ce moment, faute de moyens. Le soutien au président Maduro est tombé à 30 % dans les sondages. C’est le résultat de l’impasse d’avoir voulu réformer le pays tout en restant dans les limites du capitalisme, sans véritable nationalisation de l’économie sous contrôle et gestion démocratiques de la population. La voie a donc été ouverte pour la déception, ce sur quoi compte la droite.

    La fin de l’embargo sur Cuba

    L’impérialisme américain a complètement revu sa politique à l’égard de Cuba. Début 2015, Obama et Raúl Castro ont annoncé un accord historique. Obama a reconnu : ‘‘On ne peut pas faire la même chose encore et encore pendant 50 ans en espérant obtenir un résultat différent.’’ Les classes dirigeantes européennes et canadienne, ainsi que la majorité des capitalistes latino-américains, ont choisi une autre approche, à présent également suivie par Obama.

    Depuis la révolution cubaine de 1959, l’impérialisme américain a maintenu un strict embargo contre Cuba et a fait différentes tentatives d’y mettre à bas le régime stalinien afin de restaurer le capitalisme, jusqu’à monter une intervention militaire en 1961. Malgré les graves conséquences de l’embargo américain sur l’économie cubaine, les États-Unis n’ont rien obtenu. La révolution cubaine continue en effet à jouir d’un large soutien parmi la population. Les États-Unis ont donc à présent opté pour une autre politique, avec le même objectif. Comme Léon Trotsky le disait à propos de l’ex-Union soviétique, la menace de la restauration capitaliste peut aussi revêtir le masque de ‘‘marchandises bon marché dans le train de l’impérialisme’’ en inondant le pays de marchandises et d’investissements.

    La situation révolutionnaire au Venezuela, en Bolivie et en Équateur au début de ce siècle n’a malheureusement pas été utilisée pour s’orienter vers une fédération libre d’États socialistes latino-américains. Les régimes réformistes de Morales, de Chávez et de Rafael Correa ont accompli d’importantes réformes populaires, mais sont restés dans le cadre du capitalisme. Parallèlement, le régime cubain progresse dans la voie d’une restauration capitaliste, dont la tête de pont a été établie dans le secteur touristique, avec des mesures telles que la hausse de l’âge de la pension, la création de zones de libre-échange au port de la baie de Mariel,… Si l’assouplissement des restrictions aux voyages à l’étranger doit être applaudi, les autres mesures menacent les conquêtes de la révolution.

    La transition vers une complète restauration du capitalisme ne va pas s’effectuer en ligne droite. Certaines factions au sein du régime ne voient pas cette restauration d’un bon œil. Ainsi, Mariela Castro, la fille du président Raúl, déclarait en janvier que : ‘‘La population cubaine ne veut pas d’un retour au capitalisme.’’ Les secteurs stratégiques de l’économie n’ont pas encore été privatisés ni vendus à des capitalistes étrangers. L’arrivée de Mastercard et de Netflix est à noter, mais cela reste essentiellement symbolique.

    La crise et la résistance

    Pour les socialistes et pour la classe des travailleurs, chaque pas vers restauration du capitalisme est un pas en arrière. Ce processus sera au final utilisé par la classe dirigeante, surtout en Amérique latine, pour discréditer l’idée selon laquelle le socialisme est une alternative au capitalisme, sans toutefois avoir un effet comparable à l’offensive idéologique antisocialiste qui a suivi la chute des anciens régimes staliniens en Europe de l’Est et dans l’Union soviétique vers 1989-1991.

    La fin de l’embargo pourrait donner à Cuba la possibilité de commercer sur le marché mondial. Sans une véritable démocratie des travailleurs, cela risque d’accélérer le développement de la restauration capitaliste. Eviter ce danger exige d’instaurer le monopole d’État sur le commerce extérieur, sous contrôle démocratique de la classe des travailleurs. Dans le contexte d’une nouvelle crise internationale du capitalisme, il est possible que les mesures visant à la restauration capitaliste restent limitées, que Cuba reste coincé dans une situation hybride.

    Les conquêtes de la révolution concernant les soins de santé ou l’enseignement seront sans doute maintenus, même si ces secteurs connaissent des pénuries en raison de l’insuffisance des investissements. Certaines couches de la population ont peur de la disparition de ces conquêtes et craignent que leur pays ne se retrouve relégué au rang de simple république bananière. Il faut lutter contre la restauration capitaliste mais aussi pour la démocratie des travailleurs et l’économie démocratiquement planifiée.

    L’Amérique latine a besoin d’une alternative socialiste de masse. Il faut pour cela reconnaitre le caractère limité des réformes, même radicales, et des méthodes bureaucratiques suivies au Venezuela, en Bolivie et en Équateur. Ces pays restent prisonniers du capitalisme. Le fait que la droite parvienne à mobiliser de manière populiste et opportuniste au Brésil, au Venezuela et dans d’autres pays démontre l’urgence d’un mouvement socialiste fort. La classe des travailleurs et les socialistes révolutionnaires doivent utiliser cette nouvelle période de crises et de luttes pour construire une alternative socialiste combative.

  • Cuba : De nouvelles luttes pour de vieux défis

    En décembre dernier s’est tenue une réunion du Comité Exécutif International du Comité pour une Internationale Ouvrière, dont le PSL/LSP constitue la section belge. Un représentant d’un collectif cubain, Obseratorio Critico (Observatoire critique), était également présent. Voici ci-dessous l’intervention qu’il a faite à cette réunion au sujet de la situation cubaine.

    Prise de parole de Rogelio M. Díaz Moreno (Observatorio Critico) lors de la réunion internationale du CIO

    Les conquêtes de la révolution

    Nous savons combien il est difficile de transmettre la complexe et intéressante réalité qui y existe. La fin du soi-disant camp socialiste a coûté à Cuba plus de 80% de ses marchés et de ses subventions soviétiques. En plus de cela, l’agression impérialiste du gouvernement américain s’est accrue, le blocus économique s’est intensifié et le financement des groupes d’opposition de droite a augmenté de plusieurs millions de dollars. En outre, l’activité des groupes promouvant des actes terroristes dans mon pays est toujours tolérée sur le territoire des USA. L’ingérence impérialiste des USA a été et sera un facteur crucial dans le cas de Cuba, car elle alimente les tendances réactionnaires et conservatrices du gouvernement cubain actuel, qui utilise cela comme prétexte pour harceler les forces de gauche, socialistes et indépendantes de sa bureaucratie.

    Rappelons que lors du triomphe de la Révolution, les forces victorieuses fusionnèrent dans un parti unifié sur base des mouvements qui dirigèrent la lutte. Fondamentalement, il s’agissait des mouvements interclassistes du Mouvement du 26 juillet et du Directoire révolutionnaire, ainsi que du Parti communiste de nature stalinienne, cela avec l’appui décisif de la paysannerie.

    Le programme initial de ce parti n’était pas socialiste, bien que progressiste du point de vue nationaliste bourgeois. La réforme agraire était son drapeau principal. Mais la lutte de classe qui a suivi a radicalisé et polarisé la politique du moment. La réforme agraire, la nationalisation des entreprises, la campagne d’alphabétisation, l’intégration de la population dans des organes de défense de la révolution, la transition vers une économie planifiée excluant l’économie de marché, et un fort investissement social, parmi d’autres politiques, ont permis la transformation de l’État, même s’il manquait les éléments de contrôle et de démocratie ouvriers. Ainsi, ce système, assorti des subventions soviétiques, a permis de sortir de la situation de pauvreté atroce antérieure à la révolution, pour arriver à une société d’un bien plus grand développement humain. Mais c’est 30 ans plus tard, quand le Mur de Berlin est tombé, que la plus grande épreuve que le socialisme cubain a eu à traverser commença.

    Après la chute du Mur de Berlin

    Dans les années qui ont suivi, le gouvernement a pu continuer à s’enorgueillir de sa capacité gigantesque à pouvoir mobiliser des manifestations en sa faveur. Cependant, il y a eu recours à des moyens de pression sur les manifestants et la corruption a sévi parmi les organisateurs.

    Nous ne pouvons pas non plus ignorer l’émigration d’environ un demi-million de Cubains au cours des 20 dernières années. De plus, après des décennies d’une politique qui s’est effectuée sans contrôle et sans mesures démocratiques pour participer aux prises de décisions de la politique nationale, un fossé insurmontable s’est créé entre la direction et les travailleurs. Le discrédit de l’idéologie soviétique a laissé un vide dans les rues cubaines, rapidement occupées par la philosophie symbolisée par la ville de Miami.

    Cette philosophie est basée sur le fait de considérer la prospérité comme synonyme de consommation et le prestige personnel et social comme étant réduit à pouvoir montrer aux autres son haut niveau de vie. Chez beaucoup, cela a naturellement engendré une grande frustration ainsi qu’une tendance à recourir au crime pour satisfaire ces besoins. Cela a également été alimenté par les élites bureaucratiques corrompues, qui adoptent ouvertement ce mode de vie, loin des idéaux de la rigueur socialiste dont le paradigme le plus mémorable est la figure disparue d’Ernesto Che Guevara.

    La politique économique du gouvernement n’a été capable que de stimuler cette mentalité de consommation, dans le cadre de sa tentative désespérée de s’attirer des devises convertibles. Les politiques sociales les plus importantes sont néanmoins restées, comme la sécurité d’emploi, le maintien de services d’enseignement, de santé et de sécurité sociale universelle. Cela a contribué à conserver le régime au pouvoir, même si, dans le même temps, les Cubains ont souffert de graves pénuries de produits alimentaires et industriels, de pannes de courant, etc.

    Le modèle chinois ? 

    Nous pouvons aujourd’hui contempler la dérive lente, mais déterminée, vers une transition qui rappelle le modèle chinois : un système d’économie de marché sous le contrôle strict d’une force politique bureaucratique et autoritaire. Nous n’avons pas encore atteint ce point, mais l’ouverture au petit capitalisme national et au grand capital transnational qui se produit actuellement, en plus des coupes budgétaires dans les politiques sociales et dans les droits des travailleurs, nous incline à nous attendre à un tel développement.

    La première fois qu’a été soulevé à Cuba le licenciement de près d’un million de travailleurs, il n’y a eu aucune résistance de la part de direction de la CTC, la centrale syndicale. Mais au niveau de la base, les travailleurs sont en ébullition. Toutefois, sans organisation consciente, le mécontentement en est resté au niveau individuel, même s’il s’agit d’une multitude d’individus. Cette colère a malgré tout convaincu le gouvernement de temporiser les choses et d’accorder des concessions.

    Un nouveau code du travail

    Les inégalités et le mécontentement s’intensifient, ainsi que les tendances individualistes et aliénantes. La dernière étape de ce processus est caractérisée par l’introduction d’un nouveau projet de Code du travail qui actualise certains principes de l’ancien code devenu ‘’obsolète’’, tel que le droit et le devoir de chaque citoyen d’avoir un travail. C’en sera donc fini de la sécurité d’emploi pour les travailleurs. Ils pourront, en effet, être licenciés plus facilement avec seulement la petite promesse de chercher des alternatives à l’employé congédié. Le syndicat conservera le droit d’émettre une opinion dans certains cas.

    Voilà la situation dans le domaine de l’économie publique. Dans la sphère privée, la nouvelle classe émergente de capitalistes aura d’énormes possibilités pour exploiter ses employés. Nous n’avons trouvé aucun moyen de défense efficace des travailleurs dans ce secteur, concernant les droits minimaux, tels que les heures de travail, le salaire minimum, les vacances, les droits parentaux, les contrats de négociation collective, la défense contre la discrimination sur des critères de race, de genre ou d’orientation sexuelle. (Quelques jours plus tard, le Code a été adopté et il est supposé qu’il donnera des moyens de défense, au moins en théorie. Il reste à voir comment ils seront appliqués dans la pratique, NDT).

    Solidarité internationale

    Il faut saisir toutes les occasions pour dénoncer la bureaucratie qui insiste pour se présenter comme de véritables partisans du socialisme et de la souveraineté nationale, tout en vendant le pays par petits morceaux aux capitalistes locaux et internationaux. Il faut continuer à rappeler à tous que chaque citoyen a le droit d’être protagoniste de ses conditions et de la transformation de sa propre vie. Il faut apprendre à récupérer l’exercice de ce droit qui se trouve aujourd’hui dans les mains d’une élite appartenant au passé.

    C’est dans ce cadre que nous nous sommes rendus à cette réunion du Comité pour une Internationale Ouvrière et que nous renforçons notre courage et notre espoir. Ici, nous avons testé la force de la solidarité qui peut s’établir entre les socialistes du monde entier.

    Nous exprimons notre gratitude pour l’adhésion à notre cause de l’émancipation sur tous les terrains sociaux, contre la domination qui opprime ceux qui travaillent, ceux qui ont la peau noire ou une orientation sexuelle non majoritaire, etc., pour le soutien démontré contre toutes les causes de l’injustice qui existent dans notre pays et contre lesquelles nous ne nous lasserons jamais de combattre.

    Au nom de l’Observatoire critique de Cuba et de moi-même, encore une fois, je vous remercie beaucoup.

  • 7e École d’Été latino-américaine

    La 7e école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) organisée en Amérique latine fut la plus grande édition jusqu’à ce jour. 180 personnes se sont ainsi réunies à Sao Paulo, au Brésil, du 7 au 14 janvier. Des camarades étaient présents du Brésil, du Venezuela, de Cuba mais aussi de Suède, des USA, d’Allemagne et en présence de Tony Saunois, du Secrétariat International du CIO. Malheureusement, les camarades du Chili et de Bolivie n’ont pas pu participer à l’événement en raison de problèmes de transport. Du Brésil, des camarades étaient présents de 10 Etats différents, dont Sao Paulo, Rio, Rio Grande do Norte, Pareba et Serra. Au cours de la semaine, un meeting public a été organisé avec une participation de 200 personnes environ, dont des représentants de courants de gauche au sein du P-SOL et des camarades membres d’un mouvement de sans-abris, le MTST. Deux conseillers municipaux du du PSOL, Paulo Eduardo Gomes et Renatinho, étaient aussi présents et ont chacun pu prendre la parole durant ce meeting public marqué par une grande combativité.

    Par des correspondants du CIO

    • Amérique latine : de retour dans l’épicentre de la lutte mondiale

    L’école d’été a compris des débats et des discussions concernant la situation mondiale ainsi que la vague de luttes et la nouvelle phase de la crise qui s’ouvrent aujourd’hui en Amérique latine. Des discussions ont notamment été menées au sujet de la construction de nouveaux partis de gauche et du rôle que joue le PSOL dans ce cadre, à côté de commissions qui ont porté sur divers aspects de la théorie et de la pratique marxistes comme la question de l’Etat, la méthode transitoire, réforme ou révolution, etc. Les rapports qui ont été livrés au sujet de Cuba ainsi qu’au sujet de la récente victoire remportée aux USA par l’élection de Kshama Sawant à Seatttle ont pu compter sur un écho enthousiaste.

    Inévitablement, l’enthousiasme des camarades brésiliens à la suite de l’éruption de la lutte de masse de juin dernier et dans le cadre des perspectives de luttes ultérieures a dominé cette école d’été. L’année 2014 devrait voir naître une nouvelle vague de luttes au Brésil et dans d’autres pays d’Amérique latine. Au Brésil, les protestations de masse ont totalement changé le rapport de forces et les travailleurs et les masses ont maintenant plus de confiance pour riposter contre les attaques lancées par la classe dirigeante. Cela sera notamment centré autour des protestations qui se tiendront dans le cadre de la Coupe du monde de football dans les prochaines semaines et les prochains mois.

    A Sao Paulo, au cours de ces derniers mois, plus de 100 occupations ont déjà pris place, réalisées par des familles de sans-abris qui reconstruisent leur foyer sur des terrains occupés. L’occupation la plus récente a réuni plus de 30.000 personnes et s’appelle “Nouvelle Palestine”. Une autre illustration de la colère bouillonnante qui existe dans la société a été le développement de larges protestations de la jeunesse au cours de ces derniers jours. Des “Rolezinhos” ont été organisées par des milliers de jeunes dans de nombreuses villes à travers le pays. Ces actions impliquent des jeunes des régions les plus pauvres, qui entrent dans des centres commerciaux et y manifestent. Bien d’autre sont encore prévues. Ces jeunes veulent ainsi attirer l’attention sur le fait qu’ils sont dans la pratiques exclus de ces centres car ils sont incapables d’y acheter quoi que ce soit. Ces protestations ont été déclarées illégales et les jeunes qui entrent maintenant dans un centre commercial doivent montrer leur carte d’identité et sont menacés d’amendes s’ils participent à une action de protestation.

    Cette répression n’a toutefois pas réussi à assombrir la combativité de la jeunesse. Suite à la crainte de nouvelles protestations, le sommet des pays ”BRIC” qui devait initialement se tenir au moment des manifestations contre la coupe du monde a d’ailleurs été reporté. La peur de ce qui peut se développer dans le cadre de cette coupe hante la classe dirigeante et le gouvernement. Ils craignent également le déclenchement de mutineries massives dans les prisons contre les conditions de vie qui y existent. Des manifestations de masse sont prévues à partir du 25 janvier. Cette nouvelle vague de lutte se combinera à la campagne électorale du PSOL, qui a la possibilité d’accroître son bloc parlementaire, ce qui souligne la nécessité pour le PSOL d’adopter un programme socialiste pour défier le gouvernement et construire une véritable alternative. Les membres de LSR (section du CIO au Brésil) sont pleinement impliqués dans cette lutte ainsi que dans les manifestations qui se développent actuellement.


    Brésil : L’occupation ‘Novo Palestina’

    Vidéos de membres du Comité pour une Internationale Ouvrière lors d’un meeting de masse

    Une occupation massive de terres est organisées par le MTST (le “mouvement des travailleurs sans terre”) dans les environs de Sao Paolo, au brésil. ‘Novo palestina’ fait partie des plus de 100 occupations de terrains qui ont pris place à Sao Paolo au cours de ces derniers mois. Il s’agit d’une indication de la vague de lutte qui est en gestation dans le contexte de la préparation de la coupe du monde de football.

    L’occupation ‘Novo Palestina’ est extrêmement bien organisée, avec des comités démocratiquement élus. 9.000 familles et plus de 30.000 personnes sont impliquées dans cette occupation. Des commissions sont élues pour organiser le camp, construire des sanitaires, organiser la défense et la sécurité,… Les propriétaires des terrains occupés réclament de la municipalité de Sao Paolo qu’elle trouve une solution.

    Ci-dessous, voici des vidéos de 3 camarades du CIO – Tony Saunois du Secrétariat International du CIO avec Andre Ferrari de LSR (CIO-Brésil) et Bilbo Goransson de Rattvisepartiet Socialisterna (CIO-Suède) – prenant la parole lors d’un meeting sur les lieux de l’occupation.

  • Amérique latine : de retour dans l'épicentre de la lutte mondiale

    Rapport de la discussion sur l’Amérique latine au Comité Exécutif International du CIO

    La réunion de décembre du Comité Exécutif International (CEI) du CIO a marqué le début d’une nouvelle phase tumultueuse de la situation en Amérique latine. Le débat en séance plénière fut présenté et conclu par André Ferrari, de Libertade Socialismo e Revolução (LSR, la section brésilienne du CIO). Après une période durant laquelle l’Amérique latine fut quelque peu en marge de l’épicentre des évènements qui ont secoué le monde au cours des premières années de la crise, les évènements actuels sur le continent acquièrent à présent une importance grandissante pour les perspectives et la situation mondiale.

    Par Dany Byrne

    Cette nouvelle phase met fin à une conjoncture assez prolongée de stabilité économique relative, et de continuité politique. Dans la dernière décennie et demie, les principaux gouvernements du continent jouissaient d’une continuité sans précédent, avec la réélection répétée de ses dirigeants les plus proéminents, et la domination, qui en apparence semblait fort peu menacée, de différents blocs politiques dirigeants passant le pouvoir de chef de file en chef de file, tels que les Kirchner en Argentine, l’aile droite Uribe-Santos en Colombie, etc.

    Fin de la « lune de miel » économique

    Dans de nombreux cas, cette stabilité a été basée sur un soi-disant « miracle économique »: l’idée qu’apparemment l’Amérique latine avait « évité le pire » de la crise capitaliste mondiale, et que ses principales économies continuaient à croître rapidement. Toutefois, les choses, sous la surface, étaient plus compliquées. André a expliqué comment la force des principales économies d’Amérique latine au cours de cette dernière période a été basée en grande partie sur la demande forte et continue de produits de base, en particulier de la part de Chine.

    Cette croissance ne représentait pas une sorte d’émancipation du continent sud-américain, et signifiait encore moins l’entrée de ce continent dans le club du « monde développé ». En fait, une désindustrialisation importante a eu lieu et l’activité économique sur le continent a été limitée à la production et à l’exportation de matières premières. Ce nouveau modèle a également laissé l’économie latino-américaine beaucoup plus vulnérable à l’impact du ralentissement actuel dans les soi-disant «économies émergentes», emmenées par la Chine. En effet, cette année verra le plus faible taux de croissance pour l’Amérique latine depuis plus de 10 ans, entre 2% et 2,5%.

    André et d’autres camarades qui sont intervenus dans la discussion (du Vénézuela, de la Bolivie, du Chili, de Cuba, de Suède, d’Irlande, des Etats-Unis et du Secrétariat international du CIO) ont indiqué comment cette fin de la « lune de miel » économique de l’Amérique latine a déjà été traduite en termes d’une plus grande agitation sociale et politique. On l’a vu dans chacune des quatre plus grandes économies du continent – Brésil, Mexique, Argentine et Colombie – qui, entre elles, représentent plus de 75 % de l’économie latino-américaine.

    Le Mexique et la Colombie dans la tourmente

    Au Mexique , les élections de cette année ont vu le parti PAN, d’obédience néo-libérale, écarté du pouvoir et remplacé par le PRI, qui avait occupé le pouvoir pendant plus de 70 ans. Toutefois, le PRI (traditionnellement plus «protectionniste») a continué fidèlement avec les politiques du PAN, notamment la privatisation rampante des secteurs du pétrole et de l’électricité. Cela a été facilité par le pacte néo-libéral « Pacto por Mexico », qui vise à obtenir l’accord de tous les partis pour une série de «réformes», et qui a été honteusement soutenu à l’origine même par le parti de la gauche traditionnelle, le PRD. André, ainsi que Alan Jones des États-Unis, ont souligné la dégénérescence politique du PRD dans les dernières années, ainsi que la scission qui en est issue pour former « Morena », organisé par Lopez Obrador (candidat de gauche vaincu par la fraude lors des élections de 2006, aussi connu sous le nom de « AMLO »). Cependant, AMLO tient aujourd’hui une position plus «modérée» que précédemment, plus proche de celle de Lula au Brésil que lors de sa campagne de 2006. La politique de sa campagne de 2012 pour les élections présidentielles a été particulièrement faible et démagogique.

    Cependant , malgré l’absence d’une gauche révolutionnaire de masse et combative, le processus d’attaques néo-libérales n’a pas pu avancer sans la résistance héroïque de secteurs importants de la classe ouvrière. Des camarades ont évoqué les grèves des travailleurs de l’électricité contre la privatisation, ainsi que celle des enseignants. Deux luttes qui ont fait face à une brutale répression de l’État, dans une atmosphère de plus en plus militarisée, alors que le gouvernement tente de doper sa puissance militaire dans la «guerre» contre les narco-trafiquants.

    La Colombie, un autre des principaux piliers de la droite traditionnelle pro-américaine sur le continent, a également connu la tourmente. Le gouvernement Santos a été contraint de modérer ses positions, en particulier en ce qui concerne la guerre avec la guérilla des FARC (avec lesquels des négociations sont en cours avec le gouvernement). Cependant, cela a conduit à une scission au sein de l’aile droite, avec Uribe, le prédécesseur de Santos, défendant une position plus intransigeante, et s’engageant dans la compétition électorale contre Santos pour les élections de l’année prochaine, où ce dernier sera également contesté par le « Front Patriotique », une large force de gauche alignée avec certaines sections de la guérilla.

    Il y a également eu une énorme reprise des luttes sociales avec un mouvement massif des travailleurs ruraux qui a jeté le gouvernement dans la crise, ainsi qu’un mouvement solide dans l’éducation impliquant conjointement des enseignants et des élèves dans des actions de grève. La répression brutale de l’appareil d’État reste une grande caractéristique du pays, les assassinats de militants étant monnaie courante. La réunion du CEI a d’ailleurs adopté une résolution en solidarité avec les ouvriers d’une usine de Nestlé où des militants syndicaux ont récemment été tués.

    L’Argentine entre dans une nouvelle crise, des gains pour la gauche révolutionnaire

    En Argentine, le régime de Kirchner, relativement stable jusqu’à récemment, est également entré dans la crise. Tout en essayant de donner l’impression d’un certain déplacement vers la gauche, avec la nomination d’un nouveau ministre supposément «gauchiste» au ministère des Finances le gouvernement de Christina Kirchner est en réalité engagé dans un virage à droite, comme en témoignent les nouveaux arrangements afin de repayer la dette des créanciers américains, et l’entente visant à dédommager massivement la multinationale espagnole YPF après son expropriation partielle l’année dernière. Elle prépare également un nouvel « ajustement » -entendez austérité- massif d’ici à 2015.

    La reprise des luttes provoquée par cette situation s’est traduite lors des élections législatives, où le FIT (« Front Ouvrier de la Gauche » – une alliance d’organisations trotskystes) a reçu 5 %, avec 1,2 millions de voix, et remporté trois députés (qui auraient été 4 s’il n’y avait pas eu de fraude électorale évidente) et des députés régionaux dans 7 régions. Particulièrement frappant fut le cas de Salta, où le PO (la plus grande composante du FIT) a reçu 27 %, le score le plus élevé pour un parti lors de ces élections. Ce grand pas en avant a été partiellement facilité par le passage à droite du « centre-gauche », ce qui a laissé un certain espace à combler, mais reflète également des années de travail patient parmi les travailleurs et les mouvements sociaux.

    Tony Saunois, du Secrétariat International du CIO, a souligné que la question fondamentale est maintenant une question de perspectives pour le FIT, de savoir quelle va être la façon avec laquelle celui-ci peut se développer en tant que nouvelle force de masse. Cela posera des questions tactiques importantes, entre autres sur comment se positionner face au discrédit/aux scissions de la tradition péroniste, qui continue de dominer le mouvement ouvrier argentin. Bien que l’audience de masse obtenue par le FIT semble avoir servi à atténuer l’approche traditionnellement assez sectaire de certaines de ses composantes, la nécessité de maintenir une orientation vers le mouvement de masse des travailleurs et des jeunes, tout en plaidant pour un programme socialiste révolutionnaire, reste une question-clé.

    Le Brésil, crucial pour l’ensemble du continent

    Le pays le plus crucial pour le CIO en Amérique latine reste le Brésil, en raison de son importance régionale et de la base impressionnante que nous avons construit dans ce pays depuis de nombreuses années. Économiquement, il est passé du statut de LA puissance régionale à la croissance la plus faible de tous les pays du «BRICS» (= Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Le « Lulaisme », précédemment une référence pour le capitalisme dans la région, fut pour la première fois cette année confronté à l’explosion massive de la colère de la rue. Alors que la présidente Dilma Roussef reste relativement forte et est encore susceptible de gagner les prochaines élections présidentielles, la stabilité de son gouvernement, autrefois incontestée, a été mis en doute pour la première fois. André a expliqué comment un nouveau facteur est entré sur la scène politique – « la rue ».

    Luciano, également membre de LSR (CIO au Brésil) a parlé du mouvement massif qui a explosé en juin, en expliquant que si son déclenchement fut la hausse des prix de transport, en réalité, il s ‘agissait d’une révolte généralisée contre tout l’ordre des choses. L’accueil de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques, et les millions gaspillés sur des projets d’infrastructure massifs pour faciliter ce processus, a permis d’exposer les inégalités abyssales, où des millions de personnes croupissant dans les favelas se font dire qu’il n’y a « pas d’argent » pour améliorer leur sort.

    Ce mouvement n’était pas un évènement isolé, mais l’aboutissement d’un processus de remontée des luttes des travailleurs et des luttes sociales en général, déjà évident en 2012 (l’année du plus grand nombre de grèves au Brésil depuis 16 ans). Cette année a vu une nouvelle vague de lutte des travailleurs, y compris une grève de 300.000 travailleurs de l’administration publique qui a duré pendant des mois ainsi que l’immense grève des enseignants dans l’État de Rio de Janeiro, dans lequel les camarades de LSR ont joué un rôle crucial.

    Comme dans d’autres pays, le mouvement a été marqué par une répression brutale, avec l’usage industriel de tirs de balles en caoutchouc et beaucoup d’emprisonnements arbitraires. La répression a été renforcée sous toutes ses formes, mais plus particulièrement par la police militaire dans les favelas. Cependant, il y a eu un changement important dans l’état d’esprit des opprimés, en particulier dans la jeunesse, qui a perdu la peur. Cette nouvelle confiance a également été affichée dans la façon dont le mouvement a répondu à la victoire partielle obtenue lorsque les prix des transports ont été réduits: au lieu de s’arrêter, les protestations se sont multipliées, non seulement par leur taille, mais aussi en terme de revendications et d’exigences plus radicales et plus profondes.

    Si un certain « sentiment anti-parti » existait dans le mouvement, cela doit être en pris en compte afin d’aider à développer la compréhension de la nécessité d’un instrument politique pour la lutte. LSR a réussi à recruter des couches significatives de gens issus du mouvement, malgré cet état d’esprit complexe.

    La nécessité que le « PSOL » (= Parti pour le Socialisme et la Liberté, une formation large de gauche dans laquelle nos camarades sont impliqués) de se développer comme une force de masse, de lutte, et indépendante de la bourgeoisie, afin de donner une voix politique à ces luttes et les doter d’un programme socialiste, est cruciale pour pouvoir surmonter la crise de direction politique qui existe au sein de ce parti. Malheureusement, l’aile droite du parti a réussi à frauduleusement maintenir sa majorité lors du récent congrès du PSOL; toutefois, le bloc de gauche au sein duquel LSR participe a également émergé renforcé dans sa lutte contre les accords de coalition sans scrupules avec les partis bourgeois prônés par l’aile droite, et pour l’adoption d’un programme véritablement socialiste. Paolo Eduardo Gomes, conseiller municipal pour le PSOL à Niteroi, et proche collaborateur de LSR, était invité à la réunion du CEI et a également parlé lors de cette session, soulignant l’urgence et la nécessité pour le PSOL de se développer comme une force socialiste combative.

    Chili

    Cette année, les élections présidentielles au Chili ont aussi reflété l’entrée dans une nouvelle ère. Encore une fois, c’est le reflet avant tout d’une reprise de la lutte de classes, en particulier suite au mouvement de masse mené par les étudiants en faveur d’un enseignement gratuit, soutenu au cours des dernières années. La coalition de la « nouvelle majorité » que Michèle Bachelet a conduit au pouvoir est en fait davantage une « nouvelle minorité », sachant que la majorité des électeurs se sont abstenus au premier et au deuxième tours, ce qui reflète une désillusion de masse et une méfiance profonde dans le système politique.

    Patricio Guzman, de Socialismo Revolucionario (SR, le CIO au Chili), ainsi que d’autres camarades, ont expliqué la situation actuelle dans ce pays. En vue d’assurer sa réélection, Bachelet a eu besoin de la couverture de gauche du Parti Communiste, lequel s’est incorporé récemment dans la coalition de la Concertation et est maintenant susceptible d’entrer dans le gouvernement de Bachelet. Dans ce contexte, la nécessité d’une gauche indépendante, challengeant le pôle Bachelet -lequel a déjà gouverné à l’aide de politiques néo-libérales entre 2005 et 2009 – s’imposait plus que jamais. Le candidat qui de prime abord se profilait pour remplir cet espace fut Marcel Claude, autour duquel un mouvement (« Todos a la Moneda ») s’est développé. SR a été impliqué dans le développement de ce mouvement depuis ses débuts, et présenta des candidats pour le conseil régional et les listes du Sénat, remportant des résultats très respectables (Celso Calfullan a remporté 16.000 votes pour le conseil régional, et Patricio Guzman 13.000 pour le Sénat).

    SR est cependant intervenu dans cette campagne en étant conscient des limites et des contradictions de celle-ci. Marcel Claude a commencé la campagne avec un discours et un programme assez radical, exigeant par exemple la nationalisation du secteur du cuivre et de toutes les ressources naturelles, ainsi qu’une Assemblée constituante pour en finir avec la constitution de Pinochet -laquelle est toujours en vigueur. Cependant, au cours de la campagne, il a commencé à se déplacer vers la droite, édulcorant sensiblement son discours, allant même à un certain point jusqu’à nier qu’il était de gauche! Cela a eu un impact concret sur ​le développement de sa campagne. Bien qu’il avait initialement rassemblé des milliers de supporters à des rassemblements de masse -dont de nombreux jeunes et étudiants-, et était prédit dans les sondages de résultats avoisinant les 7 %, la campagne a perdu son élan au fur et à mesure que les élections approchaient, et Claude n’a finalement obtenu que 2,8 %.

    Patricio a aussi expliqué comment le soutien de SR pour cette campagne a été combinée avec une intervention politique opposant au programme de Marcel Claude un programme clairement socialiste, revendiquant la propriété publique et la gestion démocratique par les travailleurs des grands moyens de production. Nous avons également durant la campagne aidé à organiser les secteurs les plus avancés du mouvement des jeunes et des travailleurs, au travers du «Front des travailleurs pour Marcel Claude » qui implique la fédération, très militante, des employés de banque, et un certain nombre de groupes d’extrême gauche. Grâce à ce front, nos camarades ont pu faire avancer le débat sur la nécessité de poursuivre la construction d’une alternative politique ouvrière de masse après les élections. Pour cette raison, ce front ouvrier a été maintenu, et Socialismo Revolucionario, qui a connu une croissance importante dans les derniers mois, va se battre pour faire en sorte que ce front se développe selon des lignes socialistes, comme une étape vers un nouveau parti de masse servant les intérêts de la classe ouvrière.

    La réunion a débattu de la question de savoir comment est-ce que les marxistes révolutionnaires se positionnent vis-a-vis de premiers pas, dans un sens large, vers la recomposition de la gauche et du mouvement ouvrier, comme on l’a vu lors de la récente campagne chilienne; de telles initiatives en effet, tout en représentant des pas en avant importants, n’ont pas à ce stade un caractère socialiste ou même de classe clairement défini. Le CIO souligne à chaque étape la nécessité de lutter au sein du mouvement pour une politique socialiste révolutionnaire, et pour la construction de forces de masse indépendantes, par et pour la classe ouvrière, en maintenant bien haut la bannière du marxisme révolutionnaire. Cependant, comme Tony Saunois l’a entre autres expliqué, dans cette lutte, nous devons être prêts à nous engager dans des initiatives et des formations qui attirent de nouvelles couches de travailleurs et de jeunes dans la lutte contre l’austérité, contre le capitalisme et l’oppression, avec la compréhension que ces initiatives représentent des étapes transitoires et vivantes dans le processus de recomposition de la gauche et du mouvement ouvrier organisé. Ce dernier, jamais et nulle part, n’a pris directement une forme « pure », mais s’est au contraire toujours formé dans des batailles avec d’autres courants et confusions politiques existantes. Cette méthode a permis à nos forces d’intervenir avec succès dans des formations plus larges au Chili et au Brésil, mais aussi en Europe.

    Vénézuela et Bolivie

    La nouvelle phase de crise et d’instabilité sur le continent a également secoué les pays-clés du processus révolutionnaire « bolivarien » des 10-15 dernières années. Johan Rivas, de Socialismo Revolucionario (CIO au Vénézuela) a expliqué comment la mort de Chavez a ouvert une nouvelle situation dans laquelle les contradictions du processus bolivarien, longtemps expliqués par le CIO, ont été mises à nu. La base fondamentale de cela est que, malgré les réformes progressistes et les nationalisations mises en œuvre par le « chavisme » au cours des 15 dernières années, le capitalisme n’a à aucun moment été complètement renversé. Cela a conduit à une situation dans laquelle, sous l’impact d’une crise économique profonde – avec des éléments de « stagflation » (stagnation économique + inflation) – la droite, précédemment discréditée et désorientée, a été en mesure de faire des gains importants, et ce y compris parmi la base du chavisme, comme en témoigne les dernières échéances électorales. Entre la réélection de Chavez en novembre dernier et l’élection de son successeur Nicolas Maduro en avril, le chavisme a perdu 2 millions de votes, une tendance qui a été maintenue par la suite dans les élections législatives et locales.

    Alors que l’énorme autorité et le charisme de Chavez avaient contribué à maintenir la stabilité et l’unité du gouvernement dans ces conditions, son remplacement par Maduro ouvre une situation beaucoup plus instable. La «guerre économique» menée par les patrons et la droite, à laquelle Maduro fait référence, est en réalité facilitée par les politiques du gouvernement, qui inclut des éléments de conciliation avec le secteur privé et l’impérialisme, et il existe une aile au sein du chavisme lui-même qui est en train de flirter avec certains secteurs de l’opposition. Il y a aussi une fissure croissante entre les ailes civile et militaire au sein du gouvernement, cette dernière ayant été renforcée depuis la mort de Chavez.

    Dans cette situation, la seule force capable d’empêcher durablement un retour au pouvoir de la droite, et de mettre un terme à la situation économique difficile des masses, est la classe ouvrière qui doit lutter pour sa propre expression politique indépendante, afin de lutter pour une rupture révolutionnaire avec le capitalisme. SR se bat pour le développement d’une gauche alternative pour les travailleurs et es pauvres, s’appuyant sur la base militante du chavisme et sur les secteurs-clés des travailleurs en lutte, lesquels ont mené des mouvements de grève importants dans les derniers mois, y compris des occupations et la mise en œuvre du contrôle ouvrier au niveau local.

    En Bolivie, le gouvernement de Morales s’est tourné contre sa propre base, les travailleurs et les paysans, de manière plus décisive, avec un certain nombre de nouvelles mesures anti-ouvrières, en particulier la nouvelle loi sur les pensions implémentée cette année. Cela, à son tour, a provoqué une nouvelle vague de lutte contre ces mesures, dont le point culminant fut la grève générale illimitée de la confédération syndicale COB, qui a duré une semaine. Plus important encore, l’idée de construire un parti des travailleurs – dont l’absence fut une des principales faiblesses du mouvement révolutionnaire qui a mené Morales et son parti, le MAS, au pouvoir – a été reprise par des secteurs avancés du mouvement ouvrier. Cela a conduit à l’importante initiative lancée par la COB en février, pour la construction d’un nouveau parti des travailleurs (PT). Cependant, le développement futur de cette initiative n’est pas clair à ce stade. Franco d’ASR (Alternativa Socialista Revolucionaria, la section du CIO en Bolivie) a souligné combien il est nécessaire de lutter pour l’indépendance continue du PT vis-à-vis du gouvernement, et pour son renforcement en tant que force politique de masse dotée d’un programme révolutionnaire, plutôt que de le voir transformer en un simple outil de négociation pour la bureaucratie syndicale du COB.

    Cuba

    La discussion a été profondément enrichie par la présence importante, pour la première fois, d’un représentant d’Observatorio Critico, un réseau cubain de militants de gauche. Rogelio a expliqué les contradictions croissantes qui ont émergé dans la société cubaine sur la base des nouvelles réformes pro-marché limitées mises en œuvre par le gouvernement de Raul Castro. Alors que pour beaucoup au sein de la bureaucratie cubaine, ces réformes signifient le début d’un processus en vue du rétablissement de l’économie de marché, Tony Saunois a expliqué qu’il serait erroné de croire qu’un tel processus à Cuba sera une simple répétition de l’effondrement de l’URSS ou du processus d’ouverture au marché capitaliste tel qu’il s’est effectué en Chine. Les racines profondes des gains de la révolution cubaine dans la conscience de millions de Cubains signifie que dans les faits, un tel processus peut être ralenti ou même inversé sous la pression des événements et des masses. Cette discussion a mis au jour la nécessité pour les marxistes révolutionnaires d’approfondir la compréhension de la révolution cubaine et surtout de sa situation actuelle, afin d’approfondir et d’élaborer le programme nécessaire pour la défense de la révolution contre l’impérialisme, et son approfondissement sur la base de la démocratie ouvrière et du socialisme international.

    André Ferrari a conclu la discussion, en soulignant les possibilités importantes de croissance pour le CIO, en taille et en influence, dans la période à venir, y compris la possibilité de pénétrer de nouveaux pays comme la Colombie ou le Pérou. La nouvelle conjoncture passionnante qui s’ouvre en Amérique Latine verra ce continent propulsé une fois encore vers l’épicentre de la situation, et de la révolution, mondiale. Les pas importants qui ont été faits par le CIO au Brésil, au Chili, au Vénézuela et ailleurs serviront à améliorer considérablement la possibilité pour que les idées du socialisme révolutionnaire soient situées dans la ligne de front des batailles et des victoires de la classe ouvrière en Amérique Latine dans la période à venir, dans la lutte pour une confédération socialiste de la région.

  • École d'été du CIO : Nouvelles révoltes en Amérique latine

    La discussion sur l’Amérique latine à l’École d’été du CIO 2013 a été introduite par notre camarade Johan Rivas, militant du CIO au Venezuela dans le groupe Socialismo Revolucionario. Johan a remarqué l’ouverture d’une nouvelle période dans la situation en Amérique latine, au moment où la “Grande Récession” atteint maintenant le continent, surtout vu le début de la crise en Chine. Les répercussions se sont fait sentir sous la forme d’une nouvelle période de lutte de classe et de crise capitaliste à travers toute la région. Une partie de ce processus inclut, selon Johan, une intensification des tensions entre impérialistes et des conflits économiques, avec la lutte d’influence dans la région entre la Chine et les États-Unis. Ce contexte coïncide avec un renouveau de la lutte de classe – comme on l’a vu avec une vague de grèves de masse au Mexique dans le cadre de la lutte contre la privatisation de la compagnie pétrolière d’État, et avec une grève générale en Bolivie.

    Rapport de Laura Fitzgerald Socialist Party (CIO-Irlande)

    Le Venezuela après Chavez

    Johan a expliqué la manière dont le récent décès de Hugo Chavez dans son pays a amené une complication de la situation au Venezuela. D’un côté, l’ère Chavez a vu s’accomplir de nombreuses réformes sociales, l’activation et la politisation des masses. D’un autre côté, les acquis des masses sont aujourd’hui menacés non seulement par l’opposition de droite (malgré toutes les tentatives rusées de cacher son caractère réactionnaire), mais aussi par la bureaucratisation au sein du camp Chavez, par les couches pro-capitalistes de son régime qui se sont enrichies grâce au pouvoir, par la corruption et l’affairisme. Ce processus est maintenant en train de discréditer l’idée de “révolution bolivarienne”.

    Après la victoire électorale de Chavez en 2006, après que les masses se soient mobilisées pour faire obstacle à une nouvelle tentative de coup d’État de la droite, Johan a expliqué qu’entre 60 % et 70 % de la population soutenait l’idée de la nationalisation des secteurs-clés de l’économie, et que 70 % étaient favorables à l’idée de progresser vers le “socialisme”, même si la notion même de ce que signifiait le mot “socialisme” était certainement très floue aux yeux de beaucoup. À présent, en 2013, Johan affirme que la conscience a fortement reculé à cause de la bureaucratisation massive du régime sur lequel s’appuyait Chavez. Cette bureaucratisation s’est produite à la suite de la mise en œuvre de plusieurs contre-réformes, malgré la nature somme toute limitée des réformes qui avaient pu être accomplies grâce à richesse tirée de la nationalisation du pétrole et malgré le fait que ces réformes avaient été mises en œuvre d’une manière qui n’empiétait pas le moins du monde sur les relations économiques capitalistes.

    Johan a soulevé la possibilité que les complications issues de toute cette situation pourraient paver la voie à un retour de la droite au pouvoir, qui se produirait très certainement par la voie électorale plutôt que par une nouvelle tentative de coup d’État, bien qu’on ne puisse pas exclure la possibilité d’un tel coup. De tels développements auraient certainement un effet sur les masses du monde néocolonial qui considéraient, jusqu’à un certain point, Chavez et le Venezuela comme une source d’espoir et d’inspiration.

    Cependant, il faut également prendre en compte le fait que la droite elle-même est assez divisée, et que cela pourrait entraver ses chances de succès lors des élections municipales de cette année. D’un autre côté, des fissures sont aussi apparues au sein du parti chaviste, le PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela), avec notamment une cassure grandissante entre l’aile militaire et l’aile civile. On le voit notamment avec un certain virage à gauche dans certaines sections PSUV et dans leurs discours un peu partout dans le pays. Johan a expliqué la manière dont CIO au Venezuela utilise une large de gamme dans ses efforts visant à gagner les couches avancées des travailleurs, des pauvres et des jeunes à un programme socialiste révolutionnaire. De telles tactiques incluent un certain élément de travail parmi la base du PSUV, et aussi un travail afin de construire un front uni de la gauche en-dehors du PSUV, tout comme les camarades du CIO se battent pour l’adoption d’un programme révolutionnaire au sein de ce dernier.

    Une nouvelle ouverture pour les idées trotskistes quant au destin de Cuba

    Johan a ensuite donné un compte-rendu de ce qu’il sait des processus très intéressants qui sont en train de se dérouler en ce moment à Cuba. Raul Castro a adopté toute une série de contre-réformes qui ont orienté l’économie dans une direction capitaliste, mais ce processus est loin d’être complet.

    Johan a remarqué à quelle point la jeunesse est la plus en faveur de réformes politiques, tandis que la vieille génération est extrêmement sceptique et vigilante par rapport à ces réformes, vu qu’elle craint ce qui pourrait arriver aux systèmes de santé et d’enseignement cubain, qui sont parmi les meilleurs du monde, et qui représentent les plus importants acquis de la révolution. Johan a également mentionné les réformes au sein du Parti communiste cubain lui-même – les LGBT peuvent maintenant rejoindre le parti et y participer, avec pour conséquence l’élection d’un maire ouvertement LGBT dans une des provinces, une grande première depuis le début de la révolution.

    Johan a illustré l’ouverture qui existe quant à une analyse trotskiste du stalinisme, pour un programme qui mentionne la nécessité d’une révolution politique afin de démocratiser l’État et l’économie planifiée, pour le contrôle et la gestion de l’économie par les travailleurs, et pour un changement qui associerait la perspective mondiale d’une remise en question du capitalisme par la classe ouvrière sur le plan mondial, qui puisse véritablement amener la perspective d’une transformation socialiste et démocratique, et du socialisme.

    Des explosions convulsives au Brésil

    Notre camarade Ricardo Baross Filho, syndicaliste et membre du groupe Liberdade, Socialismo e Revolução (CIO-Brésil) à Rio de Janeiro, a donné la deuxième partie de l’introduction, qui s’est concentrée sur l’explosion convulsive de lutte de masse antigouvernementale que nous avons vu partout au Brésil ces dernières semaines. Ricardo a entamé son commentaire en replaçant le “lulaïsme” en perspective. Lorsqu’il a été élu il y a dix ans, le gouvernement PT (“Parti des travailleurs”) de Lula a donné aux capitalistes une porte de sortie. Malgré son ancien caractère de parti ouvrier, et les immenses espoirs que toute une couche de travailleurs et de pauvres avaient placés en lui, le PT une fois au gouvernement a appliqué une politique néolibérale, caractérisée par un strict équilibre budgétaire, des privatisations (moins que les gouvernements avant lui, mais tout de même), et la corruption.

    Tout le succès de ce modèle reposait sur les exportations, surtout de matières premières pour satisfaire la forte demande chinoise.

    Ricardo a expliqué la manière dont les améliorations dans la vie de toute une couche de la classe ouvrière ont été effectuées dans l’esprit du néolibéralisme, via des subsides étatiques à l’industrie privée sous forme de partenariats public-privé, comme dans le secteur du logement, ou avec l’introduction d’universités privées payantes pour les jeunes.

    Le populisme de Lula s’est illustré dans son incorporation de la CUT (Central Única dos Trabalhadores), la principale fédération syndicale au gouvernement (le président de la CUT a été nommé ministre du Travail). La classe dirigeante brésilienne voulait poursuivre sur la lancée de Lula, mais l’élection de Dilma en 2010 a ouvert un nouveau chapitre de l’histoire, a expliqué Ricardo. Des problèmes économiques sont en train de faire surface, et Dilma n’a pas la base sociale dont bénéficiait Lula. La baisse de la popularité de Dilma est à placer dans son contexte de continuation de la politique néolibérale afin de saper les droits des travailleurs. On voit cela avec le projet de loi selon lequel les droits des travailleurs (comme le droit à des congés maternités, aux congés-maladies payés, etc.) pourraient être renégociés dans le cadre de conventions syndicales, permettant ainsi aux patrons d’attaquer les droits des travailleurs entreprise par entreprise.

    L’impopularité croissante de Dilma illustre la perte de vitesse du “lulaïsme”, ce qui est très important vu ce que son régime représentait. Cela est aggravé par les problèmes économiques – la croissance du PIB l’an passé n’était que de 0,9 %, et les perspectives pour cette année sont d’à peine 2 %. Le règne de Dilma voit réapparaitre l’inflation, une cherté de la vie croissante en ce qui concerne les prix des denrées de base, ce qui est un problème majeur pour les masses pauvres partout dans le pays. Dilma parle beaucoup de son approche “responsable” en termes de fiscalité – toutes les dettes seront payées, etc. La réalité est que, comme l’a dit Ricardo, le joli vernis appliqué sur le gouvernement et le capitalisme brésilien s’était usé bien avant que l’éclatement de la récente lutte de masse.

    Éclatement de la lutte

    Ricardo a remarqué que l’année passée a connu le plus grand nombre de grèves au Brésil depuis bien des années. Des grèves larges se sont produites dans le secteur public comme dans le privé, avec par exemple une grève de deux mois dans les universités fédérales. Avant l’important éclatement de la lutte de masse, toute une série de mouvements locaux avaient remporté des victoires contre la hausse du cout des transports publics, ce qui a donné une grande confiance aux travailleurs et à la jeunesse. La colère face à la brutalité qui a été employée contre la première vague de manifestants par la police de São Paulo a contribué à l’extension et à l’intensification du mouvement. Les manifestants contre la hausse du cout des transports publics ont commencé à remettre en question le fait que des millions soient dépensés pour construire des stades pour les JO et pour la Coupe du monde, contrairement au budget de misère octroyé à l’enseignement et à la santé.

    Ricardo a remarqué l’incroyable soutien de masse dont a bénéficié le mouvement – selon un récent sondage, 89 % de la population le soutient. Étant donné l’inexpérience et la nature de masse des mouvements – la plupart des participants en étaient à leur toute première manifestation – des éléments d’extrême-droit ont tenté d’intervenir de manière rusée dans ces mouvements avec pour objectif de les détourner à leur avantage. Les membres de LSR (CIO-Brésil), a expliqué Ricardo, ont aidé à organiser la protection des militants de gauche contre ces éléments d’extrême-droite. Ricardo a également expliqué, cependant, l’énorme ouverture des manifestants, ce qui a eu pour conséquence une très importante croissance de LSR grâce à notre intervention dans ce mouvement. LSR met également en avant le fait que la tâche de la gauche dans ce mouvement est cruciale – son rôle est d’assurer le fait que l’énergie du mouvement ne retombe pas – ce mouvement représente une chance de construire de nouvelles organisations de et pour la classe ouvrière et la jeunesse, qui pourraient devenir plus importantes que le PT ou la CUT ne l’ont jamais été.

    Le PSoL

    Ricardo a donné des éclaircissements quant à notre participation ininterrompue au sein de la coalition de gauche large qu’est le PSoL (Partido Socialismo e Libertade, mais “Sol” veut aussi dire “Soleil”). Ricardo a remarqué que le PSoL associe de très impressionnants militants de gauche et des dirigeants de mouvements sociaux, partout au Brésil. Le fait que le PSoL ait grandi électoralement ces dernières années illustre son potentiel en tant que possible futur pôle de gauche au Brésil. La plus grande menace, selon Ricardo, est qu’une puissante aile droite au sein de l’organisation la pousse vers des coalitions avec des forces pro-austérité.

    Ricardo a aussi défendu la nécessité d’une nouvelle confédération syndicale au Brésil. Il a souligné l’incapacité de la CUT, qui ne parvient pas à véritablement représenter les besoins des travailleurs. Il a parlé du rôle positif de la CSP-Conlutas (Central Sindical e Popular – Coordenação Nacional de Lutas) dans laquelle participent de nombreux militants LSR, qui en termes de programme et d’action, est loin devant la CUT. CSP-Conlutas joue également un rôle important dans l’organisation des travailleurs intérimaires, des jeunes chômeurs, des luttes sociales et des mouvements des pauvres, et dans la coordination entre ces luttes et le mouvement syndical.

    Discussion sur le caractère du mouvement au Brésil

    Au cours du débat, sont intervenus des camarades de France, du Brésil, de Suède, d’Autriche et d’Allemagne. Les sujets abordés incluaient la situation politique au Honduras, plus d’analyses sur les mouvements de masse qui ébranlent toujours le Brésil, et des points concernant le mouvement syndical et le parti PSoL au Brésil. Notre camarade Christina du Brésil a contribué au débat en insistant sur le rôle de la jeunesse dans le mouvement de protestation au Brésil. Elle a fait remarquer qu’un sondage réalisé au début des manifestations à São Paulo révélait que 71 % des participants en étaient à leur toute première action. Christina a replacé la participation des jeunes au mouvement dans son contexte, en parlant des difficultés en ce qui concerne le chômage des jeunes et les contrats précaires dans le secteur privé pour les jeunes, en plus de l’oppression, du racisme, de la violence policière et de la misère dégradante qui touchent beaucoup de jeunes noirs dans les favelas (quartiers pauvres).

    Notre camarade Mariana, de France, a abordé la question du nationalisme au Brésil. Elle a expliqué l’incapacité de la plupart de la gauche à aborder ce problème. La présence de drapeaux brésiliens lors des manifestations représente, à un certain degré, la faiblesse de la conscience qui existe. Certains groupes de gauche ont évité cette question, soit en rejetant les manifestations qualifiées selon eux de “réactionnaires”, soit en disant que ces drapeaux étaient une expression de l’“anti-impérialisme”. La réalité est que le “lulaïsme”, en tant que phénomène purement bourgeois, a rehaussé le nationalisme et un sentiment de “collectivité” qui était conçu afin de gommer les frontières entre classes et faire disparaitre les divisions de classe, afin de défendre les intérêts du capitalisme et de désarmer la classe ouvrière. Il existe toujours des restes de tout ceci, qui sont présents dans le mouvement, mais qui existent cependant aux côtés d’un virage clair vers la gauche dans la conscience des travailleurs. Une intervention appropriée de la gauche dans le mouvement, qui exprime les aspirations des travailleurs et des jeunes, qui donnerait une direction claire au mouvement, et qui mettrait en avant la nécessité de la solidarité et de la lutte à travers toute l’Amérique latine et dans le monde entier, pourrait avoir un énorme impact.

    Au moment de la conclusion du débat, le consensus qui s’était dégagé était de souligner les nouvelles opportunités qui se présentent dans ce qui est une nouvelle étape de la crise du capitalisme en Amérique latine, et potentiellement un nouveau chapitre de l’histoire du mouvement prolétaire dans la région. Les camarades se sont mis d’accord sur le fait qu’il faudrait approfondir la discussion quant aux processus contradictoires qui se déroulent à Cuba et au Venezuela, et finalement, quant aux formidables développements au Brésil. Ce pays extrêmement important, qui a une énorme influence sur l’ensemble du continent, tant sur le plan économique que politique, a été considéré comme un indice du potentiel qu’ont les idées socialistes et les luttes de se redévelopper à l’échelle de tout ce continent, avec son histoire si riche en enseignements pour la lutte et pour la révolution.

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