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  • Histoire révolutionnaire – La guerre d’indépendance algérienne 1954-1962


    En 1962, la “guerre d’Algérie”, l’un des conflits anticolonialistes les plus longs et les plus sanglants, se terminait par la victoire des combattants algériens contre l’impérialisme français. L’Algérie était sous domination coloniale française depuis 132 ans. Elle était le “vaisseau amiral” de l’empire colonial français.

    Par Serge Jordan, article initialement écrit pour le 50e anniversaire de l’indépendance

    Une politique de ségrégation raciale et de dépossession massive des terres s’est faite au détriment des populations autochtones. La grande majorité des Algériens étaient maintenus dans une pauvreté écrasante et subissaient une discrimination salariale systématique, ce qui garantissait d’énormes profits aux grandes entreprises françaises.

    Au début du conflit, en 1954, un million de colons européens – dont 79 % étaient nés en Algérie – coexistaient avec neuf millions d’Algériens. Il existait également une importante communauté de Juifs. Au sommet de l’échelle des colons se trouvaient une petite clique détenant le pouvoir économique et politique. L’écrasante majorité des colons, cependant, était pauvre. Dans les années 1950, leur niveau de vie moyen était inférieur de 20 % à celui de la France.

    Après la Seconde Guerre mondiale, le militantisme et les luttes nationalistes n’ont cessé de croître dans tout le pays, dans le contexte des luttes indépendantistes qui éclataient au niveau international. Cela a coïncidé avec des vagues sans précédent de grèves ouvrières et un désir massif de changement social. Dans de nombreux cas, ces conflits impliquaient des travailleurs algériens et français.

    Le 1er novembre 1954, le FLN (Front de libération national) lança une série d’attaques de type guérilla dans différentes parties du territoire, en visant les bases de la puissance coloniale. Le FLN était une organisation nationaliste composée de militants radicaux qui, lassés du conservatisme et du réformisme croissants des forces nationalistes traditionnelles, avaient décidé d’”allumer la mèche” d’une révolte générale contre la domination française.

    L’armée française a répondu par une terreur systématique, impliquant l’incendie de villages, la création de camps de concentration de fortune, des exécutions sommaires et la torture pratiquée à grande échelle. Cette violence a mis en évidence le visage brutal du capitalisme français – la prétendue France des “droits de l’homme”.

    Les ondes de choc

    Dès le début de la révolte coloniale, des dizaines de villes françaises furent touchées par des conflits sociaux explosifs tandis que des vagues de mutineries éclataient parmi les appelés refusant d’aller se battre pour l’”Algérie française”. Au fur et à mesure que la guerre avançait, le soutien au régime colonial a décliné à la vitesse de l’éclair. Les conséquences financières de la guerre commencèrent à créer un déficit budgétaire bientôt incontrôlable.

    Mais la sauvagerie inégalée déployée sur le sol algérien par le régime autoritaire de Charles de Gaulle – qui avait pris le pouvoir en France par un coup d’État parlementaire en 1958 – s’est révélée incapable de mettre fin à la guerre.

    L’offensive lancée par les troupes françaises en 1959 avait presque achevé l’ALN, la branche armée du FLN, en tant que force combattante. Mais le lourd tribut payé, politiquement et socialement, affectait directement la confiance et la capacité de la classe dirigeante française à poursuivre la guerre.

    Les manifestations massives pro-FLN de décembre 1960, où les masses algériennes urbaines se sont déversées spontanément dans les rues en faveur de l’indépendance, à une échelle dépassant largement les prévisions du FLN, ont constitué un tournant. En outre, en avril 1961, la masse des soldats français s’est rebellée contre une tentative de coup d’État des généraux.

    De Gaulle a dû lutter désespérément pour reprendre le contrôle de l’armée. À Blida (Nord), les conscrits se sont emparés de la principale base militaire, ont arrêté leurs officiers et ont hissé le drapeau rouge de la révolution !

    De Gaulle savait qu’il devait agir sous peine de perdre le contrôle. À ce moment-là, la question est devenue celle de la gestion d’une retraite ordonnée de l’impérialisme français. C’est ce qui s’est finalement produit avec la signature des “accords d’Évian” entre le FLN et le gouvernement français en mars 1962, ouvrant la voie à une Algérie indépendante.

    L’absence d’un parti prônant un programme pour l’unité de la classe ouvrière, en France mais aussi, de manière cruciale, en Algérie, a été un facteur clé dans la canalisation de la lutte anticoloniale sur des lignes nationalistes. Le Parti communiste algérien a perdu de plus en plus le soutien de l’opinion publique car sa direction se faisait l’écho de la politique du Parti communiste français – PCF.

    Le FLN a cherché à prendre le pouvoir par la force militaire, avec une armée essentiellement basée sur la paysannerie et la population urbaine défavorisée. De manière significative, les six fondateurs du FLN étaient tous issus d’une élite rurale appauvrie par le colonialisme ; leur monde était l’Algérie rurale et aucun d’entre eux n’avait eu d’interaction prolongée avec le mouvement ouvrier.

    Au lieu d’orienter leurs efforts vers la construction d’un combat commun à tous les travailleurs et les pauvres, et d’essayer de diviser les colons européens sur une base de classe – y compris en donnant des garanties à la minorité européenne que ses droits seraient respectés – la plupart des dirigeants du FLN avaient une vision purement nationaliste, et n’avaient aucun programme pour développer le pays une fois l’indépendance obtenue.

    Leurs méthodes consistaient notamment à bombarder des lieux publics fréquentés par des civils européens de la classe ouvrière et de la classe moyenne. Ces actions ont contribué à diviser les travailleurs algériens et non algériens, et à pousser les colons en masse dans les bras de la réaction pro-coloniale. À l’automne 1962, 99 % des colons européens avaient quitté le pays par crainte de représailles, ce qui a constitué l’une des plus grandes migrations de population du XXe siècle.

    Aucune solution

    Malgré le courage et l’héroïsme de nombreux combattants et sympathisants pro-FLN, leurs efforts n’ont pas abouti aux changements qu’ils avaient espérés et pour lesquels ils s’étaient battus.

    Après l’indépendance, le régime qui a pris le pouvoir en Algérie était un État à parti unique sous la coupe d’une puissante machine militaire. Cette situation était le résultat direct des structures et des méthodes militaires adoptées par les dirigeants du FLN.

    En effet, la participation massive et démocratique de la classe ouvrière – la seule force collective capable de renverser le capitalisme et de construire le socialisme – était considérée par la bureaucratie militaire émergente du FLN avec suspicion et comme une menace pour son propre pouvoir.

    En équilibre entre le capitalisme et le stalinisme, le régime algérien a pu maintenir pendant un certain temps un “cap à mi-chemin”, impliquant des nationalisations partielles qui ont contribué à développer les infrastructures, la santé et l’éducation. Mais à la suite de la chute du bloc stalinien, il s’est déplacé plus à droite et a adopté des privatisations massives et des contre-réformes néolibérales qui ont conduit à un profond désastre pour la masse de la population.

    L’Algérie aujourd’hui

    Aujourd’hui, malgré ses riches réserves de pétrole, la plupart des Algériens sont privés de tout semblant de conditions de vie décentes. Pour la majorité des Algériens, dont le pays est miné par la pauvreté, la corruption et la violence, l’anniversaire de l’indépendance n’a guère de raison d’être célébré.

    La capitale, Alger, a été classée parmi les villes les moins viables du monde. Le “Code de la famille”, notoirement rétrograde, consacre le statut de mineure à vie des femmes. Les élections sont falsifiés, les conditions de logement sont épouvantables, les abus policiers généralisés.

    La génération post-indépendance constitue désormais la grande majorité de la population et n’éprouve que de la colère envers l’élite corrompue au pouvoir.

    À la lumière des récentes luttes de masse qui ont embrasé la région nord-africaine, le temps est venu pour cette nouvelle génération de réapprendre les leçons de la lutte pour laquelle environ un million de leurs ancêtres ont sacrifié leur vie.

    La gauche française

    La vision dominante de la question algérienne au sein de la SFIO “socialiste” (section française de la Deuxième Internationale) peut être résumée par les mots d’un député SFIO qui déclarait : ” Nous voulons que les hommes d’Algérie soient plus libres, plus fraternels, plus égaux, c’est-à-dire plus français. ”

    L’un des points essentiels sur lesquels la Troisième Internationale, communiste, se différenciait de la Deuxième Internationale était son soutien inconditionnel aux luttes de libération nationale contre le colonialisme. Mais la dégénérescence stalinienne de la Russie soviétique avait mis en lambeaux ces principes.

    Alors que dans les années 1920, le Parti communiste français (PCF) avait joué un rôle de premier plan dans l’organisation de l’opposition à la guerre franco-espagnole du Rif au Maroc, dans les années 1950, ce parti était devenu un appendice soumis à la diplomatie stalinienne, défendant la “défense nationale”, les alliances avec les forces pro-capitalistes et tentant de freiner les luttes ouvrières et anticoloniales.

    Malgré le militantisme indépendantiste de nombre de ses membres et sympathisants, le PCF a voté, en 1956, en faveur des “pouvoirs spéciaux” accordés au gouvernement dirigé par le “socialiste” Guy Mollet, intensifiant la répression en Algérie et envoyant des centaines de milliers de conscrits sur le champ de bataille.

  • 2019 : Un tournant décisif dans un processus de révolution et de contre-révolution

    Manifestation de masse au Chili. Photo : Wikimedia Commons

    2019 marque un tournant politique certain à l’échelle mondiale. Ces derniers mois, nous avons assisté au développement de luttes de masse et de grèves générales aux caractéristiques révolutionnaires dans le monde entier. Cette explosion massive provient de la colère accumulée à l’égard des dirigeants, de leur néolibéralisme et de l’absence de démocratie. Ces manifestations ont également mis en évidence certains éléments fondamentaux d’une lutte socialiste, notamment la force de la classe ouvrière et la nécessité de l’internationalisme.

    Par Per-Ake Westerlund

    Parallèlement, les gouvernements, les dictateurs et les généraux ont prouvé que la classe dirigeante ne se retirera pas volontairement du pouvoir. Dans plusieurs pays, les manifestants pacifiques et les jeunes militants ont été confrontés à la contre-révolution armée et à la répression brutale.

    A travers le monde, la plupart des gouvernements restent silencieux quant à cette violence de la contre-révolution, ou appellent simplement au “calme”. Les médias parlent d’”affrontements violents” entre les forces de l’Etat et les manifestants. Le fait est que cette “violence” provient partout des attaques lancées par les forces étatiques contre-révolutionnaires lourdement armées, alors que les manifestants ne cherchent qu’à se défendre. En Bolivie, plus de 30 personnes ont été tuées par les forces de l’État au cours des deux dernières semaines, dont huit lors d’un massacre à El Alto le 19 novembre.

    Pour l’impérialisme et les gouvernements, ces événements représentent une vive mise en garde contre les faiblesses de leur système mondial, le capitalisme. Cette vague de protestations de masse prend place dans un contexte de forte croissance des conflits inter-impérialistes et de ralentissement probable de l’économie mondiale, tandis que la crise climatique s’aggrave.

    Les mobilisations de masse continuent de se répandre, l’Iran et la Colombie étant les lieux les plus récents où elles ont éclaté, la semaine dernière. En Iran, à la suite d’une nouvelle hausse drastique des prix du carburant, des manifestations ont eu lieu dans plus d’une centaine de villes. Le fardeau économique que supportent les travailleurs et les pauvres a immédiatement été lié à la dictature théocratique. Le chef suprême, Khamenei, est apparu à la télévision pour condamner les manifestations et défendre que les revenus supplémentaires provenant du carburant étaient destinés aux plus pauvres. La manœuvre n’a fait qu’augmenter la colère et nous avons pu voir des photos de Khamenei être brûlées par les manifestants. En Colombie, la grève générale du 21 novembre, avec 250.000 manifestants, a été suivie par d’autres manifestations dans les jours qui ont suivi pour s’opposer aux privatisations et aux coupes budgétaires dans les pensions. L’État a répondu par un couvre-feu à Bogota et une forte présence policière.

    Les comparaisons avec 2011

    Divers commentateurs ont fait des comparaisons historiques avec les années 1848 et 1968, des années de luttes révolutionnaires et pré-révolutionnaires qui se sont étendues à de nombreux pays. Des comparaisons ont également été faites avec l’année 2011, lorsque le processus de révolution et de contre révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient a renversé Moubarak en Egypte et Ben Ali en Tunisie. Aujourd’hui, près de neuf 9 ans plus tard, la vague de protestations de masse a un caractère beaucoup plus mondial et comporte des revendications sociales plus explicites concernant l’emploi, l’eau, l’électricité, etc.

    Sur le plan politique, les masses ont également tiré la conclusion qu’un changement de régime ne suffit pas à lui seul. Au Soudan, les leçons de l’Egypte, où une nouvelle dictature a été instaurée avec Al-Sisi à sa tête, ont conduit les masses à poursuivre leurs mobilisations après qu’Al-Bashir ait été renversé.

    Par rapport à l’année 2011 et aux autres manifestations de ces dernières années, les luttes de 2019 durent beaucoup plus longtemps. Les manifestations en Haïti ont commencé en février et à Hong Kong en juin. La “révolution d’octobre” au Liban a forcé le Premier ministre Hariri à démissionner après deux semaines, mais elle se poursuit toujours. A la mi-novembre, les employés des banques étaient en grève pour une durée indéterminée, des routes étaient bloquées dans tout le pays et les bâtiments de l’Etat étaient assiégés par des manifestations. L’Algérie a connu des manifestations de masse tous les vendredis, même après que Bouteflika ait été contraint de démissionner, avec notamment pour slogan “Nouvelle Révolution”.

    Les jeunes et les femmes ont joué un rôle de premier plan dans de nombreux cas, sans aucun doute sous l’inspiration des grèves pour le climat de la jeunesse et du mouvement mondial pour l’émancipation des femmes. 7,6 millions de personnes ont participé aux grèves pour le climat en septembre dernier. La prise de conscience sur ce thème est croissante, de même qu’au sujet de la nécessité de construire un mouvement pour obtenir un changement radical de société. Les grèves et les mouvements féministes ont également un caractère international et recourent à l’arme de la grève.

    Là où la classe ouvrière est entrée en action de manière décisive avec des grèves générales et des vagues de grèves, le rapport de force a été très clair : la petite élite s’est retrouvée isolée face à la majorité des travailleurs et des pauvres. Cela a également souligné le rôle économique et collectif de la classe ouvrière, la seule force capable de réaliser une transformation socialiste de la société.

    De nombreuses questions s’entrecroisent dans ces mouvements ; les difficultés économiques et le manque de démocratie, l’oppression sexiste ou encore l’environnement. C’est ce qu’a très bien illustré le mouvement en Indonésie à la fin du mois de septembre. Des protestations étudiantes dans plus de 300 lieux d’études supérieures ont été déclenchées par une loi interdisant les rapports sexuels hors mariage, une loi dirigée contre les personnes LGBTQ+. Mais, immédiatement, les thèmes de la corruption et de la destruction des forêts tropicales ont été intégrés dans les mobilisations.

    “Amusantes et excitantes”

    Les “experts” bourgeois ont de grandes difficultés à expliquer ces mouvements. L’agence de presse Bloomberg souligne qu’il ne s’agit pas de protestations de la classe ouvrière, mais plutôt de “consommateurs” réagissant contre une hausse du coût du carburant, des taxes ou des frais de déplacement. Cela sous-estime totalement les fortes revendications politiques des mouvements. Il est toutefois à noter que, dans la plupart des pays, un mouvement des travailleurs fort, organisé et unifié reste encore à construire.

    La revue The Economist rejette l’idée que ces mobilisations puissent être liées au néolibéralisme et aux politiques appliquées par les gouvernements. Il défend qu’il est “inutile de rechercher un thème commun”, affirme que ces mobilisations sociales peuvent être “plus excitantes et encore plus amusantes que la vie quotidienne épuisante” et avertit que “la solidarité devient une mode”. Cela n’explique rien bien entendu. Pourquoi donc ces protestations de masse prennent-elles place précisément aujourd’hui ? Pourquoi ce genre de “plaisir” n’a-t-il pas toujours été si apprécié ?

    En tant que marxistes, nous devons considérer et analyser à la fois les dénominateurs communs, les forces et les faiblesses de ces mouvements ainsi que les différentes forces de la contre-révolution. Des particularités nationales sont bien entendu à l’oeuvre, mais il existe également de nombreuses caractéristiques communes.

    Que trouve-t-on derrière cette explosion de colère ?

    Il s’agit d’un tournant mondial créé par les profondes crises politiques et économiques que subit le capitalisme, par les impasses et le déclin auxquels ce système est confronté. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (majoritaire) a déjà la question dans de nombreux débats et documents. La classe dirigeante s’appuie politiquement sur le populisme et le nationalisme de droite, dans un système économique de plus en plus parasitaire. La classe capitaliste ne dispose d’aucune issue.

    Contre qui ces manifestations de masse sont-elles dirigées ? Qu’est-ce qui se cache derrière la colère explosive ?

    1) On constate une haine extrême des gouvernements et des partis. Au Liban, le slogan dominant est “tout doit partir”. Contrairement au grand mouvement de 2005, cette revendication s’adresse désormais aussi au Hezbollah et à son leader, Nasrallah. En Irak, le mouvement veut interdire à tous les partis existants de se présenter aux prochaines élections, y compris le mouvement de Muqtada al-Sadr qui a su instrumentaliser les précédentes mobilisations sociales. Les étudiants de Bagdad ont arboré une banderole intitulée “Pas de politique, pas de partis, ceci est un réveil étudiant”. Au Chili, les gens crient dans la rue “Que tous les voleurs s’en aillent”. L’opposition aux gouvernements s’est également manifestée en République tchèque le week-end dernier, 300.000 personnes manifestant contre le président milliardaire.

    2) Cette haine repose sur des décennies de néolibéralisme et de baisse des conditions de vie ainsi que sur l’absence de perspectives d’avenir. Le Fonds monétaire international (FMI) conseille de continuer à appliquer les recettes néolibérales en réduisant les subventions publiques, ce qui fut précisément à l’origine des révoltes au Soudan et en Équateur. Au Liban, 50 % des dépenses de l’État sont consacrées au remboursement de la dette. De nouvelles mesures d’austérité ont également constitué l’élément déclencheur en Haïti, au Chili, en Iran, en Ouganda et dans d’autres pays. Ce n’est qu’une question de temps avant que cela n’atteigne d’autres pays, le Nigeria par exemple. Tout cela est lié à l’extrême augmentation des inégalités, Hong Kong et le Chili en étant des exemples clés.

    Les grèves et les manifestations

    Les luttes présentent de nombreuses caractéristiques communes et importantes.

    1) Dans de nombreux pays, tout a commencé avec d’énormes manifestations pacifiques. Deux millions de personnes ont manifesté à Hong Kong en juin (sur une population totale de 7,3 millions d’habitants), de même que plus d’un million au Chili et au Liban ou encore plusieurs centaines de milliers sur la place Tahrir à Bagdad. Dans la plupart des cas, ces protestations ne se sont pas limitées aux capitales ou aux grandes villes, mais se sont étendues à des pays entiers.

    2) Les grèves générales ont été décisives pour renverser des régimes ou les faire vaciller. L’année 2019 a débuté avec une grande grève générale en Inde (150 millions) et s’est poursuivie en Tunisie, au Brésil et en Argentine. Cet automne, des grèves générales ont eu lieu en Équateur, au Chili (par deux fois), au Liban, en Catalogne et en Colombie. Des grèves à l’échelle d’une ville ont également eu lieu à Rome et à Milan. L’Irak a connu de grandes grèves des enseignants, des dockers, des médecins, etc. Les bâtiments du gouvernement ont été occupés (à l’instar de la banque centrale du Liban à Beyrouth) ou incendiés dans de nombreuses villes irakiennes. Des routes ont été bloquées en Irak et au Liban, comme au Pérou, où les populations autochtones luttent pour stopper les projets miniers qui menacent l’environnement. La méthode des barrages routiers a également été utilisée par les Gilets Jaunes en France.

    3) De nouvelles méthodes sont nées de la lutte tandis que les traits d’une nouvelle société étaient esquissés. A Bagdad, la place Tahrir a repris la tradition née de l’occupation de la place du même nom en Egypte en 2011. Une grande tente y sert d’hôpital, des transports gratuits sont organisés autour de l’occupation et un journal est même édité quotidiennement. Des assemblées populaires ont vu le jour en Équateur et des assemblées locales ont également émergé au Chili. Au Liban, les étudiants ont quitté les universités pour aller enseigner dans les villes. A Hong Kong, les jeunes ont inventé un certain nombre de méthodes à utiliser dans les affrontements de rue, pour faire face aux gaz lacrymogènes et à la répression.

    4) La division sectaire a été surmontée par la lutte menée en commun, une caractéristique typique des luttes révolutionnaires. Au Liban, les musulmans chiites et sunnites luttent aux côtés des chrétiens. En Irak, les chiites et les sunnites se battent également ensemble, même si les mobilisations concernent encore surtout les régions chiites du pays. En Amérique latine, les organisations indigènes jouent un rôle de premier plan en Équateur, au Pérou et au Chili de même que dans la résistance au coup d’État en Bolivie.

    5) L’internationalisme est présent de manière évidente dans ces mouvements. Des déclarations de solidarité ont été envoyées d’Irak vers les manifestations en Iran. En Argentine, une grande manifestation a eu lieu à Buenos Aires contre le coup d’Etat en Bolivie.

    De premières victoires

    Les mouvements ont remporté des victoires conséquentes et obtenus des concessions sérieuses. Des dictateurs de longue date ont été renversés au Soudan et en Algérie, le gouvernement équatorien a fui la capitale, des ministres ont démissionné au Liban, au Chili et en Irak. Au Chili, le président Pinera a d’abord affirmé que le pays était “en guerre” contre les protestations, puis a dû “s’excuser” et retirer toutes les mesures qui ont déclenché le mouvement. De même, en France, Macron a été contraint de revenir sur le prix du carburant et d’augmenter le salaire minimum en réponse aux protestations des Gilets jaunes. Dans la plupart des cas, ces reculs de la part des autorités n’ont pas empêché les protestations de se poursuivre.

    Hong Kong 

    La lutte à Hong Kong se distingue des autres à bien des égards. Nous disposons de camarades sur le terrain qui peuvent nous livrer des analyses et des informations de première main. Cette lutte a été marquée par l’incroyable détermination et le courage de la jeunesse. Le fait que Hong Kong soit gouverné depuis Pékin signifie que les reculs et concessions que les gouvernements d’autres pays ont effectués ne sont pas à l’ordre du jour à Pékin.

    En août, les camarades du CIO (majoritaire) ont averti de l’instauration d’un “état d’urgence rampant”. À la mi-novembre, cela a changé lorsque Xi Jinping a donné de nouvelles directives : les protestations devaient cesser. Le régime espérait épuiser le mouvement et recourir ensuite à la répression (comme cela avait été le cas avec le mouvement des Parapluies en 2014). Mais, au lieu de cela, le mouvement de protestation a créé une nouvelle crise majeure pour le pouvoir de Xi.

    La répression a atteint un nouveau niveau, avec des scènes de guerre les lundi 18 et mardi 19 novembre lorsque les policiers menaçaient de tirer à balles réelles et que les étudiants retranchés dans les campus universitaires tentaient de se défendre avec des cocktails Molotov et des arcs à flèches. Mardi matin, une offensive de la police a utilisé plus de 1.500 bombes lacrymogènes. Les étudiants de l’université PolyTech ont été contraints de se rendre à la police. Plus d’un millier de jeunes ont été arrêtés. Ils risquent dix ans de prison.

    Le soutien populaire impressionnant qui existe pour la lutte de la jeunesse a pris la forme de manifestations de solidarité mais il a également été illustré par la cuisante défaite subie par les partis pro-gouvernementaux lors des élections locales des districts de Hong Kong le dimanche 24 novembre.

    La lutte impressionnante menée à Hong Kong doit se poursuivre. Les tâches auxquelles le mouvement fait face sont l’organisation démocratique du mouvement, l’organisation d’une véritable grève générale et, chose décisive, l’extension du combat à la Chine continentale. La tactique des étudiants ” Sois comme l’eau” – sans forme et sans dirigeants – a donné quelques avantages dans les luttes de rue et a permis aux jeunes de contrecarrer le rôle de blocage des libéraux pan-démocrates. Mais cette approche s’est révélée incapable de porter la lutte au nouveau stade aujourd’hui nécessaire. La faiblesse des syndicats et l’absence de grève sur une longue période représentent des éléments compliquant. Politiquement, cela peut donner lieu à des illusions dans la “communauté internationale” et en particulier dans l’impérialisme américain et Trump. Cela permet également de continuer à croire en une “solution propre à Hong Kong” distincte du reste de la Chine.

    Les complications de cette période

    Au cours des débats et de la scission qui ont eu lieu au sein du Comité pour une Internationale Ouvrière cette année, la discussion sur la conscience des masses a joué un rôle important. La direction de notre ancienne section espagnole, qui a quitté notre internationale en avril, a sous-estimé les problèmes du faible niveau de conscience socialiste tandis que le groupe qui est parti en juillet a surestimé ce problème. Ce dernier groupe a donc préféré se réfugier dans l’attente d’un mouvement “authentique” au lieu de vouloir intervenir dans les mouvements actuels. Comprendre le rôle décisif que joue la classe ouvrière organisée ne signifie pas d’ignorer d’autres mouvements sociaux importants.

    La conscience peut progresser par bonds à partir de l’expérience acquise dans les luttes. C’est un processus qui a déjà commencé. Mais, dans l’ensemble, il manque aux luttes de masse d’aujourd’hui l’organisation et la direction nécessaires pour élaborer une stratégie de transformation socialiste de la société. Aucun parti des travailleurs ou de gauche capable de remplir cette tâche ne s’est développé jusqu’à présent. Les nouvelles formations de gauche ont été volatiles et politiquement faibles, comme l’illustre encore le récent exemple de Podemos qui a rejoint le gouvernement dirigé par le PSOE (social-démocrate) dans l’Etat espagnol.

    Comparer la situation actuelle avec l’année 1968 souligne à quel point le mouvement des travailleurs – partis ouvriers et syndicats – a reculé en termes de base militante active. Cela signifie cependant également que les partis communistes staliniens et la social-démocratie disposent de moins de possibilités de bloquer et de dévier les luttes qu’à l’époque.

    La contre-révolution

    Il a également été démontré cet automne que la classe capitaliste n’hésite pas à recourir à la répression contre-révolutionnaire la plus brutale pour se maintenir au pouvoir. Elle préfère opérer via d’autres moyens, plus pacifiques, mais elle est prête à recourir à la violence si nécessaire.

    • En Bolivie, un coup d’État militaire a eu lieu avec le soutien de l’impérialisme américain et du gouvernement brésilien dirigé par Bolsonaro. La nouvelle “présidente” Anez a été “élue” par moins d’un tiers du Parlement. Les gouvernements européens ont exprimé leur “compréhension” vis-à-vis de ce coup d’Etat.
    • Plus de 300 personnes ont été tuées et 15.000 blessées en Irak au cours du mois dernier.
    • 285 personnes ont reçu une balle dans les yeux au Chili. En France, au printemps, 40 personnes ont été éborgnées de la sorte.
    • En Guinée, en Afrique de l’Ouest, 5 personnes ont été tuées et 38 autres blessées lors de manifestations contre le président Alpha Conde qui se présente pour un troisième mandat. Les mobilisations se poursuivent.

    Le risque d’une répression majeure par une intervention de l’armée chinoise à Hong Kong demeure, même si le danger d’un massacre similaire à celui de la place Tiananmen en 1989 ne s’est pas encore concrétisé. Par ailleurs, le risque d’un retour du sectarisme communautaire au Liban ou en Irak constitue un réel danger.

    La classe dirigeante veut aussi désarmer les mobilisations et les faire dérailler en abusant des élections ou des négociations. En Argentine, ce fut clairement le cas récemment. Les candidats péronistes, Fernandez et Fernandez-Kirchner, ont remporté les élections. L’objectif principal des masses était d’évincer Macri, l’ancien grand espoir du capitalisme en Amérique latine dont la présidence a été marquée par l’arrivée d’une nouvelle crise financière profonde. Le nouveau gouvernement péroniste ne bénéficiera cependant pas de répit puisqu’il continuera à mettre en œuvre les politiques du FMI.

    Au Soudan, les dirigeants officiels des mobilisations ont signé un accord sur le partage du pouvoir avec l’armée en passant par dessus la tête des masses. Le pouvoir réel a été laissé au général Hemeti. Aujourd’hui, les mobilisations se développent contre cet accord et contre le pouvoir des généraux.

    Au Chili, l’une des principales revendications du mouvement était l’adoption d’une nouvelle constitution, puisque l’actuelle date de 1980 et de la dictature de Pinochet. Mais la revendication d’une assemblée constituante révolutionnaire de représentants démocratiquement élus sur les lieux de travail et dans les quartiers ouvriers est tout le contraire d’une assemblée comprenant le président Pinera et les partis de droite.

    La classe dirigeante dispose de mille et une manières de bloquer le développement d’une révolution. En 2011, le CIO avait mis en garde contre les illusions selon lesquelles un simple “changement de régime” pouvait mettre fin aux luttes. L’Etat, les capitalistes et l’impérialisme ont été sauvegardés et ont ouvert la voie à la contre-révolution.

    Cependant, les défaites ne durent pas aussi longtemps que dans les années 1930 ou 1970. Les manifestations de masse en Iran ont été écrasées en 2009 et de nouveau en 2017, mais elles sont à nouveau de retour. La même chose s’est produite en Irak, au Zimbabwe et au Soudan. De récentes nouvelles protestations sociales démontrent également que la situation n’est pas stable en Egypte.

    Défier le pouvoir

    Les grèves générales indéfinies et les mouvements de masse à caractère révolutionnaire soulèvent la question du pouvoir. Quelle classe sociale devrait diriger la société ?

    Pendant longtemps, dans de nombreux pays, nous appelions à une grève de 24 ou 48 heures au lieu d’une grève générale. L’idée était de préparer la classe ouvrière de cette manière, de lui permettre de sentir sa force et sa supériorité, de commencer à s’organiser et à prendre conscience de ses ennemis, de choisir des dirigeants adéquats.

    La plupart des luttes actuelles sont des luttes globales qui défient immédiatement le pouvoir de la classe capitaliste. La contre-révolution se prépare elle-même pour de telles luttes. Mais, jusqu’à présent, recourir à ses méthodes habituelles ne s’est pas fait sans problèmes.

    Comparer la situation actuelle avec la première révolution russe en 1905 est également important. La classe ouvrière avait alors démontré quelle était sa force force tandis que le pouvoir de l’Etat tsariste était suspendu dans les airs. Une confrontation finale était inévitable.

    Les libéraux et les menchéviks ont accusé les soviets (conseils, en russe) et en particulier les bolchéviks de trop parler d’insurrection armée. Lénine répondit : “La guerre civile est imposée à la population par le gouvernement lui-même”. Trotsky, dans sa défense devant le tribunal qui l’a inculpé après la révolution de 1905, a déclaré quant à lui : “préparer l’inévitable insurrection (…) signifiait pour nous d’abord et avant tout, d’éclairer le peuple, de lui expliquer que le conflit ouvert était inévitable, que tout ce qui lui avait été donné lui serait repris, que seule la force pouvait défendre ses droits, que des organisations puissantes de la classe ouvrière étaient nécessaires, que l’ennemi devait être combattu, qu’il fallait continuer jusqu’au bout, que la lutte ne pouvait se faire autrement”.

    En 1905, la contre-révolution a pu prendre le dessus en raison du manque d’organisation et d’expérience des masses en dépit de la constitution de conseils ouvriers, les soviets, ainsi qu’à cause de la faiblesse de la lutte dans les campagnes. En décembre, après une grève générale de 150.000 personnes à Moscou, la contre-révolution l’a emporté.

    L’expérience acquise durant les événements de 1905 ont toutefois posé les bases de la victoire de la révolution en 1917. La situation actuelle ne laisse pas de place à de longues périodes de réaction sans lutte. La Bolivie d’aujourd’hui ne connaîtra pas le genre de période de contre-révolution qui a suivi la défaite de 1905. L’avenir y est toujours en jeu et, dans le passé, la contre-révolution a déjà été vaincue en Bolivie.

    Nous verrons sans aucun doute d’autres pays et régions s’intégrer dans cette tendance aux mouvements de masse. Son impact sur la conscience globale des masses sera une meilleure compréhension que la lutte est la seule manière d’obtenir des changements. La recherche d’une alternative au capitalisme et à la répression sera le terreau du développement des idées anticapitalistes et socialistes. La faiblesse de la gauche et de l’organisation des travailleurs signifie toutefois que ce processus sera long, avec des bonds en avant et des reculs.

    La leçon générale, cependant, est la même qu’en 1905 ou en 1968 : il s’agit toujours de la nécessité pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir afin de soutenir les concessions qu’un mouvement de masse peut arracher et pour parvenir à un changement fondamental de société.

  • L’Afrique du Nord et les processus révolutionnaires en Algérie et au Soudan

    Résolution adoptée au Comité exécutif international du CIO d’août 2019

    En avril de cette année, le renversement de deux dictateurs de longue date par les soulèvements révolutionnaires en Algérie et au Soudan a stupéfié la plupart des universitaires et commentateurs bourgeois, mais cela a confirmé l’analyse faite par le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) il y a huit ans. Nous expliquions alors que les révolutions initiées en Tunisie et en Egypte n’étaient pas seulement une parenthèse ou un “printemps” éphémère, mais plutôt les premières salves d’un processus long et complexe de révolution et de contre-révolution dans la région.

    Ces mouvements sont d’autant plus importants qu’un certain nombre de pays qui ont été secoués par des mouvements de masse lors de la première vague révolutionnaire en 2010-2011 ont depuis souffert de contre-révolutions brutales et de guerres dévastatrices. La contre-révolution n’a pas réussi à éliminer de manière décisive le spectre de nouveaux soulèvements populaires, ni à garantir la durabilité et la stabilité de l’ordre régional.

    La contre-révolution

    L’Egypte est gouvernée par une dictature encore plus impitoyable que celle renversée en 2011. Jamais dans son histoire moderne le pays n’a connu une répression telle que celle menée sous le règne d’Abdel Fattah al-Sisi. En avril, le régime a organisé un référendum par étapes sur des amendements constitutionnels radicaux visant à éliminer certains des derniers vestiges des acquis démocratiques de la révolution égyptienne. Ils suppriment la limite de deux mandats à la présidence, permettant à Sisi de rester au pouvoir jusqu’en 2030, et lui donnent également le contrôle total du pouvoir judiciaire, tout en élargissant le rôle de l’armée dans les affaires politiques du pays.

    Au cours de la période récente, les gouvernements occidentaux ont serré les rangs avec le régime autocratique du Caire. L’Union européenne loue Sisi comme un allié dans ses efforts pour empêcher les réfugiés d’atteindre les côtes européennes. Reflétant les perspectives à court terme des grands milieux d’affaires, l’agence de notation Moody a revalorisé le statut de l’Egypte à “stable”  en avril, commentant que “la rentabilité [du pays] restera forte”. Les chiffres officiels font également état du taux de croissance économique le plus élevé depuis une décennie (5,5 %).

    Cependant, dans des conditions où la dette extérieure a été multipliée par cinq au cours de la dernière moitié de la décennie et alors que la dette publique a plus que doublé au cours de la même période ; où 60% de la population vit dans la pauvreté et souffre du poids de l’inflation galopante et des réductions de subventions ; la stabilité souhaitée par les puissances impérialistes et les rêves de Sisi de devenir président à vie pourraient se révéler de courte durée. Plus tôt cette année, un groupe d’anciens ministres et de membres de l’intelligentsia égyptienne a écrit une lettre ouverte dans laquelle ils déclaraient : “Il suffit d’errer dans les rues du Caire pour se rendre compte de l’ampleur de la rage et de la tension internes qui pourraient dégénérer en une explosion sociale incontrôlable à tout moment”. Cela témoigne de ce qui se trame sous la surface.

    En plus de réprimer violemment la résistance des travailleurs égyptiens et de l’opposition locale en général, le régime de Sisi joue un rôle actif dans les conspirations contre-révolutionnaires dans la région. Quelques jours seulement après la destitution du président soudanais Omar el-Béchir, des délégations d’Égypte, d’Arabie saoudite et des Émirats Arabes Unis (EAU) se sont précipitées au Soudan et ont eu de nombreux entretiens avec la junte militaire soudanaise. En Libye, le régime de Sisi a fourni un soutien politique, militaire et de renseignement actif aux troupes du futur dictateur militaire libyen et admirateur de Sisi, Khalifa Haftar.

    La Libye est aux prises avec une nouvelle guerre civile qui s’intensifie et qui fait grossir les rangs des personnes déplacées et des réfugiés. Près de 100 000 personnes ont déjà été déplacées par l’offensive lancée sur Tripoli par Haftar et son “Armée Nationale Libyenne” (ANL), et ce nombre augmente chaque jour.

    Haftar espérait une victoire rapide et en douceur dans sa marche sur la capitale. Ces espoirs ont clairement tourné court. Sa prétention d’éradiquer les islamistes armés et son positionnement en tant que champion de la laïcité sont contredits par le fait que sa propre ANL est une alliance fragile composée d’un nombre important de miliciens salafistes, d’anciens officiers de l’armée de Kadhafi et de combattants de différentes tribus avec lesquels Haftar a conclu des accords. Elle pourrait devenir le théâtre de graves dissensions si l’impasse militaire actuelle se poursuit.

    L’issue de cette bataille dépendra également de l’attitude des puissances impérialistes et des différentes puissances régionales impliquées. L’émergence d’une nouvelle guerre en Libye riche en pétrole contient en effet un élément fort de “guerre par procuration”, car elle se déroule sur fond de lutte de pouvoir pour l’influence entre Paris, Rome et, surtout, les principaux acteurs régionaux. La vacuité et l’impuissance de l’ONU et de la soi-disant “communauté internationale” sont à nouveau mises en évidence, car les puissances régionales et mondiales soutiennent chacune des deux parties et alimentent directement le conflit en leur fournissant armes et munitions de pointe.

    Certains pays semblent prêts à jouer dans les deux camps, attendant de voir de quel côté l’équilibre basculera. Si Moscou a toujours semblé favoriser Haftar, elle a noué des contacts avec tous les principaux acteurs sur le terrain. Trump a salué le rôle de Haftar, soutenu par l’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats Arabes Unis, dans ” la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des ressources pétrolières de la Libye “, mais le secrétaire d’État Mike Pompeo a condamné les actions de Haftar, et les représentants du gouvernement basé à Tripoli, soutenu par la Turquie et le Qatar, continuent à soutenir que les États-Unis se tiennent à ses côtés en tant que gouvernement légitime de la Libye.

    Les hésitations et les contradictions de l’administration américaine reflètent son caractère marqué par la crise, mais aussi la diminution de son poids et de son influence géopolitique dans la région, où elle a été reléguée au second rang, au profit des acteurs régionaux mais aussi d’une politique impérialiste plus affirmée de la Russie comme de la Chine.

    La Chine et la Russie ont identifié l’Afrique du Nord comme une arène importante pour faire avancer leurs intérêts commerciaux et de sécurité. La Chine a choisi des ports d’Afrique du Nord comme éléments essentiels de sa « Belt and Road Initiative », la « nouvelle route de la soie ». Elle a également manifesté son intérêt à s’implanter dans le port tunisien de Bizerte et sur la côte méditerranéenne du Maroc.

    Il est important de noter que tant l’Algérie que le Soudan ont connu une augmentation substantielle de leurs échanges commerciaux et de leurs investissements avec la Chine au cours des deux dernières décennies. Les deux pays exportent de l’énergie vers la Chine, l’Algérie à elle seule ayant vu ses exportations vers la Chine multipliées par 60 entre 2000 et 2017. La Chine est le principal partenaire économique de l’Algérie et a investi des milliards de dollars dans des projets portuaires et d’infrastructure dans le pays. Le Soudan est également le principal bénéficiaire de l’aide étrangère de la Chine. En outre, les deux pays comptent parmi les plus gros acheteurs d’armes chinoises dans la région.

    Nouvelles explosions sociales imminentes

    Alors que certains pays subissent de plein fouet les effets de la contre-révolution et de la guerre, de puissants mouvements ouvriers vibrent dans d’autres régions d’Afrique du Nord et d’Afrique Arabe. Les mouvements révolutionnaires en cours au Soudan et en Algérie démontrent incontestablement que, quelle que soit la quantité de sang versé par les classes dirigeantes, elles ne seront pas capables d’éradiquer les lois de la lutte de classe, qui trouvera toujours un moyen de s’exprimer.

    Les tentatives des régimes algérien et soudanais d’utiliser l’état catastrophique du Moyen-Orient comme moyen de dissuasion contre la révolution dans leur propre pays n’ont pas produit les effets escomptés. Lorsque les dirigeants algériens ont brandit l’épouvantail syrien pour faire sortir les gens de la rue, affirmant que les manifestations en Syrie avaient conduit à une décennie de guerre, les manifestants algériens ont simplement répondu avec le slogan : “L’Algérie n’est pas la Syrie”.

    Cela ne veut pas dire que la violente contre-révolution qui a eu lieu au cours des deux dernières années n’a eu aucun effet sur la conscience et sur la dynamique de la lutte dans la région, bien sûr. Mais nous devons en souligner les limites, dans le contexte de toute la région qui bouillonne de colère et de désespoir. “Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts”, tel était le slogan chanté par de jeunes manifestants algériens lors d’un mouvement de protestation de masse dans la région de Kabylie en 2001, face à des balles réelles de la police. Des manifestants soudanais chantent aujourd’hui : “La balle ne tue pas. Ce qui tue, c’est le silence”. Cela résume à peu près l’état d’esprit qui prévaut parmi des millions de personnes dans la région, en particulier les jeunes et les groupes les plus pauvres.

    Bien sûr, cette humeur peut et va prendre des expressions désespérées dans certains cas, en particulier si elle n’est pas politiquement canalisée dans une alternative claire. La Tunisie, un pays que les commentateurs bourgeois continuent de distinguer comme le modèle de réussite du “Printemps arabe”, a vu tripler les cas d’auto-immolation depuis la révolution de 2011, et a été une source importante de recrues pour les groupes jihadistes dans la région. La prolifération des armes, résultant du déchirement de la Libye par la guerre, et la persistance d’un important lumpenprolétariat urbain et rural signifient également que le danger de nouveaux attentats terroristes et leur instrumentalisation par les États de la région pour favoriser la répression continueront probablement à faire partie du paysage politique, comme l’ont encore montré les attentats-suicide à l’explosif à Tunis en juin et la prolongation ultérieure de l’état d’urgence.

    Le capitalisme et l’impérialisme détruisent les conditions de vie des gens, leurs emplois et leur environnement, tout en plongeant la région dans de nouveaux conflits armés. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que plus de la moitié des jeunes dans une grande partie du monde arabe souhaitent quitter leur pays d’origine, selon le Big BBC News Arabic Survey 2018/19. Ce nombre a augmenté de plus de 10 % chez les 18-29 ans depuis 2016. L’enquête indique que 70% des jeunes marocains envisageaient de quitter leur pays.

    En dépit de ces facteurs, le nouveau ralentissement économique mondial qui se profile à l’horizon, combiné aux politiques de “l’Europe forteresse”, conduira également de nouvelles couches de travailleurs et de jeunes à la conclusion que les fléaux du système doivent être combattus sur leur propre terrain et qu’une transformation globale de la société est nécessaire. En bref, les conditions entretenues par le capitalisme entraînent inévitablement de nouvelles explosions sociales et des bouleversements révolutionnaires de masse.

    Ceux-ci ne se développeront cependant pas en ligne droite, particulièrement face à la faiblesse générale du “facteur subjectif”, l’existence de partis révolutionnaires de masse capables de conduire ces mouvements à l’assaut du capitalisme et de mener des politiques socialistes. Les événements dramatiques de la dernière décennie sont un rappel puissant que, sans la construction de tels partis, de nouvelles catastrophes seront en réserve pour les masses dans la région.

    Crise et stagnation économique

    Pas plus qu’ailleurs, le capitalisme en Afrique du Nord n’est capable de développer les forces productives. Ceci est typiquement illustré par le chômage de masse qui prévaut en tant que caractéristique chronique dans la région, en particulier chez les jeunes. Le FMI prévoit une croissance annuelle de 1,3% pour la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) en 2019, ce qui ne serait même pas suffisant pour absorber les 2,8 millions de jeunes supplémentaires qui entrent sur le marché du travail chaque année. Dans l’Arab Youth Survey 2019, la plus grande enquête d’opinion des jeunes dans le monde arabe, 56% citent le coût de la vie comme le principal obstacle auquel la région est confrontée ; 45% citent le chômage. Cela représente une énorme bombe à retardement sociale.

    Le corollaire de cette situation est l’existence d’une économie informelle extrêmement lourde. Dans le nord-est du Maroc, 70% de l’économie dépend du secteur informel. La mort, en janvier 2018, de deux jeunes hommes qui extrayaient du charbon de mines abandonnées dans la ville appauvrie de Jerada, dans l’est du pays, a mis cette réalité en évidence en déclenchant des manifestations explosives pendant plusieurs mois.

    Depuis ce qui est appelé le “Printemps arabe”, les gouvernements régionaux ont renforcé leurs fortifications frontalières et leurs systèmes de surveillance. Cela a souvent aggravé la situation économique de villes frontalières déjà en difficulté, car l’économie de contrebande n’est pas seulement une source de profits pour les douaniers, les politiciens corrompus et les réseaux mafieux de contrebande ; elle est également devenue partie intégrante du tissu social des communautés locales.

    Les villes frontalières algériennes, marocaines et tunisiennes ont été en proie à des manifestations intermittentes contre les atteintes à leurs moyens de subsistance qui en ont résulté. Dans ces zones marginalisées, la revendication d’options économiques alternatives par la création d’emplois décents et bien rémunérés et d’un vaste programme de construction et de rénovation des infrastructures, financé par l’Etat et coordonné démocratiquement par les populations locales et les organisations de travailleurs, est essentielle.

    Au cours des dernières décennies, la part de la population rurale dans la population totale de l’Afrique du Nord a considérablement diminué. Des dizaines de millions de personnes ont quitté la campagne pour la ville. Les personnes vivant dans les villes des pays du Maghreb représentaient 20% en 1950 ; elles étaient 45% en 1970, 62% en 1980, et devraient être autour de 70% en 20La destruction endémique des petites propriétés agricoles privées, la concentration de la propriété foncière et le manque d’infrastructures dans les campagnes ont poussé un grand nombre de ruraux pauvres à émigrer vers les villes, aggravant le chômage et gonflant les rangs des pauvres des villes engagés dans une lutte désespérée pour leur subsistance quotidienne, peu susceptibles de jamais trouver un emploi stable et bien rémunéré dans une économie capitaliste.

    En raison de ces caractéristiques, les jeunes chômeurs et les citadins pauvres sont enclins à jouer un rôle important dans les périodes de luttes de masse. N’étant pas attachés à des emplois formels, ils ont une liberté d’action plus immédiate et ont encore moins à perdre, et peuvent donc entrer en action avant la classe ouvrière organisée. Ceux qui ont un emploi informel ou qui sont au chômage n’ont encore qu’une influence limitée pour entreprendre des luttes victorieuses. Construire des directions militantes prêtes à mener une lutte globale sur la base de revendications unifiant ces couches avec le mouvement ouvrier est vital. Sinon, certaines parties de ces couches opprimées peuvent devenir la proie de la réaction.

    Des divisions entre ces couches sociales et la classe ouvrière salariée peuvent également apparaître. C’est dans le contexte de l’apathie de la bureaucratie syndicale, par exemple, que nous avons vu en Tunisie des chômeurs faire des sit-in bloquant des sites de production pour demander des emplois, parfois sans s’adresser aux travailleurs des entreprises qui pourraient considérer ces actions comme une menace pour leur propre emploi. Dans le contexte du chômage de masse, ces divisions seront exploitées par la classe dirigeante, par exemple en présentant les travailleurs en grève comme une “couche privilégiée” qui menace la création d’emplois et la relance de l’économie.

    De tels écarts ne peuvent être comblés qu’en reconstruisant des organisations de travailleurs fortes et en récupérant les syndicats pour les transformer en instruments de lutte pleinement démocratiques et combatifs, en s’efforçant d’unir les travailleurs, les jeunes sans emploi et tous les pauvres par des campagnes de masse (pour des emplois financés publiquement et pour partager le travail sans perte de salaire, pour un logement décent et abordable, des services publics, etc).

    Les jeunes, qui constituent l’essentiel de la population de toute la région, sont confrontés à un avenir sombre. Cependant, ces conditions façonnent aussi les perspectives radicales d’une nouvelle génération de militants révolutionnaires. Cette génération a été le moteur de tous les mouvements de masse dans la région. En Algérie, le traumatisme de la ” décennie noire ” – le conflit sanglant entre l’armée et les fondamentalistes du Front Islamique du Salut (FIS) et ses ramifications après le coup d’Etat de janvier 1992 -, a longtemps été exploité par l’élite dirigeante et, combiné à de nombreux acquis sociaux, a permis à cette dernière de résister à la tempête 2010-2011. Mais il s’est aujourd’hui largement estompé à mesure qu’une nouvelle génération plus confiante se lève, moins affectée par les défaites du passé.

    Depuis 2011, le FMI a accru la pression sur les gouvernements d’Afrique du Nord pour qu’ils suivent à la lettre ses programmes d’austérité. Ces gouvernements ont reçu l’ordre des créanciers internationaux de continuer à réduire les subventions, de réduire les effectifs du secteur public, de poursuivre les programmes de privatisation et de resserrer la politique budgétaire. Cela a ouvert la voie à l’aggravation des inégalités, aggravant la situation économique, ce qui a amené les conflits de classe à des niveaux révolutionnaires il y a un peu moins d’une décennie.

    Bien sûr, la crise économique ne fournit pas un aller simple pour la révolution. Mais il est clair que la situation économique est un facteur sous-jacent crucial qui explique l’énorme colère qui règne au sein de vastes secteurs de la population. Ces dernières années, les protestations dans tous les pays ont souvent porté sur la question du chômage, de la marginalisation économique et de l’augmentation du coût de la vie. Il ne fait aucun doute qu’une nouvelle récession mondiale aggraverait considérablement ces problèmes.

    Cela dit, les facteurs économiques ne sont pas le seul moyen potentiel de provoquer des mouvements de masse, et ils ne représentent pas non plus une explication complète en eux-mêmes de ceux qui ont eu lieu. La nature répressive de l’État dans la région, par exemple, et le mépris quotidien, le harcèlement et l’impunité dont font preuve les forces corrompues de l’État, ajoutent au mélange explosif.

    Les structures de pouvoir de l’Afrique du Nord sont basées sur un enchevêtrement complexe entre le pouvoir politique et économique de la classe dirigeante – comme l’illustre la monarchie régnante au Maroc, qui a construit un empire commercial tentaculaire sur l’économie du pays. Dans des pays comme l’Egypte, le Soudan et l’Algérie, l’armée est plus qu’une composante vitale de l’Etat bourgeois ; ses hauts gradés détiennent également un énorme pouvoir économique. Cela signifie que toute revendication économique peut rapidement prendre un caractère politique, et vice versa.

    Ces caractéristiques – faiblesse et dépendance économiques, régimes autoritaires – sont le résultat de la position de l’Afrique du Nord dans le système capitaliste mondial. L’impérialisme et le capitalisme ont produit un développement inégal et combiné, dans lequel la majorité des pays sont dominés et subordonnés aux grandes puissances. Les régimes d’Afrique du Nord tentent d’équilibrer et de satisfaire les différentes puissances qui, en retour, soutiennent leur règne brutal. Au cours des dernières décennies, les attaques néolibérales contre les conditions de vie, exigées par le FMI, ont souligné le caractère international de la crise dans la région. Il en va de même pour la course aux armements et les guerres menées avec les puissances impérialistes impliquées.

    Prolétarisation des couches intermédiaires

    Cette année u Maroc, des dizaines de milliers d’enseignants employés dans le cadre de contrats occasionnels ont participé de grèves répétées et parfois prolongées, exigeant leur intégration dans le système éducatif national avec leurs collègues et la fin de la privatisation des écoles publiques.

    En fait, les enseignants se sont avérés être parmi les secteurs les plus militants de la classe ouvrière, à l’avant-garde d’importantes batailles de classe en Tunisie, au Maroc, en Algérie et au Soudan. Dans les quatre pays, ils ont été impliqués dans des actions de grève et des protestations plus dures ces dernières années, réclamant de meilleurs salaires et de meilleures conditions, mais aussi des revendications politiques audacieuses. En Algérie par exemple, les enseignants ont joué un rôle de premier plan dans le mouvement de masse qui a renversé Bouteflika, six syndicats indépendants d’enseignants et de travailleurs de l’éducation appelant leurs membres à se mettre en grève le 13 mars pour rejoindre la lutte et demander à Bouteflika de partir. Au Soudan, les enseignants, mais aussi les médecins, ont joué un rôle clé dans le soulèvement contre Al Bashir.  

    Cela reflète un phénomène social plus large. Les commentateurs dominants ont souvent fait valoir que la classe moyenne était l’élément moteur du mouvement révolutionnaire dans ce qu’ils appellent le “Printemps arabe”, comme ils le font aujourd’hui, en particulier par rapport au Soudan. Mais ce qui est souvent appelé la classe moyenne libérale ou les “couches moyennes” (enseignants, médecins, avocats, journalistes…) connaissent, pour la plupart, des conditions qui s’apparentent de plus en plus à un nouveau prolétariat. Avant d’organiser les récentes manifestations, l’Association Professionnelle Soudanaise (SPA, qui regroupe les syndicats pour la plupart professionnels et qui a joué un rôle mobilisateur important dans la révolution) a attiré l’attention du public pour la première fois avec une étude sur le salaire minimum des professionnels soudanais, les trouvant tous sous le seuil de pauvreté, dans certains cas à moins de 50 dollars par mois.

    Une partie de ces couches se considère encore comme une ” élite éduquée ” au-dessus du reste de la classe ouvrière. C’est certainement le cas pour la direction du SPA au Soudan, qui a essayé de trouver une ” troisième voie ” inexistante entre la mobilisation révolutionnaire indépendante de la classe ouvrière et des masses pauvres d’une part, et les négociations avec les généraux contre-révolutionnaires d’autre part. En cela, ils reflètent typiquement les oscillations politiques de la classe moyenne à une époque où les contradictions de classe s’accentuent.

    Pourtant, la crise économique, des décennies de politiques néolibérales sauvages et la forte dépréciation des monnaies locales ont durement frappé les couches moyennes, brisant aux yeux de beaucoup le mirage de faire partie de la classe moyenne – et c’est précisément l’une des raisons pour lesquelles elles se rebellent contre l’ordre existant. Cela en a poussé beaucoup à adopter les méthodes de lutte de la classe ouvrière et à incorporer le mouvement syndical.

    Tunisie

    Les mouvements ouvriers organisés dans tous les pays du Maghreb ont commencé l’année par des grèves dans le secteur public. En Tunisie, cela s’est traduit par une grève générale de 24 heures dans la fonction publique et le secteur public le 17 janvier. Alors que les principales revendications officielles de la grève portaient sur les augmentations salariales et les plans de privatisation du gouvernement, la grève avait un caractère profondément politique, avec des slogans adoptant clairement une attitude conflictuelle contre le gouvernement du pays et le FMI.

    Le système politique actuel de la Tunisie présente les caractéristiques d’un régime démocratique bourgeois, mais extrêmement instable, plutôt qu’un régime consolidé. Comme nous l’avons déjà expliqué, cette prétendue “anomalie tunisienne” n’est possible que grâce au rôle influent de l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail), qui a agi comme un puissant contrepoids à la restauration d’une dictature.

    Une lecture mécanique de cette situation conclurait qu’il s’agit d’une épine dans le pied de la théorie de Trotsky sur la révolution permanente. En réalité, la Tunisie est en pleine mutation et la parenthèse révolutionnaire ouverte en janvier 2011 n’est pas fermée.

    En 1930, Trotsky écrivit “Une lettre sur la révolution italienne”, dans laquelle il explique qu’après la chute du régime fasciste de Mussolini, l’Italie pourrait redevenir une “république démocratique”. Mais il a poursuivi en expliquant que ce ne serait pas ” le fruit d’une révolution bourgeoise, mais l’avortement d’une révolution prolétarienne insuffisamment mûrie. En cas de crise révolutionnaire profonde et de batailles de masse au cours desquelles l’avant-garde prolétarienne n’aura pas été en mesure de prendre le pouvoir, il se peut que la bourgeoisie rétablisse son pouvoir sur des bases démocratiques”.

    Un processus similaire est en cours en Tunisie aujourd’hui – la direction de l’UGTT jouant un rôle similaire pour aider la classe dirigeante à consolider sa contre-révolution bourgeoise comme l’ont fait les dirigeants du Parti Communiste Italien après la guerre – avec la différence importante qu’il n’existe aucune base économique proche de la reprise économique de l’après guerre pour aider la classe dirigeante tunisienne à construire une démocratie bourgeoise stable. 

    Cela se manifeste clairement par l’état de crise politique prolongé et ininterrompu auquel la Tunisie est confrontée depuis huit ans, avec déjà dix gouvernements depuis la chute de Ben Ali, une arène politique très fragmentée, des scissions régulières dans les rangs des principaux partis bourgeois et la formation constante de nouveaux partis, dans un contexte de désaffection populaire de masse envers tout le pouvoir politique.

    Malheureusement, cette situation n’a pas épargné la gauche tunisienne. En mai, neuf députés de la coalition de gauche ” Front Populaire ” ont remis leur démission du bloc parlementaire de la coalition, ce qui a ouvert la voie à une crise interne qui menaçait le Front populaire depuis longtemps. Cette crise résulte de ses trahisons politiques passées et de sa stagnation actuelle, aggravées par une culture interne de plus en plus bureaucratique et les luttes de pouvoir sans principes entre ses principales composantes stalinienne et maoïste, à l’approche des élections présidentielles de novembre.

    Révolutions au Soudan et en Algérie

    La classe ouvrière et les syndicats

    Les soulèvements qui ont secoué l’Algérie et le Soudan, tout en n’ayant pas connu jusqu’ici les mêmes répliques internationales qu’en 2011, ont de profondes implications pour l’ensemble de la région. Le fait que les deux pays soient à la croisée des chemins entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne accentue ce point. Ce n’est pas un hasard si, cette année déjà, au moins dix gouvernements africains ont eu recours à des coupures d’Internet et à des coupures des réseaux sociaux, la plupart d’entre eux pour tenter d’étouffer la contestation. Les régimes voisins sont sans doute nerveux. En avril, trois jours seulement après la démission de Bouteflika, la Cour d’appel marocaine a confirmé les peines de prison allant jusqu’à 20 ans prononcées contre des dizaines de militants et dirigeants du mouvement de protestation ” Hirak ” en 2016-2017 dans la région nord du Rif.

    Les mouvements au Soudan et en Algérie représentent la continuité révolutionnaire de ce qui s’est passé il y a 8 ans, tout en ayant développé leurs propres traits originaux. Il est important de noter qu’ils ont également absorbé certaines des leçons tirées des expériences révolutionnaires du passé récent.

    C’est particulièrement le cas en ce qui concerne la défaite des masses en Egypte. La différence entre la réaction largement festive des masses révolutionnaires égyptiennes au renversement de Moubarak et la réaction des mouvements soudanais et algériens au renversement de leur dictateur était notable. Dans ce dernier cas, le niveau de défiance à l’égard de l’armée se situait dès le début à un niveau comparativement différent, et des slogans rejetant explicitement un scénario égyptien étaient affichés. Un slogan populaire chanté lors du sit-in à Khartoum était “Soit la victoire, soit l’Egypte”. Un autre, entendu en Algérie, est : “L’Algérie est in-Sisi-ble.” Cela montre que l’expérience du coup d’Etat militaire égyptien a pénétré la conscience populaire internationale – en particulier dans des pays comme le Soudan et l’Algérie, avec leur histoire de coups d’Etat militaires et où l’armée occupe un rôle clé dans la machine étatique.

    Les mouvements en Algérie et au Soudan ont également réaffirmé l’énorme pouvoir potentiel de la classe ouvrière. Bien que numériquement petite, la classe ouvrière soudanaise a une riche tradition de lutte, ayant connu trois révolutions depuis 1964. Ce n’est pas un hasard si le berceau du mouvement au Soudan se trouvait à Atbara, une ville industrielle du nord-est du Soudan qui a été le berceau du mouvement syndical du pays et un ancien bastion du Parti communiste.

    La classe ouvrière algérienne occupe pour sa part une position stratégique, comme l’une des plus fortes de la région et du continent africain dans son ensemble. Le pays est le troisième fournisseur de gaz naturel en Europe et un grand producteur de pétrole.

    En Algérie, le déroulement de deux grèves générales successives a accéléré les scissions et les défections au sein du régime et a contribué à forcer la classe dirigeante à finalement abandonner Bouteflika. Début mars, le soutien exprimé au mouvement par les sections locales de l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) dans les bastions ouvriers historiques de Rouiba et de Reghaïa, dans les grandes banlieues industrielles d’Alger (où l’on trouve la plus grande concentration industrielle du pays), a marqué un tournant décisif, annonçant l’entrée de la classe ouvrière comme force sociale dans ce mouvement.

    On pourrait dire que l’implication de la classe ouvrière a été plus spectaculaire à la veille du renversement de Bouteflika que depuis. C’est ce qui a poussé le Financial Times à se rassurer en déclarant à la mi-juin que “les manifestations de rue, qui attirent chaque vendredi des centaines de milliers de personnes de tous horizons, ont évité les appels à la grève générale ou à l’occupation permanente des places publiques, ce qui serait perçu comme des escalades”. Pourtant, il est clair que l’expérience des vagues de grèves de masse du mois de mars restera gravée dans l’esprit de chaque travailleur algérien et devrait revenir à l’ordre du jour dans un avenir proche.

    La chute d’Al Bashir et de Bouteflika a également initié un processus de réappropriation des syndicats par la classe ouvrière. Elle a pris des formes et des profondeurs diverses dans les deux pays, mais va généralement dans la même direction : des tentatives pour développer des structures syndicales de base démocratiquement contrôlées par la base.

    Les syndicalistes algériens et les dirigeants des principales fédérations régionales de l’UGTA ont organisé des rassemblements pour exiger la démission immédiate du secrétaire général de l’UGTA, Sidi Said, ardent défenseur de l’ancien régime. Parmi les slogans, il y a ” tout pour reconquérir l’UGTA pour la lutte des classes. Tout pour chasser le régime et les oligarques de l’UGTA. Tout pour dégager Sidi Saïd et de sa clique”. Sous la pression, Sidi Said a été contraint d’annoncer qu’il ne serait pas candidat à sa succession au 13e congrès de la fédération les 21 et 22 juin, un congrès qui avait été initialement annoncé pour janvier 2020.

    Cependant, bien que moins publiquement compromis, le nouveau secrétaire général de l’UGTA est un produit de la même clique bureaucratique, et le congrès est resté une affaire contrôlée par la bureaucratie et hautement protégée visant à assurer “un changement dans la continuité” et à tenir les “fauteurs de troubles” à distance. La lutte pour purger le syndicat des bureaucrates corrompus et favorables au régime reste à l’ordre du jour et devrait être couronnée par la demande d’un congrès spécial où seuls les délégués dûment et démocratiquement mandatés par la base décideraient de l’avenir du syndicat.

    Bien que l’UGTA ait conservé d’importants bastions régionaux et sectoriels, son soutien a été considérablement érodé par des décennies de trahisons et l’étroite collaboration de ses dirigeants avec l’État et les patrons. Dans ce contexte, plusieurs ” syndicats autonomes ” ont vu le jour ces dernières années et ont gagné une certaine influence, en particulier dans les secteurs publics tels que la santé et l’éducation. L’année dernière, ces syndicats ont convergé vers une Confédération des Syndicats Autonomes (CSA) qui représente environ quatre millions de travailleurs. C’est pourquoi la nécessaire réappropriation de l’UGTA par sa base devrait être combinée avec des propositions de front commun orientées vers ces syndicats autonomes, afin de construire l’unité d’action des travailleurs.

    Au Soudan, la situation est quelque peu différente, car le mouvement syndical y a souffert de méthodes beaucoup plus brutales de répression d’Etat. Dans les années 1990, les syndicats ont été purgés comme jamais auparavant, leurs membres emprisonnés et torturés en masse, et des sanctions draconiennes ont été imposées aux travailleurs en grève. L’Union Générale des Travailleurs Soudanais officielle est devenue complètement soumise au pouvoir en place. La SPA elle-même a dû fonctionner clandestinement pendant la plus grande partie de sa courte existence.

    Mais une indication de la ténacité des traditions syndicales est que depuis la chute d’Al Bashir, des tentatives de ressusciter des syndicats qui avaient été détruits par son régime ont été entreprises, avec certains de leurs anciens membres, avec une nouvelle couche de jeunes travailleurs, s’organisant pour les reconstruire. Ce fut le cas des cheminots d’Atbara, des dockers de Port Soudan, des travailleurs de la Banque Centrale du Soudan, des journalistes qui ont formé un ” Comité pour la Restauration de l’Union des Journalistes Soudanais “, etc. En outre, les travailleurs ont aussi, dans certains cas, pris le contrôle des syndicats officiels en chassant les dirigeants qui avaient collaboré avec l’ancien régime. Sous la pression, un gel a même été imposé aux syndicats affiliés au régime par la junte militaire après la destitution de Bachir. Au moment où le premier plan de grève a été mis en place, le Conseil militaire de transition (TMC) a annulé le gel, permettant à ces syndicats collaborateurs de reprendre leurs activités pour tenter de faire obstacle au développement de syndicats indépendants.

    Les comités

    Bien que largement sous-rapporté, le développement des comités révolutionnaires locaux (les ” comités de résistance “) semble avoir pris au Soudan un caractère de grande portée, peut-être plus qu’en Egypte et en Tunisie en 2011. Cela s’explique en partie par le fait que la formation des premiers comités de résistance au Soudan remonte déjà à 2013, lorsque le pays a connu une recrudescence des protestations contre le régime ; ces comités sont réapparus à une échelle plus large et plus organisée cette fois, et ont inclus la création de comités de grève dans un certain nombre de lieux de travail. Le régime est très conscient du danger de cette évolution, ce qui explique pourquoi les dirigeants des comités de résistance des quartiers de Khartoum ont été tués dans des assassinats ciblés par les milices du régime.

    Le fait qu’Internet ait été presque entièrement coupé par le TMC à partir de début juin a contribué à mettre le rôle de ce réseau de comités locaux de résistance sur le devant de la scène, car les manifestants ont été contraints de trouver un moyen de contrer la fermeture des télécommunications et d’Internet de la junte et ont utilisé ces comités pour rassembler leurs voisins, organiser des réunions communautaires, appeler à des manifestations, distribuer des tracts imprimés pour remplacer la communication numérique, etc.

    Bien que cela puisse changer, sous cet angle important, le caractère révolutionnaire du mouvement a été beaucoup plus prononcé au Soudan qu’en Algérie. En Algérie, si des comités de lutte sont apparus dans certains cas, et si des “comités autonomes” ont été mis en place par des étudiants dans la plupart des facultés universitaires, ce processus semble beaucoup plus inégal et moins avancé – même comparé au mouvement de masse en Kabylie en 2001, lorsque les masses ont créé des comités se substituant clairement aux structures étatiques officielles.

    Violence étatique et contre-révolutionnaire

    Dans ce dernier cas, ainsi qu’au Soudan aujourd’hui, la répression meurtrière de l’État a également incité les gens à créer des comités de défense pour se protéger. Pourtant, en Algérie, la violence de l’État a jusqu’à présent été largement contenue.

    Le seul fait que les généraux algériens, connus pour leurs méthodes brutales, semblent réticents à recourir à la violence contre les manifestants en dit long sur le volcan social sur lequel ils sont assis, et sur la peur d’allumer quelque chose de beaucoup plus grand. Les militaires ont jusqu’à présent hésité à mener une répression sanglante, craignant que cela ne fasse qu’intensifier la lutte contre le régime actuel. Les chiffres des manifestations hebdomadaires du vendredi ont diminué en juin, mais la situation reste extrêmement volatile et toute tentative de contenir le mouvement à grande échelle l’enflammerait immédiatement. Lahouari Addi, sociologue algérien à l’Institut d’études politiques de Lyon, a également mis en lumière une autre raison importante de la retenue du commandement militaire : “parce qu’ils ne sont pas sûrs que leurs troupes leur seront loyales”.

    Bien entendu, cela ne va pas de soi. Jusqu’à présent, le régime a opté pour une forme de répression plus ciblée et plus préventive pour faire une démonstration de force en vue d’une réaction plus large. Il s’agit notamment de l’arrestation d’un certain nombre de militants, dont la plus importante est Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT), qui a été arrêté le 9 mai, accusée de “conspiration contre l’autorité de l’Etat”. Tout en ayant un passé militant et toujours qualifiée de “trotskiste” par la presse, Hanoune est connue pour ses liens étroits avec la famille de Bouteflika. Après les premières manifestations en février, elle s’est ridiculisée en affirmant que les slogans du mouvement n’étaient “pas contre Bouteflika”. Son arrestation semble avoir autant à voir avec les règlements de comptes entre factions rivales au sein du régime qu’avec ses critiques modérées du gouvernement actuel.

    Au Soudan, l’exposition des divisions de classe au sein de l’armée et la rébellion des rangs inférieurs ont joué un rôle très important dans les soulèvements révolutionnaires de 1964 et 1985. La sympathie instinctive pour la lutte révolutionnaire activement exprimée par de nombreux soldats de base et officiers subalternes a également été l’une des motivations qui ont poussé l’état-major général à se débarrasser d’Omar Al Bashir en avril, dans l’espoir de garder le contrôle sur ses propres troupes. C’est pourquoi des appels audacieux de classe aux rangs de l’armée, ainsi que la constitution de forces de défense populaires et ouvrières sous contrôle démocratique, devraient être un aspect clé de notre approche pour désarmer et vaincre la réaction. En se rangeant du côté du peuple, les soldats risquent bien sûr d’être traduits en cour martiale et sévèrement punis. Cela signifie qu’un véritable clivage entre les rangs de l’armée et leurs officiers réactionnaires ne peut se concrétiser qu’en proposant un programme politique et social audacieux capable de donner confiance aux soldats que la révolution peut gagner, et de les inciter à une action décisive.

    Les traditions de mutinerie au sein de l’armée soudanaise sont l’une des principales raisons pour lesquelles le régime d’Al Bashir avait soutenu les services de sécurité de l’État et incorporé des groupes paramilitaires pour construire un appareil d’État souple en cas de contestation révolutionnaire de son pouvoir. Son régime a supervisé une expansion massive des services de renseignement et des milices diverses.

    En 2014, l’UE a lancé le “processus de Khartoum”, dont une partie consiste à externaliser la police des frontières vers les États de la région pour arrêter les flux migratoires entre la Corne de l’Afrique et la mer Méditerranée. Il s’agit de former et de financer des gardes-côtes libyens qui rassemblent les migrants en mer et les renvoient dans les conditions brutales des camps de prisonniers libyens où ils sont victimes de la faim, de la torture, de viols et d’esclavage. Il s’agit également de fournir au gouvernement soudanais des millions d’euros qui ont été acheminés aux paramilitaires des ” Forces de soutien rapide ” (FSR), ramifications des brutales milices janjawides impliquées dans les atrocités massives pendant le conflit du Darfour, qui ont ainsi été chargées de resserrer l’étau sur les migrants et réfugiés africains tentant de fuir vers l’Europe. En d’autres termes, l’UE a un rôle direct dans le soutien et la professionnalisation des milices qui ont participé au massacre contre-révolutionnaire du 3 juin.

    Le massacre de Khartoum du 3 juin a marqué un tournant contre-révolutionnaire au Soudan. Comme l’a bien dit un commentateur, cette semaine-là, “le Darfour était venu à Khartoum”. Il ne fait aucun doute que derrière cette attaque meurtrière se cachait la crainte, non seulement chez la classe dirigeante nationale, mais aussi chez les despotes régionaux soutenus par le TMC (en particulier les monarques en Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis, ainsi que le régime égyptien) d’un mouvement qui était devenu une source d’inspiration pour des millions de personnes dans la région. Ils ont encouragé les dirigeants de Khartoum à s’attaquer au cœur de ce mouvement, poussés par leur désir de mettre fin aux tentations révolutionnaires qui pourraient se développer dans leur propre territoire.

    L’appréciation tactique de ce stratagème était plutôt tempérée dans les capitales et ambassades occidentales. Dans une déclaration publique inhabituelle, le département d’État américain a révélé que son sous-secrétaire d’État avait téléphoné au vice-ministre saoudien de la défense pour lui demander d’utiliser son influence saoudienne afin de calmer le carnage au Soudan. Bien que la Russie ait adopté une position belligérante, faisant écho à la justification du massacre par les FSR, la soi-disant “troïka” (Etats-Unis, Grande-Bretagne et Norvège) et l’Union africaine, via la médiation éthiopienne, ont depuis redoublé d’efforts pour tenter de contenir les “excès” du Conseil Militaire et pousser l’opposition à accepter un accord de partage du pouvoir avec lui.

    Il est clair que certaines ailes de la classe dirigeante, en particulier à l’ouest, sont conscientes et inquiètes qu’une nouvelle déstabilisation du pays pourrait entraîner de nouvelles vagues de réfugiés frappant à leurs portes ; mais plus immédiatement, qu’une répression sanglante et prématurée du mouvement pourrait provoquer une nouvelle escalade révolutionnaire.

    Et ils ont raison. En effet, le massacre du 3 juin n’a pas eu le même effet d’entraînement sur la révolution que le massacre de la place Rabia-El-Adaouïa par l’armée égyptienne en août 2013, par exemple, qui a ouvert la voie à une période de répression soutenue par le régime nouvellement instauré de Sisi. Comme Marx l’a expliqué, une révolution a besoin de temps en temps du fouet de la contre-révolution. C’est ce qui s’est passé au Soudan début juin : la réponse de la classe ouvrière au carnage s’est accompagnée d’une grève générale nationale qui a duré 3 jours. Les niveaux impressionnants d’adhésion à la grève dans tous les secteurs, malgré les menaces ouvertes des dirigeants du TMC, ont témoigné de l’humeur militante et de la détermination des travailleurs.

    La SPA – stratégie et tactique

    Pendant la grève, la SPA a encouragé les manifestants à construire des barricades sur les routes principales et les rues secondaires, mais au lieu de les surveiller, elle leur a conseillé à tort de fuir immédiatement. “Barricader et se retirer”, disaient-ils dans leurs messages. “Évitez les frictions avec les forces Janjawides.”

    Cette tactique laisse les gens isolés les uns des autres, surtout quand Internet est coupé. Cela compromet la possibilité de débattre collectivement de la manière de résister et de combattre le régime, et de montrer la force du mouvement et empêche l’échange d’expériences et le renforcement de la confiance des gens dans les manifestations de masse, les piquets de grève et les assemblées sur les lieux de travail et dans les quartiers. Les gens sont laissés à la merci des milices et des forces de l’État qui se voient confier le contrôle de l’espace public, et les masses restent sans préparation pour affronter et vaincre leur assaut. Depuis lors, les manifestants ont instinctivement réagi contre cette approche, en organisant des marches et des manifestations nocturnes, afin de reconquérir les rues.

    La grève générale aurait pu durer plus longtemps si ses dirigeants, ne sachant pas quoi en faire, ne l’avaient pas annulée après trois jours, sans avoir obligé le Conseil Militaire à céder. Les dirigeants de la SPA avaient d’abord appelé à une grève générale politique ouverte et à une désobéissance civile de masse afin de ” faire tomber le régime militaire comme seule mesure restante ” pour sauver la révolution. Ils avaient également déclaré avant la grève qu’il n’y aurait plus de négociations avec le TMC. Au lieu de cela, ils ont décidé de montrer leur “bonne volonté” au TMC et aux médiateurs éthiopiens venus dans le pays pour encourager un accord sur un gouvernement de transition, en annulant la grève et en retournant directement à la table des négociations.

    C’est la logique inéluctable d’essayer de maintenir un bloc politique uni au sein de la coalition de l’opposition, les ” Forces de la Déclaration de Liberté et de Changement ” (FDCF). Le SPA représente le noyau activiste du FDCF, mais ce dernier est une alliance interclasses impliquant des partis pro-capitalistes tels que le Parti Oumma, qui agit depuis le début ouvertement comme un frein paralysant à la lutte révolutionnaire. Ce parti, qui inspire beaucoup de méfiance à cause de ses alliances régulières avec l’ancien régime, s’est publiquement opposé à la première grève générale le 10 juin et a tweeté le tout premier jour de la deuxième grève générale : “Ce n’est pas bien de continuer une désobéissance civile sans limite dans le temps.”

    Le dimanche 30 juin, les masses se sont à nouveau montrées prêtes pour un affrontement révolutionnaire, lançant une nouvelle et imposante contre-offensive, la ” Million’s March “, qui a abouti à ce qui fut probablement la plus grande manifestation de rue de l’histoire soudanaise pour exiger la fin du régime militaire.

    Au milieu de ces pics successifs d’action de masse, les dirigeants de la SPA auraient pu lancer un appel aux comités de résistance, aux comités de grève et à d’autres organisations de base pour qu’ils s’unissent aux niveaux local, régional et national, dans le but de fédérer une assemblée nationale de délégués révolutionnaires qui aurait pu former un gouvernement de travailleurs et des masses révolutionnaires, déposer le Conseil Militaire et se partager le pouvoir.

    Au lieu de cela, les politiques de collaboration de classe du FDCF, auxquelles les dirigeants de la SPA ont lié leur destin, les ont conduits à la conclusion d’un accord formel de partage du pouvoir avec le Conseil militaire le 4 juillet. Cet accord a institué un ” conseil souverain ” composé de 11 personnes, cinq militaires, cinq civils et une autre présentée comme un civil (en réalité, un officier militaire à la retraite). La junte est également chargée de nommer l’un des siens à la tête du conseil pour les 21 premiers mois suivant sa formation. Cela signifie que la majorité des membres du Conseil sera loyale à la TMC, et qu’on ne touche pas à son emprise effective sur les principaux leviers du pouvoir et les milices terroristes.

    Nul doute que cet accord servira à désorienter et à démobiliser les masses, et que la junte reprendra sa répression contre le mouvement révolutionnaire sous prétexte de rétablir “l’ordre”. Un tel accord avec les bourreaux de la révolution est une trahison ouverte des masses révolutionnaires et a semé la confusion dans les rues. Après huit mois de lutte acharnée, et en l’absence d’une alternative perceptible, des éléments de lassitude existent et une partie des masses a vu dans cet accord le seul moyen réaliste de “maîtriser” le TMC. Cependant, l’euphorie supposée décrite par les médias après l’annonce de l’accord était plutôt calme et limitée, et les illusions actuelles seront très probablement éphémères.

    La conclusion de ce pacte a été accueillie avec amertume et colère par les sections les plus avancées des travailleurs et des jeunes militants révolutionnaires. Il a également mis en évidence graphiquement les contradictions de classe au sein du FDCF. Notre agitation devrait donc mettre un accent renouvelé sur la nécessité de rompre avec toutes les forces et tous les éléments politiques de la FDCF qui reposent sur cet accord pourri, et prêts à faire des compromis avec les généraux bouchers. Nous devrions utiliser cet exemple tragique pour souligner la nécessité de dirigeants responsables et d’un parti de masse indépendant qui soient sans réserve du côté de la lutte révolutionnaire menée par les travailleurs et les masses opprimées. Les forces pour construire un tel parti peuvent émerger du processus d’accentuation de la différenciation politique qui résultera inévitablement de l’accord récent.

    En effet, aucun partage de pouvoir pacifique n’est possible entre la révolution et la contre-révolution. L’arrangement actuel n’empêchera pas que les intérêts des millions de travailleurs, de jeunes, de femmes et de pauvres qui luttent pour un Soudan libéré de la dictature et de la pauvreté soient mis sur la voie d’une nouvelle collision avec les intérêts des généraux assassins et des chefs de guerre à la tête du TCM.

    Les ” Leçons d’Espagne ” de Trotsky restent une lecture extrêmement précieuse pour éduquer les nouvelles générations sur ces questions programmatiques clés. Il y expliquait que “le mot “républicain”, comme le mot “démocrate”, est un charlatanisme délibéré qui sert à dissimuler les contradictions de classe”. Remplacez ” républicain ” par ” civil “, et c’est aussi pertinent aujourd’hui qu’à l’époque. La revendication d’un gouvernement civil a toujours été utilisée par les forces bourgeoises locales et les puissances impérialistes pour défendre un gouvernement qui protège la continuation et les intérêts du capitalisme au Soudan.

    Cependant, il est également vital d’apprécier les différents niveaux de conscience des masses sur ces questions dans les processus révolutionnaires actuels au Soudan et en Algérie. Cette demande est comprise différemment pour les larges couches de la population des deux pays qui ont repris ce slogan, dont beaucoup n’ont connu que la domination militaire. Comme le nouveau conseil souverain au Soudan n’a même pas une façade entièrement civile, il est probable que la demande d’un ” gouvernement civil ” continuera d’avoir un large écho pendant un certain temps et sera perçue par beaucoup comme un moyen de faire comprendre la nécessité de faire tomber la junte militaire. Il est donc important d’articuler habilement notre revendication d’un gouvernement ouvrier et paysan pauvre, non pas en s’attaquant de front à la revendication d’un gouvernement civil, mais en soulignant les intérêts de classe opposés qui se cachent derrière ce slogan.

    Tout gouvernement de coalition pro-capitaliste, quelle que soit sa composition civile ou semi-civile formelle, sera extrêmement instable, naviguant entre les aspirations réveillées mais insatisfaites de millions de Soudanais, l’appui d’appareils militaires et de sécurité bien établis et une situation économique catastrophique, avec des dettes énormes et une inflation rampante. L’ambassadeur de Grande-Bretagne à Khartoum a déclaré à juste titre que “si la volonté du peuple soudanais n’est pas respectée, alors je pense que nous retournerons au soulèvement populaire”. Mais si la classe ouvrière et les masses populaires soudanaises ne prennent pas le pouvoir en main, des ailes de l’élite dirigeante seront tentées de résoudre la crise à leur manière, en coupant court à la longue période d’instabilité par le recours à un coup d’Etat, ou “nouveau 3 juin”, peut-être à une plus grande échelle.

    La possibilité pour la classe dirigeante de jouer la carte de l’islamisme, en utilisant l’islam politique de droite pour tromper le mouvement révolutionnaire et protéger les intérêts du capital, comme elle l’a fait pendant un temps en Tunisie et en Egypte, semble plus limitée. L’islam politique est en déclin tant au Soudan qu’en Algérie. Au Soudan, les Frères Musulmans ne sont pas une force d’opposition importante ; ils ont partagé le pouvoir avec Al-Bashir depuis son coup d’Etat en 1989. L’une des principales caractéristiques du soulèvement soudanais est son opposition ouverte au pouvoir des militaires et de leurs alliés fondamentalistes. Les masses soudanaises ont crié des slogans accusant les islamistes d’être responsables de la tyrannie du régime.

    En Algérie, l’expérience de la décennie noire a rendu la population profondément méfiante à l’égard des deux. Le MSP, branche algérienne des Frères Musulmans, a pour sa part collaboré avec l’armée et soutenu Bouteflika depuis sa première prise de pouvoir en 1999 jusqu’en 2012. La plupart des manifestants rejettent les tentatives des fondamentalistes de détourner le mouvement aussi fermement que la prétention des généraux d’en faire autant. Les manifestants en Algérie ont même expulsé certaines personnalités islamistes de leurs manifestations.

    A cela s’ajoute le fait remarquable que les femmes ont joué un rôle de première ligne dans ces luttes de masse dès le premier jour. Les femmes ont joué un rôle majeur dans l’histoire révolutionnaire de l’Algérie et renouvellent ces traditions, mettant en avant leurs propres revendications et s’organisant activement dans le mouvement plus large. Au Soudan, au cours de la répression du 3 juin et des jours suivants, des viols et des agressions sexuelles contre des militantes et des manifestantes ont été perpétrés par des agents de sécurité et des milices pour briser l’esprit révolutionnaire des femmes. Un manifestant a été cité par la BBC : “La [milice] sait que s’ils brisent les femmes, ils brisent la révolution.”

    Le climat actuel n’est donc pas très propice à l’agenda politique préconisé par les fondamentalistes islamiques. Cela dit, la stagnation et les revers du processus révolutionnaire, combinés aux sentiments de frustration populaire qu’ils peuvent engendrer, pourraient créer un terrain plus fertile pour ces forces réactionnaires dans l’avenir. Le TMC lui-même a essayé de monter des groupes salafistes contre l’opposition en accusant cette dernière d’être largement contrôlée par des “figures athées anti-charia”. A cela s’ajoutent les manœuvres contre-révolutionnaires proactives et l’argent acheminé par les Etats du Golfe Wahhabites.

    Jeux régionaux

    La nouvelle situation créée par l’éviction d’Al Bashir au Soudan se déroule dans un contexte d’intensification de la lutte internationale pour l’influence dans la région. Une rivalité entre l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis, d’une part, et le Qatar, la Turquie et l’Iran, d’autre part, a gagné la Corne de l’Afrique. Le Soudan est devenu un champ de bataille clé de cette rivalité.

    Entre 2000 et 2017, les États du Golfe ont investi 13 milliards de dollars dans la Corne de l’Afrique, principalement au Soudan et en Éthiopie. En décembre dernier, des représentants de Djibouti, du Soudan et de la Somalie se sont réunis à Riyad pour discuter de la création d’une nouvelle alliance de sécurité pour la mer Rouge. Les Émirats Arabes Unis ont une base militaire en Érythrée depuis 2015 et en construisent une autre au Somaliland. Le régime saoudien prévoit également d’en construire une à Djibouti.

    La Turquie a également fait des incursions dans la région, encourageant des relations étroites avec le gouvernement somalien, y établissant des installations militaires et obtenant des contrats pour les entreprises turques, qui gèrent désormais les ports et aéroports de la capitale. Le régime turc a conclu divers accords commerciaux et militaires avec le régime d’Al Bashir en 2017, notamment un accord pour la remise de l’île soudanaise de Suakin à l’Etat turc, afin d’établir une présence militaire sur la mer Rouge.

    Le renversement d’Al Bashir a ouvert une nouvelle situation, permettant un certain remaniement des cartes, l’axe saoudien devançant la Turquie et développant un ascendant sur les dirigeants militaires actuels à Khartoum. Les chefs du Conseil militaire ont déclaré que l’île de Suakin est une ” partie inséparable ” du Soudan, se sont engagés à soutenir le régime saoudien contre toute menace émanant de l’Iran et à continuer de déployer des troupes soudanaises au Yémen pour aider les Saoudiens dans leur guerre contre les Houthis.

    La coalition saoudienne-émiratienne a utilisé des soldats soudanais pour externaliser sa guerre contre le Yémen, réduisant ainsi le nombre de morts saoudiennes et atténuant ainsi la dissension interne. Cependant, le fait que les masses soudanaises revendiquent de rapatrier les troupes soudanaises du champ de bataille yéménite dans le contexte de leur lutte révolutionnaire, montre combien l’action de masse de la classe ouvrière dans un pays peut aider à renverser les tendances réactionnaires au niveau régional. Bien sûr, la façon dont cela peut être se faire dépend du programme et de la direction qui guidera ces luttes. Pourtant, il ne fait aucun doute que la poursuite de la guerre au Yémen et de l’envoi de Soudanais pauvres pour servir de chair à canon aux intérêts de l’élite saoudienne alimenteront la rage révolutionnaire contre le ” nouveau ” régime à Khartoum.

    Question nationale

    Comme nous l’avons vu dans nos rangs par le passé, les termes “printemps arabe” et “révolution arabe” doivent être traités avec prudence. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit des mouvements révolutionnaires en Algérie et au Soudan, pays où d’importantes minorités de la population ne sont pas arabes et où existent des questions nationales sensibles. Un programme marxiste pour résoudre la question nationale, reliant la lutte contre l’oppression nationale à un programme de classe, est crucial pour surmonter les tentatives de la classe dirigeante d’exploiter et d’approfondir les divisions nationales.

    Le Soudan n’a jamais été une nation intégrée ; comme la plupart des pays africains, c’est un cadeau empoisonné hérité des politiques de “diviser pour mieux régner» de l’impérialisme occidental. Les 43 millions d’habitants du territoire actuel du Soudan sont composés à 70 % d’Arabes, les 30 % restants étant des groupes ethniques arabisés de Bejas, de Coptes, de Nubiens et d’autres peuples. Il y a aussi près de 600 tribus au Soudan qui parlent plus de 400 dialectes et langues. Les divisions raciales et tribales, en particulier entre les Arabes ethniques qui vivent le long du Nil et les Africains à la peau plus foncée qui constituent la majorité dans les régions périphériques, ont été pleinement exploitées par le régime d’Al Bashir pour consolider son pouvoir.

    Cependant, lorsqu’en février, Al Bashir a tenté d’attribuer les manifestations à de prétendus étudiants terroristes du Darfour, la tactique s’est retournée contre eux de manière spectaculaire, de nombreux manifestants ayant repris le slogan : “Oh, raciste arrogant, nous sommes tous du Darfour”. Cela met en évidence l’une des caractéristiques uniques de ce mouvement par rapport aux luttes révolutionnaires passées au Soudan : qu’il se soit propagé à tout le pays. Les révolutions de 1964 et 1985 se sont principalement limitées à la capitale et aux villes du Nord, avec une forte division entre le centre et les périphéries ; il s’agit cette fois-ci d’un mouvement “national”, qui a naturellement englobé tous les coins du pays, unissant en action les travailleurs et les pauvres quelle que soit leur origine ethnique.

    Cela étant dit, si la lutte révolutionnaire n’est pas menée à la victoire et n’aboutit pas à terme à une restructuration fondamentale de la société selon les lignes socialistes impliquant le droit à l’autodétermination pour toutes les nationalités opprimées (comme les peuples des Monts Nouba et du Darfour), les divisions de longue date, notamment le danger de guerre ethnique, peuvent refaire surface.

    En Algérie, l’éruption spectaculaire des masses s’est également produite à une échelle géographique étendue, avec un essor dans les 48 wilayas (départements) du pays. Le mouvement est particulièrement mobilisé dans la région de la Kabylie, où les griefs économiques et sociaux se mêlent à une forte identité amazighe (berbère) forgée par des décennies de tentatives du régime algérien pour supprimer les droits linguistiques et culturels de la minorité amazighe, en imposant une politique d’arabisation et la marginalisation économique. La reconnaissance de la langue amazighe comme langue nationale et officielle est un développement récent (2016), qui ne s’est faite que sous une pression énorme des masses.

    La possibilité que cette question refasse surface, en partie sous l’impulsion des provocations chauvines de la clique militaire d’Alger, a été récemment démontrée par les attaques du chef d’état-major de l’armée Gaïd Salah contre la proéminence du drapeau amazigh dans les manifestations de rue. Après avoir annoncé le 19 juin que seuls les drapeaux nationaux seraient autorisés, des dizaines de manifestants portant des drapeaux amazighs ont été arrêtés par la police.

    Le régime algérien s’est efforcé au fil des années de se cacher continuellement derrière une certaine façade ” progressiste “. Par exemple, il soutient rhétoriquement la cause des peuples sahraouis et palestiniens, et a adopté une approche prudente sur les interventions étrangères en Libye, en Syrie et au Yémen. Il a également refusé l’installation de centres de transit pour les migrants à l’intérieur du pays. Cependant, ce n’est qu’un côté de la médaille. Si l’Algérie n’est pas encore devenue un valet complet de l’impérialisme, elle est de connivence avec l’impérialisme sur de nombreux fronts. Le régime a signé un ” partenariat exceptionnel ” avec l’impérialisme français, avec lequel il a collaboré dans son intervention militaire au Mali. En février, l’armée algérienne a participé, au Burkina Faso puis en Mauritanie, à des manœuvres militaires de grande envergure placées sous la supervision de l’Africom. Ces contradictions dans la politique étrangère d’un régime traditionnellement orienté vers le soi-disant “non-alignement” ne peuvent que s’accentuer dans la période à venir, une période de concurrence inter-impérialiste accrue au niveau régional et de réveil politique de masse au niveau national.

    Des contradictions similaires persistent dans l’économie algérienne. Les secteurs de l’énergie et des mines restent majoritairement étatiques, à la consternation de l’aile néo-néolibérale du régime et des entreprises occidentales qui veulent accélérer les réformes du marché libre. Ces dernières années, le gouvernement algérien a freiné une grande partie de la libéralisation de l’économie promise, arrêté la privatisation des industries publiques et maintenu la “loi sur l’investissement” – qui stipule que les entreprises nationales qui s’associent à des partenaires étrangers doivent détenir la majorité des actions. Ces questions continueront d’alimenter les tensions entre les factions rivales de la classe dirigeante, d’autant plus dans le contexte d’un mouvement ouvrier plus affirmé, et du détrônement de la figure politique principale qui jouait le rôle “d’arbitre” de ces tensions.

    Droits démocratiques et lutte pour le socialisme

    Sur les traces des traditions bonapartistes algériennes, le général Ahmed Gaïd Salah tente de se faire passer pour le nouvel homme providentiel. Pour tenter de conquérir la population, il a jeté en prison certains des principaux oligarques et amis de Bouteflika et a lancé des enquêtes anti-corruption. Pour affirmer son autorité, il s’est appuyé sur l’application de l’article 102 de la Constitution, qui sacrifie le Président mais maintient la Constitution hyper-présidentielle actuelle, le gouvernement, le conseil constitutionnel, les deux chambres du Parlement et toutes les institutions de l’ancien régime.

    L’élection présidentielle initialement prévue par le régime pour le 4 juillet a été annulée, en raison de leur rejet massif dans les rues, et alors que de plus en plus de maires et de magistrats, sous la pression croissante de la base, annonçaient leur refus de les organiser. Dans un tel contexte, l’appel rassembleur en faveur d’élections libres à une assemblée constitutionnelle révolutionnaire nationale, supervisée par des comités locaux devant être formés dans toutes les communautés pour assurer le caractère démocratique et non corrompu du vote, revêt une pertinence particulière.

    Alors que les masses sortent d’un régime autoritaire, les marxistes devraient accorder l’importance qui leur revient à la défense et à la lutte pour tous les droits démocratiques, tels que la liberté de réunion, la liberté de la presse, le droit d’organisation et de grève, la libération des détenus politiques, etc. Mais, bien sûr, ils ne devraient pas être isolés, mais faire partie d’un programme global de changement socialiste. En outre, nous devons souligner que la classe ouvrière et le peuple révolutionnaire ne peuvent avoir confiance qu’en leurs propres forces pour conquérir et maintenir ces droits. Par exemple, c’est la lutte de masse en Algérie qui a permis la reconquête du droit de manifester dans tout le pays, notamment dans la capitale Alger, où cela était interdit par le régime depuis 2001.

    Le PST (Parti Socialiste des Travailleurs) en Algérie, qui fait partie du Secrétariat Unifié, plaide en faveur d’un ” gouvernement provisoire pour défendre la souveraineté nationale “. Le Parti communiste soudanais prône une ” autorité transitoire démocratique et civile “. Ces slogans suggèrent qu’un stade démocratique stable peut être assuré sans renverser le capitalisme ; ils ne délimitent pas le contenu de classe du gouvernement pour lequel les masses révolutionnaires doivent se battre. Ce sont deux variantes de l’ancienne théorie menchévique, adoptée plus tard par les staliniens, selon laquelle les étapes démocratiques et socialistes de la révolution sont deux chapitres historiques distinctement indépendants, nourrissant la dangereuse illusion qu’une forme viable de régime démocratique favorable aux masses peut être obtenue sans remettre en question les relations bourgeoises de propriété.

    En pratique, cette théorie a ouvert la voie à des alliances politiques traîtresses et à des collaborations gouvernementales avec des ennemis pro-capitalistes, se drapant d’un masque progressiste pour mieux tromper les masses et mettre fin à leur lutte. Ces politiques ont irrémédiablement entraîné des défaites catastrophiques pour la classe ouvrière dans les révolutions, de la Chine en 1925-27 à l’Iran dans les années 1980. Elles constituent une partie centrale de l’explication de la faiblesse de la gauche aujourd’hui dans une grande partie du Moyen-Orient et de l’Afrique.

    Le Parti communiste soudanais (SCP), qui avait autrefois exercé une influence politique considérable en tant que l’un des plus grands partis communistes du continent, a été historiquement décimé à la suite de cette politique désastreuse des ” étapes “, se mettant toujours à la remorque de ce qui était présenté comme les sections ” progressistes ” de la bourgeoisie nationale, plutôt que de poursuivre une politique de classe indépendante pour unir les masses derrière des objectifs socialistes.

    Malheureusement, les dirigeants actuels du SCP ne semblent pas avoir tiré de leçons de leur propre histoire. Dans un communiqué publié début juin, le parti a ouvertement admis : “Nous devons nous soumettre aux souhaits de la majorité de nos partenaires du FDCF et avons accepté de nous asseoir avec le TMC pour négocier un transfert de pouvoir basé sur des modalités de partage du pouvoir avec le TMC. Pour notre part, nous avons vu qu’un changement de position aussi drastique serait coûteux, ne répondant pas aux aspirations de millions de personnes de notre peuple à un véritable changement, et surtout, nous avons du endurer le fort mécontentement visible de certains de nos loyaux membres, amis et sympathisants. Cependant, comme nous étions régis par les termes et les règles du FDCF, nous avons choisi d’agir de manière pragmatique et de prendre la position qui assure l’unité de l’opposition sous la direction du FDCF.”

    C’est dans la même logique que s’inscrit le slogan d’un ” gouvernement des compétences nationales ” défendu par le Front Populaire en Tunisie en 2013. Elle a abouti à la conclusion d’un accord programmatique entre le Front populaire et “Nidaa Tounes”, c’est-à-dire le principal parti politique représentant l’ancien régime dictatorial et les forces pro-restauration, sous prétexte de construire un front “civil” contre les islamistes de droite d’Ennahda. Le Front populaire ne s’est jamais vraiment remis de cette terrible trahison et a gaspillé une formidable opportunité révolutionnaire qui avait objectivement posé la question du pouvoir de la classe ouvrière en Tunisie durant l’été de cette année-là.

    Pour remporter des victoires dans la lutte révolutionnaire de masse et jeter les bases pour en finir avec de la misère, de la crise, de l’exploitation et de l’oppression actuelles, une transformation socialiste de la société est nécessaire. Trotsky a expliqué dans la théorie de la révolution permanente comment toutes les tâches de la révolution démocratique bourgeoise – la question nationale, la terre, les droits démocratiques, la “modernisation” – sont liées à la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme.

    Alors que les magnifiques soulèvements révolutionnaires en Algérie et au Soudan ont montré une fois de plus l’héroïsme révolutionnaire dont sont capables les travailleurs, les femmes et les jeunes, les directions des forces politiques actuelles de la gauche organisée ne sont malheureusement pas à la hauteur des tâches historiques posées par ces mouvements. Cela ne fait que souligner l’importance pour le CIO de renouveler ses efforts pour aider à la construction de forces marxistes révolutionnaires dans ces pays et dans toute la région.

  • Algérie. Le mouvement de masse fait vaciller le régime

    Manifestants le 10 mars 2019 à Blida. Photo : Wikipédia

    Le départ de Bouteflika ne suffira pas : tout le système doit dégager !

    Dans les médias dominants, les événements actuels en Algérie semblent tomber du ciel. En 2010, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), dont le PSL est la section en Belgique, évoquait déjà ce pays comme une ‘‘chaudière sociale prête à exploser à tout moment’’. Nous nous sommes entretenus avec Cédric Gérôme, responsable du CIO pour le suivi de cette région du monde.

    Dans quel contexte surviennent ces impressionnantes mobilisations ?

    Des éléments avant-coureurs sont là depuis longtemps. En 2010 déjà, nous parlions de l’Algérie comme d’une « chaudière sociale prête à exploser à tout moment. » Un rapport de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme estimait en 2015 que 80% de la richesse nationale était détenue par 10% de la population, et que quelque 14 millions de personnes vivaient dans une misère complète. Des milliers de jeunes algériens sans avenir ont péri dans la méditerranée, tentant d’échapper à cette situation. La désaffection massive croissante lors de chaque échéance électorale était une indication de l’aliénation de pans de plus en plus importants de la population.

    Le 5e mandat ne fut que l’élément déclencheur pour le déferlement d’une colère populaire latente, qui s’était accumulée depuis des années. Le mouvement actuel n’a en effet pas surgi de nulle part. D’innombrables luttes locales et sectorielles ont émaillé la période précédente, et ce dans toutes les régions du pays. Cette situation explique pourquoi les manifestations étudiantes initiales le 22 février se sont si rapidement propagées à tous les segments de la société. Fait notable, la classe ouvrière a émergé dernièrement comme une force majeure du mouvement, marquant une nouvelle étape dans la lutte.

    Pendant des années, les larges recettes pétrolières et gazières avaient permis au régime de jeter de l’eau sur les braises, à coup de subventions sociales ciblées, pendant même que les inégalités structurelles se creusaient. Mais l’effondrement des prix des hydrocarbures après 2014 a réduit les marges de manœuvre pour activer cette manne pétrolière. Depuis lors, plus de 90% des ménages algériens ont vu leur niveau de vie chuter. L’an dernier encore, la volonté des capitalistes algériens de faire porter aux masses le fardeau de la crise s’est traduite par une nouvelle flambée généralisée des prix, dans un contexte de stagnation des salaires et des pensions.

    Les travailleurs sont donc entrés en action ?

    Les grèves se sont développées de manière indépendante du contrôle des dirigeants de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), la centrale syndicale officielle, lesquels ont toujours travaillé main dans la main avec le régime pour domestiquer la classe ouvrière, réprimer les syndicalistes militants et « accompagner » les politiques de casse sociale. Les médias sociaux ont joué un rôle important pour contourner le sabotage de la bureaucratie syndicale, et diffuser des mots d’ordre d’action parmi les travailleurs. A partir de dimanche 10 et lundi 11, beaucoup de sections locales de l’UGTA ont défié leurs dirigeants et ont rejoint les mots d’ordre de grève générale, apparus via des appels anonymes sur internet, et relayés par certains syndicats autonomes.

    Face à une UGTA de plus en plus moribonde (bien qu’encore en proie à d’importants fiefs combatifs), ces syndicats autonomes ont gagné en importance dans les dernières années, particulièrement dans la fonction publique (santé, enseignement, administrations…). Mais leur enracinement reste faible. La réappropriation et l’unification des organisations syndicales par la base sera d’une importance décisive sur le futur du mouvement en cours.

    Depuis un peu plus d’une semaine, des grèves en cascade ont balayé le pays, frappant les ports, des usines de fabrication de voitures, les transports en commun, l’industrie agro-alimentaire, les écoles et universités, les commerces – ainsi que des secteurs stratégiques comme le pétrole et le gaz, et la zone industrielle de Rouiba à l’est d’Alger, bastion historique du mouvement ouvrier algérien. Il n’y a pas le moindre doute que c’est la multiplication de ces grèves qui a précipité l’annonce d’un renoncement à la cinquième candidature de Bouteflika, de la démission du premier ministre et du report des élections. Cependant, cette vaine tentative des classes dirigeantes de reprendre contrôle sur la situation n’a fait que stimuler la confiance du mouvement en ses propres forces.

    Les héritiers du Front islamiste du salut (FIS) disposent-ils encore d’une influence dans le pays ?

    Le soutien pour les courants salafistes politiques s’est liquéfié après l’expérience de la « sale guerre » des années ’90. Une branche légaliste de l’islam politique s’est intégrée dans l’appareil d’état, mais son influence reste plutôt limitée. Dans le Sud surtout, des cellules jihadistes existent encore, notamment celles d’Al Qaeda au Maghreb Islamique, mais ne disposent plus de la même base opérationnelle que par le passé.

    L’âge médian en Algérie est de 28 ans, à savoir la période qui nous sépare de la victoire électorale du FIS en décembre 1991. Parmi les plus jeunes générations, le traumatisme d’un nouveau bain de sang, exploité pendant longtemps par le régime pour se pérenniser, est un argument qui a de moins de moins de prise. Lorsque le régime a récemment brandi l’épouvantail syrien, disant que les manifestations en Syrie ont mené à une décennie de guerre, les manifestants ont répliqué: «l’Algérie n’est pas la Syrie».

    A noter aussi que dans le mouvement actuel, les femmes ont pris dès le début une place prépondérante, réoccupant l’espace public d’une manière encore impensable il y a quelques mois. Le climat actuel n’est pas propice aux politiques de ségrégation sexuelle prônées par la droite islamiste. Ceci dit, un certain « retour de pendule » n’est pas à exclure, dans le cadre d’impasse et de reculs dans le processus révolutionnaire, combinées aux sentiments de frustration populaire et aux manœuvres du régime en place. La construction d’une alternative de gauche révolutionnaire est le meilleur rempart contre la réaction, qu’elle soit islamiste ou non.

    Quelle est la situation de la gauche dans le pays ?

    Louisa Hanoune, dirigeante du Parti des Travailleurs (PT), est connue pour être proche de Bouteflika et de son régime. Elle fut la première parmi les candidats en lice aux présidentielles de 2014 à donner son aval formel aux résultats des élections, appelant au respect de la prétendue « volonté du peuple ». Après les manifestations initiales en février, elle s’est couverte de ridicule en affirmant, contre toute évidence, que « Les slogans n’étaient pas contre Bouteflika .» Les interventions publiques de ce parti semblent se limiter à multiplier les mises en garde envers le régime quant au danger d’explosions incontrôlables s’il ne lâche pas du lest.

    Le PST (Parti Socialiste des Travailleurs) est quant à lui rattaché au Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, a des positionnements plus à gauche, et a eu le mérite d’appeler publiquement à la grève générale dès février. La question reste à savoir dans quelle mesure la direction de ce parti a tiré les enseignements des erreurs de ses consœurs en Tunisie, lesquels tant en 2011 qu’en 2013, se sont malheureusement fourvoyés dans des arrangements court-termistes avec la bureaucratie syndicale et avec l’aile soi-disant « progressiste » de la bourgeoisie, contribuant ainsi à dérailler le processus révolutionnaire.

    Quelles sont les perspectives pour le mouvement ?

    Il s’agit d’une lame de fond inédite. Même des figures proches du pouvoir ont reconnu que « des millions » de gens sont descendus dans la rue ces dernières semaines, et jusqu’à présent, chaque vendredi semble franchir de nouveaux records de mobilisation. Une telle irruption des masses sur le champ politique ne disparaitra pas d’un simple claquement de doigt.

    Il n’y a plus eu autant de jeunes dans les rues algériennes depuis 1962, lors de la proclamation de l’indépendance face au pouvoir colonial français. Il est d’ailleurs intéressant de voir que dans toutes les marches sont brandis des slogans et pancartes faisant référence à la révolution algérienne contre le colonialisme français. Pour un pouvoir qui s’est toujours revêtu d’une prétendue « légitimité historique » pour asseoir son autorité, usant de son rattachement à la lutte de liberation nationale de 1954-1962, c’est une véritable mise au ban de l’histoire.

    Une ambiance de « fin de règne » est manifeste, et les éléments d’une situation prérévolutionnaire sont en gestation, exprimés entre autres par les fissures ouvertes dans l’appareil d’état. Ce véritable soulèvement a forcé l’une défection après l’autre dans le camp du régime, un certain nombre de ministres du FLN et hauts bureaucrates faisant le calcul selon lequel Bouteflika devra être démis de ses fonctions afin de protéger le reste du régime. Bouteflika étant un point d’équilibre fragile pour arbitrer les luttes entre les différents clans qui se disputent le pouvoir et le gâteau économique, tous ces clans manœuvrent maintenant pour préparer une « transition » à leur avantage. Ce qui met en évidence le besoin pour les masses révolutionnaires de développer leur propre outil politique, à l’abri de toutes ces manœuvres.

    Un nouveau ‘‘printemps arabe’’ est-il possible ?

    La lutte en Algérie n’évolue pas en vase clos. En janvier, 750.000 travailleurs étaient en grève dans la fonction publique en Tunisie. Le Maroc est traversé par une vague de grèves, notamment dans l’enseignement et les hôpitaux publics. Le Soudan est en proie à une situation semi-insurrectionnelle depuis plusieurs mois. Autrement dit, on assiste à une « nouvelle vague », que le soulèvement en Algérie pourrait stimuler davantage. Si le régime de Bouteflika est renversé, il n’y a aucun doute que cela rallumerait les flammes de la révolution dans toute la région.

    L’implication des Algériens de la diaspora dans le mouvement à Genève, Londres, Montréal, New York, et surtout dans les villes françaises, fut massive elle aussi. Vu les quatre à cinq millions d’habitants d’origine algérienne vivant en France, mais aussi les intérêts stratégiques de l’impérialisme français en Algérie, Macron a de bonnes raisons de suivre la situation de près.

    L’expérience des révolutions de 2010-2011 signifie aussi que le mouvement en Algérie ne commence pas à partir d’une page blanche : les masses ont tiré des leçons des luttes, des victoires et des défaites dans la région. Les appels au renversement du régime ont rapidement fait surface, le mouvement étant bien conscient que se contenter de la tête de Bouteflika (qui par ailleurs est un pantin sénile dans un état semi-végétatif) ne ferait que laisser la main aux restants du régime pour se refaire une deuxième santé sur le compte des masses.

    Quelles revendications et quels mots d’ordres permettraient-ils d’en finir avec le régime tout entier ?

    Le début d’un processus, encore timide, d’auto-organisation voit le jour. Ce processus est d’une importance vitale pour construire la lutte sur la durée, et doit se consolider. Des comités de grève sur les lieux de travail et d’étude, des assemblées populaires dans les quartiers et les villages, sont nécessaires pour organiser la lutte démocratiquement par la base, planifier collectivement les actions à mener, et structurer les forces vives du mouvement, indépendamment du pouvoir et de ses partis satellites.

    Ces comités pourraient se structurer à l’échelle de chaque localité et wilaya, en vue d’envoyer leurs délégués à une Assemblée constituante révolutionnaire chargée de rédiger une nouvelle constitution. Une telle constitution balayerait le « code de la famille » et ses lois moyenâgeuses contre les femmes, étendrait les libertés démocratiques de base, les droits d’expression et de rassemblement, les droits syndicaux, et appliquerait la non-interférence de la religion dans les affaires de l’état. Elle affirmerait la défense des droits linguistiques, culturels et religieux de chaque communauté, y compris le droit du peuple amazigh de déterminer librement son avenir.

    Mais le mouvement doit aussi discuter d’une alternative aux politiques économiques du régime, et à celles préconisées par l’opposition néo-libérale derrière laquelle se cache une poignée d’oligarques – lesquels cherche à exploiter le mouvement en cours dans le but d’accélérer le démantèlement du secteur public et l’appauvrissement généralisé au profit de la bourgeoisie la plus étroitement liée à l’impérialisme occidental. Il faut demander un arrêt des privatisations, la renationalisation des entreprises privatisées, et la mise sous contrôle ouvrier et populaire des secteurs stratégiques, à commencer par les hydrocarbures. Cela permettrait de financer un vaste plan d’investissement dans les secteurs sociaux, le logement, la rénovation des infrastructures, etc. L’ouverture des livres de compte dans les entreprises est aussi une revendication importante pour mettre un terme à la corruption et au vol de l’argent public.

    L’armée, colonne vertébrale du pouvoir en place, a massé des troupes près des axes stratégiques, et s’est dite garante de la sécurité du pays « en toute circonstances ». Pour l’instant, la mobilisation semble trop forte pour qu’une répression d’envergure ne fasse autre chose que radicaliser les masses davantage, voire même créer des réactions de solidarité avec le mouvement parmi une partie des troupes. Déjà la vidéo d’un policier rejoignant le mouvement dans la ville de Bejaia a fait le tour des médias sociaux. Ceci dit, il faut se préparer au danger que la situation puisse changer : organiser sérieusement la sécurité de chaque manifestation, mais aussi multiplier les appels de classe vers les policiers et les militaires, les enjoignant à ne pas jouer le jeu de la répression.

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    30 & 31 mars. SOCIALISME 2019 : du ras-le-bol à la riposte !

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  • Libérez les prisonniers politiques MOZABITES des geôles algériennes !

    Un rassemblement en solidarité avec les détenus politiques amazighs du Mzab, dans les geôles du pouvoir algérien, aura lieu ce vendredi 3 février à 17h à Bruxelles, Place de la Monnaie (située entre le Palais de la Bourse et la place de Brouckère). Le tract ci-dessous y sera distribué par les militants du PSL.

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    Le 9 juillet 2015, Kameleddine FEKHAR, médecin de profession et militant amazigh des droits humains, ainsi que quarante de ses camarades ont été injustement arrêtés et illégalement incarcérés par le régime algérien sur base de dossiers VIDES. Plusieurs d’entre eux sont morts en prison des suites de mauvais traitements. Les détenus d’opinion mozabites incarcérés dans les geôles du pouvoir algérien font l’objet de pressions psychologiques et de non-respect de la dignité humaine. Beaucoup d’entre eux sont malades, épuisés et privés de soins. L’état de santé de Kamel Fekhar, en grève de la faim depuis le 3 janvier 2017, pour la 5e fois, est plus qu’inquiétant.

    Tract du PSL // Libérez les prisonniers politiques MOZABITES des geôles algériennes ! (tract en version PDF)

    Depuis le drame qui s’était déroulé à Ghardaïa (en Algérie, à 600 km au Sud d’Alger) en juillet 2015 où plus d’une trentaine de Mozabites avaient étés assassinés, le Mzab est toujours plongé dans un enfer meurtrier. Les Mozabites sont une communauté amazigh de religion musulmane ibadite. Ils continuent à pratiquer l’entraide liée au droit coutumier amazigh et sont en opposition à l’Islam orthodoxe, la religion de l’Etat. Leur présence et leurs coutumes gênent le régime capitaliste central. Celui-ci essaye partout en Algérie d’arrêter tout mouvement de contestation. A cette fin, il sème la division pour régner. Des femmes, des hommes et des enfants de cette région subissent régulièrement des offenses humiliantes et sanglantes de la part de certains membres de la communauté arabophone (châamba et autres). La police algérienne prête main-forte aux agresseurs. Ainsi, au lieu de protéger les victimes, plusieurs images, vidéos et témoignages montrent clairement la participation de la police au côté des agresseurs.

    Le conflit dans le Mzab remonte aux années ‘70. Il reflète les mêmes injustices qui s’appliquent ailleurs. Au Sud de l’Algérie, le régime exploite du gaz de schiste sur des terres collectives (entre autres à In-Salah) au grand dam des populations locales qui subissent la pollution et craignent la sècheresse. Au Mzab, depuis plusieurs décennies, les autorités algériennes s’accaparent les terres collectives et confisquent parfois leurs terres dans le cadre d’une politique d’arabisation, comme partout ailleurs dans le pays. Ces terres sont attribuées à la communauté châamba ou consacrées à la construction de logements sociaux destinés aux Arabes châambas ou encore à des gens issus d’autres régions d’Algérie.

    Le bilan des attaques s’alourdit constamment : une cinquantaine de morts depuis le début du conflit, en décembre 2013. Face à cette grande injustice et à cette situation dramatique, nous ne pouvons rester inertes. Il faut dénoncer ces attaques sauvages redoublant de férocité depuis deux ans dans cette contrée isolée par le climat, le relief et la mise en quarantaine par le pouvoir algérien.

    L’Algérie étant officiellement « arabe et musulmane sunnite de rite malékite », il en découle que tout ce qui diffère de cette définition est discriminé, exclu, combattu. C’est le sort des Mozabites qui sont à la fois amazighs et musulmans de rite ibadite, ce rite ibadite étant considéré par les autres adeptes de la religion musulmane comme relevant d’un courant hérétique. Non-prosélyte, l’ibadisme est caractérisé par sa non-violence. Il représente seulement 1 % de la population de confession musulmane au monde et est en voie de disparition. Dans les sociétés berbères, l’ibadisme est indissociable de l’amazighité ce qui lui vaut l’appellation d’« islam identitaire ».

    Cette position intolérante à l’égard des particularismes de l’Islam a été relayée dans les mosquées par des discours haineux tenus par des fonctionnaires (religieux) nommés par le gouvernement. Cela est gravement discriminatoire et viole la liberté de conscience telle que prévue par la Constitution algérienne et par les principales institutions internationales relatives aux droits humains.

    • Libération immédiate de tous les détenus politiques en Algérie, en particulier les Mozabites et leur dirigeant le docteur Kamaleddine Fekhar ;
    • Rejet de toute forme de racisme, non seulement contre les Mozabites, mais aussi contre tous les Amazigh et les immigrés africains ;
    • Création d’une commission d’enquête internationale sur les crimes commis contre le peuple mozabite ;
    • Arrêt immédiat de la répression des mouvements sociaux en Algérie, dont le mouvement contre le gaz de schiste ;
    • Appel à la solidarité internationale du mouvement ouvrier et de tous les opprimés contre tous les crimes qui résultent de la recherche de profits et de l’enrichissement des élites nationales et internationales.
  • Algérie : populations du Sahara algérien en lutte

    In_Salah_01Le gouvernement algérien, qui voit la manne pétrolière se réduire avec la baisse du prix du pétrole, a fait depuis décembre 2014 ses premiers forages de prospection de gaz de schistes dans le Sud algérien. Et les premières luttes des habitants ont commencé. Depuis plus de 60 jours, les mobilisations, qui ont commencé d’abord à In-Salah (près du premier site d’exploration dans le Sahara algérien, à 1 500 km au sud d’Alger) ne faiblissent pas, malgré une répression dure. D’autres manifestations, sit-in et grèves se sont répandues à Tamanrasset et dans d’autres villes.

    Ces luttes prennent un caractère vital car les conditions de survie sont déjà très difficiles. Dans un pays qui manque d’eau, mettre en place la fracturation hydraulique signifie risquer de polluer les réserves d’eau actuelles et futures. C’est tout simplement meurtrier pour les habitants qui seront les premiers touchés, et durablement!

    Les slogans ciblent aussi la corruption et les sociétés étrangères telles que TOTAL, symbole de l’impérialisme de l’ex-puissance coloniale. La lutte pourrait devenir hautement politique contre les privatisations, la corruption du régime de Bouteflikha et ses liens avec les grandes firmes capitalistes.

    Un moratoire pourrait temporairement stopper l’exploration et l’exploitation. Mais en réalité il faut imposer l’interdiction de l’exploitation des gaz de schistes. Et pour cela, le seul moyen est d’exproprier les multinationales et les consortiums. La priorité est aussi le contrôle et la gestion par les habitants des entreprises privées, et publiques, telle que la Sonatrach algérienne corrompue.

    Planifier durablement l’utilisation des ressources n’est pas possible dans le système capitaliste qui tend à la recherche permanente de profits immédiats quoi qu’il en coûte. Le sol et le sous-sol doivent être propriété collective des habitants et contrôlés par eux. Seule une société socialiste, débarrassée de la vision capitaliste à court terme et anarchique, permettra d’utiliser et de préserver les ressources dans le même temps.

  • Algérie: Abdelaziz Bouteflika entame un quatrième mandat

    L’instabilité va continuer à croître

    Par Serge Jordan, CIO

    Du point de vue du pur « suspense », les élections algériennes ont constitué un non-évènement. Les Algériens sont habitués aux mascarades électorales qui appuient le candidat sélectionné dans des circonstances obscures par ceux-là même auxquels on se rapporte largement comme étant « le pouvoir » : les dirigeants du parti au pouvoir (le FLN), les grands magnats du business, mais également les généraux de l’armée et des services secrets, qui essaient tous de tirer les ficelles sur la scène politique selon leurs intérêts personnels.

    Abdelaziz Bouteflika, 77 ans, fragile et souffrant, règne sur l’Algérie depuis 15 ans maintenant. C’est le candidat favori des différentes factions de l’élite dirigeante du pays, ainsi que des plus grandes puissances occidentales. Pour ces dernières, la convergence d’intérêts avec le régime algérien revêt une importance stratégique ; à la fois pour poursuivre leurs aventures impérialistes dans la région mais aussi pour sécuriser la vaste source d’hydrocarbures que représente le pays, d’autant plus dans l’actuel contexte de la crise ukrainienne.

    Bouteflika a « gagné » un quatrième mandat le 17 avril dernier, obtenant le score officiel de 81,53% des voix. Sa victoire a été annoncée avant même la publication des résultats. Même en considérant que ce chiffre est exact, ceci signifierait toutefois que cinq millions de personnes de moins lui ont accordé leur voix par rapport à la dernière élection présidentielle de 2009. Le taux de participation officiel n’a quant à lui qu’à peine dépassé la moitié de l’électorat.

    Ce résultat peine à masquer ni le mécontentement croissant et qui s’exprime toujours davantage parmi des couches de plus en plus grandes de la population algérienne, ni l’effondrement de la popularité de Bouteflika, ni les confrontations qui prennent place au sommet de la société. De manière significative, quelque 463.000 officiers de tous les secteurs des corps de l’armée ont été mobilisés par le régime afin de superviser cette élection ; une indication de la nervosité du régime.

    Derrière une façade de pluralisme, un régime autoritaire

    Si cinq autres candidats concouraient à la présidentielle au côté de Bouteflika, cette élection ne fut pas différente des autres, avec un candidat favori et un maquillage pluraliste ; les autres candidats ne représentant majoritairement que diverses factions dissidentes d’un régime sclérosé.

    Quelques commentateurs ont fait grand cas du soi-disant « seul opposant sérieux » à Bouteflika : Ali Benflis. Ce dernier, qui a obtenu 12,18% des voix (les quatre autres se partageant les 6,3% restants), a critiqué les résultats électoraux en déclarant qu’ils étaient marqués par des « fraudes à une échelle massive ». Benflis s’est profilé durant la campagne comme un candidat indépendant, mais il a pourtant été Premier ministre pendant le premier mandat de Bouteflika et n’est, des pieds à la tête, qu’un pur produit du système : il a son propre réseau de soutiens au sein du FLN et dans l’appareil d’État, et ne représentait en aucun cas une authentique alternative face au régime actuel.

    Même Louisa Hanoune, candidate prétendument « trotskiste » du petit Parti des Travailleurs (PT), est connue pour être proche de Bouteflika et son régime. Elle a obtenu 1,37% des voix et fut la première parmi les candidats à formellement reconnaitre les résultats, à appeler au respect de la supposée « volonté du peuple » et à désigner Bouteflika gagnant de l’élection.

    En dehors des sphères électorales, on a pu voir une répression systématique des dissidences pendant la campagne : des actions de protestation qui se sont tenues contre le quatrième mandat de Bouteflika ou pour appeler au boycott des élections ont été brutalement réprimées par la police. Une station de télévision privée a été fermée pour avoir mis en question la réélection de Bouteflika et le gouvernement refuse leurs visas à des équipes médiatiques ou des journalistes étrangers qui se montrent trop critiques vis à vis du Président.

    Une abstention massive

    Cela fait bien longtemps que beaucoup en Algérie et particulièrement la jeunesse ne prêtent plus aucune crédibilité aux processus électoraux du pays tellement ceux-ci sont grotesques et biaisés. La plupart des Algériens n’ont même pas de carte électorale, sachant pertinemment que tout est joué d’avance.

    Le taux de participation n’a fait que diminuer ces dernières années. Même le taux officiel d’abstention était cette fois-ci à son plus haut niveau pour une élection présidentielle depuis celle de 1995, avec 49% contre 26% pour celle de 2009. Le fait même que les chiffres officiels, malgré le fait qu’ils soient vraisemblablement gonflés, doivent refléter cette abstention historiquement haute pour paraitre crédibles en dit long sur l’état d’apathie de l’électorat quant à une élection dont la nature factice n’est un secret pour personne.

    Tensions grandissantes en Kabylie

    Dans la région rebelle de Kabylie, au nord-est du pays, seuls 25% des électeurs se sont déplacés aux urnes, ce qui représente la participation la plus basse de tout le pays. Le jour de l’élection, dans la ville kabyle de Bouira, des jeunes ont saccagé un bureau de vote et ont affronté la police. Au début du mois, des incidents similaires avaient déjà été constatés à Bejaia, la plus grande ville de la région, où des centaines de manifestants ont bloqué les rues. Ils ont brûlé le centre culturel où les partisans de Bouteflika étaient sensés tenir un discours ; les empêchant ainsi de tenir leur meeting. Quelques jours après les élections, les forces de sécurité ont violemment affronté des militants dans la ville de Tizi Ouzou, toujours dans la même région.

    La Kabylie est majoritairement composée d’Amazighs , ou Berbères, dont les droits culturels et linguistiques ont été systématiquement violés par le régime algérien nationaliste. Historiquement, cette région est un foyer de résistance et le point de départ de mouvements de masse contre les autorités centrales. Avec une méthode classique de « diviser pour mieux régner », le régime a fait une montagne de la carte d’identité « arabo-islamique » pour s’opposer aux revendications des Berbères. De manière assez typique, Abdelmalek Sellal, qui a été Premier ministre de Bouteflika jusqu’à la mi-mars, a récemment affirmé qu’il n’y avait « pas de problème de minorités en Algérie ».

    Dans le cadre de la crise actuelle et dans une atmosphère chargée, les tensions ont toutes les chances d’être ravivées quant à la question nationale, plus particulièrement en Kabylie. Il est vital pour la gauche d’adopter une attitude de principe pour livrer une solution durable face à cette question, ce qui signifie de prendre clairement position pour l’obtention de droits égaux et du droit à l’autodétermination pour la communauté berbère, en liant ceci à la nécessité d’une lutte commune de tous les travailleurs et les pauvres, Arabes et Berbères, pour une transformation socialiste de la société, autant en Kabylie que dans toue l’Algérie.

    Barakat

    Ce n’est pas qu’en Kabylie que la rage croît. Plus que les élections, les dizaines de mouvements populaires contre la tenue de meetings électoraux à travers le pays et contre le nouveau mandat de Bouteflika sont un bien meilleur baromètre du climat dans de nombreux endroits. Les Algériens font de plus en plus entendre leur mécontentement quant à la corruption parmi l’establishment pourri et la détérioration de leurs conditions de vie.

    Un nouveau mouvement, Barakat (« Assez » en arabe) a émergé, gagnant rapidement un certain écho parmi la jeunesse de la classe moyenne sur les réseaux sociaux. En essayant de mobiliser autour d’une opposition au nouveau mandat de Bouteflika, Barakat s’adresse essentiellement à des couches de la classe moyenne. Ils n’abordent pas les problèmes sociaux pressants au cœur des inquiétudes de beaucoup de travailleurs algériens. Ils parlent d’instaurer une démocratie et de se battre pour des élections transparentes, ce qui est correct. Mais les dirigeants de ce mouvement ne remettent pas en cause les fondements économiques du système algérien.

    Un mouvement contre le caractère autoritaire et répressif du régime actuel doit s’adresser aux travailleurs, aux pauvres, aux chômeurs, et les mobiliser autour de revendications sociales claires. Ces revendications devraient partir des immenses richesses qui existent dans le pays et expliquer que seule la construction d’une lutte de masse contre le pouvoir économique et politique des oligarques corrompus peut conduire à un changement structurel en faveur des « 99% » de la population.

    Un régime en crise

    En fait, ces élections ont révélé la crise sans précédent qui frappe le régime. Le « consensus » apparent – et relatif – autour de Bouteflika s’effondre ; des fractures profondes parmi les échelons supérieurs du régimes apparaissent ouvertement. Cela a particulièrement été le cas entre deux centres du pouvoir : l’armée, plus proche du cercle de Bouteflika, et le Département de Renseignement et de Sécurité (DRS) ; qui se sont engagés dans une guerre via les secteurs et organes médiatiques qu’ils contrôlent respectivement.

    Ce conflit est un reflet des luttes de pouvoir en cours entre les différentes factions de la classe dirigeante, en lice finalement pour contrôler la richesse du pays ; un combat dans lequel des milliards de dollars sont en jeu.

    Depuis l’indépendance en 1962, l’armée et les services secrets ont une mainmise ferme sur les politiciens algériens, surtout suite au coup d’état militaire de Houari Boumedienne en 1965. Le rôle politique de l’armée et des « services » s’est vu renforcé pendant les années 1990, lors de la guerre civile. Ces institutions, après avoir orchestré un coup d’Etat en 1992 contre la victoire électorale du FIS (Front Islamique du Salut, un parti islamiste radical), se sont établies comme forces craintes et toutes-puissantes au cours de leur confrontation avec les insurgés islamistes armés. Cette « guerre totale au terrorisme » fut utilisée pour imposer un règne de terreur où la barbarie de l’armée rivalisa avec la violence des fondamentalistes.

    En 1999, les généraux et grands chefs du DRS acceptèrent de placer Bouteflika à la présidence. Après des accusations de fraudes par d’autres candidats, Bouteflika finit par être le seul à contester la présidence, en se présentant comme le candidat de la paix et du consensus ; et gagna une victoire écrasante – bien que frauduleuse.

    Jouant sur son propre héritage de vétéran de la guerre de libération coloniale contre l’impérialisme français, s’appuyant sur l’épuisement de la population après une décennie de guerre civile abominable, donnant l’amnistie aux criminels des deux parties du conflit des années 1990, encourageant un culte de sa propre personnalité, réduisant le Parlement à une chambre d’enregistrement, préférant les décrets aux lois, ayant une attitude équilibrée entre les classes sociales et entre les clans dirigeants en concurrence les uns avec les autres, le régime de Bouteflika fut typiquement ce que les marxistes qualifient de régime « bonapartiste ».

    Toutefois, la présidence autant que le régime sont devenus de plus en plus fragiles au fil des ans, et la base sociale de Bouteflika, si elle existe toujours parmi une certaine couche, s’est effritée.

    Un président sénile

    Pendant la campagne, deux chaînes de télévision ont constamment diffusé de précédents discours de Bouteflika pour le montrer en bonne forme. Mais la réalité est très différente. Bouteflika n’est plus qu’un candidat « fantôme » ; il n’a pas assisté à un seul meeting de sa campagne, il lutte pour se lever ou même pour parler. Largement sénile, Bouteflika n’est aujourd’hui rien qu’une frêle figure de proue, un point d’équilibre entre différentes factions de la classe dirigeante. La possibilité qu’il finisse son mandat présidentiel est très douteuse.

    Le fait même que tous les clans dirigeants aient finalement accepté d’à nouveau présenter Bouteflika en dit long sur la force des tensions qui les agitent. Chaque faction tente de s’acheter du temps avant que la situation n’atteigne une nouvelle étape ; et Bouteflika n’est essentiellement qu’une feuille de vigne destinée à cacher la crise du régime.

    Le vide que laissera au pouvoir la fin du règne de Bouteflika s’accompagnera vraisemblablement d’une période d’instabilité profonde et de batailles féroces concernant l’avenir du pays. Le caractère que celles-ci prendront déprendra du rôle que le peuple algérien et le mouvement ouvrier en particulier joueront dans ces évènements.

    La montée des luttes ouvrières

    Depuis la vague révolutionnaire qui s’est abattue sur la région, le gouvernement algérien, à la tête de quelque 200 milliards de réserves étrangères emmagasinées grâce au commerce de l’énergie, dépense de grandes sommes en subsides d’État, en crédit à taux réduit et en programmes de logement, tout cela afin de tenter de calmer la montée de la colère sociale.

    Cet argent a jusqu’à un certain point pu servir de tampon, mais cette méthode a ses limites dans un pays où les villas en bord de mer, les voitures luxueuses des super riches et l’immense corruption des hauts fonctionnaires contrastent avec un océan d’urgentes nécessités sociales, un chômage de masse et des salaires qui permettent à peine de survivre pour le reste de la population. Alors que l’Algérie vient d’entrer dans le classement Forbes des « Arabes les plus riches du mondes », la moitié des 35 millions d’Algériens ne bénéficient pas de soins de santé appropriés.

    « L’argent empêche une explosion sociale généralisée, mais il y a tout le temps des revendications et de petites explosions », relatait un édito de Maghreb Émergent, un site économique algérois.

    De plus, le FMI et les pays impérialistes mettent la pression sur le gouvernement algérien pour qu’il mette en place de grandes réformes néolibérales pour encore plus ouvrir le pays aux investissements étrangers et sabrer dans les subventions étatiques ainsi que dans les salaires des travailleurs.

    Dans ce contexte, il est très probable qu’une période de lutte des classes renforcée ait lieu. Déjà ces deux dernières années, les Algériens font de plus en plus de manifestations, de sit-in, de grèves ainsi que d’actes de désespoir tels que des émeutes, des grèves de la faim ou des immolations pour faire entendre leurs griefs. Ces derniers mois, il y a eu des grèves au port d’Alger, dans les chemins de fer, à Sonatrach (l’entreprise publique d’électricité), chez Lafarge (le cimentier français), parmi les pilotes de ligne et dans beaucoup d’autres endroits. Certaines zones du pays connaissent quotidiennement des actions de protestation dans les communautés au sujet de questions salariales, pour de meilleurs logements, pour l’accès à l’eau et à l’électricité, etc.

    En parallèle de ce processus, la période récente a vu fleurir des syndicats indépendants, ce qui a livré de nouveaux canaux de lutte pour les luttes des travailleurs. Le syndicat officiel, l’Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA), est en même temps de plus en plus réduit à n’être qu’une courroie de transmission des politiques du régime. Il est largement discrédité aux yeux de la plupart des travailleurs et a, encore une fois, soutenu Bouteflika durant les élections.

    Complications

    Alors qu’une période d’intensification des luttes est à l’agenda, les choses n’avanceront pas de façon linéaire. La crise sociale est profonde, et le vide est énorme en termes de représentation politique des travailleurs et de la jeunesse.

    Le peuple algérien, qui a eu son propre « Printemps » sous la forme d’un mouvement insurrectionnel massif en 1988, a payé au prix fort pendant la décennie qui a suivi le fait de ne pas avoir disposé d’une véritable alternative qui lui soit propre. À l’époque, les islamistes réactionnaires du FIS pouvaient encore catalyser l’outrage ressenti par rapport au régime corrompu et dictatorial car le vide politique prévalait chez les masses. L’orgie de violence qui s’en est suivie pendant la « décennie noire » des années 1990 et pendant laquelle les masses algériennes ont été prises dans le feu d’une guerre civile qui a rapidement tourné au conflit sanglant entre deux ailes de réactionnaires meurtriers en concurrence, souligne à quel point il est vital pour la classe des travailleurs et les masses pauvres d’avoir leur propre voix politique indépendante.

    Aujourd’hui, les groupes fondamentalistes et jihadistes en Algérie sont affaiblis et discrédités. D’autre part, il existe une certaine fragmentation et un manque de direction s’agissant de l’aile plus réformiste du mouvement islamique de droite (le MSP, Mouvement de la Société pour la Paix, branche algérienne des Frères Musulmans, qui a soutenu Bouteflika lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 1999 et ce jusqu’en 2012, mais a appelé au boycott cette année, probablement pour éviter un nouveau recul électoral).

    Cependant, les leçons à tirer du passé algérien sont toujours valables. La situation peut changer très rapidement, et le danger d’un islam politique de droite n’a pas disparu. Les évènements dans le reste du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord démontrent le besoin crucial de construire des organisations de gauche de masse capables de fournir au mouvement un programme combatif et consistant pour l’action révolutionnaire, afin d’éviter aux luttes de masse d’être récupérées par des forces pro-capitalistes, les amis du régime, les sectaires religieux ou des groupes fondamentalistes.

    Sans cela, la colère et la frustration peuvent prendre des tournants catastrophiques. Ghardaia, une ville où Arabes et Berbères ont coexisté des siècles durant, fut récemment le théâtre de conflits mortels entre les deux communautés. Il s’agit d’une mise en garde contre le danger de la violence sectaire qui peut resurgir dans certaines parties du pays faute d’un mouvement unifié qui se batte réellement pour les intérêts des masses et s’attaque aux causes profondes des problèmes sociaux.

    Après le dur traumatisme de la guerre civile, une couche de la population algérienne continue de craindre l’instabilité qu’impliquerait une remise en cause directe du régime, même si elle peut partager le mécontentement général contre les dirigeants actuels. La peur de l’inconnu et la soif d’un semblant de stabilité restent fortes, surtout parmi les générations plus âgées. Les événements violents qui ont lieu dans des pays comme l’Égypte, la Syrie ou la Libye peuvent renforcer cela, et sont utilisés en ce sens par le régime actuel.

    Construire l’avenir

    Néanmoins une nouvelle génération de travailleurs et de militants, moins affectés par les défaites du passé, émerge ; donnant un nouvel élan aux luttes des travailleurs, protestations sociales et à une remise en question plus active du régime.

    La dictature en Algérie n’est plus ce qu’elle était, et sa stabilité ne repose que sur des fondations précaires. Même les revenus importants du pétrole ne sont pas immunisés aux turbulences économiques du marché mondial, et pourraient exposer le régime à de graves problèmes à l’avenir.

    Des sections importantes de la classe des travailleurs prennent conscience de leur propre force, et c’est un important acquis pour le futur. Elles auront besoin de leurs propres organisations pour imposer leur marque sur les évènements à venir.

    Les tentatives de différentes factions de la classe dirigeante et des réactionnaires de tous bords de court-circuiter le pays ne peuvent être empêchées que par un mouvement politique de la base, un mouvement qui puisse faire le lien entre la bataille pour les droits démocratiques, le nombre croissant de luttes de quartiers ou de luttes ouvrières, et les revendications justes de la minorité berbère, dans une lutte générale contre le capitalisme et l’impérialisme et pour le socialisme démocratique qui en appelle aux travailleurs et opprimés de tout le reste du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

  • Ecole d’été du CIO : Le rôle de la classe ouvrière dans les révolutions du monde néocolonial

    Lors de l’édition 2012 de l’école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière, un meeting a donné la parole à trois camarades de notre internationale (issus respectivement de Tunisie, du Brésil et du Sri Lanka). Ils ont ainsi abordé la situation des luttes sociales et des mouvements révolutionnaires dans leur pays de même que notre implication en tant que parti révolutionnaire mondial dans ces mouvements. Peter Taafe, président du Socialist Party (parti-frère du PSL en Angleterre et Pays de Galles), est lui aussi intervenu, notamment au sujet des 50 ans de l’indépendance de l’Algérie.

    Rapport par Julien (Bruxelles)

    Le premier intervenant a activement participé au mouvement et à la lutte contre le dictateur tunisien Ben Ali. Il a commencé par rappeler l’histoire populaire de la Tunisie qui, comme c’est le cas pour beaucoup de pays néocoloniaux, a connu l’imposition du capitalisme de manière dictatoriale sur base de la collaboration de l’impérialisme et des monarchies sur place. Cela s’est accompagné d’un processus d’endettement dû à l’industrialisation et aux réformes agraires inachevées.

    La ‘‘singularité tunisienne’’ provient du fait que la réforme agraire a été accompagnée de révoltes contre le régime, ce qui a permis le remplacement de la monarchie par une république. La colonisation a, elle, forcé l’industrialisation. La cohabitation entre les deux systèmes a été dure, ce qui a impliqué une double rébellion : premièrement, un mouvement réactionnaire et conservateur, qui disparu assez vite, au profit du deuxième mouvement : le mouvement ouvrier progressiste. C’est ce dernier qui a combattu l’impérialisme français.

    Il n’y a aucun doute sur le rôle du mouvement ouvrier dans ‘‘l’exception tunisienne’’ : c’est le premier pays de la région à s’être doté d’une organisation syndicale (qui refusa la collaboration avec les nazis, contrairement à d’autres mouvements nationalistes du monde arabe qui y voyaient un moyen de lutter contre la métropole). C’est la classe ouvrière qui a réellement brisé la colonisation. En 1943, les femmes avaient, entre autre, le droit de vote ainsi que le droit au travail. Les mouvements ouvrier et féministe sont totalement liés en Tunisie. Le camarade a insisté : ‘‘Ce que la bourgeoisie présente aujourd’hui comme la Tunisie Moderne ne sont que les acquis de la Tunisie Ouvrière’’.

    En 1978 et 1984, suite à des réformes économiques néolibérales, des luttes syndicales se sont développées contre l’Etat bourgeois. En 1986, un mouvement similaire est né contre le Plan d’Ajustement Structurel du Fonds Monétaire International (FMI). Avec un mouvement ouvrier organisé et des syndicats combatifs, l’impérialisme a été conduit à soutenir des putschistes comme Ben Ali afin de maintenir son pouvoir sur la région.

    Comment la bourgeoisie présente-t-elle la révolution actuelle ? De manière scolastique : ‘‘Les gens ne sont pas contents’’. C’est oublier son rôle dans la dictature. Depuis 2008, la classe ouvrière a repris le chemin de la lutte après une longue période de repos. Il s’agissait d’une sorte de revanche sur les années ’80, quand elle avait échoué à chasser Ben Ali. Elle s’est de mieux en mieux organisée et est devenue plus combative.

    Actuellement, le pays vit une période de grèves générales. Que peuvent-elles apporter au mouvement ? Si on regarde l’histoire de la Tunisie, ce sont les grèves générales qui permettent de virer des dictateurs ! C’est un réel conflit de classe.

    Une partie de l’extrême-gauche n’a pas compris cela et a abandonné l’idée des Comités Ouvriers, des Comités de Quartier,… et a préféré courir vers les institutions bourgeoises ! C’est pourtant une question importante qui fait le lien avec la nécessité d’un gouvernement ouvrier.

    Notre camarade brésilienne est revenue sur la crise économique qui frappe ce pays. Le Brésil connait une crise similaire à celle qui touche l’Europe, un processus qui conduit à une augmentation des luttes. Des illusions restent toutefois encore présentes concernant l’avenir que réserve ce système (meilleur que celui de la génération précédente aux yeux de nombreuses personnes).

    Après la crise des années ’90, il y a eu une croissance économique essentiellement basée sur les exportations à destination de la Chine. Jusqu’en 2010, le pays a connu une croissance de la consommation et des crédits. Mais cette croissance est forcément limitée par la dépendance du pays envers le reste du monde à cause de la désindustrialisation du pays et de la réorientation de sa production vers l’extraction de matières premières.

    Le pays est, à la fois parmi les 6 plus grandes puissances économiques du monde et parmi les 12 pays qui comprennent le plus large fossé entre riches et pauvres. La majorité des richesses sont donc concentrées entre quelques mains seulement. Une baisse des conditions de travail a accompagné les progrès effectués dans la construction d’infrastructures.

    Cela a impliqué une augmentation des luttes liées aux projets de prestiges industriels et sportifs et à l’expulsion de travailleurs qu’ils impliquaient. Beaucoup de luttes spontanées ont vu le jour, y compris au beau milieu de l’Amazonie. Toute une série de travailleurs qui se croyaient privilégiés dans la dernière période sont aujourd’hui convaincus qu’une grève générale est nécessaire. 90% des universités fédérales sont en grève (les projets de prestiges ont fait de l’ombre aux budgets pour l’enseignement, ce qui force certains enseignants à donner cours dans des églises, dans des restaurants abandonnés,… bref, là où il y a de la place). Le mouvement de grève dure depuis 2 mois avec des manifestations, des occupations,… partout dans le pays, tant dans le secteur public que privé.

    Le défi aujourd’hui est de surmonter la fragmentation de la lutte. C’est ce que le PSOL (Partido Socialismo e libertad) tente de faire. Nos camarades de la LSR (section sœur du PSL au Brésil) travaillent au sein du PSOL et y sont considérés comme une référence de gauche au sein du PSOL et à l’extérieur car, depuis toujours, ils défendent la perspective d’une société socialiste et un programme de rupture fondamental avec le système d’exploitation capitaliste. La LSR a un candidat aux élections communales et il existe des possibilités d’élus du PSOL dans différentes villes. Ces élections seront un moment important afin de tester l’impact que peuvent avoir nos idées à notre échelle, qui reste encore limitée dans ce pays.

    Au-delà de cette question électorale, un autre point de cristallisation des luttes existe autour du CSP-Conlutas (syndicat de gauche) qui a organisé 6000 personnes dans des occupations destinées à défendre le droit à la terre avec le MTST (le Mouvement des paysans sans-terre, la plus importante organisation de sans-domiciles). Il y a eu de nombreuses expulsions à cause des spéculations criminelles.

    De plus en plus de gens commencent à véritablement voir les limites du capitalisme et se tournent dorénavant vers nous. En étant membre du PSOL tout en défendant des critiques constructives concernant ses méthodes, la nécessité d’intervenir dans les luttes et le besoin de clarifier les idées politiques de cette formation large, nous avons pu construire une certaine périphérie autour de notre organisation.

    Le troisième intervenant était issu du Front Line Socialist Party (une organisation de gauche large avec laquelle travaillent nos camarades sri-lankais de l’United Socialist Party), au Sri-Lanka. Elle a commencé par expliquer que selon la constitution sri-lankaise, le pays est ‘‘socialiste’’ et est dirigé par des partis ‘‘socialistes’’ ! Mais la crise dévoile très clairement, et cruellement, qu’il ne s’agit que d’une rhétorique vide de sens. De plus en plus de gens sont jetés à la rue et doivent voler pour survivre. A côté de cette situation se développent de grandes illusions concernant l’Europe, qui est vue comme un paradis. Mais pour ceux qui y arrivent, c’est plutôt un enfer qui les attend, celui de l’univers des sans-papiers et de leur exploitation.

    Enfin, notre camarade Peter Taafe a pris la parole, en commençant son intervention en expliquant que nous vivons la plus sérieuse crise du capitalisme depuis les années ’30. Cette idée est aujourd’hui largement comprise et acceptée dans les couches larges de la population. Aux dires du dirigeant de la principale banque anglaise, il s’agirait même de la plus grave crise jamais connue, et le pire serait encore à venir.

    Mais le degré des luttes est lui aussi sans précédent, avec des mouvements de masses dans de nombreux pays. Après la guerre de 40-45, la lutte a été marquée par son impact dans le monde néocolonial (Asie, Afrique, Amérique-latine, tous y passaient). Au Sri-Lanka, un vrai parti de masse trotskyste des travailleurs et des paysans a joué un rôle clef à l’époque. Mais le LSSP (Lanka Sama Samaja Party) a fait de nombreux compromis avec la bourgeoisie et a brisé de lui-même sa position parmi la jeunesse et le mouvement des travailleurs, une leçon qui reste cruciale pour l’avenir.

    Ce meeting était aussi une manière de célébrer le 50e anniversaire de la victoire du FLN (le Front de Libération National) en Algérie contre l’impérialisme français. Cette guerre a cause la mort d’un 1,5 million de civils et a duré de 1954 à 1962. Finalement, une guérilla de 40.000 combattants a vaincu 600.000 soldats français. Les Algériens qui vivaient en France avaient énormément sacrifié pour la victoire de cette lutte pour l’indépendance, il n’était pas rare que 50% de leurs revenus servent à financer le combat.

    En dépit du fait qu’il s’agissait d’un mouvement nationaliste bourgeois, le FLN a été soutenu de façon critique par ce qui allait devenir par la suite le Comité pour une Internationale Ouvrière, dont les membres considéraient qu’une victoire allait affaiblir l’impérialisme français. Ce soutien n’a pas été uniquement verbal, mais a également eu une dimension pratique. Ainsi, des camarades ingénieurs se sont rendus en Algérie afin d’aider à divers actes de sabotage le long de la frontière avec le Maroc.

    Ce soutien a contrasté avec celui d’autres prétendus “trotskistes” qui avaient refuse de soutenir le FLN a avaient soutenu le MNA (Mouvement National Algérien) dirigé par Messali Hadj. Ce dernier avait joué un role important dans le passé mais était devenu un véritable larbin de l’impérialisme français.

    La révolution algérienne a eu un énorme impact en France, qui a notamment conduit à la révolte des officiers d’Alger (la capitale du pays) en 1961. Avant cela, Charles De Gaulle était arrivé au pouvoir en 1958 et avait instauré une sorte de bonapartisme parlementaire, sans que la direction de la classe ouvrière française – la Section française de l’internationale ouvrière (qui deviendra le Parti Socialiste en 1969) et le Parti Communiste – ne fassent rien.

    Après la victoire de mouvements de guérilla dans des pays comme l’Algérie, certains ont commence à développer l’idée selon laquelle la paysannerie détenait le rôle clé à jouer dans la révolution mondiale plutôt que la classe ouvrière. Ce point de vue a notamment été développé par le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI, dont la LCR est la section en Belgique) et en particulier par son théoricien, Ernest Mandel.

    Ainsi, début 1968, Ernest Mandel s’était adressé au public venu l’écouter lors d’un meeting à Londres organisé par les partisans du SUQI en déclarant que la classe ouvrière européenne ne partirait pas en action décisive contre le système pour au moins 20 années en raison de la force du dollar et de la croissance économique mondiale. Cette Remarque a été faite un mois à peine avant les évènements révolutionnaires de Mai 1968 en France !

    Il existait pourtant de nombreux signes avant-coureurs du potentiel d’un tel développement, comme l’envoi de gardiens armés dans les entreprises et le blocage d’élèves dans des classes fermées à clefs pour les empêcher d’aller manifester ! Par après, la France a connu la plus grande grève générale de l’histoire, avec 10 millions de travailleurs en grève et d’innombrables piquets de grève partout dans le pays. De Gaulle était totalement désarmé. Le pouvoir aurait pu être pris par els travailleurs, mais les dirigeants du mouvement ouvrier ont préféré détourner la lutte vers le parlementarisme.

    Il y a peu, le Financial Time expliquait que ‘‘l’Europe est en feu et Rajoy jette de l’huile sur le feu par l’augmentation des taxes alors que celles-ci devrait baisser pour atténuer le mouvement.’’ Il y a quelques années que le CIO s’attend et anticipait l’arrivée des luttes actuelles. L’impact des luttes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient a été bien plus grand que prévu. La révolution égyptienne n’est pas morte, les masses ne font que digérer l’expérience nouvellement acquise. Les Frères Musulmans seront testés sur leur politique, et il en va de même pour le nouveau régime tunisien.

    Peter a poursuivi en expliquant que nous entrons dans une ère qui pourra voir le développement de révolutions de type socialistes, où la question de la collectivisation des secteurs clés de l’économie et leur fonctionnement sur base d’une planification sera posée. Mais l’exemple de Cuba est là pour nous rappeler que la classe ouvrière doit avoir le contrôle démocratique de son Etat, sans quoi le développement du bureaucratisme est inévitable. La victoire de la classe ouvrière dans un pays résonnera à travers tout le globe.

    Ce danger, la bourgeoisie en est bien consciente. Une des nombreuses illustrations de cet état de fait est la campagne médiatique menée en Irlande contre notre camarade Joe Higgins et notre parti-frère le Socialist Party. De tout temps, la presse s’est opposée à la révolution. Déjà en 1917, 124 journaux tentaient de semer la discordes en affirmant que Lénine avait tué Trotsky (ou inversement, tant qu’à faire…). Il en allait de même avec nos camarades anglais dans les années ’80, à Liverpool, lorsque nous avons eu une majorité communale sous Thatcher et où les médias ont attaqués de manière tout aussi honteuse les acquis que notre organisation a apportés aux travailleurs et à leurs familles.

    Avec le Comité pour une Internationale Ouvrière, soyons à la hauteur de l’histoire, pour la lutte et la solidarité, pour le socialisme ! Préparons-nous à cet avenir tumultueux qui est devant nous en construisant un parti révolutionnaire international de masse !

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