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  • Égypte : la polarisation grandit – Aucune confiance dans les généraux !

    L’évolution orageuse et sanglante de la situation en Égypte après le retrait et l’arrestation du président Morsi par l’armée marque une nouvelle étape dangereuse et difficile dans le déroulement de la révolution égyptienne. Malgré l’immense mobilisation, sans précédent, des masses contre Morsi, l’absence d’un mouvement socialiste des travailleurs indépendant a ouvert les portes aux dangers du sectarisme, à différentes variétés de contre-révolution et à la possible défaite finale de la révolution.

    Robert Bechert, Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)

    Le retrait de Morsi est survenu dans un contexte de mobilisation rapide avec un mouvement de 17 millions de manifestants (20 % de la population égyptienne) dans une série de manifestations de masse. (voir notre article “Protestations massives pour la chute de Morsi”)

    L’ampleur, la puissance et la rapidité de ce mouvement ont été époustouflantes. Cela reflète quelque chose que l’on voit souvent au cours des révolutions : après une période initiale d’euphorie et d’espoir, on voit souvent une nouvelle vague de mouvements de masse de la part de toutes les personnes déçues par les maigres résultats de la révolution.

    Morsi a connu une chute très rapide de sa popularité, qui était de toute façon dès le départ fort limitée. Au premier tour des élections présidentielles, Morsi n’avait remporté que 5,7 millions de voix, soit 11 % des 51 millions d’électeurs égyptiens. Les 13,2 millions de voix obtenues par Morsi au deuxième tour provenaient surtout du désir d’empêcher son rival, Shafiq, ancien commandant de l’armée de l’air et ex-ministre de Moubarak, d’arriver au pouvoir.

    Morsi et son gouvernement des Frères Musulmans ont été de plus en plus confrontés à une opposition de masse faisant irruption de toutes parts. L’échec apparent de la révolution, qui n’est jusqu’ici pas parvenue à apporter la moindre véritable amélioration sociale ou économique, en plus de la crise économique croissante, a suscité des grèves et des manifestations de plus en plus nombreuses. Pour beaucoup de gens, la tentative de “coup d’État constitutionnel” de Morsi en novembre 2012, par lequel il voulait s’octroyer plus de pouvoirs, a été le point tournant qui a provoqué la construction d’une opposition contre ce qui était perçu comme une tentative des Frères Musulmans de prendre le pouvoir. Au même moment, des membres de la vieille élite, y compris des chefs militaires qui contrôlent entre 8 et 30 % de l’économie nationale (Der Spiegel, 5 juin), se sont sentis menacés par la politique qui favorisait les hommes d’affaires proches des Frères musulmans. Ce n’est donc pas par hasard que les soutiens financiers des Frères Musulmans ont été parmi les premières cibles de l’armée.

    Ce qui était considéré comme une tentative par les Frères musulmans de s’assurer une domination politique a en outre accru l’opposition de la part des éléments laïcs et chrétiens parmi la population, ainsi que de la part de leurs rivaux islamistes, comme le parti Al Nour (fondamentalistes sunnites), qui ont rejoint les manifestations fin juin. Tout ceci a jeté les bases de la rapide réponse qu’a reçu l’appel du mouvement Tamarod (“Rébellion”) récemment formé qui a fait signer une pétition de masse demandant la démission de Morsi.

    Dans un certain sens, nous avons vu deux luttes bien distinctes contre Morsi. D’un côté, le mouvement populaire de masse ; de l’autre, les reliques du régime Moubarak, en particulier les chefs de l’armée qui ont leurs propres intérêts politiques et économiques, et qui tentent d’utiliser l’opposition de masse à leur propre avantage. Ainsi, The Economist (6 juillet) suggérait l’existence d’actions de sabotage de la part de sections anti-Morsi de la classe dirigeante, en écrivant que : ‘‘Personne n’a jusqu’à présent été capable d’expliquer l’effondrement soudain des stocks d’essence’’, juste avant la manifestation anti-Morsi de masse du 30 juin.

    Potentiel révolutionnaire et menace contre-révolutionnaire

    Ces deux éléments illustrent tous deux le potentiel et la menace autour de la révolution égyptienne.

    La rapidité et l’ampleur du mouvement démontre l’immense énergie et potentiel de la révolution. Mais en l’absence du développement d’un mouvement des travailleurs indépendant capable de lutter pour une alternative socialiste, les chefs de l’armée, aidés par toute une série de politiciens pro-capitalistes, ont été capables de tirer profit de la situation. Il est clair que les généraux voulaient à la fois neutraliser et éliminer Morsi, mais en même temps, ils craignaient que la situation ne puisse, de leur point de vue, “échapper à tout contrôle”. On rapporte que des travailleurs ont commencé à partir en grève le 3 juillet, et que d’autres encore prévoyaient de lancer une série de grèves anti-Morsi à partir du 4 juillet. Cela aurait pu mener la classe ouvrière à prendre l’initiative via une action de grève générale de masse. Les généraux ont évidemment tout fait pour conserver l’initiative et empêcher que Morsi ne soit chassé par une insurrection populaire.

    Les dirigeants militaires ont agi afin de défendre leurs propres intérêts personnels et ceux d’une partie de la classe dirigeante égyptienne. Au même moment, ils bénéficient du soutien tacite des grandes puissances impérialistes et de la classe dirigeante israélienne. Obama, Hague (ministre britannique des Affaires étrangères) et d’autres dirigeants impérialistes ont aussi émis de très faibles critiques envers le coup d’État des généraux. Étant donné leur rôle dans le passé, l’armée et les sécurocrates égyptiens ne peuvent que difficilement passer pour des “démocrates”. Mais cela n’inquiète pas forcément Obama & Co, qui sont toujours heureux de pouvoir compter sur tous les régimes autoritaires de la sous-région comme le Qatar, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, etc. de leur vendre des armes.

    Ce coup d’État militaire (appelons un chat un chat) a permis aux Frères Musulmans de Morsi de se faire passer pour les défenseurs de la démocratie et d’affirmer que l’opposition était coordonnée par “des partisans de l’ancien régime” qui auraient payé des miliciens avec “l’argent de la corruption” pour attaquer les Frères Musulmans et “remettre l’ancien régime en place”. Il ne fait aucun doute que l’ancien régime Moubarak est impliqué dans le mouvement contre Morsi. Le Financial Times a raconté la manière dont les dirigeants de l’opposition “consultent régulièrement” les chefs militaires et dont “un establishment hostile” et des “éléments agissant dans l’ombre” ont été impliqués dans la campagne anti-Morsi (6 juillet).

    Mais l’immense ampleur des manifestations et leur base de masse provient bel et bien de l’opposition populaire et de la déception du peuple envers le régime des Frères Musulmans.

    En même temps, la taille et la détermination des contre-manifestations pro-Morsi ne provient pas purement d’une base religieuse. Il ne fait aucun doute que certaines sections de l’actuel mouvement pro-Morsi agissent parce qu’elles sont opposées à l’armée, surtout étant donné le souvenir du vieux régime Moubarak et de sa répression brutale de toute opposition, y compris de celle des Frères Musulmans.

    Les conflits qui se développent en ce moment représentent un réel danger pour la révolution, surtout parce qu’ils semblent être une bataille entre les Frères Musulmans et autres dirigeants sectaires, conservateurs et réactionnaires, d’un côté, et les chefs de l’armée de l’autre côté.

    Dans une telle situation, il est absolument essentiel de redoubler les efforts en vue de la construction d’un mouvement des travailleurs indépendant, pas seulement des syndicats, qui puisse offrir une véritable alternative et force d’attraction pour tous les travailleurs et les pauvres qui soutiennent Morsi à cause de leur opposition à l’armée et à l’ancienne élite. C’est la seule manière par laquelle le mouvement ouvrier peut tenter de limiter la capacité de nuisance des groupes religieux fondamentalistes réactionnaires qui se présentent comme les principaux adversaires du régime militaire.

    L’importance de ce facteur se reflète dans le danger constant de la division sectaire qui s’approfondit entre les sunnites, les chrétiens et les chiites, et les couches laïques. Déjà, certains commentateurs attirent l’attention sur le fait que les Frères Musulmans pourraient se voir écartés par des groupes djihadistes fondamentalistes dans leur lutte contre l’armée laïque et pro-occidentale. En ce moment, le parti salafiste Al Nour tente de se distancer de l’armée et de se repositionner comme une force d’opposition.

    L’Algérie constitue à ce titre un fameux avertissement. Bien que la situation aujourd’hui en Égypte soit assez différente, après que l’armée algérienne soit intervenue en janvier 1992 pour empêcher les élections et éviter la victoire du Front Islamique du Salut (FIS), cela a plongé le pays dans une guerre civile qui a duré huit ans et couté la vie à entre 44.000 et 200.000 personnes – ce qui freine encore aujourd’hui le développement des luttes de masse dans ce pays.

    Les travailleurs ne doivent pas soutenir ce coup d’État

    Les travailleurs ne doivent pas accorder le moindre soutien à ce coup d’État. Le mouvement de masse des travailleurs doit à tout prix conserver son indépendance par rapport à l’armée et par rapport à Morsi. L’implication des soi-disant forces d’opposition “libérales” ou “de gauche” comme le groupement Tamarod avec l’armée ne fera que se retourner contre elles. Ces forces seront perçues comme des collabos, surtout si l’armée décide d’étendre au futur mouvement ouvrier et aux grèves les méthodes qu’elle utilise en ce moment pour réprimer les Frères Musulmans. Le choix par l’armée d’El-Beblaoui comme premier ministre est un avertissement quant à ses projets. Il y a quelques jours à peine, El-Beblaoui disait dans une interview que le niveau de subsides gouvernementaux sur l’essence et la nourriture est ‘‘insoutenable, la situation est critique… L’annulation des subsides requiert des sacrifices de la part de la population.’’ Toute tentative par un gouvernement soutenu par l’armée de mettre en œuvre une telle politique suscitera une résistance ; la question est de savoir si celle-ci viendra du mouvement ouvrier ou des fondamentalistes.

    Malheureusement, beaucoup de personnes parmi la gauche égyptienne soutiennent en ce moment l’armée en ne lui accordant que quelques critiques très modérées. On a beau appeler cela du “pragmatisme”, cela ne fait que désarmer politiquement la classe ouvrière. L’an dernier, certains groupes de gauche ont appelé à voter pour Morsi au deuxième tour, et maintenant, ils soutiennent l’armée qui l’a renversé. Bien qu’il est nécessaire pour les marxistes de comprendre, par sympathie, que des millions de gens s’apprêtaient à voter pour Morsi lors du deuxième tour, ce n’était pas une raison pour le soutenir comme l’ont fait certains petits groupes de gauche. À présent, on voit certains de ces mêmes groupes de gauche se retourner complètement, comme les “Socialistes révolutionnaires” (SR), section égyptienne de l’International Socialist Tendancy (IST, dont la section britannique est le SWP), qui, dans leur déclaration du 6 juillet, n’ont écrit absolument aucune critique du coup d’État militaire. En l’espace d’une année donc, l’IST est passée d’un soutien envers Morsi contre son rival, Shafiq, à un soutien aux anciens collègues de Shafiq qui viennent de dégager Morsi.

    D’autres groupements tels que Tamarod (auquel sont affiliés les SR) ont souhaité que ce soit El Baradei – un politicien absolument et totalement pro-capitaliste – qui devienne premier ministre, et ont ‘‘condamné la marche arrière de la présidence’’ lorsque le parti salafiste Al Nour s’opposait à El Baradei (Ahram, 7 juillet). De la même manière les SR n’appellent pas de manière conséquente à une solution pour l’Égypte qui provienne de la classe des travailleurs et des pauvres. Les SR ne font même pas le lien entre son appel à la ‘‘reconstitution de comités révolutionnaires’’ et la question de qui devrait former le gouvernement, à part la vague notion selon laquelle ‘‘qui que ce soit qui sera premier ministre, il faut qu’il soit issu des rangs de la révolution de janvier (2011).’’

    Les dirigeants ouvriers ne doivent rien avoir à faire avec le moindre gouvernement pro-capitaliste ou militaire. S’ils ne font pas tout pour se distancier de ce gouvernement, alors il est possible que les Frères Musulmans ou d’autres forces similaires tentent de s’emparer de la direction des futures luttes contre l’austérité et contre la répression.

    Déjà, l’armée est en train de montrer la manière dont elle voudrait voir les choses se dérouler. D’abord, elle met en place des structures de pouvoir dominées par des éléments pro-capitalistes, puis, au départ, elle dit qu’elle autorisera la population à voter dans le futur mais uniquement après qu’un comité ait révisé la constitution, tandis que la Cour suprême rédige un projet de loi sur les élections législatives et prépare les élections législatives et présidentielles. Ensuite, confrontés à la résistance des Frères Musulmans et forcés de battre en retraite après le massacre du 8 juillet, les généraux se sont vus forcés de promettre des élections dans les quelques mois qui viennent – sans qu’il soit certain que celles-ci se produiront pour du bon.

    Il a été rapporté que beaucoup de manifestants anti-Morsi se sont sentis “remplis de force” après le départ de Morsi. Mais bien que la chute de popularité rapide et les manifestations de masse contre Morsi aient été extrêmement importantes, ces évènements n’impliquent pas en soi que le peuple ait “pris le pouvoir”. Cette question est une question concrète d’organisation et de qui détient le pouvoir d’État. En ce moment en Égypte, ce sont les généraux, malgré les problèmes croissants auxquels ils sont confrontés, qui tentent de consolider leur propre pouvoir sur le dos du mouvement de masse.

    Inéluctablement, dans cette économie en crise, le nouveau gouvernement subira rapidement la pression du FMI et autres qui le forceront à adopter des soi-disant “réformes” sous la forme d’abandon des subsides contre la vie chère et autres mesures d’austérité. Cela jettera la base pour une nouvelle lutte de classes au moment où l’armée et son gouvernement chercheront à passer à l’offensive, en utilisant peut-être des mesures de plus en plus autoritaires et brutales pour tenter d’imposer leur volonté.

    Quelle que soit la manière dont on l’envisage, ce coup d’État militaire ne peut être qualifié de “progressiste” comme par exemple celui qui a déclenché la révolution portugaise de 1974. Mais alors que ce coup d’État avait jeté à bas une dictature vieille de plusieurs décennies, l’échec de la construction d’un mouvement des travailleurs indépendant capable de prendre le pouvoir pour soi a finalement causé, après un certain temps, le retour définitif au pouvoir de la classe dirigeante portugaise et du capitalisme.

    C’est pourquoi il est tellement important que le mouvement populaire, dirigé par les travailleurs et les jeunes, s’organise pour lutter pour ses propres revendications et contre l’installation d’un régime militaire.

    Les travailleurs doivent construire leur propre alternative

    Deux ans et demi plus tôt, le jour où Moubarak a démissionné, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) distribuait un tract au Caire dans lequel il était écrit ‘‘Aucune confiance dans les chefs de l’armée ! Pour un gouvernement des représentants des travailleurs, des paysans et des pauvres !’’ (voir cet article ici)

    Ces revendications sont toujours d’actualité aujourd’hui. Dans ce tract, nous disions que :‘‘Les masses égyptiennes doivent faire valoir leur droit de décider de l’avenir du pays. Aucune confiance ne doit être accordée aux personnalités du régime ni à leurs maitres impérialistes pour diriger le pays et organiser des élections. Il doit y avoir immédiatement des élections libres, sous l’autorité de comités de masse des travailleurs et des pauvres, pour convoquer une assemblée constituante révolutionnaire afin de décider de l’avenir du pays.

    Maintenant que des comités locaux et de véritables organisations indépendantes des travailleurs se sont créés, leur développement doit être accéléré, ils doivent s’élargir et être reliés entre eux. Un appel clair pour la formation de comités démocratiquement élus et gérés sur tous les lieux de travail, dans tous les quartiers et dans les rangs de l’armée recevrait une grande réponse.

    Ces organes pourraient ainsi coordonner le renversement de l’ancien régime, maintenir l’ordre et la livraison de nourriture et, surtout, pourraient constituer la base d’un gouvernement des travailleurs et des pauvres capable de briser les restes de la dictature, de défendre les droits démocratiques et de construire une économie qui répondrait aux nécessités économiques et sociales des masses égyptiennes.’’

    Depuis lors, nous avons vu un développement incroyable du mouvement ouvrier égyptien sous la forme de syndicats, de comités et en termes d’expérience de lutte. Tout cela fournit la base pour la création du type de mouvement de masse qui est nécessaire.

    En février 2011, nous écrivions que la révolution égyptienne pourrait constituer ‘‘un grand exemple pour les travailleurs et les opprimés du monde entier, prouvant que des actions de masse déterminées peuvent vaincre des gouvernements et des dirigeants, quelle que soit la force qui semble être la leur.’’

    Cette affirmation est tout aussi vraie aujourd’hui. La reprise du mouvement de masse en Égypte peut inspirer tous ceux qui ont connu des révolutions qui n’ont pas mené au moindre véritable changement, comme en Tunisie, ou qui ont causé une descente dans une guerre civile sectaire comme en Syrie, ou une répression accrue comme en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, etc. Mais tandis que lors de ces derniers jours, l’Égypte a de nouveau démontré l’immense potentiel de l’action de masse, elle a également montré qu’il faut absolument construire un mouvement des travailleurs armé d’un programme socialiste clair et d’un plan d’action afin de résoudre la crise politique, sociale et économique de l’Égypte, sans quoi d’autres forces tenteront de détourner la révolution pour, au final, la vaincre.

  • Egypte : Le candidat aux présidentielles le plus identifié à la révolution remporte 22% des voix

    Le premier tour des élections présidentielles égyptiennes (les 23 et 24 mai dernier) ont placé en tête Mohamed Morsi, le candidat du Parti de la liberté et de la justice (la vitrine politique des Frères Musulmans). Avec ses 25%, il se place un pourcent devant Ahmed Chafik, qui fut le dernier premier ministre du président déchu Hosni Moubarak. La révolution commencée le 25 janvier 2011 fait-elle marche arrière ? Les résultats illustrent au contraire qu’elle peut bien avoir dévié, mais qu’elle ira à nouveau de l’avant. Le gagnant de ces élections est en fait le principal perdant de celles-ci !

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de galles)

    Au Caire, à Alexandrie et dans d’autres villes et villages, des manifestations de masse ont suivi l’annonce des résultats. Des centaines de personnes ont notamment pris d’assaut le QG de campagne de Chafiq au Caire afin d’y mettre le feu. Mais ces manifestations de colère n’auraient pas seulement été dirigées contre Chafik, mais également contre le candidat des Frères Musulmans.

    Les Frères Musulmans (FM) ont obtenu dix millions de voix (soit 47%) à l’occasion des récentes élections législatives tenues il y a quelques mois à peine. Mais cette fois, Morsi n’a pu compter que sur un peu plus de cinq millions de votes (25%). Il était en fait le second choix des Frères Musulmans pour les représenter, puisque leur premier choix, Khairat al-Chater, a été disqualifié pour cause de condamnation sous le régime Moubarak. Al-Chater est l’un des plus riches hommes d’affaires d’Egypte, ce qui constitue en soi une excellente indication de la vision des choses adoptée par la direction des Frères Musulmans et de ce que doivent en attendre les travailleurs et les pauvres.

    Lors des élections législatives, le parti des ultra-conservateurs salafistes, Al-Nour, avait recueilli 24% des voix. Leur candidat, Hazem Abu Ismail, a également été disqualifié pour les présidentielles en raison de la double nationalité américaine de sa mère. Un candidat qui avait fait défection des Frères Musulmans et s’est présenté comme un indépendant en faisant appel aux libéraux laïques, Abdel Moneim Aboul El-Fotouh, a obtenu 18% des voix – beaucoup moins que prévu dans les sondages. Il avait gagné le soutien des salafistes, ce qui lui a probablement fait perdre le soutien d’autres couches qui espéraient de lui qu’il comble le fossé entre les partisans islamistes et laïques de la révolution.

    Un autre candidat avait été mis en avant dans les sondages ; l’ancien secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa, qui a terminé cinquième avec 11% des suffrages. Il était l’un des favoris de l’establishment, avec juste ce qu’il fallait d’opposition pour être en mesure de prétendre soutenir la révolution du 25 janvier. Moussa et Aboul Fotouh étaient considérés comme les deux principaux candidats, jusqu’à un débat télévisé qui semble leur avoir fait perdre du soutien à tous les deux!

    La croissance rapide du candidat de gauche

    Les deux candidats qui ont fait mieux que prévu ont été Chafiq, un vestige de l’ancien régime, et Hamdine Sabahi. Parmi les principaux candidats, Hamdine Sabahi était le plus identifié à la révolution. Il a reçu 22% des suffrages, c’est-à-dire le double de ce que les sondages laissaient prévoir une semaine plus tôt, arrivant même en tête au Caire, à Alexandrie et à Port Saïd. Aux élections législatives de janvier dernier, son parti de la dignité (Karama) n’avait remporté que 6 des 478 sièges. Sabahi a derrière lui plus de 30 ans d’opposition à l’ancien régime de Moubarak, et a été emprisonné pour cela. Son slogan électoral – ‘‘L’un d’entre nous’’ – reflétait cela, ainsi que ses origines familiales modestes.

    Sabahi défendait un programme comprenant l’augmentation du salaire minimum de 700 Livres Egyptiennes (94 euros) à 1200 Livres Egyptiennes (161 euros) par mois, l’instauration d’un salaire maximum, des allocations de chômage pour els jeunes et une subvention minimale de 500 Livres Egyptiennes (67 euros) pour quatre millions de familles pauvres. Il s’est opposé aux mesures d’austérité qui ‘‘ont un effet nocif sur les conditions de vie des citoyens et contribuent à la récession.’’ Il défendait également une forte augmentation de l’utilisation de l’énergie solaire, la création d’une banque d’Etat pour aider les agriculteurs, un enseignement gratuit et l’éradication de l’analphabétisme.

    Toutes ces mesures sont bien entendu les bienvenues, mais le programme de Sabahi pour leur mise en œuvre est basé sur l’idée nassérienne d’une ‘‘économie de développement planifiée, en créant un équilibre entre les trois secteurs économiques – public, privé et coopératif.’’

    Bien que Nasser ait réussi à quelques années à se maintenir en équilibre entre l’Ouest capitaliste et la Russie stalinienne (en savoir plus), l’actuelle domination mondiale du capitalisme signifie qu’il ne peut y avoir d’équilibre entre les secteurs public et privé. Seule la propriété collective de toutes les grandes entreprises, des banques et des grandes propriétés terriennes est capable de poser les bases d’une ‘‘économie de développement planifiée.’’ Cette planification doit de plus être réalisée sous le contrôle démocratique des travailleurs, des petits commerçants et des petits agriculteurs, plutôt que sous les ordres d’une élite bureaucratique de fonctionnaires et de militaires.

    Le soutien du candidat de l’ancien régime

    Chafiq est devenu le candidat qui a reçu le plus de soutien afin de restaurer ‘‘la loi et l’ordre’’ et pour répondre au sentiment sécuritaire de tous ceux qui se sentent menacés par les bouleversements que le pays a connu depuis le 25 janvier 2011. Beaucoup d’entre eux sont de petits commerçants, des négociants et de petits entrepreneurs qui ont perdu leur commerce (notamment dans le tourisme) pendant les troubles. D’autres se sentent fatigués après 16 mois de soulèvements révolutionnaires et contre-révolutionnaires, la classe dirigeante et l’ancien régime semblant encore s’accrocher au pouvoir. Une certaine nostalgie d’un passé apparemment plus calme se développe. Sa campagne a été financée par ce qui reste de l’ancien régime et par les grandes entreprises, qui veulent un président capable de revenir sur les acquis de la révolution.

    La minorité chrétienne semble aussi également très fortement voté pour lui pour des raisons similaires ainsi qu’en raison de leurs craintes concernant l’islamisation de l’État et la menace de persécutions. Cependant, les suffrages combinés des deux principaux candidats islamistes, Morsi et Aboul Fotouh, représentent seulement 43% des votes, chiffre qu’il faut comparer aux 72% obtenus par les Frères Musulmans et Al-Nour lors des élections législatives.

    Le taux de participation pour le premier tour des élections présidentielles était en baisse, et s’est situé à environ 45%, reflétant ainsi l’opinion largement répandue selon laquelle ces élections ne vont pas changer grand-chose dans la vie de la population. Une certaine déception se développe concernant le parlement. Un électeur d’Al-Nour avait déclaré aux élections de janvier : ‘‘Nous attendons beaucoup de ce parlement. Nous attendons qu’ils répondent à nos besoins et soit capable de résoudre les problèmes auxquels le pays est confronté, y compris le chômage et la pénurie de gaz.’’ (Ahram, 23/01/12)

    Les luttes industrielles

    Les deux candidats pour le second tour, Morsi et Chafiq, représentent seulement 49% des voix exprimées au premier tour. La classe ouvrière et la jeunesse radicalisée ne pourront pas voter pour un candidat qui représente les objectifs de la révolution et lutte pour une politique favorable à la classe ouvrière et aux pauvres. Compte tenu de cela, le taux d’abstention pourrait être encore plus élevé au second tour, puisque de nombreux travailleurs et jeunes ne verront aucune raison de voter pour des candidats qui représentent les partis et les forces se dressant sur la voie du changement fondamental, c’est-à-dire un changement social, économique et politique. Les Frères Musulmans pourraient toutefois jouer le rôle de ‘‘moindre mal’’ et ramasser des votes de la classe ouvrière et des jeunes afin d’empêcher l’arrivée au pouvoir de Chafik. D’autres électeurs, en particulier les chrétiens, peuvent voter pour le candidat de l’ère Moubarak par crainte de l’arrivée à la présidence d’une force islamiste. Les vieux amis de Moubarak issu du monde des grandes entreprises feront tout pour que Chafiq l’emporte afin de pouvoir continuer à faire fortune sur la souffrance des pauvres et des travailleurs.

    Quelle que soit le vainqueur, la classe ouvrière et les pauvres auront besoin de se battre pour défendre leurs intérêts contre la classe dirigeante. Une victoire de Morsi conduira à la déception des électeurs des Frères Musulmans, en clarifiant que les dirigeants des Frères ne représentent pas de changement réel pour la vie des masses. Par la suite, cela pourrait conduire à de nouveaux gains électoraux pour le parti salafiste Al-Nour si aucune alternative crédible pour les travailleurs n’est construite.

    Les travailleurs ont déjà une certaine expérience d’une victoire de l’islma politique de droite. Les conducteurs de bus en grève au mois de mars avaient dû aux briseurs de grève de l’armée, tandis que les députés des Frères Musulmans et les députés salafistes avaient ignoré les revendications des grévistes, comme l’avait expliqué l’un d’eux au journal Egypt Independant le 13 mars dernier. ‘‘Ils ne défendent pas nos droits’’, avait-il ajouté.

    Les Frères Musulmans déclarent vouloir construire un gouvernement de coalition avec ‘‘tous les groupes politiques, en particulier les groupes révolutionnaires’’. Un de leurs porte-parole affirme qu’il ‘‘croit en la valeur réelle d’un consensus national.’’

    Chaque groupe révolutionnaire rejoignant une coalition dirigée par les Frères Musulmans pour tenir Chafiq à l’écart sera très vite entaché par la politiques antisociale. Sabahi a eu raison de refuser de participer à ces négociations (même si son parti, Karama, a rejoint le parti des Frères Musulmans au sein de ‘‘L’Alliance démocratique’’ pour quelques mois l’an dernier).

    Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, il est clair que la société égyptienne reste dans un état extrêmement mouvant. Ni la réaction, ni la révolution n’ont été en mesure de stabiliser leur soutien. Si Shafiq devient le nouveau président, il fera face à une opposition généralisée dès ses débuts au pouvoir, en particulier des travailleurs et des jeunes qui ont mené la lutte révolutionnaire. Après près de six mois de campagne électorale, l’attention commence à se tourner vers d’autres moyens pour améliorer les conditions de vie de la population. Plus grèves sont susceptibles d’arriver, et d’ainsi fournir aux nouveaux syndicats indépendants autant d’occasions de montrer que la solidarité et la lutte peuvent remporter des victoires.

    Mais chaque victoire sera systématiquement sous la menace des patrons, y compris le Conseil suprême des forces armées, qui a de grands intérêts économiques. La construction d’un parti politique capable d’unir travailleurs, jeunes et pauvres autour d’un programme d’action destiné à changer la société peut remettre en cause le pouvoir de la classe dirigeante. C’est une des tâches les plus urgentes à l’heure actuelle.

    Un gouvernement des travailleurs et des pauvres basé sur la réalisation d’un programme socialiste de nationalisation des grandes entreprises sous le contrôle démocratique des travailleurs pourrait mettre fin à la dictature du capitalisme et à la pauvreté, la répression et l’insécurité qu’il apporte. La lutte pour la démocratie réelle ne peut pas être distincte de la lutte pour le socialisme.

  • Égypte : Une année de révolution et de contre-révolution

    Alors que la crise économique empire, de nouveaux conflits de classes apparaissent

    A la suite de sa récente visite au Caire, afin d’y discuter avec des militants et des ouvriers en lutte contre le pouvoir de la junte militaire, David Johnson livre ici un bilan des événements révolutionnaires de l’année 2011 en Égypte, et examine les perspectives pour 2012 après les récentes élections qui ont vu la victoire des Frères Musulmans. Cet article a initialement été publié le 18 janvier sur www.socialistworld.net, le site du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO).

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    ”L’Égypte est comme une maison où les rideaux ont été changés mais où tout le reste est resté identique” a récemment déclaré un militant révolutionnaire aux correspondants du CIO. La manifestation du 25 janvier 2011 a lancé un mouvement révolutionnaire qui a fait tomber le dictateur Moubarak 18 jours plus tard. Le mouvement de masse a continué sur sa lancée jusqu’à la démission d’Ahmed Shafik, le premier ministre désigné par Moubarak le 29 janvier, le 3 mars.

    Moubarak a été forcé par ses propres chefs militaires à démissionner. En prenant lui-même le pouvoir, le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) a en fait effectué un coup d’Etat militaire. Ses membres ont compris qu’en essayant de s’accrocher au pouvoir plus longtemps, ils auraient poussés le mouvement révolutionnaire – et en particulier la vague de grèves qui se développait alors rapidement – à balayer toute la classe dominante.

    Depuis lors, l’Egypte s’est retrouvé entre les feux de la révolution et de la contre-révolution, souvent d’ailleurs avec des mouvements allant dans les deux directions au même moment. C’est une réflexion de la faiblesse de la classe capitaliste égyptienne et de son incapacité à stabiliser sa domination alors que, à ce stade, la classe ouvrière est sans parti de masse ou parti révolutionnaire capable de conduire au succès du renversement du capitalisme.

    La crise économique s’approfondit, le gouvernement blâme les travailleurs

    Le premier ministre Kamal el-Ganzouri, le quatrième à tenir ce poste cette année, a déclaré, larmoyant, dans une récente conférence de presse que l’économie égyptienne était ”plus mauvaise que n’importe qui peut se l’imaginer.” On s’attend à ce que la croissance économique pour 2011 tourne autour de 1.2%, contre 5% en 2010. Le chômage s’élève maintenant à presque 12%, comparé à 9% il y a un an.

    Le tourisme représentait plus de 10% du PIB en 2010, soit un huitième de la force de travail globale du pays, mais le nombre de touristes a diminué d’un tiers durant l’année 2011. L’occupation des hôtels du Caire n’était que de 40% en juillet et de 70% en août dans les stations de la Mer Rouge. La crise économique mondiale a contribué à cette chute brutale, de même que les scènes de violences montrées dans les médias. Le gouvernement et ses partisans, cependant, blâment surtout les protestations des travailleurs, qui ‘placent leurs propres agendas avant l’intérêt général’. Le ministre des finances Samir Radwan a d’ailleurs clamé que ces protestations ouvrières étaient en grande partie responsables du déficit budgétaire et des chutes de l’investissement étranger et du tourisme.

    L’investissement direct étranger a chuté de 93% dans les neuf premiers mois de 2011 (376 millions de dollars). Selon la Banque Centrale, les réserves étrangères sont tombées à 18 milliards de dollars, contre 36 milliards début 2011. Les coûts d’emprunt du gouvernement atteignent niveau record, après que les investisseurs étrangers aient réduit leurs possessions des bons du trésor de 7,5 milliards de dollars durant les neuf premiers mois de 2011, à comparer aux achats nets de 8,6 milliards de dollars dans la même période une année plus tôt. Le gouvernement a reçu une aide financière peu commune : les forces armées lui ont prêté 1 milliard de dollars en décembre !

    L’inflation a atteint les 10% en décembre, tandis que 40% de la population lutte quotidiennement pour vivre avec moins de 2 dollars. Le gouvernement est sous pression des grandes compagnies pour s’attaquer au déficit budgétaire. Le 5 janvier, il a annoncé des coupes budgétaires dans les dépenses publiques de 14,3 milliards de LE (livres égyptiennes, soit 2,37 milliards de dollars), et veut des réductions à hauteurs de 20 à 23 milliards de LE en tout. L’austérité annoncée s’attaque aux salaires du secteur public et aux subventions énergétiques. Le gouvernement est en ce moment en pourparlers avec le Fonds Monétaire International (FMI) pour un prêt qui sera probablement conditionné à des coupes à opérer dans les subventions alimentaires, ce qui frappera les plus pauvres.

    Les travailleurs et les pauvres ont toutefois pu ressentir la puissance qui est la leur lorsque le soulèvement de masse a permis de faire dégager le dictateur. La classe dirigeante se rappelle également craintivement de la tentative du prédécesseur de Moubarak, Anwar Sadat, de couper dans les subventions du pain, ce qui avait conduit à un soulèvement de masse en 1977. N’importe quel gouvernement essayant de s’en prendre aux subventions aura besoin d’un bon réservoir de soutien, et il en aura bien besoin.

    La popularité en chute du Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA)

    La junte du CSFA a perdu une grande partie du soutien qu’il avait su s’attacher tout juste après que Moubarak ait été évincé en février 2011, lorsque l’armée était largement considérée comme ayant refusé de suivre les ordres de Moubarak et avait refusé de commettre un massacre place Tahrir du type de celui de la Place Tiananmen, à Pékin, en 1989. Les manifestants chantaient alors ”l’armée et le peuple sont ensemble.” Au cours des mois suivants, il est devenu plus clair pour la plupart des activistes que la poigne du CSFA devenait de plus en plus agrippée au pouvoir. Le SCAF et son chef, le maréchal Hussein Tantawi, peuvent cependant encore jouir d’un certain appui, principalement chez les plus âgés voient l’armée comme un garant de la stabilité.

    Après la chute de Moubarak, suite au mouvement de grève, 150 nouveaux syndicats ont été constitués, avec 1,6 millions de membres. Ceux-ci sont indépendants de la Fédération Egyptienne des Syndicats, dont les dirigeants étaient désignés par l’ancien régime. Une loi a été présentée en mars pour interdire les grèves mais – en dépit du nombre impressionnant de grèves – elle n’a pas été utilisée jusqu’à juillet, quand cinq ouvriers ont été emprisonnés. Une enquête en juillet a compté 22 sit-ings, 20 manifestations, 10 protestations et 4 rassemblements de protestations. Ce total se situe légèrement en retrait vis-à-vis du mois de juin, le nombre de grèves était plus important. Celles-ci ne visaient pas qu’à obtenir des salaires plus élevés ou de meilleures conditions de travail, elles avaient aussi pour objectif de libérer les syndicats de leur direction de bouffons précédemment à la solde de Moubarak.

    Réformes et répression

    Durant l’été dernier, les manifestations du vendredi se sont encore développées. Le gouvernement a augmenté sensiblement le salaire minimum (mais seulement à LE700 par mois – pas LE1200 comme exigé par les syndicalistes, et juste pour les travailleurs du secteur public). Il a annoncé des dépenses plus grandes pour l’éducation et les soins de santé. Des privatisations supplémentaires ont été stoppées. Reflétant la vision d’une fraction de la classe dirigeante, un ministre, Ahmed Hassan al-Borai a averti ‘‘Avant la révolution du 25 janvier, l’Egypte s’attendait à une révolution sociale et non politique. Donc maintenant il faut effectuer de réelles réformes, sinon une autre révolution sociale pourrait se produire.’’

    La frustration au sein des activistes a augmenté à cause de l’absence de changement politique, conduisant à une réoccupation de la place Tahrir le 8 juillet. Beaucoup de groupes d’activistes, y compris des Islamistes, se sont mis d’accord pour faire une manifestation commune le 29 juillet, exigeant la fin de la loi exceptionnelle de Moubarak, des jugements publiques pour Moubarak et ses acolytes, la poursuite des officiers de police et des soldats accusés d’avoir attaqués les protestataires durant la révolution et plus de pouvoir pour le gouvernement civil.

    Cependant, quand il est clairement apparu que les organisations islamistes étaient en train de mobiliser fortement pour cette manifestation, avec beaucoup de formateurs venant de l’extérieur du Caire, la plupart des jeunes et des groupes révolutionnaires l’ont boycotté, retournant à la place par après.

    Un million de personnes ont participé à la manifestation dans ce qui est devenu le ‘jour de Kandahar’, reflétant les visions religieuses conservatrices de beaucoup des participants. Il y avait des chants en soutien à Tantawi. Il y avait également une couche croissante de la population devenant lasse des manifestations et des perturbations, qui a aspiré à une certaine stabilité. Assurément, il y a eu des connivences en coulisses entre les chefs du CSFA et des leaders des MB/FM pendant une bonne partie de 2011. Encouragées par ce signe de support, les forces de sécurité ont attaqué les occupants quelques jours plus tard et ont nettoyé la place.

    Le procès de Moubarak commence

    Au même moment, le 3 août, le procès de Hosni Moubarak, de ses deux fils, de l’ex-ministre de l’intérieur et de certains proches a commencé. Les charges incluaient l’ordre de tirer, qui avait conduit à la mort de 840 manifestants, et la corruption. Le voir derrière des barreaux dans l’auditoire du tribunal a eu un effet électrifiant dans toute la région. Le procès a juste recommencé après un ajournement de trois mois. Cependant, le procès ne donne pas une réelle occasion d’examiner le parcours de son régime, y compris les liens de corruption avec de grandes entreprises, soutenues par des régimes impérialistes et la torture et l’emprisonnement des opposants. Un type différent de procès est nécessaire, devant un tribunal démocratiquement élu et responsable, des travailleurs et des pauvres.

    Les avocats de l’accusation ont réclamé la peine de mort. Il semble peu probable que le CSFA permette que leur ancien commandant soit exécuté, en raison du précédent que cela créerait si ils se trouvent eux-mêmes dans le boxe à l’avenir. (Les Frères Musulmans offrent maintenant au CSFA un accord dans lequel ils seraient exempts de futures poursuites s’ils cèdent le pouvoir à un gouvernement mené par les Frères Musulmans). Mais si l’élite en place estime que la seule manière de sauver leur régime, ou le système capitaliste, est de sacrifier quelques-uns des leurs, elle le fera certainement.

    Le 19 août, la Force de Défense Israélienne a tué cinq gardes-frontière égyptiens dans une attaque ratée. Le 6 septembre, les forces de sécurité ont attaqués les fans du club de football Ahly après un match. Plus de 130 personnes ont été blessées et beaucoup ont été arrêtées. Un grand nombre de fans de trois des plus grands clubs de football du Caire se sont unis dans une manifestation contre la police trois jours plus tard. Un large groupe s’est détaché pour attaquer l’ambassade israélienne. Les forces de sécurité ont laissé cela avoir lieu sans intervention jusqu’à ce que les bureaux aient été pris d’assaut et mis à feu. Le 16 septembre, le CSFA a annoncé que l’état d’urgence de Moubarak serait réintroduit, permettant l’arrestation et l’emprisonnement des opposants. Et, comme souvent dans la région, la question Israelo-Plaestinienne est utilisée pour détourner l’attention des attaques du gouvernement sur sa propre classe ouvrière.

    Plus tard en septembre les grèves se sont accentuées, passant au niveau industriel, y compris les ouvriers postaux, une grève nationale des professeurs durant une semaine et 62.000 ouvriers des transports publics du Caire pendant 17 jours. ‘‘Ils disent que le pays et le ministère n’ont pas d’argent, mais nous savons tous combien d’argent ils ont et ce qu’ils en font’’ disait un professeur de maths. (Ahram 20.9.11)

    En octobre, 12.000 policiers ont fait grève pour une augmentation de salaire et pour balayer des éléments de l’ancien régime parmi les officiers. Ceci illustre l’effet potentiel qu’aurait sur les rangs inférieurs des soldats et de la police appel de classe clair, issu d’un mouvement ouvrier de masse, mobilisé pour balayer complètement le régime protégeant les intérêts des grandes entreprises.

    Sectarisme

    Une église a été attaquée à Aswan, déclenchant une marche de protestation au centre de la TV d’état de Maspero au Caire le 9 octobre. Avec un contraste marqué par rapport à la manifestation de l’ambassade israélienne, la foule, pour la plupart chrétienne, a été violemment attaquée par les forces de sécurité. Autour de 27 personnes ont été tuées, plusieurs écrasées par les blindés délibérément conduits dans la foule. Malgré tout, la TV contrôlée par l’état a appelé la population a prendre la rue pour aider à protéger les forces armées ! Après cette attaque, un blogger bien connu, Alaa Abd El-Fattah, a été arrêté et accusé d’incitation à la violence envers les forces de sécurité et de sabotage. Il a été par la suite libéré après dix semaines, ayant refusé l’interrogatoire par des militaires, mais fait toujours face aux accusations. Les procès militaires de civils et la torture continuent toujours, comme sous Moubarak, avec des milliers de personnes emprisonnées.

    Le CSFA a annoncé qu’ils garderaient la main sur le budget des forces armées, plutôt que le nouveau parlement une fois élu. Ils se sont également réservés le droit de nommer un comité constitutionnel pour rédiger une nouvelle constitution. Ces changements ont déclenché une manifestation massive à la place Tahrir le 18 novembre, à laquelle les Frères Musulmans et les Salafistes ont participé – le premier vrai défi que leurs dirigeants aient fait au CSFA. Depuis lors, les déclarations des leaders des Frères Musulmans sont devenues plus critiques envers le CSFA, bien que n’appelant pas à une fin immédiate du régime militaire. C’est un signe de futures tensions, en dépit de la coopération entre les leaders islamistes et le Conseil Suprême des Forces Armées durant 2011.

    Les islamistes ont quitté la place à la fin de l’après-midi du 18. Les activistes l’ont réoccupée exigeant une fin au règne militaire. Ils ont subi des attaques sanglantes les cinq jours suivants par l’armée et les forces de sécurité, laissant 70 tués, certains ayant suffoqués de gaz lacrymogènes exceptionnellement fort. Des centaines furent blessés. Montrant la force potentielle d’action des ouvriers, cinq agents douaniers ont bloqué l’importation de sept tonnes de gaz lacrymogènes provenant des Etats-Unis.

    Le Premier ministre Essam Sharaf démissionnaire a été remplacé par Ganzouri, premier ministre entre 1996-99. Un sit-in en dehors du Bureau du Cabinet s’est développé contre ce représentant du vieux régime.

    D’autres attaques brutales de militaires et des forces de sécurité sur ces manifestants ont encore fait au moins 17 morts le 16 décembre. Parmi les scènes les plus choquantes, celle d’une manifestante traînée sur le sol et recevant à plusieurs reprises des coups de pied par le personnel de sécurité. Une marche de 10.000 femmes en colères a eu lieu quelques jours plus tard – la plus grande manifestation de femmes dans l’histoire de l’Egypte. Il y a un long registre de manifestantes harcelées par les forces de sécurité. Il est de notoriété publique qu’en février et mars passé, certaines manifestantes ont été soumises à des ‘tests de virginité’ après leur arrestation.

    L’Institut d’Egypte a proximité, logeant des milliers de livres historiques, a été incendiés. Cet incendie a une origine incertaine mais cela a été utilisé pour décrire les manifestants comme des vandales souhaitant détruire l’héritage de l’Egypte. Un professeur l’Université Américaine du Caire – de l’autre côté de la route – a quant à lui écrit qu’il ne savait même pas que ces livres existaient et qu’il avait peine à croire que n’importe qui ait eu accès à eux. Il semble que peu de mesures anti-incendie aient été installées et les sapeurs-pompiers ont été maintenus à distance au commencement de l’incendie.

    Mais en réponse, le Major Général pensionné Abdel-Moniem Kato, qui conseille les forces armées sur l’éthique et la morale, a dit que les ‘‘protestataires devraient être brûlés dans les fours d’Hitler’’ – cette référence étant destinée à dire, de façon à peine voilée, que les manifestants servent l’agenda israélien. Le CSFA tente d’accuser tous les militants – et implicitement, la révolution elle-même – de servir des intérêts étrangers. Les incursions policières dans les locaux de 17 ONG des droits de l’homme fin décembre ont renforcé ce message, certaines étant financées par les gouvernements allemand et américains ou par des partis politiques américains (naturellement, les forces armées égyptiennes reçoivent aussi 1,3 milliards de dollars par an du gouvernement américain, mais cela ne pose pas de problèmes !)

    Comme dans toutes les périodes révolutionnaires, de grandes peurs soufflent sur la société. Beaucoup de personnes craignent de plus en plus le pouvoir croissant du Conseil Suprême des Forces Armées et la restauration des restes du vieux régime. Le CSFA vise à détourner l’attention en blâmant des étrangers d’incitation à la violence et d’instabilité. L’histoire du Moyen-Orient, faite d’occupation coloniale et d’exploitation impérialiste, est un terrain fertile pour que de telles accusations.

    Boycott des élections

    Ces attaques du régime – le fouet de la contre-révolution – ont servi à radicaliser encore plus les militants. Cependant, l’écart entre eux et les masses moins actives s’élargit, comme vu pendant les élections ayant eu lieu depuis fin novembre. Après les attaques place Tahrir, la plupart des activistes ont privilégié un boycott des élections. Ils ont correctement argumenté que la procédure électorale était sous le contrôle des militaires et que le nouveau parlement n’a pas eu de réels pouvoirs. Certains ont indiqué que si l’Alliance Socialiste Populaire avait annoncé qu’elle boycottait les élections, au lieu de juste suspendre leur campagne, ils auraient immédiatement gagné 15.000 nouveaux membres.

    Mais bien que ceci ait pu se produire, une tâche vitale est de diriger les activistes vers le grand nombre, qui a vu cela comme leur première occasion de participer à des élections relativement libres. Beaucoup d’ouvriers et de pauvres moins actifs ont eu l’intention de voter aux élections. Beaucoup se sont également abstenus, certains repoussés par le procédé délibérément confus. Le taux de participation au premier tour, couvrant un tiers du pays y compris le Caire, était de 52%, bien qu’il ait diminué lors des tours suivants. Il y avait une menace d’une amende de LE500 pour les non-votants.

    Beaucoup d’ouvriers et de jeunes plus avancés politiquement, en particulier dans les villes, étaient fortement sceptiques, sinon cyniques, au sujet d’ ‘élections’ appelées sous le contrôle et la gestion des militaires. Ceci a également contribué à avoir un taux d’abstention élevé. Mais même si les militants n’avaient pas l’intention de participer au vote, construire le soutien pour une alternative nécessite d’intervenir dans les meetings électoraux et de tester les candidats devant leur audience. De tels débats aident également les militants à mieux comprendre comment gagner le soutien parmi les masses. Les partis islamistes n’ont pas participé aux protestations de fin novembre et de décembre, se concentrant sur leur campagne électorale.

    Résultats des élections

    De nombreux incidents d’irrégularités de scrutin et de trucages ont été rapportés (augmentant dans les tours suivants, particulièrement dans les zones rurales), mais en général les élections n’étaient pas les choses les mieux organisées sous Moubarak. En novembre 2010, son Parti Démocratique National (NDP) avait gagné 97% des sièges – quelques semaines avant que le soulèvement de masse l’ait mis dehors !

    La procédure électorale était très compliquée, avec des listes de partis, des listes individuelles (certaines avec plus de 200 noms sur le bulletin de vote), des sièges réservés pour des ‘ouvriers’ et des ‘fermiers’. Au moins dix candidats ont été empêchés de se présenter, ayant été nommés pour des sièges d’ouvriers par de nouveaux syndicats indépendants et non par la Fédération Egyptienne des Syndicats, menée par des défenseurs de Moubarak. L’infraction de la loi électorale la plus ordinaire furent ces 20-30 membres de partis islamistes qui ont fait campagne juste à l’extérieur des bureaux de vote. Les partis sans adhésion massive de membres n’ont pas pu faire cela, même s’ils avaient voulu. Il n’y a aucun doute que quelques électeurs ont été influencés au dernier moment et ont voté pour les islamistes, mais c’est insuffisant pour expliquer les résultats.

    Avec les résultats connus jusqu’ici pour 427 sièges, les Frères Musulmans en ont obtenu 193 pour leur Parti de la Liberté et de la Justice (FJP) (45% des sièges). Les Salafistes en ont 78 pour Al-Nour (‘Lumière’) (25% des sièges).. Les deux plus grands blocs libéraux en ont 68 entre eux. Le sixième plus grand groupe, avec dix sièges, est La Révolution Continue, le bloc de gauche, dont l’Alliance Socialiste Populaire est la plus grande composante. Ses votes varient entre 1 et 19%. Dans les zones rurales, quelques anciens membres du NDP ont été élus avec de nouvelles étiquettes de partis.

    Ces résultats ne reflètent pas le véritable rapport de forces observé dans les mouvements révolutionnaires de masse et dans les grèves d’été et automne derniers. Un sondage d’opinion d’août 2011 a montré que 69% de la population ne faisait confiance à aucun parti politique. Sans parti ouvrier de masse à ce stade, la classe ouvrière n’a pas pu s’exprimer dans cette élection en tant que classe. Les syndicats véritablement indépendants doivent développer une voix politique et pourraient jouer un rôle principal en aidant à établir un tel parti, avec les socialistes et d’autres activistes révolutionnaires.

    Le succès des Islamistes

    Le Parti de la Liberté et de la Justice des Frères Musulmans s’inspire du parti du premier ministre turque Erdogan du même nom (AKP), essayant de présenter une image modérée et moderne. Ils avaient 46 candidats féminins sur leurs listes et étaient dans une alliance avec quelques petits partis, dont deux candidats Coptes. Le long parcours d’opposition des Frères Musulmans à Moubarak, leurs programmes d’assistance sociale et de charité, et leur image relativement épargnée par la corruption aident à expliquer leurs résultats. Cependant, leur programme vise à charmer le monde du business, avec la réduction du déficit budgétaire et des coupes dans les subventions. Plusieurs de leurs dirigeants proviennent d’un parcours lié au milieu des affaires, tel que le ‘guide suprême’ Khairat El-Shater, un riche homme d’affaire. Ils décevront inévitablement ceux qui ont voté pour eux avec de grands espoirs d’amélioration de leurs conditions de vie.

    Les Islamistes plus orthodoxes, les Salafistes, ont gagnés plus ou moins 27% des voix. Leur soutien était le plus haut dans les secteurs les plus pauvres, négligés par les autres partis. Un plombier de 26 ans a dit au Financial Times (Londres) ”Nour va nettoyer le pays, se débarrasser de toute la corruption et récupérer tout l’argent qui est parti, qui est allé aux personnes riches tandis que nous n’obtenions rien. Les Frères Musulmans sont OK. Mais ils sont vieux, et ils ont déjà essayé pendant des années et n’ont fait rien pour nous.” (9.12.11)

    Mohammad Nourallah, un porte-parole de Nour a dit, ”Le vieux régime n’était constitué que de criminels. Et ils se sont entourés d’une classe qui a obtenu beaucoup d’avantages… Nos supporters sont les gens que vous voyez dans la rue, pas les gens qui vivent dans les quartiers que vous n’avez jamais vus ou dont vous n’avez jamais entendu parler.” (Financial Times 29.12.11)

    Les Frères Musulmans cherchent la coalition plutôt qu’à gouverner seul. ”Ce sera un parlement de compromis à coup sûr parce que nous ne nous joindrons pas au parti Al-Nour et que nous sommes pleins d’espoir pour établir de bons rapports,” a dit Essam al-Erian, chef adjoint du FJP. Ses associés préférés seraient de petits partis libéraux, donnant au régime une certaine prétention à être lié aux événements révolutionnaires, évènements desquels les leaders des Frères Musulmans se sont tenus à l’écart jusqu’à ce qu’il se soit avéré que les jours de Moubarak étaient comptés. De tels partenaires rendraient également un gouvernement des FM plus acceptable pour les gouvernements capitalistes du monde entier (et pour le FMI), à qui il cherchera l’appui économique. Les Salafistes seront le plus grand parti d’opposition.

    Autant les Frères Musulmans que les Salafistes ont en leur sein différentes tendances et orientations. Les sections de la jeunesse des Frères Musulmans avaient déjà créé une scission en désaccord avec la politique des leaders de se tenir hors de la confrontation directe avec Moubarak ou le CSFA. Maintenant que les élections pour l’assemblée inférieure sont finies, la demande de la fin immédiate du règne du CSFA pourrait recevoir un appui massif, bien que les dirigeants des Frères Musulmans soient plus enclins à continuer à chercher le compromis avec eux.

    Décalage croissant entre les activistes et les masses

    Beaucoup de gens des masses pauvres perçoivent les activistes libéraux de la classe moyenne comme provenant des ”quartiers que vous n’avez jamais vu”. La concentration des libéraux presque exclusivement sur des demandes démocratiques et sur le sécularisme a trouvé peu d’écho parmi ceux qui luttent quotidiennement pour nourrir leurs familles.

    Dans un sondage d’opinion fin avril 2011, 65% disait ne pas savoir pour quel parti ils voteraient si une élection devait avoir lieu la semaine suivante. Seulement 2% précisaient qu’ils voteraient pour les Frères Musulmans. Bien que ce résultat doive être regardé avec prudence, il est clair que le fossé entre les visions des activistes de Tahrir et les masses des zones pauvres du Caire et d’ailleurs s’est agrandit depuis lors. Organiser les protestations du vendredi sur le thème de ”Constitution d’abord”, par exemple, n’a pas attiré la majorité de ceux qui ont participé aux mouvements révolutionnaires de janvier et de février 2011. Les deux tiers de ceux qui l’ont fait ont indiqué au même sondage d’opinion que les raisons principales pour lesquelles ils y avaient pris part étaient les bas standards de vie et le manque de travail.

    Cet isolement croissant des activistes a encouragé l’Etat et les Frères Musulmans à lancer des attaques ces récentes semaines contre les ONG et les Socialistes Révolutionnaires, la section égyptienne de la Tendance Socialiste Internationale. Fin décembre, un principal avocat des Frères Musulmans s’est plaint aux services de sécurité de l’Etat disant que les SR projetaient de renverser l’Etat par des moyens violents. Trois membres principaux des SR ont été arrêtés et les forces de sécurité en ont interrogé un autre.

    C’est une menace sérieuse envers la gauche en général – pas simplement les SR – incluant la plupart des syndicalistes militants et des étudiants activistes. Le SR a travaillé  avec les Frères Musulmans il y a quelques années. Maintenant, ils se plaignent que les Frères soient utilisés comme un « outil de l’Etat » et les appellent à se souvenir qu’ils ont été opprimés par cette même machine d’état.

    Il est essentiel que le mouvement socialiste amoindrisse le soutien pour les Frères comme pour les Salafistes. Ceci ne peut pas être fait en faisant appel à la hiérarchie de ces organisations, ou en tombant dans le piège de débattre Islamisme et sécularisme (considéré comme de l’athéisme pour beaucoup de musulmans pratiquants).

    Au lieu de cela, un programme visant les pauvres et les travailleurs de la classe ouvrière qui supportent les Islamistes, exigeant des jobs, des salaires décents, des logements, une bonne éducation et des soins de santés gratuits est nécessaire. Un mouvement ouvrier de masse est nécessaire, il pourrait combattre pour ce programme et unir Musulmans et Coptes, hommes et femmes, jeune et vieux. Les partis islamistes rompraient le long des lignes de classe s’ils étaient construits avec une direction révolutionnaire expliquant la nécessité de balayer le système capitaliste responsable de la pauvreté et de l’oppression.

    Nécessité d’une révolution socialiste

    La nécessité d’une deuxième révolution devient plus clair pour beaucoup de ceux qui ont participé au soulèvement du 25 janvier 2011, et aux nombreuses manifestations et batailles depuis lors. Mais quelle sorte de révolution est nécessaire, et comment cela peut-il être atteint ? La première révolution a seulement ‘changé les rideaux’ – les représentants politiques de la classe régnante, qui a gardé sa richesse et puissance.

    Une deuxième révolution est nécessaire pour faire devenir propriété publique sous contrôle démocratique des travailleurs toutes les grandes compagnies, banques et grands domaines. L’économie pourrait alors être planifiée pour l’avantage de la majorité au lieu de l’élite minuscule qui est devenue plus riche sous Moubarak et continue à maintenir sa richesse sous le CSFA.

    La puissance de la classe ouvrière dans la vague de grèves en février 2011 a mis fin au combat de Moubarak pour s’accrocher au pouvoir. Une partie de cette puissance a été vue dans l’année depuis lors, bien qu’aucun parti ouvrier n’ait encore pu réunir les activistes des syndicats, les socialistes et les masses. Un programme qui rencontre les besoins des masses sur les questions pressantes de travail, des bas salaires, du manque de logements accessibles de bonne qualité, des soins de santé gratuits et de l’éducation pourrait rapidement recevoir l’appui. Une économie planifiée socialiste et démocratique emploierait la richesse produite par la majorité au profit de tous, au lieu d’être volée par les capitalistes et leurs défenseurs militaires et politiques.

    Une société véritablement socialiste démocratique n’aurait rien en commun avec le régime autoritaire bureaucratique qui a produit Moubarak. Les comités populaires de voisinage qui ont commencé à se développer après le 25 janvier, ainsi que les comités démocratiques sur les lieux de travail, pourraient se redévelopper et s’étendre sur la base de nouvelles recrudescences révolutionnaires et servir de base pour une véritable démocratie, les liant ensemble au niveau local, régional et national. Une assemblée constituante démocratiquement élue pourrait élaborer une constitution qui défendrait les droits de tous, y compris des minorités religieuses et nationales.

    Au cours du combat pour un tel programme socialiste, la balance des forces dans la société changerait. Tous les défenseurs de l’ordre existant seraient de plus en plus poussés ensemble vers l’opposition au mouvement grandissant des masses, mené par la classe ouvrière. Un tel mouvement surmonterait les divisions sectaires et résulterait en une assemblée complètement différente que celle qui vient juste d’être élue. Un gouvernement de majorité, d’ouvriers et pauvres, agirait dans l’intérêt de la majorité dans la société.

    En même temps, la crise économique globale grandissante mine le soutien au capitalisme autour du monde. Si la classe ouvrière développe une direction socialiste révolutionnaire décisive, luttant sérieusement pour prendre le pouvoir en Egypte, elle enflammerait d’autres mouvements révolutionnaires, posant les bases pour un Moyen-Orient, une Afrique du Nord et un monde socialiste.

  • Révolution et contre-révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient : leçons des premières vagues de mouvements révolutionnaires

    Le Comité Exécutif International (CEI) du Comité pour une Internationale ouvrière (CIO) s’est réuni du 17 au 22 janvier 2011 en Belgique, avec plus de 33 pays représentés, d’Europe, Asie, Amérique Latine et Afrique. Daniel Waldron fait dans ce texte un rapport de la session consacrée aux mouvements révolutionnaires en Afrique du nord et au Moyen-Orient.

    Daniel Waldron, Socialist Party (CIO Irlande)

    L’onde de choc des mouvements révolutionnaires qui ont commencé en Tunisie en janvier 2011 s’est répercutée dans toute l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et à travers le monde. Cette vague de soulèvements a conduit au renversement de dictateurs dont certains dirigeaient leur État depuis des décennies, et a atteint presque tous les pays de la région. Les travailleurs et les jeunes du monde entier ont été inspirés par l’héroïsme et la détermination des masses et se sont identifiés à leur mouvement, du Wisconsin (aux Etats-Unis) au Nigéria. Un an après, le mouvement surnommé "Printemps Arabe" connaît une nouvelle phase.

    Cela a constitué la trame de l’excellente discussion, introduite par Niall Mulholland et conclue par Robert Bechert du Secrétariat International, que nous avons eu au Comité Exécutif International du Comité pour une Internationale Ouvrière. On a pu voir parmi les contributeurs des camarades de pays d’Afrique du Nord et Moyen-Orient, et également des camarades du CIO qui se sont rendus en Egypte au moment des événements révolutionnaires en 2011.

    Les représentants du capitalisme ont été pris de court par les mouvements révolutionnaires en Tunisie et en Égypte. Quelques mois à peine avant son renversement, le journal The Economist saluait encore Moubarak pour avoir apporté la "stabilité" dans la région. En d’autres termes, pour avoir agi en tant qu’agent fiable de l’impérialisme. Alors que Ben Ali avait déjà été renversé en Tunisie et que les masses égyptiennes avaient commencé leur révolte, ce torchon du capitalisme international clamait toujours qu’il ne tomberait pas. Mais il est bel et bien tombé. Les forces de l’impérialisme occidental n’étaient pas préparées et furent abasourdies alors que leurs alliés furent renversés, ne sachant rien faire d’autre que d’exprimer leur "soutien" tardif aux révoltes tout en essayant désespérément de garder le contrôle.

    Le CIO n’a toutefois pas été surpris par les évènements bouleversants qui ont balayé la région. Dans les documents que nous avions adoptés suite à notre Congrès Mondial de décembre 2010, nous mettions en lumière la possibilité de mouvements convulsifs en Afrique du Nord et au Moyen Orient ; la région était telle une boîte d’allumettes, prête à s’embraser.

    Ben Ali – le premier domino d’une longue rangée

    Nous avions insisté sur le fait que sa population particulièrement jeune et appauvrie, opprimée par des régimes autoritaires incapables de leur offrir un meilleur avenir, pourrait être le déclencheur d’explosions sociales dans ce contexte de crise mondiale du capitalisme. Ces soulèvements n’ont pas été provoqués uniquement par une colère contre les dictatures ; ils étaient aussi le reflet du fait que les masses n’acceptaient plus l’existence misérable que le capitalisme est la seule à pouvoir leur apporter. Le dirigeant tunisien Ben Ali, représentant féru du capitalisme néolibéral, fut le premier de la liste à ressentir la force des mouvements de masse et à tomber.

    Ben Ali s’est fait dégager 28 jours après le suicide tragique par immolation du jeune vendeur de rue Mohamed Bouazizi. Le dictateur a rapidement été suivi par son ancien premier ministre, Ghannouchi. Une semaine plus tard, le règne trentenaire de Hosni Moubarak en Egypte s’est lui aussi effondré. Alors que les images des manifestations sauvagement attaquées par la police d’Etat encore fidèle à l’ancien régime étaient diffusées autour du monde, on aurait pu croire que le renversement de ces dictatures était en fait un processus assez simple et linéaire : les masses prenaient la rue et refusaient de la lâcher tant que leurs revendications contre la dictature ne seraient pas satisfaites. L’occupation de la place Tahrir au Caire, par exemple, est devenue un véritable symbole et a directement inspiré les mouvements Démocratie Réelle ou Occupy.

    Les manifestations massives et les occupations ont évidemment joué un rôle clé ; mais le facteur décisif dans le succès des révolutions égyptienne et tunisienne a été l’implication de la classe ouvrière organisée. Malgré le fait que les dirigeants de la confédération syndicale UGTT étaient fortement incorporés au régime de Ben Ali, un degré important d’action indépendante et d’opposition à la dictature existait localement et nationalement. La classe ouvrière égyptienne, la plus nombreuse de la région, a une vraie tradition de mouvements puissants et indépendants.

    Dans ces deux pays, des comités de travailleurs ont émergé dans les lieux de travail et les usines. Cette méthode d’auto-organisation s’est étendue aux places, aux villes et aux villages, donnant une cohésion au mouvement et lui apportant tant une base organisationnelle qu’une capacité à répondre efficacement aux attaques du régime. Par exemple, lorsque des gros bras pro-Moubarak armés ont essayé de reprendre la place Tahrir début février 2011, cela a déclenché une grève générale dans tout le pays, paralysant le régime, renforçant le mouvement, et qui a rapidement mené au départ de Moubarak.

    A l’inverse de l’Egypte et de la Tunisie, l’absence de mouvements massifs de la classe ouvrière a été une faiblesse des soulèvements révolutionnaires dans les autres pays ; et a notamment amené à des affrontements avec le régime qui se sont révélés beaucoup plus longs, compliqués et sanglants. En Libye, le mouvement contre le régime de Mouammar Kadhafi a commencé dans la ville de Benghazi. Au début, il avait l’allure d’un soulèvement populaire. Des comités du peuple émergeaient dans la ville. Pourtant, l’absence d’organisations indépendantes des travailleurs (torpillées par le régime brutal de Kadhafi) ont affaibli la capacité du mouvement à surmonter les profondes divisions ethniques et tribales existant dans le pays. Même si la révolte s’est étendue à Misrata et à d’autres villes, elle est restée relativement isolée et divisée.

    Le rôle de l’impérialisme en Libye

    Les forces de l’impérialisme se sont vite regroupées et ont utilisé le blocage de la révolution libyenne comme moyen pour intervenir afin de s’assurer qu’elle se développerait sans menace pour leurs intérêts dans la région. Kadhafi avait été inclus dans les petits papiers des pouvoirs occidentaux, en échange d’un accès aux ressources en pétrole du pays, mais l’impérialisme pouvait bien voir que sa capacité à apporter la "stabilité" à la région était à l’agonie. Ils s’unirent alors pour promouvoir une opposition pro capitaliste autour de Benghazi, comprenant de récents détracteurs du régime, sous la forme du Conseil National de Transition.

    Alors que les masses à Benghazi, dans la phase initiale de la révolution, étaient clairement opposées à une intervention impérialiste, le CNT a supplié les forces occidentales d’intervenir. Leurs médias, notamment par la voix d’Al Jazeera (messager du régime qatari pro impérialiste), ont mené une campagne de propagande pour exagérer la menace posée pas l’armée de Kadhafi et augmenter la popularité de l’intervention occidentale.

    Le CIO n’a pas succombé à la pression, comme tous les marxistes auraient dû l’analyser, mais a justement expliqué que l’impérialisme ne pouvait pas jouer de rôle progressiste dans la situation. Leur seul but était d’installer un régime clientéliste suffisamment fiable pour ne pas apporter une quelconque liberté ou améliorer le quotidien des masses libyennes. Seul un mouvement massif des travailleurs et des pauvres libyens pouvait apporter un véritable changement.

    Et ce que nous avions dit s’est révélé être juste. La campagne de bombardement qu’a mené l’OTAN a freiné le mouvement. Pire encore, de nombreux éléments de guerre civile se sont développés ; avec des caractéristiques raciales et tribales. Des atrocités ont été commises, tant d’un côté que de l’autre. Kadhafi a été destitué, au bonheur de beaucoup. Mais il a été remplacé par un « gouvernement » du CNT non représentatif. Les tensions ethniques dans le pays se sont aggravées, notamment avec l’émergence de milices tribales. Il se pourrait qu’on assiste à une partition sanglante du pays autour de conflits sur les ressources naturelles, à moins qu’une alternative basée sur les intérêts communs des travailleurs et des masses pauvres soit construite.

    La Syrie

    De manière similaire en Syrie, le mouvement contre le régime d’Assad a été freiné par l’absence d’organisations unifiées de la classe ouvrière et des pauvres. Non content de réprimer brutalement le mouvement (on reporte plus de 5000 tués par les forces de l’Etat et un usage répandu de la torture), Assad a invoqué des chimères de bain de sang sectaire pour décourager les minorités alawites et chrétiennes de s’engager dans le soulèvement.

    L’impérialisme occidental et les élites sunnites qu’ils sponsorisent dans la région aimeraient assister à la destitution d’Assad ; car cela affaiblirait l’influence et le pouvoir du régime Iranien. Cela a notamment été reflété dans l’appel fait à Assad pour qu’il se retire de la Ligue Arabe (d’habitude impuissante), mais aussi dans les sanctions économiques qui ont été prises et qui auraient coûté au régime deux milliards de dollar, selon les estimations. Comme en Égypte, une opposition pro-occidentale est en train d’être préparée pour prendre le pouvoir ; en l’occurrence sous la forme du Conseil National Syrien. Toutefois, le déclenchement de conflits sectaires une fois Assad tombé pourrait avoir de sérieuses conséquences pour les intérêts de l’impérialisme dans la région, et une forme de compromis avec Assad n’est pas à exclure.

    Les derniers mouvements des masses tunisienne et égyptienne les ont vues revenir sur la scène de l’Histoire dans une tentative de changer fondamentalement la société. Les emblèmes des dicatures qu’étaient Ben Ali et Moubarak, ainsi que tellement d’autres de leurs alliés, ont été balayés. Cependant, même si les anciens régimes ont été ébranlés jusque dans leurs fondements, ils n’ont pas encore été détruits. Les vieilles élites qui soutenaient ces régimes restent intactes dans leur large majorité, malgré la détermination des masses.

    En Tunisie, l’élite a offert Ben Ali et par la suite Ghannouchi en sacrifice pour pacifier les mouvements révolutionnaires et les empêcher de menacer la position même de la classe capitaliste. En Égypte, les dirigeants de l’armée, un des piliers de l’Etat, ont été incapables d’étouffer la révolte ; et sont de fait intervenus pour prendre le pouvoir « au nom du peuple ». Parmi de larges couches des masses révolutionnaires, il n’y avait que peu de confiance dans les intentions des élites et un véritable désir d’aller vers un changement complet de la société. Mais en l’absence d’un parti de masse de la classe ouvrière avec un programme clair pour une transformation révolutionnaire de la société, l’énergie des masses épuisées a été dissipée, et les classes dirigeantes furent en capacité de regagner un certain degré de contrôle.

    Malheureusement, la vague révolutionnaire n’a trouvé que des forces défaillantes dans la gauche socialiste. Les maoïstes de l’UGTT, dont l’influence est considérable, ont adopté une approche dite étapiste, clamant qu’un capitalisme libre et une démocratie bourgeoise devaient être développés avant que des revendications pour la classe ouvrière et le socialisme soient mises en avant. Ce qui ne correspondait en rien à l’attitude des travailleurs tunisiens, dont les revendications portaient sur de meilleurs salaires et conditions de travail, la nationalisation de l’énergie ; ainsi que des éléments de contrôle ouvrier. Plutôt que d’appeler à une coordination des conseils des travailleurs et des pauvres pour former la base d’un gouvernement révolutionnaire, les maoïstes ont filé le train à l’opposition libérale.

    La gauche en Égypte

    En Égypte, une majeure partie de la gauche se traînait aussi derrière le mouvement. Ils tendaient à suivre la direction imposée pas les Frères Musulmans et d’autres forces d’opposition pro capitaliste, dont certains dirigeants appelaient à la formation d’un « gouvernement de salut national » au lieu d’un gouvernement révolutionnaire qui représenterait les intérêts des masses. Mais les dirigeants des Frères Musulmans se sont continuellement dirigés contre la gauche.

    Les élections parlementaires dans les deux pays ont vu la victoire de forces religieuses de droite (Ennahda en Tunisie et les Frères Musulmans en Égypte). Le parti salafiste Al Nour en Égypte a aussi gagné des voix. Ce n’était en rien une issue inévitable. Au moins au début, Ennahda et les Frères Musulmans se sont tenus à l’écart des mouvements. Il y un an, Ennahda ne pesait que 4% dans les sondages et leurs slogans religieux ne rencontraient pas d’écho parmi les masses. La montée de ces forces reflète le vide politique énorme qui existe, et qui pourrait potentiellement être rempli par un parti de la classe ouvrière doté d’un programme pour un changement socialiste.

    Alors que les médias occidentaux agitaient le spectre de la menace de l’« Islam politique » pendant les soulèvements révolutionnaires, il est clair que ces forces ne représentent pas une menace mortelle face aux intérêts de l’impérialisme. D’ailleurs les deux partis ont adopté des positions pro-occidentales. Le régime qatari a joué un rôle direct dans la sélection du gouvernent Ennahda. Les Frères Musulmans ont annoncé qu’ils voulaient modeler la « nouvelle » Égypte comme le régime pro-capitaliste de l’AKP en Turquie.

    L’élection de ces gouvernements ne mettra pas fin au processus révolutionnaire engagé en Afrique du Nord. Au contraire, il est clair qu’on assiste à un renouveau des luttes de la classe ouvrière et des pauvres. La souffrance quotidienne des masses n’a fait que s’approfondir depuis la chute des dictateurs ; le coût de la vie et le chômage ayant augmenté. Les travailleurs et les jeunes n’accepteront pas calmement que la vie continue ainsi, dans la pauvreté, même avec de nouveaux dirigeants. Le sentiment que la révolution a été « volée », qu’il en faudrait une deuxième ou une troisième, grandit.

    La tentative de l’élite militaire égyptienne de contrôler les élections et la nouvelle Constitution afin qu’elle leur soit favorable a provoqué de gigantesques conflits avec les travailleurs et jeunes révolutionnaires. Malgré une répression massive avec des milliers d’arrestations, ils furent forcés de faire des concessions. Après les élections, il y a eu encore plus de conflits avec le régime pendant l’anniversaire de la révolte. Les illusions qui existaient dans le caractère « pro-populaire » des dirigeants de l’armée ont volé en éclats chez de plus en plus d’Egyptiens. L’organisation indépendante de la classe ouvrière et les actions dans les usines se développent.

    L’élection du nouveau gouvernement tunisien a été suivie de manifestations massives pour de meilleures conditions de vie. Une grève générale se prépare dans une importante région minière, où des éléments de pouvoir ouvrier existent aujourd’hui. Les travailleurs continuent de se battre obstinément pour des améliorations concrètes et immédiates dans la santé, l’éducation et toute une série d’autres domaines ; et ce malgré la forte désapprobation des dirigeants de l’UGTT.

    Le rapport de forces régional

    La vague révolutionnaire a terrorisé le régime d’Israël, menaçant de déstabiliser le rapport de forces régional, déjà fragile. Le mouvement des masses égyptiennes en particulier a posé la possibilité de développer des liens de solidarité avec le peuple palestinien – malgré l’approche conciliante des Frères Musulmans et de l’armée envers Israël. Netanyahou a tenté de soulever les questions nationalistes et la peur des masses arabes parmi la population juive pour essayer de dompter l’agitation qui régnait en Israël et de préparer la population à la possibilité d’excursions militaires pour défendre l’élite nationale. Mais en vain.

    Le mouvement des tentes qui a balayé Israël pendant l’été était une preuve remarquable de la capacité qu’ont les mouvements révolutionnaires à dépasser les divisions ethniques, religieuses, sectaires et nationales. Le mouvement a englobé une énorme proportion de la population et beaucoup de ceux qui se sont retrouvés directement impliqués ont naturellement connecté leur lutte avec celle des masses à travers la région. Alors que les dirigeants n’apportaient ni objectifs clairs ni stratégie, le mouvement exprimait le rage que les travailleurs et les jeunes juifs ressentent par rapport à la minuscule élite corrompue qui dirige le pays. Dans des endroits comme Haifa, le mouvement a eu beaucoup de soutien de la part des Palestiniens. Ceci montre la possibilité de construire un mouvement unifié des travailleurs à travers la région et de trouver une solution socialiste et démocratique à la question nationale.

    L’expérience de la première vague de mouvements révolutionnaires a augmenté la conscience politique des travailleurs et des jeunes en Égypte et en Tunisie et peut paver la route pour de nouveaux soulèvements. Cela donnerait une nouvelle vigueur aux mouvements en Syrie, au Yémen, en Iran et dans toute la région. De plus en plus de personnes tireront la conclusion que pour avoir un futur décent et une vraie démocratie, la classe ouvrière et les masses pauvres doivent prendre le pouvoir en leurs propres mains, rompre avec l’impérialisme et briser le système capitaliste lui-même. Si l’immense richesse et toutes les ressources de la région étaient reprises des mains des élites corrompues et parasitaires et planifiées démocratiquement par les travailleurs et les pauvres, les conditions de vie des masses pourrait être rapidement transformées.

    La construction de partis de travailleurs qui unifieraient les masses pauvres autour d’un programme pour un changement socialiste et révolutionnaire de la société est une nécessité urgente. Les forces du CIO et les marxistes dans la région travaillent à cet objectif ; et peuvent croître pendant la prochaine période de défis auxquels la classe ouvrière et les jeunes se trouveront confrontés.

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